Chapitre 9. Pour une régulation des conduites d’acquisition dans une situation de formation : une illustration expérimentale
p. 159-170
Texte intégral
1Le processus-formation met en jeu des acteurs, détermine et est déterminé par des interactions, et alimente une démarche impliquant des dynamiques de changements individuels. Cette étude s’inscrit dans cette perspective psychosociale sur la formation en essayant d’apporter quelques éléments de réponse à la question suivante : est-il possible de réguler des conduites d’acquisition dans une situation de formation ? Nous situant à l’articulation de deux champs d’étude : la psychologie sociale et la formation, il paraît nécessaire de présenter, dans un premier temps, des travaux centrés sur les techniques d’apprentissage, sur les interactions formateur-formés, sur l’impact des caractéristiques individuelles des sujets-apprenant et sur l’importance des insertions sociales. Dans un second temps, une étude expérimentale tentera de repérer quelques déterminants psycho-pédagogiques de gestion de l’information en situation de formation.
Psychologie sociale et formation : une vue d’ensemble de la litterature
2Un certain nombre de travaux ont été réalisés au niveau des situations sociales et ont eu pour objet d’étude l’impact de différentes techniques d’apprentissage sur les performances des sujets. Par exemple, Slavin (1990, 1992), Stevens et Slavin (1995), Johnson et Johnson (1981, 1983, 1992), O’Donnell (1996) se sont intéressés à l’impact d’interventions spécifiques utilisant des méthodes coopératives. Toutefois, force est de constater une absence de modèle heuristique dans les études portant sur les techniques d’apprentissage. Seul le modèle de Monteil (1982, 1985), à notre connaissance, présente une ossature conceptuelle organisant différentes pratiques de formation. Cet auteur définit trois concepts clés : l’information, la connaissance et le savoir. L’information est extérieure au sujet, elle est stockée dans le programme de formation. Pour être organisée, elle demande l’activité du sujet. La connaissance est définie (Monteil, 1985, p. 26) comme « le fruit de l’activité expérientielle du sujet, pouvant correspondre, par exemple, à de l’information intégrée ». Le savoir « est la conséquence d’une organisation intellectuelle requérant à la fois une intégration d’informations et une objectivation de la connaissance (...) Le savoir est un résultat, celui d’une opération de production, inscrite dans une quête (...) Une fois produit, il est appropriable et gérable sous forme d’informations » (Monteil, 1985). Objet de transmission, le savoir peut être défini du point de vue de sa production comme une organisation singulière des connaissances par le sujet-apprenant. C’est à partir de ces trois concepts que des indicateurs qualifiant des conduites d’acquisition et la gestion cognitive des informations ont été conçus. En ce sens, une typologie d’indicateurs permettant de faire des inférences sur l’activité cognitive des sujets a été élaborée. Ainsi, l’aspect qualitatif des productions a été pris en compte : le niveau de l’information (qualité 1), le niveau intermédiaire entre l’information et la connaissance (qualité 2), le niveau de la connaissance (qualité 3), et le niveau intermédiaire entre la connaissance et le savoir (qualité 4).
3En outre, Monteil définit trois systèmes de formation différents, c’est-à-dire trois objets complexes ouverts sur des situations, formés d’éléments distincts reliés entre eux par un certain nombre de relations. Le système finalisé pré-programmé ou S1, très répandu dans les pratiques de formation, est totalement programmé tant au niveau du contenu qu’au niveau de la forme. Dans ce système de formation, les statuts sont fortement différenciés entre les enseignants qui transmettent un savoir (construit auparavant), et les élèves qui ont pour tâche de se l’approprier. Le système finalisé divergent ou S2 fonctionne sur la base de groupes de discussion au cours desquels les personnes échangent leurs différences, leurs conflits, leurs points de vue et établissent des liens. Ce système est interactif et inclut toutes les situations d’apprentissage coopératif. Le système finalisé contractuel ou S3 a pour objectif la réalisation d’un travail de construction de savoirs en engageant les individus dans un projet de recherche.
4Ce cadre heuristique permet, semble-t-il, de situer les situations de formation par rapport à une production de savoir. Ce modèle est un instrument intellectuel visant à comprendre l’économie interne des processus de formation. Dans cette étude, l’opérationalisation1 concerne seulement le premier système de formation (S1), à partir duquel deux situations de formation (deux instanciations du système S1) seront définies.
5Il existe un ensemble de recherches ayant pour objet d’étude les relations formateur-formés. Plusieurs types de recherches peuvent être regroupés dans cet ensemble : l’étude du rôle des attentes (Rosenthal et Jacobson, 1972 ; Rosenthal et Rubin, 1978 ; Gilly, 1980 ; Le Manio, Py et Somat, dans ce volume), le rôle des feedback (Brophy, 1981), mais également une analyse des effets possibles des affects des professeurs sur les élèves (Graham, 1984). Ces recherches soutiennent l’idée selon laquelle les qualités affectives et cognitives des relations entre les principaux acteurs de la situation de formation affectent la nature des performances finales des élèves. Toutefois, cet ensemble de recherches centré au niveau inter-individuel, ne peut, à lui seul rendre compte de la réalité d’une situation de formation. Lorsque l’on adopte une perspective socio-cognitive, on est amené à considérer que les événements de nos expériences étant sociaux, « ils dépendent, pour leur signification et leur organisation, des concepts et catégories antérieurement construits » (Monteil, 1992). De tels travaux permettent de comprendre les influences réciproques des principaux acteurs de la situation, sans prendre en compte les caractéristiques idiosyncrasiques des sujets-apprenant et tout en faisant abstraction de l’effet de la situation sociale.
6Un troisième ensemble d’études, plaçant l’individu au centre de l’analyse, peut être cité ici : il s’agit, notamment, des études sur la motivation (Schunk, 1989 ; Brophy, 1981, 1983 ; Bandura, 1982), sur la métacognition, c’est-à-dire les connaissances et le contrôle exercé par un individu sur sa propre cognition (Flavell, 1979 ; Brown, 1978 ; Paris et Winograd, 1990 ; Parent, Larivée, Bouffard-Bouchard, 1991) et celles liées aux théories de l’action (Johnson et Johnson, 1991). En effet, selon Bandura, pour un sujet-apprenant, c’est la perception de sa propre efficacité qui influence les types de scénarios construits et réitérés. Ceux qui ont un sens élevé de leur efficacité visualisent des scénarios de succès qui fournissent des guides positifs pour les performances et répètent cognitivement de bonnes solutions aux problèmes potentiels. Inversement, ceux qui se jugent inefficaces sont plus enclins à visualiser des scénarios d’échec et à insister sur des événements négatifs. Ainsi, les travaux de Bandura (1982) sur le sentiment « d’efficacité personnelle » mettent en évidence l’importance du niveau perçu des élèves et alimentent, par ailleurs, la notion d’univers cognitif2 proposé par Monteil (1991).
7Les travaux sur la métacognition fournissent, quant à eux, des éléments concernant le fonctionnement cognitif intra-individuel des sujets-apprenant. Ainsi, les recherches de Parent, Larivée et Bouffard-Bouchard (1991, p. 735-736) indiquent que « la supériorité des “doués”, particulièrement en apprentissage, est due à une base de connaissances métacognitives plus développée que celle de leurs pairs sur les différents aspects de l’apprentissage, laquelle, à la manière d’un expert dans un domaine spécifique, déclenche l’utilisation de stratégies d’apprentissage et d’autorégulation plus efficaces. Les individus “doués”, en tant qu’experts en apprentissage, deviendraient par la suite experts en plusieurs domaines spécifiques plus rapidement que leurs pairs (mais non plus facilement) ». De tels travaux permettent d’éclairer certains résultats en fournissant des hypothèses de fonctionnement métacognitif.
8Selon Johnson et Johnson (1991), quand l’individu apprend un pattern comportemental qui renvoie à une situation récurrente, il le répète de nombreuses fois jusqu’à obtenir un fonctionnement automatiquement. De tels patterns comportementaux constituent des théories de l’action, qui peuvent être définies comme des principes organisateurs de l’activité mentale. Selon les auteurs, il semble que chaque individu possède de nombreuses théories de l’action, une pour chaque type de situation. Parce que la plupart de nos théories de l’action fonctionnent automatiquement, nous avons rarement conscience des liens entre les actions et leurs conséquences. En outre, Johnson et Johnson établissent des lois concernant la gestion des théories de l’action, leur développement et leur modification par rapport au contexte d’une situation d’apprentissage. Il reste, néanmoins, qu’un niveau strictement intra-individuel est insuffisant pour rendre compte des performances d’un sujet en situation d’apprentissage.
9Un quatrième ensemble de travaux adopte une orientation socio-cognitive de l’étude du fonctionnement humain (Monteil, 1988, 1991, 1992 ; Monteil et Huguet, 1993 ; Huguet et Monteil, 1995 ; Monteil et Michinov, 1996). Ces auteurs mettent en évidence l’influence des insertions sociales sur le fonctionnement cognitif individuel, leurs sujets obtenant des performances différentes selon les conditions d’insertion proposées, et ce, en fonction de leur histoire scolaire. Monteil (1988) a montré, d’une part, que les bons élèves, placés en situation d’individuation, obtenaient des performances plus faibles lorsqu’un échec leur était affecté et des performances élevées lorsqu’une réussite leur était assignée. D’autre part, un pattern de résultats inverse s’observait avec des élèves de faible niveau. En condition d’individuation, les sujets à qui l’on avait affecté de la réussite échouaient alors qu’ils réussissaient en condition d’anonymat.
10L’étude du fonctionnement cognitif humain implique donc de prendre en considération l’individu socialement inséré et la construction de systèmes d’explication prenant en compte les insertions sociales. On le voit, le poids des situations d’apprentissage, des interactions formateur-formés, le rôle des caractéristiques intra-individuelles des sujets-apprenant et l’importance des insertions sociales sont autant de variables qui participent de manière essentielle à l’élaboration, à la mise en œuvre, au déroulement des mécanismes qui supportent les constructions et productions cognitives. Ces variables ne peuvent être étudiées de manière juxtaposée puisqu’elles sont in situ le jeu de permanentes interactions. Ainsi, dans l’expérience qui suit, seront manipulés à la fois l’assignation d’une position par rapport au savoir (réussite ou d’échec) et l’insertion sociale au sein d’une situation de formation de type S1 et ce, sur des sujets à univers cognitif positif. L’ensemble de ces variables constituera les éléments du cadre de référence caractérisant la situation de formation. Ces éléments du cadre de référence auront le statut de variables constitutives des élaborations cognitives et des performances du sujet.
Expérimentation
Hypothèses
11En référence à une théorie de l’action développée par Johnson et Johnson (1991 : « lorsque nous sommes confrontés à un échec, il est plus facile d’expérimenter de nouvelles théories de l’action pour se comporter ou penser »), il est supposé (hypothèse H1) que l'assignation d'une position négative par rapport au savoir devrait déstabiliser les sujets dans leur univers cognitif – ici positif – et impliquer un complexe d’opérations mentales « marginal » par rapport à la situation de formation : faible expression des informations cotées importantes et superflues. Dans le même temps, on devrait noter un nombre important d’informations originales, associé à une qualité de production élevée (qualité 3 et 4). En revanche, l’assignation d’une position positive par rapport au savoir devrait renforcer les sujets dans leur univers cognitif et ainsi impliquer un complexe d’opérations mentales conforme à la situation de formation : expression importante d’informations cotées importantes et superflues dans les productions, une qualité de production essentiellement de qualité 2 (la qualité 1 devrait être peu produite ici, car le corpus d’informations délivré mobilise un vocabulaire non-usuel pour cette population) et un nombre peu important d’informations originales. On devrait alors observer une mobilisation de théories de l’action dominantes.
12Par ailleurs, les études réalisées précédemment (Monteil, 1988, expérience 2) montrent que les sujets à univers cognitif positif attribuent une valeur de sanction négative à l’anonymat quand ils sont en situation d’insertion anonymante. En conséquence, on attend (hypothèse H2) que l’insertion anonymante implique une faible évaluation de la situation et des productions et que l’insertion individualisante produise des conduites d’évaluation en conformité avec le mode de réponse en vigueur. Ainsi, dans une situation de ce type, on devrait observer des évaluations élevées avec une affectation de réussite, et des évaluations faibles avec une affectation d’échec.
Sujets
1340 étudiants issus de l’enseignement supérieur, inscrits en deuxième année de sciences – n’ayant jamais redoublé – suivant tous un module pré-professionnel de formation des maîtres composaient la population expérimentale. On considère que tous ces étudiants possédaient un univers cognitif positif.
Procédure
14Le plan expérimental était du type <Assignation d’une position par rapport au savoir2 * Insertion liée à l’accès au savoir2). Les quatre groupes expérimentaux étaient non-équilibrés.
Variables indépendantes
15• L’assignation d’une position par rapport au savoir (2 modalités : positive versus négative). Il s’agissait d’une variable provoquée à l’aide d’une tâche leurre dont le thème était relatif à la psychologie. Cet enseignement se déroulait avant la situation de formation expérimentale. Chacun était, arbitrairement et publiquement (situation de comparaison), assigné à un bon niveau dans la discipline ou au contraire à un faible niveau.
16• L’insertion sociale (2 modalités : anonymante, individualisante). Il s’agissait d’une variable provoquée. Les sujets étaient insérés, soit de façon anonymante au sein d’un agrégat de formés (cours de type magistral : le formateur délivrait les informations au groupe et répondait aux questions de manière collective), soit de façon individualisante par rapport à l’enseignant (cours individualisé : les étudiants lisaient3 les informations et le formateur répondait aux questions des sujets de manière individuelle). Le même corpus d’informations était délivré à tous les groupes expérimentaux (le contenu des réponses aux questions était une duplication des informations délivrées). Il s’agissait de deux instanciations du système S1 (supra). Pour tous les groupes expérimentaux, le temps de formation était de 60 minutes. À l’issue de chaque situation de formation, il était demandé aux sujets une production écrite sous la forme d’un commentaire qui devait permettre le recueil des indicateurs qualifiant les conduites d’acquisition.
17a) Les variables dépendantes relevant du processus de restitution des informations.
18• Nombre d’informations importantes et d’informations superflues
19Le même corpus d’informations était délivré dans toutes les conditions expérimentales. Ces informations étaient cotées par dix juges (dix étudiants en troisième cycle de psychologie) en considérant la tâche demandée. Pour cette cotation, a été établie une typologie rendant compte du degré d’importance de chaque information (c’est-à-dire de chaque mot ou groupe de mots), cette classification comporte deux degrés : les informations importantes et les informations superflues.
20• Qualité de la restitution :
21Cette mesure était destinée à déterminer le degré d’appropriation du savoir dont faisait preuve le sujet dans une tâche de production écrite. Une typologie hiérarchisant quatre degrés d’appropriation du savoir délivré avait été préalablement construite. Seuls les deux premiers niveaux concernent la mesure qualitative de la restitution. Les processus de restitution étaient appréhendés par la mesure des informations cotées importantes, superflues et par la mesure des éléments de qualité 1 et 2 (infra). En référence aux travaux de Monteil (1982, 1985), il s’agit du niveau de l’information pour les trois premiers indicateurs. Le niveau de la connaissance sera illustré par une production de qualité 2.
22Ici, le niveau de l'information – mesure d’informations cotées importantes, superflues et production de qualité 1 – est un rappel des informations préprogrammées. C’est le niveau le plus élémentaire car le sujet-apprenant reproduit, duplique ce qui a été communiqué sans établir de liens entre ce matériel et un autre. Les éléments de qualité 2 peuvent être le reflet d’un premier niveau de connaissance, puisqu’ici le sujet-apprenant reformule les informations délivrées ; il y a synonymie avec les éléments délivrés. Les opérations effectuées par le sujet à ce niveau sont : l’explication, la description, la traduction, la reformulation et la classification des éléments. Comme précédemment, à ce niveau, il y a absence de tout lien établi entre le matériel délivré et tout autre matériel intégré par le sujet-apprenant.
23Au niveau 1, le niveau de l’information, il y a simplement duplication de l’information délivrée : le sujet nomme les éléments, les rappelle ; la restitution est intacte. Au niveau 2, le niveau intermédiaire entre l’information et la connaissance (niveau de connaissance I), il y a reformulation, synonymie avec les éléments délivrés : l’individu situe les éléments, les explique, les décrit, les traduit, les reformule, les classe. Le sujet-apprenant ne sort pas, cependant, des informations délivrées. Les processus d’analyse étaient appréhendés par la mesure des informations cotées originales et par la mesure des éléments de qualité 3 et 4. De tels indicateurs représentent une illustration d’un niveau de connaissance II : le sujet-apprenant présente les informations délivrées différemment, avec un point de vue nouveau, se révèle capable de transformer le matériel appris et d’établir des liens avec d’autres corpus relatifs à ses propres connaissances. Le niveau de qualité 4 montre un niveau d’appropriation supérieur : il correspond au niveau intermédiaire entre connaissance et savoir, puisqu’à ce stade, le sujet interprète à sa façon le matériel transmis, l’organise de façon singulière pour s’impliquer personnellement et exposer son point de vue. b) Les variables relevant du processus d’analyse des informations
24• Nombre d’informations originales
25Il s’agissait de dénombrer les informations non délivrées par l’expérimentateur.
26Les informations cotées importantes, superflues, et originales, étaient, avant d’être traitées statistiquement, pondérées par le nombre de mots de chaque texte ; nous obtenions alors un pourcentage4.
27• Qualité concernant les processus d’analyse de l’information
28Cette mesure était réalisée à l’aide des deux derniers niveaux de la hiérarchie des degrés d’appropriation du savoir. Le niveau 3 correspond à un niveau de connaissance II : il y a recontextualisation complète, l’individu illustrant les éléments délivrés dans un autre contexte. Il y a identification des éléments dans un autre champ, en revanche, il n’y a pas expression d’avis personnel. Le niveau 4 correspond à un niveau intermédiaire entre la connaissance et le savoir : il y a expression d’avis personnel, l’individu s’implique, prend position par rapport au savoir délivré. Le sujet-apprenant analyse, organise, assemble, démontre.
29De plus, les processus d’évaluation du cours et des productions des étudiants ont été mesurés. Ces indicateurs permettaient de quantifier la formulation de jugements par rapport au matériel délivré, à la situation de formation et à leur propre production. Ces indicateurs avait été choisis en référence à plusieurs travaux. En effet, d’après certaines études (Meyer et Muller, 1990 ; Meyer, Parsons et Dunne, 1990), on est en mesure de penser que l’évaluation du contexte d’apprentissage est substantielle puisque les performances issues d’un apprentissage sont associées aux perceptions individuelles du contexte d’apprentissage5. En conséquence, nous estimons que les déterminants psycho-pédagogiques manipulés sont de nature à générer des différences pour les indicateurs d’évaluation considérés. De tels déterminants étant supposés agir sur l’« efficacité personnelle » (Bandura, 1982), il s’avère important de quantifier l’auto-évaluation, indice de l’« efficacité personnelle » capable lui-même de modifier le fonctionnement cognitif du sujet-apprenant. Une « efficacité personnelle » élevée, donc une auto-évaluation élevée, favorise la réitération cognitive des trajets d’action efficaces consolidant l’auto-perception de l’efficacité.
30c) Les variables relevant de la valeur attribuée à la situation de formation.
31Il était demandé aux sujets d’évaluer le cours. Pour ce faire, ils devaient marquer d’une croix une ligne de dix centimètres, cette ligne étant bornée positivement et négativement. La position de la croix déterminait le degré de satisfaction6.
32d) La variable relevant de la valeur auto-attribuée à la production.
33Selon le même procédé que précédemment, nous demandions aux étudiants d’évaluer leur production écrite.
Résultats7
Les processus de restitution
Les informations cotées importantes
34L’ANOVA réalisée sur les données relatives au nombre d’informations cotées importantes fait apparaître un effet principal de l’assignation d’une position par rapport au savoir (F(1,36) = 8.19 ; p<.01) : les sujets affectés d’un échec expriment peu d’informations cotées importantes (m = 5.92), alors que les sujets affectés d’une réussite (m = 26.11) en produisent significativement plus. Les résultats obtenus ici conforte notre hypothèse H1 en montrant que, quelle que soit l’insertion sociale liée à l’accès au savoir, c’est l’affectation de réussite qui implique la production d’informations importantes.
Les informations cotées superflues
35L’ANOVA réalisée sur cette mesure, comme précédemment, fait apparaître un effet principal de la variable « assignation » (F(1,36) = 3.77 ; p =.06) : les sujets affectés d’un échec produisent peu d’informations cotées superflues (m = 2.88), alors que les sujets affectés d’une réussite en expriment plus (m = 16.35). Ce résultat tend à confirmer la première hypothèse formulée : les sujets produisent les informations délivrées, mais semble-t-il, n’opèrent pas de tri. Que les informations soient cotées importantes ou superflues, les sujets reproduisent sans distinction les informations délivrées.
* Les informations de qualité 1
36L’ANOVA réalisée sur les données relatives à cette mesure ne montre aucun résultat significatif.
Les informations de qualité 2
37L’ANOVA réalisée sur les données relatives à la production d’informations de qualité 2 fait apparaître un effet principal de la variable « assignation d’une position par rapport au savoir » (F(1,36) = 9.09 ; p<.005). Ainsi, les sujets affectés d’un échec expriment peu d’éléments de qualité 2 (m = 8.4), en revanche les sujets affectés d’une réussite expriment de nombreux éléments de qualité 2 (m = 39.5). Cet effet s’exprime indépendamment de l’insertion sociale liée à l’accès au savoir. L’affectation de réussite amène bien les sujets à reformuler le cours délivré, le niveau de l’appropriation étant alors faible.
Les processus d’analyse
Les informations originales
38L’ANOVA réalisée sur les données relatives à la production d’informations cotées originales met en évidence un effet principal de la variable « assignation » (F(1,36) = 8.33 ; p<.01). Les sujets affectés d’un échec expriment de nombreuses informations non-délivrées par le formateur (m = 91.16), alors que les sujets affectés d’une réussite expriment moins d’informations originales (m = 59.27). Cet résultat, indépendamment de l’insertion sociale liée à l’accès au savoir, indique que l’assignation d’une position négative favorise davantage la production d’informations non délivrées lors du cours que l’assignation d’une position positive.
Les informations de qualité 3
39L’ANOVA réalisée sur les données relatives à l’expression d’éléments de qualité 3 fait apparaître un effet principal de la variable « assignation » (F(1,36) = 6.43 ; p<.02). Les sujets affectés d’un échec expriment davantage d’éléments de qualité 3 (m = 68.18) que les sujets affectés d’une réussite (m = 41.45). L’assignation d’une position négative par rapport au savoir favorise bien une production en marge des informations délivrées. Ici, on constate que les sujets soumis à cette condition, recontextualisent les informations issues du cours. En revanche, l’affectation de réussite entraîne une production plus impersonnelle, en conformité avec le corpus d’informations délivrées.
Les informations de qualité 4
40L’ANOVA réalisée sur les données relatives à la production d’éléments de qualité 4 fait apparaître une interaction entre l’insertion sociale liée à l’accès au savoir et l’affectation d’échec ou de réussite (F(1,36) = 5.80 ; p<.025) et un effet de la variable insertion (F(1,36) = 3.97 ; p =.05).
Tableau 1. Pourcentage d’éléments de qualité 4 selon l’assignation de position par rapport au savoir (négative vs positive) et le type d’insertion liée à l’accès au savoir (anonymante, individualisante).
Anonymante | Individualisante | |
Affectation Échec | 37.9b | 6.2a |
Affectation Réussite | 15.3ab | 18.3ab |
41Seules les moyennes dont l’indexation ne comprend pas la même lettre sont significativement différentes (au minimum au seuil p<.01).
42L’assignation d’une position négative en insertion anonymante favorise la production d’éléments de niveau 4 alors qu’en insertion individualisante, cette production est inhibée ; le résultat pourrait, donc, s’inscrire dans le prolongement de l’hypothèse H2. En revanche, l’assignation d’une position positive, aussi bien en insertion anonymante qu’en insertion individualisante, entraîne une production équivalente d’éléments de niveau 4. De plus, on relève un effet de la variable « insertion sociale ». Les sujets soumis à une insertion de type anonymante – par rapport à l’accès au savoir – expriment davantage d’éléments de qualité 4 (m = 23.75) que les sujets soumis à une insertion de type individualisante (m = 12.22). De tels résultats n’étaient pas attendus dans les hypothèses de départ. Ils permettent d’envisager, pour cet indicateur, que l’insertion sociale liée à l’accès au savoir est déterminante.
Les processus d’évaluation
Évaluation du cours
43L’ANOVA réalisée sur les données relatives à l’évaluation du cours fait apparaître une interaction entre l’assignation de position par rapport au savoir et l’insertion sociale (F(1,36) = 27.01 ; p<.001).
Tableau 2. Degré de satisfaction moyen concernant le cours en fonction de l’assignation de position par rapport au savoir (négative vs positive) et le type d’insertion liée à l’accès au savoir (anonymante, individualisante).
Anonymante | Individualisante | |
Affectation Échec | 75.6b | 51.2a |
Affectation Réussite | 64.3ab | 86.2b |
44Seules les moyennes dont l’indexation ne comprend pas la même lettre sont significativement différentes (au minimum au seuil p<.05).
45Décomposée, cette interaction montre que l’hypothèse H2 est partiellement vérifiée. Ainsi, l’assignation d’une position négative – chez des sujets à univers cognitif positif – associée à une insertion de type individualisante, inhibe bien l’évaluation du cours, alors que l’affectation de réussite – associée à un même type d’insertion – entraîne une évaluation élevée du cours. Cependant, contrairement à l’hypothèse formulée, l’insertion de type anonymante associée à une affectation d’échec permet une évaluation positive du cours.
Évaluation des productions écrites
46L’ANOVA réalisée sur les données relatives à cette mesure montre une interaction entre l’assignation de position par rapport au savoir et l’insertion sociale (F(1,36) = 4.89 ; p<.05).
Tableau 3. Degré de satisfaction moyen concernant les productions des sujets en fonction de l’assignation de position par rapport au savoir (négative vs positive) et le type d’insertion liée à l’accès au savoir (anonymante, individualisante).
Anonymante | Individualisante | |
Affectation Échec | 52.5b | 27.7a |
Affectation Réussite | 28.2a | 35.5b |
47Seules les moyennes dont l’indexation ne comprend pas la même lettre sont significativement différentes (au minimum au seuil p<.05).
48Conformément à la seconde hypothèse formulée, on constate qu’en insertion de type individualisante, les sujets affectés d’un échec, ainsi que les sujets affectés d’une réussite en insertion de type anonymante, évaluent faiblement leur travail. Cependant, les sujets affectés d’un échec en insertion anonymante, contrairement à l’hypothèse formulée, évaluent favorablement leur production.
Discussion
49Il a été observé dans cette étude que l’affectation de réussite impliquait un complexe d’opérations mentales conforme à la situation de formation. Les sujets exprimaient, en effet, de nombreuses informations importantes ou superflues et produisaient beaucoup d’éléments de qualité 2. Renforcés positivement dans leur univers cognitif, ces sujets mobilisaient leurs théories de l’action dominantes et se comportaient cognitivement comme des reproducteurs de l’information délivrée : ils ne triaient pas l’information, négligeaient la pertinence de leur production pour se conformer au discours du formateur et le reproduire. Inversement, concernant ces processus de restitution, les sujets affectés d’un échec ne réinvestissaient que peu d’informations importantes, peu d’informations superflues et produisaient peu d’informations de qualité 2. Il a été constaté, chez ces sujets, un réel déficit cognitif pour les processus de restitution quelles que fussent les modalités d’insertion manipulées.
50Concernant les processus d’analyse, les sujets affectés d’une réussite produisaient peu d’informations originales et peu d’informations de qualité 3. Les sujets paraissaient aliénés cognitivement par une production fortement dépendante du savoir transmis : ils ne semblaient pas s’approprier les informations délivrées et produisaient peu de connaissances. En revanche, l’affectation d’échec favorisait la mobilisation de nouvelles théories de l’action (Johnson et Johnson, 1991). Dès lors, il est vraisemblable que cette affectation facilite la production d’éléments personnels et l’investissement du savoir délivré à un niveau élevé, les sujets se montrant capables de recontextualiser les informations transmises. L’état de déficit cognitif repéré au niveau des processus de restitution ne semble pas s’avérer négatif au niveau des processus d’analyse en permettant aux sujets un investissement supérieur du savoir délivré par rapport aux sujets affectés d’une réussite. Ces résultats, non sans proximité théorique avec ceux obtenus par Johnson et Johnson (1991) vont dans le sens de l’idée selon laquelle la nécessité de se justifier ou de se protéger d’un échec facilite l’expérimentation de nouvelles théories de l’action pour se comporter ou penser.
51Par ailleurs, les sujets renforcés négativement ont exprimé peu d’éléments de qualité 4 en insertion de type individualisante, alors que l’insertion anonymante a permis une production élevée de cet indicateur. De plus, et contrairement à nos attentes, il a été observé que, seule l’insertion (anonymante) s’avérait déterminante pour cet indicateur en permettant au sujet-apprenant de se distancier par rapport au savoir délivré et en favorisant la production de nombreux éléments de qualité 4. Il est probable que les sujets, à la fois familiers de ce type d’insertion proche des cours magistraux et possédant un univers cognitif positif, « se surpassent » lorsque l’accès au savoir est de type anonymant, et seulement dans cette situation. Le traitement de la situation étant automatique, ils sont alors plus enclins à fournir une qualité de production de niveau 4. Ceci est également vérifié lorsque les sujets sont affectés d’un échec, car seule l’insertion de type anonymante liée à l’accès au savoir implique un rapport singulier au savoir. En effet, les sujets se montrent capables d’une appropriation maximale. Au regard des résultats concernant les processus de restitution, on aurait pu conclure à une non-appropriation du savoir délivré (production importante d’informations originales). Or, les processus d’analyse révèlent que ces sujets – sous assignation d’échec, mais possédant un univers cognitif positif – qui n’utilisent pas leurs théories de l’action dominantes, mobilisent de nouvelles théories de l’action qui impliquent une production d’informations intégrées à un niveau supérieur lorsqu’ils sont soumis à une insertion de type anonymante. En ce qui concerne les processus d’évaluation, les résultats sont inversés : en insertion de type individualisante, les sujets affectés d’une réussite et possédant un univers cognitif positif évaluent très positivement le cours, alors que les sujets affectés d’un échec et à univers cognitif positif l’évaluent négativement. Conformément à notre seconde hypothèse, l’insertion de type individualisante produit des conduites d’évaluation en conformité avec le mode de réponse affecté expérimentalement.
52L’effondrement cognitif relevé par Monteil (1988, expérimentation 2) en situation d’affectation d’échec avec insertion individualisante se manifeste au travers de l’indicateur d’appropriation des informations délivrées-éléments de qualité 4-et au travers des processus d’évaluation du cours et des productions des sujets. Quand l’insertion est relative à l’accès au savoir, en insertion individualisante, les résultats montrent l’importance des conduites socialement nécessaires qui amènent le sujet à se conformer, pour les processus d’évaluation, aux affectations de réussite ou d’échec qui lui sont faites et qui, dans l’univers scolaire, correspondent à des attentes de comportement. On peut, également, noter que ce sont les sujets affectés d’un échec en situation d’insertion anonymante qui évaluent le plus favorablement leur production, ainsi que le cours, comme d’autres ont pu l’observer avant nous (Monteil, 1988, expérimentations 4 et 5), probablement parce que cette situation d’anonymat leur convient.
53Comme le laissait supposer la seconde hypothèse formulée, l’anonymat pour les sujets affectés d’une réussite implique une faible évaluation des productions. Dans les travaux de Monteil (1988, expérience 3), l’interaction entre le mode d’insertion et l’affectation de réussite ou d’échec se manifeste d’autant plus fortement que la tâche concerne des disciplines socialement valorisées. Or, les mesures sont effectuées sur les performances des élèves et non sur les processus d’évaluation. Les résultats obtenus ici alimentent l’idée que là où l’emprise est moins forte, on relève pour les processus d’évaluation, un pattern de résultats inversé en affectation d’échec selon le mode d’insertion manipulé.
Pour conclure
54En ayant pour but de traiter expérimentalement de l’influence des dispositifs et situations de formation sur des acquisitions de connaissances, ce travail a tenté d’aborder la formation en tant qu’objet scientifique par une approche psychosociale. En résumé, cette étude indique qu’il est possible de réguler les conduites d’acquisition des individus dans un processus formatif, ce qui permet d’ouvrir quelques pistes de travail dans le champ de la formation. Ces résultats ne fournissent ni recette ni prescription, mais laissent entrevoir au responsable de formation professionnelle la possibilité d’une action sur les conduites d’acquisition à partir de déterminants psychopédagogiques. Sans envisager de transposition immédiate de cette étude, ni proposer de règles d’action directement applicables, plusieurs points peuvent être mentionnés pour le praticien : 1) si l’objectif d’une formation correspond à la reproduction des informations transmises ou, au contraire, s’il correspond à l’appropriation, à la reformulation du savoir transmis, il conviendra d’être vigilant sur les affectations de réussite ou d’échec. En effet, l’univers cognitif semble traduire le résultat du traitement et de l’intégration d’un environnement. Les sujets d’un bon niveau ont appris à reproduire le cours. Affectés d’une réussite, ils traitent l’information de la même manière. En revanche, affectés d’un échec, ils modifient leur traitement habituel, ce qui leur permet, dans certaines conditions, de faire preuve d’un degré d’appropriation des informations plus élevé ; 2) si l’objectif d’une situation de formation correspond à un degré d’appropriation élevé du savoir transmis (qualité de niveau 4), il faut savoir que les sujets – à univers cognitif positif – renforcés négativement auront tendance à exprimer peu d’éléments de qualité 4 en insertion individualisante, alors que l’insertion anonymante favorisera une production élevée de cet indicateur pour tous les sujets ; 3) si le savoir transmis paraît plutôt dévalorisé par les sujets-apprenant, c’est l’affectation d’échec en insertion anonymante qui tend à produire une évaluation élevée des productions et du cours. De tels éléments devraient faciliter l’appréhension et la planification des objectifs d’une formation professionnelle.
Notes de bas de page
1 À l’heure actuelle, seule une étude exploratoire propose une opérationalisation partielle (IS1, CS1, CS2) de ce modèle (Toczek-Capelle, 1993).
2 « L’univers cognitif humain traduit le résultat du traitement et de l’intégration d’un environnement qui présente des propriétés que les individus mettent en mémoire avec les significations qui découlent de la nature de leurs insertions sociales » (Monteil, 1991, p. 12).
3 Un pré-test a été effectué sur deux groupes équivalents concernant le fait de présenter des informations lues ou écrites. Les résultats montrent l’absence d’une différence significative pour les mesures considérées.
4 Par exemple, pour une production : nombre total de mots = 200, nombre d’informations importantes – 100 (50 %), nombre d’informations superflues = 30 (15 %), nombre d’informations originales = 70 (35 %).
5 Fondée sur l’analyse de l’échec et de la réussite : la réussite semble associée à une bonne « orchestration » couplée avec une perception du contexte d’apprentissage holistique. En revanche l’échec paraît associé à une désintégration de cette même orchestration par rapport à la perception.
6 L’expérimentateur mesure le segment entre 0 et la croix. Le degré de satisfaction maximum se situe à 10 centimètres. Le degré de satisfaction minimum est à 0.
7 De manière à ne pas alourdir le texte, ne seront présentés les effets de la variable « insertion sociale » et les effets d’interaction que lorsqu’ils sont significatifs.
Auteur
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