Le Congrès des États-Unis et le traité de 1783 : les schémas politiques d’une négociation diplomatique
p. 201-209
Texte intégral
D’un congrès à un autre
1De 1774 à 1789, les colonies en révolte puis les États-Unis, à partir de juillet 1776 et jusqu’à l’adoption de la Constitution fédérale de 1787, sont gouvernés par un congrès : le Premier Congrès Continental en 1774, puis le Second Congrès Continental de 1775 à 1781 et enfin le Congrès sous les Articles de la Confédération de 1781 à 17891.
2Le Premier Congrès Continental se réunit brièvement en septembre et octobre 1774. Il s’agit d’un expédient politique créé dans l’urgence en réaction aux mesures britanniques – les désormais célèbres Lois Intolérables selon l’expression des Patriotes américains, Lois Coercitives selon Londres – qui frappent Boston suite à la Tea Party de décembre 1773. Ce Congrès puise ses origines dans les Comités de Correspondance révolutionnaires, mis en place dès 1771 à l’initiative du Massachusetts. De ce point de vue, il s’inspire du Stamp Act Congress de 1765, qui s’était réuni pour préparer une réponse et une stratégie collectives face à la Loi sur le Timbre de la même année. Le Congrès de 1774 rassemble 56 membres, désignés par les législatures des colonies, 12 et non 13 car la Géorgie n’envoie pas de délégués. En frappant durement Boston, la stratégie ministérielle britannique est d’isoler le Massachusetts des autres colonies. Le Congrès de 1774 se veut une preuve de solidarité – loin d’être à toute épreuve – des autres colonies envers Boston et le Massachusetts. Le Second Congrès Continental, lui, gouverne les États-Unis de manière continue de 1775 à 1781, même si la guerre l’oblige à suspendre ses séances pour se déplacer de ville en ville en fuyant les troupes britanniques. Du point de vue de sa composition, ce Second Congrès est virtuellement un renouvellement du premier, avec à partir de juillet 1776 des délégués de Géorgie.
3Le Congrès de la Confédération (1781-1789) est, à l’inverse, une véritable forme de gouvernement avec une base constitutionnelle. Divisé en dix congrès selon les sessions successives et également itinérant puisqu’il se réunit dans cinq lieux différents à Philadelphie, à Trenton [dans une taverne !], dans le New Jersey, à Annapolis, dans le Maryland, et à New York. Ce Congrès est, comme ses prédécesseurs, composé de délégués désignés par les États et non élus. De plus, au Congrès le vote se fait par État ou délégation – qui réunissent chacune entre deux et sept membres. Une majorité de neuf voix ou États est nécessaire pour adopter une loi ou ratifier un traité2. Les États-Unis sont alors davantage une ligue de républiques, « une solide ligue d’amitié » selon l’article III des Articles de Confédération3. Les Américains avaient perçu l’empire britannique dans les années 1760 comme étant composé de colonies séparées, chacune avec sa propre assemblée. Ainsi, pour les pamphlétaires américains, l’Empire britannique est « an imperial federation of sovereign states sharing and establishing unity in a single monarch ». Il est donc essentiel pour les Américains, comme le souligne l’historien Jack P. Greene, d’éviter de donner au Congrès des « responsabilités législatives et administratives sans précédent dans le passé colonial » tel qu’ils l’interprètent4. Le Congrès de la Confédération représente ainsi les États et non le peuple à l’inverse de la constitution fédérale de 1787 qui commence par « We the people ». Un point qu’on oublie trop souvent et qui pourtant souligne le caractère radical et innovant de la Constitution. D’ailleurs, John Adams, un des négociateurs à Paris en 1783, décrit le Congrès de la Confédération comme « [ni] une assemblée législative ni une assemblée représentative mais seulement une assemblée diplomatique5 ». Cependant, même si l’article II des Articles de Confédération stipule que « Chaque État conserve sa souveraineté, liberté et indépendance », c’est tout de même le Congrès qui conduit la guerre, signe les traités de paix et d’alliance (« le pouvoir de faire la guerre et la paix », article IX) et détient le privilège de battre monnaie. Plus qu’un partage de souveraineté, sans doute faut-il voir dans ce tout premier fédéralisme étatsunien une juxtaposition de souverainetés.
4Éclipsé par les institutions nées de la Constitution fédérale de 1787, le Congrès de la Confédération, très critiqué de son temps et depuis par les historiens, a, en fait, accompli beaucoup dans une période incertaine et instable, surtout de 1775 à 1781. Il a conduit la guerre victorieusement, ce que Richard Henry Lee, délégué de Virginie, appelle « the immensity of business created by the war6 ». Il a aussi géré avec succès le problème des terres de l’Ouest (au-delà des Appalaches), nullement une mince affaire car il lui fallait convaincre les États de renoncer à leurs terres situées à l’intérieur du continent au profit de la collectivité, en renonçant à s’agrandir et donc à accroître leur influence dans un climat de concurrence entre États et en abandonnant aussi la spéculation foncière dont profitent largement des planteurs comme Washington ou Jefferson.
Les divisions au sein du Congrès
5En novembre 1775, Adams écrit :
«In such a Period as this […], when Thirteen Colonies unacquainted in a great Measure, with each other are rushing together into one Mass, […] it would be a Miracle, if Such heterogeneous Ingredients did not at first produce violent Fermentations7.»
6Même s’il est important de noter que l’impression dominante chez les contemporains accentue les différences plutôt que les similitudes entre les colonies puis États, le Congrès reste effectivement très divisé. Au-delà des rivalités personnelles, les factions au Congrès sont articulées selon trois types de cultures politiques régionales : moraliste en Nouvelle-Angleterre ; traditionaliste dans le Sud ; et individualiste dans les États médians. Or, le partage des voix entre les groupes régionaux est assez équilibré : la Nouvelle-Angleterre détient 4 votes (le New Hampshire, le Massachusetts, le Connecticut et le Rhode Island), le Sud 5 (la Virginie, le Maryland, la Caroline du Nord, la Caroline du Sud et la Géorgie) et les États médians 4 (le New York, le New Jersey, la Pennsylvanie et le Delaware). En fait, souvent la Nouvelle-Angleterre s’oppose aux États du Sud et les États médians rejoignent l’un ou l’autre des deux camps principaux selon les questions discutées. Par ailleurs, les contentieux entre les États ne manquent pas : les terres de l’Ouest, les frontières inter-États (et ceci depuis le début de la période coloniale), les impôts, les dettes (fédérales et des États), la monnaie, la forme de gouvernement (comité ou ministres), le versement de la solde à l’armée, les risques de mutineries, et le pouvoir du Congrès de réguler le commerce entre les États8. Beaucoup de questions sur lesquelles la Constitution de 1787 tranchera…
7Concernant le traité de Paris de 1783, le Congrès est d’abord partagé, surtout en 1779, sur la nomination des négociateurs9. Notons que le rappel de Franklin de Paris n’obtient pas la majorité et que le Congrès est divisé sur le sort de John Jay et Adams. Finalement, il vote d’envoyer Jay à Madrid et Adams à Paris. Les demandes américaines au traité de Paris évoluent nettement entre 1779 et le siège final et décisif de Yorktown (octobre 1781) – le Congrès renonçant même en juin 1781 à la reconnaissance britannique de l’indépendance comme pré-requis aux négociations ! –, et sont plus ou moins ambitieuses selon les victoires et les défaites des troupes franco-américaines. Le Congrès, cependant, est principalement divisé sur trois points : la navigation libre sur le Mississippi, l’accès aux pêcheries de Terre Neuve et les avantages commerciaux octroyés à la France et à la Grande-Bretagne. Les États de Nouvelle-Angleterre veulent des droits de pêche à Terre-Neuve. Les États du Sud ne veulent pas de traité avec l’Espagne si la navigation libre sur le Mississippi n’est pas garantie et sont intéressés par l’expansion vers l’ouest. Les États de la région médiane veulent des liens commerciaux plus forts avec la France alors que la Nouvelle-Angleterre les souhaite de préférence avec la Grande-Bretagne. En 1779, l’insistance des États de Nouvelle-Angleterre pour les pêcheries fait craindre une guerre plus longue aux États du Sud où le conflit s’est désormais déplacé, alors que ces mêmes États sont prêts à céder sur la question du Mississippi. Finalement, le Congrès obtiendra en 1783 à la fois l’accès aux pêcheries à Terre-Neuve et la libre navigation sur le Mississippi10.
Profil des plénipotentiaires américains
8Depuis 1781, le Congrès n’a plus un comité pour les Affaires étrangères mais un Secrétaire (Secretary for Foreign Affairs), d’abord en la personne de Robert R. Livingston, puis remplacé par Jay en 1784, à son retour de France. Les représentants du Congrès en France sont Franklin, Jay, Adams et Henry Laurens. Hormis Franklin qui est à Paris depuis 1776, tous arrivent en 1782. Jefferson avait aussi été nommé mais y renonça. La personnalité, l’expérience et le rôle de chacun de ces commissaires, opérant à 5 000 kilomètres d’un Congrès peu au fait du jeu diplomatique européen, dans les négociations ne peut être sous-estimé. Ces hommes, qui appartiennent à des camps rivaux au sein du Congrès, sont des notables fortunés de haut calibre (négociants, juristes ou planteurs) et deux d’entre eux sont des révolutionnaires de la première heure, Adams et Franklin ayant fait partie du comité chargé de rédiger la Déclaration d’Indépendance en 1776. Laurens, lui, fut Président du Second Congrès Continental, de novembre 1777 à décembre 1778 tout comme Jay de 1778 à 1779. Notons aussi, cette caractéristique influencera leur vision de la France et des Français, que deux des quatre négociateurs sont des descendants de réfugiés huguenots : Jay et Laurens. Enfin, remarquons que ce sont des hommes du Nord : Franklin, originaire du Massachusetts, est installé à Philadelphie, Adams est de Boston, et Jay est new-yorkais. Seul Laurens est de Caroline du Sud mais, emprisonné à la Tour de Londres d’octobre 1780 à décembre 1781, il arrive en France tardivement, en toute fin de bataille…
9Le moins connu des trois principaux négociateurs (même s’il participera plus tard à la rédaction des Federalist Papers), Jay (1745-1829), reste le plus intéressant à cerner pour l’historien non seulement pour sa personnalité tranchée mais aussi parce qu’il joue un rôle central dans les négociations de l’automne 1782 car Franklin n’est plus tout jeune, il a alors 76 ans, Adams n’arrive à Paris de La Haye qu’à la fin octobre, et Laurens en novembre seulement, soit à la veille de la signature des préliminaires de paix.
10Né en 1745, Jay a 37 ans en 1782. Autant dire que c’est un homme jeune. Jay est un marchand new-yorkais, avec une première expérience diplomatique en Espagne (1776-1782), d’où il est revenu assez désabusé et critique du jeu politique européen. D’après Jay, les qualités d’un diplomate sont l’honnêteté, le patriotisme, le devoir, le dévouement, le travail, la franchise et la réserve.
11On est assez éloigné des canons de la diplomatie européenne d’alors11 ! D’ailleurs Jay qualifie sans nuance l’Espagne d’être « fière sans dignité [et] noble sans honneur12 ». Jay est un anglophile convaincu et demeure très méfiant vis-à-vis de la France. Dans le journal d’Adams, on apprend même que Jay n’aime pas beaucoup les Français : « He says they are not a moral people […] He doesn’t like any Frenchman. » Rapportant les paroles de Jay à propos de La Fayette, Adams note également : « The Marquis […] is clever but he’s a Frenchman13 » ! Or, cette méfiance vis-à-vis de la France provient en fait de son héritage huguenot. Dans une lettre adressée à Gouverneur Morris en avril 1778, soit deux mois après la signature de l’alliance franco-américaine, Jay déclare :
«What the French treaty may be, I know not. If Britain would acknowledge our independence, and enter into a liberal alliance with us, I should prefer a connection with her to a league with any power on earth. Whether those objects be attainable, experience only can determine. I suspect the commissioners will have instructions to exceed their powers, if necessary. […] I view a return to the domination of Britain with horror, and would risk all for independence; but, that point ceded, I would give then advantageous commercial terms. The destruction of Old England would hurt me: I wish it well: it afforded my ancestors as asylum from persecution14.»
12Lisons entre les lignes : la bien-aimée Angleterre – et non New York – a accueilli les ancêtres de Jay alors que la France les a reniés et expulsés ! Comme l’écrit l’historien Julian P. Boyd :
«Like many other descendants of refugees who had fled France at the revocation of the Edict of Nantes, he seems to have inherited an implacably unfriendly attitude towards France15.»
13D’ailleurs, c’est Jay qui pousse pour un traité séparé avec la Grande-Bretagne, sans prévenir les Français. Dans une lettre à Robert Livingston rédigée pendant les négociations de 1782, Jay précise la position que doit tenir les États-Unis d’après lui vis-à-vis de la France : « Let us be honest and grateful to France, but let us think for ourselves16. » Cette méfiance est réciproquement partagée par Vergennes qui n’apprécie guère Jay : « Monsieur Jay est l’homme avec lequel j’aimerais le moins être en affaire17 » assure-t-il.
14Dans le paysage politique américain, Jay est un fédéraliste ou continentaliste. Autrement dit, il prône un gouvernement fédéral uni et fort, d’où sa participation au Federalist Papers, et surtout fort et crédible à l’étranger. Ainsi écrit-il :
«Unless with respect to all foreign Nations and Transactions, we uniformly act as an entire united Nation, faithfully executing and obeying the Constitutional Acts of Congress on those Subjects, we shall soon find ourselves in the Situation in which all Europe wishes to see us, vizt., as unimportant Consumers of her Manufactures & Productions, and as Useful Labourers to furnish her with raw materials.»
15Et ajoute :
«It is my first wish to see the United States assume and merit the Character of one Great Nation, whose territory is divided into States merely for more convenient Government and the more easy and prompt administration of Justice, just as our several States are divided into Counties and Townships for the like purposes18.»
16Autrement dit, nulle idée dans cette vision hautement fédéraliste de partage ou de juxtaposition de souveraineté mais la simple nécessité pratique d’une division du pays en États. Jay deviendra le premier chief justice de la Cour suprême des États-Unis en 1789 et sera aussi connu pour le traité très favorable à la Grande-Bretagne signé en 1794, traité qui porte d’ailleurs communément son nom.
17Adams (1735-1826) a 47 ans en 1782, soit dix ans de plus que Jay mais reste dans la force de l’âge. Avocat du Massachusetts, Adams possède aussi une expérience de diplomate, cette fois-ci en Hollande où il a obtenu un prêt conséquent pour la Confédération. Lui aussi est plutôt anglophile comme Jay. Néanmoins, Adams rapporte dans son journal les compliments qu’il reçoit à Versailles le 10 novembre 1782, au moment où les négociations sont virtuellement finies :
« “Je vous félicite sur votre Success” is common to all. One adds, “Monsieur, ma foi, vous avez réussi bien merveilleusement. Vous avez fait reconnoitre votre indépendance. Vous avez fait un trait [é], et vous avez procur[é] de l’argent ; voila un succès parfait”. Another says, “Vous avez fait des merveilles en Hollande ; vous avez culbuté le Stathouder, et la Partie angloise ; vous avez donn[é] bien de mouvement ; vous avez remu[é] tout le monde”. Another said, “Monsieur, vous êtes le Washington de la négociation”19. »
18Franklin (1706-1790), qui rappelons-le a 76 ans en 1782, est le plus favorable des négociateurs américains vis-à-vis de la France qu’il commence à bien connaître et où il se sent remarquablement bien apprécié. Mais hormis Laurens qui arrive à Paris tardivement, c’est celui qui exerce le moins d’influence sur les négociations, par contraste avec son rôle primordial lors de la préparation des accords franco-américains de 1778. Enfin, pour compléter ce bref panorama, il faut garder à l’esprit la dynamique interne à l’équipe américaine, tiraillée par les dissensions et les rivalités : Franklin et Laurens sont contre Adams ; Adams et Jay contre Franklin20…
La position britannique et les demandes américaines
19Un mémorandum du roi lui-même datant de février 1783, et très probablement inspiré par lord Shelburne lors des négociations de l’automne 1782, nous éclaire sur la position britannique au moment de la perte des colonies américaines. Tout d’abord, le ministre recommande un retrait de la politique coloniale pour une autre politique mettant en valeur les ressources domestiques. La richesse coloniale, estime-t-on, ne profite pas véritablement à la Grande-Bretagne mais principalement aux Américains eux-mêmes. De plus, le ministre condamne les guerres qui s’enracinent dans les colonies. Il dénonce aussi les colonies du nord, c’est-à-dire au-dessus du Maryland, comme des rivales des Britanniques dans le commerce et les pêcheries. Cette note marque aussi un désintérêt des colonies lointaines qui sont difficiles à maintenir sans une marine de guerre puissante. Les colonies ne font donc plus partie du projet économique et politique du pays et rien ne doit être fait pour encourager le déplacement de ressources humaines et financières vers l’Amérique du Nord. La création de nouvelles colonies est à exclure. En fait, toute prospérité future doit se fonder sur une relation amicale et commerciale avec les ex-colonies américaines comme le résume la formule : « If Not Dominion Then Trade21. » De cette relation la Grande-Bretagne profitera davantage que de toute politique coloniale. On retrouve ici les reproches du moment à toute politique coloniale nécessairement coûteuse en argent, pour ne pas dire ruineuse, mais aussi en hommes et source de conflits, une position exacerbée par le besoin de montrer bonne figure – notamment face à la France, aux Américains eux-mêmes et à l’opinion publique britannique – devant la perte des colonies américaines et d’élaborer une nouvelle politique nécessairement différente de la précédente aux effets qu’il faut admettre comme désastreux.
20À l’automne 1782, les principales demandes américaines, synthèse des débats et expression des votes au Congrès, sont la reconnaissance de l’indépendance par la Grande-Bretagne et un tracé commun des frontières, un droit américain aux pêcheries au large de Terre-Neuve, et la navigation libre sur le Mississippi. Ces demandes forment le squelette du traité de 1783, auxquelles s’ajoutera l’exigence britannique d’une restitution aux Loyalistes de leurs biens confisqués. En fait, le Congrès, prudemment, ne légiférera pas sur cette question hautement sensible mais laissera les législatures des États décider en les encourageant à traiter les loyalistes avec justice… En septembre 1782, les Britanniques sont prêts à reconnaître l’indépendance des États-Unis et le 30 novembre, un projet de traité est signé. En mars 1783, le projet parvient au Congrès à Philadelphie qui le ratifie en avril. En septembre, le traité est signé par Jay, Franklin et Adams, côté américain et David Hartley (ami de Franklin), côté britannique. En janvier 1784, le traité est ratifié par le Congrès.
21Lorsque l’on aborde les négociations du traité de 1783, il faut garder à l’esprit la fragilité et l’instabilité des institutions américaines dans les années 1780. Les Articles de la Confédération viennent tout juste d’être ratifiés mais ne donnent pas satisfaction. Les divisions entre les États qui défendent des intérêts souvent divergents, parfois opposés, divisent un Congrès qui tente par ailleurs de s’imposer à la fois dans le pays et à l’étranger. Dans ce contexte, le traité obtenu par les États-Unis est extrêmement favorable. Même si la générosité britannique, notamment sur la question territoriale, est aussi l’expression d’une certaine realpolitik car des États-Unis géographiquement vastes ne servent pas les intérêts français ni surtout espagnols. Vergennes parle d’ailleurs « des avantages très étendus que nos alliés les Américains doivent recueillir par la paix22 ». Ceci est indéniable même si certains points devront être renégociés au cours du XIXe siècle, sans oublier, bien sûr, l’impact de la guerre de 181223. Enfin, soulignons l’importance du traité de Jay de 1794 qui solidifie les relations commerciales anglo-britanniques, traité qui sera d’ailleurs très impopulaire dans le Sud et chez les Jeffersoniens, adversaires des Fédéralistes à cette période.
Notes de bas de page
1 Les Articles de la Confédération sont adoptés en novembre 1777 mais n’entrent en vigueur qu’en 1781, une fois ratifiés par les États. En mars 1789, le nouvellement élu président George Washington entre en fonction et les États-Unis cessent d’être gouvernés par un congrès seul.
2 La meilleure étude sur ce Congrès, sa composition, son fonctionnement et ses divisions, est celle de Rakove J. N., The Beginning of National Politics. An Interpretive History of the Continental Congress, Baltimore, Johns Hopkins UP, 1979.
3 Les Articles de la Confédération sont disponibles en français à l’adresse suivante [http://www.axl.cefan.ulaval.ca/amnord/USA-Articles-Conf.htm].
4 Greene J. P., « The Background of the Articles of Confederation », Publius, vol. 12, no 4, autumn 1982, p. 38 et p. 40. Voir aussi Lacorne D., L’invention de la République américaine, Paris, Hachette, 1991, p. 96-108.
5 Greene J. P., « The Background… », art. cit., p. 44.
6 Ibid., p. 16.
7 Cité dans ibid., p. 16.
8 Sur le contexte général de cette période incertaine, voir Fowler W. M. Jr., An American Crisis. George Washington and the Dangerous Two Years After Yorktown, 1781-1783, New York, Walker and Cie, 2011.
9 Pour une vue politique complète de cette difficile année pour un Congrès très divisé voir « The Year of Division, 1779 », Rakove J. N., The Beginnings of National Politics, op. cit., p. 255-274.
10 Jillson C. T., « Political Culture and the Pattern of Congressional Politics Under the Articles of Confederation », Publius, vol. 18, no 1, 1988, p. 1-26.
11 « Honesty, patriotism, duty, industriousness, dedication, candidness, [and] reserve », cité dans Kaminski J. P., « Honor and Interest : John Jay’s Diplomacy during the Confederation », New York History, Summer 2002, p. 294.
12 Ibid., p. 295.
13 Diary of John Adams, le 5 novembre 1782, consultable à [http://www.masshist.org/digitaladams/archive/diary/].
14 Communication personnelle avec Brendan McConville que je remercie.
15 Boyd J. P., « Two Diplomats Between Revolutions : John Jay and Thomas Jefferson », The Virginia Magazine of History and Biography, vol. 66, no 2, 1958, p. 134.
16 Cité dans Kaminski J. P., « Honor and Interest… », art. cit., p. 296.
17 Cité dans ibid., p. 297.
18 Lettre à John Lovell (délégué du Massachusetts) citée dans ibid., p. 303.
19 Diary of John Adams, op. cit., le 10 novembre 1782.
20 Sur ces rivalités, qui ne sont pas à sous-estimer, entre les négociateurs américains, voir Hutson J. H., « The American Negotiators. The Diplomacy of Jealousy », R. Hoffman et J. P. Albert (dir.), Peace and Peacemakers. The Treaty of 1783, Charlottesville, University Press of Virginia, 1986, p. 52-69.
21 Cité dans Wright E., « The British Objectives, 1780-1783. “If Not Dominion Then Trade” », Hoffman R. et Albert J. P. (dir.), Peace and Peacemakers, op. cit., p. 3.
22 Lettre à la Luzerne, 19 décembre 1782, cité dans Cottret B., La Révolution américaine, La quête du bonheur (1763-1787), Paris, Perrin, 2003, p. 268.
23 Le problème épineux du tracé des frontières, par exemple, se réglera au cours du XIXe siècle avec les traités Rush-Bagot de 1817, Webster-Ashburton de 1842 et l’accord sur l’Oregon Country de 1846. Par ailleurs, la question de la navigation libre sur le Mississippi culminera sous le mandat présidentiel de Jefferson avec les négociations précédant la cession de la Louisiane par la France en 1803.
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