1 Pour le prophétisme féminin de cette époque cf. entre autres A. Vauchez, « Jeanne d’Arc et le prophétisme féminin des XIVe et XVe siècles », R. Pernoud (éd.), Jeanne d’Arc. Une époque, un rayonnement. Colloque d’histoire médiévale (Orléans, 1979), Paris, 1982, p. 159-168, art. réimpr. dans A. Vauchez, Les laïcs au Moyen Âge. Pratiques et expériences religieuses, Paris, 1987, p. 277-286.
2 D. A. Fraioli, « The Literary Image of Joan of Arc : Prior Influences », Speculum, 56, 1981, p. 811-830, ici p. 820. Il est remarquable que le même conseiller du roi, Jean Gerson, dont le jugement relativement positif porté par lui sur Jeanne d’Arc a pu jouer un rôle dans le fait que celle-ci eut carte blanche, avait conseillé à Charles VII, en d’autres occasions, non seulement de ne pas se fier à l’astrologie pour prendre des décisions politiques, mais aussi de se méfier des femmes prévoyant l’avenir.
3 Voir notamment D. Fraioli, « The Literary Image », dans id., Joan of Arc. The Early Debate, Woodbridge, 2000.
4 Des mythes du sauveur comme le mythe d’Arthur et de son retour au pouvoir (lentement disparaissant vers la fin du Moyen Âge) y ont probablement contribué aussi, dans la mesure où la Pucelle pouvait facilement être inscrite dans la chaîne mythique en tant que « postfiguration » d’anciennes figures du sauveur, et qu’elle pouvait paraître propre à fermer une éventuelle lacune dans cette chaîne entamée dans l’ère chrétienne par les mythes de Jésus et Marie.
5 Voir la terminologie qu’utilise K. Stierle dans « Geschehen, Geschichte, Text der Geschichte », id., Text als Handlung. Perspektiven einer systematischen Literaturwissenschaft, Munich, 1975, p. 49-55.
6 Pour cette catégorie, cf. D. Rieger, « Nationalmythos und Globalisierung. Der Sonderfall “Jeanne d’Arc” », G. Oesterle (ed.), Erinnerung, Gedächtnis, Wissen. Studien zur kulturwissenschaftlichen Gedächtnisforschung, Göttingen, 2005 (Formen der Erinnerung), p. 635-662 ; version française : « Mythe national et mondialisation. Jeanne d’Arc, un cas à part », Europe, 892-893, 2003, p. 299-308. Voir aussi id., « Die Jungfrau von Orléans ins Museum ? Überlegungen zur weiteren Verwendung eines Nationalmythos », G. Melville et K.-S. Rehberg (ed.), Gründungsmythen-Genealogien-Memorialzeichen. Beiträge zur institutionellen Konstruktion von Kontinuität, Cologne-Weimar-Vienne, 2004, p. 61-73.
7 Cela est aussi valable pour les récits formés au sein du parti des Bourguignons ou chez les Anglais, bien que ceux-là activent un tout autre substrat mythique.
8 Au groupe de ces renarrations appartiennent aussi les parodies, déformations et déconstructions, de même que les jeux gratuits avec la substance mythique et tous les recyclages « mythologiques » (dans l’acception de Roland Barthes).
9 H. Martin, Histoire de France, Paris, 4e éd., 1855, t. VI, p. 189.
10 Parmi les textes non littéraires d’avant le bûcher de Jeanne, on compte surtout le traité De quadam puella, rédigé, selon la majorité des chercheurs, par Jean Gerson, théologien spécialisé en mariologie et soutenant autour de 1400 Christine de Pizan dans le débat sur le Roman de la Rose. Gerson écrivit ce traité peu de semaines avant sa mort (14 juillet 1429), mais peut-être encore avant la délivrance de la ville d’Orléans, pour défendre le rôle eschatologique du « sexe faible ». Dans un traité de mai 1429, l’archevêque Jacques Gelu soutenait la même conception selon laquelle Dieu peut se servir aussi de l’instrument d’une femme faible, ainsi que l’auteur d’un troisième traité du même mois (De mirabili victoria). Tous les trois comparent déjà Jeanne d’Arc avec les héroïnes de l’Ancien Testament (Esther, Judith, Deborah), tandis qu’Alain Chartier, dans une lettre de septembre 1429, probablement adressée au duc de Milan, manifeste son admiration pour Jeanne au moyen d’une comparaison avec Hector, Alexandre le Grand, Hannibal et César ; cf. par exemple B. Cornford, « Christine de Pizan’s “Ditié de Jehanne d’Arc” : Poetry and Propaganda at the Court of Charles VII », Parergon, 17, 2000, p. 75-106 et la littérature critique qui y est mentionnée.
11 Voir l’édition de référence : Christine de Pisan, Ditié de Jehanne d’Arc, éd. A. J. Kennedy et K. Varty, Oxford 1977 (Medium Ævum Monographs N. S. IX). Le Ditié s’adresse à Dieu, mais aussi à toutes les puissances séculières, même aux adversaires des Armagnacs : tous ont le devoir de faire de Jeanne d’Arc leur figure d’identification. Les destinataires se succèdent d’après un ordre anti-hiérarchique – de Dieu aux collaborateurs des Anglais, en passant par le Dauphin et Jeanne. Mais la présence de Dieu se manifeste dans presque la moitié des huitains ; voir Th. Ballet Lynn, « The “Ditié de Jeanne d’Arc”: Its Political, Feminist and Aesthetic Significance », Fifteenth Century Studies, 1, 1978, p. 149-157.
12 La constellation mythique est déjà plus figée dans le Mystère du siège d’Orléans qui aurait été mis en scène à Orléans peu de temps après le procès de condamnation et le bûcher, où la mission divine annoncée à Jeanne par l’archange Michel est interprétée pour la première fois explicitement de manière mariologique, comme « postfiguration » de l’Annonce faite à Marie. Une date plus tardive pour ce mystère (milieu du XVe siècle) est proposée par V. L. Hamblin, « Jehanne, personnage iconique dans le “Mystère du siège d’Orléans” » (dans le présent volume).
13 Ce qui se situe dans ce contexte, c’est en effet la « désexualisation » de la Pucelle qui est transformée en être androgyne. Dans l’histoire ultérieure de la littérature johannique – non seulement chez Shakespeare ou Voltaire, mais aussi chez Schiller –, cette « désexualisation » n’a jamais pu être annulée avec un réel succès. En outre, elle fut maintenue et même renforcée par un grand nombre de médecins et psychologues qui s’efforçaient et s’efforcent toujours de l’expliquer. La sainteté n’a pas de sexe, ce qui, au niveau de l’homme, ne peut être représenté qu’à travers l’indétermination sexuelle.
14 Cette datation est d’autant plus digne de confiance que Christine date aussi très exactement le sacre du Dauphin (17 juillet 1429) et que dans ses autres ouvrages elle n’est pas moins exacte ; cf. A. J. Kennedy, « La date du “Ditié de Jehanne d’Arc” : Réponse à Anne D. Lutkus et Julia M. Walker », E. Hicks (éd.), Aux champs des escritures, Paris, 2000, p. 759-770. Néanmoins, on peut se demander si le Ditié ne réagit pas aussi à des événements et circonstances qui s’étendent sur un laps de temps qui ne finit qu’au mois de septembre 1429. Peut-être fait-elle très habilement allusion à la question de la prise de Paris par les troupes de Charles VII, et ceci de façon anticipatoire, pour pouvoir manifester plus tard, dans une éventuelle rétrospective, ses talents prophétiques : « we suggest that by dating the poem earlier than she wrote it, Christine de Pizan is able to employ the construct of prophetic history all the more effectively because her poem shows a knowledge of acts and situations that did not exist on the last day of July 1429 » (A. D. Lutkus et J. M. Walker, « PR Pas PC : Christine de Pizan’s Pro-Joan Propaganda », B. Wheeler et Ch. T. Wood [ed.], Fresh Verdicts on Joan of Arc, New York, 1996, p. 145-160, ici p. 146). En tout cas, le peu de distance temporelle par rapport aux événements intensifie la spontanéité et l’emphase du langage mythifiant.
15 Soulignons la rima capcaudada sur « à rire », qui relie les strophes I et II et forme un chiasme avec le parallélisme « plouré » (I, 1) – « enduré » (II, 8).
16 La grande densité du champ sémantique du « nouveau » s’y ajoute.
17 « Lumiere » (LXI, 8) est le dernier mot du poème.
18 « Chose est bien digne de memoire/Que Dieu… » (XI, 5-6). L’hypothèse selon laquelle l’intention véritable de Christine aurait été « to record for posterity the historical importance of events in the year 1429 », n’est pas invraisemblable : H. F. Williams, « Joan of Arc, Christine de Pizan, and Martin le Franc », Fifteenth Century Studies, 16, 1990, p. 233-237 (ici p. 234).
19 Elle parle d’une « chose » « hors de toute opinion » (X, 1-2) : « Il n’est homs qui le peüst croire » (XI, 4).
20 La prière libera nos a malo du Notre-Père est exaucée.
21 Ce n’est que dans la strophe XX que Christine nomme son héroïne « Jehanne ».
22 L’examen de la virginité de Jeanne avant la délivrance d’Orléans avait justement pour but d’exclure ce soupçon.
23 Cette « querelle » se trouve au centre des recherches sur le Ditié ; voir par ex. A. P. Barr, « Christine de Pisan’s Ditié de Jehanne d’Arc : A Feminist Exemplum for the Querelle des Femmes », Fifteenth Century Studies, 14, 1988, p. 1-12.
24 Ceci est comparable à la représentation de Deborah comme mère d’Israël : « Les chefs étaient sans force en Israël, sans force,/Quand je me suis levée, moi, Deborah,/Quand je me suis levée comme une mère en Israël » (Juges 5, 7).
25 Christine ajoute : « la chose est prouvee » (XXIX, 8), et fait ainsi allusion aux interrogatoires et examens de Jeanne concernant sa prétendue mission divine (cf. XXX). À juste titre, Liliane Dulac attire l’attention sur la grande fréquence du « vocabulaire de la vision » dans le Ditié : « Un écrit militant de Christine de Pizan : Le Ditié de Jehanne d’Arc », B. Carlé et al. (ed.), Aspects of Female Existence, Gyldendal, 1980, p. 115-134 (ici p. 121-122).
26 Cet optimisme qui marque la totalité du poème, contraste avec le pessimisme surtout des écrits de Christine rédigés après la bataille d’Azincourt, mais aussi avec la teneur de l’Avision Christine de 1405, où elle peint l’état de la France et du monde entier en se servant de couleurs même apocalyptiques : ce sont les vices qui règnent, les vertus sont prisonnières.
27 Voir la prédiction célèbre de l’avènement d’un « second Charlemagne » depuis le milieu du XIVe siècle, formulée par exemple dans la ballade Sur ce qui doit avenir d’Eustache Deschamps et transférée par Christine de Pizan à Charles VII ; cf. M. Reeves, The Influence of Prophecy in the Later Middle Ages. A Study in Joachimism, Oxford, 1969, p. 328-331 et 533-534.
28 Voir par exemple les passages respectifs du Livre du Corps de Policie et du Livre de la Paix.
29 « Dieu a tout ce fait de sa grace » (VII, 2) – « En qui le Saint Esperit réa/Sa grant grace » (XXII, 4-5) – « Mais tout ce fait Dieu, qui la menne » (XXXVI, 8).
30 À juste titre, Rosalind Brown-Grant souligne, à l’encontre de la glorification féministe d’aujourd’hui, la passivité de Jeanne en face de Dieu ; la Pucelle ne se montre active que par rapport à Charles : R. Brown-Grant, « “Hee ! Quel Honneur au Femenin Sexe !” : Female heroism in Christine de Pizan’s “Ditié de Jehanne d’Arc” », Sh. JonesDay (ed.), Writers and Heroines: Essays on Women in French Literature, Berne, 1999, p. 15-30 (ici p. 21).
31 On peut attribuer à ces textes (d’Alain Chartier et d’autres) un caractère monarcho-patriotique surtout parce qu’ils partent de l’origine divine de la monarchie française et en déduisent la position privilégiée de la France. Ce qui en résulte, c’est le lien entre « sentiments patriotiques » et « sentiments religieux » aussi dans le Ditié : J.-Fr. Kosta-Théfaine, « Une prière politique pour la France : Le “Ditié de Jehanne d’Arc” de Christine de Pizan », Lendemains, 94, 1999, p. 109-122.
32 Pour les analogies entre Deborah et Jeanne, voir J.-Fr. Kosta-Théfaine, « Entre poésie et prophétie : les sources du “Ditié de Jehanne d’Arc” de Christine de Pizan », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte/Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes 22, 1998, p. 41-56.
33 Même si Christine de Pizan n’a pas été la première à comparer Jeanne avec les figures de femmes bibliques, elle a sans doute contribué à conférer à cette comparaison un caractère topique.
34 À l’inverse de plusieurs écrivains postérieurs, Christine évite de qualifier Jeanne d’Amazone.
35 Voir son résumé dans la strophe XLIV : « Donc desur tous les preux passer,/Ceste doit porter la couronne » – « plus prouesse Dieu lui donne/Qu’a tous ceulz de qui l’on raisonne » (1-2, 4-5).
36 Voir les métaphores de la lumière surtout au début.
37 Cf. W. Besnardeau, « La représentation des Anglais dans le “Ditié de Jehanne d’Arc” de Christine de Pizan », L. Dulac et al. (éd.), Desireuse de plus avant enquerre, Paris, 2008, p. 45-56.
38 Ce n’est certainement pas par hasard qu’ils sont cités justement au milieu du Ditié.
39 « The sibyl had predicted Joan’s arrival and accomplishments up to the historical and textual present; Christine “takes over”, in her own voice, for the narrative of Joan’s future » (K. Brownlee, « Structures of Authority in Christine de Pizan’s “Ditié de Jehanne d’Arc” », K. Brownlee et W. Stephens [ed.], Discourses of Authority in Medieval and Renaissance Literature, Londres-Hanovre, 1989, p. 131-150; ici p. 146).
40 La fonction de Marie en tant qu’intermédiaire entre Dieu et l’homme au service de la Rédemption, est en partie transférée à la Pucelle délivrant le peuple élu de la honte et de la servitude.
41 M. Chaume, « Une prophétie relative à Charles VI », Revue du Moyen Âge latin, 3, 1947, p. 27-42 (ici p. 36).
42 « The Ditié is certainly evidence that it is the literature about Joan of Arc that shaped the historical reality of Joan of Arc » (B. Cornford, « Christine de Pizan’s “Ditié de Jehanne d’Arc” », p. 106).
43 Ceci est aussi valable pour d’autres textes johanniques du XVe siècle ; cf. R. Deschaux, « Jeanne d’Arc à l’heure de la poésie : Trois visages de la Pucelle au XVe siècle », E. Hicks et M. Python (éd.), L’Hostellerie de Pensée. Études sur l’art littéraire au Moyen Âge offertes à Daniel Poirion par ses anciens élèves, Paris, 1995, p. 141-151.
44 Cf. D. Rieger, « Charlemagne und Jeanne la Pucelle. Zwei mittelalterliche Gründungsmythen im europäischen Kontext », Romanistische Zeitschrift für Literaturgeschichte/Cahiers d’Histoire des Littératures Romanes, 35, 2011, p. 13-29.