« Dégage ! » La clameur publique du printemps tunisien
p. 287-295
Texte intégral
1Le 14 janvier 2011, l’incroyable a lieu en Tunisie : après 23 ans de pouvoir sans partage1, le Président tunisien Zine El Abidine Ben Ali fuit le pays sous la pression populaire. Les Tunisiens, si avides de liberté de parole et de démocratie, comprennent rapidement qu’ils sont désormais en train d’écrire leur propre Histoire. Comme dans toute révolution, les mouvements de foule ont été accompagnés de clameurs. Dans les rues tunisiennes, les slogans criés par les manifestants étaient classiques : « À bas Ben Ali ! », « vive la Tunisie libre ! », « dignité et liberté ! », « On ne veut plus de la tyrannie du clan Trabelsi ! »,…
2Toutefois, une expression se distingue, elle fera le tour du monde et chacun retiendra la clameur spontanée « dégage ! », scandée par la foule tunisienne en colère. Cette clameur sera même entendue quelques semaines plus tard dans des pays pourtant non francophones tels que l’Égypte, la Libye, le Yémen, la Syrie ou Bahreïn. La présente contribution s’intéresse à la clameur « Dégage ! », et se propose d’en analyser la portée.
3On peut se demander comment est née la clameur « dégage ! » ? Était-elle spontanée ? Dans quelle mesure a-t-elle dépassé les frontières étroites de la Tunisie ? Comment est-elle devenue le mot de l’année 2011 ? Qu’est-elle devenue, une fois les tensions politiques qui en avaient à l’origine sont retombées ? Ces questions ne sauraient résumer la place et les effets de ce mouvement considérable, néanmoins il importe de donner, dans la présente contribution, quelques éléments de réponse2.
4La réflexion dans les pages qui suivent s’articulera autour de trois grandes parties. Il conviendra tout d’abord par rappeler brièvement comment a commencé la Révolution du jasmin3. Ensuite, les circonstances dans lesquelles est née la clameur « dégage ! » à Tunis, en montrant de quelle manière elle est passée du registre politique au quotidien de millions de Tunisiens. Dans sa dernière partie, l’article s’attache à démontrer dans quelle mesure la clameur « dégage ! » a dépassé les frontières tunisiennes pour être employée dans d’autres pays arabes, accompagnant les manifestations populaire du Printemps arabe, et allant même jusqu’à être élue le « mot de l’année » en France.
5Il importe tout d’abord de resituer comment a commencé la révolution du jasmin, en cette fin d’année 2010.
La révolution tunisienne
6Avant d’examiner les usages de la clameur « Dégage ! », rappelons brièvement dans quelles circonstances elle est née, dans une Tunisie soumise à l’une des plus graves crises politiques de son histoire moderne.
7En réalité, il serait illusoire de tenter de définir un quelconque alpha à la Révolution du jasmin. En effet, comme tout autre soulèvement populaire, la révolte tunisienne est le résultat d’une accumulation lente mais inexorable de micro-événements, tels que des cas de corruption, racket, promotions non méritées, népotisme, confiscations de terrains,... Ces pratiques, étalées sur plus de décennies, ont fini par engendrer une réaction spontanée de masse.
8L’une des caractéristiques principales de la « révolution du jasmin » était certainement son effet de surprise : même les services secrets français, britanniques, américains ou israéliens n’avaient pas été en mesure d’anticiper de tels événements4. La ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie était d’ailleurs en vacances en Tunisie lorsque les premiers mouvements de révolte populaire ont éclaté.
9La parabole du nénuphar illustre bien le cas tunisien : dans un étang, chaque jour, la taille d’un nénuphar double, mais en gardant des proportions négligeables au regard de la superficie de l’étang, de sorte que nul ne se rend compte de l’évolution du végétal. Même lorsque le nénuphar couvre la moitié de l’étang (c’est-à-dire à la veille de la révolution), ce dernier est si grand que personne ne se rend véritablement compte de la présence exagérée de la plante aquatique. Ce n’est que le dernier jour que, le nénuphar doublant une dernière fois, va couvrir toute la surface de l’étang, l’asphyxiant et éliminant immédiatement toute vie dans ce qui paraissait être un microclimat tranquille5.
10C’est en quelque sorte ce qui s’est passé en Tunisie. Depuis 1987, date de la prise du pouvoir du président déchu, un nombre incalculable d’événements crapuleux, voire criminels, ont créé puis consolidé un sentiment collectif de frustrations, dans les larmes, la douleur, le sang. Il aura fallu qu’un jour, un citoyen frustré manifeste sa douleur d’une manière particulièrement spectaculaire, pour que tout bascule et que la population excédée descende dans la rue, criant son ras-le-bol, en se fédérant autour d’une clameur populaire.
11Si Mohamed Bouazizi ne s’était pas immolé par le feu en ce triste 17 décembre 2010, quelqu’un d’autre se serait suicidé, aurait commis un attentat spectaculaire, ou pris des otages. « tout est parti de Sidi Bouzid6 ! », a-t-on coutume de dire aujourd’hui, mais l’étincelle aurait pu provenir de n’importe quelle autre ville ou village de Tunisie.
12Ce qui s’est produit en janvier 2011 aurait pu avoir lieu un an plus tôt, deux ans plus tard. Tout aurait pu commencer avec les manifestations populaires qui s’étaient produites en 2008 à Gafsa7, ou en août 2010 à Ben Guerdane8. Larbi Chouikha et Éric Gobe avaient d’ailleurs en quelque sorte prévu qu’un mouvement populaire de grande amplitude était imminent à la fin des années 20109.
13Toutefois, s’il n’est pas véritablement possible de fixer la date du commencement de la révolution tunisienne, on peut tout de même supposer que le cycle final s’est enclenché en ce 17 décembre 2010, lorsque Mohamed Bouazizi, un jeune diplômé universitaire, vendeur ambulant de fruits et légumes, s’est vu confisquer son matériel10 par la police. Lorsque ce dernier se rend au poste de police pour tenter de récupérer son gagne-pain, il est brutalisé par les fonctionnaires de police. Une femme policière lui donnera même une gifle avant de le jeter hors des locaux.
14Dépité, il s’aspergera d’essence et s’immolera devant le siège du gouvernorat de Sidi Bouzid11, déclenchant une vague de protestations populaires qui s’achèveront le 14 janvier par une grève générale et une manifestation de plus d’un million de personnes12.
15C’est à peu près dans ces circonstances que les premières manifestations populaires vont commencer13. Toutes les conditions sont maintenant réunies pour que la clameur « dégage ! » éclate au grand jour et se fasse entendre à travers la planète.
« Dégage »
16Le 14 janvier 2011 au matin, près d’un million de Tunisiens en colère se massent devant le ministère de l’intérieur, en plein centre de Tunis, en criant « Dégage ! » pour chasser le président Ben Ali.
17Reprise par les médias du monde entier, la clameur des Tunisiens, accompagnée d’un geste de la main droite, de la droite vers la gauche, a fait le tour du monde. Le mouvement est significatif : pour un musulman, il s’agit de faire passer le dictateur du yemin (la droite salutaire, le paradis) vers le chimel (la gauche, symbolisant l’enfer). Le mouvement se fait, en même temps, de l’avant vers l’arrière, pour renforcer la volonté de « dégager » le président vers l’arrière, c’est-à-dire le passé.
Les origines de l’expression
18Rappelons que le mot « dégage ! » a une origine germanique, et date du Moyen Âge. À l’origine, wad (caution, gage) désigne une somme d’argent donnée en échange d’un bien ou d’un service, et qui ne peut être dépensée librement. Si on la dégage, elle redevient libre. On dégage d’abord des choses, puis, par métaphore, on libère quelqu’un d’un engagement.
19Ce n’est que dans la première partie du XXe siècle que l’expression « Dégage ! » va prendre la connotation familière, voire grossière qu’elle revêt aujourd’hui : on dégage pour sortir d’une situation dans laquelle on est bloqué (se dégager d’une situation difficile, dégager pour s’éloigner d’une personne malfaisante), ou pour intimer l’injonction à une personne de partir (« dégage ! » prenant alors le sens de « va-t’en ! »). La construction de l’expression est ainsi devenue absolue, dans le sens où le verbe ne nécessite plus de complément, revêtant ainsi un puissant aspect impératif.
20Lorsque la clameur « dégage ! » est scandée par le peuple tunisien en ce matin du 14 janvier 2011, politique et familiarité se rejoignent brusquement. On a l’impression qu’il s’est opéré un véritable glissement de la communication familière ou domestique – plutôt réservée à la sphère privée – vers la sphère publique.
La naissance d’une clameur
21Il est intéressant de souligner ici que « Dégage ! » n’est pas un slogan prémédité, c’est-à-dire discuté et mis au point par les leaders du mouvement de protestation à la veille des manifestations. Il s’agit, au contraire, d’une clameur spontanée, qui a dû être lancée par l’un des manifestants, puis reprise par les autres.
22Ce n’est d’ailleurs que le lendemain que les manifestants ont commencé à écrire « Dégage ! » sur des affiches, sur les photos du président Ben Ali, ou sur des écriteaux de fortune. C’est aussi le lendemain que l’expression a investi les réseaux sociaux, tels que Facebook, Twitter et autres blogs.
23Il faut noter que, depuis la fin des manifestations populaires, la clameur « dégage ! » n’a pas disparu, mais est revenue systématiquement sur la scène politique tunisienne, pour demander le départ de hauts responsables ou refuser la nomination à des postes politiques de certaines personnes, accusées de malversation ou de corruption.
24Expression de la frustration longtemps contenue de tout un peuple, « dégage ! » est maintes fois adressé par des groupes de manifestants aux premiers gouvernements transitoires. Il est également devenu le mot d’ordre de tous ceux qui ont une revendication à faire entendre : chômeurs, associations, syndicats, étudiants,…
25C’est sous les cris de « Dégage ! » que l’on demande désormais un travail, une augmentation de salaire, une subvention ou un changement de loi. En d’autres termes, on demande au responsable de trouver une solution immédiate ou de quitter son poste. « dégage ! » devient ainsi un véritable instrument de chantage, une injonction de quitter son poste suite à l’absence de résultats concrets.
26La clameur « Dégage ! » s’adresse pêle-mêle aux hauts fonctionnaires, aux chefs d’entreprise, aux agents de police14. L’ambassadeur de France à Tunis, Boris Boillon, accusé de manque de respect vis-à-vis d’une journaliste tunisienne, sera soumis à une forte protestation populaire et n’échappera pas à cette vague de protestation. Au lendemain de son entretien contesté avec une journaliste, plusieurs centaines de manifestants se sont amassés sous les fenêtres de l’ambassade de France à Tunis, criant : « dégage Boillon ! » Cela l’amènera à présenter des excuses publiques à la télévision tunisienne, puis à être remplacé sous la Présidence de François Hollande.
27Soucieuses de mettre fin à tant d’agitation sociale, les nouvelles autorités tunisiennes vont tenter de réduire l’emploi de cette clameur qui commence à dévier. C’est ainsi que, à la fin du mois de juin, à l’occasion de l’inauguration de la foire de Sfax, Béji Caïd Essebsi, Premier ministre du gouvernement intérimaire a averti ses compatriotes que le temps du « dégagisme » devait se terminer. « dégage ! C’est terminé ! », a-t-il lancé en déplorant la tendance de ses compatriotes à ne pas faire preuve de patience et de retenue et à vouloir chasser n’importe quel responsable.
28Au fil du temps, lorsque les troubles politiques ont commencé à s’apaiser, la clameur « dégage ! » a continué à être employée en Tunisie. Voyons cela de plus près.
Les autres usages de la clameur
29Après un large emploi en politique, la clameur « dégage ! » va réintégrer la scène privée. Ainsi, dans la vie de tous les jours, Monsieur-tout-le-monde est invité à « dégager » par une foule en colère : un client qui ne fait pas la queue, un chauffard, un grossier personnage, un interlocuteur indélicat,…
30Au-delà du domaine du politique, la clameur « dégage ! » a trouvé un écho très favorable au sein des entreprises, qu’elles soient privées ou publiques. L’injonction de dégager devient le cauchemar du chef d’entreprise, qui n’ose plus tenir tête à ses collaborateurs. Tout devient un prétexte pour un iitissam (sit-in), et le patron se retrouve en face d’une foule d’employés lui ordonnant de dégager.
31Les dirigeants d’entreprises et les DRH (Directeurs des Ressources Humaines) trouvent désormais du mal à gérer leurs employés, car le traditionnel népotisme autrefois largement pratiqué dans les entreprises tunisiennes s’est trouvé confronté à un besoin de compétences prouvées.
32C’est sous les huées « dégage ! », et sans ménagement aucun, que des dizaines de dirigeants d’entreprises – fussent-ils propriétaires exclusifs du capital social – sont raccompagnés fermement à la porte de leur propre entreprise, et remplacés provisoirement par un membre élu du personnel. De telles scènes ont souvent été reprises en direct par les médias, comme pour souligner que la corruption, le népotisme et le clientélisme ont disparu dans la société tunisienne post-révolution.
33Au-delà de sa portée politique, la clameur « Dégage ! » a ainsi changé la vision de la stratégie de gestion des ressources humaines en Tunisie. Les nouvelles règles s’appuient sur les points suivants : on recrute désormais sur la base des compétences plutôt que sur celle des liens familiaux, on consulte les collaborateurs, on traite avec la même dignité toutes les hiérarchies.
34Le recours systématique à la clameur « dégage ! » a toutefois eu des effets catastrophiques sur l’emploi, car de nombreuses entreprises ont été contraintes de déposer leur bilan, tandis que des entreprises multinationales ont purement et simplement délocalisé vers d’autres pays à bas coût et jouissant d’une relative paix sociale15.
35Consciente de l’enjeu, l’Union Générale des Travailleurs Tunisiens (UGtt), le principal syndicat du pays, a appelé les esprits au calme, et son secrétaire général, Abdessalem Jerad, et a condamné le « dégagisme anarchique », nouvelle manière de manifester son mécontentement chez le travailleur tunisien autrefois indolent. Il a même demandé au gouvernement de sévir contre le « dégagisme » et les mouvements de protestation illégaux parmi lesquels les entraves à la circulation automobile et les sit-in non autorisés. Il est vrai que, le principal syndicat du pays étant entré dans une phase de négociation globale des salaires, un calme relatif était nécessaire.
36Aure exemple, le 22 novembre 2011, date de la première réunion de l’Assemblée constitutive16, un groupe de femmes s’est regroupé devant le palais du Bardo pour huer une représentante du parti Ennahdha17, à qui on reprochait des propos désobligeants à l’égard de la mère célibataire. C’est aux cris de « dégage ! » que la manifestation s’est déroulée. La clameur de la révolution du jasmin semblerait avoir encore de beaux jours devant elle.
37Expression d’abord révolutionnaire, « dégage ! » devient peu à peu un terme du quotidien, courant sur toutes les lèvres : les écoliers s’amuseront de murmurer « dégage ! » à leur maîtresse, les enfants le diront à leurs parents, les joueurs d’une équipe de football à leurs adversaires. De nombreuses blagues vont circuler, autour du mot « dégage », de nouvelles expressions rentrent dans l’usage des jeunes, en particulier dans les milieux les plus populaires : dégajation, dégagitude, dégageur, anti-dégageur,…
38Dans une deuxième étape, la clameur « dégage ! » va même dépasser le cadre local tunisien pour s’étendre à d’autres pays dans le monde arabe, mais également en Europe. Voyons de quelle manière.
Les échos mondiaux de la clameur « Dégage ! »
39Partie de Tunis, la clameur « dégage ! » va être entendue en France, en Égypte, mais également dans d’autres pays dans le monde. Les tunisiens sont aujourd’hui fiers de voir leur clameur exportée.
L’exportation de la clameur
40La clameur « dégage ! » est d’abord employée en France, puisque l’expression « dégage MAM ! » finit par obliger la ministre des affaires étrangères Michèle Alliot-Marie de démissionner. En effet, l’opinion publique ne lui pardonne pas d’avoir proposé « l’expertise française » au président Ben Ali lorsqu’il tentait de mater la rébellion de son peuple.
41Dominique Grange reprendra l’expression « dégage ! » pour en faire le titre d’une de ses chansons parue en 2012, et dans laquelle elle déplore la crise économique et fustige les classes capitalistes.
42En Italie, après quelques tentatives éparses, la clameur « dégage ! » ne sera plus utilisée. On lui préfère l’expression « Dimettiti Buffone ! » (Démissionnes, bouffon !), employée le 3 février par des manifestants italiens à Bologne, lassés des frasques sexuelles du président du conseil Silvio Berlusconi.
43Si l’expression « dégage ! » semble naturellement être passée en France, en revanche il est plus étonnant de voir que l’expression a été employée dans une très large mesure dans des pays anglophones. En Égypte, les manifestants de la place Tahrir crieront « dégage ! » pour chasser le président Moubarak, et brandiront des pancartes sur lesquelles est écrit « dégage Moubarak ». L’expression sera également utilisée pendant les manifestations qui secoueront le Yémen, la Syrie, la Libye et Bahrein, tous pays arabophones et anglophones, mais certainement pas francophones.
Le mot de l’année
44Le jury du mot de l’année est composé d’une trentaine d’amoureux des mots. Y participent des écrivains comme Philippe Delerm, Clara Dupont Monod, Jean-Loup Chifflet ; des sémiologues comme Alain Rey, Mariette Darrigrand ; des journalistes à l’instar de Michèle Gazier, Pierre Lepape, Stéphane Paoli ; ou encore des humoristes comme Vincent Roca. Il désigne chaque année le mot qui incarne la tendance forte de l’année en cours.
45En 2007, le jury avait choisi le mot « Bravitude », forgé par la candidate à l’élection présidentielle Ségolène Royal, durant un déplacement officiel en Chine. En 2008, c’est le mot « Bling-bling » qui est choisi, mot illustrant la manière voyante de faire la politique par Nicolas Sarkozy. Après deux années politiques, le jury s’oriente vers des mots relevant du lexique économique : en 2009, c’est le mot « Parachute doré » qui est choisi, puis en 2010 le mot « dette ». En 2011, c’est un retour au politique qui s’opère, puisque « Dégage ! » est élu mot de l’année.
46Stéphane Hessel, président d’honneur du festival du mot affirmera à ce propos18 :
« C’est une incitation à mobiliser tous ceux qui en ont marre d’une situation politique qui leur nuit gravement. Cela s’applique parfaitement au cas de l’Égypte et de la Tunisie. Je me réjouis de voir que les Tunisiens ont utilisé un bon vieux mot de la langue française pour se débarrasser d’un tyran ».
47Ces quelques réflexions sur la révolution tunisienne ont montré que la clameur « Dégage ! » a indubitablement joué un rôle de premier plan tout au long des événements qui ont secoué la Tunisie, puis l’ensemble du monde arabe. Issu du vocable français de tous les jours, ce simple mot a accompagné l’un des événements majeurs de ce début de siècle, avant de réintégrer le langage courant, celui de l’homme de la rue.
48L’autre point important qu’il convient de souligner ici, est que « dégage ! » ne s’est pas cantonné à la seule Tunisie. En effet, cette clameur a retenti dans les rues égyptiennes, yéménites, libyennes. Les Tunisiens vivant en France l’ont également largement reprise, ce qui montre bien la dimension internationale de la clameur, mais également des événements qu’elle a accompagné.
49La question que l’on est en droit de se poser à ce stade est la suivante : cette clameur va-t-elle continuer à accompagner les revendications populaires durant la période postrévolutionnaire en Tunisie ? Ou bien va-t-elle être rangée dans le « musée des clameurs », au même titre que « Viva la revolucion » ou « À bas la monarchie ! » ?
50En fait, après avoir quasiment disparu du paysage médiatique tunisien en 2012, la clameur de la révolution est réapparue à la fin du mois d’octobre 2012. En effet, le lundi 22 octobre de cette année, les Tunisiens ont retrouvé, avec un certain plaisir mêlé de nostalgie, l’expression qui les avait tant marqués deux ans plus tôt. Trois partis tunisiens d’opposition : le Républicain, la Voie démocratique et « Nidaa Tounes19 » ont appelé à une marche pacifique de protestation pour dénoncer la violence politique20. Plusieurs centaines de manifestants ont alors défilé le long de la principale artère de Tunis, l’Avenue Bourguiba en direction du Ministère de l’intérieur, Les manifestants ont alors exprimé leur mécontentement quant à la dégradation des volets sécuritaire et socio-économique. Les « dégage ! » ont alors fusé de partout à destination de la Troïka21.
Notes de bas de page
1 Le général Zine El Abidine Ben Ali a destitué le président Bourguiba, lui-même au pouvoir depuis 1956, le 7 novembre 1987.
2 Fethi Benslama, « Soudain la Révolution ! », Paris, éd. Denoêl, 2011 ; Viviane Bettaïeb et Mohamed-Salah Bettaïeb, « Dégage : La révolution tunisienne, 17 décembre 2010-14 janvier 2011 », Tunis, éd. Alif, 2011 ; Agnès Deboulet et Dimitri Nicolaïdis, « Printemps arabes : Comprendre les révolutions en marche » dans Mouvements no 66, 2011 ; Albert Jacquard, L’équation du nénuphar, Calmann-Lévy, France, 1998 ; Larbi Chouikha et Éric Gobe, La Tunisie entre la « révolte du bassin minier de Gafsa » et l’échéance électorale de 2009, in L’Année du Maghreb, V, 2009, Paris, éd. du CNRS ; Abdelwaheb Meddeb, Printemps de Tunis, la Métamorphose de l’histoire, Paris, Albin Michel, 2011 ; Khedija Mokeddem, « Le soulèvement tunisien, une révolte inattendue ? », dans Africa review of books, vol. 8, no 1, Dakar, mars 2012 ; Olivier Piot, La révolution tunisienne : Dix jours qui ébranlèrent le monde arabe, Paris, Éd. les petits malins, 2011 ; Pierre Puchot, Tunisie, une révolution arabe, Paris, éd. Galaade, 2011, avec les contributions de Saber Mansouri, Radhia Nasraoui, ; Pierre Puchot, La révolution confisquée. Enquête sur la transition démocratique en Tunisie, Arles, Actes Sud, 2012 ; Bassam Tayara, Le Printemps arabe décodé, faces cachées des révoltes, Paris, éd. Al Bourraq, 2011.
3 Le jasmin est une fleur odorante particulièrement adaptée au climat tunisien.
4 Khedija Mokeddem, Le soulèvement tunisien, une révolte inattendue ?, in Africa review of books, vol. 8, no 1, Dakar, mars 2012.
5 Pour plus de détails quant à la portée de la parabole du nénuphar et son usage pour expliquer les phénomènes démographiques, voir Albert Jacquard, L’Équation du nénuphar : les plaisirs de la science, Paris, Calmann-Lévy, 1998.
6 Ville défavorisée du centre ouest tunisien.
7 En 2008 déjà, de violentes manifestations avaient éclaté dans le bassin minier de Gafsa, pour demander une meilleure politique de développement régional de la région. Ces mouvements populaires avaient été durement réprimés par le régime.
8 Ville défavorisée située dans le sud du pays.
9 Larbi Chouikha et Éric Gobe, « La Tunisie entre la « révolte du bassin minier de Gafsa » et l’échéance électorale de 2009 », dans L’Année du Maghreb, V, 2009, Paris, éd. du CNRS, p. 387-420.
10 Qui se résume à une charrette délabrée, une balance et quelques kilogrammes de fruits et légumes.
11 Il succombera à ses blessures le 4 janvier 2011 dans l’unité de soins aux grands brûlés de l’Hôpital de Ben Arous.
12 Abdelwahad Meddeb, Printemps de Tunis, la Métamorphose de l’histoire, Paris, Albin Michel, 2011, p. 173.
13 Pour davantage de détails quant à la chronologie des faits, se référer à Benslama Fethi, « Soudain la Révolution ! », Éditions Denoel, France, 2011 ; voir également Viviane Bettaïeb et Mohamed-Salah Bettaïeb, « Dégage : La révolution tunisienne, 17 décembre 2010-14 janvier 2011 », éd. Alif, Tunis, 2011, ou Olivier Piot, « La révolution tunisienne : Dix jours qui ébranlèrent le monde arabe », Éd. les petits malins, France, 2011.
14 Viviane Bettaïeb et Mohamed-Salah Bettaïeb Dégage : La révolution tunisienne, 17 décembre 2010-14 janvier 2011, Tunis, Éd. Alif, 2011.
15 Le Maroc, par exemple.
16 Organe parlementaire provisoire composé d’élus.
17 Parti de tendance islamiste modérée, au pouvoir depuis les élections libres du 23 octobre 2011.
18 Le festival du mot se tient à La Charité-sur-Loire, dans la Nièvre, réunissant quelque 15 000 personnes.
19 L’Appel de la Tunisie, principal parti d’opposition créé pour contrer le parti leader islamiste Ennahdha, dirigé par l’ancien premier ministre Béji Caied Essebsi.
20 Quelques jours plus tôt, le représentant du parti d’opposition « Nidaa Tounes » avait été assassiné dans des circonstances encore non élucidées à Tataouine, dans le sud du pays.
21 Coalition tripartite au pouvoir, de moins en moins populaire, car accusée de laxisme et de népotisme.
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