Propos introductif
p. 7-9
Texte intégral
1Ce volume regroupe des communications présentées lors des deux premières journées d’études organisées par le Centre d’histoire et de recherche sur la Résistance (CH2R) à Besançon en juin 2009 (« Histoire de la Résistance en France : questionnements, prospective et perspectives ») et à Paris en mars 2010 (« L’écriture de l’histoire de la Résistance : usages, traitements et interprétations des sources »).
2Ces rencontres avaient pour objet de réfléchir à partir de cas pratiques aux problèmes épistémologiques et méthodologiques posés par l’écriture de l’histoire de la Résistance : Comment un objet de recherche se construit-il et se saisit-il ? Que faire lorsque la définition de ses contours se dérobe au fur et à mesure que l’enquête avance ? Comment composer avec l’abondance, l’absence ou le caractère parfois éminemment biaisé des sources ? Tels étaient schématiquement énoncés les questionnements principaux. Ces journées d’études réunissaient de jeunes chercheurs auxquels il était demandé de décrire leurs expériences, de réfléchir aux obstacles auxquels ils s’étaient heurtés et aux solutions qu’ils avaient mises en œuvre pour tenter de les surmonter ou de les contourner.
3Ils n’avaient pas été sollicités pour résumer leurs travaux non plus que pour en donner l’image la plus aboutie possible1. Le cahier des charges était bien, tout au contraire, de mettre au pot commun les écueils, interrogations, doutes qui sont le lot de tous les chercheurs et, pour tout dire, non seulement de ne pas les dissimuler mais de les placer délibérément au centre de la réflexion, de les exposer sur la place publique afin qu’ils puissent être discutés. De ce point de vue, même si les contributions réunies dans ce volume ont toutes pour objet l’histoire de la Résistance, elles vont bien au-delà et seront susceptibles d’intéresser ceux que l’écriture de l’histoire intrigue et d’aider chercheurs de toutes périodes et de toutes thématiques.
4Chacun a donc parlé de son expérience singulière, individuelle et, en quelque manière intime, dans la perspective de son propre sujet de recherche. Certains avaient déjà soutenu leur doctorat et bénéficiaient de ce fait d’un relatif recul tandis que d’autres se trouvaient encore immergés dans leur recherche, c’est-à-dire dans la phase délicate et inconfortable de la mise au point définitive de leurs travaux. Tous, malgré la profonde diversité de leurs objets de recherche, nourrissaient des inquiétudes et des interrogations analogues. Qu’il s’agisse d’étudier la désobéissance pionnière autour de la nébuleuse du musée de l’Homme (Julien Blanc) ou l’histoire du Bureau central de renseignement et d’action (Sébastien Albertelli), de retracer les métamorphoses des « vichysto-résistants » (Johanna Barasz) et les déportations de répression (Thomas Fontaine), de scruter les relations de la société corse avec la Résistance (Sylvain Gregori) et les rapports entre la gendarmerie et le corps social (Emmanuel Chevet) ou encore d’éclairer les composantes d’une identité résistante (Cécile Vast), ce sont bien en effet des questionnements voisins et croisés qui surgissent.
5Le défi de ces rencontres consistait à mettre chacun en situation d’exposer le plus librement possible sa propre expérience en privilégiant les difficultés auxquelles il avait été – ou était encore – confronté. Il s’agissait, – ce qui n’est pas si simple –, de permettre à chacun de mettre en lumière ce qui est d’ordinaire relégué au second plan dans la pénombre, à savoir les incertitudes et appréhensions qui s’attachent à tout projet de longue haleine. Tous les intervenants ont accepté de bon cœur de se prêter à cet exercice de réflexivité en faisant fi de l’apparent contrôle de soi – et de son objet de recherche – qui relève de ces codes de bonne conduite auxquels, consciemment ou non, nous nous conformons volontiers. Nul doute que bien des lecteurs retrouveront dans ces pages, au prix d’une légère transposition, quelque chose de leur propre pratique en suivant les chemins et détours que les auteurs ont empruntés pour résoudre de délicates questions. Il n’est pas si commun de parcourir en compagnie du maître des lieux les cuisines, arrière-cours, ateliers où se met au point le patient et minutieux processus d’élaboration des objets de recherche : quand d’aventure cela se pratique, c’est souvent dans le sillage de chercheurs très expérimentés dont la notoriété autorise, voire encourage cette forme d’audace. Recueils d’articles jusqu’alors disséminés et difficilement accessibles, réflexions en forme d’ego histoire, ces parutions, qui rassemblent ce que Lucien Febvre présentait comme « ces épluchures de bois tombées sous le rabot et ramassées au pied de l’établi », sonnent fréquemment comme le couronnement d’une carrière et la consécration d’une position éminente. Le patchwork de jeunes plumes que le lecteur va découvrir dans ce volume n’appartient pas à ce genre et est également très éloigné de la publication des actes d’un colloque classique. Son originalité réside là, dans cette recherche fraîchement émoulue qui dévoile les conditions dans lesquelles elle a vu le jour en même temps qu’elle s’évertue à essayer d’en comprendre les ressorts.
À quelles fins une telle tentative obéit-elle ?
6Il s’agit d’abord de montrer la vitalité et la diversité des études entreprises ces dix dernières années sur le champ de la Résistance. Leur originalité aussi. En exploitant des ressources jusqu’alors inaccessibles ou méconnues, en procédant à une critique constructive de l’historiographie antérieure, en déplaçant les questionnements, en diversifiant les échelles, les recherches de cette nouvelle génération d’historiens livrent une sorte de moisson commune. Sans cesse sur le fil du rasoir, elles donnent à voir une forte tension entre un objet qui a été souvent sacralisé pour des raisons qui n’étaient pas toutes mauvaises, qui en tout cas pouvaient se comprendre, et une volonté de le décortiquer sans le dénaturer. Cette tension-là n’est certes pas l’apanage du champ de l’histoire de la Résistance.
7Il était, par ailleurs, utile que des chercheurs encore très imprégnés de l’épreuve que constitue la rédaction d’une thèse donnent libre cours à leur mémoire toute fraîche de l’expérience qu’ils avaient traversée et tirent à chaud quelques enseignements du périple qui venait (ou qui était en train) de s’achever. Le travail de recherche d’un doctorant, si bien encadré soit-il, peut s’apparenter à une quête au long cours où solitude et isolement constituent souvent de pesants compagnons de route. C’est cela aussi que disent en filigrane les contributions ici réunies.
8C’est contre cela aussi qu’elles devraient permettre de lutter en servant, au-delà de l’éclairage utile sur le thème qui leur est commun, de boussole à d’autres doctorants quelle que soit leur spécialité. Les questions et problématiques abordées dans les interventions de cet ouvrage (délimitation d’un sujet, construction d’un objet, difficultés et obstacles variés, définition et réflexion sur le corpus de sources utilisées) ne sont pas propres au seul domaine des études résistantes. Que cela soit utile à d’autres, que cela fasse écho à leurs propres interrogations, que cela puisse faciliter l’établissement de passerelles entre spécialistes d’époques et de thématiques éloignées, que chacun puisse ouvrir cette sorte de boîte à outils et y prendre sans autre forme de procès ni précaution ce qui peut l’aider, voilà le but réel de ce livre à plusieurs voix – habituées à discuter, ferrailler, échanger entre elles par goût du frottement et parce que cela permet d’avancer – qui se veut, à sa façon, une forme de partage.
Notes de bas de page
1 Les jeunes chercheurs du CH2R dont les contributions sont réunies ici ont publié des résumés de leurs travaux dans Guerres mondiales et conflits contemporains, « Histoire de la Résistance : nouveaux chercheurs, nouveaux apports », no 242, avril 2011, PUF.
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