Que reste-t-il des conflits coloniaux franco-anglais dans la tradition chantée francophone d’Amérique ?
p. 231-257
Texte intégral
1Les nombreux travaux pluridisciplinaires qui se sont succédés depuis plus d’un demi-siècle ont amené à entièrement reconsidérer l’opposition – héritée des historiens positivistes – entre d’une part des sources écrites devant seules être mises à contribution pour l’écriture scientifique de l’histoire, et d’autre part des sources orales qui seraient le support d’une mémoire marquée par son caractère évolutif et donc sa non fiabilité1. Deux courants ont été largement développés dans l’étude des sociétés occidentales d’Europe et d’Amérique du Nord : l’histoire orale, née aux États-Unis dans l’entre-deux guerres avant de se répandre en Europe, se caractérise par son intérêt pour l’histoire du temps présent2 ; un courant plus proche de l’ethnohistoire interroge pour sa part la mémoire des sociétés passées à travers les traditions orales qu’elles ont transmises sur le temps long3. Le présent article s’inscrit dans cette seconde orientation : il propose d’examiner quelles traces des conflits coloniaux franco-anglais des XVIIe et XVIIIe siècles ont été conservées dans les traditions orales recueillies en Amérique francophone depuis le XIXe siècle, en particulier dans les chansons. Il s’agit donc de réfléchir à la façon dont la mémoire orale nous informe moins sur les événements eux-mêmes que sur la réception et la transmission de certains d’entre eux sur la longue durée. L’ensemble du régime français est ici pris en considération : l’accent porte sur la guerre de Sept Ans (événement pour lequel les références sont les plus nombreuses dans la tradition chantée), mais des chansons se rapportant à des conflits franco-anglais plus anciens y sont également abordées. L’espace étudié couvre l’Amérique francophone, même si les sources sont dans les faits concentrées dans ce qui constitue aujourd’hui le Québec et les provinces maritimes.
Remarques méthodologiques préliminaires
2Pour aborder la tradition chantée sur les conflits coloniaux franco-anglais, deux types de documents peuvent être consultés. D’une part, on relève un corpus de sources situées au point de départ, si l’on peut s’exprimer ainsi, à savoir des chansons écrites et contemporaines des faits, conservées sous forme manuscrite ou imprimée. Dans la perspective d’une analyse mémorielle, de tels documents sont à l’origine d’une possible circulation de ces chansons dans la tradition orale. Dès lors, la transmission orale entraîne souvent une « folklorisation » du récit et son insertion dans les canons esthétiques de la tradition orale : la langue est transformée, certains motifs sont oubliés ou au contraire ajoutés par rapport au texte initial, la mélodie évolue4. D’autre part, un autre groupe de sources se situe au contraire à ce que l’on pourrait qualifier de point d’arrivée : il s’agit de chansons recueillies en contexte oral à un moment précis de leur existence dans la tradition et qui sont transcrites sous forme écrite ou conservées sur des enregistrements sonores. Elles ne permettent plus de repérer l’auteur ni le lieu de composition mais montrent comment une mémoire orale continue de transmettre tout ou partie d’un récit même si les porteurs de ces traditions ne sont plus forcément capables de faire le lien entre ce récit et l’événement qui l’a généré. Dans ce cas de figure, à moins que l’on connaisse un antécédent écrit de la chanson – c’est-à-dire une version écrite qui soit à l’origine de sa circulation –, on ne peut pas retrouver la version première du chant ni savoir si elle a été mise par écrit ou non à son origine.
3Lorsqu’on étudie le corpus de chansons portant sur les conflits coloniaux franco-anglais, on constate qu’il existe un certain nombre de chants pour lesquels on possède un état écrit ancien mais une quantité beaucoup plus faible de chansons attestées dans l’oralité par la collecte. Ce schéma habituel se retrouve de façon similaire pour d’autres événements historiques : par exemple, on conserve de nombreuses chansons écrites sur les guerres de religion ou les périodes de forte instabilité de la monarchie française (comme la Fronde ou la Régence) qui sont composées de façon contemporaine aux événements5 ; mais les traces de ces mêmes événements recueillis dans la tradition orale sont beaucoup plus rares6.
4De façon générale, on constate que les chansons à caractère historique laissent peu de traces dans la mémoire orale ou alors, si elles ont circulé, elles ont perdu les éléments d’identification qui permettraient de les replacer dans un contexte événementiel ou spatio-temporel défini. Il existe ainsi un certain nombre de chants de tradition orale qui évoquent des conflits franco-anglais mais qu’il est impossible d’associer à des événements historiques précis. La mort du colonel [Coirault 1411 ; Laforte II.A-06] en est un parfait exemple7. Il s’agit de la chanson sur une bataille franco-anglaise pour laquelle on possède le plus de versions recueillies de tradition orale dans toute la francophonie. Selon les variantes, elle met en scène un combat naval mais aussi parfois un conflit terrestre et décrit la mort d’un officier français – qui peut être capitaine, colonel, quartier-maître ou même porte-enseigne –, et ce dans un contexte totalement indéfini : la chanson ne donne pas de noms de personnes ou de lieux et encore moins de dates, évoquant uniquement des ennemis anglais. Il faut noter l’inadéquation entre les événements considérés comme de la « grande histoire » par les historiens et ceux qui sont conservés dans la tradition orale, lesquels relèvent beaucoup plus de l’ordre de l’anecdote. Peter Burke remarque par exemple qu’aucune chanson de tradition orale ne parle explicitement de Louis XIV alors que ce roi a mis en place une politique particulièrement active de propagande par de multiples médias dont la chanson8. En raison de toutes ces caractéristiques, la tradition chantée est souvent considérée comme une source peu fiable et décevante pour les historiens.
5Cependant, par rapport à beaucoup d’événements historiques qui n’ont laissé aucune trace pouvant être associée à des faits précis dans la tradition orale, les conflits franco-anglais en Amérique ont laissé un certain nombre d’attestations dans l’oralité qui peuvent être bien documentées sur le plan historique, même si plusieurs se trouvent à l’état de résidus. La difficulté est alors de savoir si les traces de ces conflits des XVIIe-XVIIIe siècles à travers les chansons sont le reflet d’une mémoire orale plus vivace que pour d’autres événements historiques, ou si elles révèlent simplement un travail de collecte plus efficace (ou encore s’il s’agit d’un mélange des deux raisons).
Quatre catégories de chansons se rapportant aux conflits franco-anglais
6En considérant l’ensemble des chansons orales et écrites recensées qui évoquent des conflits franco-anglais en Amérique sous le régime français, le corpus connu, d’après le catalogue élaboré par le folkloriste québécois Conrad Laforte – le catalogue de référence pour le répertoire d’Amérique française – est constitué de 45 chansons-types différentes9, se rapportant à trois moments historiques distincts : une chanson sur le siège de Québec en 1690 ; dix chansons sur le désastre de la flotte de Walker en 1711 ; et 34 chansons en lien avec divers événements de la guerre de Sept Ans. L’examen ce de corpus permet de distinguer quatre cas de figure10 :
Les chansons pour lesquelles on possède des traces écrites mais aucune attestation dans la tradition orale ;
Les chansons pour lesquelles il existe un antécédent écrit ayant connu un passage minimal dans la tradition orale ;
Les chansons pour lesquelles aucune trace écrite n’a été repérée mais qui sont attestées par des traces orales à l’état de résidus ;
Les chansons pour lesquelles aucune trace écrite n’a été repérée mais qui sont relativement bien attestées dans la tradition orale.
Chansons pour lesquelles on possède des traces écrites mais aucune attestation dans la tradition orale
7Elles constituent de loin l’ensemble le plus nombreux : on a dénombré 33 chansons essentiellement connues par des sources manuscrites et dont nous n’avons pas d’attestation dans l’oralité au XXe siècle. Neuf d’entre elles portent sur le désastre de la flotte de Walker en 1711 ; quatre rappellent la victoire de Beaujeu sur Braddock à la bataille de la Monongahéla (1755) ; neuf célèbrent la victoire de Chouaguen (prise du fort d’Oswego par Montcalm en 1756), tandis qu’une autre raconte la victoire française au fort William Henry en 1757 et quatre autres soulignent la victoire de Carillon en 1758. Les dernières chansons de cette catégorie sont pour la plupart écrites à la gloire des principaux protagonistes des événements, particulièrement Vaudreuil, mais également Montcalm et le chevalier de Lévis.
8Sauf exception, elles semblent contemporaines des faits qu’elles évoquent et si beaucoup apparaissent de facture très lettrée11 (langue recherchée, style emphatique, allusions mythologiques, allégories…), quelques-unes ont cependant été composées sur des timbres populaires très connus au XVIIIe siècle12, ce qui atteste d’une évidente intention de « diffusion » orale, à défaut de support écrit13 (presse, feuilles volantes, etc.). On y trouve explicitement mentionnés des noms de personnes et de lieux ainsi que des détails d’événements historiques datés et localisés. Elles témoignent sans surprise d’un fort parti pris français. Dans quelques cas, le nom de l’auteur présumé est connu.
9Ces chansons ont été pour la plupart compilées dans des recueils publiés bien après la rédaction du manuscrit, ou encore mentionnées dans des articles disséminés dans diverses revues historiques. Ainsi, en 1865, Hubert LaRue publie six chansons et un fragment sur la victoire de Chouaguen en 1756 dans Le Foyer canadien14. En 1910 et 1913, Hugolin Lemay publie successivement deux articles dans La Nouvelle-France15, l’un sur le désastre de la flotte de Walker, l’autre sur différents événements de la guerre de Sept Ans, dans lesquels il compile une vingtaine de chansons retrouvées dans trois manuscrits du XVIIIe siècle conservés dans les archives de l’Hôtel-Dieu de Québec16. Neuf versions des chansons du manuscrit de l’Hôtel-Dieu sur la prise de Chouaguen ont aussi été retrouvées dans un cahier manuscrit conservé à la Bibliothèque nationale de France à Paris et publiées en 1931 dans le Bulletin des recherches historiques17.
10S’ajoutent à ces trois parutions quelques chansons isolées publiées par des écrivains ou des chercheurs : par exemple, Philippe Aubert de Gaspé cite trois couplets d’une chanson sur le marquis de Montcalm en attribuant sa composition – affirmation bien sûr invérifiable – à un élève du séminaire de Québec à la charnière des XVIIIe-XIXe siècles18. Maurice Carrier et Monique Vachon, dans une anthologie portant sur les chansons politiques imprimées sous le régime anglais, reprennent au fil de leur exposé quelques chansons concernant la Nouvelle-France19.
11À une exception près, ce corpus de 33 chansons est basé sur les dépouillements réalisés par Conrad Laforte. Il est très probable que des recherches plus approfondies dans les différents fonds d’archives permettraient d’allonger cette liste. Les circonstances de leur composition restent méconnues et il est difficile de savoir si elles ont connu une diffusion autre qu’écrite. De l’ensemble des chansons retrouvées dans des manuscrits anciens, seulement deux, traitées ci-après, ont été recueillies pour le moment dans l’oralité par la voie de l’enquête ethnographique. De ce fait, l’apport de ces chansons à la construction d’une mémoire collective canadienne-française sur les conflits franco-anglais du XVIIIe siècle est à peu près inexistant, sans présumer des conséquences mémorielles des réutilisations passées et à venir dont elles ont pu ou pourront faire l’objet20.
Chansons pour lesquelles il existe un antécédent écrit ayant connu un passage minimal dans la tradition orale
12Les trois chansons de ce sous-groupe ont comme caractéristique commune d’avoir au moins un antécédent ancien connu. Cependant, leur passage dans l’oralité reste anecdotique ou problématique. L’une d’entre elles, Message de défaite21 [VI.B-27], qui raconte la défaite de Braddock du point de vue des Anglais, pose d’ailleurs un problème particulier. Publiée d’abord par Hubert LaRue en 186522, elle a été associée par Laforte à une version nivernaise qui raconte elle aussi une défaite militaire23 ; mais le texte de ce « parallèle » hexagonal n’a rien de commun avec la chanson canadienne ni dans l’expression, ni dans la coupe, ce qui pose question quant à la définition du type. La version canadienne est peut-être passée dans l’oralité suite à sa publication dans Le Foyer canadien, même si un travail d’analyse de l’ensemble des versions connues reste à mener pour confirmer cette hypothèse.
13La seconde, Le carillon de la Nouvelle-France [VI.B-26], est une chanson patriotique vraisemblablement composée en 1758 par l’abbé Jean-Baptiste Marchand, vicaire général du diocèse de Québec. Elle a d’abord été publiée en 185924, puis reprise dans plusieurs publications ultérieures25. L’une de ces réimpressions est peut-être à l’origine du seul document oral qui ait été recueilli, par Luc Lacourcière dans le comté de Kamouraska en 196126. L’informatrice connaissait-elle la chanson de tradition orale ou avait-elle un cahier ? La question demeure…
14La dernière chanson du groupe, La sentinelle de Montcalm [VI.B-45], elle aussi très patriotique et de style lettré, a été composée en 1826, donc près de soixante-dix ans après les événements qu’elle relate, par l’abbé Apollinaire Gingras27. Imprimée une première fois (d’après le catalogue Laforte) en 1881, elle est la seule chanson de source lettrée à avoir connu une carrière orale conséquente : on en a recueilli une quinzaine de versions orales depuis l’Acadie jusque dans la région de Montréal28. Elle a peu folklorisé, la plupart des versions recueillies différant assez faiblement du texte écrit. Toutefois, au moins une partie des informateurs ne s’appuyait pas sur un texte pré-écrit et avait intégré la chanson dans leur répertoire oral personnel. On peut alors s’interroger sur les formes de circulation et d’apprentissage d’un tel texte très lettré, chanté bien qu’il ait été publié sans musique. Sachant que la chanson a été composée par un prêtre, sa diffusion a probablement été favorisée par le milieu clérical29.
Chansons pour lesquelles aucune trace écrite n’a été repérée mais qui sont attestées par des traces orales à l’état de résidus
15Le nombre de cas correspondant à cette catégorie est ici encore limité, avec sept chansons recensées, dont deux – qui se rapportent à des événements de 1711 et de 1760 – ne sont connues que par des fragments de quatre [VI.B-06] et sept vers [VI.B-47]. Deux autres sont beaucoup plus conséquentes [VI.B-43 et VI.B-46], mais ne sont connues que par une seule version : Édouard-Zotique Massicotte, qui les a recueillies auprès d’un chanteur de Montréal, les a publiées avec d’intéressantes remarques sur ses sources, mais malheureusement sans musique, ce qui est d’autant plus dommage qu’elles semblent de facture beaucoup moins lettrée que plusieurs des textes retrouvés dans les manuscrits anciens30. Nous nous concentrons ici sur les trois autres chansons, qui sont mieux documentées.
16La première, Général William Phips [VI.B-04], relate l’échec de l’expédition de Phips devant Québec en octobre 1690. Cette chanson constitue un cas à part, aussi bien par son ancienneté et sa facture que par les circonstances de sa découverte. C’est en effet la plus ancienne chanson connue sur le conflit franco-anglais en Amérique française qui ait été recueillie dans la tradition orale. Comme l’a souligné Luc Lacourcière dans l’étude qu’il lui a consacrée, le chant est sans doute contemporain des faits qu’il relate31. On n’en connaît aucun texte écrit avant la période de la collecte ethnographique. Une première version (18 vers) recueillie près de Rimouski a été publiée en 1890 par Pierre-Georges Roy32 : le collecteur associe alors cette chanson à la guerre de Sept Ans. En 1946, plus de cinquante ans plus tard, Marius Barbeau enregistre une version plus longue aux Escoumins dans le comté de Saguenay (région complètement différente du lieu de collecte du premier fragment). L’informateur Joseph Brisebois, né en 1854 et alors âgé de 92 ans, disait l’avoir apprise « de sa mère lorsqu’il était petit garçon33 ».
17Cette situation est tout à fait exceptionnelle puisque, bien qu’elles soient fragmentaires l’une et l’autre, les deux versions recueillies oralement sont suffisamment complémentaires pour avoir permis à Luc Lacourcière d’établir un « texte par superposition » (et non pas un « texte critique ») qui montre à la fois les recoupements et la complémentarité des deux versions, dont la juxtaposition pourrait se rapprocher de l’archétype de la fin XVIIe siècle. Le tout donne une version très cohérente et plausible de l’événement, ce qui montre une mémoire orale qui semble s’être perpétuée sur deux siècles et demi sans aucun support de l’écrit34.
18Le second exemple est une lamentation sur la chute de Louisbourg [VI.B-35] racontée à la première personne par le gouverneur de la forteresse lui-même, sans qu’on sache cependant s’il s’agit de la défaite de 1745 ou de celle de 1758. Le traitement est original puisque la perte de la citadelle est racontée sans emphase, apologie ni pathos ; elle est évoquée de façon très factuelle et donne des précisions sur la mise en œuvre de la capitulation. La chanson n’est connue cependant que par une seule version, enregistrée par Anselme Chiasson à Chéticamp en Nouvelle-Écosse. Nous n’avons pas pu viser le document sonore, mais la version a été publiée sous la forme d’un texte très complet avec relevé musical35 ; toutefois, certains passages figurent entre parenthèses, ce qui pourrait laisser supposer que la version ait été retouchée par Chiasson (qui était coutumier du fait) pour la rendre publiable en l’absence d’autres leçons. Texte unique et quelque peu suspect, il doit donc être considéré, malgré son intérêt narratif et musical, avec une certaine prudence jusqu’à ce que de nouvelles traces en soient retrouvées.
19Le troisième cas consiste en une chanson satirique sur la défaite des Anglais au fort de Carillon en 1758 [VI.B-31], intéressante pour plusieurs raisons. D’une part, elle est esthétiquement beaucoup plus proche de la tradition orale que des chansons précédemment citées comme la Sentinelle de Montcalm ou d’autres pièces d’inspiration lettrée, tant par sa langue, sa mélodie, son refrain (« maluron malurette ») que par la construction générale du récit et par son système narratif. Elle ne semble pas issue d’une composition lettrée ou, si c’est le cas, n’a pas de prétention littéraire et a été composée par une personne sans doute familière de la tradition orale. Du fait même de cette esthétique, on s’attendrait à ce qu’elle ait été plus facilement adoptée dans l’oralité, ce qui semble être le cas : même si la chanson est peu attestée – seulement cinq versions recensées par Laforte –, elle a été recueillie auprès d’informateurs habitant dans des lieux très éloignés les uns des autres, de Montréal à la Gaspésie en passant par la région de Québec, ce qui atteste d’une circulation conséquente. Or tous les informateurs sont des personnes relativement scolarisées, y compris plusieurs ecclésiastiques. Par exemple, É.-Z. Massicotte a recueilli trois versions, la première en 1886 auprès d’un journaliste de Québec, la seconde en 1925 auprès de l’abbé Michaud en Gaspésie qui l’avait lui-même entendue auprès d’un voyageur d’Amqui dans la Matapédia, et une dernière auprès d’un musicien montréalais, J.-B.-Adolphe Tison36. Ces premières attestations suggèrent que la chanson a pu profiter de réseaux de circulation dans des milieux institutionnels comme les collèges classiques. Cette hypothèse se trouve renforcée par une version enregistrée en 1947 par André Alarie auprès d’Octave Brien de Sainte-Marie-Salomé (Lanaudière)37. Bien qu’étant agriculteur, Octave Brien avait fait des études classiques au collège de l’Assomption où il a probablement appris la chanson. En effet, à côté d’un très grand répertoire de chansons de tradition orale, cet informateur connaissait plusieurs chansons semi-lettrées du type de celles qui avaient été publiées dans les recueils de chants à l’intention des institutions scolaires38, montrant par là que la constitution des répertoires individuels est tributaire de sources croisées et complémentaires, entre tradition endogène (familiale, locale) et exogène39 (structures éducatives, imprimés, etc.)
Chansons pour lesquelles aucune trace écrite n’a été repérée mais qui sont relativement bien attestées dans la tradition orale
20On peut placer dans cette catégorie deux complaintes qui racontent des événements assez similaires : la défaite, sur les côtes du continent européen, de vaisseaux français envoyés en renfort vers la Nouvelle-France en 1758-1759. Il s’agit de chants pour lesquels aucun antécédent écrit n’est attesté et dont l’esthétique se rapproche nettement plus des formes habituelles de la tradition orale que la plupart des chansons précédemment étudiées. Le nombre et la répartition spatiale des versions connues dans la tradition orale correspondent toutefois à des modèles de circulation assez différents pour les deux chansons.
21Le Combat en mer de Bart [VI.B-42] relate comment la Danaé, commandée par Pierre-Jean Bart40, est défaite face aux Britanniques en mars 1759 alors que le vaisseau a quitté Dunkerque pour ravitailler la Nouvelle-France en dépit du blocus anglais. Le capitaine et son fils Benjamin (également second du navire) meurent au cours de ce combat qui oppose des forces inégales. L’annonce de la défaite suscite de nombreuses réactions en France ; dans son étude Les derniers corsaires publiée en 1925, Henri Malo suggère que des complaintes ont circulé à ce sujet en France peu après l’événement, mais aucun texte imprimé n’a jusqu’à présent pu être repéré41. Seules quelques versions orales ont été recueillies, mais elles sont situées dans une aire géographique très large. Trois versions sont recensées en différents lieux d’Acadie grâce aux collectes de Geneviève Massignon et d’Anselme Chiasson42 ; un couplet avec sa mélodie a été collecté à Fécamp (Normandie) en 1853 et publié en 1861 par l’officier de marine Gabriel de La Landelle, tandis qu’une longue version (11 couplets) en flamand, intitulée Kapitein Bart, a été publiée en 1856 par le folkloriste Charles-Edmond de Coussemaker43. Malgré l’éclatement géographique, on note non seulement des textes très proches – avec logiquement de plus grandes différences pour la version flamande dues au passage d’une langue à l’autre – mais aussi une forte parenté mélodique entre les airs. Une telle extension géographique laisse penser qu’une large circulation orale de cette chanson s’est produite, et il semble dès lors étonnant de ne pas trouver plus de versions connues dans les collectes ethnographiques.
22La seconde chanson, intitulée La prise du vaisseau dans le catalogue Laforte [II.A-69], constitue un exemple encore plus net d’une complainte qui a largement circulé dans la tradition orale. L’événement qu’elle rapporte est antérieur d’un an à la défaite de la Danaé : le vaisseau-amiral Foudroyant (déformé dans la chanson en Foudrion) quitte Toulon pour Carthagène afin de rejoindre l’escadre française qui doit être envoyée en renfort à Louisbourg ; il est intercepté par les Britanniques et se rend le 29 février 1758. Cinq versions sont attestées en France : l’une dans le carnet de chansons de Joseph Benoît, contremaître forgeron de l’arsenal de Brest en 1830 ; deux autres (un texte complet et une variante) recueillies par Achille Millien dans les années 1820-1840 dans des communes de la Nièvre proches de l’axe fluvial de la Loire et impliquées dans les productions industrielles exportées vers les arsenaux militaires des ports de l’ouest de la France44 ; il faut ajouter à cela deux versions mélangeant l’histoire du Foudrion à d’autres chants-types à la thématique proche, l’une que Geneviève Massignon a recueillie en Vendée en 1950, ainsi qu’une étonnante version collectée par le folkloriste gascon Jean-François Bladé et publiée en 1879 qui présente de nombreux motifs narratifs similaires malgré une structure versifiée différente45. Toutefois, cette chanson est surtout attestée en Amérique française : plus de 40 versions ont été recueillies à partir des années 1920, et notamment dans la seconde moitié du XXe siècle, dans tout l’est du Québec (de Chicoutimi à la Gaspésie), en Acadie (Nouveau-Brunswick et Nouvelle-Écosse) et dans le Maine. On note là encore une forte parenté mélodique et textuelle entre tous les textes recueillis de part et d’autre de l’Atlantique.
23Il est possible que la Danaé et le Foudrion se soient mutuellement influencés, car on note une légère parenté mélodique ainsi que de nombreux motifs narratifs communs entre les deux complaintes, notamment autour des données techniques de l’attaque et de la navigation. Le récit de la Danaé est centré avant tout sur le destin du capitaine et de son vaisseau en insistant sur sa mort tragique : le nom du commandant et du navire sont mentionnés à plusieurs reprises tout comme le second navire de l’escadre concerné par l’attaque, L’Harmonie ; il en est de même pour le lieu de départ et la destination du navire au Canada. Le récit du Foudrion est au contraire plus général et moins personnalisé (Duquesne, le commandant, n’est pas nommé), centré sur la narration du combat et la reddition sans souci de glorification. Il faut relever dans ces deux chansons la précision des termes techniques de navigation et des descriptions de l’action navale qui sont corroborées par d’autres sources écrites, par exemple la relation de la destruction du mât d’artimon et du hunier par les boulets de canon adverses : de tels détails laissent penser que leur auteur a peut-être vécu l’événement ou en tout cas connaissait bien la navigation.
24Parmi tous les exemples de chansons abordés au sujet du conflit franco-anglais en Nouvelle-France, La prise du vaisseau est au final le seul cas pour lequel on puisse clairement affirmer qu’il a abondamment circulé dans la tradition orale, et ce visiblement complètement en dehors de l’influence de l’écrit.
Quelques éléments de réflexion autour de la mémoire orale des conflits franco-anglais
25Quelles conclusions peut-on tirer de ce panorama de la tradition chantée quant au fonctionnement de la mémoire orale se rapportant aux conflits franco-anglais des XVIIe-XVIIIe siècles ? Plusieurs historiens dont les travaux ont été influents ont développé des hypothèses sur le fonctionnement de la « mémoire collective » dont Maurice Halbwachs a été le premier théoricien46. Jan Assman, dans sa théorie de la « mémoire culturelle », distingue deux étapes dans le fonctionnement mémoriel des sociétés : une première étape qui est caractérisée par une mémoire vivante, mouvante et transmise au sein de petits groupes en se basant sur les expériences historiques des communautés et qui se limite à trois ou quatre générations (soit 80 à 100 ans), puis une seconde étape qui laisse place à une mémoire fixée, codifiée et institutionnalisée47. Pierre Nora insiste pour sa part sur l’opposition entre « milieux de mémoire » et « lieux de mémoire », avec l’idée qu’« il y a des lieux de mémoire parce qu’il n’y a plus de milieux de mémoire48 ». Dans le cas de la mémoire des conflits franco-anglais en Amérique française, les trois générations sont largement dépassées et il existe une forme de transmission qui s’est perpétuée sur le temps long, même si le contexte historique précis et premier de ces chants a été oublié. La dimension historique n’est en effet qu’un aspect – et sans doute pas le plus significatif – dans la transmission de ce répertoire au sein d’une communauté ; la dimension esthétique (le fait qu’il s’agisse d’une belle histoire, que la mélodie soit appréciée des chanteurs et de leurs auditoires) en est un autre, de même que sa portée ludique, satirique ou éducative.
26Il est donc avéré que certains chants se sont perpétués sur plusieurs siècles dans la tradition orale. Cependant, peut-on parler d’une véritable mémoire communautaire des conflits franco-anglais et ranger l’Amérique française parmi les « sociétés-mémoires » définies par Philippe Joutard comme « des sociétés qui, depuis longtemps, ont fondé leur identité sur la mémoire historique, […] des groupes ayant une mémoire vivante, autour d’événements fondateurs évoqués dans différents lieux de sociabilité souvent devenus en même temps des lieux de mémoire49 » ? La réponse paraît être non, en tout cas pas à travers le chant. Le cas ici étudié est très différent des mémoires communautaires fortes soudées autour d’une tradition orale entretenue sur le temps long, comme celle des camisards des Cévennes : le souvenir de cette révolte protestante contre la politique répressive de Louis XIV dans les premières années du XVIIIe siècle imprègne encore la mémoire de certaines communautés plus de deux siècles et demi après les faits et ressort spontanément lors des enquêtes orales menées dans la seconde moitié du XXe siècle50. Dans le cas du répertoire chanté d’Amérique française, on se trouve au contraire face à des fragments isolés et qui n’ont pas forcément été conservés pour leur valeur de témoignage historique contre les Anglais. Les chants qui nous sont parvenus dépendent davantage d’individus que de communautés : ils ne font pas partie d’un stock commun unanimement partagé mais restent des accidents. Parmi le très riche répertoire de chansons qui sont largement attestées dans la tradition orale des francophones d’Amérique, celles qui concernent les conflits franco-anglais ne constituent qu’une goutte d’eau : seule la complainte du Foudrion a réellement circulé et, dans une moindre mesure, celle sur le combat de la Danaé et la mort de Bart.
27Ce constat amène à soulever une autre interrogation : pourquoi certaines chansons se sont-elles mieux conservées que d’autres ? En l’occurrence, il s’agit de celles qui, à première vue, ne paraissent pas les plus signifiantes pour la mémoire du conflit franco-anglais, puisqu’elles traitent en effet d’événements ponctuels de la guerre de Sept Ans dont l’action se situe très loin de l’Amérique française (sur les côtes de l’Espagne pour le Foudroyant et dans la Manche pour la Danaé). Plusieurs hypothèses peuvent être formulées.
28On peut d’abord mettre en avant les liens particuliers qui unissent les deux épisodes les mieux conservés à la Nouvelle-France, en reprenant sur ce point les réflexions de Geneviève Massignon et de Youenn Le Prat51. Duquesne de Menneville, commandant du Foudroyant, n’est autre que l’ancien gouverneur général de la Nouvelle-France. De plus, les deux navires impliqués avaient vocation à venir soutenir la colonie. Enfin, l’attaque du Foudroyant a eu des conséquences particulièrement importantes puisque, suite à cet épisode, le projet d’envoi d’une escadre visant à protéger Louisbourg a été annulé. On comprend donc que l’annonce de ces défaites navales ait pu avoir un écho important.
29Ces chansons reprennent par ailleurs des motifs narratifs qui correspondent à des modèles habituels dans le répertoire de tradition orale, en décrivant un événement précis sous la forme d’une chronique concrète. Elles rentrent en outre dans la catégorie des complaintes maritimes, un genre bien représenté dans le répertoire de tradition orale : on peut d’ailleurs remarquer que les chansons sur le conflit franco-anglais dont on trouve le plus de traces dans la tradition orale sont des histoires de défaite. Il faut aussi souligner le caractère dramatique du récit qui frappe les imaginations et permet une forme d’héroïsation autour de canons esthétiques convenus, comme la mort du commandant et de son fils dans le combat de la Danaé : on rejoint ici les remarques de Peter Burke, qui note que l’intégration de personnages historiques dans la mémoire orale est facilitée si leur vie correspond aux modèles attendus dans la tradition chantée52. Plus largement, ces complaintes tragiques qui évoquent la mort et le naufrage peuvent conserver un sens intemporel et émouvoir même au-delà du cadre historique spécifique du chant. Il faut encore souligner que la mention de l’affrontement franco-anglais est porteur de sens dans un contexte plus large que la simple guerre de Sept Ans, puisque les relations complexes entre anglophones et francophones sont un trait marquant de l’histoire du Canada jusqu’à aujourd’hui.
30Tous ces éléments fournissent autant d’indices qui pourraient expliquer pourquoi ces chansons ont été mieux conservées dans les traditions orales que des chansons lettrées qui ne racontent pas d’histoire concrète mais défendent des partis pris politiques ou dressent de façon lyrique le portrait de commandants : lorsque le contexte historique et politique se transforme, de telles chansons perdent en effet leur intérêt et ne sont donc plus transmises53.
31La mémoire orale sur les conflits franco-anglais permet aussi de s’interroger sur le rôle particulier qu’auraient pu jouer les populations déterritorialisées dans le maintien d’une forte tradition orale, en évoquant l’isolat culturel acadien. L’Acadie est l’espace où a été recueilli le plus grand nombre de versions du Foudrion. Les versions acadiennes sont aussi les plus longues, puisque certaines ont conservé deux couplets que l’on ne trouve plus dans les versions françaises54. Plusieurs d’entre elles mentionnent les « vaisseaux du roi Bourbon » en plaçant à juste titre le récit dans un contexte d’Ancien Régime, alors que les versions françaises ont toutes rajeuni l’épisode en le réinsérant dans un contexte révolutionnaire plus évocateur plusieurs générations après les événements : ce sont cette fois les « vaisseaux de la nation » qui sont mentionnés55. Le renouvellement est toutefois loin d’être systématique puisque d’autres versions acadiennes mentionnent également les « vaisseaux de la nation » ou des variantes comme les « vaisseaux de l’orient » voire « de l’occident », qui conservent une certaine proximité phonétique tout en écartant toute référence à un contexte historique précis.
32Face à la complexité des mécanismes de la tradition, il est impossible d’établir un modèle général, mais on peut cependant mettre cette mémoire fragmentaire des conflits coloniaux franco-anglais dans la tradition francophone en parallèle avec une mémoire communautaire beaucoup plus forte dans le répertoire anglais, qui se structure autour d’un individu : James Wolfe, le général britannique qui fait tomber la ville de Québec en septembre 1759. Plus de 200 versions correspondant à plusieurs chants-types différents centrés sur cet homme sont mentionnées dans le catalogue de Steve Roud, qui recense à la fois les chansons imprimées sur feuilles volantes et les versions issues de collectes ethnographiques. Parmi celles-ci, la chanson la plus diffusée a pour thème la mort de Wolfe devant Québec56. Cette complainte a été très souvent imprimée en Europe et en Amérique, et ce dès l’annonce de l’issue de la bataille. Il faut noter le rôle beaucoup plus important de la presse en milieu anglophone, qui contraste avec la situation de l’Amérique française au XVIIIe siècle : des presses à imprimer sont déjà actives en Nouvelle-Angleterre alors qu’aucune d’entre elles n’est installée en Nouvelle-France jusqu’au début du régime anglais57. Plus largement, la circulation de chansons imprimées sur feuilles volantes est beaucoup plus importante en Grande-Bretagne à l’époque moderne – en particulier sous la forme des broadside ballad – qu’elle ne l’est en France58. La complainte sur la mort du général Wolfe a été intégrée dans la tradition orale et recueillie au Royaume-Uni et en Amérique du Nord jusque dans les collectes les plus récentes. Elle correspond à un récit tragique qui s’inscrit parfaitement dans les attentes narratives du répertoire oral, ce qui a pu faciliter une telle intégration. La tradition familiale a de plus été portée au moins partiellement par une prise en charge extérieure institutionnelle et éducative. Wolfe est érigé en héros national autant pour ses combats victorieux qui ont conduit à la fin de l’empire français en Amérique que pour les circonstances de sa mort : amplifiées par son jeune âge, puisqu’il n’a que 32 ans lors du siège de Québec, elles correspondent aux aspirations romantiques naissantes qui prennent alors leur essor au Royaume-Uni et se déclinent à travers de multiples supports écrits, oraux et iconographiques59.
33Enfin, si aucune mémoire communautaire fortement marquée autour du conflit franco-anglais n’apparaît dans le répertoire chanté en Amérique francophone, on peut se demander si une telle mémoire est perceptible à travers d’autres supports. Il est indéniable qu’il existe des tensions latentes entre les deux communautés qui continuent de structurer la société canadienne-française de façon durable – de même qu’il reste des traces d’anglophobie dans les comportements des Français du vieux continent – et qui apparaissent par exemple à travers des expressions langagières communes à la France et à l’Amérique française60. Mais ces mentions des Anglais ne font pas référence à des épisodes historiques précis ni spécifiques à l’expérience des Français d’Amérique. On pourrait par exemple s’attendre à ce qu’une mémoire communautaire structurée autour de la déportation de 1755 ait forgé le sentiment d’appartenance acadien et se retrouve dans les traditions orales recueillies dans les provinces maritimes ou en Louisiane sous forme de chansons ou de récits légendaires. Mais force est de constater que les collectes ethnographiques sont très pauvres en la matière. L’inventaire qu’en dresse Patrick Clarke ne comporte que quelques bribes d’anecdotes ou de légendes, ainsi que des témoignages recueillis au XIXe siècle directement auprès d’Acadiens ayant personnellement vécu la déportation mais qui n’ont plus été recueillis auprès des générations suivantes61. Robert Bouthillier et Vivian Labrie ont mené des enquêtes approfondies sur le conte et la chanson de tradition orale en Acadie et plus particulièrement dans la région de Tracadie (Nouveau-Brunswick) dans les années 1970, au cours desquelles ils ont enregistré plusieurs milliers de chansons, contes et airs de musiques : ils n’ont rien recueilli à ce sujet62. Là encore, on peut se demander si l’absence de traditions orales recensées n’est pas liée au manque d’enquête spécifique sur ce thème. De fait, le travail alors mené ne portait par sur le souvenir du « grand dérangement », mais il est remarquable qu’aucun informateur ne leur ait fait spontanément part de récits légendaires ou d’autres formes de traditions à ce sujet : la situation paraît donc très différente des enquêtes orales réalisées par exemple par Philippe Joutard dans les Cévennes. Il semble bien que la mémoire collective actuelle des Acadiens sur la déportation – qui est très présente dans les discours d’aujourd’hui – soit une création largement institutionnelle, lettrée et en partie cléricale forgée en lien avec l’émergence d’un discours nationaliste acadien depuis le XIXe siècle63. Faut-il envisager que, face au traumatisme constitué par la déportation, face à la destructuration et à l’éclatement géographique des communautés acadiennes, se soit mis en œuvre un phénomène d’« oubli social64 » ? N’est-il pas plus facile en effet d’effacer cet épisode douloureux en le taisant, là où entretenir le souvenir de la défaite ne ferait que rendre plus ardu le recommencement d’une vie stable en ressassant un passé inutile ? Une vaste enquête pluridisciplinaire reste encore à mener pour comprendre en profondeur le fonctionnement plus large de cette mémoire des francophones d’Amérique.
34Ainsi, l’analyse de la tradition chantée sur les conflits franco-anglais des XVIIe-XVIIIe siècles permet d’aborder les questions complexes de la mémoire sociale et des mécanismes de la tradition orale en s’interrogeant sur ce que la persistance ou non du souvenir révèle sur les communautés qui transmettent encore ces récits plusieurs siècles après les événements. Une telle étude de cas montre bien l’intérêt de croiser les approches ethnographiques et historiques ainsi que la pertinence de la prise en compte des sources issues des collectes de tradition orale par les historiens. En ce début du XXIe siècle, on peut se demander si la mémoire sur les conflits franco-anglais est toujours présente dans la tradition chantée d’Amérique francophone. Les collectes réalisées au cours des cinquante dernières années ont été concomitantes avec un renouveau de l’intérêt pour ce répertoire, en parallèle avec un bouleversement des formes anciennes de transmission orale. La réinterprétation et l’enregistrement sur CD d’une partie des chants recueillis sur ce thème par des groupes fortement imprégnés par le répertoire de tradition orale leur ont donné une nouvelle jeunesse. À l’heure où les mécanismes de circulation et d’apprentissage du chant traditionnel se sont profondément transformés, on entend aujourd’hui moins les chansons sur le conflit franco-anglais dans un cadre familial confidientiel que dans des contextes renouvelés de pratique du chant traditionnel que sont les concerts, les festivals ou encore les veillées urbaines65.
Annexe
Annexe I
Tableau des chansons recensées sur le conflit franco-anglais en Amérique francophone
Pour les références des principales versions attestées, se reporter au catalogue Laforte : C. Laforte, Le catalogue de la chanson folklorique française, vol. II. Chansons strophiques & vol. VI. Chansons sur des timbres, Québec, Presses de l’université Laval, 1977-1987. Les chansons sont classées dans l’ordre chronologique des événements auxquels elles se rapportent. Certaines dates ont été modifiées par rapport à celles, erronés, indiquées par Conrad Laforte.


Note 11
Annexe II
Transcriptions de versions citées
a. Chanson sur la prise de Chouaguen
(Chouaguen – De lauriers – Laforte VI.B-45)
Manuscrit conservé aux Archives de l’Hôtel-Dieu de Québec. Chanson publiée dans Lemay H., Vieux papiers, vieilles chansons, Montréal, Impr. des Franciscains, 1936, p. 138-139.
1
De lauriers qu’on coupe une palme
Pour couronner le grand Montcalm,
Que de Chouaguen la réduction
Rend vainqueur de l’ Albion.
A quel honneur ne peut prétendre
Le noble auteur d’un si beau fait !
Trois forts rasés, réduits en cendres,
Tel est son premier coup d’essai.
2
Pourquoi donc toutes ces alarmes
Qui faisaient craindre pour nos armes ?
Ce fort, qu’on put en si peu démonter,
Était-il donc à redouter ?
Ignorait-on que la présence
Du général de nos Français
Devait dompter hors de défense
Les bataillons des fiers Anglais ?
3
Ah ! de quelle douce espérance
Un chef de telle diligence,
Qui semble avoir Bellone à ses côtés,
Flatte tous nos cœurs rassurés !
En vain veut-on vanter la force
Des régiments de Carillon.
Mais ce n’est plus qu’une amorce
Que donnent ces braves champions.
b. La Citadelle de Québec
(La sentinelle de Montcalm – Laforte VI.B-45)
Version recueillie en 1958 par Luc Lacourcière auprès d’Ernest Roy (58 ans), de Saint-Fabien-sur-Mer, co. Rimouski (Québec). Enregistrement conservé aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’université Laval, coll. Luc Lacourcière, enrg. no 3851. Transcription : R. Bouthilllier.
De Lévis à Beauport,
Le sang baigna [nt] nos plaines
Fier Anglais, tu promènes
L’incendie et la mort.
Suspends, suspends tes pas
Car Québec te regarde !
Montcalm monte la garde,
Anglais n’avance pas !
Refrain :
N’avance pas, n’avance pas !
La citadelle te regarde.
Montcalm ici monte la garde,
Anglais, n’avance pas !
Sous tes rouges drapeaux,
Bientôt chaque village
Parlera [i] t un langage
Barbare et tout nouveau.
On entendra [it] bientôt
Un jargon britannique,
Véritable musique
D’un peuple wisigoth.
N’avance pas, non, non !
Anglais, tu sais d’avance
Qu’un enfant de la France
Sait jouer du canon.
Couchés sur ces remparts,
Vois ces fiers chiens de bronze,
Ils sont huit, dix ou onze
Et jappent bien, les gars !
c. C’est le général de Flipe
(Général William Phips – Laforte VI.B-4)
Version recueillie en 1946 par Marius Barbeau auprès de Joseph Brisebois (92 ans), des Escoumins, co. Saguenay (Québec). Enregistrement conservé au Musée canadien de l’histoire, coll. Marius Barbeau, enrg. no MN 4553. Transcrite et publiée dans Lacourcière L., « Le Général de Flipe [Phips] », Les Cahiers des Dix, no 39, 1974, p. 249-250.
C’est le général de Flipe qu’est parti de l’Angleterre
Avecque trente-six voiles et plus de mille hommes faits.
Croyait par sa vaillance prendre la ville de Québec.
A mouillé devant la ville les plus beaux de ses vaisseaux.
Il met leur chaloupe à terre avec un beau générau.
C’est pour avertir la ville de se rendre vite au plus tôt :
– Avant qu’il soye un quart d’heure j’allons lui livrer l’ assaut.
C’est le général de ville z’appelle mon franc canon !
– Va-t-en dire à l’ambassade : Recule-toi, mon général !
Va lui dire que ma réponse, c’est au bout de mes canons.
Avant qu’il soit un quart d’heure nous danserons le rigaudon.
C’est le général de Flipe qui mit son monde à Beauport.
Trois canons les accompagnent pour leur donner du report.
– Car ça m’a l’air qu’il m’accable et que m’a toujours durer.
Les Français pleins de courage m’en ont détruit la moitié.
C’est le général de Flipe s’est rentourné dans Baston :
– Va-t-en dire au roi Guillaume que Québec a lui faux bond
Car luy a de la bonne poudre, aussi bien de beaux boulets,
Des canons en abondance au service des Français.
d. Carillon
(Carillon – Laforte VI.B-31)
Version recueillie en 1947 par André Alarie auprès d’Octave Brien (78 ans), de Sainte-Marie-Salomé, co. Montcalm (Québec). Enregistrement conservé au Musée canadien de l’histoire, coll. André Alarie, enrg. no MN-Alarie-20-275. Transcription : R. Bouthillier.
Un jour c’était grande fête
Près de Carillon.
Les Anglais, bannière en tête,
Sous notre canon,
S’avançaient à l’ aveuglette,
Le fusil chargé.
Refrain :
Maluron malurette,
Maluron luré
Maluron malurette, Maluron luré.
Ah ! ah ! ah ! (etc.)
Maluron malurette,
Maluron luré
Soudain d’une voix discrète,
Notre général
Nous dit : – La musique est prête,
Commençons le bal
Et que la danse s’arrête
Qu’au soleil couché !
Envoyez-leur des noisettes
Pour les rassasier,
Ils prendront de ces pommettes
S’ils veulent dîner
Et la poudre d’escampette
À leur volonté.
Ils se dirent en cachette :
— Faut pas l’ oublier !
Notre déroute est complète,
On s’est fait rosser.
Montcalm n’est pas aussi bête
Qu’on l’a désiré.
L’un se couche sur l’herbette
Pour se reposer,
L’autre gagne sa couchette
Sans pouvoir marcher,
Not’ général en goguette
Était fatigué !
e. La complainte de la Danaé
(Combat en mer de Bart – Laforte VI.B-42)
Version recueillie en 1946 par Geneviève Massignon auprès de Louise Déon (née Amirault) (92 ans), de Pubnico-Est, co. Yarmouth (Nouvelle-Écosse). Transcrite et publiée dans Massignon G., « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle-France », International Folk Music Journal, vol. XIV, 1962, p. 76-77.
Ô vous Français, Flamands
Qui voyez nos tourments
Qui sont si grands
Apprenez la misèr’
Que nous avons souffert
Pour le soutien de la France
L’Anglais, avec impudence
Sortant de nous laisser
Nous a fait prisonniers
Le vingt-sept mars
Sans attendre plus tard
C’est not[re] départ
Batt, ce grand guerrier
Nous a tous commandés
Nous somm[es] partis de Dunkarque
Pour aller d[e] vergue en arrière
C’est dès lors au Canada
Nous avons eu-t-un combat
Le matin, avant jour,
Nous vur[ent] dessous le vent
Trois gros bâtiments
Un autre, au vent de nous
Qu’arrivait droit sur nous
Batt [a] dit à son équipage
« Allons, mes enfants, courage !
Il faut fair[e] voir aux Anglais
Que nous sommes des Français. »
Le feu, de tous côtés,
Les quatre gros vaisseaux
Sont décédés
Dessur la Dénoyé [Danaé]
Il n’yavait aucun[e] pitié
Batt dit à son équipage
« Allons, mes enfants, courage !
Il faut fair[e] le branlebas
Se préparer au combat. »
Le grand mât de misaine
A tombé à la traîne
Et par un boulet de canon
Batt a tombé mort sur le pont
Son fils était présent
Prit le commandement
Du bâtiment
La première volé[e]
Eut la jambe emporté[e]
Ils l’ont porté dedans sa chambre
Soutenu par les membres
Pour lui fair[e] son pansement
Lui donner soulagement
« Il faut fermer les paupières
C’est pour suivre mon cher père
Je demande à tous adieu
Et qu’on prie Dieu pour nous deux »
Le combat finit…
Les officiers ont dit
« Mes chers amis,
Levons tous les blessés
Pour les faire panser. »
Oh ! mon Dieu, quelle misère
De voir de vent en arrière
Cent cinquante homm[es] étendus
Et les autr[es] n’en pouviont plus.
f. Le combat du Foudrion
(La prise du vaisseau – Laforte II.A-69 ; La reddition du vaisseau – Coirault 7107).
Version de synthèse établie par Robert Bouthillier et interprétée par le groupe Serre l’Écoute sur l’album Chansons des bords du Saint-Laurent (autoproduction, GLR 001, 2002). Ce texte combine des éléments de plusieurs versions plus ou moins lacunaires recueillies en Acadie, sur la base de celle enregistrée en 1953 par Dominique Gauthier, puis en 1975 par Robert Bouthillier et Vivian Labrie, auprès de Lévi Lebouthillier (62, puis 88 ans), de Saint-Simon, co. Gloucester (Nouveau-Brunswick). Enregistrements conservés aux Archives de folklore et d’ethnologie de l’université Laval, coll. D. Gauthier, enrg. no 263, et coll. RBVL, enrg. no 455.
Nous sommes partis de Toulon
Trois gros navires du roi Bourbon,
Dans le dessein d’aller croiser
Sur les côtes d’Espagne,
À Lisbonne nous avons mouillé
En attendant l’escadre.
Mais nous furent pas sitôt mouillés
Qu’il a fallu s’appareiller :
Fallut mettre Foudrion z-au vent,
Grand voile et la misaine,
C’est pour aller en faction
Mouiller d’vant Carthagène.
Toute la journée marchant grand train
En poursuivant notre chemin,
Grand vent du nord s’est élevé,
La tempête et l’orage
Qui nous ont bientôt repoussés
À cinq cents lieues au large.
Le lendemain au point du jour,
On voit venir tout droit sur nous
Cinq ou six gros navires anglais,
Venant comme une foudre
Et qui croyaient à toutt’ moment
De nous réduire en poudre.
Nous les avons bien espérés
Sur nos basses voiles carguées,
Ils ont pas voulu commencer,
La chose en est étrange,
Ce sont nos canons de trente-six
Qu’ont commencé la danse.
Notre combat a bien duré
Trois jours, trois nuits sans décesser :
On voyait les boulets rouler
D’un bâtiment z-à l’autre,
Nos marins n’aviont jamais vu
Combat semblable au nôtre.
Pour ajuer notre affliction
C’qu’on voit venir comme des lions :
Quatre-vingt-dix vaisseaux anglais,
Venaient tout en furie,
Ils ont lâché sur notre bord
Toutes leurs batteries.
Ils ont tiré cent coups d’canon
Sur notre grand mât d’artimon.
La grand vergue et tous ses huniers
Criblés par la mitraille,
Dessus le pont, tout est tombé,
Les voiles et les cordages.
En nous voyant tout démâtés,
Nous ne pouvons plus résister :
– Allons garçons, faut amener
Pavillon d’assistance,
Car nous sommes bien trop éloignés
De la terre de France.
Tout aussitôt l’pavillon bas,
C’qu’arrivent à bord deux officiers
Venant de la part des Anglais,
Faisant grand révérence :
– C’est donc vous, mon sieur les Français,
Qu’ils nous font résistance.
– Ah ! oui, ah ! oui, nous le savons
Mais c’est avant qu’nous nous rendions.
Donnez-vous la peine de monter
Dans ces plus hautes chambres,
Vous parlerez au général
Qui est là pour vous entendre.
Le capitaine s’est écrié :
– Que l’on m’emporte mon porte-voix,
Que l’on m’emporte mon porte-voix
Que j’publie ma sentence :
Oh ! r-adieu donc, cher Foudrion,
Tu y-es plus pour la France !
Notes de bas de page
1 Cette dichotomie a été développée à la fin du XIXe siècle par les théoriciens de l’histoire méthodiste : Langlois C.-V. et Seignobos C., Introduction aux études historiques, Paris, Hachette, 1898.
2 Pour une synthèse sur le développement de l’histoire orale, voir Descamps F., L’historien, l’archiviste et le magnétophone. De la constitution de la source orale à son exploitation, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 2001.
3 Pour une mise au point historiographique et des réflexions méthodologiques sur cette approche, voir Joutard P., Ces voix qui nous viennent du passé, Paris, Hachette, 1983 ; Burke P., « History and Folklore : A Historiographical Survey », Folklore, t. 115/2, 2004, p. 133-139.
4 Les études les plus approfondies sur le fonctionnement de la tradition orale et les mécanismes de « folklorisation » des chants sont : Coirault P., Notre chanson folklorique, L’objet et la méthode, Paris, Auguste Picard, 1942 ; Guilcher J.-M., La chanson folklorique de langue française. La notion et son histoire, Paris, Atelier de la danse populaire, 1989.
5 Voir par exemple les sources compilées par Le Roux de Lincy A., Recueil de chants historiques français depuis le XIIe jusqu’au XVIIIe siècle. Deuxième série, XVIe siècle, Paris, Charles Gosselin, 1842 ; Barbier P. et Vernillat F., Histoire de France par les chansons, Paris, Gallimard, 1956-1961, 8 vol.
6 P. Coirault ne relève ainsi qu’une trentaine de chants à caractère historique (en associant les rubriques 61, « politico-historiques » et 70, « combats, sièges et prises de villes ») dans son volumineux catalogue de la chanson de tradition orale francophone (Coirault P., Répertoire des chansons françaises de tradition orale, ouvrages révisés et complétés par Georges Delarue, Yvette Fédoroff, Marlène Belly et Simone Wallon, Paris, BnF, 1996-2007, 3 vol.)
7 Bouthillier R., « L’oralité comme source : l’exemple des chants de marins bretons », La construction des sources. Anthropologie maritime, numéro spécial des Cahiers de la DRAC Provence-Alpes-Côtes d’Azur, no 7, 1998, p. 56-72. Les cotes indiquées se rapportent aux deux catalogues répertoriant les chansons folkloriques de langue française, celui de P. Coirault et celui de C. Laforte (Coirault P., Répertoire des chansons françaises, op. cit. ; Laforte C., Le catalogue de la chanson folklorique française, Québec, Presses de l’université Laval, 1977-1987, 6 vol.)
8 Burke P., Popular Culture in Early Modern Europe, Aldershot, Ashgate, 1994 (1re éd. 1978), p. 169.
9 Nous entendons par « chanson-type » l’ensemble des occurrences d’un même récit chanté dont les différentes versions, quel que soit leur nombre, « disent la même chose de la même manière », selon l’expression de Georges Delarue : similitude de sujet, utilisation comparable (à défaut d’être identiques) d’expressions et de formulations, et partage d’un même sytème de versification (ou « coupe »). Voir l’introduction de G. Delarue au Répertoire de P. Coirault, Répertoire des chansons françaises, op. cit., t. 1, p. 18, « La notion de type ».
10 La liste détaillée des titres et des cotes des versions recensées est présentée en annexe 1. Les chansons y sont classées en ordre chronologique et ventilées selon les quatre cas de figure identifiés.
11 L’une des chansons sur la prise de Chouaguen est reproduite en annexe 2.a.
12 Pour en mentionner quelques-uns : « C’ti-là qu’a pincé Berg-op-Zoom » (Clé du Caveau [dorénavant CCv], air no 990), « Robin turelure » (CCv 516), « Lon lan la derirette » (CCv 463), « Tatare pompon » (CCv 663), etc. La plupart de ces airs ont servi de support mélodique à plusieurs chansons qu’on retrouve dans la tradition orale encore aujourd’hui.
13 Sur les débuts de l’imprimerie au Canada, voir l’article de J. Hare et J.-P. Wallot, « Les imprimés au Québec (1760-1820) », Lamonde Y. (dir.), L’imprimé au Québec. Aspects historiques (XVIIIe-XXe siècle), Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1983, p. 77-125.
14 LaRue H. « Les chansons historiques du Canada », Le Foyer canadien, vol. 3, 1865, p. 5-72. Les chansons qui nous intéressent figurent entre les pages 13 et 27.
15 La Nouvelle-France. Revue des intérêts religieux et nationaux du Canada français (première année de parution : 1902).
16 Lemay H. « Échos héroï-comiques du naufrage des Anglais sur l’Isle-aux-Œufs en 1711 » et « Victoires et chansons », articles réunis ultérieurement dans Vieux papiers, vieilles chansons, Montréal, Impr. des Franciscains, 1936.
17 « Cantiques et chansons sur la prise du fort Chouaguen », Bulletin des recherches historiques, vol. 37, no 4, 1931, p. 224-238.
18 Aubert de Gaspé Ph., Mémoires, Québec, N. S. Hardy, 1885, p. 267-268 (1re éd. 1866).
19 Par exemple : Anglais, le chagrin t’étouffe (ou Dialogue entre un Français et un Anglais sur la prise d’Oswego, 1756), publié dans la Bibliothèque canadienne, t. 3, 1826, p. 192. Carrier M. et M. Vachon, Chansons politiques du Québec, t. 1 : 1765-1833, Montréal, Leméac, 1977, p. 220-221.
20 Quelques-unes d’entre elles ont ainsi été republiées dans des manuels scolaires – par exemple Canada-Québec, synthèse historique de J. Lacoursière, J. Provencher et D. Vaugeois (Montréal, éd. du Renouveau pédagogique, 1977) – ou sous forme d’encarts dans des entreprises éditoriales grand public comme la revue Nos racines. L’histoire vivante des Québécois (Montréal, éd. T. L. M., 144 livraisons parues entre 1979 et 1983).
21 À partir d’ici, les cotes entre crochets se rapportent, sauf mention contraire, à la classification du catalogue Laforte.
22 LaRue H., « Les chansons historiques du Canada », Le Foyer canadien, vol. 3, 1865, p. 19-20.
23 Millien A., Chants et chansons recueillies et classées […], t. 1, Paris, Ernest Leroux, 1906, p. 306.
24 Recueil de chansons canadiennes et françaises, Montréal, John Lovell, 1859, p. 346-347.
25 On consultera la notice Laforte VI.B-26 pour la liste des références.
26 Archives de folklore et d’ethnologie de l’université Laval, coll. Luc Lacourcière, enrg. no 4076. Chanté par Julienne Barnard, 69 ans en 1961.
27 Gingras A., Au foyer de mon presbytère : poèmes et chansons, Québec, A. Coté et Cie, 1881, p. 233. La chanson est publiée quelques années plus tard aux États-Unis, sous le titre La Citadelle de Québec, dans le Chansonnier canadien du Michigan, 1886, p. 298.
28 La version recueillie auprès d’Ernest Roy est reproduite en annexe 2.b.
29 Sans doute le timbre indiqué était-il aussi un cantique connu à l’époque, mais cette piste reste encore à explorer.
30 Massicotte É.-Z. « Nos chansons historiques », Bulletin des recherches historiques, vol. 27, 1921, p. 30-32. Nous n’avons pas pu viser les enregistrements (sur cylindre) qui sont conservés dans les archives sonores du Musée canadien des civilisations (enrg. MN 2879 et MN 2881). Laforte, pour La perte du Canada (VI.B-46), indique comme timbre « La Mère Michel qui a perdu son chat », air bien connu s’il en est ; mais la coupe du texte publié par Massicotte ne correspondant pas à la structure du timbre, nos efforts pour associer texte et musique sont restés infructueux.
31 Lacourcière L., « Le Général de Flipe [Phips] », Les Cahiers des Dix, no 39, 1974, p. 243-277.
32 Version recueillie auprès de Mme Lavoie, âgée de 90 ans, à Sainte-Luce. Roy P.-G., « Bribes du passé », Le Monde illustré, Montréal, 7e année, no 346, 20 décembre 1890, p. 527.
33 Musée canadien des civilisations, coll. Marius Barbeau, enrg. MN 4553.
34 La version publiée par Luc Lacourcière est reproduite en annexe 2.c.
35 Version recueillie auprès d’Alexandre Boudreau, âgé de 47 ans en 1957. Musée canadien des civilisations, coll. Anselme Chiasson, enrg. MN-A-19. Texte publié dans Boudreau D. et A. Chiasson, Chansons d’Acadie, 4e série, s. l. n. d. [1969], p. 13.
36 Massicotte É.-Z., « Une chanson historique : la bataille de Carillon », Bulletin des recherches historiques, vol. 29, 1923, p. 183 ; « La bataille de Carillon chantée », Bulletin des recherches historiques, vol. 31, 1925, p. 390-391 ; ms inédit, Bibliothèque municipale de Montréal, no 2373.
37 Le chanteur est alors âgé de 78 ans. Musée canadien des civilisations, coll. André Alarie, enrg. MN-Alarie-20-275. La transcription de cette version est proposée en annexe 2.d.
38 Par exemple, Le Chansonnier des collèges, seconde édition revue et augmentée, Québec, Bureau de l’Abeille, 1854. Octave Brien et son fils Marc connaissaient dans des versions identiques plusieurs chansons qui y ont été publiées.
39 Marc Brien, rencontré par Robert Bouthillier qui enregistre auprès de lui environ 70 chansons entre 1974 et 1976, connaissait-il aussi ce chant issu du répertoire de son père ? La question ne lui a pas été posée et il ne l’a pas chantée spontanément. Cela montre qu’il est illusoire de penser pouvoir réaliser une collecte exhaustive de la mémoire d’un chanteur individuel et que toute enquête est tributaire de l’intervention (ou de la non-intervention) des collecteurs. Une chose est certaine : tant qu’elle n’a pas été formellement niée, et si possible de façon récurrente, une chanson ne peut être réputée inexistante dans un secteur donné. Si on les demandait systématiquement, il est possible que plusieurs des chansons que nous avons examinées surgiraient ici ou là, remettant en cause nos conclusions fondées sur un état des lieux par définition transitoire.
40 Neveu de Jean Bart, le membre le plus célèbre de cette famille de corsaires dunkerquois active sur plusieurs générations.
41 Malo H., Les derniers corsaires, Paris, Émile-Paul frères, 1925, p. 60.
42 Une version assez longue et relativement complète ainsi qu’un fragment ont été recueillis par Geneviève Massignon en Nouvelle-Écosse, l’un à Pubnico à l’extrême sud de la péninsule et l’autre à Saint-Joseph-du-Moine dans l’île du Cap-Breton, soit en deux lieux éloignés de 650 kilomètres l’un de l’autre. Massignon G., « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle-France », International Folk Music Journal, vol. XIV, 1962, p. 76-77. Une version très complète (10 couplets) est aussi publiée par Anselme Chiasson (ce prêtre et ethnographe est originaire de Chéticamp, et l’on peut supposer que la chanson provienne de cette zone même s’il ne donne pas ses sources). Boudreau D. et Chiasson A., Chansons d’Acadie, op. cit., p. 26-27. L’une des versions recueillies par Geneviève Massignon est proposée en annexe 2.e.
43 La Landelle G., Poèmes et chants marins, Paris, E. Dentu, 1861, p. 230 ; Coussemaker C.-E., Chants populaires des Flamands de France, Gand, Gyselynck, 1856, p. 264-268. Plusieurs des versions citées ici sont reproduites dans Cahiers de chants de marins 4. Mer du Nord et Manche, Douarnenez, Le Chasse-Marée/ArMen, 1999, p. 30-31 et Cahiers de chants de marins 5. Terres françaises d’Amérique, Douarnenez, Le Chasse-Marée/ArMen/C. V. P. V./S. P. D. T. Q., 2000, p. 22-23.
44 Les versions bretonnes et nivernaises sont publiées : Laurent D., « La reddition du Foudroyant en 1758. Un épisode de la guerre de Sept Ans à travers la chanson française de tradition orale en France et en Nouvelle-France », Pichette J.-P. (dir.), Entre Beauce et Acadie. Facettes d’un parcours ethnologique. Études offertes au professeur Jean-Claude Dupont, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 2001, p. 253-256. Voir aussi Le Prat Y., « La mémoire chantée d’une frontière maritime au XVIIIe siècle : la menace britannique sur les côtes françaises vue d’en-bas », Préneuf J. de, Grove E. et Lambert A. (dir.), Entre terre et mer. L’occupation militaire des espaces maritimes et littoraux, Paris, Economica, 2014, p. 279-286. Une version de cette complainte est proposée en annexe 2.f.
45 Massignon G., « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle-France », art. cit., p. 50, version mêlée au chant-type Le 31 du mois d’août [Coirault 7106 ; Laforte II.A-70] ; Bladé J.-F., Poésies populaires en langue française recueillies dans l’Armagnac et l’Agenais, Paris, Champion, 1879, p. 55-56. Cette version comporte des quatrains au lien des sizains habituels et fusionne l’histoire du Foudrion au chant-type La petite galiote [Coirault 7108 ; Laforte II.K-08].
46 Halbwachs M., La mémoire collective, Paris, PUF, 1950.
47 Assman J., Cultural Memory and Early Civilization. Writing, Remembrance, and Political Imagination, Cambridge, Cambridge University Press, 2011 (1re éd. en allemand, 2007).
48 Nora P., Les lieux de mémoire, I. La République, Paris, Gallimard, 1984, p. 23.
49 Joutard P., Histoire et mémoires, conflits et alliance, Paris, La découverte, 2013, p. 79.
50 Joutard P., La légende des Camisards, Paris, Gallimard, 1977, troisième partie « Une autre histoire ».
51 Massignon G., « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle France », art. cit., p. 74-86 ; Le Prat Y., « La mémoire chantée d’une frontière maritime au XVIIIe siècle », art. cit., p. 279-286.
52 Burke P., Popular Culture in Early Modern Europe, op. cit., p. 169-170.
53 Il suffit de relire quelques couplets de la chanson écrite sur la victoire de Chouaguen proposée en annexe pour comprendre le fossé qui les éloigne du répertoire recueilli de tradition orale.
54 Au vu de l’articulation des couplets, il est peu probable qu’il s’agisse d’un ajout spécifiquement nord-américain, mais bien plutôt d’un oubli de ces couplets dans les versions françaises collectées. Pour une étude des différentes versions, voir Laurent D., « La reddition du Foudroyant en 1758 », art. cit., p. 250-262.
55 Massignon G., « Chants de mer de l’Ancienne et de la Nouvelle France », art. cit., p. 79-80.
56 Roud Catalogue, Chant-type no 624, plus de 120 versions recensées : les principaux titres relevés pour ce chant sont The Death of General Wolfe, Bold General Wolfe et General Wolfe. Les autres chants-types attestés sont les no V856, 961, 9397, avec des titres comme: Song supposed to be sung by General Wolfe the night before he was killed ; Britain in Tears for the Loss of the Brave General Wolfe ; Lament for General Wolfe ou encore The Ballad of Montcalm and Wolfe. Le catalogue Roud est accessible en ligne [http://library.efdss.org/] (consulté le 16 août 2014).
57 Melançon F., « The book in New France »; Fleming P., Gallichan G. et Lamonde Y. (dir.), History of the Book in Canada, t. 1. Beginnings to 1840, Toronto, University of Toronto Press, 2004, p. 46-48. La diffusion de journaux imprimés en français au Québec dès les années 1760 permet l’essor de toute une production de chansons politiques au succès éphémère. Roy F., « Presse et chansons politiques au Québec (1764-1838) », Pillet É. et Thérenty M.-È. (dir.), Presse, chanson et culture orale au XIXe siècle. La parole vive au défi de l’ère médiatique, Paris, Nouveau Monde Éditions, 2012, p. 205-219.
58 Voir à ce sujet Fumerton P., Guerrini A. et McAbee K. (dir.), Ballads and Broadsides in Britain, 1500-1800, Aldershot, Ashgate, 2010.
59 McNairn A., Behold the Hero. General Wolfe and the Arts in the Eighteenth Century, Montréal, McGill-Queen’s University Press, 1997.
60 On dit par exemple au sujet d’une femme qui vient d’avoir ses règles que « les Anglais ont débarqué », tandis qu’une bouteille vidée entre amis permet d’affirmer : « Encore une que les Anglais n’auront pas ! », les Anglais étant en France interchangeables avec « les Boches ». Ce second exemple rappelle d’ailleurs l’importance des toasts dans l’expression d’identités collectives, ainsi que Guy Beiner a pu l’étudier en Irlande dans la construction de la mémoire anti-anglaise. Beiner G., Remembering the Year of the French. Irish Folk History and Social Memory, Madison, The University of Wisconsin Press, 2006, p. 111-112. Voir aussi Guiffan J., Histoire de l’anglophobie en France. De Jeanne d’Arc à la vache folle, Rennes, Terre de Brume, 2004.
61 Clarke P. « “Sur l’empremier”, ou récit et mémoire en Acadie », Létourneau J. (dir.), avec la collaboration de R. Bernard, La question identitaire au Canada francophone. Récits, parcours, enjeux, hors-lieux, Sainte-Foy, Presses de l’Université Laval, 1994, p. 14-15. Nous tenons à remercier Ronald Labelle pour ses remarques à ce sujet.
62 Ces collectes sont déposées et accessibles aux Archives de Folklore et d’Ethnologie de l’université Laval à Québec.
63 Voir notamment l’étude pionnière de J.-P. Hautecoeur, L’Acadie du discours, Québec, Presses de l’Université Laval, 1975 ; ainsi que, plus récemment, la riche analyse et le bilan historiographique de P. Clarke, « “Sur l’empremier”, ou récit et mémoire en Acadie », art. cité, p. 3-44.
64 Sur le fonctionnement de l’oubli social, voir les réflexions de G. Beiner, « Dis-remembering 1798 ? An Archaeology of Social Forgetting and Remembrance in Ulster », History & Memory, t. 25/1, 2013, p. 9-50.
65 Par exemple, le trio Serre l’Écoute a enregistré des versions du combat du Foudrion, du Général Phips et du naufrage de Walker sur l’album Chansons des bords du Saint-Laurent paru en 2002, pages 15, 19 et 20. Les groupes Les Charbonniers de l’enfer et La Nef ont pour leur part enregistré une version entremêlant la complainte de la Danaé en français et celle sur la mort de Wolfe en anglais, sur le CD La traverse miraculeuse paru en 2008, plage 9.
Notes de fin
1 Fragment de six vers publié par H. Lemay, Vieux papiers…, op. cit., p. 179, et dans le Bulletin des recherches historiques, t. 37, 1931, p. 228. Il s’agit de deux couplets d’une chanson incomplète retrouvée dans les papiers de mère Juchereau de Saint-Ignace aux archives de l’Hôtel-Dieu de Québec, qui n’a pas été retenue par Laforte dans son catalogue..
Auteurs
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