Chapitre 13. Entre bilan et commentaires ou de l’ingénieur et du clinicien
p. 231-242
Texte intégral
1Si fournir un bilan constitue une figure tout à fait classique de la fonction critique, les résultats apparus à la faveur de celle-ci appellent le plus souvent, à leur tour, pour une quête de sens plus approfondie, les ressources herméneutiques propres à la prise en considération des commentaires. L’opérationnalité première rend ainsi des comptes, arrête des chiffres, dresse un état, clôture, au moins provisoirement, une situation, tout à la fois économique et financière, ou assimilée comme telle et dès lors pensée en fonction des mêmes canons. Nous sommes ainsi explicitement dans l’ordre d’un contrôle qu’une évaluation, lui restant toujours hétérogène, même quand elle l’implique de façon expresse pour s’y adosser, viendra éventuellement réinterroger et déranger avec quelque profit. Tel sera, ici, notre projet, à partir des travaux constituant cet ouvrage.
2Celui-ci nous semble vouloir offrir une palette, un éventail, des recherches (et non plus seulement d’études) que la psychologie sociale, se donnant les moyens d’une approche expérimentale classique, peut, avec quelque spécificité, permettre aujourd’hui, dans les différents domaines du travail et de la prise en compte de la « ressource humaine » (gestion, formation, éducation, recrutement, sélection, représentation de soi, évaluation...). À partir d’une confrontation à des modèles construits souvent à cet effet, il s’agit d’aboutir à une lecture critique des pratiques de formation et d’intervention auprès de groupes, d’organisation ou d’institutions, lecture voulue plus distanciée, avec la double visée d’une production objective (à tout le moins objectivante) de connaissances et d’une optimisation praxéologique de l’action. Qu’il s’agisse d’en contractualiser la possibilité, en lui procurant d’autres ressources que le mécénat ou la subvention, ou d’intentionnalité explicitement marchande au titre d’une « professionnalisation », il apparaît bien ainsi que le projet de recherche ne peut dorénavant (comme y avait déjà insisté Kurt Lewin) ignorer ou négliger complètement les « besoins », les « attentes », la « commande », voire la « demande1 » d’un client (industriel, commercial, associatif ou administratif). La possibilité d’une telle « négociation » (au sens, cette fois, non marchand du terme) entre des intentionnalités inévitablement contradictoires, devrait alors résider, en tout premier lieu, dans la construction du dispositif et du modèle retenus.
3En fait, les travaux présentés collectivement, ici, par l’ADRIPS, à la façon d’une « école » (psychologie et psychologie sociale cognitives, approche expérimentale), ambitionnent, tout à la fois, d’une part, d’établir leur pertinence et leur validité scientifiques, davantage, peut-être, en montrant, en indiquant, qu’en démontrant, comme le souligne Charles Hadji, à travers un de ses commentaires (mais n’est-ce pas déjà très satisfaisant ainsi dans un univers plusieurs fois explicitement reconnu comme étant celui du témoignage beaucoup plus encore que celui de la preuve ?), et, d’autre part, de suggérer Futilité et l’intérêt d’appliquer en retour de tels acquis au plan des pratiques, notamment de formation, pour revisiter un certain nombre d’allant de soi, de routines, et pour mettre éventuellement en lumière, voire pour corriger, quelques illusions.
4Commençons par une remarque de pure forme, mais qui, à l’évidence, intéresse surtout le fond : la conception de l’architecture du recueil illustre aussi ce qu’il convient d’attendre d’une démarche métacognitive, avec ses jeux de commentaires, de « points de vue » et de « regards », critiques, de bilan et de lectures autres : l’auscultation différentielle d’une pratique, par ailleurs élaborée à partir des seules lois de sa propre rationalité. Le travail réflexif y est, alors, explicitement associé à la valorisation d’une pluralité de perspectives et d’instances critiques, voire de référentiels. C’est justement ce que nous entendons, pour notre part, par multi-référentialité (Ardoino, 1993).
5Remarquons-le bien, alors, ce qui se retrouve en question dans une telle entreprise n’est plus seulement affaire de méthodes (empirique, expérimentale ou clinique ?), mais intéresse effectivement des conceptions hétérogènes de la scientificité, des paradigmes et des « visions du monde », impliquant des statuts (objet/objet-sujet-projet, individuel/collectif, personnel/social), compliqués – relevant d’une analytique permettant de décomposer et de simplifier – /complexes (holistique et interactif, systémique) et des modèles (mécanique ou machinique/biologique) de représentations différents de l’objet de connaissance, introduisant à un débat explicitement épistémologique. Dès sa constitution, parallèle aux développements de la sociologie interactionniste (école de Chicago), la psychologie sociale, prétendant articuler en respectant leur mouvement (fonctionnalisme galiléen) des réalités, psychique et sociale, réputées jusque-là hétérogènes, dissociées et plus statiques (type de pensée aristotélicien), fait, en effet, scandale au regard des modèles dominants d’unité et de pureté disciplinaires (Ardoino, 1996, 1997). Déjà l’interaction, reconnue distinctement des termes qu’elle unit, ne figurait pas, à l’époque, parmi les idées les plus communément reçues. Lorsque Lewin emprunte à l’électro-magnétique de Maxwell la notion de champ, pour permettre la représentation opératoire de la dynamique d’un groupe restreint, il provoque, selon le mot de Sprott (1954), une véritable « révolution copernicienne » au sein des conceptions installées de la psychologie et, plus généralement, parmi les « découpes » définissant les territoires des sciences humaines et sociales à cette époque (Moscovici, 1984). À son tour, la dimension utilitaire revendiquée par les chercheurs, quand il s’agit des sciences humaines et sociales, et de leurs applications éventuelles (aide à la décision), tout comme la remise en question corrélative de la distance, voire de la différence de statut sinon de nature, entre chercheurs et praticiens, en tant que condition princeps de l’objectivité, avec la notion de recherche-action, ajoutent encore à ce remaniement profond des rapports entre conceptions proprement scientifiques et administration des pratiques, des stratégies ou des théories de l’action (Ardoino, 1983, 1988). Après la psychanalyse nous apprenant que le comportement volontaire et conscient n’est finalement qu’un état limite, un peu à la façon de la face émergée d’un iceberg, par rapport à un ensemble beaucoup plus vaste d’activités psychiques inconscientes, la psychologie sociale ajoute à son tour les effets propres du jeu des influences, des altérations, des réseaux, aux représentations d’une psychologie classique tendant à privilégier les états de conscience et les dispositions du seul sujet (tendances, aptitudes, capacités). De tels bouleversements constituent des ruptures épistémologiques (au sens bachelardien du terme). Ils entraînent de véritables changements de paradigmes. C’est pourquoi nous entendons situer certaines des interrogations suscitées par la lecture des « propositions et regards critiques » contenus dans Psychologie sociale et formation professionnelle dans le prolongement de l’opposition entre sciences de l’explication et sciences de la compréhension, instruite par W. Dilthey, à la fin du siècle dernier.
6Quant à celles-là, l’ambition de connaissance (peut-être encore discrètement asservie aux vestiges d’une théologie rémanente) reste soumise à l’hypothèse d’une réalité déjà là, stable, qu’elle ne fait que découvrir progressivement à la faveur d’une ascèse et d’une rigueur méthodologiques, même si elle doit reconstruire la représentation de cette réalité en s’aidant de modèles, pour s’ordonner en faits et en lois, avant de s’autoriser à concevoir des théories. Elle postule ainsi la transparence (au moins à terme) de ses objets. Ceux-ci sont toujours voulus décomposables, réductibles en leurs éléments premiers (logiquement ou chronologiquement). Une telle analyse constituera le travail de la méthode qui conduira éventuellement à la mesure. Le compliqué est alors supposé combinaison seulement désordonnée du simple. La complexité n’est encore qu’une des formes du compliqué. Du point de vue axiologique, l’un prime sur le multiple. Il n’y a pas véritablement place dans cet ensemble pour une dialectique du même et de l’autre. C’est pourquoi l’identité se réduira le plus souvent à l’ordre logico-mathématique de l’identique, ou à sa reproduction. La vérité voulue universelle des énoncés scientifiques, conservant sans doute quelques réminiscences nouménales, s’ancre essentiellement dans la contestation (doute) des données phénoménales du sens commun. La subjectivité, surtout perçue en tant que nuisance, par rapport à la visée initiale d’objectivité, garante de la constitution du savoir, se verra disciplinée par l’éducation, sinon éliminée, à tout le moins réduite, par les précautions de méthode. L’économie du temps, jusqu’à l’idéal d’un temps réel, sera de règle, en conséquence. La synchronie structuraliste reléguera la diachronie à l’état accessoire. Les modèles mécaniques, les métaphores de la machine, qui préludent évidemment à l’ingénierie, conviennent particulièrement à cette conception de la science. Au fond, les processus y sont toujours, de la sorte, en attente des procédures qui permettront d’en obtenir la maîtrise en les contrôlant. Les absences, les lacunes, les insuffisances, dans l’ordre du réel, apparaissent comme autant de « trous » à combler, dans la perspective d’une progression, voire d’un progrès. Le plein est la norme (la nature a horreur du vide). Leibniz viendra tout naturellement élargir les vues de Descartes aux dimensions d’un tel état de chose, en ajoutant les possibilités d’une approximation fine et d’une combinatoire, où s’épanouira la méthode hypothético-déductive. Pourtant, il convient de le noter, dans le champ des sciences de l’homme et de la société, même conçues en tant qu’explicatives, quand elles s’avèrent soucieuses de respectabilité canonique, les places du discours et du langage restent très importantes, de toute façon plus importantes que dans le cadre des sciences de la nature, sans doute parce que la matière première constituant les données est essentiellement composée de produits langagiers et de représentations. À moins d’accepter de se borner aux limites étroites d’un behaviorisme, les faits, ici, relèvent encore avant tout de l’ordre du discours et des effets de sens.
7Quant à l’autre versant, celui de la compréhension, il se caractérise par l’intersubjectivité. Celle-ci ne peut être appréhendée qu’à partir d’une vue holistique acceptant le caractère indécomposable des processus vivants individuels et collectifs, des pratiques sociales, des situations au sein desquels des partenaires (adversaires) se retrouvent tout à la fois liés et opposés, unis et divisés par le jeu même de leurs pulsions. Ils tendent à se vouloir auteurs, au moins autant qu’agents ou acteurs, dans la mesure où ils se reconnaissent (et sont reconnus par d’autres) comme également co-créateurs d’un vécu, effectivement situés à l’origine de leurs actes. En ce sens, leurs interactions peuvent être dites impliquées et s’inscrivent dans une temporalité durée constitutive d’une complexité, également entendue comme intelligence de l’hétérogénéité. Les champs respectifs des différentes disciplines anthropo-sociales frontalières se retrouvent plus étroitement imbriqués, à la faveur de débordements, sans pour autant se laisser réduire les uns aux autres. Le pluriel a droit de cité sans dévalorisation excessive. Les identités (personnelle, professionnelle, collective, sociale) tiennent à la fois à la mémoire comme à l’action des influences résultant des altérations et des interactions. Le sens commun reste la matière première évolutive inépuisable des sciences de l’homme et de la société dont les énoncés devront seulement avoir été convenablement retravaillés, si ce n’est reconstruits, pour pouvoir prétendre accéder à un statut scientifique. Dans un tel ensemble, cette fois marqué par l’inachèvement (Lapassade, 1963) d’une réalité qui s’invente au fur et à mesure et qui n’en finit pas, il subsiste toujours de l’opacité même si un travail d’élucidation incessant a bien lieu, puisque ce cryptage se recrée lui-même à travers les échanges de significations, les conflits d’intérêts, la communication, le caractère subtil (dérobé) du discours. C’est pourquoi nous nous retrouvons dans le cadre d’une herméneutique accordant une place importante à l’interprétation. Les modèles de représentation élaborés pour rendre compte de cette vision des choses pourront s’inspirer plus volontiers du vivant (plus biologiques que mécanistes) et les métaphores empruntées seront plutôt celles de l’organisme que celles plus fonctionnelles de l’organisation (tandis que l’institution comprendra des aspects imaginaires et symboliques). Non seulement le rapport de causalité ne saurait plus être représenté de façon classiquement linéaire, mais les idées de « causalité circulaire » et « réciproque », ou la perspective d’un « déterminisme de champ », aboutissent à des transformations profondes des représentations de l’enchaînement des phénomènes en fonction duquel une chose ou un événement est supposé émerger ou advenir2. On peut dire que la causalité, interrogée dans le cadre des sciences anthroposociales est toujours simultanément finalisée, déterminée par des fins (en quête de valeurs), surdéterminée par le sens. Mais comme le disait Castoriadis, à propos de l’éducation (à la démocratie), il reste alors à comprendre et à accepter, en vue de cette conquête de l’autonomie, le fait « que les institutions ne sont, telles qu’elles sont, ni “nécessaires”, ni “contingentes” ; autant dire, l’acceptation du fait qu’il n’y a ni du sens donné comme cadeau, ni de garant du sens, qu’il n’y a d’autre sens que celui créé dans et par l’histoire. » (Castoriadis, 1983). Pour pouvoir devenir nous-mêmes créateurs, nous devons sans doute savoir effectuer le deuil du sacré qui nous abritait jusque-là. L’objet de connaissance, l’homme, doit dorénavant être compris comme objet-sujet-projet3. La philosophie apparemment bannie des sciences humaines et sociales au moment de la naissance de celles-ci, y revient en force, plus explicitement aujourd’hui4, au même titre que les questionnements éthique et politique. Cet univers est plutôt celui du « manque5 » (au sens élaboré par Lacan) que celui du « trou », de la faille, du creux à combler. Parce qu’il est explicitement placé sous le signe de l’inachèvement et, en conséquence, impossible à satisfaire, autre manifestation de nos limites et rappel de la mort inéluctable, le manque est compris comme inépuisable. Il ne saurait jamais disparaître. Il peut probablement constituer, de la sorte, le principe d’une dialectique (plus profonde et plus riche que la dynamique interactive précédente) à laquelle les sciences de la compréhension (ou de l’implication) ne peuvent jamais tout à fait renoncer. Le « manque » cb Lacan s’oppose ainsi à la « rareté » de Sartre (1960)6 qui lui assignait une fonction analogue. Bizarrement ou paradoxalement, quand il s’agit de Sartre, la « rareté » reste de l’ordre du « trou », sans doute pour dénier les affres du manque.
8Nous sommes ainsi, en ce qui concerne les « regards scientifiques », en présence de deux « ensembles », sortes de constellations relativement cohérentes de représentations et de présupposés épistémologiques, qui pourraient difficilement être confondus sans risques sérieux parce qu’ils impliquent finalement des types de connaissance et de scientificité très différents l’un de l’autre. Bien que les pratiques de formation se soient considérablement développées et transformées (en empruntant à l’occasion largement aux acquis de la psychologie sociale), au cours du dernier demi siècle, notamment avec l’émergence d’une éducation permanente des adultes (long life education) et le vote de lois instituant la formation professionnelle continue (dès les années « 70 »), il n’existe pas encore à proprement parler de sciences de la formation. Après plusieurs décennie de sciences pédagogiques ou de « psycho-pédagogie scientifique », les sciences de l’éducation sont apparues, dans notre pays, en 1967. Leur « pluriel » tendant à les déconsidérer quelque peu, la recherche en éducation est encore à l’état d’embryon. Ce sont surtout des chercheurs originaires d’autres disciplines (psychologie, psychologie sociale, sociologie) qui ont entrepris des travaux sur l’éducation généralement mieux reçus. Dans les deux cas, toutefois, la production universitaire n’est pas encore très abondante. Les travaux les plus systématiques concernent l’apprentissage, les dispositifs d’enseignement à distance ou de formation multi-médias, certains aspects de la formation initiale des enseignants (microteaching) ou les didactiques des disciplines, plus facilement modélisables. Par contre, ce qui touche à des formations continuées, ou continues, d’adultes, présentielles et relationnelles, impliquantes, reste relativement confidentiel ou fait l’objet d’informations pseudo évaluatives peu convaincantes. La psychosociologie7, d’inspiration tantôt plus clinique, parfois plus organisationnelle, a ouvert de nombreux chantiers (formation ou intervention) dans les quarante dernières années. Nombre d’entre eux s’intéressent essentiellement à la théorisation de la pratique en vue de son optimisation. Il s’agit le plus souvent de consultants, et non d’experts. Des recherches de plus grande envergure existent néanmoins, comme celles de Max Pagès (1979) sur l’emprise au sein des organisations. La psychologie sociale clinique (Revault d’Allones, 1989 ; Barus-Michel, 1987 ; Barus-Michel, Giust-Desprairies et Ridel, 1996) et la sociologie clinique (De Gaulejac et Roy, 1993) ont également produit quelques enquêtes, notamment dans les domaines de la santé et du travail social. Il faudrait encore mentionner, en ce qui concerne l’intervention, la socioanalyse de Jacques et Maria Van Bockstaele, la socioanalyse issue de l’école de l’analyse institutionnelle (Lourau, 1970), la sociopsychanalyse de Gérard Mendel (1975) ainsi que des travaux de l’école française de sociologie des organisations (Crozier et Friedberg, 1977). Tous ces courants sont peu ou prou issus de la psychologie sociale dont ils constituent des avatars ou des prolongements, chacune de ces options pouvant d’ailleurs de son côté, contribuer à proposer l’alternative de services concurrents. Les approches plus expérimentales8 tiendront, dans la mesure du possible, à une conception énergétique traduite en termes d’effets de force et privilégieront l’explication des faits à travers la mise en évidence de rapports de causalité, tandis que les démarches cliniques, plus herméneutiques, feront place à des jeux et à des effets de sens au niveau des pratiques. Mais, en dépit de ce panorama relativement diversifié, s’il y a bien, de ci, de là des « études » (le plus souvent à intention justificative), la recherche proprement dite reste assez pauvre dans le domaine de la formation, au moins en France (Ardoino, 1982). C’est dire combien l’initiative et les projets de travail du groupe de chercheurs produisant cet ouvrage apparaissent bienvenus.
9Le bilan qu’il est alors possible de dresser apparaît largement positif dans les limites de l’aire de compétence définie par les auteurs. Après tout, il peut aussi y avoir en ce domaine légitimement « autoréalisation des prophéties ». Les domaines d’action sélectionnés et découpés au sein des pratiques présentent un intérêt certain. Les plans d’expérience construits et les dispositifs conçus pour permettre de manipu1er les variables privilégiées à partir de telles modélisations sont performants. Ils « fonctionnent » bien au fil des protocoles. Les résultats, à leur tour, ne sont nullement dépourvus de consistance. Le chercheur inscrit dans une perspective cognitiviste y trouve aisément son compte en validant des concepts et des notions déjà reconnus ailleurs. Les didacticiens remarqueront sans peine une parenté d’intelligibilité au niveau de l’analyse des procédures. Des cliniciens, nous y reviendrons plus loin, pourraient trouver à la lecture des résultats des expérimentations et des commentaires qui les accompagnent des questionnements auxquels ils ne sont pas tellement accoutumés et, parfois, des débuts d’objectivation, au moins sous forme de simulations, de processus qu’ils n’entrevoient, ou ne postulent ordinairement, que de façon beaucoup plus confuse, ou beaucoup plus opaque. L’une des possibilités notables offertes par la psychologie sociale (et par la micro-sociologie, ethnométhodologie inclue) est, sans contestation possible, l’opportunité d’observer le social à l’état naissant, alors qu’il reste inaccessible à d’autres échelles. La psychologie sociale expérimentale entend, semble-t-il, y ajouter la possibilité d’une réduction-modélisation-simulation des phénomènes ou des situations, dans le but d’accroître, au moins analogiquement, leur intelligibilité, même si le prix provisoire à payer se solde par une artificialisation. À leur tour, les professionnels de la formation curieux pourraient certainement apprendre utilement beaucoup de choses propres à éclairer leurs pratiques à partir de ces résultats, qu’il s’agisse de la « formation au management », des bilans de compétences, de « l’autoréalisation des prophéties », de « la norme d’internalité », des ambiguïtés d’une évaluation apparaissant mieux, une fois différenciée du contrôle, en tant que casuistique ou « conjoncturelle » (Figari), ou des « paradoxes de l’expertise », autant que des ressources de « l’entretien cognitif », de « l’analyse textuelle et narratologique des témoignages », ou de « l’analyse naïve des accidents ». Les remarques de François le Poultier9 (voir aussi Morin, 1976) mettent bien en lumière un « imaginaire » de la formation qu’approchait déjà, il y une vingtaine d’année, Michel Morin, imaginaire « couteau suisse » influant sur les commandes et sur les prestations, quand celles-ci restent au niveau de simples allant de soi. On ne peut que s’accorder avec sa position critique, retrouvée aussi dans d’autres contributions composant cet ouvrage. La formation, en tant que fonction sociale comme en tant que pratique professionnelle, ne peut que gagner en qualité et en efficacité à être débarrassée des fantasmes et attitudes magiques qui l’encombrent trop souvent encore. Il est probable que les tenants d’une approche clinique décriraient, analyseraient et interpréteraient ces mêmes problématiques, au moins en partie, autrement. L’importance spéciale dévolue, en de tels courants, à l’écoute, s’ajoutant alors utilement à l’observation, conduirait peut-être à s’interroger sur les positions implicites contenues par certaines formulations, certes tout à fait pertinentes et légitimes, à condition d’expliciter le cadre maintenu d’une maïeutique socratique, ou d’un enseignement programmé, ce qui revient au même. Un psychosociologue ne retiendrait peut-être pas non plus les mêmes critères que supra pour définir une recherche-action (Dubost, 1980). Il faudrait, sans doute, nuancer encore les aspects positifs d’un tel bilan par la prise en considération du fait que les éclairages fournis à partir des protocoles d’expérience commentés sont, eux-mêmes, « gros » des apports d’un savoir de sens commun et d’une culture générale du champ englobant une intelligence déjà multiréférentielle de savoirs issus de disciplines parentes. Cela n’enlève rien à la qualité des résultats, mais en complique la lecture. Serge Moscovici soulignait dans La machine à faire des dieux (1988) qu’il existe toujours des conceptions psychologiques implicites au sein des théories sociologiques, la réciproque étant évidemment vraie de la part des psychologues à l’égard du savoir sociologique. Ici, les pluriels de références sont heureusement plus explicites. La richesse des énoncés, outrepassant ainsi les limites strictes des produits de l’expérimentation, s’en trouve accrue. Une fois le quitus, attribué au comptable, mais englobant les comptes et les résultats acquis, reçu (au titre d’une espèce de contrôle), rien n’interdit évidemment de s’interroger ensemble plus avant.
10Comme l’a déjà souligné Jacques Baillé, c’est au niveau des rapports entre modèles expérimentaux et théories, d’une part, et pratiques, d’autre part, que vont se profiler les difficultés les plus notables et se nouer, en conséquence, les problématiques cardinales. Les deux visées caractérisant le projet (production de connaissances, à partir de la modélisation de processus psychosociaux, avec retour éventuel aux situations pratiques d’origine, aux fins d’optimisation de l’action et d’aide à la décision) ne conduisent-elles pas à un risque d’écartèlement ? L’impureté (Ardoino et Lourau, 1997)10, évoquée supra, marquée dès la sémantique initiale, se retrouve, ici, au niveau d’intentions franchement contradictoires (la notion commode de paradoxe, empruntée aux mathématiciens et aux logiciens, fréquemment employée pour pallier l’évocation d’une dialectique scientifiquement indésirable n’y suffisant plus). Le métissage théorique peut parfaitement s’admettre, mais les métaphores de l’hybridation grincent quelque peu dans le monde machinique de l’ingénieur. Contrairement aux vues (leibniziennes ?) de Michel Serres (1991), métissage et bricolage ne se confondent pas (ce qui ne sous-entend aucun jugement de valeur quant à l’une ou l’autre de ces deux notions). Il y a plutôt ici contradiction non dialectisée, non travaillée. L’ambition de connaissance, et la quête de lois ou d’invariants, tendent en effet vers l’universel, tandis que l’éducation et la formation, toujours casuistiques, privilégient plus volontiers la singularité et la particularité. Mais, surtout, il faut comprendre que le « lien » entre pratique (situation initiale, expérience vécue, et, éventuellement, situation à nouveau vécue, historiquement impliquée, postérieure à la manipulation modélisée) et expérimentation, n’est pas parfaitement réversible. Je peux facilement passer d’une situation concrète à une modélisation (quelle que soit, par ailleurs, la sophistication nécessaire du modèle). Je transforme ainsi ce que je conviens de considérer comme complexe (Ardoino, 1992) en représentation du compliqué, pouvant être manipulée plus aisément. Mais le retour à l’action ne peut s’effectuer aussi facilement. L’inverse n’est donc pas vrai. Ce qui a été réduit, et simplifié, ne correspond plus alors à la complexité de départ (ou d’arrivée, de retour). Même en psychologie sociale expérimentale, une modélisation reste toujours quelque peu orthopédique à partir des besoins de l’expérimentation. La « ruse » de l’ingénieur psychosocial ne suffit pas à le faire oublier. Analogiquement, celui-ci se retrouve dans la situation d’un Champollion recherchant le truchement (et non la médiation) d’une troisième écriture pour permettre l’intelligibilité des hiéroglyphes, inaccessibles plus directement. Ce que nous voudrions réussir à exprimer ici, c’est que les possibilités d’une combinatoire et d’une cybernétique fines peuvent approcher, simuler la vie (biologie) ou la praxis d’une dialectique (qui ne se confondent pas non plus pour autant) sans jamais coïncider pour autant avec elles. C’est toute l’histoire du « Canada dry » ! Il y a bien une ruse de l’ingénieur ! Elle s’appelle au demeurant « négociation » (au sens ou l’on négocie un virage) ou « compromis », mais elle n’a plus grand chose de commun avec les ruses de l’imaginaire et de l’affectivité. C’est une démarche volontaire, mobilisant un « calcul » et des compétences techniques, là où l’autre, éventuellement inconsciente, tire ses principales ressources des pulsions qui l’animent. Il en va de l’art militaire comme des horloges, l’ingénieur apporte sa contribution à la guerre, il ne devient pas nécessairement guerrier, de ce fait, en prenant les enjeux de la lutte à son compte ou en les partageant de façon émotionnelle, quelles que soient par ailleurs ses implications personnelles, en l’occurrence. La conception mécanique ne saurait certainement pas faire l’économie d’une forme de jeu. Il y a toujours du « jeu » (mécanique) entre des rails de chemin de fer, du jeu, encore (ou « élasticité », qu’il ne faudrait surtout pas confondre avec une « flexibilité » humaine comme celle de l’humour, par exemple), dans le fonctionnement d’une machine, dans l’architecture antisismique ou dans la construction d’un pont...Mais on ne saurait non plus confondre ces sortes de jeu avec le jeu ludique de l’enfant ou de l’adulte, en tant que manifestations de l’imaginaire. Pour celles-ci seulement le rôle du désir reste central. C’est là, nous semble-t-il, que réside le débat le plus fondamental intéressant les statuts respectifs du modèle, de la simulation et de l’analogie.
11Nous n’avons d’ailleurs pris en compte, jusqu’à maintenant, que les risques d’une déformation ou d’une réduction, liés à la modélisation, mais il nous semble en outre apparaître assez bien, au fil des pages qui précèdent, un biais plus systématique et plus étonnant encore, confinant peut-être, cette fois, à la dénaturation. Il est en effet question, tout au long de l’ouvrage, des interactions. Dans le sillage de Lewin, on parle à l’évidence de groupe et de dynamique des groupes. Mais de quelles interactions entend-on parler alors ? Les interactions de la physique, de la chimie ou de l’astrophysique, tout comme les logiciels interactifs de la micro-informatique, ne requièrent pas d’être pensés en tant qu’impliqués, affectés, capables de « négatricité » et de stratégies, au contraire des interactions humaines. Qu’en est-il dès lors des interactions objets de la psychologie sociale expérimentale, de celles qui viennent d’être interrogées à travers les protocoles d’expérience composant cet ouvrage ? Elles semblent considérablement simplifiées par rapport au modèle d’une dynamique de champ (pourtant lui-même déjà très homogénéisant). Elles se ramènent presque toujours à la circularité d’une dyade. On comprend sans peine pourquoi. C’est la condition même de l’explication causale. « À travers la manipulation de la cause qu’elle implique, la méthode expérimentale demeure le seul mode d’administration de la preuve qui permette de conclure à une relation de cause à effet inter-sujets11. Les premières représentations de l’interaction sont effectivement conçues comme des dyades, dans la période dite interactionniste de la psychologie sociale (de Ross et Mc Dougall à Baies, voire à Moreno...). précédant la dynamique de champ de Lewin. Ce modèle est celui d’une causalité circulaire. Chacun des termes de la relation est ainsi cause et effet par rapport à l’autre. La relation en sort appauvrie. D’une part, on passera facilement ainsi de cette circularité symétrique à l’idée qu’un des termes de la relation est plus « meneur », l’autre étant censé être plus « suiveur », la réciprocité des processus d’influence cette fois modelée par l’asymétrie. Du même coup, ces interactions ne sont pas tellement non plus appréhendées, saisies, sous le rapport du sens, qui s’échange à leur faveur, ou qu’elles produisent. D’autre part, la richesse propre d’une interaction humaine, au sein même du jeu complexe d’interactions dans lequel elle s’inscrit, tient autant aux « bruits » ainsi suscités, aux effets d’altération de l’environnement qu’à ce qu’on voudrait isoler en tant que relation de cause à effet. Parmi ces bruits, certains peuvent faire vacarme ou briller par leur absence à force de silence. C’est le poids du « non-dit ». La question du sens se repose, à l’échelle, cette fois, des institutions. Qu’en est-il, notamment, du politique dans la formation ? dans la sélection ? au niveau du management ? L’analyse institutionnelle, par exemple, nous aidant à nous interroger quant aux « pour quoi ? » ou « pour qui ? » des dysfonctionnements contribue à la fonction critique d’une toute autre façon que l’analyse des organisations, plus centrée sur les « comment ? », voire « pourquoi ? » ça dysfonctionne de la sorte. Avant même ses mensurations, en tant que performance, la notion de ressource humaine ne devrait-elle pas aussi être interrogée, à la façon de Jacques Guigou ou de Guy Noël Pasquet (1997) ? Quant à son contenu idéologique, en tant qu’avatar contemporain du capital, à une dimension cette fois proprement macro-sociale. Elle reste, en effet, inscrite dans le contexte d’une post modernité et d’une mondialisation (parfois d’un new age) sécrétant à l’envie pensée unique et conformisme, ce qui n’est pas sans affecter le fonctionnement de la pensée critique dont la démarche scientifique reste une des dimensions. L’approche expérimentale n’a d’ailleurs pas l’exclusivité de telles impasses. Des observations parentes peuvent être également effectuées, à propos de la psychologie sociale clinique. On y retrouve la prégnance du modèle dual, ainsi hérité. C’est probablement une des différences sensibles avec la psychosociologie intégrant mieux la spécificité des échanges au sein du groupe ainsi qu’une articulation relativement aisée avec le fonctionnement des organisations.
12Une fois la modélisation effectuée, la réappropriation des effets de l’expérimentation à l’action reste donc très problématique, indépendamment des enseignements très précieux qu’elle peut toujours comporter. Il y a, ici, un pari, une représentation, valant « vision du monde », celui d’une homogénéité fondamentale de tout matériel rationnellement élaboré, qu’il convient de mettre au jour, et, selon nous, de critiquer en vue d’un traitement plus approfondi. Si la connaissance scientifique canonique, expérimentale notamment, a besoin de postuler l’homogénéité de ses énoncés et de ses paradigmes, à l’intérieur de son champ, cela n’entraîne pas nécessairement l’hypothèse de l’homogénéité des données aux modèles ainsi construits. Pourtant, dans le cas présent, ce semble encore être le cas. Il y aurait non seulement transparence mais encore circularité attendue. Or c’est justement la question d’un temps irréversible, entendu ici comme durée qui s’avérera la plus importante quant aux rapports difficiles entre représentations modélisées des situations et situations réellement vécues. Nombre des remarques jalonnant les travaux dont il vient d’être question intéressent les décalages entre des énoncés appris, compris, admis et des comportements qui n’en tiennent plus aucun compte (l’exemple classique des fumeurs), les résistances individuellement et socialement organisées, les systèmes cb défense encore plus inconscients, ne se comprennent qu’à la condition expresse d’une lecture historique. La façon dont des individus et des groupes vont s’approprier vraiment (rendre propre à soi) ce qui les altère, ce qui les affecte, à travers le jeu des interactions, reste largement fonction de leurs rythmes propres, individuels et collectifs (beaucoup plus que des « cadences sociales » qu’on leur impose), des conditions de leur maturation, de leur « fantaisie » (dans l’acception freudienne du terme). On le voit bien, on est à la fois très proche, ici, et malgré tout très éloigné des questions posées par Marie-Christine Toczek-Capelle. Si les distinctions, reprises de Monteil (1985), entre information, connaissance et savoir apparaissent bien aussi pertinentes que bienvenues, dans le cadre des situations de formation, la double définition du savoir comme objectivation de la connaissance et comme organisation singulière des connaissances par le sujet apprenant pose quand même question. Le clinicien entendrait, lui, que la connaissance est cette appropriation singulière, mais alors elle implique la légitimité de l’altération de l’information, d’une trahison, volontaire ou non, par le sujet apprenant. Le risque, à partir des exigences de la modélisation, est de finir par privilégier des trajectoires, là où le formateur doit aussi penser sa réalité, différenciée selon les partenaires, en termes de cheminements12 (Ardoino, 1995).
13Deux lignes de force, qui se confortent au demeurant, se détachent, ou plus exactement structurent l’ensemble de l’ouvrage : le projet d’une psychologie sociale théorique appliquée, « côté cour », posé dès la préface de l’ouvrage par Jean-Léon Beauvois et la définition d’une ingénierie psychosociale, « côté jardin », avancée dans le premier chapitre servant d’introduction à l’ensemble, par Jacques Baillé, Jacques Py et Alain Somat. Il s’agit bien là d’orientations de travail. Elles sont d’ores et déjà prometteuses. Le lecteur aura pu le voir, tout au long des pages qui précédent, un débat critique est ainsi fondé, ouvert. Il n’est pas près d’être clos. Les questions qu’il suscite contribuent bien, d’une part, à la connaissance anthropologique que les sciences de l’homme et de la société se sont données pour objet. L’ancrage au niveau de la pratique, d’autre part, permet de commencer à éclairer, par endroits, un foisonnement de pratiques, confondant trop souvent encore la reconnaissance nécessaire d’une hétérogénéité et d’un pluriel (faisant théoriquement et pratiquement partie de la réalité et, de surcroît, respectables) avec le caractère hétéroclite de vues seulement superficielles et désinvoltes. La psychologie sociale reste ainsi fidèle à sa tradition de pensée (enracinée à travers l’interactionnisme symbolique américain dans un pragmatisme anglo-saxon conservant à la philosophie un rôle aussi pratique que spéculatif) jusqu’à travers son côté double et impur, en défrichant des terres encore peu travaillées. « L’école » évoquée supra, entend réaliser ses programmes à partir de sa cohérence propre et de ses ressources. De tels choix sont évidemment crédibles et, compte tenu des réalisations antérieures (publications déjà effectuées) se traduiront vraisemblablement par une production conséquente. Il convient donc, en tout premier lieu, d’encourager la poursuite d’un tel projet. Nous voudrions aussi y collaborer, à notre façon, en suggérant une collaboration-confrontation plus fréquente, sinon systématique, entre chercheurs spécialistes d’une approche expérimentale et chercheurs privilégiant des démarches cliniques dans le domaine de l’éducation et de la formation. Ces derniers, qui ont une autre expérience de « l’action instrumentée » associée à l’intelligence d’une casuistique compréhensive, pourraient probablement aider utilement à la constitution d’une problématisation intermédiaire, entre les besoins et les commandes de terrain et la modélisation en vue de l’expérimentation. Les modèles qui pourraient ainsi devenir réellement complexes, et non plus seulement compliqués, avec l’apport du vivant à travers le clinique, enrichiraient d’autant la recherche en sciences de l’éducation et de la formation. Un tel partenariat devrait être conçu comme contradictoire pour rester pluri-référentiel, et supposerait, en conséquence, un certain polyglottisme intéressant les langages disciplinaires frontaliers propres aux chercheurs pour qu’un travail au niveau des concepts et des notions ne se limite pas à la précision de certaines définitions également nécessaires, mais comprenne aussi la richesse des polysémies nécessaires.
Notes de bas de page
1 Nous ne pouvons entrer dans le détail, dans le cadre évidemment restreint de ce bilan, quant à ce qui spécifie respectivement entre elles ces différentes notions qui relèvent en fait de registres, et, par conséquent, de langages différents. Toutes sont liées à l’idée d’intervention. Certaines seulement intéressent la recherche. Les besoins (biologie, sociologie, économie) sont réputés décelables, repérables, objectivables en termes rationnels par des démarches d’investigations appropriées. Les attentes (psychologie, psychologie sociale et psychosociologie) prennent sens à l’échelle microsociale des relations et des groupes. Elles privilégient l’intentionnalité dans une optique surtout phénoménologique. La commande (Droit, économie) est contractuelle et précise, avec le plus grand souci possible de transparence, un cahier des charges en même temps que les conditions économiques de sa réalisation. En ce sens la commande se négocie. La demande (psychologie, psychosociologie), enfin, accorde une place beaucoup plus importante à l’irrationnel et au jeu de l’inconscient. Le traitement d’une demande s’inscrit avant tout dans une durée.
2 Ces deux verbes expriment les deux versants que nous avons évoqués précédemment. Ce qui émerge était supposé déjà là et tient de la découverte ou du dévoilement, toujours plus ou moins explicitement attendu, escompté, espéré jusqu’à la maieutique. Ce qui advient s effectue toujours avec quelque surprise.
3 Le mot « projet » revêt pour qualifier l’objet autant d’importance, ici, que le terme « sujet » en exprimant la capacité d’imaginaire, d’invention et d’anticipation de ce dernier.
4 Au demeurant la philosophie a toujours habité ces sciences pendant la période d’ostracisme positiviste, seulement de façon plus clandestine, et, par conséquent, plus dangereuse puisque ce camouflage contribuait à la soustraire au regard de la fonction critique. L’idéologie y trouvait évidemment son compte.
5 Cette opposition entre les représentations respectives du « trou » et du « manque » est partagée avec Guy Berger au cours d’échanges et de travaux en préparation (Berger, 1997).
6 Rappelons, pour la petite histoire, que Georges Lapassade, en 1961, Didier Anzieu en 1961 et Jacques Ardoino en 1962 ont esquissé des parallèles entre la description idéale de la genèse dialectique des groupes selon Sartre et ce qu’on savait alors de la dynamique des groupes appliquée à la formation (Ardoino, 1962).
7 La « psychosociologie » reste franco-française et n’a guère d’équivalent dans les autres cultures, sauf peut-être dans quelques pays francophones. Illustrée notamment par Max Pagès, Eugène Enriquez, André Lévy, Jean-Claude Filloux, André de Peretti, elle est aussi d’inspiration résolument clinique, en tout cas toujours praxéologique, et nous semble mieux convenir aujourd’hui à l’opposition que JeanLéon Beauvois caractérisait comme schématique entre chercheurs et praticiens appartenant aux anciennes générations. Le psychosociologue rémunéré pour ses prestations peut aussi être appelé en tant qu’expert (diagnostic, analyse de situation) mais, le plus souvent, il effectue à travers son intervention auprès de son client collectif un travail d’accompagnement, voire de formation, qui est beaucoup plus celui d’un consultant que celui d’un expert. Avec les années, la psychosociologie qui a commencé à pénétrer un marché d’entreprises et d’administrations, à partir d’associations « loi de 1901 » (ANDSHA, ARIP, CEFFRAPE, GROUPE FRANÇAIS DE SOCIOMETRIE, plus récemment CIRFIP) et d’organismes professionnels, qu’elle partagera en fait avec les conseils en organisations (CEGOS), puis, ensuite, avec les sociologues des organisations et les socioanalystes, entre enfin dans les universités (Paris VIII, Paris VII, Paris IX, Paris X, Nancy, etc.) pour essaimer jusqu’à aujourd’hui (Ardoino, 1975 ; Mendel et al., 1980 ; Dubost, 1987).
8 Illustrées, en France, entre beaucoup d’autres, sans compter les auteurs de cet ouvrage, par les travaux de Claude Faucheux, de Robert Pagès, de Serge Moscovici, de Denise Jodelet.
9 Il a été notamment fait allusion au caractère vague, « fourre tout » et finalement devenu mystificateur du « savoir être », différencié du « savoir » et du « savoir-faire ». Je saisis, ici, l’occasion d’un commentaire, sur ce point, dans la mesure ou je crois bien être, vers 1963, l’un des tous premiers à avoir utilisé ce tryptique qui devait faire ensuite le tour de la francophonie (Propos actuels sur l’éducation. Institut d’Administration des Entreprises de l’Université de Bordeaux, cahier no 6). Lorsque je l’ai ainsi employé, c’était pour distinguer de l’instruction et de l’enseignement, ou de l’apprentissage classiques, un autre type de formation, expériencée, vécue, voulant au moins agir au niveau des représentations et des attitudes, mettant en jeu d’autres formes d’implications et mobilisant des affects, qui était en train de se développer en s’essayant. Il ne s’agissait donc pas, alors, et il ne s’agit pas davantage maintenant d’un concept opérationnalisable. Par contre, ce terme conserve toujours aujourd’hui une utilité, malgré son flou, dans la mesure (ce terme choisi ici avec un clin d’oeil) où il demeure holistique, à l’évidence non divisible, non mesurable, ce qui n’est ni le cas du savoir, ni du savoir faire, pouvant être plus facilement traduits et distribués en compétences. Il en va du savoir être comme de l’humour, on ne saurait les factorialiser aisément, et pourtant on conserve le besoin de telles notions, au niveau d’un langage de sens commun.
10 Il est assez étonnant de voir la place conservée par cette notion mythique de pureté, jusque dans les milieux scientifiques les plus épris de rigueur. Jean-Léon Beauvois évoque d’ailleurs, dans sa préface, une telle attente subsistant au niveau des « chercheurs » : « Puis il y avait ceux qui posaient des problèmes théoriques à l’aide de concepts issus du savoir théorique, consolidés dans le processus de recherche ? recherche empirique mais pure. »
11 Cf. supra, Daniel Alaphilippe. Une lecture plus attentive de cette contribution souligne encore la pente vers la réduction duale de la relation inter-sujets que nous croyons percevoir. Notamment, la distinction entre micro-social et macro-social s’estompe jusqu’à se diluer.
12 La notion de trajectoire, astrophysique, balistique, évoque la course « externo-déterminée » (David Riesman Jean-Paul Sartre) d’un mobile en mouvement mais inerte par lui-même parce que privé d’autonomie, tandis que le cheminement est celui d’un vivant qui avance à son rythme, à sa fantaisie et qui creuse son chemin (cf. Antonio Machado).
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