Résumés/Abstracts
p. 229-243
Texte intégral
Michel Biard
Mieux vaut-il perdre la parole que perdre la tête ? La peur dans les débats à la Convention nationale (1792-1795)
1S’appuyant sur une étude des épurations successives de la Convention nationale, cette proposition de communication tente d’appréhender non « la politisation des peurs », mais les peurs des politiques, en l’occurrence de certains « hommes politiques » : les représentants du peuple membres de la Convention. Trois points successifs sont abordés : la manière dont l’inviolabilité des députés née en 1789 a pu être bafouée à partir de l’automne 1792 dans une République contrainte, dès sa naissance, à ne point respecter une liberté indéfinie des opinions ; les temps forts où peut se repérer la peur de prendre la parole au sein de cette Assemblée ou dans d’autres lieux où s’expriment les conventionnels ; l’utilisation a posteriori de la peur comme alibi politique par ceux qui ont préféré s’en tenir à une prudente réserve plutôt que de s’engager dans des luttes fratricides vite devenues inexpiables.
Fear in the Convention nationale’s debates (1792-1795)
2 Based on a study of successive purges of the Convention nationale, this communication aims to study political fears, in this case of some “politicians” representatives people members of the Convention. The evocation of three successive points is considered: how the inviolability of deputies born in 1789 could be harmed from autumn 1792 in a constraint Republic from birth to not enforce an indefinite liberty of opinion; highlights that can identify the fear of speaking in this Assembly or in other places where members of the Convention expressed; use post of fear as a political alibi by those who preferred to stick to a prudent reserve rather than engage in fratricidal struggles quickly became implacable.
Maxime Kaci
« Portez sur les traîtres la lumière et le glaive » : les armées révolutionnaires septentrionales, entre combat républicain et détournements partisans (septembre-décembre 1793)
3Entre septembre et décembre 1793, deux forces armées sont créées dans les départements frontaliers des Ardennes et du Nord. L’armée du Mont-Dieu et l’armée révolutionnaire lilloise sont mises sur pied par des militaires et des militants locaux avec le soutien de représentants en mission. Elles sont présentées comme les instruments d’une lutte intérieure contre les complots qui menacent la République. L’apparence, les discours et les actions des membres de ces armées sont significatifs des usages politiques de la peur. La mise en scène de la violence physique et verbale s’inscrit dans une stratégie d’intimidation. L’effroi porté sert à asseoir la domination départementale de groupes militants bien identifiés au nom de la défense de la République.
“Portez sur les traîtres la lumière et le glaive” : the People’s Armies in Northern France (from September to December 1793), Republican Struggle and Partisan Appropriations
4 From september to december 1793, two people’s armies are created in the Nord and in the Ardennes. They are set up by soldiers and militants with the support of people’s representatives on mission. They are regarded as a weapon against plots and enemies of the Republic. The look, the discourses and the actions of people’s armies underline political uses of fear. Physical and verbal violence in the public sphere is part of intimidatory tactics. Spreading fear is a way for specific militant groups to establish their domination over local populations in the name of the Republic.
Clément Weiss
Des coups de bourse aboliront-ils la République ? La peur des agioteurs après Thermidor
5Héritier de l’accapareur d’Ancien Régime, l’agioteur est érigé en antimodèle de citoyenneté après Thermidor et sous le Directoire. Les discours politiques et littéraires répètent que les agioteurs sont omnipotents et que leurs spéculations frauduleuses sapent la propriété, déprécient les assignats et ruinent la République. Confronter ces discours à la « chasse aux vampires » menée au Palais Royal par les commissaires de section parisiens permet de saisir l’ambiguïté d’une pratique sans cesse invoquée, mais difficilement imputable à des individus précis et donc impossible à réprimer de manière efficace. Il s’agit donc de se demander comment une pratique incertaine a pu cristalliser les peurs de la société thermidorienne et comment le signalement stéréotypé de l’agioteur, dont les commissaires répètent à longueur de rapports l’inadaptation au réel, a pu devenir l’un des symboles des désordres de la Révolution.
Gambling on the failure of the Republic. The fear of “agioteurs” after Thermidor
6 Successor of the Old Regime’s hoarder, the “agioteur” is raised to a counter-model of citizenship after Thermidor and during the Directory. Literary and political discourses repeat that “agioteurs” are omnipotent and that their illegal speculations attack property, depreciate assignats and shatter the Republic. The comparison between these discourses and “vampire hunting” conducted by police commissionners in the Palais Royal underlines the ambiguity of agiotage as a concrete practice because nobody matches the stereotypical description of agioteur. This article will question why, despite its inadequacy in practice, the stereotype of counter-revolutionary agioteurs had become one of the symbols of revolutionary disorder and had cristallized fears of Thermidorian society.
Jean-Charles Buttier
La citoyenneté divisée. Histoire d’un discours de peur ancré dans la pédagogie politique des catéchismes républicains français
7La peur du conflit entre citoyens est inscrite au cœur de l’éducation véhiculée par les catéchismes politiques français publiés à partir de 1789. Leurs auteurs ont partagé la volonté de vulgariser la République pour politiser le peuple. Se construit alors une rhétorique de la peur du désordre par opposition à une conception unanimiste de la citoyenneté républicaine. Les ouvrages étudiés ici intègrent dans leur discours le fait que les républiques soient nées du conflit, intérieur comme extérieur. La sacralisation politique à l’œuvre s’incarne en 1794-an II dans la diffusion du serment de mourir en martyr républicain. La diffusion du thème de la fraternité a correspondu à une tentative de fusion des traditions chrétienne et révolutionnaire pour résoudre la division née de la Révolution française. Enfin, l’union est perçue comme le dépassement de l’instabilité politique qui marqua en particulier l’instauration de la IIIe République.
The divided Citizenship. Study of a talk of fear rooted in the French republican catechisms political pedagogy
8 From 1789 to 1914, the political catechisms spread an education that included the fear of the conflict between citizens. The authors shared the will to popularize the Republic, in order to politicize the People. Then, was highlighted the fear of disorder, opposed to a unanimous vision of republican citizenship. The books studied in this article included in their discourses, the fact that republics were deeply linked to internal or external conflict. The political socialization at work in political catechisms was embodied in 1794-Year II by the oath to die as a republican martyr. In order to solve the division that appeared during the French Revolution, the theme of fraternity was an attempt to merge Christian and revolutionary traditions, especially during the 1830’s and 1840’s. At last, the idea of union was considered as the way to exceed political instability related, in particular, to the foundation of the Third Republic.
Paul Chopelin
Une hantise de la subversion. Les peurs des catholiques français en contexte républicain (1792-1892)
9La peur de la subversion antichrétienne a été l’un des moteurs de la mobilisation politique des catholiques français dans le cadre républicain au cours du XIXe siècle. Si, depuis la Révolution, la parfaite légitimité de la république, comme alternative institutionnelle à la monarchie, a fait l’objet d’une justification théologique approfondie, le clergé continue de se méfier d’un régime qui a organisé l’exécution et la déportation de plusieurs centaines d’ecclésiastiques entre 1792 et 1800. L’ordre moral est ainsi devenu l’horizon d’attente politique d’une Église qui redoute l’influence ténébreuse des ennemis de la religion. Le souvenir des violences de la Terreur, réactivé par les troubles anticléricaux de 1815, 1830, 1848 et 1871, a entretenu une triple peur : une peur sociale, celle de la licence populaire, qui peut conduire aux pires excès contre la religion et ses ministres ; une peur eschatologique, celle du courroux divin en réaction aux péchés de la France ; enfin une peur conspirationniste, celle d’un complot fomenté par des forces occultes qui, sous l’inspiration de Satan, projetteraient la destruction de l’Église. À partir de 1892, le Ralliement consacre l’intégration des catholiques dans le corps civique républicain, mais une partie d’entre eux continue d’être travaillée par l’angoisse de la subversion antichrétienne, désormais incarnée par les juifs et les francs-maçons. Cette peur contribue notamment à la radicalisation des positions lors de la séparation de 1905.
Haunted by subversion. The French catholics’ fears in the republican context (1792-1892)
10 Fear of anti-Christian subversion has been one of the mainsprings of the political mobilization of the French Catholics in the republican context during the nineteenth century. Since the Revolution, the perfect legitimacy of the republic, as an institutional alternative to the monarchy, has been the subject of a thorough theological justification, but the clergy still doesn’t trust a regime who organized the execution and deportation of hundreds of ecclesiastics between 1792 and 1800. Moral order has become the political reference point for a church that fears the dark influence of the enemies of religion. The memory of the acts of violence of the Terror, reactivated by the anticlerical disturbances of 1815, 1830, 1848 and 1871 has maintained a fear that has three aspects: a social fear, that of popular license, which can lead to the worst excesses against religion and its ministers; eschatological fear, that of divine wrath in response to the sins of France; finally a conspiracy fear, that of a plot fomented by occult forces, under the inspiration of Satan, planning the destruction of the Church. Beginning in 1892, the “Ralliement” establishes the integration of the Catholics in the republican civic body, but some of them are still tormented by the fear of anti-Christian subversion, now embodied by Jews and Freemasons. This fear contributes, in particular, to harden positions at the time of separation of Church and State, in 1905.
Laurent Bihl
La caricature, marqueur de l’anxiété collective autour de 1900
11L’image satirique met en scène un rapport constant de l’individu à la foule, celle-ci étant perçue comme une incarnation du peuple en marche vers le progrès social, ou au contraire comme un monstre démultiplié incarnant la révolution incontrôlable. En creux la peur du déclassement, de l’errance et de la misère sociale. À l’inverse, l’imaginaire lié à l’ensemble des représentations symboliques de Marianne est le reflet des paniques ou enthousiasmes qui scandent la vie politique. Les nouvelles densités urbaines, les discours populistes, les scandales ou les rumeurs impressionnent autant qu’ils rebutent. Ces tensions reposent sur la juxtaposition des peurs traversant les différentes composantes du lectorat, en une réflexion permanente sur la modernité. L’angle satirique se revendique justement comme un « œil social », afin de contempler et radiographier tour à tour la fragilité d’une société en proie aux tourments issus des bouleversements politiques qu’elle traverse.
Caricatures, indicators of the collective anxiety around 1900
12 The satirical image enacts the constant relation of the individual with the crowd, the latter being sensed like an embodiement of the people marching towards social progress, or, at the contrary, like a multiplied monster embodying uncontrollable revolution. An insight into fear of downgrading, of a roving life and of social misery. Conversely, the imaginary linked to all the symbolic representations of Marianne reflects the terrors and enthusiasms marking political life. New urban densities, populist discourses, scandals and rumours impress as much as they repel. Those tensions lay on the juxtaposition of fears through the different components of the readership, in a continuous reflection on modernity. The satirical perspective precisely claims to be a “social eye”, so as to contemplate and x-ray by turns the fragility of a society coping with the torments flowing from the political upheavals it is going through.
Côme Simien
Peurs scolaires ? L’instituteur et la formation du citoyen républicain en Révolution (1789-1799)
13Si le rêve de régénération de la société est au cœur de la Révolution française, le risque de voir se défaire l’homme nouveau que les révolutionnaires essaient de forger aurait provoqué chez eux, selon certains historiens, une véritable « peur panique ». Dans la conjuration de cette peur, l’école était a priori appelée à jouer un rôle particulier, puisque l’enfant était perçu comme un homme neuf en puissance pour ne pas avoir été souillé par la macule de l’Ancien Régime. Or, leurs instituteurs auraient été rapidement identifiés par les législateurs révolutionnaires comme comptant parmi les principaux hommes rebelles à la régénération républicaine. C’est sur les traces de cette « peur panique » de la culture dirigeante révolutionnaire en matière scolaire que se propose de repartir la présente communication. Son émergence et ses logiques internes se révèlent être, en effet, beaucoup plus complexes qu’attendu. D’une part, les discours révolutionnaires sur l’école investissent celle-ci de la mission fondamentale de débarrasser le vieux monde de ses peurs (provoquées par le fanatisme, les forces du passé…) davantage qu’ils n’expriment eux-mêmes une peur. Ce n’est qu’au cours de l’hiver et du printemps 1794 que la peur du mauvais instituteur devient plus sensible. Mais c’est alors d’abord par le bas de l’édifice social qu’elle apparaît, dans le contexte particulier du mouvement déchristianisateur. Finalement, la « peur panique » du péril que l’instituteur ferait peser sur la République ne s’exprime dans toute sa plénitude qu’à compter de l’automne 1797. À ce moment-là, elle se fixe sur la figure singulière de l’instituteur privé, qui s’impose en quelques semaines comme le nouvel ennemi intime de la République, pour avoir été identifié par les élites révolutionnaires (qui cherchent au même moment à donner un sens aux difficultés auxquelles se heurte la République) comme le redoutable continuateur, auprès de l’enfance, de l’influence des prêtres et des contre-révolutionnaires.
School fears? The school teachers and the making of the republican citizen in Revolution (1789-1799)
14 If the dream of the regeneration of the society is at the heart of the Revolution, the risk of seeing coming undone the new man whom the revolutionaries try to forge would have provoked, according to certain historians, a real terror at them. In the elimination of this fear, the school was a priori called to play a particular role, because the child was perceived as an archetypal futur new man, to the extent that their were not soiled by the mackle of the Old Regime. But, their school teachers would quickly have been identified by the revolutionaries as rebel men to the republican regeneration. It is on the tracks of this terror of the revolutionaries that proposes to restarting this communication. Indeed, its ermegence and its internal logics are much more complex than expected. The revolutionaries confer on the school the fundamental mission to clear the old world of its fears (caused by the force of past) more than they express a fear on its subect. It is only during winter and the spring 1794 that the fear of the bad primary school teachers becomes more present. But it is at first at the bottom of the social structure that it appears, in the particular context of the “déchristianisateur” movement. Finally, the republican terror of the bad primary school teacher expresses itselfs in all its plenitude only from the autumn 1797. At this moment, it settles on the singular figure of the private primary school teacher, who becomes in a few weeks, in imagination, the new enemy of the Republic.
Caroline Fayolle
La « femme monstre » : la République face à la peur de la confusion des sexes
15Pendant la Révolution française, la participation des femmes à la vie politique suscite des réprobations. Pour les stigmatiser, s’élabore la figure monstrueuse et menaçante de la « femme-homme ». La peur de la confusion des sexes est aussi évoquée pour justifier l’inégalité d’instruction entre les sexes et le refus de la mixité scolaire. La « femme monstre » éclaire ainsi le projet pédagogique révolutionnaire de la régénération des femmes. Elle permet d’interroger la notion d’ordre naturel qui est censée fonder l’ordre républicain.
“The monster woman”: the Republic and the fear of gender confusion
16 During the French Revolution, the participation of women in political life led them to be condamned. The monstrous and threatening figure of the “woman-man” was built with the aim of stigmatising them. The fear of gender confusion was also advanced to justify the gender inequalities in education and the rejection of mixed-sex classes in republican schools. Therefore, the “monster woman” sheds light on the revolutionnary pedagogical project of the regeneration of women. It allows to question the notion of natural order which was supposed to be the founding basis of the republican order.
Nelly Schmidt
1848 : liberté et peurs sociales aux Caraïbes. La citoyenneté républicaine face aux réalités coloniales
17Un modèle républicain fut, en 1848, spécifiquement mis au point pour les colonies dans lesquelles l’esclavage était aboli par décret du 27 avril. Il se traduisit par un ensemble de décrets organiques accompagnant celui de l’abolition et par la mise en œuvre d’une politique d’oubli du passé dont les effets furent particulièrement efficaces. Il s’agissait, dans un double contexte de tension/peur sociale et d’instauration inédite de droits politiques, de faire face aux réalités et aux contraintes coloniales hors des cadres de l’esclavage. Cet ensemble de mesures – notamment le décret concernant les élections des représentants à l’Assemblée nationale au suffrage universel masculin par les « nouveaux libres/nouveaux citoyens » – porte en lui-même la négation de la liberté pourtant proclamée. La profonde crainte de troubles sociaux et politiques éprouvée par les membres des commissions qui se succédèrent alors pour régler les questions coloniales, par les planteurs comme par les autorités elles-mêmes, provoqua l’élaboration d’une « police du travail » et de mesures de contrôle social au sujet desquelles on put parler, au début des années 1870, d’« attentats à la liberté individuelle ».
18Il s’agit là d’un cas d’école dans le domaine du pragmatisme politique. Il est examiné ici en mettant en parallèle les textes législatifs du nouveau système colonial – sans esclavage – et les événements des lendemains de l’émancipation dans les colonies françaises des Caraïbes et plus particulièrement en Guadeloupe, là où la tension sociale fut extrêmement vive et constante. 1848 fut ainsi la matrice, en quelque sorte, d’une évolution coloniale dite républicaine à la française, dans la longue durée – en fait du milieu du XIXe siècle jusqu’à nos jours – avec la thématique de l’assimilation, du schœlcherisme et de bien d’autres mythes sociaux et politiques.
1848: Freedom and social fears in the Caribbean. Republican citizenship in front of colonial realities
19 In 1848, a “republican model” was specifically developed for the colonies where slavery was abolished by the decree adopted on April, 27. It resulted in several concurrent organic decrees and a policy of forgotten past particularly effective. In a context of both social tension/fear and of the instauration of new political rights, the issue was to deal with the realities and the colonial constraints beyond frameworks of slavery. However, this set of measures is itself a negation of the freedom newly proclaimed, in particular the decree related to the elections of the representatives at the National Assembly by the male universal suffrage by “the new free ones/new citizens”. Several Commissions were created to solve the colonial issue. Their failure and the subsequent fear of social and political troubles felt by the growers such as the authorities themselves lead to the creation of a “labour police” and a set of social control measures pointed out as “attacks against individual freedom” by opponents at the beginning of 1870.
20 This is a textbook case in the field of political pragmatism. It is studied here through a parallel analysis of the legislative texts of the new colonial system— without slavery— and of the events following the emancipation in the French colonies of the Caribbean and more particularly in Guadeloupe, where the social tension had been extremely deep and constant. Focusing on themes such as the assimilation, the schœlcherism and many others social and political myths, this article shows that 1848 marked, in some way, the beginning of a colonial development based on a French “republican model” running from the mid-19th century to current times.
Yves Déloye
La peur du grand nombre. La « science électorale » contre la démocratie représentative dans la France de la III e République (1890-1930)
21La peur du nombre suscitée par l’ouverture du suffrage électoral aux masses est à l’origine en France (probablement plus que dans d’autres pays en Europe) d’un ensemble de discours, souvent réactionnaires au sens où l’entend Albert O. Hirschman, qui dessinent en creux une réfutation de la citoyenneté républicaine. C’est cet ensemble de discours qui est analysé dans cette contribution. Plus précisément, il s’agit dans le cadre d’une enquête socio-historique en cours d’extraire du discours juridique de la fin du XIXe siècle (1890-1930), tel qu’il se donne à voir dans les facultés de droit de l’époque, les arguments témoignant de cette peur d’un suffrage électoral devenu universel. Il s’agit ainsi d’évoquer l’ensemble des solutions juridiques et des contre-modèles produits par cette « science électorale » naissante pour le pallier.
The fear of the people. “Electoral science” against representative democracy in the France of the Third Republic (1890-1930)
22 The fear of the number generated by the opening of the electoral suffrage to the masses was originally in France (probably more than in other countries in Europe) of a set of speech, often reactionary to the meaning Albert O. Hirschman, who draws a larger refutation of republican citizenship. It is this set of discourse that we analyze in this chapter. Specifically, it is part of a socio-historical investigation in progress to extract legal discourse in the late nineteenth century (1890-1930), as it gives itself to see in the Faculties law of the time, arguments showing that fear of an electoral suffrage became universal. The aim is to discuss all legal solutions and against-models produced by this “electoral science” emerging to address it.
Lisa Bogani et Sébastien Soulier
Péril social et société assaillie. Quand la « Bande noire » de Montceau-les-Mines a fait trembler la justice républicaine
23Dans la nuit du 15 août 1882, la commune de Montceau-les-Mines devient le théâtre d’un mouvement émeutier : on assiste à un rassemblement d’environ cent cinquante personnes qui se livrent à des actes incendiaires et de pillage. Ces agissements, renvoyant aux méthodes préconisées par les anarchistes au congrès de Londres un an plus tôt, vont concentrer l’attention de la classe politique et de la presse locale et nationale pendant près de quatre mois en raison notamment du rebondissement judiciaire que connaît cette affaire en octobre 1882. Dossier majeur de l’éphémère gouvernement Duclerc, cette affaire engendre une profusion de pratiques et de discours de peur divergeant selon les intérêts politiques de leurs auteurs. Cet article propose d’en analyser les tenants et les aboutissants afin de mettre en lumière les enjeux médiatiques, politiques et judiciaires qui se jouent à travers cet épisode peu connu de la IIIe République.
Social peril ans attacked society. When the republican justice was shaken by the “Bande noire” of Montceau-les-Mines
24 On the night of August 15-16, 1882, the city of Montceau-les-Mines becomes the setting of mass riots: around one hundred and fifty people commit arson attacks and lootings. Those actions are related to the methods recommanded by the anarchists during the Congress of London one year earlier.
25 For four months, both the political class and local press will focus on these events particularly because of the judicial rebound of October 1882. With this case, which is one of the most important of Duclerc’s short-lived government, there is a proliferation of practices and discourses playing on people’s fear which vary depending on the different political interests. This article provides an analysis of the ins and outs of this event to highlight both the media, political and judicial issues involved in this not well known episode of the Third Republic.
Vivien Bouhey
Le citoyen face au compagnon dans la République à l’époque de la « terreur noire »
26Entre 1891 et 1894 en France, un certain nombre d’anarchistes recourent à la propagande par le fait sous la forme d’attentats souvent spectaculaires, qui ont pour objectifs de faire table rase du passé, de terroriser le monde des exploiteurs et de précipiter un Grand Soir révolutionnaire considéré comme imminent. Participe bien sûr de cette entreprise de démolition la destruction d’une IIIe République qu’ils détestent toujours plus, une destruction impliquant la disparition de celui sans lequel cette démocratie ne saurait fonctionner : le citoyen. La majorité des contemporains découvre l’anarchisme à travers cette campagne d’attentats, et la peur se propage à des rythmes différents sur le territoire national, une peur ou des peurs (peur pour sa vie, pour ses biens, peur de voir le monde changer) qui ont pu être instrumentalisées par certains contemporains pour différentes raisons. Mais le danger que représentent les propagandistes par le fait pour la vie du simple citoyen ou pour l’existence du régime ainsi que les peurs justifiées ou non que leurs actions engendrent ont finalement provoqué des réactions de la part d’un certain nombre de citoyens difficiles à interpréter comme participant d’un réflexe de défense républicaine.
Ordinary Citizen vs. “compagnon” anarchists in the Third Republic during the “black Terror”
27 Between 1891 and 1894 in France, some anarchists resorted to “propaganda of the deed”, plotting attacks that were often spectacular and aimed at making a clean break with the past, filling the world of exploiters with terror, and speeding up the advent of a revolutionary “Grand Soir” which they thought was imminent. The destruction of a Third Republic which they loathed more every day of course pertained to this demolition initiative, and implied the de facto disappearance of the citizen without which this democracy could not work. Most of those anarchists’ contemporaries discovered anarchism through this campaign of terrorist attacks, and fear spread at different paces over the country— a fear, or fears (for one’s life, for one’s belongings, that the world might change) that may have been exploited by some of them for various reasons. But the danger that propagandists of the deed were to ordinary citizens’ lives or to the regime’s very existence and the fears (whether justified or not) aroused by their actions in fact carried the seeds of a new defence mechanism enabling citizens, within the Republic, to get the better of that danger and those fears.
Laurent López
Sauver la France, défendre la République, protéger les citoyens : les forces de l’ordre et les injonctions sécuritaires de la Belle Époque
28À la fin du XIXe siècle, diverses vagues de peurs qui s’amalgament traversent l’opinion publique française sous l’action concomitante de la presse, du milieu politique, de publicistes, de romanciers et même de policiers mémorialistes. à la crainte de l’espionnage allemand sensible dès les années 1870 s’ajoute celle de la récidive. Puis, ce sont les attentats anarchistes du début des années 1890, relayés, au tournant des XIXe et XXe siècles, par la crainte des chemineaux dans les campagnes et des « apaches » dans les villes, sur fond de xénophobie. La remise en cause de la force publique est alors aiguë. Les questions policières sont constituées en enjeux politiques, et réciproquement. Le travail de la force publique permet de s’interroger sur la façon dont le sentiment d’insécurité participe à la construction politique de la citoyenneté et à sa représentation sociale.
Save France, defend the Republic, protect the citizens: law enforcement and security orders during the Belle Époque
29 At the end of the nineteenth century, various waves of fear that fuse through the French public in the concomitant action of the press, the political environment, publicists, novelists and even police memoirs. In the fear of the sensitive German espionage in the 1870’s is added that of recidivism. Then there are the anarchist bombings of the early 1890’s, relayed at the turn of the nineteenth and twentieth centuries, for fear of tramps in the countryside and “Apache” in cities, on xenophobia background. The questioning of the police force is then acute. Police matters are incorporated political debates, and vice versa. The work of the police raises questions about how the insecurity involved in the political construction of citizenship and its social representation.
Guillaume Neveu
Dangereux pour la Nation ? Altérité et normativité politique durant l’entre-deux-guerres : le cas de la Seine-Inférieure
30L’analyse de la surveillance policière établie durant l’entre-deux-guerres en Seine-inférieure (76) révèle – en plus de l’avancement des techniques et du savoir-faire de l’époque – plusieurs dimensions que l’analyse socio-historique permet de discerner. Qu’il soit le fruit d’une « surveillance discrète » ou d’une inscription de suspects au carnet B, le travail de renseignement intérieur s’est principalement focalisé sur les populations militantes : syndicalistes, communistes et anti-militaristes.
31Ces données permettent non seulement de comprendre les catégories menaçantes pour l’ordre intérieur à cette époque, mais aussi de reconstituer des trajectoires de militants, cartographier les différents réseaux, concevoir les dynamiques d’un espace de diffusion des idées illégitimes. C’est à la lumière des travaux d’Habermas concernant l’espace public et des apports critiques de Negt concernant l’espace public oppositionnel que ces fichiers de police prennent une nouvelle dimension sociologique. Ils permettent notamment de comprendre comment furent régulées les paroles militantes en interrogeant l’intégrité de la communauté nationale au sein d’un État s’appuyant sur l’impératif qu’est devenue la nation.
A danger to nation? Political otherness and normativity at the interwar period in the French District of “Seine-inférieure”
32 The paper addresses police surveillance at the interwar period in the French District (“Département”) of “Seine-Inférieure” in Normandy. Our analysis brings to light several socio-historical dimensions of relevant archives, as well as the improvement of policing methods and know-how. Both “discreet surveillance” and systematic monitoring of “B registered” suspects principally focused on militants, i. e. trade unionists, communists and anti-militarists.
33 Beyond understanding the categorisation of threats to French “internal order”, our data also allow us to reconstruct the trajectories of monitored militants and conceive of the dynamics of a sphere for the diffusion of illegitimate ideas. Our police files take on a new sociological dimension in the light of Habermas’s work on the public sphere and the critical contribution of Negt on the oppositional public sphere. These files reveal how militant discourses were regulated via the criterion of integrity of the national community, within the framework of a State dominated by the ideal of the Nation.
Anne-Claude Ambroise-Rendu
Médias et justice : la peur, ressource du civisme ou danger pour la citoyenneté ? Fin XIX e -XXI e siècle
34Les deux derniers siècles écoulés ont connu au cours de leurs ultimes décennies une poussée de fièvre médiatique et législative relative à la criminalité et particulièrement à la criminalité sur les enfants. Les grandes lois de protection de l’enfance sont en effet contemporaines de la montée en puissance du discours sécuritaire dans les années 1890 puis depuis les années 1980 et d’une répression pénale alourdie en ce qui concerne les crimes sur enfants, et particulièrement les crimes sexuels, au tournant du XXe et du XXIe siècles. Ce phénomène n’a pas échappé aux contemporains qui ont déploré avec plus ou moins de fougue que le travail législatif soit ainsi soumis au diktat d’une opinion publique agitée et pusillanime et dont les médias se prétendent l’écho.
35Cette apparente réitération invite à réfléchir à la circularité d’un processus qui va du crime à la réponse législative en passant par sa médiatisation. Le quatrième pouvoir qu’est la presse garantit en effet la transparence de la chose et des affaires publiques dans le processus législatif, en transformant un événement isolé – un crime – en affaire de tous, il le constitue en problème collectif et potentiellement politique. En appelant à l’opinion publique, à sa peur, à son besoin de sécurité, il incite le législateur à statuer, souvent dans l’urgence. Assiste-t-on alors à la confiscation de l’exercice républicain du droit de juger et de punir ou, au contraire, à sa restitution à un citoyen qui, grâce au bruit médiatique, peut se ressaisir de sa souveraineté et peser sur le pouvoir judiciaire ?
Media and justice: fear, resource of public spirit or danger to the citizenship? End 19th–20th century
36 During the last decades of the two past centuries, there were a media and legislative frenzies for crime and particularly for crime against children. The major child protection laws were created during the rise of security discourses in 1890’s and then in 1980’s. During these periods, criminal law punishing crimes against children were enforced and at the turn of the century more specifically sexual ones. This phenomenon was noticed by some contemporaries who deplored, more or less violently, that the lesgislative work would depend, to such an extent, on the supposedly agitated and pusinamillous public opinion diktat, as relayed by the media. This apparent reiteration invites reflection on the circularity of the process going from crimes to media coverage to legislative responses.
37 Indeed, the press, as the forth power, ensures transparency of public affairs in the lesgislative process transforming a single event, a crime, into everyone’s responsability. It turns it into a collective, and therefore potentially politic problem. Adressing the public opinion, its fear and its need for security, the media force the legislator to act, often in hurry.
38 Is it then a confiscation of the republican right to try and punish? Or is it, on the contrary, a way to restitute some sovereignty to citizens who will be able to influence the judiciary thanks to the media hype?
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Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008