Chapitre 5. Intérêts pédagogiques de la méthode expérimentale en formation d’adultes
p. 81-89
Texte intégral
1Ce chapitre fera l’objet de la présentation d’une action de formation à la communication dans les organisations, destinée à des personnels d’une grande entreprise nationalisée (EDF-GDF). La banalité de ce type d’action ne mériterait guère qu’on s’y arrête, si cette formation n’avait reposé sur l’utilisation de la méthode expérimentale comme support pédagogique. Il s’agit peut être là d’un paradoxe à un moment où la méthode expérimentale tend, parfois, à être présentée sous un aspect obsolète. Elle fut, pourtant, à l’origine du spectaculaire développement des différents champs de la connaissance qui en ont fait usage, depuis la physique de Galilée, jusqu’à la psychologie expérimentale, sans oublier la médecine de Claude Bernard.
2La psychologie sociale n’a pas échappée à cette évolution. Ce mode d’administration de la preuve se trouve intrinsèquement lié à ses origines. Dans la tradition française, on peut les trouver aussi bien dans les utopies expérimentales (de Fourrier (1823), que dans les sciences de la nature qui inspirèrent Binet (1900). Nul ne saurait contester outre-Atlantique l’importance d’un Kurt Lewin (1959) qui fut à la fois le théoricien et l’épistémologue de la psychologie sociale naissante, et forma nombre de ceux qui allaient illustrer son histoire en usant parfois de manière spectaculaire de l’expérimentation. Il est vrai qu’en cette fin de siècle, le caractère expérimental de cette discipline apparaît plus diffus et que l’on qualifie parfois ainsi dans la littérature la mieux inspirée des démarches qui ne le sont plus au sens strict parce qu’elles prennent la forme d’enquêtes par questionnaires ou encore parce que les sujets ne sont pas affectés de manière aléatoire aux différentes situations du plan d’expérience.
3Il nous reste, certes, de belles traces de cette histoire. La psychologie est, sans doute, aujourd’hui une des rares disciplines universitaires où la méthode expérimentale se trouve enseignée en tant que telle, dès les premières années, comme moyen privilégié de production de connaissances vérifiables et reproductives. L’objectif de cette contribution est de montrer en quoi cette même méthode expérimentale peut constituer un outil de formation, voire de vulgarisation. Un exemple d’application à un cas concret sera proposé à titre d’illustration, afin de montrer comment à l’aide d’une expérimentation simple, une théorie issue de la psychologie sociale peut être appliquée à l’analyse des communications au sein d’une organisation et à la sensibilisation du personnel à ce propos.
Pourquoi la méthode expérimentale ?
4La méthode expérimentale repose sur une grande simplicité de principe. Elle consiste à appliquer les différentes modalités d’un même phénomène qu’on appelle, selon le cas : facteur, variable indépendante ou causale, ou bien encore « in put » à autant de sous-ensembles analogues appartenant à la population que l’on étudie, afin de relever les effets entraînés par chacune des modalités en question sur un deuxième phénomène observé et qualifié de variable dépendante, effet ou « out put ».
5La population initiale fait l’objet d’une division en autant de sous-groupes qu’il existe de modalités à la variable indépendante. Chacune de ces sous-populations se trouve affectée par une seule des modalités. À l’issue de la manipulation, il ne reste plus qu’à comparer la valeur des effets entraînés par chacune des modalités de la variable initiale sur chaque sous-population. Si le principe en est simple, les applications peuvent donner lieu à des développements fort complexes quant aux techniques requises, aux plan expérimentaux utilisés, ou bien aux outils statistiques nécessaires pour évaluer les différences. Mais là n’est pas notre propos et la complexité en soi ne constitue nullement un gage de validité des connaissances, pas plus que l’esthétique des analyses de la variance.
6On a souvent reproché à la méthode expérimentale son caractère artificiel. Or comme l’avait montré Kurt Lewin avec justesse, seul l’isolement des variables peut permettre d’observer l’effet d’un facteur sur un autre. Bien que le réel ait pour principal caractère d’être multidimensionnel, et que ces dimensions soient interactives, l’observation des phénomènes, notamment psychologiques, dans leur environnement naturellement social, ne permet guère d’aboutir à des conclusions univoques en matière de causalité. Le nombre élevé de facteurs qui interagissent fait que tout se retrouve dans tout, et réciproquement, ainsi qu’en témoignent les impasses de l’analyse systémique. Parler de système à ce propos permet de nommer le problème plutôt que de le résoudre. Car même s’il existe des propriétés systémiques, ce qui paraît irréfutable, celles-ci contribuent fortement à rendre illisibles les relations causales élémentaires.
7À travers la manipulation de la cause qu’elle implique, la méthode expérimentale demeure le seul mode d’administration de la preuve qui permette de conclure à une relation de cause à effet inter-sujets. Les études corrélationnelles, amplement répandues à la suite de la diffusion des outils statistiques et informatiques qui rendent aisée leur opérationnalisation, ne portent que sur la mise en évidence de variations conjointes ou disjointes intra-sujets, en aucune mesure sur des déterminations causales qui ne peuvent guère avoir que le statut d’hypothèse explicative. Pour énoncer sa loi de la chute des corps, Galilée a fait tomber une sphère parfaite sur un plan incliné d’inclinaison variable. La loi est établie à partir d’un cas particulier, artificiel, construit à cette seule fin. Qui aurait eu l’idée de regrouper le plus grand nombre possible de « chutes de corps » observables, afin d’en dégager un facteur explicatif commun par analyse factorielle ? Démarche qui constitue bien souvent le modèle privilégié de recherche en sciences de l’Homme aujourd’hui.
8Un dernier argument peut être évoqué à l’appui de l’intérêt pédagogique de la méthode expérimentale. Il tient dans le caractère souvent spectaculaire de celle-ci : les résultats en sont directement lisibles. Cette observation n’a rien de bien original puisque cet usage pédagogique nourrit abondamment les formations secondaires, même si cela correspond davantage aux formations en sciences exactes qu’aux sciences de l’humain et du social. En revanche, il est plus rare de proposer en formation d’adultes des démarches organisées autour de la mise en place d’une expérimentation formellement maîtrisée comme il a été fait ici.
9Une autre motivation découle du développement récent des situations d’emprise analytique (Lemoine, 1985). Il s’agit des interactions sociales au cours desquelles un ou plusieurs individus se trouvent placés en situation d’être observés par autrui afin de produire une information à leur propos. Cette situation se rencontre de manière de plus en plus fréquente, de l’examen médical à l’entretien d’embauche, en passant par le questionnaire de sondage, ou même 1 examen scolaire ou universitaire. Lemoine a montré que selon que le sujet se trouvait désapproprié ou non de la connaissance produite à son égard et à ses dépens, cela déterminait des comportements fort différents. En particulier, la désappropriation serait source de désorganisation comportementale.
10La plus grande part des emprises analytiques s avèrent désappropriatrices, c’est-à-dire que l’on prélève sur la personne observée des informations qui ne lui seront jamais communiquées, pour un usage qui lui échappe. À l'inverse, l’utilisation de la méthode expérimentale à des fins de formation constitue un mode d’emprise analytique au cours duquel les acteurs sont en même temps les destinataires de l’information produite sur eux-mêmes à l’occasion de leur propre activité. Non seulement on ne devrait plus observer de désorganisation comportementale ou de rétention d’information, mais la motivation heuristique, et donc l’envie d’apprendre des personnes concernées, devraient se trouver renforcées. Cet argument vient s’ajouter aux précédents pour justifier l’intérêt de l’usage de la méthode expérimentale dans les activités de formation, dont la description de la démarche suivante constitue une illustration.
La démarche de formation
11La demande émanait d’une entreprise nationale productrice et distributrice d’énergie (EDF-GDF). Elle s’inscrivait dans le contexte d’une formation proposée aux agents nouvellement recrutés afin de leur présenter le fonctionnement de leur nouvel employeur. L’Université de Tours avait été sollicitée pour assurer une intervention sur la communication. Il a été proposé d’organiser une démonstration expérimentale dans laquelle les personnes formées interviendraient à la fois comme sujets, puis analystes de leurs propres résultats.
12L’intervention a été montée sur le modèle d’un travail pratique universitaire à partir de l’expérience classique de Leavitt (1951) inspirée des modèles mathématiques de Bavelas (1948) sur la structure des groupes, et organisée sous forme de travail pratique par Fraisse (1974). Rappelons brièvement les caractéristiques de cette expérience bien connue. Les relations au sein d’un groupe peuvent être décrites sous la forme d’un graphe dont chaque nœud figure un élément capable de recevoir, gérer, émettre de l’information. Les arêtes du graphe matérialisent autant de canaux qui assurent la liaison, et donc la communication entre les nœuds. Ces liaisons peuvent exister ou non, et varier dans leur nature. Chaque position dans le graphe se trouve définie par sa centralité, c’est-à-dire le nombre de liaisons qu’elle entretient avec les autres positions.
13À partir d’un graphe simple composé, par exemple, de cinq éléments nodaux, on peut construire différents réseaux de communication qui feront varier la centralité des différentes positions susceptibles d’être occupées par des individus. Matériellement, ces réseaux sont constitués par différents boxes contigus dans lesquels chaque sujet se trouve isolé. Ces derniers communiquent avec leurs voisins par l’intermédiaire de « boîtes à lettres » situées dans les parois. Différents types de réseaux peuvent être matérialisés par ouverture ou obturation des boîtes à lettres. Deux formes de réseaux, l’une en chaîne, l’autre circulaire ont été utilisées dans le cadre de ce travail (voir la figure 1). Ces réseaux ont été retenus en raison de leur simplicité de montage, d’exploitation et d’interprétation.
Déroulement de la phase expérimentale
14Ces formations concernaient des groupes de dix à quinze personnes. Il s’agissait de techniciens et de personnels administratifs, hommes et femmes, généralement jeunes, qui venaient de faire l’objet d’un recrutement.
15Après une présentation théorique des phénomènes de communication sans allusion aux réseaux, les participants étaient invités à pénétrer dans la salle d’expérience où étaient installés deux dispositifs de réseaux de communication. Le formateur, opérateur, leur demandait de prendre place dans les boxes à leur disposition. On peut considérer que leur répartition était aléatoire. Les quelques personnes en surnombre étaient affectés à des tâches fonctionnelles : chronométrage, distribution des problèmes à résoudre, relevé des réponses.
16Une fois qu’ils étaient installés, l’opérateur leur présentait la tâche qu’ils allaient avoir à accomplir. Ces sujets ne communiquaient que par écrit. Ils devaient résoudre le problème suivant : chacun recevait une information constituée par cinq voyelles, une seule étant commune aux cinq messages. Leur tâche consistait à trouver laquelle. Vingt-et-un problèmes successifs leurs étaient ainsi proposés. On relevait, pour chaque essai, le nombre de messages utilisés pour arriver à la solution, et le temps mis par l’ensemble du groupe pour résoudre le problème, c’est-à-dire pour que les cinq sujets disposent de la bonne réponse.
17À l’issue des 21 essais, les participants répondaient à un questionnaire post-expérimental en deux parties. La première partie, individuelle, comportait une seule question sur le sentiment du sujet à propos de l’expérience : chacun devait évaluer la tâche effectuée sur une échelle en cinq points de « très fastidieuse » à « très plaisante ». La seconde partie était collective, chaque groupe expérimental devant répondre, après discussion, à cinq questions portant sur 1)1 organisation du groupe ; 2) la présence ou non d’un leader ; 3) un éventuel frein à l’efficacité du groupe ; 4) ce qui aurait pu améliorer l’efficacité du groupe ; et 5) les types de relations évoqués par cette expérience dans la vie professionnelle ou encore dans la vie en général.
Les résultats
18Un choix a été fait ici de présenter brièvement les résultats obtenus à l’occasion d’une des sessions parmi l’ensemble de celles qui se sont déroulées. Conformément à ce que l’on trouve traditionnellement, ces résultats montrent une courbe classique d’apprentissage aussi bien pour le temps mis que pour le nombre de messages (figure 2a et b). Le temps de résolution est du même ordre pour les deux réseaux (circulaire : 110.7 secondes, en moyenne ; en chaîne : 111.7 secondes, en moyenne). En revanche, le nombre moyen de messages échangés à chaque essai reste toujours supérieur (T = 8.15 ; p<.001) dans le réseau circulaire (m = 30.8) comparé au réseau en chaîne (m = 12.6)
19Les sujets qui occupent les positions centrales dans le réseau en chaîne étaient ceux qui trouvaient le plus souvent la solution en premier. Les réponses au questionnaire post-expérimental ont permis de confirmer que ce sont eux qui manifestaient également un intérêt supérieur pour l’activité réalisée.
Déroulement de la phase post-expérimentale
20À l’issue de la phase expérimentale, les résultats étaient présentés à l’ensemble des participants, sous la forme de graphiques tels que ceux de la figure 2, élaborés immédiatement après la phase expérimentale à l’occasion d’une pose proposée aux participants. Ces derniers étaient invités à en donner leur propre interprétation. Les deux situations étaient alors comparées, et la discussion orientée vers l’analyse qui pouvait en être proposée. L’examen des réponses au questionnaire post-expérimental notamment, a permis d’aborder les extrapolations qui pouvaient être faites à partir des données, à propos de situations hors-laboratoire, rencontrées dans l’entreprise ou en dehors.
21Le premier résultat relevé, en général, portait sur la comparaison entre les figures (2a et 2b). Il en ressortait qu’il fallait plus de messages dans le réseau circulaire pour réaliser une même tâche dans le même temps. À partir de cette observation, il était possible de faire constater aux participants qu’il existait bien un effet de la structure du réseau sur sa performance. Le caractère plus centralisé du réseau en chaîne facilitait la concentration de l’information et donc la résolution du problème à la suite d’un nombre moindre d’échanges de messages.
22En fonction de ce constat réalisé par les participants eux-mêmes à propos de leur propre fonctionnement, et des réponses formulées à l’occasion du questionnaire post-expérimental, le formateur pouvait orienter la discussion qui en découlait vers la recherche de situations sociales au sein desquelles fonctionnent des réseaux de communication analogues à ceux artificiels construits pour les besoins de l’expérience. Parmi les généralisations qui sont formulées figure, bien sûr, l’organisation même de l’entreprise qui fait l’objet de la session de formation. Les deux réseaux utilisés dans l’expérience matérialisent deux types d’organisation. L’une proche d’un organigramme en arbre, l’autre sans position centralisatrice. Les stagiaires en arrivaient vite à la conclusion que la hiérarchie possède une certaine fonctionnalité puisqu’elle facilite la résolution de problème.
23La discussion permettait aussi de faire surgir d’autres aspects des résultats quant aux avantages et inconvénients de chaque structure. Ainsi, le réseau en chaîne, plus fonctionnel, suscitait en retour des sentiments variables selon la place occupée. Les individus placés en position centrale trouvaient plus de satisfaction à leur activité que leurs homologues affectés à des positions périphériques. La position centrale voit, en effet, converger vers elle l’ensemble de l’information. C’est, en conséquence, à son niveau que le problème est le plus souvent résolu, puisque pour trouver la solution il suffit de disposer de l’ensemble des messages possédés par chacun des co-acteurs. À l’inverse, ceux des participants situés sur les positions périphériques ont beaucoup moins de chance de cumuler l’information qui leur permettrait de trouver la bonne solution. Ils communiquent le message qu’ils ont en leur possession, puis attendent de leur voisin qu’il leur retourne la solution du problème trouvée ailleurs. Ce ne sont que de purs exécutants qui disposent d’une marge restreinte d’initiative et trouvent, en conséquence, cette activité nettement moins plaisante que ceux qui traitent l’ensemble des informations. Le réseau en chaîne illustre bien les avantages et les inconvénients de l’organisation hiérarchique.
24De la discussion ont surgi plusieurs éléments de réflexion à propos des organisations, qui découlaient directement de l’expérience réalisée et de son analyse, et qui étaient susceptibles de permettre une véritable appropriation du savoir produit à l’occasion de celle-ci. Parmi les thèmes abordés, l’intérêt de la tâche apparaissait aux participants comme l’une des conditions de la satisfaction au travail. La personne confinée à un pur rôle d’exécution éprouve rapidement un manque d’intérêt pour son activité qui peut lui faire perdre toute motivation. Les participants aboutissaient immanquablement à la conclusion qu’il faut partager l’information, et qu’à chaque niveau hiérarchique, même le plus éloigné des instances de décision, les exécutants doivent conserver un minimum d’initiatives et de renforcement en fonction de celles-ci.
25Surgissaient également les idées d’organisations formelles et informelles. Si le réseau constitue une organisation formelle, avec les effets qui ont été observés, on constate aussi qu’il existe des stratégies individuelles à partir des positions occupées par chacun. Une sur-organisation informelle peut se superposer à la précédente et se montrer, le cas échéant, tout aussi rigide. Un individu peut, par exemple, prendre l’initiative, et imposer à ses co-acteurs, d’organiser un réseau circulaire de manière centralisée à son profit, en retenant les informations qu’il reçoit jusqu’à être en mesure d’énoncer la solution au problème. On peut parler à ce propos d’émergence d’un leadership. À l’inverse, un réseau centralisé pourrait fort bien décider de fonctionner de manière plus égalitaire en faisant passer l’information d’une position extrême à l’autre, avec retour de la solution par la même voie. Si le premier cas s’observe parfois, le second s’avère plus rare. Ces stratégies individuelles peuvent accroître la fonctionnalité de la structure, elles peuvent tout aussi bien se révéler dysfonctionnelles. Le cas se rencontre lorsque l’un des sujets décide de garder l’information pour lui, ou encore altère les messages à transmettre.
26Le travail de réflexion mené à partir de l’interprétation des résultats conduisait assez généralement à rechercher, en outre, les situations sociales qui pouvaient être analysées en termes de réseau de communication et auxquelles on pouvait, en conséquence, extrapoler les résultats recueillis à l’occasion de cette expérience. L’organisation administrative constituait, bien sûr, un champ d’application fructueux, d’autant plus qu’il s’agissait en partie de l’objet du stage. Les dysfonctionnements dans la circulation de l’information au sein de l’entreprise faisaient, à cet égard, l’objet d’une attention toute particulière.
27Au-delà de l’organisation administrative, ce même modèle peut être étendu aux réseaux de production ou de commercialisation. Tout au long des sessions de formation qui ont utilisé cet outil, ont été abordées des formes très diverses de communication, depuis la circulation du ballon dans une équipe de sport collectif, avec ses blocages ou ses stratégies individuelles, jusqu’aux relations à l’intérieur du groupe familial. Ces dernières se sont trouvé souvent évoquées. Les participants relevaient que, là aussi, il pouvait y avoir des canaux ouverts ou fermés, des circuits inattendus dans la circulation de l’information ou encore des positions plus centralisées que d’autres, et donc plus satisfaisantes, avec une volonté évidente de les conserver pour ceux qui les occupaient.
Quels enseignements tirer de cette pratique de formation ?
28Ces sessions de formation semblent, en premier lieu, avoir atteint leur but explicite : apporter aux stagiaires des connaissances théoriques et pratiques sur la communication et ses réseaux dans une organisation administrative, industrielle ou commerciale. Ces connaissances ont été acquises sur le mode de l’appropriation à travers une emprise analytique dont les acteurs ont conservé le contrôle, et dont ils constituaient même les principaux bénéficiaires dans le cadre particulier de cette action pédagogique.
29Cet objectif initial s’élargit à des perspectives diverses. Ainsi, la démarche qui vient d’être décrite a-t-elle montré son intérêt dans la mise en évidence de la spécificité propre à l’objet théorique de la psychologie sociale : l’étude de l’articulation entre l’individuel et le collectif. Dans cette opérationnalisation, la société se manifeste à travers l’organisation du réseau. Celui-ci constitue bien un produit social qui s’impose de l’extérieur aux individus, sur lequel ceux-ci n’ont guère de prise, mais qui en même temps leur est nécessaire pour entrer en communication. Peut-on imaginer meilleure allégorie du fait social dans la tradition sociologique qui se réclame de Durkheim ? Dans le même temps, cet objet social n’a d’utilité que s’il se trouve investi par des individus qui vont le faire fonctionner. En contrepartie, ces utilisateurs nécessaires vont introduire leurs propres finalités, compétences et stratégies. Ils manifestent la dimension individuelle de ces fonctionnements.
30On en fait tirer aisément la conclusion aux acteurs que la principale caractéristique de cette situation réside précisément dans son caractère psychosocial, dans la mesure ou elle articule nécessairement les deux aspects. Il peut paraître intéressant de faire découvrir à des non-spécialistes ce qui fait l’objet de la psychologie sociale, et de les amener en conséquence à en tirer des enseignements pour analyser leurs propres fonctionnements psychosociaux.
31Enfin un autre objectif qui nous semble pouvoir être poursuivi à l’aide de la présente démarche, concerne l’utilisation de la méthode expérimentale comme méthode de production de connaissance dans le domaine des sciences de l’Homme. Si son intérêt à cette fin présente un caractère d’évidence pour le spécialiste, il apparaît curieusement comme quelque chose d’assez surprenant pour le commun des mortels. Ajoutons que l’utilisation de cette procédure à l’occasion d’une action de formation, retient l’intérêt pris par les participants à leur activité et aux connaissances ainsi produites. La maîtrise de l’emprise analytique par ceux-là mêmes qui en sont l’objet place les acteurs à la fois en situation de sujets observés et d’observateurs, elle permet d’attirer leur attention sur la nature des processus de production de connaissance, aussi bien que sur leurs résultats.
Auteur
Université François Rabelais (Tours)
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