Migration européenne vers le Québec
De la guerre de Sept Ans à la Révolution française (1754-1789)
p. 123-135
Texte intégral
1Le traité de Paris de 1763, qui a mis fin à l’empire français en Amérique, et celui de 1783, consacrant l’Indépendance des États-Unis d’Amérique, ont influencé davantage la vie politique et économique de la classe dirigeante que la vie quotidienne des habitants du Canada. Les mouvements migratoires résultant de ces traités ont été peu étudiés au cours de cette période qui s’étend de la guerre de Sept Ans à la Révolution française. Ce texte s’articule autour des trois périodes qui ont marqué l’histoire migratoire du Québec au cours du XVIIe siècle.
L’apport démographique des soldats de Montcalm au cours de la guerre de Sept Ans et ses répercussions sur la population canadienne (1754-1765)
2Depuis le début de l’aventure française en Amérique en 1604, le Canada, c’est-à-dire la vallée laurentienne, a connu diverses vagues migratoires au cours des 150 ans de la présence française. Au XVIIe siècle, les décennies 1660-1679 ont été les plus prolifiques puisqu’elles sont marquées par l’établissement de 2 360 pionniers et pionnières dont 268 officiers et soldats du régiment de Carignan-Salières et par l’arrivée de 725 filles du Roy. Ces deux groupes ont donc fourni un total de 993 pionniers et pionnières à la colonie. Au XVIIe siècle, en Nouvelle-France, la guerre de Sept Ans et le traité de Paris ont entraîné des mouvements de population assez importants pour l’époque. Ils sont dûs en grande partie à l’arrivée massive des soldats des troupes de Montcalm, à la présence de nombreux réfugiés acadiens dans la vallée laurentienne et à l’exode des Canadiens au lendemain de la Conquête. Le tableau 1 identifie les principaux groupes en présence au cours de la décennie qui débute avec la guerre de Sept Ans en Amérique.
Groupe |
Nombre |
Population selon le recensement de 1754 |
55 000 |
Soldats des troupes de Montcalm établis1 |
1 000 |
Autres immigrants d’origine française2 |
630 |
Réfugiés acadiens3 |
1 900 |
Anglo-Américains4 |
580 |
Naissances canadiennes moins les décès5 |
14 690 |
Canadiens passés en France |
4 000 |
Population selon le recensement de 1765 |
69 800 |
Tableau 1. – Croissance de la population canadienne entre 1754 et 1765.
3Le tableau 1 vient démontrer que les 4 000 départs de la période 1755-1765 ont été en partie compensés par l’arrivée de 3 500 migrants francophones. L’écart n’est donc que de 500 personnes ce qui, pour une population totalisant 70 000 habitants, représente bien peu. Le démographe Hubert Charbonneau, qui a étudié cette période mouvementée de notre histoire, a écrit en 1991 :
« Quelques milliers d’individus retournèrent en France lors de la Conquête. Mais les soldats de la guerre de Sept Ans qui se fixèrent ici par mariage compensèrent largement les pertes encourues, en nombre tout au moins. […] La Conquête n’est pas un événement bien perceptible dans l’histoire démographique canadienne-française6. »
4Les données du tableau 1 confirment ainsi les évaluations d’Hubert Charbonneau quant au nombre d’individus qui arrivent, partent, naissent et décèdent au cours de la période 1754-1765. On doit donc considérer que la Conquête de la Nouvelle-France par les Britanniques n’a pas été aussi tragique, au point de vue démographique, même si par conséquent 4 000 Canadiens sont passés en France.
5Comme les militaires formaient le plus important groupe migratoire entre 1754 et 1765, il semble important de considérer l’apport des soldats de Montcalm au peuplement du territoire lequel deviendra une colonie britannique après le traité de Paris de 1763.

Tableau 2. – Année de mariage au Canada des 1 064 soldats de l’armée française7.
6Le tableau 2 indique, année par année, le nombre de mariages des soldats des troupes de la Marine et des troupes de Terre entre 1755 et 1786, dernière année qui a vu un soldat des troupes de Montcalm se marier au pays. À ces données, il faut ajouter 92 soldats et officiers des troupes de la Marine mariés en France ou au Canada avant 1755 de même que six soldats de l’armée de Terre mariés à une date inconnue. Ces données ne tiennent pas compte des soldats non mariés qui ont procréé et qui sont retournés en France dans les années qui ont suivi la Conquête.
7Fait étonnant, notons qu’entre les mois de septembre 1759 et septembre de l’année suivante, 62 soldats des troupes de Montcalm se sont mariés à un moment où les ressources militaires étaient souvent irremplaçables en raison de leur assignation à participer aux batailles des plaines d’Abraham et de Sainte-Foy.
Régiments |
Mariés |
Rentrés |
Établis |
Troupes de Terre |
720 |
99 |
621 |
Total |
1 162 |
201 |
961 |
Tableau 3. – Militaires de l’armée française établis par mariage au Canada.
8Le tableau 3 montre avec exactitude l’apport migratoire net des soldats des troupes françaises au peuplement de la vallée laurentienne. Entre 1755 et 1761, 201 soldats mariés sont rentrés en France souvent avec leur épouse. La plupart d’entre eux sont débarqués dans le port de La Rochelle où ils furent démobilisés dès leur arrivée8.
9Les 961 militaires établis par mariage au Canada étaient arrivés au pays avant 1760. À ces données, on pourrait ajouter 29 soldats restés célibataires et décédés dans la colonie après 1763. L’établissement des quelque 1 000 soldats des troupes de Montcalm constitue ainsi le deuxième plus important groupe de migrants depuis la période 1660 à 1680 après celui qui a vu l’établissement de 400 soldats des régiments de Carignan-Salières, de 725 filles du roi et de nombreux engagés de trente-six mois.
L’immigration européenne au Québec au lendemain du traité de Paris (1763-1775)
10Le traité de Paris, signé entre la France et la Grande-Bretagne le 10 février 1763, modifiait considérablement les anciennes frontières de l’Amérique du Nord. Des immenses territoires possédés par la France avant la Conquête, seules les petites îles de Saint-Pierre et de Miquelon, situées au sud de Terre-Neuve, demeuraient sous la souveraineté du royaume de France. Par proclamation royale, en 1763, la Nouvelle-France devenait the Province of Quebec9. Son territoire s’étendait de part et d’autre du fleuve Saint-Laurent, depuis la Nouvelle-Écosse – l’ancien territoire de l’Acadie –, jusqu’à l’ouest de la rivière des Outaouais. Le territoire était administré par un gouverneur qui résidait à Québec. En 1774, l’Acte de Québec, étendait le territoire de la province jusqu’au Labrador à l’est, et aux territoires situés à l’ouest et au sud des Grands Lacs soit à la frontière de la Louisiane espagnole dans la limite occidentale. La population de la province était alors de 90 000 habitants.
11L’article 4 du traité de Paris stipulait que les Canadiens et les Français, encore au pays mais désirant regagner la France, avaient dix-huit mois pour le faire. De plus, l’article 5 du traité permettait aux Français le désirant de continuer à faire librement la pêche sur les côtes de Terre-Neuve et dans le golfe du Saint-Laurent. Enfin, l’article 6 cédait à la France les îles de Saint-Pierre et de Miquelon. Ces articles du traité permirent des mouvements de population plus ou moins contrôlés entre le Canada et la France. De ce fait, le traité de Paris favorisa, dans une certaine mesure, des mouvements de population non seulement dans le sens Amérique-Europe mais aussi dans le sens Europe-Amérique. Ces voyages se poursuivirent bien au-delà des dix-huit mois prescrits par le traité.
12La paix relative qui régnait entre la France et l’Angleterre depuis 1763 s’est maintenue jusqu’au 6 février 1778 lorsque la France déclarait la guerre aux Anglais en même temps qu’elle signait un traité d’alliance avec les Américains. La même année, les forces britanniques, présentes en Nouvelle-Écosse, attaquèrent les îles de Saint-Pierre et de Miquelon et transportèrent la population en France, y compris des réfugiés Acadiens qui furent donc déportés à deux reprises, soit en 1755 puis en 1778.
L’apport des Français au Québec10
13Entre 1764 et 1770, on dénombre la présence de 25 Français nouvellement arrivés dont quelques-uns de religion protestante. Leur nombre augmente légèrement après 1770 pour atteindre 44 individus dont un bon nombre de Français d’origine acadienne qui s’installent dans la baie des Chaleurs en Gaspésie. La plupart des Français établis au Québec au cours de cette période ont transité par l’Angleterre, les îles Jersey et Guernesey, les îles Saint-Pierre et Miquelon ou par la Nouvelle-Angleterre dans une moindre mesure. Près de 65 % des migrants étaient originaires de régions contiguës à l’océan Atlantique. La Gironde en Aquitaine, l’Ille-et-Vilaine en Bretagne et la Manche en Normandie étaient les départements d’où provenaient le plus grand nombre de migrants. Outre les Français arrivés au cours de cette période, on a vu arriver des Suisses protestants servant très souvent d’intermédiaires entre les nouveaux dirigeants britanniques et la population locale.
L’apport des Anglo-Saxons
14La guerre de Sept Ans a amené sur les rives du Saint-Laurent des milliers de soldats des troupes britanniques pour combattre les troupes françaises. Les militaires anglo-saxons étaient d’origines diverses. Parmi eux, on retrouvait des Anglais, des Écossais, des Irlandais et des Anglo-Américains. En septembre 1760, au lendemain de la capitulation de la Nouvelle-France, un régime militaire fut instauré en attendant la fin des négociations entre Britanniques et Français. En raison de cette situation conjoncturelle, plusieurs soldats des régiments britanniques demeurèrent dans la colonie pour assurer le maintien de la paix.
15Dès octobre 1760, les premiers civils anglo-saxons arrivaient au Canada pour administrer le pays et surtout pour y faire du commerce. Parmi ceux-ci, on retrouvait des individus en provenance des colonies de la Nouvelle-Angleterre qui voyaient en la Conquête de grandes opportunités dans le négoce qui dorénavant se faisait avec les colonies américaines et la Grande-Bretagne. Entre 1760 et 1763, les Anglais qui s’étaient établis au pays le faisaient par bail de location puisqu’aucune acquisition de propriété ne pouvait être envisagée avant que le sort de la Nouvelle-France ne fût réglé11. À compter de 1763, plusieurs officiers anglo-saxons firent l’acquisition des seigneuries délaissées par les Canadiens et les Français tandis que d’autres s’en firent concéder par le gouverneur James Murray dans la région de Charlevoix et en Gaspésie.
Pays anglo-saxons |
Nombre |
Angleterre |
61 |
Total |
579 |
Tableau 4. – Les Anglo-protestants au Québec 1760-1765.
16Le tableau 4 indique la présence et l’origine géographique de 579 civils anglo-protestants adultes vivant dans la province de Québec entre les années 1760 et 1765. À ce nombre, il faut ajouter 126 enfants nés à Montréal au cours de la même période12. En 1765, la population anglo-protestante de la province de Québec ne devait pas dépasser 750 civils selon nos estimations. En 1760, le pasteur John Ogilvie devint le premier ministre de l’Église d’Angleterre à œuvrer au Québec. Comme il n’existait pas d’église anglicane à Montréal, Ogilvie célébrait les offices dans la chapelle de l’Hôtel-Dieu. Il a présidé à plusieurs mariages entre 1760 et 1764 dont ceux des frères Samuel et Francis McKay, deux officiers de l’armée britannique qui épousèrent des Canadiennes.
17Entre 1760 et 1766, on n’a qu’une idée très approximative des mariages célébrés par les pasteurs qui accompagnaient les troupes anglaises. Le nombre de mariages ne devrait toutefois pas dépasser une quinzaine. Pour la période subséquente, soit celle de 1766 à 1775, les registres protestants de Montréal, Québec et Trois-Rivières contiennent les enregistrements de mariages de 192 Anglo-protestants en plus des quelques mariages célébrés par des aumôniers militaires. Les mariages mixtes, dénoncés par l’Église catholique, sont tout de même contractés devant des prêtres catholiques et des pasteurs protestants. Entre 1760 et 1775, 165 de ces unions ont été enregistrées dont 92 devant un pasteur protestant et 73 devant un prêtre catholique.

Tableau 5. – Mariages des Anglo-Saxons au Québec 1760-177513
18Le tableau 5 comptabilise les 284 mariages inscrits dans les registres catholiques et protestants du Québec. Les mariages protestants de la période de 1760 à 1765 concernent principalement des mariages mixtes célébrés par des pasteurs militaires. Les données du tableau ne tiennent pas compte de quelque 220 unions d’Anglo-protestants présents au Québec mais célébrées en Grande-Bretagne ou en Nouvelle-Angleterre avant 1765. Les mariages catholiques des Anglo-Saxons concernent surtout des Écossais et des Irlandais qui épousèrent des Canadiennes dans une proportion de 58 %. À la veille de la guerre d’Indépendance américaine, en 1775, la population civile anglo-protestante de la province de Québec ne devait pas dépasser 1 800 personnes selon nos estimations.
19Le traité de Paris a considérablement transformé la géographie de l’Amérique du Nord. La Nouvelle-France disparaît pour devenir la Province de Québec suite à l’adoption de la Proclamation royale du 7 octobre 1763. Si au point de vue politique et économique, l’abandon de la Nouvelle-France par la mère-patrie a été catastrophique pour les Canadiens, du point de vue démographique, la Conquête n’aura pas été aussi désastreuse que l’on aurait cru. Les mouvements de population, qui s’accentuent à compter de 1755 par l’établissement de nombreux militaires français, par l’arrivée des réfugiés acadiens et enfin par l’accroissement naturel de la population ont largement comblé l’écart résultant de l’exode des quelque 4 000 Canadiens repassés en France après la Conquête. L’arrivée de quelques centaines d’Anglo-protestants n’a pas modifié l’état de la population bien que ceux-ci firent indéniablement partie de la nouvelle classe dirigeante du pays.
L’immigration européenne au Québec de la guerre d’Indépendance américaine à la Révolution française (1776-1789)
20Le traité de Paris de 1783 qui mit fin à la guerre d’Indépendance américaine a entraîné de nouvelles modifications au territoire de la Province de Québec. Toutes les contrées situées au sud des lacs Érié, Ontario et Supérieur sont devenues territoire de la nouvelle république des États-Unis d’Amérique. Le nouveau pays comptait une population de deux millions cinq cent mille habitants répartie dans les Treize Colonies délimitées par l’océan Atlantique et les Appalaches. Dès le lendemain de l’Indépendance, les Américains amorcèrent leur expansion territoriale vers l’Ouest et le Sud pour s’achever au milieu du XIXe siècle, alors que le pays atteint ses frontières que nous lui connaissons encore aujourd’hui. Quant à la province de Québec, elle a conservé son territoire situé au nord du fleuve Saint-Laurent et des Grands Lacs. La ville de Détroit qui devait être cédée aux États-Unis en 1783 ne le sera qu’en 178614 par la signature du traité de Londres. En 1790, la population de la province de Québec atteignait 161 311 habitants.
21Depuis le traité de Paris de 1763, toute la partie est de l’Amérique du Nord était une colonie britannique comprenant les colonies de la Nouvelle-Angleterre, du Canada de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. À compter de 1774, les impôts exigés aux commerçants américains suscitaient le mécontentement dans les villes de la Nouvelle-Angleterre qui se traduisit par une rupture des relations entre les insurgés américains15 et les autorités britanniques. Le 4 juillet 1776, les représentants des Treize Colonies de la Nouvelle-Angleterre déclaraient leur indépendance.
22La guerre d’Indépendance américaine a débuté en 1775 et se termina en 1783 par la signature du traité de Versailles. Pendant ce conflit, les Britanniques pouvaient compter sur 50 000 soldats auxquels se sont ajoutés 30 000 mercenaires allemands. Du côté des insurgés, au début du conflit, les troupes comptaient à peine 5 000 hommes, surtout des miliciens. Au plus fort du conflit, soit au début des années 1780, le général George Washington ne pouvait compter que sur 17 000 hommes. Ce n’est qu’en 1778 que la France s’est engagée dans la guerre d’Indépendance américaine par la fourniture de matériel militaire et d’une aide en faveur des insurgés. En 1780, le corps expéditionnaire de Rochambeau, fort de 6 000 hommes, débarquait à Newport, au Rhode Island, pour se joindre à l’armée de Washington. Le comte de Rochambeau et le marquis de La Fayette étaient alors chargés des opérations en Virginie. Ils ont participé à la bataille de Yorktown en septembre et octobre 1781. La défaite des troupes britanniques de Charles Cornwallis à Yorktown annonça la fin de la guerre et le début des négociations qui menèrent à la signature du traité de Paris le 3 septembre 1783 reconnaissant ainsi l’indépendance des États-Unis d’Amérique.
L’apport des Français au Québec
23Au cours de la période qui s’étend de 1776 à 1790, 128 Français arrivent dans la province de Québec dont seulement sept femmes16. De ce nombre, 64 militaires français, qui ont participé à la guerre de l’Indépendance américaine depuis 1780, sont arrivés au pays peu de temps après la signature de la paix de 1783. Ils étaient de deux camps différents. 43 étaient des Français faisant partie des mercenaires allemands à la solde des Britanniques tandis que 21 étaient des combattants des armées de La Fayette et de Rochambeau ou des Français déjà présents en Nouvelle-Angleterre qui se sont enrôlés dans l’armée des insurgés. Bien que ces Français aient été dans des camps opposés, on ne peut affirmer qu’ils ont combattu l’un contre l’autre pendant ce conflit.
L’apport démographique des autres groupes ethniques
24Au début des années 1780, mais surtout à partir de 1783, la province de Québec subit un choc démographique important avec l’arrivée de loyalistes américains, de soldats des troupes britanniques et de mercenaires allemands ayant combattu les troupes de Washington lors de la guerre d’Indépendance américaine. L’arrivée de quelque 10 000 nouveaux venus sur un territoire majoritairement francophone a eu pour effet de modifier le comportement linguistique et religieux du pays bien que la majorité des loyalistes s’établiront sur un territoire peu peuplé par les francophones, territoire qui deviendra quelques années plus tard le Haut-Canada.
Les mercenaires allemands
25Entre 1776 à 1783, le roi George III d’Angleterre, lui-même d’ascendance allemande, envoya plusieurs régiments en Amérique, mais, faute de recrues, il dut se résoudre à faire appel à sa parenté du Saint-Empire et de Prusse pour lui fournir des troupes supplémentaires17. C’est ainsi que, sur une période de huit ans, 30 000 soldats de plusieurs principautés du Saint-Empire germanique ont traversé l’Atlantique pour combattre les révolutionnaires américains. Ces soldats, qu’on désigne souvent sous le terme de « mercenaires », faisaient partie des troupes régulières, dûment incorporés et entraînés. Ils n’étaient donc pas des volontaires en quête de sensations fortes et d’aventure, mais bien des membres à part entière des forces militaires. Cependant, des unités spéciales, appelées Jäger (Chasseurs), furent aussi levées. Celles-ci étaient composées de volontaires aguerris aux rudes conditions climatiques, et elles prirent part aux escarmouches entre les forces révolutionnaires et les troupes régulières. Bien que ces troupes étaient constituées en grande partie de citoyens d’origine allemande, on retrouvait aussi dans leurs rangs de nombreux Italiens, Autrichiens, Danois, Hongrois, Suisses et Polonais, ainsi que des Français et des Néerlandais.
26Près de 30 000 soldats et officiers allemands ont pris le chemin de l’Amérique lors de la guerre de l’Indépendance américaine. Une bonne partie des troupes qui ont participé aux combats étaient cantonnées du côté américain de la frontière. On estime à près de 10 000 ceux qui furent stationnés au Canada. À la fin des hostilités, la Couronne britannique en rapatria un grand nombre, mais offrit la possibilité à ceux qui le désiraient de demeurer sur le nouveau continent. Des recherches récentes démontrent qu’environ 800 sont demeurés au Québec, les autres ayant fait souche dans les provinces maritimes (Nouvelle-Écosse, Nouveau-Brunswick et sur l’Île-du-Prince-Édouard) ainsi qu’en Ontario.

Tableau 6. – Origine des mercenaires allemands établis au Québec18.
27Le tableau 6 indique que des 729 mariages connus de mercenaires allemands, 660 ont été célébrés au Québec et 69 hors Québec, en Allemagne et aux États-Unis. Les mercenaires allemands de religion catholique ont épousé 354 Canadiennes tandis que les mercenaires de confession protestante ont épousé 164 Canadiennes. Parmi les 25 mercenaires allemands originaires de France, plusieurs venaient des provinces d’Alsace et de Lorraine.
Les loyalistes américains
28Avant 1780, la population anglophone du Québec n’atteint que 2 000 personnes composées d’administrateurs, de marchands et de bourgeois qui font partie de la classe dirigeante du pays. L’indépendance des États-Unis d’Amérique a amené entre 35 000 et 40 000 loyalistes, les habitants des colonies de la Nouvelle-Angleterre restés fidèles à la Couronne britannique, à s’exiler au Canada. En plus des loyalistes américains, des soldats et des miliciens britanniques, des collaborateurs de l’armée britannique ainsi que des prisonniers de droit commun ont été expulsés vers le Canada. La Nouvelle-Écosse a reçu 21 000 loyalistes, le Nouveau-Brunswick 14 000, et la province de Québec 8 000 dont 6 000 s’établiront sur le territoire qui, en 1791, deviendra le Haut-Canada. Au Québec, l’arrivée des loyalistes américains, surtout en provenance du Vermont, a peu modifié la composition démographique de la population de la Province de Québec. Les quelque 2 000 loyalistes se sont établis au Québec principalement dans la Baie-des-Chaleurs, dans les Cantons de l’Est et au nord du lac Champlain à la frontière des deux pays. Ces nouveaux sujets britanniques ont permis à la communauté anglo-saxonne du Québec d’atteindre une population maximale de 4 000 personnes à la fin de la décennie 1780. Les mariages célébrés par les pasteurs protestants, les prêtres catholiques et les aumôniers militaires donnent une bonne indication de l’arrivée des nouveaux sujets britanniques dans la province de Québec entre 1775 et 1790.

Tableau 7. – Mariages des Anglo-Saxons au Québec 1776-179019
29Le tableau 7 établit à 959 les mariages d’Anglo-Saxons dans la province de Québec entre 1776 et 1790 dont 873 mariages devant des pasteurs protestants. Les mercenaires allemands ne sont pas comptabilisés dans ce tableau puisque l’on ne peut les considérer comme des Anglophones. Lors des mariages catholiques, les conjointes des Anglo-Saxons sont presque toutes des Canadiennes. À compter de la décennie 1770, plusieurs soldats et officiers des troupes britanniques ont pris épouse au Québec. Les mariages ont été inscrits dans les registres d’état civil du Québec tandis que certains ont été célébrés par des aumôniers militaires et non enregistrés comme tels. On constate que 31 % des Anglo-Saxons ont épousé des Canadiennes françaises entre 1776 et 1790 par rapport à 58 % pour la période de 1760-1770.
30L’arrivée de nouveaux immigrants à la suite de la guerre d’Indépendance américaine a peu modifié l’état de la population canadienne qui atteignait alors 160 000 habitants en 1790. Les 800 mercenaires allemands établis au Québec se sont assez bien intégrés à la communauté française en épousant des Canadiennes dans une proportion de 70 %. Quant aux 2 000 loyalistes américains établis dans certaines parties de la province, ils ont eu peu d’influence sur la population canadienne de langue française si ce n’est les quelque 300 mariages mixtes célébrés entre Anglo-Saxons et Canadiennes. Outre les villes de Québec et de Montréal, les Anglophones vivaient souvent en communauté fermée dans différentes régions du Québec comme à Sorel par exemple.
Conclusion
31À la veille de la Révolution française, la population civile de la province de Québec atteignait un peu plus de 160 000 habitants. Entre 1760 et 1790, les étrangers représentaient quelque 3 500 individus soit à peine 2 % de la population francophone. Comme les données globales concernant l’arrivée des immigrants étrangers au pays sont assez difficiles à établir faute de données précises, les mariages demeurent le meilleur indice de l’établissement d’étrangers au pays. Les migrants établis par mariage au Québec sont presque tous des hommes provenant des armées britanniques ou des mercenaires allemands. Les 1 518 unions célébrées au Québec entre 1760 et 1790 ajoutées aux 289 unions contractées hors du Québec totalisent 1 807 unions dont 463 ont été contractées avec des Canadiennes.
32L’apport des Anglo-Saxons et des Allemands, durant les premières décennies qui ont suivi la Conquête, a peu bouleversé l’équilibre démographique du pays qui est demeuré francophone jusqu’à la fin du XVIIIe siècle. Les descendants des Campbell, des Handfield, des Harrison, des MacKay et des Ross se sont intégrés à la communauté francophone tout comme les Ékemberg, Koch, Schneider, Tresler ou Wilhelmy qui sont d’ascendance germanique.
33Il faudra attendre la fin des guerres napoléoniennes, en 1815, pour voir arriver massivement des ressortissants des îles britanniques qui vont davantage modifier l’équilibre linguistique de la population du Québec.
Notes de bas de page
1 En plus des 961 soldats mariés provenant des troupes de la Marine et des troupes de Terre établis au Québec entre 1755 et 1760, il faut ajouter 29 soldats demeurés célibataires, 13 des troupes de Terre et 16 des troupes de la Marine dont la présence est signalée au pays entre 1763 et 1785.
2 Fournier M., Base de données des pionniers de la Nouvelle-France et du Québec ancien, 1600-1850. Ces données ne tiennent pas compte des quelques individus laïcs demeurés célibataires dont on ne peut quantifier le nombre.
3 Dickinson J., « Les réfugiés acadiens au Canada, 1755-1775 », Études canadiennes/Canadian Studies, vol. 37, 2003, p. 51-61. L’arrivée des Acadiens au Québec excède la période de 1765.
4 Fournier M., Les Européens au Canada des origines à 1765 (Hors-France), Montréal, Les Éditions du Fleuve, 1989, p. 266-300. Le recensement des protestants de la ville de Québec (1764) et celui de la ville de Montréal (1765) ont servi à établir cette compilation.
5 Pour la même période, les données du PRDH indiquent un accroissement naturel de 16 435 individus.
6 Charbonneau H., « Les francophones du Québec de 1608 à 1960 », J. Henripin et Y. Martin (dir.), La population du Québec d’hier à demain, Montréal, Les Presses de l’Université de Montréal, 1991, p. 16.
7 Fournier M., Base de données des soldats de la guerre de Sept Ans 1755-1760, données inédites, 2013. L’armée française comprenait une trentaine de soldats originaires de pays européens autres que la France : 7 Allemands, 10 Belges, 6 Italiens et 7 Suisses. Pour la notion d’établissement par mariage au Canada, il a été tenu compte des soldats qui se sont mariés et qui sont décédés au pays.
8 Les données concernant le retour des soldats en France entre 1755 et 1761 sont tirées de l’ouvrage Combattre pour la France en Amérique. Les soldats de la guerre de Sept Ans en Nouvelle-France, 1755-1760, Montréal/Paris, Société généalogique canadienne-française/Archives et Culture, 2009. Plusieurs soldats des troupes de la Marine et des troupes de Terre sont rentrés en France avec leur épouse à la suite de leur mariage en Nouvelle-France.
9 La Proclamation royale adoptée le 7 octobre 1763 par le Parlement britannique définit l’organisation de la province de Québec à la suite de la signature du traité de Paris.
10 Fournier M., Les Français au Québec 1765-1865. Un mouvement migratoire méconnu, Sillery et Paris, Septentrion et Éditions Christian, 1995, p. 24-25.
11 Parchemin, base de données notariales du Québec sous la direction de Robert N. et Lafortune H. Entre le 19 octobre 1760 et le 10 février 1763, les actes notariés contractés par des Anglais concernent uniquement des locations de maisons. Ce n’est qu’à partir de 1763 que l’on trouve des ventes de propriétés dont plusieurs seigneuries appartenant à des Français et à des Canadiens.
12 Bibliothèque et Archives Canada, MG-8-G (64), Garrison Registrer of baptisms (protestants), of Montreal (1760-1764).
13 Ce tableau a été compilé à partir du registre Garrison, des registres des paroisses catholiques du Québec et des registres des églises protestantes du Québec pour la période 1760-1775.
14 Le traité de Paris transmit le Michigan aux États-Unis, mais ce ne fut qu’en 1786 que les Américains occupèrent Détroit. Le congrès rattacha d’abord cette région au Territoire du Nord-Ouest puis, en 1805, l’érigea en territoire distinct qui prit le nom de Michigan.
15 Les termes Insurgents ou Patriots désignent les rebelles des colonies de la Nouvelle-Angleterre jusqu’à la signature du traité de Paris (1783) à partir duquel les habitants prendront officiellement le nom d’Américains.
16 Fournier M., Les Français au Québec, op. cit., p. 27-32.
17 Ritchot D., Les troupes allemandes et leur établissement au Canada, 1776-1783, Longueuil, Institut généalogique Drouin, 2011.
18 Fournier M., Base de données des pionniers…, op. cit.
19 Ce tableau a été compilé à partir des registres des paroisses catholiques du Québec et des registres des églises protestantes du Québec pour la période 1776-1790.
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Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008