Chapitre 12. L’entretien cognitif : un outil pour les professionnels de la justice
p. 211-223
Texte intégral
La démarche de former des professionnels de la justice à des techniques d’entretien issues de travaux de psychologie scientifique
1L’entretien cognitif s’inscrit directement dans une démarche de formation de professionnels à des concepts ou à des outils de psychologie sociale, démarche encore peu développée aujourd’hui, du fait probablement de l’avancée encore modeste de la discipline dans une perspective d’application, et de la difficulté éprouvée par les chercheurs à faire connaître et à montrer l’intérêt immédiat des théories psychosociales dans le milieu professionnel. Cette démarche peut être simplement considérée comme une volonté d’application de la psychologie scientifique portant sur l’utilisation de techniques découlant des recherches effectuées dans le domaine de la mémoire humaine et dans le champ plus appliqué du témoignage oculaire (qui fait appel aux théories et concepts de psychologie sociale et cognitive), permettant d’améliorer la pratique de l’entretien, en particulier dans le cadre de l’audition de témoins ou de victimes. L’objectif visé est de permettre à des professionnels de la justice d’améliorer qualitativement et quantitativement leurs pratiques en matière d’audition de témoins et de victimes, en leur apportant des outils et/ou en les aidant à adapter les outils habituellement utilisés.
Quelques données chiffrées permettant d’évaluer la nécessité de recourir à des techniques efficaces
2Quelques données chiffrées concernant la criminalité apparente en France, telle qu’elle apparaît retranscrite dans les procès verbaux relevés, en 1992, par la Direction Centrale de la Police Judiciaire, permettent de cerner l’étendue du champ d’application possible des techniques d’entretien. En 1992, et les chiffres paraissent à peu près stables depuis 1988, 3 424 811 crimes et délits (à l’exclusion des infractions relatives à la sécurité routière) ont été recensés en France. Parmi ces crimes et délits, une très forte proportion concerne des infractions contre les biens (2 615 444, dont seulement 9 737 vols à main armée). Ont été également recensées, dans la même période, 394 665 infractions astucieuses contre les biens (fausse monnaie, délinquance économique et financière, etc.), 599 231 infractions contre la paix publique et l’État, 146 095 infractions contre les personnes (dont 2.824 homicides et 5 356 agressions sexuelles). Si la majorité des infractions constatées ne nécessitent sans doute pas d’employer une démarche élaborée de recueil d’informations, on peut constater que plusieurs dizaines de milliers d’affaires paraissent, chaque année, en France, de nature à devoir faire l’objet d’une attention particulière de la part des services d’investigation criminelle. Le témoignage oculaire fait partie de ces éléments qui sont à même de constituer un déterminant important de résolution d’une affaire criminelle. Les professionnels de la justice en critiquent bien souvent, et non sans raison (pour une revue de question en français, voir Bertone, Mélen, Py et Somat, 1995), la fiabilité et l’exactitude. Ils ne paraissent pas, cependant, employer de techniques constituées destinées à améliorer la mémoire des témoins.
3En effet, si les policiers, par exemple, bénéficient d’une formation théorique souvent consistante, ils sont amenés à pratiquer leur profession de manière très intuitive, en particulier dans le cadre des auditions. C’est d’ailleurs dans ces termes que les policiers décrivent un bon enquêteur dans son activité d’interrogation des témoins : « un fonctionnaire intuitif, expérimenté, qui sait établir un bon contact avec l’interlocuteur », c’est-à-dire surtout « qui sait mettre le témoin ou la victime en confiance ». Au dire des policiers, il existe donc de grandes différences interindividuelles dans « l’art et la manière » de mener une audition. Cependant, tous respectent un cadre général, principalement dans le but de faciliter la rédaction du procès verbal, qui constitue l’aboutissement de la séance : 1) après quelques questions d’ordre signalétique, le témoin rappelle librement les faits. Cette étape paraît relever de deux objectifs distincts : mettre le témoin en confiance, et posséder une trame chronologique des faits. 2) l’enquêteur pose une suite de questions précises dont les réponses seront consignées, après avoir été traduites, dans le procès verbal qui est constitué au fur et à mesure de cette seconde partie de l’audition. Les questions spécifiques constituent donc l’essentiel de la procédure de recueil du témoignage. À la suite de cette série de questions, le témoin relit éventuellement le procès verbal. Dans de très rares cas, il demande des modifications. Le plus souvent, le témoin signe le procès verbal après avoir « jeté un œil ». Un procès verbal représente approximativement un tiers de page pour une banale agression dans la rue, une page pour un homicide, quelquefois davantage. La durée d’une audition variera également en fonction de l’importance de l’affaire traitée : 10 ou 15 minutes pour une affaire banale, plusieurs heures pour une affaire importante et délicate.
Les problèmes liés à l’audition telle qu’elle est pratiquée habituellement
4Le principal problème concernant les auditions est directement lié à la procédure utilisée : il s’agit du peu d’importance accordée par l’enquêteur au libre report de l’événement pour lequel le témoin est entendu, et par conséquent, de l’importance accordée par l’enquêteur aux questions spécifiques selon un protocole adapté à la rédaction d’un rapport. Globalement, le policier court le risque d’influencer les réponses du témoin au travers des questions posées, et, systématiquement ne respecte pas le cheminement mental du témoin.
5Plus précisément, il a pu être constaté que (Fisher, Geiselman et Raymond, 1987) :
l’enquêteur entrecoupe fréquemment la narration du témoin (et perturbe ainsi sa concentration) ;
il utilise des questions très fermées, c’est-à-dire brèves, directes et ne portant que sur un élément d’information spécifique (ce qui amène le témoin à fournir des réponses également brèves, à omettre d'autres éléments, et plus généralement à devenir passif) ;
il enchaîne des questions selon un ordre préétabli, et souvent en décalage avec la description du témoin (ce qui risque de faire perdre au témoin le fil de sa pensée) ;
plus spécifiquement, l’enchaînement des questions est fréquemment arbitraire, de telle sorte que le témoin doit répondre à une question concernant une modalité sensorielle, par exemple visuelle, à la suite d’une question concernant une autre modalité sensorielle, par exemple auditive (réduction de 19 % des informations rappelées, selon Fisher et Price-Roush, 1986), ou bien doit passer d’une image mentale (un visage) à une autre (vêtements), pour revenir à la première (les lunettes). De manière similaire, il est possible d’observer le passage d’une question très spécifique (la couleur d’une arme) à une question d’ordre général (pourquoi pensez-vous qu’il a tiré ?). Ces types d'enchaînement de questions de nature différente augmentent le coût du travail de recherche en mémoire et perturbe le rappel des événements ;
l’enquêteur peut avoir tendance à utiliser un langage trop formel qui impose une distance psychologique avec le témoin ;
il peut utiliser des commentaires à caractère évaluatif (« vous devriez vous souvenir ») qui peuvent rendre le témoin défensif et anxieux ;
il peut avoir tendance à poser une succession de questions selon un rythme rapide et régulier, obligeant le témoin à s’adapter et à se conformer de manière à fournir des réponses également rapides. Le témoin ne prend pas le temps d’élaborer ses réponses, dans l’attente qu’il est de la question suivante ;
il peut formuler ses questions de manière négative ou dirigée. Une question négative contient une négation dans la formulation (« vous ne savez pas dans quelle main l’individu tenait l’arme ? »). De telles questions augmentent sensiblement la probabilité que le témoin réponde par la négative, et donc diminuent le volume d’éléments d’information rapportés. Plus grave, dans le cadre d’une investigation criminelle, sont les questions dirigées qui sont formulées de telle sorte qu’elles induisent des éléments d’informations qui non seulement ne seraient pas mentionnés spontanément par le témoin, mais qui peuvent s’avérer totalement faux. Une fois qu’une information erronée est insérée dans le discours du témoin, il devient hautement probable qu’elle resurgisse spontanément lors d’une audition ultérieure.
6Chacun de ces aspects problématiques peut être traité, et sans doute est-ce nécessaire. D’ailleurs, l’entretien cognitif inclue un certain nombre de propositions destinées à améliorer la formulation des questions. Cela étant, le plus sûr moyen de ne pas influencer un témoin paraît encore d’éviter le recours systématique à des questions. Il suffit pour cela de donner une importance particulière au libre report des faits, ce qui est un des objectifs de la technique proposée ici.
L’entretien cognitif
Les fondements théoriques
7Les fondements théoriques de l’entretien cognitif sont principalement issus des nombreuses recherches effectuées en psychologie cognitive concernant la mémoire humaine, et plus spécifiquement d’un modèle élaboré de la mémoire : la théorie de l'encodage spécifique de Tulving (1983). Ce modèle peut être considéré comme le principal fondement des techniques destinées à améliorer la mémoire des témoins. À partir de ce modèle, deux principes théoriques ont pu en être extrapolé, principes à l’origine des techniques de l’entretien cognitif : 1) on a d’autant plus de chances de se souvenir d’un événement que la situation de récupération est similaire à celle d’encodage ; 2) on peut utiliser, le plus souvent, plusieurs indices différents pour aller récupérer une même trace en mémoire. En d’autres termes, on peut accéder à une même information en mémoire en empruntant plusieurs chemins possibles.
Les quatre règles
8En 1984, Geiselman, Fisher, Firstenberg, Hutton, Sullivan, Avetissian et Prosk ont publié le premier article présentant la technique appelée « entretien cognitif » (cognitive interview) et destinée à optimaliser la restitution des souvenirs du témoin, par l’intermédiaire de quatre consignes.
La recontextualisation environnementale et émotionnelle
9Elle est fondée sur le premier principe évoqué précédemment (rapprochement des situations d’encodage et de récupération) et inspirée de la technique de remise en contexte élaborée notamment par Smith (1979) et Malpass et Devine (1981). Cette technique consiste à demander au témoin, avant tout rappel, de se remettre mentalement dans le contexte environnemental et émotionnel présent au moment de l’encodage. Notons que les deux dimensions du contexte, interne et externe (Davies, 1986), sont distinguées clairement par les auteurs bien qu’incluses dans la même consigne. Selon Memon et Bull (1991), la recontextualisation peut être considérée comme la consigne la plus efficace de l’entretien cognitif.
L’hypermnésie
10L’hypermnésie est la seconde consigne présentée au témoin et a exactement les mêmes fondements théoriques que la recontextualisation (1er principe). Il est demandé aux témoins d’abaisser leurs critères subjectifs de réponse et de rapporter le maximum d’informations, même celles qu’ils considèrent comme partielles ou peu importantes. Cette règle est destinée à augmenter la similarité entre la situation d’encodage et celle de restitution. En outre, le fait de restituer des détails partiels permet d’utiliser ces derniers comme indices afin de récupérer des informations plus importantes, selon les processus décrits par Tulving. L’hypermnésie a également une autre visée, beaucoup plus pratique : les témoins ne sont pas toujours à même de juger ce qu’il est pertinent ou pas de rappeler dans le cadre d’une enquête judiciaire et ont souvent tendance à s’autocensurer. La consigne d’hypermnésie permet de pallier ces inconvénients. Compte tenu des fondements théoriques très similaires de la recontextualisation et de l’hypermnésie, il est possible de présenter successivement ces deux règles au témoin avant son premier rappel libre.
Le changement d’ordre
11La troisième consigne présentée au témoin consiste à lui demander de raconter l’événement faisant l’objet du témoignage dans un ordre chronologique différent par rapport au premier rappel. Cette règle est fondée sur le second principe évoqué (pluralité des chemins d’accès aux souvenirs) et sur plusieurs données issues de recherches expérimentales, notamment d’une investigation menée par Whitten et Léonard (1981) ayant permis de tester avec succès cette consigne sur la mémoire autobiographique. Selon les auteurs, lorsque les sujets doivent rappeler un événement en « ordre inverse », les items qu’ils restituent en premier sont les plus récents, donc les plus facilement restituables (effet de récence). Or, les souvenirs des événements n’étant pas complètement indépendants, la restitution d’un item augmenterait la probabilité de rappel de celui qui est chronologiquement proche. C’est pourquoi, par une sorte d’effet « boule de neige », le rappel des items les plus récents faciliterait le rappel des items plus anciens, qui faciliteraient à leur tour le rappel des items encore plus anciens, etc.
12En outre, le rappel à l’endroit serait exclusivement dépendant des schémas que le sujet a dans la tête au moment où il restitue. Ainsi, Belleza et Bower (1982), ainsi que Belleza (1983), à partir d’une distinction entre les informations consistantes versus inconsistantes avec le schéma, ont montré que le rappel des informations inconsistantes était généralement plus pauvre dans ce cas. En revanche, lors d’un rappel à l’envers, la probabilité d’utilisation du schéma serait considérablement diminuée, d’où une amélioration du rappel des informations inconsistantes. Geiselman et Callot (1990) ont réalisé une expérience dont les résultats sont en accord avec ces suppositions. En fait, pour obtenir un récit le plus complet possible, constitué à la fois d’informations consistantes et inconsistantes, il est utile d’employer les deux types de rappel : à l’envers et à l’endroit.
Le changement de perspective
13La dernière consigne présentée au témoin consiste à lui demander de changer de perspective lorsqu’il restitue l’événement critique. Cette règle est fondée également sur le second principe théorique évoqué, ainsi que sur une recherche effectuée par Anderson et Pichert (1978). Les résultats de cette dernière ont permis de montrer qu’un changement de perspective permettait de voir resurgir des informations importantes pour cette perspective et non restituées lors d’un premier rappel. Cette amélioration du rappel obtenue avec une autre perspective peut, comme la consigne précédente, être expliquée en terme de schéma. Toutefois, le moment précis où le schéma interviendrait (à l’encodage ou au moment de la récupération) et la façon dont il interviendrait ne fait pas encore l’objet d’un consensus dans la littérature.
Les preuves expérimentales en laboratoire
14L’efficacité de l’entretien cognitif a pu être mise à l’épreuve au cours d’une série de recherches effectuées par l’équipe américaine à l’origine de la technique, mais également par des équipes indépendantes. La première recherche, effectuée par Geiselman et al., en 1984, consistait à placer 16 étudiants en situation réelle : ces derniers assistaient à un incident durant un cours (dispute entre deux enseignants). Quarante-huit heures plus tard, ces mêmes témoins-étudiants devaient restituer l’événement par écrit. La moitié d’entre eux ne bénéficiaient d’aucune consigne particulière tandis qu’on présentait aux autres les quatre règles que constitue l’entretien cognitif. Les informations restituées par les étudiants étaient ensuite classées en trois catégories : les personnes, les objets et les événements (actions). Les résultats ont révélé une supériorité de l’entretien cognitif quant au nombre d’informations correctes restituées, en ce qui concerne les personnes (+ 49 %) et les événements (+ 25 %). L’entretien cognitif n’a pas conduit, en outre, à une augmentation significative du nombre d’erreurs.
15Notons que les variables dépendantes généralement utilisées dans les recherches portant sur l’entretien cognitif sont généralement le nombre d’informations correctes restituées, le nombre d’erreurs et le nombre d’affabulations. On s’attend, en effet, à ce qu’une telle technique soit jugée efficace à partir du moment où elle conduit à une augmentation significative de la quantité d’informations correctes restituées sans augmentation conjointe des erreurs ou des affabulations, ou, en d’autres termes, qu’elle permette de conserver, voire d’améliorer la proportion d’exactitude contenue dans le récit du témoin.
16S’il est vrai que l’efficacité de l’entretien cognitif a été essentiellement mis en évidence par l’équipe de Geiselman, dans le cadre de l’Université de Los Angeles, on trouve plusieurs validations indépendantes de la technique. En Allemagne, en 1991, Ascherman, Mantwill et Köhnken ont pu répliquer les résultats obtenus par Geiselman. Un film d’une durée de 11 minutes était montré à 29 étudiants. De 2 à 9 jours plus tard, les sujets étaient auditionnés à propos du film en question soit par la technique de l’entretien cognitif soit par entretien standard. La restitution s’effectuait par écrit. Les résultats ont permis de mettre en évidence une supériorité de l’entretien cognitif quant à la richesse du témoignage, sans augmentation sensible du nombre d’erreurs, mais en ce qui concerne le rappel libre uniquement. En effet, ces auteurs n’ont pas relevé de différence significative entre l’entretien standard et l’entretien cognitif en ce qui concerne les questions spécifiques.
17Py, Ginet, Desperies et Cathey (1997) ont montré l’efficacité d’une version française de l’entretien cognitif au cours d’une expérience ayant concerné 71 étudiants de psychologie de l’Université de Savoie qui visionnaient, lors d’une première étape, un film d’environ 4 minutes (cambriolage). Les étudiants témoignaient ensuite à l’oral, 48 heures après le visionnement. Les enquêteurs étaient des collègues des chercheurs menant l’expérience. La spécificité de cette version résidait dans le poids accordé au rappel libre et à la dissociation systématique des règles afin d’éviter l’association de certaines règles mutuellement exclusives (comme, par exemple, le changement d’ordre et la recontextualisation). L’entretien cognitif consistait ainsi en trois rappels libres suivis de questions spécifiques : on présentait les consignes de recontextualisation et d’hypermnésie suivies d’un premier rappel libre, puis la consigne de changement d’ordre suivie d’un second rappel libre et enfin la consigne de changement de perspective suivie du dernier rappel. Quant à l’entretien standard, il consistait simplement en deux rappels libres suivis également de questions spécifiques. Les résultats ont permis de montrer une très nette supériorité de l’entretien cognitif sur l’entretien standard quant au nombre d’informations correctes restituées par les témoins, et cela aussi bien en ce qui concerne les données recueillies lors des rappels libres que les réponses aux questions posées par l’enquêteur. On ne note pas, dans cette recherche, de résultat significatif en ce qui concerne les erreurs et les affabulations. Le bénéfice retiré par l’emploi de l’entretien cognitif s’est révélé bien plus important dans cette recherche par rapport aux investigations citées précédemment, ceci étant peut-être la conséquence de l’importance accordée au rappel libre. Il s’agit, d’ailleurs, d’un des principes préconisés par l’équipe américaine dans une version dite révisée de l’entretien cognitif proposée en 1987 (Fisher, Geiselman, Raymond, Jurkevich et Warhaftig, 1987) et très efficace puisque les auteurs ont obtenu un accroissement de plus de 45 % d’informations correctes restituées par rapport à la version originale.
18Ajoutons, enfin, que l’entretien cognitif a été testé également auprès de populations spécifiques présentant des capacités mnésiques plus limitées, tels que les enfants (Geiselman et Padilla, 1988 ; Saywitz, Geiselman et Bornstein, 1992 ; Memon, Cronin, Eaves et Bull, 1992), les handicapés mentaux (Geiselman et Brown, 1990) et les personnes âgées (Mello et Fischer, 1996). L’entretien cognitif semble tout aussi efficace avec ce type de population, pour peu que soit utilisé un protocole adapté.
Du laboratoire au terrain
19Si l’efficacité de l’entretien cognitif a pu être mise en évidence dans des conditions strictes de laboratoire, il n’en demeure pas moins que la question essentielle reste de savoir si une telle technique peut être applicable sur le terrain (avec toutes les contraintes temporelles, matérielles et administratives qu’il implique) et si elle peut être facilement acquise et utilisée par les professionnels de la justice (selon leur niveau de formation, leur pratique, leur résistance au changement, etc.) auprès de réels témoins (population beaucoup plus hétérogène que la population étudiante généralement utilisée dans les recherches), tout en demeurant efficace. Certaines recherches, à visée davantage écologique, permettent d’apporter des premiers éléments de réponse. Par exemple, Geiselman, Fisher, MacKinnon et Holland, en 1985, ont conduit une expérience au cours de laquelle un véritable effort d’application a été réalisé : les entretiens n’étaient plus effectués par écrit, mais à l’oral et de manière interactive. Les témoins n’étaient pas des étudiants mais des personnes de professions diverses. Enfin, les enquêteurs étaient des inspecteurs de police expérimentés. L’entretien cognitif a été ainsi comparé avec les entretiens standard tels que les pratiquent habituellement les policiers. Les témoins visionnaient un film relatant soit un vol à main armée d’une banque soit d’un magasin d’alcool. Quarante-huit heures plus tard, ils étaient auditionnés soit selon la méthode de l’entretien cognitif soit par entretien standard. Là encore, l’entretien cognitif a permis une augmentation de plus de 17 % du nombre d’informations rappelées par rapport à l’entretien standard, sans augmentation significative du nombre d’erreurs ou d’affabulations. Notons que dans cette expérience, d’autres variables ont été prises en compte, telles que le sexe des témoins, leur niveau d’instruction, leur âge, et qu’elles n’ont pas révélé d’effet significatif. Les auteurs ont également contrôlé l’influence éventuelle de la durée de l’entretien, du nombre de questions posées, de la compétence de l’enquêteur ou de la motivation des sujets sur les résultats observés. Ces variables n’ont pas eu non plus d’effet significatif.
20Il restait, cependant, à vérifier que l’entretien cognitif puisse être aisément utilisable par ceux-là même pour qui il a été constitué. Ainsi, en 1989, Fisher, Geiselman et Amador ont réalisé une expérience visant cette fois-ci à tester l’efficacité de l’entretien cognitif auprès de témoins « réels » ou de victimes « réelles » de crimes. L’expérience a consisté à former des policiers à l’entretien cognitif. Deux mesures dépendantes ont été choisies : la comparaison entre le nombre de faits élucidés par des policiers avant qu’ils soient formés à l’entretien cognitif et après, ainsi que le nombre de faits élucidés par des policiers formés à l’entretien cognitif en comparaison avec des policiers non formés. Les résultats, portant sur 88 auditions de témoins, indiquent une supériorité de l’entretien cognitif par rapport aux entretiens de police standard quant au nombre de faits élucidés, et ce, quelque soit la mesure dépendante considérée. L’entretien cognitif, dont l’efficacité est avérée dans le cadre du laboratoire, paraît donc adaptable sur le terrain. L’objectif de cette étude a été alors de former des professionnels de la justice et d’évaluer les retombées d’une telle formation sur leurs pratiques de terrain.
Former des professionnels de la justice à l’entretien cognitif
21La démarche d’application des théories et concepts issus de la recherche fondamentale à la pratique sur le terrain nous a conduit à proposer un module de formation à des professionnels de la justice. L’École Supérieure de la Police Nationale située à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or, qui assure la formation initiale et la formation continue des commissaires de police sur l’ensemble du territoire français s’est, la première, montrée intéressée par la démarche proposée. Une formation de 4 jours sur le site de l’école a donc été organisée.
22Cette formation expérimentale visait à la fois à présenter sommairement le champ de recherche de la psychologie du témoignage oculaire et les principaux enseignements que l’on peut en tirer dans le cadre de l’évaluation de la fiabilité d’un témoignage (voir Bertone, Mélen, Py et Somat, 1995, et Beauvois, Bertone, Py et Somat, 1995). À titre d’exemple, de nombreux travaux indiquent que :
contrairement à une idée courante, les événements ayant provoqué de fortes émotions (par exemple, un hold-up) ne font pas forcément l’objet de souvenirs plus précis que des événements ayant suscité de faibles émotions (Loftus, 1979) ;
on néglige, en tout cas très certainement en France, l’exactitude du témoignage des enfants. Ceux-ci sont plus que les adultes sensibles à la formulation des questions. Le problème se situe donc davantage au niveau de la compétence de l’enquêteur qu’à celui des problèmes mnésiques de l’enfant, qui sont, en fait, très comparables à ceux de la personne âgée : il s’agit principalement de problèmes de distribution de l’attention dès lors qu’une scène comprend de nombreux éléments et de problèmes de suggestibilité dus à un manque de mémoire (voir Yarmey, 1984, pour une revue de question) ;
l’expertise des policiers en matière de témoignage, qui paraît largement acceptée par les juges et les jurés, n’est pas une donnée qui va de soi. La supériorité des policiers, due principalement à des effets de motivation, est quantitativement significative mais faible ;
la relation entre la certitude affichée par un témoin et l’exactitude de son témoignage est extrêmement limitée, contrairement, là encore, à l’opinion partagée par la plupart des policiers, magistrats ou jurés (voir Wells et Murray, 1984, pour une revue de question) ;
les témoins font, en moyenne, 22 % de fausses reconnaissances supplémentaires lorsqu’ils cherchent à reconnaître un suspect d’une autre « race » que la leur, en comparaison du cas où le suspect fait partie de leur propre ethnie (Malpass et Kravitz, 1969) ;
enfin, plusieurs recherches de psychologie sociale indiquent que les connaissances préalables d’un témoin (ses attitudes, préjugés, stéréotypes, etc.) affectent sa perception d’une scène ambiguë, voire l’amènent à reconstruire l’événement en mémoire de manière à le faire correspondre à sa vision du monde.
23Cette présentation de la psychologie du témoignage correspondait aux deux premières demi-journées. La troisième demi-journée était destinée à une critique des entretiens pratiqués habituellement par les professionnels de la justice, et à une présentation des solutions possibles, essentiellement en ce qui concerne la formulation des questions. Étaient ensuite abordés les fondements théoriques de l’entretien cognitif, puis la technique proprement dite telle que nous l’avons adaptée, au moyen de mises en situation. Les principales modifications que nous avons pu apporter au protocole de l’entretien cognitif tiennent dans une systématisation de la démarche, qui nous a amené à présenter successivement les 4 règles, alors que classiquement elles sont présentées ensemble avant l’entretien. Ce protocole comprend donc plusieurs rappels libres, ce qui permet d’éviter au maximum les questions spécifiques. Cette manière de procéder offre également plus de souplesse à l’enquêteur qui peut, selon la personne qu’il a en face de lui et le temps dont il dispose utiliser les principales règles (recontextualisation et hypermnésie qui ne nécessitent qu’un seul et même rappel libre) ou recourir à l’une ou l’autre des règles de changement d’ordre et de changement de perspective.
L’utilisation possible de l’entretien cognitif dans la pratique quotidienne d’un professionnel de la justice
24Sur le fond, c’est-à-dire sur les contenus même du stage de formation et leur applicabilité dans le cadre d’audition de témoins, les évaluations « à chaud » des stagiaires, concernant plus spécifiquement la technique de l’entretien cognitif, pourraient être énumérées ainsi :
on pourrait, sans doute, travailler encore le caractère appliqué de l’entretien cognitif, en particulier pour une population d’inspecteurs de police qui seraient les premiers concernés ;
ce type de formation pourrait être intégrée au cursus de formation initiale des policiers ;
le protocole apparaît comme suffisamment souple pour être utilisé facilement dans de multiples situations qui en valent la peine (pour un commissariat d’une petite ville de province, cela pourrait concerner 4 ou 5 affaires par an) ;
intérêt du protocole par rapport au confort qu’il offre au témoin, à l’écoute qu’on lui accorde ;
objectivité de l’enquêteur qui interfère très peu dans l’audition ;
intérêt teinté de scepticisme quant à l’efficacité brute de la technique, sur un plan purement quantitatif ;
utilisation possible de l’entretien cognitif dans le cadre de séances de debriefing de collaborateurs à la suite d’une intervention.
25Au-delà de ces réactions « à chaud », qui fournissent une évaluation partielle de l’efficacité de la formation (voir Le Poultier, dans ce volume), il nous a semblé opportun de vérifier, dans un cadre expérimental, que les stagiaires possédaient bien, à l’issue de la formation, un outil efficace leur permettant d’améliorer leur pratique de l’audition de témoin.
Une procédure d’évaluation de la formation à partir d’une recherche appliquée
Procédure
26Cette recherche s’est déroulée dans un petit commissariat de province. Elle a concerné 7 inspecteurs de police, un commissaire principal ainsi que 46 étudiants de 1° et 2° année de psychologie à l’Université de Savoie. Elle se déroulait en trois phases bien distinctes.
1re phase
27Au cours d’une première phase, 15 étudiants ont été auditionnés au commissariat par les 8 officiers de police. Les sujets avaient vu, 7 jours auparavant, un film dans les locaux de l’Université. Trois types de film de 2 à 3 minutes ont été utilisés : l’un relatant un vol à l’arraché, l’autre une agression sexuelle et le dernier un cambriolage. Cinq auditions étaient réalisées par film. Les sujets avaient reçu pour consigne, lors de l’encodage, de s’impliquer par rapport au film : « Vous allez voir un film. Je vous demande de le regarder attentivement, comme si vous étiez dans la scène du film ». On situait ensuite le témoin précisément dans la scène en lui indiquant ce qu’il était censé être en train de faire avant l’incident, et ce qu’il était censé avoir fait après. Par exemple, dans le film portant sur le vol à l’arraché, il était donné pour consigne : « La scène que vous allez voir a lieu dans la rue des Grillons, à Aix-les-Bains, aujourd’hui. Il est 13 h 15. Imaginez-vous dans la peau d’une personne qui se trouve chez elle, dans sa cuisine, en train de boire le café avec une amie. Vous vous levez pour couper un gâteau sur votre plan de travail et vous regardez en même temps par la fenêtre donnant sur cette rue. Voilà ce que vous voyez. » Et après le visionnement : « vous n’êtes pas intervenu parce que vous avez vu que des témoins s’occupaient de la victime. En revanche, vous avez clairement vu la voiture s’enfuir du côté du lac, en direction de la piscine d’Aix-les-Bains ». Ces consignes visaient à impliquer au maximum le témoin dans la scène afin de se rapprocher le plus possible des conditions réelles, et de permettre aux enquêteurs de ne pas modifier leur procédure habituelle de questionnement, ces derniers posant généralement des questions sur la position exacte du témoin dans la scène et ses réactions par rapport à l’incident. Au cours de cette première phase, les enquêteurs avaient reçu pour simple consigne de mener les auditions selon leurs pratiques habituelles, avec rédaction finale d’un procès-verbal.
2e phase
28Au cours d’une 2° phase, les policiers étaient divisés aléatoirement en 2 groupes de 4 personnes. Le premier groupe était sensibilisé durant une demi-journée (2 heures) au fonctionnement de la mémoire humaine (les principaux modèles et hypothèses : Tulving, les réseaux sémantiques, etc.) ainsi qu’à certaines techniques pour mener un entretien interactif. Il était notamment abordé l’importance du rappel libre, l’entretien en entonnoir, le questionnement en respect avec le cheminement mental du témoin, l’exploitation d’indices potentiels à travers les commentaires interprétatifs. Les enquêteurs étaient également sensibilisés aux pièges de l’entretien : questions dirigées, négatives, rythme de l’entretien. Cette présentation théorique était suivie ensuite de plusieurs mises en situation. Pour finir, on distribuait à chacun un tableau récapitulatif des points abordés.
29Cette formation avait deux objectifs principaux : 1) contrôler l’effet de motivation éventuel que pouvait susciter le simple fait de participer à une formation ; 2) apporter de réels éléments d’amélioration des auditions. L’objectif ici était de comparer l’entretien cognitif avec un entretien structuré afin de pouvoir mieux discerner ce qui, dans les résultats, pouvait être dû au cadre de l’entretien de ce qui pouvait être dû aux spécificités des quatre règles de l’entretien cognitif en tant qu’aides à la recherche en mémoire.
30L’autre groupe était formé durant une journée (3 à 4 heures) à l’entretien cognitif. On lui présentait brièvement les fondements théoriques de l’entretien cognitif, puis les quatre consignes aux niveaux théorique et pratique, ainsi que les résultats des principales recherches effectuées sur ce thème. Ensuite, on distribuait à chacun un protocole de passation de l’entretien cognitif. Il était ensuite effectué plusieurs mises en situation, qui furent l’occasion d’aborder également le problème de la formulation des questions : questions négatives, questions dirigées, etc.
3e phase
31Au cours d’une dernière phase, 31 autres étudiants de l’Université de Savoie étaient auditionnés au commissariat, après avoir visionné chacun un des trois films 7 jours auparavant, selon les mêmes consignes que les sujets de la première phase. Dix à 11 auditions étaient réalisées par film. Seize étudiants étaient auditionnés par le premier groupe d’inspecteurs formé aux techniques d’entretien interactif. Les enquêteurs recevaient pour consigne de mener les auditions selon leurs pratiques habituelles, en incluant les éléments appris lors de la formation : commencer par un rappel libre, pratiquer un entretien en entonnoir, se méfier des questions dirigées, négatives, etc.
32Quinze étudiants étaient auditionnés par le second groupe d’inspecteurs formé à l’entretien cognitif. Les enquêteurs recevaient pour consigne de pratiquer un entretien cognitif complet pour chaque audition. Chaque enquêteur auditionnait 3 à 4 étudiants et devait rédiger un P.-V.
33L’analyse statistique a été effectuée à partir des P.-V. Était côté 1 point chaque information correcte relevée dans le P.-V., 1 point chaque erreur et 1 point chaque affabulation. Les trois groupes (entretien standard/entretien structuré/entretien cognitif) ont été ainsi comparés sur ces trois dimensions.
Hypothèses
34On s’attendait à ce qu’une formation à l’entretien cognitif conduise les enquêteurs à mener des auditions plus efficaces que ceux ayant été formé à l’entretien structuré ou n’ayant pas subi de formation (entretien standard), c’est-à-dire à ce qu’ils parviennent à retirer du témoin davantage d’informations correctes, sans augmentation conjointe des erreurs. En outre, l’utilisation de l’entretien cognitif ou de l’entretien structuré devrait diminuer l’influence de l’enquêteur sur le témoin, et par conséquent, conduire à une diminution de la quantité d’affabulations générées par rapport aux pratiques habituelles des policiers.
Résultats
Tableau 1. Nombre moyen d’informations correctes, d’erreurs, d’affabulations et proportions d’exactitude (et écarts types) relevées sur les P.-V. selon le type de formation reçu par les enquêteurs (aucune formation/formation aux techniques de l’entretien interactif/formation à l’entretien cognitif).
aucune formation (entretien standard) | formation à l’entretien structuré | formation à l’entretien cognitif | |
informations correctes | 26.64 | 26.36 | 31.73 |
erreurs | 6.28 | 7.43 | 6.33 |
affabulations | 4.28 | 2.79 | 1.87 |
proportions d’exactitude | .72 | .72 | .80 |
35L’analyse de la variance révèle un effet du type de formation concernant le nombre d’informations correctes. On obtient ainsi plus de 20 % d’informations en plus avec l’entretien cognitif par rapport à l’entretien structuré (T(27) = 2.09 ; p<.05). En revanche, l’analyse de la comparaison entre le nombre d’informations correctes restituées par les témoins auditionnés par les enquêteurs formés à l’entretien cognitif et ceux n’ayant subi aucune formation ne révèle qu’une différence tendancielle (T(27) = 1.75 ; p =.09). Il était attendu un effet plus tangible, mais plusieurs facteurs peuvent rendre compte de ce résultat. Tout d’abord, l’objectif de cette recherche a été clairement présenté aux enquêteurs comme visant à démontrer l’efficacité de nouvelles techniques d’audition (incluant l’entretien cognitif et l’entretien structuré), plus efficaces que leur procédures habituelles. Or, les enquêteurs ont probablement cherché à défendre leurs propres pratiques et se seraient montrés moins motivés lors de la deuxième série d’audition, en posant notamment moins de questions, et surtout en passant moins de temps avec chaque témoin. Concernant le nombre de questions posées, on observe ainsi une différence tangible entre l’entretien standard (54.57 questions par entretien, en moyenne) ou l’entretien structuré (55.71 questions par entretien) et l’entretien cognitif (39.07 questions par entretien). L’analyse de la durée des auditions indique que la durée moyenne d’un entretien standard a été approximativement la même que celle d’un entretien cognitif (33 minutes en entretien standard contre 32 en entretien cognitif), alors qu’une partie de la durée d’un entretien cognitif est déjà consacré à l’énoncé des consignes (d’ailleurs, en entretien structuré, sans consigne particulière à énoncer, la durée moyenne des entretiens était de 30 minutes). Nous serions donc confronté ici à une forme de résistance au changement. Enfin, il n’est pas exclu qu’il soit survenu un phénomène de lassitude au fur et à mesure des auditions (chaque enquêteur a auditionné entre 5 et 6 témoins).
36On obtient également un effet important du type de formation en ce qui concerne le nombre d’informations affabulées. En effet, on observe plus du double d’affabulations en entretien standard par rapport à l’entretien cognitif (T(27) = 2.77 ; p =.01). La différence entre l’entretien cognitif et l’entretien structuré n’est pas significative (T(26) = 1.43 ; n.s.), pas plus que la différence entre entretien standard et entretien structuré (T(27) = 1.48 ; n.s.). Ces résultats viennent confirmer deux faits : 1) l’entretien cognitif., essentiellement fondé sur le rappel libre, est bien une technique permettant de limiter au maximum les influences que l’enquêteur est susceptible d’exercer sur le témoin ; 2) ce résultat relève largement du faible nombre de questions posées en entretien cognitif, ce qui réduit d’autant le risque de formuler des questions dirigées inductrices de faux éléments de mémoire. Aucune différence n’est, cependant, constatée entre les sujets des trois groupes expérimentaux quant au nombre d’informations incorrectes émises par les témoins (T < 1, n.s., pour chaque comparaison). En termes de proportion d’informations correctes restituées par rapport à l’ensemble de l’audition, la supériorité de l’entretien cognitif pour ce qui concerne à la fois le nombre d’informations correctes et les affabulations, ainsi que l’absence de différence entre les types d’entretien pour ce qui concerne le nombre d’erreurs, se traduit par le fait que les officiers de police pratiquant des entretiens cognitifs parviennent à ce que les témoins qu’ils auditionnent produisent 80 % d’informations correctes, contre 72 % pour les policiers qui pratiquent des entretiens structurés (différence entre entretien cognitif et entretien structuré : T (27) = 3.07 ; p<.005) et 72 % pour les policiers qui utilisent leur procédure habituelle (différence entre entretien cognitif et entretien standard : T (27) = 1.99 ; p<.06). Le gain n’apparaît donc pas seulement quantitatif (sur le volume d’informations recueillies), mais aussi qualitatif (sur la nature des éléments restitués).
Conclusion
37Il semble donc que la formation à l’entretien cognitif a eu un impact significatif sur les procédures d’audition des policiers concernés par cette recherche. Après avoir été formés à une telle technique, les enquêteurs parviennent à remplir des P.-V. plus riches, sans augmentation de la quantité d’erreurs fournies par le témoin. En outre, et c’est probablement un des points les plus intéressants de cette formation, elle leur a permis d’exercer moins d’influence sur le témoin. C’est un bénéfice de loin non négligeable lorsque l’on sait l’impact que peut avoir la suggestion d’informations erronées sur les souvenirs des témoins et les conséquences graves possibles sur le déroulement de la justice et des condamnations.
38Cette recherche appliquée peut donc être considérée comme une modalité importante de l’évaluation de la formation proposée. Toutefois, les stages de formation proposés ici était très concis par rapport à ce qui a pu être proposé à Saint-Cyr-au-Mont-d’Or. Or, dès lors qu’une formation très épurée s’est avéré efficace, tout porte à croire qu’un stage beaucoup plus complet a eu des effets positifs en termes d’amélioration des outils dont disposent les professionnels de la justice en matière d’audition des témoins ou des victimes.
Auteurs
Université Biaise Pascal (Clermont-Ferrand)
Université Biaise Pascal (Clermont-Ferrand)
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