Chapitre II. La Saxe entre autorité soviétique, conscience régionale et intérêts locaux
p. 39-57
Texte intégral
1La Saxe est une entité politique et administrative qui se base sur une longue tradition régionale, mais aussi un territoire très hétérogène d’un point de vue économique et social. Elle est largement urbanisée, et compte avec Leipzig et Dresde deux villes très peuplées. Leipzig est une ville universitaire et un centre de foires, elle compte la plus grande densité de population en Allemagne de l’Est. Le nord de la région est façonné par l’agriculture, alors que le sud-ouest vit de l’industrie, surtout textile. Zone frontalière, la Saxe partage avec la Tchécoslovaquie au sud la région minière des Monts Métallifères et est délimitée à l’est par la nouvelle frontière germano-polonaise. Ces caractéristiques, à savoir de petites zones rurales primordiales, une industrie développée, des villes peuplées, une région minière et de larges frontières avec les principaux acteurs de l’expulsion, peuvent à première vue être des atouts pour l’après-guerre. Son importance économique et le besoin de main-d’œuvre qui en découle, ainsi que les espaces ruraux largement épargnés par la guerre sont autant d’éléments jugés favorables à une intégration rapide des réfugiés. Cependant, cette hétérogénéité provoque des besoins divergents, des problèmes d’organisation quant à la répartition des expulsés, ainsi que des conflits entre les différents arrondissements. Ces derniers cherchent à éviter l’arrivée de ces populations composées de vieillards, de femmes et d’enfants et rejettent la responsabilité de leur intégration sur les communes et les arrondissements voisins. Au milieu de ces conflits, les administrations, soviétiques et allemandes, régionales et locales, politiques et sociales, poursuivent au nom de prérogatives confuses une politique d’intégration selon leurs intérêts particuliers.
Les réfugiés en Saxe
Le cadre politique de la Saxe après la guerre
2La Saxe, ancienne région de la République de Weimar, disparaît en tant qu’entité politique et administrative le 30 janvier 1934, le gouvernement régional est alors privé de son parlement et placé sous l’autorité centrale du Reich. La région se distingue par son industrie lourde, et subit par conséquent de nombreux bombardements pendant la guerre. Ses grandes villes Dresde, Leipzig et Chemnitz sont les premières visées.
3Dès 1943 Leipzig est la cible de bombardements massifs. En tout, 38 attaques aériennes sont menées contre la ville, dont 11 attaques de grande ampleur. Les derniers bombardements ont lieu les 6 et 10 avril 1945, juste avant la fin des combats1. Ces attaques coûtent la vie à 5 000 voire 6 000 personnes et les bombes détruisent intégralement 28 178 logements des 221 178 que compte la ville et en endommagent 93 000, soit 41,5 % des logements2. La ville de Dresde est plus lourdement touchée3. Elle est une cible essentielle pour les Alliés en raison de ses industries d’armement qui participent largement à l’économie de guerre du Reich en employant des milliers de travailleurs forcés et de prisonniers de guerre. La ville a aussi une importance stratégique, elle est le nœud névralgique des transports à l’Est du Reich. Son réseau ferroviaire relie les villes de Prague, Berlin et Varsovie. Il permet l’approvisionnement des usines d’armement en matières premières en reliant les mines saxonnes (Erzgebirge) et les régions industrielles de Silésie. Dresde, dernière ville de garnison quasiment intacte jusqu’au début de l’année 1945, contribue aussi au transit des militaires vers le front de l’Est ainsi qu’à la déportation des prisonniers vers les camps de concentration. Les bombardements alliés s’intensifient à partir de l’automne 1944 et culminent avec les attaques aériennes du 13 au 15 février 1945 qui font des dizaines de milliers de victimes4 et détruisent les deux-tiers de la ville.
4L’ouest de la Saxe est occupé dès le mois d’avril par les forces armées américaines et Leipzig cesse le combat le 20 avril. À l’Est, il faut attendre la capitulation allemande du 8 mai 1945 pour que l’Armée rouge puisse investir la ville de Dresde dans son intégralité. Le 20 avril 1945, l’armée soviétique est sommée par Staline d’adopter un comportement d’armée d’occupation et non plus de combat vis-à-vis de la population vivant dans les territoires destinés à être placés sous son autorité. Conformément à cela, l’armée doit surveiller et accompagner la mise en place d’administrations régionales allemandes, ce qui est décidé le 4 juillet 1945 par la création de l’administration régionale saxonne (LVS) avec à sa tête le social-démocrate Rudolf Friedrichs5.
5Le 1er juillet 1945, conformément au découpage des zones d’occupation, l’armée américaine quitte la Saxe et la région est placée officiellement et entièrement sous contrôle soviétique. Par son ordre no 5, la SMAD officialise le 9 juillet 1945 la création d’administrations soviétiques d’occupation au niveau régional. La SMAS (Sowjetische Militäradministration in Sachsen) est dirigée par le général des armées Michail Katukov jusqu’en 1948 et est relayée par des Kommandantur locales à Dresde, Bautzen, Leipzig, Chemnitz et Zwickau. La Saxe ne retrouve pas ses frontières antérieures au IIIe Reich, amputée des territoires situés à l’Est de la Neisse qui sont placés sous autorité polonaise.
6À l’automne 1945, sur ordre de l’occupant6 la Landesverwaltung redevient Landesregierung7 (LRS) et la Saxe espère retrouver son identité régionale ainsi que son parlement.
Une région de transit et d’accueil pour près d’un million de réfugiés
7Alors qu’en été 1945, entre 2 et 2,5 millions de réfugiés sont présents en SBZ, la Saxe doit également gérer le transit de 448 000 personnes expulsées de Bohème par la Tchécoslovaquie vers les autres régions de la zone soviétique. De plus, en juin et juillet 1945, les unités militaires polonaises commencent à repousser les populations frontalières allemandes vers la Saxe, tout au long des 200 km de frontière qui séparent la zone soviétique des régions à l’Est de l’Oder et de la Neisse. Beaucoup de réfugiés, persuadés que leur expulsion ne sera que temporaire, veulent rester dans les régions frontalières pour pouvoir rentrer chez eux le plus rapidement possible8. La Saxe décide alors de fermer ses frontières à cette population entre l’automne 1945 et mars 19469, pour endiguer un flux de population qu’elle ne peut gérer au vu de la destruction de ses lignes ferroviaires et de ses routes. D’abord soutenues dans cette décision par les premiers plans de la SMAD, qui cherche à fermer les régions industrielles urbanisées et peuplées aux réfugiés, les autorités allemandes du Land s’attirent l’animosité de la ZVU et naturellement des régions voisines. Cette résistance est ouvertement affichée par le gouvernement régional qui dans sa lettre « Umsiedlerproblem » conseille aux villes saxonnes de ne pas céder :
« Il est certain que : ils [les réfugiés] ne peuvent être ni nourris ni hébergés en Saxe. Il est certain que : la propre population saxonne ne peut être nourrie si on n’exclut pas ces réfugiés de Saxe. […] Le fléchissement, la fausse compassion, en ne pensant qu’au moment présent, ne font que provoquer les choses que l’on veut éviter, c’est-à-dire la ruine de familles entières de réfugiés10. »
8Cette politique a deux conséquences : les villes saxonnes se renvoient entre elles les réfugiés et les Länder voisins ferment leurs villes à tous les trains en provenance de Saxe. Le Brandebourg par exemple les renvoie directement vers la Saxe, le plus souvent à pied11. Certains réfugiés doivent rester des jours voire des semaines dans des trains et des gares, sans avoir le droit de les quitter. Cette politique saxonne, dictée à l’origine par la peur du chaos et d’une catastrophe humanitaire, culmine dans des actions pour le moins inhumaines : « En automne 1945, la Saxe déposa des milliers de réfugiés sur des bateaux pour les laisser descendre le long de l’Elbe ou les entassa dans des camions en direction des régions voisines12. » En dépit de la résistance saxonne, ce sont les réfugiés eux-mêmes qui poussent le Land à un changement de politique et non les autorités soviétiques. Certains expulsés sont sur les routes depuis des mois et ne se laissent pas arrêter par les frontières. Pour ne pas les laisser mourir de faim, la Saxe décide le 30 septembre 1945 de faire de tous les réfugiés présents dans le Land des citoyens saxons, leur permettant l’accès aux cartes de ravitaillement13. En novembre 1945, elle crée 110 camps de réfugiés sur son territoire14. Il ne s’agit pas de devenir officiellement une région d’accueil, mais d’admettre les réalités et de pouvoir à l’avenir refuser toute arrivée de nouveaux migrants. En janvier 1946, 527 893 réfugiés sont déjà « installés » en Saxe.
9Mais à l’été 1946 commencent les « geordneten Aussiedlungen15 », conséquence des accords signés par l’Union soviétique avec la Pologne le 5 mai, et avec la Tchécoslovaquie le 1er juin 1946. Pour la Saxe, la SMAD prévoit 400 000 réfugiés supplémentaires dont l’arrivée entre 1946 et 1948 provoque de nombreux problèmes. La Saxe, se raccrochant aux promesses soviétiques de l’épargner, n’a jusque-là pas jugé utile de mettre en place un véritable plan d’intégration : « D’autres régions avaient de l’avance dans l’expérience de l’accueil. En Saxe, dans un premier temps, à l’aveuglette, schématiquement, ce qui a aggravé les difficultés16. » Le dernier recensement des réfugiés effectué en Saxe en décembre 1949 fait état du nombre de 952 60117. Sur ce total, 76,5 % sont issus des territoires proches de la frontière saxonne placés sous autorité polonaise, 13,1 % ont été expulsés de Tchécoslovaquie, 10,4 % sont originaires d’URSS, de Hongrie, de Roumanie et de Yougoslavie. Les réfugiés en Saxe sont donc en grande partie issus de régions limitrophes. Cependant, malgré cette proximité linguistique et culturelle, il convient de noter que la population en provenance de Silésie et de Prusse orientale, en majorité catholique, vient bouleverser les habitudes religieuses dans une Saxe protestante.
Politique(s) d’intégration
Les cadres administratifs de l’intégration
Les autorités centrales : SMAD et ZVU
10Le pouvoir soviétique exerce une autorité absolue sur la zone d’occupation orientale, en application de la formule de Staline : « Les Allemands ne font rien sans ordre18. » La SMAD ne considère pas la question des réfugiés comme un champ politique de première importance aussi primordial que la politique économique19. Leur intégration ne représente pas un enjeu de premier plan, mais s’intègre dans une politique plus large de sécurité et de reconstruction économique. Dans un premier temps, l’enjeu de la sécurité domine et la force d’occupation ressent les conséquences de ce déplacement de population comme un danger pour sa sécurité20.
11Au courant de l’été 1945, la politique des autorités soviétiques est de plus en plus critiquée par les administrations municipales, régionales et provinciales de Saxe. Elles réclament une répartition cohérente des réfugiés et une politique d’intégration réaliste, la fin de l’improvisation et des ordres imprécis voire contradictoires de l’occupant. En effet, les conflits se multiplient entre la SMAD et les SMA régionales. Ces dernières n’ont en effet pas de missions clairement définies. Ainsi, la SMAS a mis en place une section chargée des réfugiés, mais aucun champ d’action précis ne lui est délégué21. Les revendications des autorités régionales allemandes convergent vers « la création d’une administration centrale pour l’ensemble du territoire allemand, qui s’occupe du problème des expulsés en collaboration étroite avec les administrations d’occupation alliées » et qui devra « émettre au plus vite un plan qui répartit la foule des expulsés entre les zones selon un véritable système22 ». La question des réfugiés est perçue comme un problème commun aux différentes zones, dans la mesure où il apparaît irréaliste d’intégrer 12 millions de personnes dans une zone soviétique qui compte 15 millions d’habitants. Malgré une nécessaire coopération, la création d’une administration au niveau du territoire allemand n’aboutit pas. En revanche, elle est mise en place pour la zone soviétique à la suite d’une demande déposée par l’administration centrale chargée des affaires sociales et du travail23 auprès de la SMAD, afin d’autoriser la création d’une administration centrale pour les expulsés et pour les Heimkehrer24. Cette nouvelle administration centrale est relayée au niveau régional par des administrations chargées d’appliquer ses ordres mais n’ayant pas un pouvoir de décision autonome. Il est régulièrement rappelé « qu’à l’administration centrale sont reliées des organisations semblables et que l’administration centrale chargée des questions relatives aux réfugiés et aux Heimkehrer est l’administration supérieure, dont les ordres sont à suivre de façon stricte25 ». Sa charge première est de se faire connaître des gouvernements des Länder et provinces, et de définir le terme d’« Umsiedler », afin de donner un cadre clair à ses responsabilités et à son rayon d’action. La Zentralverwaltung für deutsche Umsiedler est uniquement responsable devant l’administration soviétique et son autorité s’applique, du moins en théorie, à l’ensemble de la zone d’occupation. Pour faire face à ses responsabilités, la ZVU doit rapidement construire et consolider son organisation interne et répartir ses différents champs d’action entre 6 sections administratives et 79 employés (jusqu’à 119 en 1947) :
Section principale 1 | Chancellerie/Bureau principal/Service presse et propagande. |
Section principale 2 | Organisation/Planification/Statistique. |
Section principale 3 | Ravitaillement/Personnel et administration/Bâtiment. |
Section principale 4 | Budget/Rémunération et attribution/Paiement/Surveillance des budgets. |
Section principale 5 | Secteur des transports. |
Section principale 6 | Lutte contre les épidémies/Hygiène des camps/Évacués est-ouest. |
12La ZVU doit faire parvenir aux autorités soviétiques un bilan du travail de chaque section toutes les semaines dans un premier temps puis tous les mois tandis que la SMAD organise régulièrement des inspections au sein de l’administration. Au mois d’octobre 1945, la ZVU informe les administrations régionales et provinciales du cadre mis en place pour résoudre le problème des réfugiés. Elle donne des directives sur les administrations à créer au niveau des Länder pour l’installation de camps de passage et de quarantaine, pour leur recensement, les soins médicaux qui doivent être prodigués ainsi que sur l’échange de réfugiés décidé entre les zones d’occupation. La ZVU émet ses trois premières directives le 2, le 25 et le 30 octobre 1945. La première concerne les mesures d’urgences décidées par l’administration centrale. Elle pilote la mise en place de ses sections régionales et communales, l’installation des camps et de leur personnel, elle impose l’arrêt immédiat des mouvements de population et contrôle les transports en cours. La ZVU décide aussi la création de « Umsiedlerausschüsse27 » dans les communes, demande un recensement précis des réfugiés présents dans les villes et les camps, la mobilisation de la population ainsi que l’organisation d’actions de solidarité, afin de fournir vêtements et chaussures28.
13La ZVU reçoit des autorités soviétiques la responsabilité de veiller à la sécurité sanitaire de la zone. Elle lui est transmise par l’ordre no 43 de la SMAD29. Son but est d’endiguer les épidémies de typhus qui touchent les villes frontalières, notamment Francfort sur Oder, et donc de veiller à la sécurité sanitaire des villes qui accueillent des réfugiés. Sa seconde directive du 25 octobre 1945 « Hygienische und sanitäre Massnahmen30 », vise à lutter contre les épidémies qui touchent surtout les territoires les plus à l’Est, ainsi qu’à mettre en place un véritable contrôle sanitaire à l’arrivée dans les camps.
La ZVU au niveau local et régional
14La politique de la ZVU est appliquée à l’échelon régional et local par les nouvelles administrations placées sous son contrôle. En Saxe, l’antenne de la ZVU, l’Umsiedleramt, est intégrée à la structure administrative régionale. Son rôle principal est de financer et gérer les camps de transit et de quarantaine. Ses compétences sont précisées par la LRS31 : le contrôle des camps de réfugiés, les questions relatives au personnel en lien avec le service du personnel des villes, le financement des camps et le contrôle des budgets, le ravitaillement, le recensement des réfugiés, le transport des personnes et le respect des directives d’hygiène et de santé. Dans une correspondance du 27 juin 1947, la LRS réaffirme son autorité sans partage sur les décisions à prendre pour l’intégration des réfugiés : « L’administration agit seulement sur ordre et sur instruction de la LRS et s’acquitte de missions gouvernementales32. »
15Dans les grandes villes, la LRS installe des Umsiedlerstellen, renommées Neubürgerstellen en juin 194733. Ces dernières sont en charge au niveau local du parcours des réfugiés depuis l’arrivée à la gare jusqu’à l’accès au logement particulier34. Elles restent sous l’autorité de Dresde, plus spécialement de son Abteilung für deutsche Umsiedler et s’intègrent dans les services sociaux locaux (Dezernat Sozialverwaltung section Wohlfahrtswesen) au même titre que les services dédiés à la jeunesse ou à la gestion des maisons de retraite. Elles sont composées généralement d’un directeur, d’un secrétaire, d’un comptable et d’un responsable par section (organisation, assistance économique, section sanitaire, section du transport, section statistique)35. Elles s’occupent des camps dédiés au passage temporaire des réfugiés, des camps principaux, Hauptlager36, et des comités d’accueil installés dans les gares de la région. La mise en place d’une politique d’intégration cohérente et efficace se heurte aux intérêts locaux. En effet, les Neubürgerstellen financées par le Land de Saxe défendent les intérêts particuliers des villes et des arrondissements :
« La mise en place des Umsiedlerämter dans le Land de Saxe n’est pas identique à celle des autres provinces et régions. Il existe des administrations pour Umsiedler au sein de l’administration régionale et d’autres auprès des villes et des arrondissements. Parfois leur personnel est rattaché à Dresde, d’autres sont payés par la région mais elles exécutent toutes les ordres des présidents d’arrondissement37. »
Le manque d’autorité de la ZVU
16La ZVU, créée pour mettre fin aux conflits entre les régions, pour unifier les politiques régionales d’intégration et pour désengorger les administrations soviétiques, se heurte à la grande résistance des régions à son encontre. Trop éloignée des réalités locales, la ZVU n’a pas les moyens matériels et financiers pour surveiller et conduire le processus d’intégration. Sa proximité politique et idéologique avec l’occupant lui est aussi reprochée. L’administration centrale reste en effet très proche des autorités soviétiques et du KPD, qui veulent en faire un outil de l’intégration idéologique et politique : dès sa création, la ZVU fait partie des administrations centrales les plus dominées par les communistes38, les autres partis en sont presque totalement absents pour toute la durée de son existence. Ses membres sont presque tous issus du KPD (parti communiste allemand), parfois du SPD (parti social-démocrate), puis du SED (parti socialiste unifié allemand). Aucun membre n’est un ancien réfugié ou expulsé.
17En plus des résistances des administrations régionales et municipales, les autorités soviétiques ne montrent que peu d’intérêt pour le travail de la ZVU. Le chef de la SMAD, le maréchal Joukov n’assiste que très ponctuellement aux réunions entre ZVU et SMAD. C’est le président de la ZVU Joseph Schlaffer qui doit alors justifier ce manque d’implication et d’ordres précis de la part des Soviétiques auprès des gouvernements des Länder et des provinces qui de leur côté attendent des réponses, et il s’exécute de manière plus ou moins habile : « Suite à la fin prématurée de la réunion chez le Maréchal Jukov, il n’a pas été possible de parler de certaines questions primordiales, relatives au déplacement de population dans les Länder et provinces39. » Peu à peu, la ZVU doit céder sa place au SED qui réclame de plus en plus de pouvoir et dont le comité central décide en décembre 1948 : « La force décisive doit résider non dans les administrations pour Umsiedler mais dans le parti40. » En effet, face aux difficultés rencontrées par la ZVU, les autorités soviétiques comptent avant tout sur le SED pour prendre en charge le processus d’intégration en s’imposant au sein des administrations régionales, municipales et locales.
Le poids du politique et du parti SED en Saxe
La création des partis politiques
18La SBZ est la première zone d’occupation à permettre la résurgence de partis politiques. Le 10 juin 1945, l’ordre no 2 de la SMAD révoque l’interdiction de partis politiques et de syndicats dans un but bien précis, celui « d’autoriser la création et l’action de tous les partis antifascistes qui ont pris pour but l’extermination des restes du fascisme et la stabilisation de la démocratie et des libertés citoyennes en Allemagne41 ». Le 13 juin, le KPD énonce son programme qui est validé, la CDU (parti chrétiendémocrate allemand) lui emboîte le pas le 26 juin, suivie par la LDP (parti libéral-démocrate allemand) le 5 juillet 1945. Le 14 juillet, les quatre partis refondés et autorisés, KPD, LDP, SPD et CDU, composent le « Front uni des partis démocratiques et antifascistes » : « Einheitsfront der antifaschistisch-demokratischen Parteien42. » La participation à ce dernier est la condition sine qua non pour l’autorisation d’un parti par la SMAD, qui cherche à contrôler l’activité politique, mais aussi à développer une coopération entre eux. En effet, le nouveau paysage politique de la SBZ à l’été 1945 ressemble fortement à celui qui existait sous la République de Weimar. Cette comparaison gène l’occupant comme les partis, dont le déchirement avait empêché la constitution d’une large opposition à Hitler. Le KPD lui-même déclare lors de sa création porter une part de responsabilité : « Nous, les communistes allemands, déclarons nous sentir nous aussi coupables, ayant échoué, malgré le sacrifice sanglant de nos meilleurs combattants, à souder l’unité antifasciste des travailleurs, des paysans et de l’élite intellectuelle contre tous nos adversaires43. » La coopération entre les partis se cristallise surtout autour du SPD et du KPD, qui à la fin de la guerre, veulent unir leurs forces face à la misère de la population et ainsi mener à une reconstruction rapide du pays.
19Le « Front des partis antifascistes et démocratiques » permet un contrôle et une mise au pas de plus en plus sensible des partis qui constituent une concurrence pour les partis socialistes et communistes : la LDP et la CDU. Le KPD réclame pour lui une place dominante au sein de cette coopération. Walter Ulbricht insiste en juin 1945 « que le KPD jouera un rôle dominant dans le nouvel avenir de notre pays comme parti de masse du peuple allemand44 ». La plus grande concurrence du KPD reste cependant le SPD, perçu comme plus modéré et moins proche de l’occupant, il compte en septembre 1945 plus de membres que le KPD45. Les discussions autour d’une possible refonte des deux partis en un seul échouent à cette même époque à la suite à des oppositions concernant la réforme agraire, qui est mise en place trop rapidement selon le SPD. En avril 1946, sous la pression de la SMAD, KPD et SPD se réunissent en un seul parti, le SED sous l’autorité du communiste Wilhelm Pieck et du socialiste Otto Grotewohl. Dans les années 1946 et 1947, les anciens membres du SPD sont peu à peu écartés de toutes les fonctions importantes et le volet modéré du SED perd de son influence. Les autres partis bénéficient, pendant les premières années d’après-guerre, d’une certaine autonomie dans un système politique restrictif. Leur influence sur le cours à donner à l’intégration ne se développe pas au niveau central. Ils sont, comme nous l’avons vu, absents au niveau de l’administration centrale ZVU, mais ils marquent de leur présence la politique régionale et communale et s’appuient sur la presse pour rendre publiques leurs solutions pour l’intégration des réfugiés, à l’instar de la CDU par la Neue Zeit. Néanmoins ils ne bénéficient pas de la même diffusion que le SED à travers ses journaux : Tägliche Rundschau, Leipziger Volkszeitung, ainsi que la revue spécialisée et publiée par la ZVU « Neue Heimat » sur laquelle nous reviendrons.
Les partis et l’intégration46
20Le KPD, au même titre que le SED à partir d’avril 1946, se retrouve en zone d’occupation soviétique dans une situation très délicate. Soutenu ouvertement par l’occupant, le parti doit cependant veiller à s’implanter durablement sur le territoire et se voit handicapé par la méfiance de la population vis-à-vis des Soviétiques et plus particulièrement celle des réfugiés, comme l’exprime ouvertement le SED à Zwickau : « Pour la plupart des Umsiedler, l’expulsion a provoqué des sentiments de haine envers les pays concernés. La manière dont ils ont été traités pendant le transport est décisive. Plus les conditions sont difficiles, plus l’Umsiedler s’accroche à toutes sortes de rumeurs à propos d’un retour et plus il reprend des rumeurs qui viennent des zones occidentales47. » Les réfugiés, qui représentent alors plus de 15 % de l’électorat potentiel, partagent d’autant plus cette méfiance qu’ils ont vécu le passage de l’armée soviétique dans leurs terres d’origines avec de nombreux viols et d’expulsions souvent brutales. Les années de propagande anti-communiste des autorités nazies n’arrangent en rien ce problème du KPD.
21Entre 1945 et 1948, il est difficile de mettre en évidence une véritable ligne politique du KPD/SED concernant les réfugiés, leur intégration ainsi que la question de la frontière Oder-Neisse. Cette dernière question provoque de nombreux débats au sein du parti : les anciens membres du SPD se montrent réticents à toute déclaration dans le sens d’une acceptation de la frontière.
22Depuis la fin de l’année 1946, le LDP s’intéresse lui aussi à la politique d’intégration alors que la CDU concrétise son intérêt pour la question en créant en 1947 un groupe de travail appelé d’abord Flüchtlingsausschuss puis Umsiedlerausschuss48. Largement présente dans les zones rurales de la SBZ, la CDU cherche à favoriser la place accordée aux réfugiés dans la société paysanne. Dans certains villages, la CDU organise des réseaux d’entraide de voisinage et travaille avec les organisations caritatives49. L’importance d’être présent au niveau local est reconnue très tôt par le KPD qui cherche immédiatement à y limiter la présence des autres partis : « Nous devons placer, dans les endroits chargés des questions relatives aux Umsiedler, des camarades et des antifascistes jeunes et mobiles/dociles (bewegliche Genossen) et non pas des personnes âgées, autrement dit agrandir ces sections avec des camarades qui savent contrôler et administrer50. » Les élections, qui ont lieu en septembre et en octobre 1946, sont les premières et seules élections en SBZ avec des listes de partis en concurrence, même si les partis plus libéraux manquent de moyens et de diffusion de leurs idées51. Les élections répondent à celles organisées peu auparavant dans les zones occidentales. La campagne électorale de l’automne se déroule sur fond d’intimidation et de propagande et autour de thématiques liées au problème de subsistance et aux conditions de vie très difficiles. Jusqu’à la date des élections, le SED cherche à éviter la question des frontières allemandes, et est même temporairement autorisé par les Soviétiques à une critique de la ligne Oder-Neisse52.
Un échec du SED en Saxe53 ?
23Pour veiller à l’implantation du SED en Saxe, le parti envoie l’une de ses grandes figures, le communiste Wilhelm Pieck. Ce dernier est chargé de veiller au vote de la réforme agraire et d’établir l’autorité du parti sur la région. Si les élections municipales du 1er septembre 1946 et les élections du parlement régional du 20 octobre 1946 donnent une majorité de voix au SED (respectivement 53,7 % et 49,1 %), il faut toutefois noter le poids politique du LPD (22,4 % et 24,7 %) et de la CDU (21,9 % et 23,3 %)54. La position très claire de la CDU en faveur d’une renégociation des frontières, sa présence dans les Umsiedlerausschüsse locaux et les actions de l’organisation caritative proche du parti « Caritas » ont pu permettre des scores électoraux élevés chez les réfugiés. Le SED quant à lui reste encore le grand absent du débat saxon sur l’intégration55 et développe une stratégie très différente de celle appliquée aux autres régions de la zone d’occupation. Le nombre peu élevé de réfugiés (17 %), en comparaison notamment avec le Mecklembourg, pousse le parti à une politique d’intégration qui laisse une large place aux intérêts de la population locale. Les mesures en faveur des réfugiés, par exemple les discussions autour des confiscations de meubles et de logements, vont être peu à peu abandonnées en vue de fidéliser l’électorat local, qui, selon les administrations régionales, « perçoit le réfugié comme une menace pour son niveau de vie56 ».
24Le SED prône une intégration basée sur la solidarité et l’entraide bénévole. Ainsi, le parti n’entreprend rien contre l’exécution de la réforme agraire qui, en Saxe, profite bien plus à la population d’origine qu’aux réfugiés, contrairement aux autres régions57. De même, au vu de l’impopularité des mesures envers les réfugiés, le SED accepte en 1947 de placer à la tête de l’Umsiedlerabteilung du gouvernement régional une femme issue du parti libéral Ruth Fabisch, malgré la domination du SED sur cette section administrative. Selon Stefan Donth, cette décision s’inscrit dans la stratégie du SED et permet au parti de partager aux yeux de l’opinion la responsabilité et les difficultés liées à l’intégration avec les autres partis, pour « partager la responsabilité de mesures impopulaires avec les autres forces politiques58 ». Malgré tout, après les élections, la SMAS décide d’intervenir pour écarter les hommes politiques issus des autres partis et qui ont mis en avant la question des frontières pendant la campagne59. Cependant, il faut attendre le début des années 1950 pour que la mise au pas (Gleichschaltung) par le SED des autres partis politiques soit une réalité locale. La Saxe reste jusque-là, et surtout entre les années 1945 et 1948, un lieu de débats politiques relativement ouvert, bien plus que dans les autres régions de la zone d’occupation soviétique.
Disparité régionale et diversité locale
Le poids des villes
25En 1946, la Saxe devient de fait une région d’accueil, mais le gouvernement régional cherche toujours à contrôler la répartition des réfugiés afin de protéger les grandes villes. En effet, il doit tenir compte de la situation particulière de Dresde et de Leipzig, bombardées pendant la guerre, et qui doivent faire face à des problèmes de subsistance bien plus graves que les zones rurales. La politique régionale cherche à reprendre la stratégie soviétique d’une assimilation des réfugiés en milieu rural, pour refuser les convois de réfugiés vers ses villes. Le 12 juillet 1945, l’administration régionale de Dresde publie sa directive : « Anordnung über die Lenkung und Betreuung der Flüchtlinge innerhalb des Landesgebietes Sachsen60. » Dans ce document, Leipzig, Dresde et Chemnitz sont officiellement autorisées à refuser l’implantation de réfugiés dans leurs villes, ce qui mène à une politique locale très dure vis-à-vis des réfugiés.
26Dresde, la ville ayant subi le plus de destructions pendant la guerre, met en place la politique la plus restrictive. Elle interdit les arrêts des trains de réfugiés dans ses gares ainsi que la distribution de nourriture aux personnes ne figurant pas sur les listes d’habitants. Durant ces mois décisifs de l’été 1945, la ville espère rester uniquement un lieu de passage pour ces populations sans attaches et ne pas être touchée par la question de l’intégration des réfugiés. Leipzig cherche à suivre l’exemple de la capitale régionale. Le compte rendu de la réunion du conseil municipal du 17 août 194561 reflète bien cet aveuglement des autorités pendant l’été 1945 face à une situation dont l’ampleur commence à se dessiner :
« Le conseiller municipal Bauer rend compte de la question/situation des réfugiés. […] Vu l’état des choses, il est nécessaire non seulement de décréter une interdiction de résidence mais aussi une interdiction de séjour. Comme les flux de réfugiés sont sur la route en ce moment même, il serait nécessaire de régler la situation au plus vite […]. Si on ne réglait cette question que plus tard, les lieux d’accueil refuseraient de prendre en charge ces gens. La ville de Dresde est rigoureuse et expulse tous les étrangers de la ville. »
27Le 2 août 1945, le préfet de police et le maire de Leipzig ont promulgué une interdiction de séjour dans la ville pour toute personne n’ayant pas vécu dans la ville avant le 1er octobre 193962. De même, dans les deux villes, la déclaration à remplir auprès de la police n’est plus délivrée depuis la décision du 2 août 1945 par la publication du décret « Allgemeines Zuzugsverbot63 ». Le décret est conçu comme une mesure d’urgence face aux problèmes de ravitaillement et à la peur de la population locale. Les conséquences pour les réfugiés sont dramatiques, compte tenu des conditions sanitaires dans les trains et de la sous-nutrition liée au refus de les nourrir dans les villes. Cette situation de pénurie est aussi à mettre en relation avec la politique soviétique qui vise à isoler sa zone d’occupation, ce qui provoque des difficultés pour les transports de personnes et le ravitaillement.
28En août 1945, des voix s’élèvent au sein du conseil municipal de Leipzig pour protester contre l’expulsion des réfugiés hors de la ville. Ainsi, Klaus Begmann, qui se définit lui-même comme un marxiste et un antifasciste, déclare que « d’une façon ou d’une autre, nous allons devoir accueillir humainement ces 14 millions de personnes64 ». Il évoque le droit d’asile comme un droit humain fondamental et s’insurge contre le comportement de l’administration qui refuse de distribuer des cartes de ravitaillement à des personnes dans le besoin. Les autorités soviétiques elles-mêmes doutent de la possibilité pour les villes d’éviter l’accueil de réfugiés et, le 25 août 1945, elles recommandent à Leipzig de se préparer à une augmentation sensible de sa population, qui pourrait atteindre 600 000 personnes65. Si les villes de Dresde et de Leipzig peuvent dans un premier temps se défendre contre les ordres de la ZVU et de la LRS qui demandent un changement d’attitude et une plus grande humanité envers les arrivants, elles sont rappelées à l’ordre par les commandants soviétiques locaux, dont l’autorité ne peut être remise en question et qui décident en dernière instance66.
29On retrouve ici une constante des conflits locaux concernant la répartition des réfugiés. Les antennes militaires soviétiques, surtout la Kommandantur de Leipzig, placée sous l’autorité du lieutenant-général Trufanow, ainsi que celle de Dresde doivent intervenir en dernier lieu pour faire cesser les différents entre les administrations. Le spectre d’une intervention, toujours autoritaire et parfois punitive, permet bien souvent de faire plier les autorités locales. C’est effectivement le cas pour les villes de Dresde et de Leipzig qui, rappelées à l’ordre dès l’automne 1945, ne pourront plus fermer totalement leurs portes aux réfugiés :
Ville | Population 1939 | Population mai 1948 | Réfugiés mai 1948 | Population déc. 1949 | Réfugiés déc. 1949 |
Leipzig | 707 319 | 633 325 | 72 954 | 623 952 | 79 239 |
Dresde | 629 713 | 467 482 | 19 138 | 460 800 | 18 946 |
30Tout au long du processus d’intégration, les villes saxonnes n’ont de cesse de s’opposer aux décisions régionales qui leur sont défavorables, par des politiques locales relativement indépendantes, mais ceci en évitant d’aller à l’encontre des intérêts soviétiques.
Les régions frontalières et minières
Aux confluences des frontières : la Saxe zone de transit et de refuge
31À l’été 1945, la Saxe est entourée de frontières. Partiellement occupée par les forces américaines, sa frontière avec les zones d’occupation occidentales mène à un véritable exode des populations vers l’ouest de la Saxe durant les dernières semaines de la guerre et les premiers temps de l’occupation. Les populations civiles allemandes et les soldats de la Wehrmacht en déroute sur le front de l’Est cherchent à se rendre dans la zone occupée par les forces américaines, ainsi que de nombreux dignitaires nazis, qui fuient devant l’armée soviétique. La Saxe limitrophe de la Silésie est après la capitulation délimitée à l’Est par la nouvelle frontière Oder-Neisse. La ville de Görlitz, désormais frontalière, est séparée de sa partie orientale par la Neisse68. Elle est la première touchée par la fuite des populations allemandes de Silésie, qui choisissent de rejoindre la Saxe ou les Sudètes. Entre le printemps et l’été 1945, des milliers de personnes trouvent refuge dans la région et ses environs, en attendant de pouvoir rentrer chez eux.
32Malgré la Conférence de Potsdam, qui entérine (en attendant un futur traité de paix) le changement de frontière et les expulsions, nombreux sont les réfugiés qui souhaitent rester au plus près de la frontière, dans l’espoir d’un retour. Tout au long de la Neisse, la situation devient intenable. La ville de Görlitz, amputée d’un tiers de son territoire, compte 75 000 habitants en 1945, et 99 000 en 1950, dont au moins 38 000 réfugiés69. Officiellement, la zone frontalière est interdite aux expulsés. La même interdiction touche les territoires proches de la frontière tchécoslovaque, au sud du Land :
« La mesure spéciale concernant les Umsiedler issus des espaces polonais ou tchécoslovaques reste intacte dans les communes des arrondissements situées à moins de 10 km des frontières : Bautzen, Niesky, Löbau, Zittau, Dippoldiswalde, Freiberg, Pirna, Annaberg, Marienberg, Aue, Auerbach, Ölsnitz, Plauen et la ville de Görlitz (arrêt du 5 juillet 1948 de l’administration chargée des Umsiedler). Des autorisations d’installation pour les personnes nommées ne sont pas à accorder jusqu’à nouvel ordre pour ces communes70. »
33Cette interdiction est d’autant plus complexe à appliquer qu’elle ne concerne que les réfugiés issus des régions limitrophes, autrement dit « les Umsiedler issus des territoires actuellement polonais peuvent obtenir une autorisation d’installation au sein des 10 km le long de la frontière tchécoslovaque et les Umsiedler en provenance du territoire national tchécoslovaque peuvent obtenir une autorisation d’installation au sein des 10 km le long de la frontière polonaise71 ». Le long de la frontière tchécoslovaque, on compte ainsi 7 932 personnes issues des territoires devenus polonais contre 3 663 Allemands des Sudètes72. Tout au long de la période étudiée, les régions frontalières sont les zones de prédilection des réfugiés. Malgré toutes les tentatives administratives pour transférer les expulsés vers l’intérieur du territoire, les espaces frontaliers restent difficiles à contrôler en raison du nombre important de réfugiés qui s’y sont installés dès la fin des combats. En 1950, alors que la RDA décide de reconnaître la frontière germano-polonaise, les régions frontalières sont au cœur du mouvement de protestation et la ville de Görlitz est un centre des manifestations.
Les Monts Métallifères saxons73
34La région des Monts Métallifères, qui s’étend entre la Saxe74 et la Tchécoslovaquie, ne devient une région minière de première importance qu’après la Seconde Guerre mondiale. Les besoins croissants de l’Union soviétique en uranium vont pousser au développement des mines dans la région. La création de la Sowjetische Aktiengesellschaft (SAG) Wismut en juillet 1947 change durablement le visage de cette zone frontalière, mais influence également la politique d’intégration de la région saxonne toute entière. Les exploitations minières et leurs besoins en main-d’œuvre sont même à l’origine d’un exode de jeunes réfugiés vers les autres régions par crainte d’être envoyé de force dans les mines75.
35La Wismut, véritable « État dans l’État76 », est placée sous l’autorité directe des services de renseignement soviétiques, alors dirigés par le ministère de l’Intérieur en URSS. Même au niveau des SMAD et SMAS, rien ne peut être fait dans ses régions concernant l’intégration des réfugiés sans en référer aux responsables des exploitations minières. Les méthodes autoritaires utilisées pour réquisitionner la main-d’œuvre nécessaire touchent en premier lieu les expulsés, qui sont réquisitionnés directement (et souvent contre l’avis des administrations locales) dans les camps. À la fin de l’année 1947, la politique d’intégration sur ce territoire est uniquement basée sur les besoins de la Wismut. Les hommes en âge de travailler sont choisis dans les camps, leur quarantaine est raccourcie et ils sont envoyés principalement vers Aue, Annaberg et Marienberg77. Leurs familles suivent bien souvent dans des convois séparés. Elles ne peuvent généralement pas vivre près des mines, les habitations sont réservées aux mineurs.
36Nous reviendrons dans le cadre de ce travail sur les particularités de l’intégration des réfugiés dans la région des Monts Métallifères et les changements apportés durant la période étudiée à la structure économique et sociale de ce territoire.
Notes de bas de page
1 I. Schwab, « Neue Heimat – Neues Leben »?, op. cit., p. 70.
2 Idem.
3 J. Friedrich, Der Brand. Deutschland im Bombenkrieg 1940-1945, Berlin, Propyläen, 2002.
4 Le nombre des victimes de ce bombardement fait l’objet de polémiques. Pour éviter toute récupération politique ou mémorielle du bombardement de Dresde, la ville a mandaté en 2005 une commission historique sous la direction de Rolf-Dieter Müller afin d’établir un bilan. Les résultats des travaux sont présentés en 2009 et avancent le chiffre de 25 000 victimes. La polémique n’a pourtant pas cessé à l’annonce de ce chiffre, depuis plusieurs années des organisations néonazies défilent en février à travers la ville pour dénoncer un « crime contre les Allemands ».
5 Sur l’administration soviétique puis allemande en Saxe : Stefan Donth, Vertriebene und Flüchtlinge in Sachsen 1945-1952. Die Politik der Sowjetischen Militäradministration und der SED, Cologne, Böhlau, 2000.
6 StAL StVuR (1) no 610, Beigeordnetensitzung, 7 juillet 1945.
7 L’administration régionale mise en place à la fin de la guerre redevient progressivement un véritable gouvernement régional.
8 A. Kossert, op. cit., p. 194.
9 M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR – Dokumente, Band 1, op. cit., p. 116.
10 StAL StVuR (1) no 7640, LRS Rundverfügung « Flüchtlingsproblem », 10 août 1945.
11 S. Donth, op. cit., p. 55.
12 P. Ther, Deutsche und Polnische Vertriebene, op. cit., p. 117.
13 Ibid., p. 138.
14 Ibid., p. 118.
15 « Les expulsions en bonne règle » selon les termes utilisés lors de la conférence de Potsdam.
16 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 47, Ausschuss für Arbeit und Sozialfürsorge/Ausschusssitzungen 1947, Ausschuss Arbeit und Sozialfürsorge Niederschrift der Sitzung am 23. April 1947.
17 S. Donth, op. cit., p. 422.
18 M. Schwartz, Vertriebene und « Umsiedlerpolitik ». Integrationskonflikte in den deutschen Nachkriegsgesellschaften und die Assilmilationsstrategien in der SBZ/DDR 1945-1961, Munich, R. Oldenburg Verlag, 2003, p. 68.
19 Ibid., p. 63.
20 Idem.
21 S. Donth, op. cit., p. 392.
22 Hauptamt für Sozialwesen, Abteilung Ausgewiesene und Heimkehrer, 20 août 1945, in M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR – Dokumente, Band 1, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 1996, p. 230.
23 Zentralverwaltung für Arbeit und Sozialwesen.
24 M. Wille, Die Vertriebenen in der SBZ/DDR-Dokumente. Band 1, op. cit., p. 231 (le terme Heimkehrer est expliqué dans le glossaire).
25 Barch, DO 1/10, ZVU, no 1, in ibid., p. 232.
26 Barch, DO1/10, ZVU, no 3, in M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR – Dokumente, Band 1, op. cit., p. 234.
27 Les Umsiedlerausschüsse sont des comités locaux rassemblant différents acteurs civils et politiques pour aider les réfugiés et servir de lien entre ces derniers et l’administration. Leur composition est variable, on y retrouve surtout les partis politiques, le Frauenbund, les organisations caritatives (Volkssolidarität par exemple), les Églises et des représentants des administrations en charge du travail, du logement, de l’hygiène. Le sujet est développé dans le chapitre vi, partie III.
28 Rundschreiben Nr. 1 der ZVU an die Umsiedlerämter der Landes-und Provinzialverwaltungen, an die Landräte und Bürgermeister, 2 octobre 1945, in M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR - Dokumente, Band 1, op. cit., p. 264-269.
29 Ibid., p. 384.
30 Rundschreiben Nr.2 der ZVU an die Umsiedlerämter der Landes-und Provinzialverwaltungen, an die Landräte und Bürgermeister, in ibid., p. 269-272.
31 StAL StVuR (1) no 2052, LRS an de OBM der Stadt Leipzig, 3 décembre 1947 ; cette directive de la LRS rappelle les compétences de ce service face à la menace de sa fermeture prévue à l’origine fin 1947.
32 « L’Umsiedleramt installé ici à Leipzig a reçu de la LRS la mission d’administrer le camp de quarantaine de la Diezmannstraße, le camp de Taucha et la caserne 106 pour les prisonniers de guerre rapatriés, et il se charge de répartir les réfugiés et rapatriés qui y sont hébergés dans tout le Land. L’administration agit donc seulement sur ordre et sur instruction de la LRS et s’acquitte de missions gouvernementales. Les dépenses matérielles, même les loyers des camps locaux, pour autant qu’ils soient nécessaires, sont assumées par la LRS […]. Il est […] responsable uniquement devant la LRS », in StAL StVuR (1) no 2052, LRS an den OBM der Stadt Leipzig, 27 juin 1947.
33 Pour éviter la confusion avec le niveau régional.
34 StAL StVuR (1) no 2052, LRS an den OBM der Stadt Leipzig, 27 juin 1947.
35 StAL StVuR (1) no 2037, Aufbau und Aufgaben des Dezernats Sozialverwaltung, décembre 1945.
36 Hauptlager : camps principaux, ils peuvent accueillir les réfugiés de manière plus durable contrairement aux Durchgangslager, camps de passage ou de répartition qui sont limités à un accueil à court terme surtout à partir de la fin de l’année 1947 lorsque le temps de passage maximum est fixé à 48 heures.
37 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Rechenschaftsbericht der Direktion der Abteilung für deutsche Umsiedler für das Jahr 1946, 3 janvier 1947.
38 M. Schwartz, Vertriebene und « Umsiedlerpolitik », op. cit., p. 60.
39 Politischer Rundbrief des Präsidenten der ZVU an die Präsidenten der Landes- und Provinzialverwaltungen, 1er décembre 1945, in M. Wille (dir.), Die Vertriebenen in der SBZ/DDR-Dokumente, Band 1, op. cit., p. 274-277.
40 P. Ther, op. cit., p. 151.
41 D. Staritz, Die Gründung der DDR. Von der sowjetischen Besatzungsherrschaft zum sozialistischen Staat, Munich, 1987, p. 75-76.
42 Ibid., p. 94.
43 Ibid., p. 76.
44 Ibid., p. 60.
45 A. Malycha, Die SED. Geschichte ihrer Stalinisierung 1946-1953, Paderborn, Munich, Vienne, Zurich, Ferdinand Schöningh, 2000, p. 136.
46 Sur le rôle des partis politiques saxons dans l’intégration des réfugiés : Stefan Donth pour le SED et Christian Kurzweg pour le LDP.
47 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2184, Kreisrat Zwickau an den Landesausschuss für Umsiedlerfragen, BetreffJahresbericht über die Umsiedler Arbeit 1947, Dresde, 28 janvier 1948.
48 M. Schwartz, Vertriebene und « Umsiedlerpolitik », op. cit., p. 62.
49 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 2184, Kreisrat Zwickau an den Landesausschuss für Umsiedlerfragen, BetreffJahresbericht über die Umsiedler Arbeit 1947, Dresde, 28 janvier 1948.
50 Réunion du comité central du KPD, 22 décembre 1945, in M. Wille, Die Vertriebenen in der SBZ/DDR-Dokumente. Band 3, Wiesbaden, Harrassowitz Verlag, 2003, p. 32.
51 A. Malycha, Die SED, op. cit, p. 180.
52 « Umsiedlerfrage und SED », Prof. Dr. Andreas Thüsing au colloque du 24 novembre 2005 « Integration der Flüchtlinge und Vertriebenen in der SBZ/DDR » à l’université de Leipzig.
53 S. Donth, op. cit.
54 Ibid., p. 397.
55 Ibid., p. 395.
56 SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Jahresbericht für die Hauptabteilung Umsiedler für 1947.
57 Dans les régions rurales comme le Mecklembourg, le SED veille à une distribution des terres favorable aux réfugiés, et permet ainsi de fidéliser une partie de l’électorat issu de la population expulsée.
58 S. Donth, op. cit., p. 393.
59 Idem.
60 StAL StVuR (1) no 7638, Anordnung über die Lenkung und Betreuung der Flüchtlinge innerhalb des Landesgebietes Sachsen, 12 juillet 1945.
61 StAL StVuR (1) no 610, Protokoll der Sitzung des Gesamtrates der Stadt Leipzig, 17 août 1945.
62 StAL StVuR (1) no 7638, Polizeiverordnung, 2 août 1945.
63 StAL StVuR (1) no 7638, Polizeipräsident der Stadt Leipzig, 2 août 1945.
64 StAL StVuR (1) no 7640, Besprechung des Stadrates, 16 août 1945.
65 StAL StVuR (1) no 7638, Auszug aus der Besprechung mit dem Generalleutnant Trufanow, 25 août 1945.
66 « Il ne faut pas passer sous silence que des mesures très fermes ont dû être prises par les commandants soviétiques locaux », SächsHStA 11377 LRS, MdI no 894, Rechenschaftsbericht der Direktion der Abteilung für deutsche Umsiedler für das Jahr 1946, 3 janvier 1947.
67 I. Schwab, « Neue Heimat – Neues Leben » ?, op. cit., p. 6.
68 La ville de Görlitz, traversée par la Neisse, est à la fin de la guerre scindée en deux : Görlitz en Allemagne et Zgorzelec en Pologne.
69 SächsHStA 11376 LRS, Ministerpräsident, no 247, Bericht über die wirtschaftliche, soziale und kulturelle Lage im Stadtkreis Görlitz und Beschlussfassung über die zur Verbesserung des jetzigen Zustandes vorgeschlagene Maßnahmen, Dresde, 1er septembre 1951.
70 SächsHStA 11375 Sächsischer Landtag no 49, Landesregierung Sachsen, Ministerium für Arbeit und Sozialfürsorge, Bau-und Wohnungswesen, An den Rat der Städte Dresden, Leipzig, Chemnitz, Zwickau, Plauen, Görlitz und an die Kreisräte der Landkreise (Wohnungsamt), Dresde, 20 septembre 1948.
71 Idem.
72 M. Jahn, Zur sächsischen Spezifik der Aufnahme von vertriebenen Deutschen 1945 bis 1949. Das Fallbeispiel Uranbergbau, in Geglückte Integration, op. cit., p. 223.
73 À ce sujet, voir Manfred Jahn, « Zur sächsischen Spezifik der Aufnahme von vertriebenen Deutschen 1945 bis 1949. Das Fallbeispiel Uranbergbau », in Geglückte Integration, p. 215-229.
74 La région saxonne des Monts Métallifères regroupe 11 Landkreise : Annaberg, Aue, Auerbach, Chemnitz, Dippoldiswalde, Dresden/Land, Freiberg, Marienberg, Plauen/Land, Stollberg et Zwickau/Land, ainsi que la ville de Zwickau.
75 Cette peur du travail dans les mines se retrouve surtout chez les Allemands des Sudètes. Le gouvernement tchécoslovaque retient en effet dans les premières années d’après-guerre les miniers ainsi que les hommes valides pour les envoyer travailler dans les exploitations minières des Monts Métallifères tchécoslovaques, qui sont réputées pour leur utilisation des Allemands comme travailleurs forcés dans des conditions très difficiles.
76 R. Karlsch, Uran für Moskau: die Wismut – eine populäre Geschichte, Berlin, Ch. Links, 2007.
77 M. Jahn, « Zur sächsischen Spezifik », in Geglückte Integration, op. cit., p. 218.
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