Quand le roman se fait parole d’évangile
p. 31-39
Texte intégral
1Quand le roman se fait parole d’évangile, il entre dans un champ magnétique où les orages se succèdent, où les aiguilles des boussoles littéraires s’affolent parce qu’elles ne constituent plus les seuls instruments de mesure. Quand le roman se fait parole d’évangile, il reproduit l’épopée christique de manière explicite (Jésus conserve son nom et ses caractéristiques, quitte à être transposé dans une époque ultérieure) et fictive (ce qui le distingue de l’apocryphe traditionnel, qui prétend à la vérité). Par là même, et bien qu’il se démarque délibérément de l’original, il enfreint l’interdit. Et cet interdit, comme certaines fièvres, est erratique.
2Parfois il brûle. Les premiers grimoires furent publiquement livrés aux flammes d’un bûcher, à Ephèse, en l’honneur de saint Paul. Puis le flambeau fut transmis à d’autres Paul. Paul III brandit pour la première fois en 1543 l’arme de l’excommunication contre des auteurs qu’il jugeait malveillants. En 1557, Paul IV institua la Congrégation de l’Index qui allait faire travailler à plein régime les tribunaux de l’Inquisition et accessoirement publier un célèbre catalogue, l’Index librorum prohibitorum, dont la dernière mise à jour remonte à 1948. L’Index eut néanmoins le mérite de tisser des liens ô combien sulfureux entre Pascal, Diderot, Voltaire, Hugo, Baudelaire, Gide, Sartre… et le Grand Dictionnaire Larousse. J’en passe, bien entendu.
3Pour en savoir davantage à ce sujet, on pourra consulter le Magazine littéraire de juillet-août 1995, qui dans la liste des exclus qu’il dresse réserve une bonne place aux victimes de l’Index. Je signalerai tout de même que c’est à un autre Paul, le sixième du nom, qu’il revient d’avoir mis un terme à la censure officielle, en 1966, après la clôture du concile de Vatican II. Cela ne signifie pas que toutes les formes d’anathèmes ont été supprimées : les cardinaux parlent, les critiques littéraires des revues catholiques écrivent. Et puis l’imprimatur, lui, a survécu.
4Mais parfois la fièvre tombe aussi. Thomas Mann, dans la tétralogie consacrée à Joseph et ses frères (1926-1942), adopte de temps à autre un ton susceptible de choquer des oreilles par trop chastes. Et pourtant, rien n’arrive. Dans Les Testaments trahis, Milan Kundera commente :
Le roman de Mann a connu un respect unanime ; preuve que la profanation n’était plus perçue comme offense mais faisait désormais partie des mœurs1.
5Il est déjà arrivé à Kundera d’être plus prudent dans ses affirmations, mais il n’en demeure pas moins vrai que Thomas Mann n’a pas été inquiété par les autorités ecclésiastiques.
6Le chaud et le froid soufflent tour à tour, au gré des circonstances, semble-t-il. Les exemples abondent.
7En 1954, Nikos Kazantzaki est excommunié par l’Église orthodoxe et La Dernière Tentation du Christ est mise à l’index par les autorités vaticanes. Un peu plus de trente ans plus tard, le père jésuite Ferdinando Castelli dira :
Kazantzaki commet une erreur très grave : il attribue au Christ ce que son imagination de romancier lui suggère. Mais on ne peut pas connaître le Christ en faisant appel à l’expérience humaine ; le Christ, on le rencontre et on le comprend en se fondant sur l’histoire évangélique (et, si l’on est croyant, sur le magistère de l’Église)2.
8Au début des années soixante, à en croire Loris Capovilla, son secrétaire, Jean XXIII aurait encouragé Pasolini à réaliser son Évangile selon saint Matthieu, et huit cents pères conciliaires auraient applaudi à la projection du film au festival de Venise, le 5 octobre 1964. En 1968, Giacomo Biffi écrit un Cinquième Évangile qui prône davantage de démocratie au sein de l’Église sur la base de la Révolution française et qui brise une lance en faveur de l’amour libre. Pour ce faire, Biffi corrige les versets de Jean et des synoptiques à l’aide de pseudo-fragments d’un cinquième évangile retrouvé fortuitement en Palestine par un industriel milanais. A l’occasion de la réédition du livre, en 1994, le très orthodoxe théologien du Corriere della Sera écrit : « Le Cinquième Évangile est un livre en soi sérieux même si son auteur se dérobe derrière la définition affectée de “petit écrit impertinent”3 ». Qui est ce pernicieux Giacomo Biffi ? L’archevêque ultra-conservateur de Bologne, l’un des faucons de la Curie. Je passe sur l’adaptation cinématographique de La Dernière Tentation signée Martin Scorsese pour finir sur L’Évangile selon Jésus Christ de José Saramago. Rayé de la sélection portugaise pour le Prix européen de littérature de 1992 parce que le secrétaire d’État adjoint à la culture Antonio Sousa Lara estimait qu’il portait atteinte au patrimoine religieux de ses compatriotes, défendu au Parlement européen par Egon Klepsch et Jack Lang, ignoré par Jacques Delors qui en l’occurrence avait joué le rôle de Ponce-Pilate, finalement repêché par le Gouvernement de Lisbonne, le roman de Saramago n’a fait l’objet d’aucun commentaire de la part de l’Église portugaise. À sa parution en version italienne, il a toutefois provoqué l’ire de l’un des critiques littéraires de L’Avvenire, organe de presse de feu la Démocratie Chrétienne, qui voyait en son auteur un « homo stalinianus vetustus » à l’écriture relevant de « la technique typique de l’interrogatoire style KGB4 ».
9Ces exemples, qui sont loin d’être isolés, suffisent à mettre en relief certaines constantes. Les romans concernés proposent tous une transcription partielle ou complète, en tout cas totalisante, de l’Évangile. Ils sont en outre focalises sur la personne de Jésus. Ce sont des Evangelia Christi. Les œuvres consacrées à Judas, Pilate ou à tel autre comparse de l’épopée, c’est-à-dire les Evangelia Minorum, ne soulèvent normalement pas un tollé de la même ampleur. Ensuite, les réactions ne sont pas unanimes. Il semblerait qu’au-delà même du message et au-delà de leur obédience (Pasolini ne passait pas précisément pour une grenouille de bénitier), certains auteurs sont autorisés à franchir les limites du domaine tabou et d’autres non. Se dessine donc une fine dialectique entre interdit et entre-dit, qui promeut l’apposition de scellés d’une part et la signature d’un pacte hagiographique d’autre part. La question est de savoir si une telle dialectique satisfera tout le monde.
10La confusion qui règne, ou qui semble régner, dérive des caractéristiques du roman-évangile, ou roman christologique. À la lecture d’une œuvre de fiction qui transcrit tout ou partie de la geste de Jésus, on s’interroge forcément sur la nature de ce qu’on lit. Et on a de bonnes raisons de le faire, parce qu’elle est triple.
11Chaque combinatoire littéraire piochant dans la configuration Évangile est régie par trois facteurs : l’un est romanesque, l’autre mythique, le troisième d’ordre religieux. Et ces trois facteurs sont antithétiques. Certes, le roman fait bon ménage avec le mythe, qu’il régénère cycliquement. Comme dit Mircea Eliade.
Le mythe, comme le symbole, a sa « logique » propre, une cohérence intrinsèque qui lui permet d’être « vrai » sur des plans multiples, si éloignés que soient ceux-ci du plan sur lequel le mythe s’est manifesté à l’origine5.
12Le romancier est à même d’explorer ces différents plans, et donc de s’éloigner et d’éloigner le mythe de sa manifestation initiale, de son épiphanie. Personne ne songerait à lui contester ce droit. En témoignent, au nom de mille autres, les innombrables avatars de Prométhée ou le destin surprenant d’Œdipe au XXe siècle. Il n’y a qu’une seule contrainte à respecter : celle du thème – sans quoi le mythe ne serait plus identifiable.
13Tant que la relation est circonscrite en ces termes, tout se combine au mieux dans un univers harmonieux. Mais les choses se compliquent singulièrement dès lors que le romancier s’aventure du côté de l’Évangile, car il aura pénétré sur un territoire frappé d’interdit par l’Église. Sur le fait de savoir si la littérarité de l’Évangile est susceptible d’être décrétée puis exploitée, les autorités ecclésiastiques se sont déjà prononcées – fût-ce indirectement – par l’entremise d’Origène, au IVe siècle : « Ecclesia quattuor habet evangelia, haeresis plurima6 ». Toute transcription du texte de l’Évangile est proscrite, même si elle ne remet pas en question l’original. Aucune ambivalence n’est supposée. Si Julia Kristeva avait l’idée bizarre d’apporter sa contribution à la patristique, elle dirait : « Le point de vue absolu du narrateur coïncide avec le tout d’un dieu ou d’une communauté7 ». La défense acharnée de l’intégrité de l’Évangile n’est pas dictée par des sentiments rigoristes et aprioristes ; elle est au contraire fondée sur de solides raisonnements, d’ailleurs partagés par des penseurs laïcs comme Rougemont et Genette, parmi bien d’autres. Dans L’Amour et l’occident, Denis de Rougemont notait : « Lorsque les mythes perdent leur caractère ésotérique et leur fonction sacrée, ils se résolvent en littérature8 ». Quant à Gérard Genette, au moment où il tente de tracer la limite entre fiction et diction dans l’essai homonyme, il s’aperçoit que « recevoir un récit religieux comme un mythe, c’est à peu près du même coup le recevoir comme un texte littéraire9 ».
14Au départ, pour l’Église, il existe un support à valeur religieuse (a), si la valeur religieuse se perd l’épopée devient simplement mythique (b), et, comme nous l’avons vu, le mythe est susceptible d’alimenter la littérature (c). En somme, si (b) entraîne (c), implicitement cela signifie que (a) a entraîné (b). Une telle implication, dans l’optique de l’Église, dénoterait bien entendu une dégénérescence.
15L’attitude des autorités ecclésiastiques, par conséquent, est cohérente, voire tout bonnement prudente. Il s’agit d’éviter de malencontreux dérapages. Pour contourner l’interdit, le romancier devra émettre une hypothèse alternative – sauf à se cantonner dans la provocation pure et simple. Sondé sur la nature et le dessein de son Évangile selon Jésus-Christ, Saramago a répondu :
Mais bien entendu il s’agit de l’interprétation d’un laïc, extérieur à l’Église, et de plus n’oublions pas que c’est une œuvre romanesque, c’est de la fiction10.
16Si le premier argument n’est guère valable dans la mesure où, établissant une opposition catholique/laïc, il continue à ressortir au domaine religieux, le second est bien plus pertinent : il cloisonne (a) et (c) et pose (b) en monde possible transformable à merci (à condition, une fois de plus, que le thème soit préservé).
17L’Évangile devient une œuvre ouverte virtuelle, en marge ou à distance de son interprétation religieuse – (a) n’étant ni révoqué en doute ni même invoqué par le romancier. Tout texte littéraire né de la transcription de l’Évangile laisse au religieux la lecture monovalente – et donc officielle – de l’épopée pour s’ouvrir, devenir dialogique ou encore ambivalent, en fonction de la terminologie des uns et des autres. Un roman, fondé sur de tels principes, ne vise en aucun cas à se substituer à l’épopée ; il propose une alternative potentielle, et donc nommément fictive, ou fictionnelle.
18Le fossé est profond, et les deux perspectives inconciliables – l’Église défendant le sacré et le romancier sa liberté absolue. Une fois de plus, on s’aperçoit que la vérité n’est pas une, ou du moins que son mètre varie. Lorsque le R.P. Castelli juge le roman de Kazantzaki en regard de la doctrine religieuse, il est dans son droit ; lorsque Saramago excipe de son statut de romancier, il est également dans son droit. Le seul peut-être qui occupe une position en porte-à-faux est le Polonais Jan Dobraczynski, qui ne voit pas d’objection à ce que ses Lettres de Nicodème (1954) soient cataloguées dans la catégorie ancilla theologiae. Ce faisant il commet une double erreur, si j’ose dire, car nous connaissons la faible valeur du mot. Il enfreint d’une part l’interdit religieux – ce qui dans son cas est un péché véniel, que l’Église lui pardonne ; mais il enfreint encore un autre interdit, tacite celui-là, qui lui fait encourir une sanction littéraire.
19Car sur ce versant, une autre question se pose, une question fondamentale pour l’écrivain : qu’est-ce qu’une transposition romanesque de l’Évangile peut apporter sur le plan littéraire ? Selon Umberto Eco, pour qu’un message soit esthétiquement bien formé,
il faut qu’il se réalise une dialectique entre ordre et nouveauté, ou plutôt entre schématisme et innovation », et « il faut que cette dialectique soit perçue par le destinataire : celui-ci ne doit pas seulement saisir les contenus du message mais aussi la manière dont le message transmet ces contenus11.
20Ces deux conditions ne sont pas toujours remplies par les romans christologiques, et certains critiques, excessivement sceptiques il est vrai, semblent même croire qu’elles ne le sont jamais.
21Le roman-évangile évolue dans l’espace très restreint qui se déploie entre le plagiat ou la paraphrase et la recherche systématique du scandale. Dans le premier cas, on se retrouve dans la catégorie des récits hagiographiques, admis par l’Église, ce qui ipso facto les rend suspects d’un point de vue littéraire. L’exemple type est le roman de Dobraczynski, et j’ajouterai qu’il constitue sans doute un modèle pour ceux qui empruntent cette voie. Dans le second cas, on a affaire à des œuvres qui tirent leur raison d’être du scandale qu’elles espèrent déclencher – vœu qui est en général exaucé. Mais l’iconoclasme, qui est le pôle négatif de l’hagiographie, continue à se situer sur les confins de la littérature. En guise d’exemple, je citerai Le Sel de la terre (1965) de l’Italien Carlo Monterosso, où Jésus recourt à la magie pour faire crucifier Simon le Cyrénéen à sa place, désamorçant par là même la résurrection en tant que hiérophanie. Comme pour Dobraczynski, je dirai que l’ouvrage de Monterosso illustre au mieux le genre, mais dans l’un et l’autre cas nous sommes tout de même assez loin de ce que l’on a coutume d’appeler des chefs-d’œuvre littéraires.
22Quand le roman se fait parole d’évangile, c’est entre ces deux extrêmes qu’il doit se situer. Bien entendu, l’innovation doit porter sur le contenu. S’il est un roman qui se plaît à remanier les données dont il dispose, c’est bien le roman christologique. La plupart des transcriptions de l’épopée christique se livrent avec délices à la conjecture, à l’exploitation frénétique des interstices apparaissant dans le récit des quatre évangélistes. On aura beau admettre comme René Girard : « Je n’oublie jamais que nous ne pouvons rien dire sur Jésus qui ne vienne de l’Évangile12 », on pourra toujours invoquer le silence du texte, qui n’est pas forcément l’indice d’une censure, mais qui peut également être la simple résultante d’une omission, ou mieux : d’un émondage, qui ne correspond pas à une sortie du monde, mais à une coupe des branches latérales destinée à faire naître des rejets que l’on utilisera. La frontière entre l’explicite et l’implicite est mouvante – et ce sont du reste des conflits frontaliers attisés par l’indécision qui mettent le plus souvent aux prises Église et romanciers. Si donc l’innovation doit porter sur le contenu, ce n’est là qu’une condition nécessaire à l’achèvement littéraire de la transcription, mais ce ne saurait être une condition suffisante. Des romans tels que King Jesus (1946) de l’Anglais Robert Graves furètent dans les moindres recoins de l’Évangile, échafaudent des théories échevelées, mais n’en demeurent pas moins modestes, et parfois médiocres. Pour être bons, ils devraient frapper le lecteur par les qualités manifestées sur le plan de l’expression. Il faut savoir transcrire l’Évangile en poète. Et là, cela va de soi, les candidats se font rares. Beaucoup d’écrivaillons s’attaquent au modèle en espérant vivre de luce riflessa, comme disent les Italiens. Et bon nombre d’écrivains affirmés se perdent – et égarent le lecteur – dans les méandres de leurs trouvailles, avec tout ce que ce terme a de péjoratif. Fixer des modèles est affaire de goût, et dans le domaine du roman christologique le jugement subjectif est encore plus prégnant qu’ailleurs. En ce qui me concerne, et avec les restrictions qui s’imposent, je mentionnerai le Saramago évangéliste du bout des lèvres et Kazantzaki avec plus de conviction. Je n’oublierai pas L’Évangile selon Judas (1978) de Giuseppe Berto, Vénète inquiet, hésitant entre Marx et l’Ecclésiaste, et dont les doutes marquent les relations entre Judas et Jésus ; je n’oublierai pas non plus Le Messie (1974) et Les Beaux Jours (1980) de Jean Grosjean, qui, sans révolutionner ses sources, parvient à innover profondément en transplantant couleurs et tons champenois en Terre Sainte. Et puis je signalerai La Parole du désert (1978) du Suédois Göran Tunström, romancier que le public français gagnerait à mieux connaître. Comme Berto, comme Grosjean, mais davantage encore, Tunström narre une partie de l’épopée (l’adolescence de Jésus, à peine ébauchée dans l’original) en faisant oublier à son lecteur que le héros est une hypostase divine. Tunström transcrit l’Évangile comme s’il écrivait un roman ab nihilo. Peut-être est-ce là la clé de la parfaite réussite littéraire de son livre.
23La réécriture de l’Évangile est un exercice délicat qui représente un double défi pour le romancier. Il devra entreprendre une quête difficile sur les traces du héros épique par antonomase, d’un héros que chaque lecteur aura refiguré d’une manière qui lui est propre. Il devra en même temps affronter l’Évangile, modèle suprême, modèle sans doute insurpassable, dont il pourra tout au plus combler les vides, exploiter les silences – tentative où se mêlent indissolublement l’orgueil et l’humilité, et dont le résultat n’est pas certain. Comme les membres de l’Oulipo, et le parallèle n’est peut-être pas aussi inopiné qu’il y paraît, il aura à cœur de faire savoir que ce qu’il « entendait montrer, c’est que ces contraintes sont heureuses, généreuses et la littérature même13 ». Tunström et quelques autres y sont parvenus, malgré la résistance de ceux pour qui l’Évangile est exclusivement le vecteur d’une religion et malgré le préjugé négatif de ceux pour qui le roman christologique ne saurait relever que d’une provocation à faible teneur littéraire.
24La multiplication des transcriptions romanesques de l’épopée christique ces dernières décennies peut surprendre étant donné les vicissitudes auxquelles s’exposent leurs auteurs. L’année 1992 aura été particulièrement féconde avec les parutions successives de Ceci est mon sang de Jean-Baptiste Niel, de L’Enfermé de Clairvaux de Jacques-René Doyon et de Jo… ou la nuit du monde d’Alain Absire, en France, où la thématique du sida fait son entrée dans le roman christologique, et de Live from Golgotha de l’Américain Gore Vidal, sans parler du livre de Saramago et de La prueba del Laberinto qui a valu le premio Planeta à son auteur, Fernando Sãnchez Drago. Cette faveur s’explique sans doute par le fait que le roman-évangile s’inscrit dans le vaste courant du pastiche qui traverse une époque consacrant, comme dirait Eco, « le triomphe éhonté de l’intertextualité14. À l’heure où d’aucuns sonnent le glas des grands récits, il était prévisible qu’on se tournât vers le grand récit fondateur de la civilisation occidentale afin de le réélaborer en termes littéraires. L’Évangile, plus encore que l’Odyssée ou la Cosmogonie d’Hésiode, est un palimpseste qui mérite d’être gratté à l’infini – mais il convient de manier le calame avec dextérité car on écrit pour un lecteur averti.
25En lisant les romans christologiques, on s’aperçoit que l’auteur doit savoir écrire nonobstant l’interdit, et non contre lui. C’est là, je crois, l’un des points de départ de la bonne littérature, du moins dans ce domaine.
Bibliographie
Bibliographie
Alain Absire, Jo… ou la nuit du monde, Calmann-Lévy, Paris, 1992.
Giuseppe Berto, L’Évangile selon Judas, Denoël, Paris, 1982 (v.o., 1978).
Giacomo Biffi, Il quinto evangelo, Piemme, Casai Monferrato, 1994.
Jan Dobraczynski, Listy Nikodema, Pax, Varsovie, 1952.
Jacques-René Doyon, L’Enfermé de Clairvaux, Laffont, Paris, 1992.
Robert Graves, King Jesus, Stock, Paris, 1993 (v.o., 1946).
Jean Grosjean, Le Messie, Gallimard, Paris, 1974.
Jean Grosjean, Les Beaux Jours, Gallimard, Paris, 1980.
Nikos Kazantzaki, La Dernière tentation du Christ, Presses Pocket, Paris, 1988 (v.o., 1959).
Carlo Monterosso, Il sale della terrra, Rizzoli, Milan, 1965.
Jean-Baptiste Niel, Ceci est mon sang, Julliard, Paris, 1992.
José Saramago, L’Évangile selon Jésus-Christ, Éditions du Seuil, Paris, 1993 (v.o., 1992).
Goran Tunström, La Parole du désert, Acres Sud, Arles, 1991 (v.o., 1978).
Gore Vidal, Life from Golgotha, André Deutsch, Londres, 1992.
Notes de bas de page
1 Milan Kundera, Les Testaments trahis, Gallimard, Paris, 1993, p. 18.
2 Ferdinando Castelli, « Il Cristo di Kazantzaki », in La Civiltà cattolica, 19.11.1988, p. 331.
3 Marco Garzonio, « Formidabili quegli anni, mormorò Sua Eminenza », in Il Corriere della Sera, 11.05.1994.
4 Cesco Vian, « Saramago falso e bugiardo », in L’Avvenire, 13.02.1993.
5 Mircea Eliade, Traité d’histoire des religions, Payot, coll. « Bibliothèque historique », Paris, 1949, p. 359.
6 Origène, Homélie I in Lc I.I.
7 Julia Kristeva, Sèméiotikè. Recherches pour une sémanalyse, Éditions du Seuil, Paris, 1969, p. 98.
8 Denis de Rougemont, L’Amour et l’occident, UGE, Paris, 1962, p. 204.
9 Gérard Genette, Fiction et diction, Éditions du Seuil, Paris, 1991, p. 35.
10 José Saramago, propos recueillis par Elena Clementelli, « Se fossi vissuto nel 600 sarei finito sul rogo », in Il Tempo, 19.04.1993.
11 Umberto Eco, Sugli specchi e altri saggi, Bompiani, Milan, 1985, p. 140.
12 René Girard, Le Bouc émissaire, Le Livre de Poche, coll. « Biblio/Essais », Paris, 1986 (1982), p. 238.
13 Oulipo, La Littérature potentielle, Gallimard, coll. « Idées », 1982 (1973), p. 31.
14 Umberto Eco, op. cit., p. 77.
Auteur
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