Plastique de la clameur publique cinématographique
p. 97-114
Texte intégral
« L’action des masses sur la réalité et de la réalité sur les masses représente un processus d’une portée illimitée tant pour la pensée que pour la réceptivité. » Walter Benjamin, « L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproduction mécanisée (1936-1939) », dans Écrits français, Paris, Gallimard, 1991, p. 145.
1On se situe ici dans l’histoire des représentations, et dans l’analyse de films comme formes-sens pouvant contribuer à traverser les ombres de l’histoire1. Si les œuvres cinématographiques peuvent être lues comme le reflet des comportements sociaux ou des perceptions singulières et partagées d’une époque, cette lecture documentaire doit être dépassée. On tente donc de mesurer la part de ces œuvres dans la constitution d’une réflexion sur la question de la clameur publique. Il s’agit de montrer comment deux réalisateurs, Fritz Lang et Michael Haneke, donnent des visions différentes de ce questionnement. À partir de la représentation de contextes historiques variés (l’Allemagne en 1914 et en 1931 et les États-Unis en 1936), on se demande comment « le gain d’intelligibilité apportée par l’écriture cinématographique2 » permet de mesurer la plasticité du phénomène de la clameur publique.
La clameur-spectacle du lynchage physique dans Furie (Fritz Lang, Fury, 1936)
2Fritz Lang, qui ne parvenait pas à tourner son premier film aux États-Unis, avait trouvé le synopsis de Fury dans les cartons de la MGM3. D’abord intitulés The Mob Rule4, ces quatre feuillets s’inspirent d’un fait-divers : à San José, une foule avait lynché deux suspects, auteurs présumés d’un kidnapping. Le film racontera l’histoire du lynchage d’un innocent, Joe Wilson, qui, donné pour mort et ivre de vengeance, laisse ses bourreaux comparaître pour meurtre devant un tribunal5. Alors que les accusés nient toute responsabilité, le président du tribunal autorise la projection d’images d’actualités, filmées lors du lynchage, qui les accablent. Lang modélise donc la mécanique du lynchage de deux manières. Après avoir présenté le lynchage physique, il démonte la mécanique de celui-ci, à travers le lynchage médiatique. Le rapprochement structurel entre ces deux formes permet de mettre au jour le caractère spectaculaire du lynchage physique.
Dispositif spectaculaire de la formation de la clameur-rumeur
3Bien entendu, le lynchage est motivé par plusieurs raisons. Joe Wilson, qui vient de Chicago, est un nordiste dans cette ville de Strand. En outre, dans le film, la population remet en cause le pouvoir du shérif et, à travers lui, celui du gouverneur, ainsi que le fédéralisme6.
4Cependant le comportement des habitants prend pour modèle le fonctionnement des médias. La dimension sonore de la clameur est liée à la pleine occupation de l’espace de la rumeur, qui fait le lien entre lieu public et lieu privé. Le barbier appelle ainsi sa femme au téléphone pour lui annoncer « quelque chose d’abracadabrant » : l’adjoint au shérif « aurait capturé » le kidnappeur. Son épouse sort aussitôt en courant sur son balcon pour parler, à travers le cadre de sa fenêtre, avec une voisine qui, chez elle, dans sa cuisine, s’adresse ensuite à une troisième femme7. La scène suivante commence sur cette troisième femme qui, dans un magasin, affirme avec une joie non dissimulée : « Je tiens de source sûre qu’ils ont arrêté un des kidnappeurs. » D’un lieu à un autre, le propos a été modifié. L’information incertaine est devenue certitude, l’individu une foule8. La fenêtre est désignée comme ce média populaire qui permet de colporter les rumeurs au sein des foyers, à l’image d’une émission de radio9 qui pratiquerait un « viol des foules10 » ou une « manipulation esthétique11 ». La rumeur est passée de l’extérieur à l’intérieur en trois temps, de gauche à droite, comme au cours de la lecture d’un tract ou d’un article de presse. Dès son arrestation, Joe Wilson découvrira d’ailleurs, sur le bureau du shérif, un titre d’article l’accusant et faisant de ses frères et de sa fiancée des complices. Dans le magasin, la réponse à la question posée à la commère (« Êtes-vous sûres qu’il soit coupable ? » – « Seuls les coupables vont en prison ! ») vérifie la collusion entre la clameur et la rumeur : celle-ci trouve dans la clameur une forme de solution mortifère, la résolution « d’un problème mal défini12 ». La clameur-rumeur voyage ainsi dans la ville, selon un principe d’amplification de l’accusation et d’élargissement de l’auditoire. « À travers elle, c’est une consommation de relations sociales qui s’opère, ce sont des liens […] qui se renforcent13. »
Le lynchage physique, une forme de spectacle populaire
5Le lynchage se présente comme un spectacle populaire dont le personnage principal est un homme commun. Lang voulait que le personnage de Joe Wilson soit avocat. Il pensait qu’un homme cultivé et connaissant la loi serait plus à même « qu’un ouvrier » de manifester ses sentiments et de se défendre. Mais son producteur lui conseille d’en faire un « américain moyen », un « John Doe », un monsieur tout le monde. « dans un État totalitaire, ou dans un État gouverné par un dictateur, un empereur ou un roi, le leader est, en soi, un surhomme ; […] le héros d’un film devait être un surhomme alors qu’en démocratie, il devait être Joe Doe14. »
6La clameur met en scène un public élargi, le « bon peuple » comme le dit un personnage. Beaucoup de femmes et d’enfants sont présents lors de l’attaque de la prison de Strand. Il y a là un respect sans doute de la réalité des lynchages15, comme le suggèrent les notes d’information fournies au réalisateur par le studio MGM, notamment celles intitulées « The Tragedy of lynching » qui précisent que « the whole contryside was pouring in, men, women and children », « tous les gens des environs arrivaient à grands flots, des hommes, des femmes comme des enfants16 ».
7Le lynchage suit des étapes qui constituent une forme de structure spectaculaire, même s’il ne semble pas organisé, ni planifié. Des femmes colportent la rumeur de la culpabilité de Joe Wilson, puis des hommes s’échauffent l’esprit et le corps dans un saloon, avant que l’un d’entre eux lance : « allons-nous amuser un peu ! » Lang, qui explique s’être lassé des grandes productions17, mêle ainsi les esthétiques du « théâtre de chambre18 » et du « film de rue19 ». Les actions sont toujours redoublées, et créent un sentiment de crescendo. Une femme s’approche de la prison, puis un groupe d’hommes en défonce la porte ; le jet de tomate contre le shérif annonce les jets de pierres en direction de Wilson ; après que le feu a été mis à la prison, un des protagonistes lance un bâton de dynamite. Cette mécanique est fondée sur l’accumulation et la gradation des formes d’agression et de brutalité, soulignée par la bande sonore qui s’emplit des réactions de la foule. Le processus est évolutif : hormis quelques cas isolés, le groupe des individus passe de l’hétérogène à l’homogène, du divers au même, du multiple à l’un.
8Ce lynchage physique opère sur un lieu de spectacle. La prison semble juchée sur une scène en hauteur, un proscenium, les escaliers et la geôle étant des avant-scènes, que Wilson va quitter pour passer dans les coulisses, et sembler y mourir. Des angles de vue permettent de voir ce spectacle en hauteur, comme si l’on se trouvait sur un balcon. Le spectacle n’évite pas certains effets de distanciation. Ainsi, le film présente plusieurs délégués du spectateur dans la fiction, un dispositif qui institue des juges distanciés : une femme se met à genoux, et prie, visiblement choquée par ce qui arrive, sa prière se prolongeant sur les images de spectateurs fascinés et heureux ; la fiancée de Wilson s’évanouit et s’abstrait ainsi de la scène. Ces personnages s’éloignent de la communauté qui jouit du spectacle, nous invitant à prendre aussi de la distance face à ce terrible théâtre de la cruauté. L’effet n’a pas un sens uniquement moral : c’est la distance qui institue la clameur en spectacle.
9Enfin l’exercice de la clameur publique s’apparente d’autant plus à un spectacle que la société le médiatise aussitôt. Les médias, qui sont au centre du récit langien (presse écrite et filmée, mais aussi radio), scandent en effet quatre temps de la représentation de la clameur. La clameur publique alimente ainsi une structure médiatique fortement influente qui, en retour, la nourrit. On ne sait plus si l’événement se trouve dans le quid, la chose, ou dans le quomodo, le comment20. La clameur publique ne se produit pas seulement par les mots et ses manifestations sonores : elle acquiert son autonomie médiatique21. « Donnez les spectateurs en spectacle ; rendez-les acteurs eux-mêmes », écrivait Rousseau22. La clameur se redouble ici : elle est celle de la foule en liesse et des regards médiatiques sur elle. Le moment de la clameur reprend là son sens étymologique de poids décisif qui fait pencher la balance à l’encontre de Wilson puis, dans l’enceinte du tribunal, au détriment de celle de ses lyncheurs23.
La clameur à l’aune de l’évolution du droit allemand : M le maudit (Fritz Lang, M, 1931)
10Comme Furie, M le maudit présente une structure en deux temps. En 1930, un tueur de fillettes surnommé « M » terrorise Berlin. Les forces de l’ordre multiplient leurs recherches, ce qui gêne la pègre dont les chefs, excédés, décident de capturer « M » en organisant une traque prise en main par les petits malfrats. Ce groupe lui fait alors subir un procès faussé dont l’issue ne fait aucun doute. Mais la police parvient à empêcher la mise à mort. « M » sera jugé par la justice de l’État.
11Si les meurtres en série constituent un phénomène endémique de l’Allemagne de Weimar24, on est d’abord tenté de déceler ici dans la clameur publique une origine interlope ou nazie25. La question de la légalité du crime est ainsi centrale à cette époque. Lors de la sortie du film, les tribunaux allemands acquittaient des S.A. meurtriers ou des membres de clubs, soi-disant sportifs, qui ont servi de modèles au film26. Le crime politique constitue la physionomie de l’après-guerre : le 1er mai 1929, la police berlinoise tire sur une manifestation interdite et fait trente-trois morts. Du reste, personne, semble-t-il, n’a douté que Lang représentait un nazi, à travers la figure de Schränker, le chef de la pègre et ce, dès avant le tournage27. Ce personnage par sa diction saccadée et sa froide élégance, paraît construire son ethos sur le modèle des orateurs nazis, ce qui l’oppose aux policiers et à leur éthique28. Le premier titre envisagé est lui-même symptomatique : Mörder unter uns ! Des assassins sont parmi nous. Pour autant, en vue d’analyser l’exercice de la clameur, nul n’est besoin d’identifier qui serait nazi. Un journaliste, faisant allusion aux réactions des spectateurs – nazis ou pas – évoquera un appel au lynchage lors de la première de M le maudit29.
12Il s’agit donc plutôt de voir comment les comportements, les paroles et les attitudes du peuple et des chefs de la pègre, les vecteurs de la clameur, peuvent être subsumées sous quelques notions juridiques qui prennent leur essor en Allemagne dans les premières années du siècle. Celles-ci, véhiculées par des livres30 ou des journaux31, par l’ordre jeune-allemand (jungdeutscher Orden) ou par la langue32, ne se limitent pas au seul cercle juridique car elles pénètrent la société dont, a fortiori, elles sont issues, mettant au jour un antisémitisme de plus en plus prononcé33. Dans ce film, la clameur publique épouse donc les contours des évolutions majeures qui redéfinissent la notion d’individu.
L’évolution de la pensée juridique dans les premières années de l’Allemagne du XXe siècle
13Dès le tournant du siècle34, sous l’influence de théories de l’État que l’on a qualifiées de « sociologiques35 » et de l’idéalisme du XIXe siècle, le positivisme juridique instauré dans les années 1855-1875 recule au bénéfice de l’empirisme. Peu de temps avant la Première Guerre mondiale, ce qu’on appelle le « Mouvement du droit libre » (Freirechtsschule) vise à aider le juge à trouver une plus grande liberté quant à l’interprétation de la loi36. L’exercice du droit s’ouvre à des perspectives non démocratiques37 qui rejettent les partis politiques ou la vie parlementaire38 et promeuvent la création d’un « État puissance » (Machtstaat) national et le dépassement des luttes de classes dans l’unité supérieure de la communauté populaire (Volksgemeinschaft39). En réaction aux Lumières, à partir de 1925, domine le désir de « guidance » (Führung) et de « communauté » (Gemeinschaft), dialectisé par « l’autorité du Führer sur son peuple » (Führertum) et « l’intérêt public supérieur à l’intérêt particulier » (Gemeinnutz vor Eigennutz) : chacun doit être mis au pas (gleichschalten40). Certains juristes cultivent le décisionnisme41 qui implique le mépris et le refus de l’argumentation rationnelle et utilitariste prétendue trop « plate » et « dissolvante ». Renaît alors le concept de « fin de l’État42 » (Staatszweck), pourtant déclaré dépassé et « non juridique » par le positivisme, et la question de savoir si le juge est autorisé à déclarer comme anticonstitutionnelle une norme juridique (le fameux « droit de contrôle prétorien », richterliches Prüfungsrecht43).
La persistance de l’idée de représentation juridique dans M le maudit
14La notion de droits publics subjectifs s’est imposée à la fin du XIXe siècle en Allemagne pour formaliser une sphère d’autonomie privée face à l’État : la personne devait disposer de garanties juridictionnelles lui permettant de faire valoir son intérêt contre l’intérêt public. Ces droits s’appuient sur la notion de représentation qui indique la séparation du représentant et du représenté : un avocat peut assurer la défense de celui qui est jugé44. Or la représentation est peu à peu déconsidérée, alors même que certains souhaitent abolir la séparation entre la sphère du droit public et celle du droit privé. Ainsi le juriste Carl Schmitt, dès la fin des années 1920, expose sa nostalgie de l’État monarchique allemand et sa critique de l’« État de droit bourgeois45 ».
15M le maudit rend compte de cette évolution. Le film représente d’abord la pérennité du principe de la représentation : au début du film, un appel à la justice est lancé dans un groupe de bourgeois, après une double accusation. Cet appel s’appuie sur l’idée que l’individu possède des droits, notamment contre la diffamation. L’échange est tendu, mais ressemble encore à une forme de duel qui pourrait préparer un éventuel règlement judiciaire. C’est ce système de possible représentation qui va se trouver bouleversé.
La clameur publique prend la forme d’un monstrueux artéfact de procès contre « M »
16Le rejet du principe juridique de la représentation s’édifie sur un montage fictionnel comme la « présence » d’un « avocat de la défense », ou celle d’un « procureur ». Cet « avocat de la défense » semble d’abord faire partie de la pègre, et ne pas s’investir dans cette défense, puisqu’il admet très vite publiquement que la condamnation à mort est certaine. Le personnage, toutefois, plaide ensuite cette cause avec sérieux, en défendant l’idée que seul l’État peut organiser le jugement de Beckert. Un autre enjeu de ce personnage peut se lire du point de vue de Schränker. La volonté affichée par le truand de nier le rôle de « l’avocat de la défense » est sans doute une manière de s’en prendre à une profession alors souvent exercée en Allemagne par des juifs46. Quant au « procureur », il ne s’agit de personne d’autre que de Schränker qui s’adresse aussitôt au présumé coupable sans passer par son « avocat » : « tu dois être mis hors d’état de nuire. » Le jugement est décidé d’avance47. On voit tout ce qui s’écarte ici du duel des hommes de lois séparés dans leurs fonctions, mais unis dans la parole et l’écoute de celle-ci. À la parole éloquente, capable, par son élan et sa générosité à toucher l’autre, de remuer les foules, de porter chacun vers un ordre de vision nouveau, inouï, se substituent ici les silences, les cris et les sifflements de la foule, la parole performative et la tautologie, les questions oratoires qui dénient le débat contradictoire, en un mot, une clameur publique qui refuse de faire appel à une justice dialectisée.
17À travers cet artéfact de procès, la clameur interroge le droit pénal. Dans un État libéral, nullum crimen, nulla poena sine lege : il n’y a pas de crime et aucune peine ne saurait être prononcée dès lors qu’une loi préalable à la commission du fait incriminé n’a pas prévu l’infraction ni déterminé la peine applicable. Or Schränker ne pose aucunement la question de savoir si une loi existe pour condamner une personne visiblement malade. Sa « loi » est tout entière dans le verbe condamnant. À cela, un État libéral ajoute deux principes : d’une part, la loi doit définir avec précision les faits punissables et, d’autre part, on ne saurait appliquer la loi pénale par analogie, c’est-à-dire étendre son champ d’application à des cas qui présentent seulement un rapport d’analogie avec les faits constitutifs de l’infraction. Or Schränker ne met pas en cause l’analogie qu’il pose entre un crime fait en conscience, et un crime hors de la raison, ce qui lui évite de définir des crimes accomplis, de toute évidence, sous l’emprise de la folie. La position du chef de la pègre résume ici un mouvement d’ensemble de la pensée du droit allemand de cette période. Ainsi, selon Carl Schmitt, chacun ressent « comme la plus haute et la plus puissante vérité juridique », plutôt que le trop libéral adage nulla poena sine lege, le principe « nul crime sans peine48 ». Dans M le maudit, ce « nul crime sans peine » est le sceau de la clameur publique et le nulla poena sine lege semble un avatar dépassé du normativisme abstrait.
Dans M le maudit, la logique d’incorporation se substitue à celle de représentation juridique
18Le rejet du concept juridique de représentation va de pair avec l’affirmation d’une logique d’incorporation49. Le chef n’est plus considéré comme le représentant de la communauté populaire, il en est l’« incarnation », la Verkörperung50, le guide – le Führer. La conversion de la représentation en l’incarnation opère précisément dans le sous-sol de la distillerie. Fritz Lang choisit de montrer la logique d’incorporation, en mettant en scène le chef de la pègre : pas un policier, un fonctionnaire, un mandataire de l’État51. Jusqu’à présent, Schränker était un représentant. Il fait en effet partie d’un syndicat du crime et a participé à maintes réunions de celui-ci. Mais il est désormais le principal détenteur de la parole, du droit à la parole et à la vie. L’organisation spatiale de l’image et le silence liminaire, comme réponse de la foule et du chef à « l’accusé », montrent qu’il n’y a pas de distance entre Schränker et la communauté. Il est certes devant elle, mais comme poussé par elle. De manière éclairante, la sentence est prononcée avant le moindre échange entre le chef de la pègre et les figurants, les statisten qui, par leur nombre, figurent le peuple : « tu ne sortiras plus. »
19Cette communauté, en tant que peuple, est conçue comme une instance juridictionnelle52. Schränker « est » la loi du peuple en même temps que sa réalité53. La condamnation, énoncée par le chef, est donc « évidemment » émise par le groupe et par chacun dans le groupe puisque chacun trouve dans la parole du chef un écho à ses propres pensées. Le groupe reste en effet plutôt silencieux. Et quand l’un prend la parole, c’est pour dire ce que le chef dit ou va dire54. Rien de plus, rien de moins. Non seulement la clameur publique s’inscrit parfaitement dans cette logique d’incorporation, mais elle y trouve un terreau propice à son développement. La communauté est « une » avec son chef, la troupe confiante, la Gefolgschaft55.
Comment la clameur publique institue de nouvelles identités d’inclusion ou d’exclusion
20La logique d’incorporation ne concerne pas seulement le rapport de la foule à son guide, mais chaque individu à l’égard de l’autre. Quand une femme lance : « un type comme toi n’a que le droit d’être tué », la condamnation reçoit aussitôt l’assentiment d’un homme. Cette femme est les filles de joie qui, ici, s’associent à la pègre et à la grande criminalité56. Elle est aussi toute mère. Chacun se voit donc en « parent » d’une jeune fille assassinée57. La communauté est déjà là « substantiellement », comme fondue en son identité de victime58. La clameur publique procède ainsi de la qualité existentielle non pas d’un être humain en général, mais d’un être déterminé par son appartenance à un groupe (ou par sa supposée non appartenance pour ce qui est de Beckert59). La clameur publique permet d’instituer l’égalité de tous les Volksgenossen60 : nul n’est besoin d’un vote à bulletin secret61. L’exclusion d’un allogène ne doit pas sembler une violation mais, au contraire, la mise en œuvre d’un principe d’égalité62.
21Pour l’accusé, cette nouvelle identité a trois conséquences. D’une part, l’identité administrative de Beckert est remplacée par un M qui hypostasie son caractère supposé criminel. L’hypostase prend place avec la présentation d’une main, siège de l’identité par excellence, dès le générique : la main, stylisée, a perdu son humanité, et se couvre tout entière de ce M. En effet M, écrire et lire M, c’est écrire et lire Mörder, réduire l’être et le champ de sa complexité, son histoire résurgente et intime, à une « essence » assassine. Sa gestalt63 lui a été retirée. D’autre part, dans le temps même où Beckert est rejeté de la communauté des honnêtes gens, il est incorporé dans celle de la pègre. Ainsi, quand Beckert avance : « Mais je n’y suis pour rien ! », on lui réplique : « On est tous innocents, dans un tribunal ! » Non seulement l’empathie supposée pour l’accusé le condamne, mais la clameur publique devient l’instrument d’une logique d’incorporation perverse.
22Enfin, l’exercice de la clameur publique interroge le statut du fou criminel face à la justice et sa place dans la société. Cette interrogation est celle de toute la société de la République de Weimar : depuis « les années 1890, les sciences naturelles et le social-darwinisme avaient propagé l’idée que la population était une collectivité menacée par la dégénérescence64 ». Les psychiatres réformateurs des années 1920-1930 avaient envisagé la destruction des « vies indignes de vie ». Beckert, schizophrène, est donc « traité comme un déchet (c’est une loque que la police récupérera65) ». Le phénomène s’inscrit dans une interrogation générale sur la peine de mort66.
23L’idée qu’un homme puisse échapper à la justice de l’État est bien sûr déjà traitée par Lang dans Mabuse le Joueur67. Mais M le maudit introduit une différence fondamentale en dissociant l’assassin Beckert et Schränker qui entend incarner le jugement et la loi68. Dès lors, si « l’histoire fait l’homme69 », elle définit tout autant l’exercice de la clameur publique qui, sous l’égide des évolutions de la conception allemande des individus, interroge la place de l’État et de la personne au sein d’une société.
Résilience de la clameur : Le Ruban blanc (Michael Haneke, Das weisse Band, 2008)
24Le film nous fait découvrir les événements qui touchent des villageois protestants de l’Allemagne du Nord, en 1913 et 1914, à l’aube de la première guerre mondiale. Le médecin fait une chute de cheval. Un câble invisible a été tendu sur sa route. Ce même jour, Klara et Martin rentrent tard et leur père, le pasteur, les punit en les battant et en accrochant sur eux le ruban blanc qu’ils portaient autrefois pour les rappeler à l’idée de pureté. Puis une paysanne meurt dans un accident. Son fils aîné tient pour responsable le baron, qui règne sur la communauté. Des enfants enlevés seront retrouvés battus sous la forme d’un rituel punitif. Dans ce film, si la structure sociale empêche la formation de groupes vecteurs de la clameur, on assiste néanmoins à une résistance de celle-ci, en des formes biaisées et résurgentes.
Le désir potentiel de clameur
25La clameur pourrait s’alimenter de l’amertume qui affecte les différents membres de ce village où domine l’interconnaissance étouffante. Les modalités de l’hostilité éprouvée par les paysans à l’égard des notables – hostilité née de contacts, d’expérience quotidienne, de susceptibilité blessée, nourrie par la rancœur qui s’accumule sous la déférence usée – seraient à même de nourrir les potentialités de quelque clameur.
26L’autre frustration tient au fait que les enquêtes ne font pas parler les énigmes (les policiers affrontent le mutisme des indices et des habitants) et que la parole de la justice institutionnelle est absente. Ainsi, à la suite de l’accident mortel d’une paysanne à la scierie, Mme Felder, son fils aîné examine ce qui a pu causer l’accident et la mort de sa mère. « et qui l’a envoyée ici ? » demande-t-il. « Qui l’a choisie ? » Les questions demeurent sans réponse mais la scierie appartient au baron qui, à l’évidence, peut être tenu pour responsable. L’enquête du fils, avortée, sans médiation, débouche sur un sentiment de révolte qui alimente le désir de faire justice soi-même. Celui-ci est refoulé par le père qui, aux yeux de la famille, incarne encore la loi familiale. Le film ne met donc pas en scène un tribunal, lieu par excellence de la parole maîtrisée, une parole donnée à chacun et mise à distance par les avocats, comme sa réception l’est par le travail des jurés. L’exercice même de la justice semble absent. C’est seulement le baron qui décide enfin de faire venir deux représentants de la police judiciaire, et pas pour l’affaire Felder.
Des structures sociales étouffant le désir de clameur
27Le désir de faire justice est écrasé par une indéniable dépendance matérielle à l’égard du baron. La survie de la famille Felder, aux nombreux enfants, dépend du travail donné par le baron. Quand la famille perdra ce travail, elle sera littéralement mise en péril, et le paysan veuf se suicidera. En outre, le désir de justice est encadré par la religion et les figures tutélaires du noble ou du pasteur. La justice est généralement restreinte au sein de la famille, comme le montre le pasteur qui se dit lui-même un führer, un « guide spirituel ». Quand un appel public à la justice s’exprime enfin, c’est seulement dans le temple, et encore il s’agit d’un monologue du baron au sujet de l’agression dont son fils a été victime. La frontalité souligne le discours architectural, la domination mentale et sociale : le baron, seul, parle au groupe constitué surtout des paysans et de leurs familles, silencieux. Le baron fait des membres de ce groupe à la fois un public, des témoins et des accusés. La croix sombre rappelle la Loi. Le baron prend la figure du vengeur du sang70 : il est craint comme on craint la colère de Dieu.
La résilience de la clameur paysanne : l’appel mutique à une justice sociale
28Dans ce cadre, l’expansion de la clameur est toujours possible, mais c’est un horizon d’attente refoulé. La clameur va ainsi être suggérée à travers un mouvement de colère du père Felder. Le fils aîné lui lance : « ils savaient qu’ils la mettaient en danger. » Le vieux paysan veuf ne se contient plus : « tu veux quoi ? Traîner le baron au tribunal ? Assassiner le régisseur ? Va donc lui couper la tête avec ta faux. Ca ne rendra pas la vie à ta mère. » Il lui intime le silence, marque de la communauté acoustique de ces paysans. Le désir de clameur se réduit à un cri refluant. Puis la voix-off de l’instituteur narrateur lie la fatigue et l’oubli de l’accident : « Le labeur quotidien épuisait les gens. » Le désir de clameur est étouffé par le travail harassant. Mais il va resurgir de manière résiliente.
29Une autre scène est emblématique. À la fin de l’été a lieu la fête des moissons, un spectacle communautaire organisé par le baron, sous l’égide du pasteur. La musique bat son plein. Parallèlement, le fils aîné des Felder, avec sa faux, coupe des centaines de choux dans un champ. Puis une ellipse nous ramène à la fête. Le baron découvre les choux coupés, et le régisseur précise alors : « C’était l’usage : “Le blé est coupé, on veut être payés. Et gare au grippe-sou, on lui coupera le chou”. » Cette citation de quelque parole populaire identifie le geste solitaire à un acte collectif ancestral, à l’exercice d’une clameur désormais refoulée par le groupe. Ce refoulement et cette résilience opèrent différents déplacements. D’une part, le fils Felder porte seul la clameur, un exercice silencieux et laborieux qui n’est pas sans évoquer une activité harassante au champ. D’autre part, il s’en prend symboliquement à tous les nobles, à travers le champ des « têtes » coupées. Enfin, les traces sonores, habituelles dans la clameur publique traditionnelle, sont symptomatiquement prises en charge par les paroles du régisseur, représentant le baron. Le locuteur véritable de la clameur est destitué. La geste du frondeur est réduite à un exercice de ventriloquie.
30Le cri judiciaire est atomisé, dans une société fermée dont la hiérarchisation contribue au contrôle social, à la répartition et à la stricte délimitation des prises de parole. Certes les digues opposées à la parole ne font pas taire la violence, seul mode possible d’expression de la révolte. Mais le notable dépossède la communauté de ses cris judiciaires, par sa propre parole ou par l’organisation d’une fête71. Dès lors, à cause de la rigidité de cette structure et des conditions d’existence difficiles, le désir de justice ne parvient pas à créer les conditions d’une communauté. Celle-ci sera engendrée seulement par la mort et la destruction, l’amertume et la douleur. Ainsi verra le jour une communauté porteuse d’un très sombre avenir72.
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31Dans ces trois œuvres, les formes de la clameur publique se rejoignent puisque chacune interroge la notion juridique de représentation et pose la question des droits individuels : la clameur y est un mouvement centrifuge qui se détourne de l’exercice institutionnel de la justice. Si la clameur est ainsi régie par un ensemble de moyens d’expression et de procédés récurrents, ces films montrent surtout la grande plasticité de ce « bruit du peuple73 » et l’« histoire interminable » du « théâtre du peuple74 ». La rhétorique de la clameur, en effet, n’a pas la valeur d’un ensemble congruent : sa forme et sa signification varient selon les périodes et les lieux, s’adaptent aux situations sociales et politiques, épousent les linéaments et les contours d’une société.
32Cette souplesse est mise au jour par l’analyse d’une énigme initiale75. Avec Furie, l’énigme s’incarne dans le fait que la clameur publique, ancrée dans une bourgade, s’expose en produisant sa propre publicité. En effet, dans une démocratie constitutionnelle fortement médiatisée, la clameur est redoublée, sous la forme d’un lynchage physique puis d’un lynchage médiatique qui s’inscrivent tous deux dans un dispositif76 spectaculaire77 qui fait des individus les acteurs et les figurants – les extras – de leur propre spectacle. Dans M le maudit, la République de Weimar est gagnée par une nette métamorphose de la conception juridique de l’État, de l’individu et de la communauté : la clameur n’en appelle pas à une justice étatique et positiviste, dont l’influence est en recul, mais s’inscrit dans une involution qui met en avant la double logique de l’incarnation et de l’incorporation. Enfin Le ruban blanc dévoile la contention de la parole et la prégnance énigmatique du silence. La clameur publique, en sourdine, est écrasée.
33Ces films ne sont pas de ceux qui « demeurent sur le seuil où les ont entraînés les événements du monde, comme s’ils se trouvaient devant un mur » et qui, au lieu de passer ce seuil, constatent leur incapacité à retrouver « le chemin du présent78 ». C’est pourquoi ces œuvres cinématographiques nous permettent peut-être de « voir de façon stéréoscopique et dimensionnelle dans la profondeur des ombres historiques79 ».
Notes de bas de page
1 « Si le film, en tant que représentation, ne peut établir un fait, à la manière de l’historien, les outils qu’utilise le réalisateur, dans leur matérialité comme dans leur signification, possèdent néanmoins une grande capacité heuristique. » Christian Delage, « Cinéma, enfance de l’histoire », Christian Delage et Antoine de Baecque (dir.), De l’histoire au cinéma, éd. Complexe, coll. « Histoire du temps présent », 1998, p. 90.
2 « La lecture historienne d’un film ne consiste donc pas à jauger l’authenticité de la réalité technique, sociale ou économique décrite, mais à repérer le gain d’intelligibilité apportée par l’écriture cinématographique. » Vincent Guigueno, « Le travail à la chaîne à l’épreuve du burlesque », ibid., p. 144.
3 Parmi les archives laissées par le réalisateur à la BiFI figurent, sous la cote 01B1-2, quatre états différents du scénario, mais aussi des notes établies par le studio, la Metro-Goldwyn-Mayer (MGM), donnant des exemples de faits divers – meurtres, lynchages – et de procédures judiciaires concernant ces crimes.
4 « Anarchie » ou « loi de la rue ». Voir son antonyme « the rule of law » : l’autorité de la loi.
5 Du point de vue des spectateurs du film, au sens strict défini par la loi américaine de l’époque, il ne s’agit d’un lynchage que dans la première partie, puisque Joe Wilson semble mourir dans la cellule de la prison. Il faut en effet qu’il y ait mort d’homme pour qu’il y ait lynchage – le Coroner (légiste) dresse alors le certificat portant la mention « mort entre les mains de personnes inconnues » (« dead at the hands of persons unknown »), euphémisme désignant le lynchage. Voir Philip Dray, At the Hands of Persons Unknown: The Lynching of Black America, New York: Random House, 2002.
6 Lang raconte qu’une partie de la scène chez le barbier a été coupée (quelqu’un demandait : « Quoi de neuf à Washington ? »), Peter Bogdanovich, Fritz Lang en Amérique, trad. de l’américain par Serge Grunberg et Claire Blatchley, Cahiers du cinéma, éd. de l’Étoile, 1990, p. 28. « Wilson » est peut-être une référence à Samuel Wilson, qui symbolise le pouvoir fédéral : inspecteur général du ravitaillement des troupes, il faisait frapper du cachet « US » (United States) les balles d’approvisionnement approuvées par lui. Appelé « Uncle Sam », il a été assimilé aux initiales de son pays, ce qui a fait de lui un symbole national de qualité. Ce « Joe Wilson » se réfère peut-être aussi à Woodrow Wilson, le vingt-huitième président des États-Unis, prix Nobel de la paix en 1919 ; les habitants se moqueraient ainsi de certaines de ses avancées démocratiques majeures : Wilson, favorable à un pouvoir exécutif fort, a mis en place un ambitieux programme démocratique et économique (il a notamment renforcé la loi antitrust autorisant les grèves – or le film présente durant quelques secondes un briseur de grève qui « offre ses services » pour la mise en œuvre de la clameur).
7 La fenêtre n’est pas ici le lieu d’une prise de recul, comme c’est souvent le cas. Voir Michel Cieutat, Les grands thèmes du cinéma américain, I. Le rêve et le cauchemar, éd. du Cerf, 1988, p. 114.
8 Ce mouvement illustre l’expression « Two is company, three is a crowd » présente dans maint films américains, notamment Papa d’un jour (Harry Langdon, Three is a crowd, 1927), ou La prisonnière du désert (John Ford, The searchers, 1956).
9 Dans la suite du film, le procès sera d’ailleurs diffusé à la radio.
10 Étudiant le rôle de la propagande hitlérienne à la radio, Serge Tchakhotine conclut que celle-ci a permis le contrôle des esprits. Voir Serge Tchakhotine, Le viol des foules par la propagande politique, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1992.
11 Robert Hariman, Le pouvoir est une question de style – Rhétorique du politique, Paris, Klincksieck, 2009, p. 14.
12 Michel-Louis Rouquette, « La rumeur comme résolution d’un problème mal défini », Cahiers internationaux de sociologie, vol. LXXXVI, 1989, p. 117-122.
13 Lydia Flem, « Bouche bavarde et oreille curieuse », Le genre humain, no 5, 1982, p. 18.
14 Peter Bogdanovich, Fritz Lang en Amérique, op. cit., p. 21-22.
15 « Longtemps après, j’ai lu un […] article que j’ai regretté ne pas avoir lu avant : il semble qu’il y ait eu des chauffeurs de bus à San Francisco (qui est très proche de San José) qui se soient réunis et aient déclaré : “Montez, montez ! Venez à San José, il y a lynchage à dix heures !” », ibid., p. 17.
16 Documents accessibles à la BIFI (Paris), sous la cote 01B1-2.
17 Ces films, « nous appelons ça Schinken, ce qui, littéralement, veut dire “un jambon” », Peter Bogdanovich, Fritz Lang en Amérique, op. cit., p. 19.
18 Le Kammerspiel film ou « théâtre de chambre » est le cinéma de l’ordinaire s’opposant en partie à l’expressionnisme. Cette évolution est sensible dans la construction des personnages. Le mal langien a d’abord été le fait de surhommes : Mabuse – criminel génial, et mégalomane, Attila – le roi barbare des Niebelungen, Rotwang, le savant fou de Metropolis, ou Haghi – le manipulateur des Espions, tous quatre interprétés par Rudolf Klein-Rogge. Ce mal touchera ensuite des gens ordinaires (très souvent incarnés par des acteurs au physique jugé banal : Ray Milland, Edward G. robinson, Walter Pidgeon, Lazar Hayward).
19 Le Strassen Film prend la rue comme décor et revendique une « Nouvelle Objectivité » (Neue Sachlichkeit). Il cherche à décrire et à comprendre la réalité sociale en s’attachant aux rapports entre les différentes classes de la société, et en traitant de sujets en rapport avec la morale et jugés scandaleux à l’époque (comme la sexualité, l’avortement, la prostitution, l’homosexualité et la toxicomanie).
20 Sur cette question, voir Baldine Saint-Girons, Le pouvoir esthétique, éd. Manucius, coll. « Le Philosophe », 2009, p. 28-29.
21 Aussi Joe Wilson, réfugié dans les salles de cinéma pour se cacher de la foule qui pourrait encore le traquer si elle le savait vivant, est-il obligé de voir, comme il le dit lui-même, le spectacle de la clameur diffusé en boucle avant les films de fiction. La clameur publique se désigne ainsi comme un avant-programme ou un entracte, une actualité.
22 Lettre à d’Alembert, 1758, Paris, Garnier, 1962, p. 225. « La conscience, il est vrai, que nous prenons de notre importance est à peine différente de celle que les guerriers peints sur une toile ont de la bataille où ils sont représentés. » Friedrich Nietzsche, La Naissance de la tragédie (1872), Stuttgart, Kröner Taschenausgabe, 1964, t. I. Voir trad. Michel Haar, Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Luc Nancy, Œuvres philosophiques complètes, t. I, Paris, Gallimard, 1977, p. 61.
23 Le momentum (contraction de movimentum, dérivé de movere) est une « impulsion, mouvement, changement » et un « poids qui détermine le mouvement et l’inclinaison de la balance » selon le TLFI (Trésor de la Langue Française informatisé).
24 En 1929 et 1930, des meurtres sont commis en série à Düsseldorf. Entre mars 1929 et mai 1930, treize mille lettres de dénonciations arrivent à la police de la ville, neuf mille personnes sont interrogées, deux mille six cent cinquante indices sont examinés. Le 24 mai 1930, Peter Kürten est arrêté.
25 Lang précise que l’idée « que les bas-fonds de Berlin pouvaient prendre l’initiative de se mettre à la recherche de l’assassin inconnu pour se débarrasser ainsi du harcèlement policier, provient d’un reportage de journal », Fritz Lang, Trois Lumières, « Mon film M – un récit documentaire », Flammarion, 1988, p. 60.
26 En 1928 a eu lieu un procès au sujet de la mort d’un membre d’un groupe de charpentiers qui s’étaient battus contre des membres de Ringverein Immertreu. Les soi-disant Sport-und Geselligkeitsvereine (des clubs faisant la promotion des sports et de la convivialité), auxquels la Immertreu appartenait, étaient des associations du monde interlope de Berlin. Les clubs appelés Heimatklänge, Hand in Hand ou Deutsche Kraft comptaient environ 1 000 membres et vivaient en partie de revenus provenant du chantage ou de la prostitution.
27 Si l’on en croit les dires de Lang lui-même : « je désirais louer pour les besoins du film les hangars Zeppelin à Staaken. Le gérant, avec qui j’avais d’excellents rapports, me dit qu’il ne pouvait me les louer. Décontenancé, je lui en demandai la raison. Il me répondit d’un ton sibyllin : “Tu sais très bien pourquoi je ne veux pas te les louer.” […] Exaspéré à la fin, je le saisis par le revers de la veste, sentis quelque chose de dur : il portait l’insigne du parti national-socialiste. Encore une fois je lui demandai pourquoi je ne devrais pas faire un film sur un meurtrier d’enfants. L’autre, étonné, me dit : “Un meurtrier d’enfants ?” Les nazis avaient cru que le titre Les Assassins sont parmi nous ne pouvaient s’appliquer qu’à eux », Fritz Lang, Trois lumières. Écrits sur le cinéma, Ramsay Poche Cinéma, 2007, p. 45.
28 Le traitement des voix et des attitudes ressortit de cette double logique antagoniste. Si le commissaire Lohmann a une voix ferme, celle-ci reste douce et le geste contenu. Schränker, lui, éructe volontiers, et possède un geste ample et rude. « L’équilibre des voix est très important. J’essaie de diriger la scène en fonction des voix et des gestes, de créer une harmonie entre eux », ibid., p. 247. Le commissaire Lohmann lui-même emprunte son nom au responsable de l’affaire Schumann (meurtrier en série), le Kriminaloberwahtmeister Lahmann.
29 Selon Gabriele Tergit, ce film représenterait une « exploitation la plus éhontée de l’actualité. Le monstre est encore devant le tribunal, le voilà déjà à l’écran ! » (« Der Film des Sadismus », Die WeltBühne, 9 juin 1931). Le film sort le 11 mai, peu après l’ouverture du procès Kürten, le 13 avril.
30 Arthur Moeller van den Bruck, Das dritte Reich, Berlin, Ring-Verlag, 1923 ; trad. française de Jean-Louis Lénault : Le Troisième Reich, Paris, Sorlot, 1981 ; Othmar Spann, Der wahre Staat. [L’État authentique] Vorlesungen über Abbruch und Neubau der Gesellschaft, Leipzig, Quelle & Meyer, 1921 ; Edgar Julius Jung, Die Herrschaft der Minderwertigen, ihr Zerfall und ihre Ablösung [Le règne des êtres inférieurs], Berlin, Deutsche Rundschau, 1927 ; Ernst Jünger, Der Arbeiter : Herrschaft und Gestalt, 2e éd., Hambourg, Hanseatische Verlagsanstalt, 1932 ; trad. française de Julien Hervier : Le travailleur, Paris, Christian Bourgois, 1989 ; Paul Krannhals, Das organische Weltbild. [La vision organique du monde] Grundlagen einer neuentstehenden deutschen Kultur, Munich, Bruckmann, 1925.
31 Le groupe de la « Jeune Droite » est ainsi lié au journal Die Tat.
32 Voir Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, trad. Élisabeth Guillot, Albin Michel, 1996.
33 Hans Kelsen « mena la science du droit constitutionnel vers un débat théorique portant sur les principes fondamentaux du droit. Mais tandis que cette discussion fut menée avant 1919 essentiellement dans les cercles académiques, elle s’élargit dans les turbulences des années 1920 et prit une tonalité stridente – sous-tendue par des pointes d’antisémitisme. Ce que l’on appelle l’école viennoise du droit constitutionnel se trouva donc progressivement en décalage, aussi bien philosophiquement que politiquement, avec “l’opinion dominante” en Allemagne », Michael Stolleis, « Dans le ventre du Léviathan. La science du droit constitutionnel sous le national-socialisme », art. cit.
34 Je suis redevable envers les travaux d’Olivier Jouanjean et de Christian Roques ainsi que de Michael Stolleis qui a écrit une monumentale Histoire du droit public en Allemagne en trois vol. (Geschichte des öffentlichen Rechts in Deutschland, Munich, Beck), dont seul le premier est trad. en français (Histoire du droit public en Allemagne – La théorie du droit public impérial et la science de la police 1600-1800, Paris, PUF, coll. « Fondements de la politique », 1998).
35 Voir Conrad Bornhak, Allgemeine Staatslehre, Berlin, Heymanns, 2e éd., 1909 ; Richard Schmidt, Allgemeine Staatslehre, Leipzig, Hirschfeld, 1901-1903, 2 vol. ; Georg Jellinek, Allgemeine Staatslehre, Berlin, O. Häring, 1900.
36 « Le modèle classique du syllogisme logique commença donc à vaciller et les premières voix se firent entendre, qui prétendirent ne plus fonder la légitimité des sentences du magistrat sur leur contenu et sur la déduction à partir de la loi, mais sur la décision autorisée par l’État (Carl Schmitt) », Michael Stolleis, « Dans le ventre du Léviathan. La science du droit constitutionnel sous le nationalsocialisme », Astérion, 4, 2006.
37 voir Erich Kaufmann, Das Wesen des Völkerrechts und die Clausula rebus sic stantibus [L’essence du droit des gens et la Clausula rebus sic stantibus], 1911 ; Kritik der neukantischen Rechtsphilosophie. [Critique de la philosophie du droit néo-kantienne] ; Eine Betrachtung über die Beziehungen zwischen Philosophie und Rechtswissenschaft, Tübingen, Mohr, 1921 ; Rudolf Smend, Verfassung und Verfassungsrecht [Constitution et droit constitutionnel], Berlin, Dunker & Humblot, 1928.
38 Carl Schmitt, Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlamentarismus, Berlin, Dunker & Humblot, 1923 ; trad. française de Jean-Louis Schlegel : Parlementarisme et démocratie, Paris, Le Seuil, 1988.
39 Dans un rapport sur l’inconstitutionnalité du Parti communiste allemand (KPD) et du Parti national-socialiste (NSDAP), Otto Koellreuter conclut que les deux partis souhaitaient la destruction de l’ordre existant, mais que seul le KPD était inconstitutionnel, car le NSDAP visait un objectif licite, l’État puissance national. voir Michael Stolleis, « Otto Koellreuter », Neue Deutsche Biographie, Berlin, Duncker & Humblot, t. 12, 1980, p. 324.
40 Voir Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, op. cit., p. 206 et s.
41 Pour Carl Schmitt, ce qui est important, c’est « que dans la simple existence d’une autorité réellement autoritaire, il y ait de la décision, et que toute décision soit valable et valide, car dans les choses les plus essentielles [du politique], il est plus important de savoir que quelqu’un décide, que de savoir comment cette décision est décidée » (Carl Schmitt, Politische Theologie [Théologie politique], Berlin, 1990, p. 20). Schmitt cite Thomas Hobbes, en acceptant son théorème : Auctoritas, non veritas facit legem. L’autorité est la source des lois, car le pouvoir lui en donne la force, c’est elle qui pose les décisions qui génèrent les lois.
42 Michael Stolleis, Gemeinwohlformen im nationalsozialistischen Recht, Berlin, J. Schweitzer, 1974, p. 198 et s.
43 Voir Werner Heun, « Der staatsrechtliche Positivismus in der Weimarer Republik », Der Staat, no 28, 1989, p. 377, p. 390 et s. Plus largement, le pouvoir du président du Reich est systématiquement élargi sur la base de l’article 48 de la Constitution de Weimar, permettant de justifier l’« état d’urgence » (Staatsnotstand) au nom de la « légitime défense de l’État ».
44 La Représentation est originairement une technique de droit privé dont déjà Cicéron donnait la définition dans une lettre à Atticus : « Unus sustineo tres persona, mei, adversarii et judicis. » Ce que Thomas Hobbes traduit par « j’ai à charge le rôle de trois personnes, la mienne, celle de l’adversaire, et celle du juge, et on l’appelle de différentes façons selon les différentes circonstances : un représentant ou quelqu’un de représentatif, un lieutenant, un vicaire, un mandataire, un fondé de pouvoir, un procureur, un acteur, ainsi de suite », Léviathan, Gallimard, coll. « Folio », chap. 16.
45 Voir Olivier Jouanjan, Une histoire de la pensée juridique en Allemagne (1800-1918), Paris, PUF (Léviathan), 2005.
46 « Au début du XIXe siècle, le nombre d’avocats juifs ou de descendance juive était relativement élevé. Ceci était dû à la situation particulière et légale des Juifs en Allemagne pendant plusieurs siècles. […] Jusqu’en 1920, le nombre d’avocats juifs s’est accru considérablement. Les nouvelles générations reprenaient les cabinets privés de leurs pères ou créaient leurs propres cabinets. […] À Berlin, en janvier 1933, plus de la moitié des 3 400 avocats de la ville étaient d’origine juive », Simone Ladwig-Winters, Avocats sans droits. Le sort des avocats juifs en Allemagne après 1933, Exposition itinérante de la Deutsche Juristentag (Association des juristes allemands) et de la Bundesrechtsanwaltskammer (Barreau fédéral allemand).
47 De même, dans les procès généralement publics présidés par Roland Freisler, les jugements seront souvent établis d’avance.
48 Carl Schmitt, « Der Weg des deutschen Juristen », Deutsche Juristen-Zeitung, 1934, p. 693.
49 Ce terme renvoie à Claude Lefort, L’invention démocratique, Paris, Fayard, 1981, p. 104. Voir aussi Enzo Traverso, Le totalitarisme, Paris, Le Seuil, 2001, p. 729.
50 La pensée juridique de cette époque marque cette évolution. Carl Schmitt, dans Die geistesgeschichtliche Lage des heutigen Parlementarismus (1923), avance que la démocratie immédiate est opposée au parlementarisme. À la fin de l’article de 1924, Der Begriff der modernen Demokratie in seinem Verhältnis zum Staatsbegriff, Schmitt mentionne qu’il s’agit d’une identité de contenu (Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles 1923-1939, Hanseatische Verlagsanstalt Hamburg, 1940 ; voir « Le concept de démocratie moderne et son rapport à l’État », Parlementarisme et démocratie, op. cit., p. 117-128). Dans l’article de 1926, Der Gegensatz von Parlementarismus und moderner Massendemokratie, republié dans Positionen und Begriffe (1940), il est question de l’homogénéité nationale comme substance politique de la démocratie qui est désormais posée au fondement de l’identité entre gouvernants et gouvernés (« remarque sur l’opposition entre parlementarisme et démocratie », Parlementarisme et démocratie, op. cit.).
51 Selon Ernst Rudolf Huber, le Führer, en tant que porteur de la volonté populaire, est à la fois indépendant des groupes, des associations, des intéressés, et soumis aux lois essentielles (Wesensgesetze) du peuple. Le Führertum se définit dans ce double rapport. Ainsi, d’une part, le Führer n’a rien à voir avec un fonctionnaire, un agent ou un représentant (Exponent), qui exercent un mandat qui leur a été confié et sont liés par la volonté d’un mandant. Il n’est pas davantage « organe » de l’État au sens d’un simple détenteur du pouvoir exécutif. Voir Ernst Rudolf Huber, Verfassungsrecht des Großdeutschen Reiches, 2e édition, Hambourg, Hanseatische Verlagsansalt, 1939, p. 195-196.
52 Carl Schmitt définit en 1930 l’affaire du politique comme étant le problème de l’unité politique d’un peuple (déterminé) : « die Sache, nämlich das Problem der politischen Einheit eines Volkes ». L’affaire du politique, c’est l’unité (du) politique. La citation est tirée de « Staatsethik und pluralistischer Staat » (1930), Positionen und Begriffe im Kampf mit Weimar – Genf – Versailles 1923-1939 (1940) : « Éthique de l’État et État pluraliste », Parlementarisme et démocratie, op. cit., p. 142.
53 Certains juristes ne diront pas autre chose. Pour Larenz, le Führer est « l’idée de droit concrète non écrite de son peuple », Karl Larenz, Deutsche Rechtserneuerung und Rechtsphilosophie, Tübingen, Mohr, 1934, p. 34. Sa volonté, dit Carl Schmitt en 1933, « est aujourd’hui le nomos du peuple allemand ». Cité par Reinhard Mehring, Carl Schmitt zur Einführung, Hambourg, Junius, 2001, p. 65. « La loi est aujourd’hui volonté et plan du Führer », écrit-il dans « Kodifikation oder Novelle ? », Deutsche Juristen-Zeitung, 1935, col. 924.
54 « un Führer [guide] a besoin de Geführten [ceux qui se laissent guider] sur l’obéissance inconditionnelle desquels il peut se reposer. » Victor Klemperer, LTI, la langue du IIIe Reich, op. cit., p. 203.
55 Le mot Gefolgschaft qualifie le peuple « substantiel ». Il renvoie à l’organisation militaire des anciens Germains, dont Tacite (Germania, XIII-XIV) a fait le tableau qui a nourri les représentations mythologiques d’une démocratie germanique originaire (voir Hans Boldt, Deutsche Verfassungsgeschichte, 2e édition, Munich, DTV, 1990, t. 1, p. 97 et s.). Selon Victor Klemperer, ce mot « travestit et transfigure » ouvriers et employés, en fait « des vassaux, hommes de troupe de seigneurs nobles et chevaleresques, porteurs d’armes et fidèles », LTI, la langue du IIIe Reich, op. cit., p. 303 et s.
56 Dans une scène précédente, la patronne d’un bistrot évoquait avec colère la gêne que Beckert apporte au travail des « filles ».
57 La scène est répétée plus loin dans le film, selon le même schéma : une femme condamne « M » puis un homme approuve cette condamnation, les deux personnages formant ainsi virtuellement un « couple ».
58 Contre Hobbes, qui croit la représentation politique capable de produire l’unité politique du peuple à partir de rien, Carl Schmitt rétorque que cette unité préexiste à son état politique et dégage la possibilité que le peuple atteigne l’unité politique par lui-même : le peuple « peut déjà être dans sa donnée immédiate – par la force d’une homogénéité forte et consciente, en conséquence de frontières naturelles fixes ou pour d’autres raisons – politiquement capable d’agir. Il est alors en tant que grandeur réellement présente en son identité immédiate avec soi-même une unité politique. Ce principe de l’identité de chaque peuple présent avec lui-même en tant qu’unité politique repose sur le fait qu’il n’y a pas d’État sans peuple », Théorie de la Constitution (1928), Paris, PUF, 1993, p. 342.
59 L’identité entre eux de tous ceux qui appartiennent à un peuple est avancée par Carl Schmitt dans « der Gegensatz von Parlementarismus und moderner Massendemokratie » (1926), Positionen und Begriffe (1940) : « L’opposition entre parlementarisme et démocratie de masse », Parlementarisme et démocratie, op. cit., p. 112. Selon Carl Schmitt, « La démocratie politique ne peut reposer sur l’absence de distinction de tous les hommes, mais uniquement sur l’appartenance à un peuple déterminé, cette appartenance à un peuple pouvant être déterminée par des moments très divers (représentations d’une race commune, foi, destin commun et tradition) », Théorie de la Constitution (1928), Paris, PUF, 1993, p. 365.
60 Volksgenosse, difficile à traduire, désigne celui qui, par la « race », appartient au peuple allemand comme l’un de ses « compagnons ». Par défaut, on pourrait le traduire par « nationaux », malgré tous les défauts manifestes d’une telle traduction.
61 Sur le caractère « antidémocratique » du vote secret, voir Carl Schmitt, Théorie de la Constitution (1928), op. cit., p. 383.
62 Voir Olivier Jouanjan, Le principe d’égalité devant la loi en droit allemand, Paris, Economica, 1992, p. 120.
63 Ce mot irrigue les discours de la droite radicale allemande sous Weimar. La Gestalt est l’intégrité de l’individu. Pour Rosenberg (qui intitule le recueil de ses essais et conférences Gestaltung der Idee), l’essence du Juif est de n’avoir pas de Gestalt et ce mot joue un rôle structurant dans son discours. Voir notamment Philippe Lacoue-Labarthe, Jean-Louis Nancy, Le mythe nazi, La Tour-d’Aigues, éd. de l’Aube, 1991, p. 56 et s. Cette absence supposée de Gestalt associe le « juif » et le « dégénéré ». Ainsi Lang raconte que, de retour en Allemagne, il a vu un film dans lequel Goebbels avait monté la scène durant laquelle Beckert explique son mal devant la pègre avec d’autres extraits de films « en un documentaire sur l’Art “dégénéré” ». Ce film de Franz Hippler date de 1940 (Georges Sturm, Fritz Lang : films/textes/références, Presses Universitaires de Nancy, 1990, p. 84).
64 Henning Eichberg, « Handicapés et Eugénisme », Anne-Marie Le Gloannec (dir), Allemagne, peuple et culture, La Découverte, 2005, p. 94.
65 Noël Simsolo (dir), M le Maudit, un film de Fritz Lang, Cinémathèque française, éd. Plume, Paris, 1990, p. 41.
66 Ainsi la condamnation et l’exécution, le 2 juillet, du « vampire de Düsseldorf » soulèvent de vives protestations (la dernière exécution capitale remontait à 1928). Mais un journal nazi indique : « aujourd’hui nous parvient l’information qu’on a de nouveau gracié un assassin sexuel qui avait été condamné à mort. Ainsi le film M est-il toujours actuel. […] L’assassin (Peter Lorre) n’a rien perdu de sa hideur repoussante », Der Angriff, 31 mai 1932.
67 Ce qui gênait la Commission supérieure de censure qui avait interdit le film aux moins de 18 ans à cause des scènes de combat de rue qui visait à défendre le criminel. Voir Fritz Lang, Trois lumières. Écrits sur le cinéma, op. cit., p. 40-41.
68 À propos du Dr Mabuse, en 1953, Lang précise : « Le Dr Mabuse, qui dit de lui-même “Je suis la loi”, est le parfait criminel, le grand montreur de marionnettes, celui qui organise dans les coulisses le crime parfait », ibid., p. 71.
69 Fernand Braudel, « Écrits sur le présent » (1982-1983), dans Écrits sur l’histoire, II, Paris, Arthaud, 1990, p. 289.
70 Le Vengeur du sang, dans la Bible, désigne le parent qui devait rétablir les droits d’un membre de sa famille victime d’un meurtre ou d’une injustice.
71 La fête organisée par le baron fait couler à grands flots le vin, et les hommes expriment alors assez librement leur appétence sexuelle. Dionysos n’est pas loin, ainsi que les fêtes liées aux rites agraires primitifs : « dans leur violence originelle, ces rites répondent à ce sentiment que l’ordre qui préside aux travaux est menacé d’usure, comme tout organisme, de sorte qu’il faut périodiquement le régénérer par une plongée dans le chaos originel. C’est pourquoi le désordre sous toutes ses formes est de règle en temps férié ; plus de contraintes : la fête, c’est le monde renversé. » Robert Pignarre, Histoire du théâtre (1945), PUF, 1979, p. 9.
72 « Quand éclata la première guerre mondiale, le peuple allemand tout entier se transforma en une seule et unique masse ouverte. […] ces premiers jours d’août 1914 sont aussi le moment qui engendra le national-socialisme. », Élias Canetti, Masse et puissance [Masse und Macht], Gallimard, 1966, p. 191-192.
73 Jacques Rancière, « Le bruit du peuple, l’image de l’art (à propos de Rosetta et de L’Humanité) » (1999), Théories du cinéma, dir. Antoine de Baecque et Gabriele Lucantonio, Paris, Cahiers du cinéma, 2001.
74 Id., « Le théâtre du peuple : une histoire interminable » (1985), Les Scènes du peuple (Les Révoltes logiques, 1975-1985), Lyon, Horlieu éd., 2003, p. 167-201.
75 Il faut rendre à l’œuvre cinématographique sa valeur d’« énigme initiale » car il y bien une dissymétrie entre l’histoire et le cinéma. Voir Serge Daney, « Le voyage absolu », Christian Delage (dir.), Ecrits, images et sons dans la bibliothèque de France, Paris, IMEC, 1991, p. 87-90.
76 Le terme se comprend ici dans le sens souvent employé par Michel Foucault : un dispositif indique un arrangement qui a un effet normatif sur son environnement puisqu’il y introduit certaines dispositions, créant une propension à certains types d’actes, une tendance à ce que certaines choses arrivent.
77 La médiatisation s’inscrit dans un mouvement plus vaste du changement de la perception visuelle au début du XIXe siècle : « Le tournant est pris entre 1810 et 1840 environ, lorsque la vision s’arrache à la stabilité et à la fixité des rapports incarnés par la chambre noire. […] Tout se passe alors comme si on se mettait à évaluer l’expérience visuelle sous un jour nouveau, à lui conférer une mobilité et une capacité d’échange qu’elle n’a jamais eues. » Jonathan Crary, L’Art de l’observateur. Vision et modernité au XIXe siècle (trad. de l’anglais par Frédéric Maurin), Nîmes, Jacqueline Chambon, 1994, p. 37.
78 Siegfried Kracauer, L’ornement de la masse. Essai sur la modernité weimarienne, trad. Sabine Cornille, Paris, La Découverte, 2008, p. 79.
79 Walter Benjamin, Das Passagen-Werk (1940), Paris capitale du XIXe siècle : le Livre des passages, Paris, éd. du Cerf, 1989, p. 474.
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Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008