Don Quichotte controversiste
Les disputes de Théophile Cassegrain (fin xvie-début xviie siècle)
p. 115-141
Texte intégral
1Théophile Cassegrain n’est pas passé à la postérité. Au grand dam sans doute du principal intéressé qui mit tout son cœur à rivaliser avec ses plus illustres collègues, Philippe Duplessis-Mornay ou Daniel Chamier. Pasteur du gros bourg de Pont-de-Veyle, en Bourgogne, à la fin du XVIe siècle, Cassegrain fut pourtant un infatigable combattant de la foi, prêchant et disputant sans cesse, espérant toujours une large diffusion de sa parole : désir de convaincre par amour de Dieu ? Besoin de plaire et d’être connu par amour-propre ? Grande est la tentation de psychologiser cette histoire sans en rechercher des causes plus générales. La recherche de la gloire, la construction d’une réputation sont toujours difficiles à mesurer quand on parle d’hommes de Dieu, que tout pousse à dissimuler ces problématiques.
2On peut accompagner ce pasteur au cours des huit années qui suivent l’implantation de l’édit de Nantes en Bourgogne (1598-1605), période durant laquelle il fit preuve d’un activisme sans failles, entrant en controverse à volonté et conviant à la dispute les plus célèbres docteurs de l’Église : Jacques Davy Du Perron et François de Sales. Qu’est-ce qui poussa cet « humble pasteur » bressan à provoquer les plus beaux fleurons du catholicisme d’alors ? Quel fut le sens de cette activité controversiste dissymétrique ? Cassegrain cherchait-il à convaincre de la suprématie de sa théologie ou de sa supériorité de théologien ? Accroissait-il son assisse locale en défiant des hommes dont la notoriété était déjà internationale ? N’affaiblissait-il pas au contraire sa crédibilité en démontrant son faible « sens de la réalité », c’est-à-dire son manque de « sens des équivalences », tant la probabilité de rencontre réelle entre membres des clergés d’origines sociales et géographiques si éloignées était extrêmement faible ? Les moulins à vent de Cassegrain sont de géants adversaires1.
3Pour le bonheur de l’historien toutefois, en commettant ces bévues – s’il s’agissait bien de cela –, Cassegrain contraignait ses adversaires à expliciter les codes souvent tacites du contact entre théologiens de confessions adverses : égalité sociale au moins approximative des disputants, identité de réputation ou de notoriété, équivalence de diplôme et de rang social, capacité de rayonnement (local, provincial, national ou international). En enfreignant les « règles de grammaire de la dispute », Cassegrain amenait ce faisant ses opposants à mettre à jour l’« inconscient académique » des controverses que cet article entend analyser et notamment les grammaires du contact interclérical2.
Les exils de Théophile Cassegrain
4On en sait peu sur Théophile Cassegrain. Mais qui prend la peine de collecter ses traces, dispersées en une myriade de sources, parvient malgré tout à reconstituer un portrait parlant. Sans doute le plus crédible de ses biographes est-il le Père Louis Jacob de Saint-Charles (1608-1670), de l’ordre du Carmel, bibliophile reconnu, originaire de Chalon-sur-Saône et auteur d’un ouvrage sur les « Chalonnais célèbres ». Il le fait naître en 1556 à Étampes et mourir à Chalon à l’âge de 90 ans3. Cette origine étampoise est attestée par plusieurs poèmes en latin, signés « Theophilium Quatigranum Tempensis4 ». La notabilité des Cassegrain parmi l’élite municipale et ecclésiastique est avérée à Étampes. Son père, Claude Cassegrain, licencié en droits, était à la naissance de Théophile lieutenant-général du bailliage d’Étampes. Un lettré. Sa réputation d’humaniste lui vaut de préfacer par un poème latin la mise à l’écrit des coutumes du bailliage d’Étampes5. Surtout, typique en cela des officiers royaux, des hommes de loi cultivés du tournant des années 1560, Claude Cassegrain est protestant. Un arrêt du parlement de Paris le condamne à la pendaison, avec des dizaines d’autres huguenots, en novembre 1562 pour « rebellion, félonnie et crime de Leze-Majesté6 ». Étampes a en effet été prise puis occupée par les troupes de Condé à partir du 13 novembre 1562, et il est vraisemblable que le père de Cassegrain ait participé à ces événements7. Il y a là une bifurcation soudaine dans l’histoire d’une famille jusque-là bien établie et qui doit probablement quitter la ville. Théophile a alors six ans. Aussi ne s’est-il pas converti, mais appartient à cette première génération de baptisés huguenots, comme son prénom vétéro-testamentaire l’indique. Enfant des guerres civiles, né des derniers troubles, Cassegrain est bringuebalé sur les routes de l’exil et apprend tôt les souffrances qu’entraînent les choix confessionnels minoritaires. Il sait que les vies basculent à franchir une frontière religieuse pourtant ténue ; il a vécu les tribulations que Dieu réserve à ses élus. Précocement, il a subi l’intolérance, la confrontation religieuse violente, la proscription, la haine des voisins, la peur peut-être. Cela ne l’empêche pas de vouloir convertir les autres, encore et encore.
5Quand on retrouve sa piste, en 1579, Cassegrain est devenu pasteur à Cormaillon, en Auxois8. La charge n’est pas prestigieuse, c’est entendu, mais Cassegrain n’a que vingt-trois ans et la Bourgogne est sa patrie d’adoption, loin des racines étampoises de la famille. La zone a l’intérêt d’être frontalière et de permettre de quitter le royaume en vitesse lorsque renaît la persécution. En 1581-1583, il dessert plusieurs petites Églises de Bourgogne : on le trouve à Nuits-Saint-Georges en février 15839, à Cormaillon en mai de la même année10. C’est là que la famille s’est installée et que naît, en 1586, son premier fils. Marié, comme il est du devoir des pasteurs, Cassegrain perd sa première femme, Avoye Chicheret, à une date inconnue, mais avant 1590, puisque le poète Pierre Poupo publie un « tombeau » en l’honneur de la défunte11. Deux enfants naissent de ce premier lit : Anne et Salomon, prénom vétérotestamentaire marqueur d’une forte identité confessionnelle. Cassegrain est tout sauf un nicodémite. Comme nombre de ses collègues, il se fait un devoir de faire de son foyer un modèle de piété et de transmettre la vocation à son fils, sans pour autant créer une dynastie de pasteurs : étudiant en théologie à Genève, Salomon deviendra professeur dans cette même discipline12. Cassegrain se remarie en novembre 1590 avec Louise Goulart, qui donne naissance à Suzanne, baptisée à Genève en décembre 159113. Ici encore, le prénom vétérotestamentaire entretient une identité confessionnelle de combat. Cet « investissement familial » est suffisamment visible et connu pour être moqué par ses adversaires, qui remarquent combien Cassegrain doit être doué en économie, « luy qui est ministre et Père de famille, tout ensemble14 ». Aux yeux de ses opposants catholiques, ce détail familial aggrave l’enracinement local de Cassegrain, son impossible nomadisme, qu’ils comparent à leur vie de célibat passée en mission : rivé à sa terre, lié à sa femme, à ses enfants, Cassegrain n’est pas « valable » ni échangeable sur tous les marchés religieux du royaume, à la différence de ces théologiens catholiques, interchangeables, tous docteurs, qui passent leur vie en mouvement et font valoir leurs compétences dans toutes les églises du pays. En 1583, Cassegrain refuse la chaire de Tremilly en Champagne, trop éloignée15. Ses adversaires catholiques ne manqueront jamais de rappeler que ce sont eux qui se sont déplacés vers le pasteur, et non l’inverse. Pour eux, Cassegrain n’est qu’un « candidat local », littéralement cloué au sol. Tenir la distance, tout est déjà là.
6Après la naissance de son troisième enfant, Cassegrain prêche en Bourgogne à la fin de l’année 1591 : à Saint-Jean-de-Losne entre le 24 décembre 1591 et le 7 février 1592, à la demande du capitaine Saint-Matthieu, puis à nouveau à Genève jusqu’en octobre 159216. On perd alors sa trace quelques années. Il dessert l’Église de Pont-de-Veyle entre janvier 1596 au moins et fin novembre 160117, puis Dijon de nouveau18, Vosne-Romanée en 1601, Pont-de-Vaux en 1603, pour finir par s’établir à Chalon-sur-Saône de 1609 à 1634. Très actif entre 1580 et 1605, il disparaît de la scène publique après cette date, même si on le retrouve en 1620 comme député de l’Église de Chalon au synode national d’Alès19. Cette éclipse s’explique probablement par la cécité du pasteur, mort en 1637 alors « aveugle depuis quinze ans », soit depuis 1622. Mais déjà dans un pamphlet de 1618, relatif à une dispute de 1603, un de ses adversaires, le capucin Marcellin du Pont de Beauvoisin, décrit Cassegrain comme un « vieux Rabbi aveugle de corps, & encor plus d’esprit20 ». Il est ainsi vraisemblable que sa vue allât déclinant depuis la décennie 1610, l’allusion judéophobe faisant référence à l’image d’un homme précocement vieilli par l’étude et les lectures. Pour un pamphlétaire catholique, la maladie des yeux est une divine surprise, une marque visible sur l’hérétique : par une sorte de loi du talion, la cécité vient punir là où il a péché celui qui sa vie durant s’était obstinément rendu aveugle à la lumière de Dieu21. Cette maladie signe le deuxième exil de Théophile Cassegrain, réduit au silence et à l’anonymat, dépouillé de sa gloire d’antan.
Cormaillon-Genève, aller-retour
7Au début des années 1580, Cassegrain jouit d’une solide réputation au sein des Églises bourguignonnes, qui s’étend progressivement à Genève. En 1583, Simon Goulart le recommande chaleureusement pour prendre sa succession à l’Église de Tremilly. Il est vrai que Goulart s’y ennuie ferme et espère abréger son exil en désignant un volontaire pour le remplacer. Le renom local de Cassegrain lui permet toutefois de repousser ce cadeau empoisonné. Il se dit retenu auprès des fidèles d’Is-sur-Tille.
8Cassegrain est alors invité à parfaire son éducation à Genève à partir des années 1583-1584. Il y séjourne jusque vers le début de 1592, tout en revenant prêcher régulièrement en France22. Sur les bords du Léman, il prêche, baptise et se lie d’amitié avec les érudits protestants, fréquente le milieu humaniste, les cercles hellénistes et hébraïsants, notamment les savants français, émigrés avec l’édit de Nemours (1585). Les ouvrages qu’il préface, ceux qu’on lui dédicace, des poèmes en son honneur signalent sa notoriété grandissante. Des vers du poète Pierre Poupo lui sont dédiés et louent notamment sa virtuosité en langues anciennes23. Le sonnet LIX du premier livre de la Muse Chrestienne, publié en 1590, célèbre les talents linguistiques de Cassegrain, que Poupo estime inégalables24. Le Père Louis Jacob insiste aussi sur sa « très grande érudition, en langues hébraïque, syriaque, greque et latine25 ». Aux côtés d’Isaac Casaubon, Cassegrain donne des vers latins pour l’édition des poésies de son ami le pasteur Jean Jacquemot, en 159126. Cette insistance des sources pour rappeler les talents de Cassegrain en langues anciennes (grec, hébreu et syriaque) lui vaut de figurer dans la liste des grands hébraïsants, publiée quelques années plus tard par Paul Colomiès27. Le contraste avec le discours de ses adversaires en est d’autant plus frappant : à de multiples reprises, le minime François Humblot, qui dispute contre Cassegrain en 1598, écrit que son opposant « n’entend rien à l’hébreu28 ». Mauvaise foi de théologien ? Comment croire qu’un si grand savant ait prêché dans une si petite ville ?
Un protestantisme déclassé
9Au regard de cette réputation grandissante et de son érudition remarquable, tout porte à croire que Théophile Cassegrain se sentait déclassé en ces petites Églises bourguignonnes ou bressanes qui bornaient son horizon. Pour bien le comprendre, il faut remonter quelque peu le fil de cette histoire.
10Au début des guerres de Religion, la Bresse n’est pas française, mais savoyarde depuis 1559. Le duc de Savoie accueille alors volontiers sur ses terres les réformés français chassés par les guerres civiles et les persécutions cycliques, en 1562, 1568 ou 1572, moins par grandeur d’âme que pour garder en réserve un potentiel de déstabilisation de son puissant voisin. Ainsi, quand les catholiques reprennent Mâcon au cours de la première guerre civile (août 1562), des centaines de huguenots fuient vers la Bresse et se répartissent dans ses petits bourgs, notamment à Pont-de-Veyle et Thoissey, mais aussi Montluel, Bagé et Bourg-en-Bresse29. Prudent, le duc de Savoie a insisté pour que ces fugitifs ne voyagent pas par troupes de plus de vingt-cinq cavaliers. Les protestants sont donc d’emblée condamnés à la dispersion, mais s’acclimatent bon an mal an dans ces villes moins grosses et moins prestigieuses que celles qu’ils ont quittées et qu’ils regardent de loin comme un eldorado défendu. De petits centres protestants s’enracinent en marge des villes importantes : à Vosnes pour le bailliage de Nuits ; à Volnay, pour celui de Beaune ; à Is-sur-Tille pour le bailliage de Dijon ; à Saint-Jean-de-Losne pour le bailliage d’Auxonne ; à Pont-de-Veyle pour la Bresse et les quelques adhérents du Mâconnais. Autant de toponymes périphériques qui reviendront dans les aventures de Théophile Cassegrain. Toutes ces villes sont un jour appelées « petite Genève », mais c’est le mot « petite » qui doit retenir l’attention. Ces exilés forment les troupes dispersées d’un « protestantisme rurbain », composé de citadins exilés à la campagne ou dans de gros bourgs, mais qui toujours ont l’air de la ville en tête. Cette périurbanité du protestantisme français fin de siècle est encore très mal connue, tant la certitude de son implantation urbaine est établie. Pourtant, nombre de grandes cités ferment alors leurs portes aux réformés.
11À l’issue du traité de Lyon (17 janvier 1601), Bresse, Bugey et Pays de Gex passent à la France. De simplement toléré, le protestantisme bressan devient légal. Mais il devra se plier aux sévères articles de l’édit de Nantes : tout prêche est ainsi interdit à Dijon et quatre lieues alentour, ce qui contraint les pasteurs à ne pas y résider s’ils veulent pouvoir faire leurs célébrations régulièrement30. Le passé ligueur de Dijon vient ainsi gonfler la présence protestante dans les petites villes environnantes. Tout ceci contribue à priver les huguenots de « capitale » (Paris n’étant pas la moindre des restrictions) et du « capital », si l’on adapte la problématique développée par Pierre Bourdieu dans un autre contexte :
« La capitale est, sans jeu de mots, au moins dans le cas de la France, le lieu du capital, c’est-à-dire le lieu de l’espace physique où se trouvent concentrés les pôles positifs de tous les champs et la plupart des agents qui occupent ces positions dominantes : elle ne peut donc être pensée adéquatement que par rapport à la province (et le « provincial ») qui n’est rien d’autre que la privation (toute relative) de la capitale et du capital31. »
12Après Dijon, les ligueurs de Lyon ont obtenu d’Henri IV que les huguenots ne célèbrent aucun prêche ni baptême dans la ville ou ses faubourgs (24 mai 1594) : on sait qu’alors, plusieurs réformés lyonnais sont contraints de se rendre à Pont-de-Veyle. Ils entrent à cette occasion en contact avec le pasteur Cassegrain, qui baptise leurs enfants32.
13Prendre la mesure des frustrations de ce milieu de citadins exilés, de leur conscience d’un déclassement, notamment géographique, mais aussi social et culturel, de leur mal de ville, c’est aussi se donner les moyens de comprendre la fierté qu’ils devaient ressentir à voir leur pasteur tenter d’élargir son cercle de reconnaissance. Nul doute qu’ils ne considérassent d’un bon œil la capacité de leur ministre à s’exporter, qu’ils louassent ses compétences à franchir, même fictivement, par la dispute et par les livres, grâce au pouvoir de la renommée, les distances qu’on les avait forcés à prendre avec les « métropoles ». Cette conscience de ne pas être à sa place, de ne pas être jugé à sa juste valeur transparaît dans tous les mots et gestes de Cassegrain – ses adversaires eux-mêmes en jouent et tentent d’amadouer le ministre par son talon d’Achille. Un de ses opposants, le minime Gaspard Dinet lui aurait assuré « qu’il sçavoit bien qu’[il] n’estoi[t] pas traitté selon [s]es merites : que s’[il] [s]e rengeoi[t] avec eux [il] seroi[t] avec des gens d’honneur : et que ce qui concerneroit [s]es commoditez, [il] auroi[t] bien un meilleur appointement33 ». Voilà, peut-être, livré l’inconscient de Cassegrain comme cristallisation des frustrations de nombre de ses coreligionnaires : était-il vraiment traité selon ses mérites ? Où en serait-il s’il était catholique romain ? C’est avec en tête ce sentiment de déchéance qu’il faut désormais considérer les provocations à la dispute lancées par le pasteur Cassegrain.
Le quart d’heure de célébrité de Théophile Cassegrain
14En 1597, Théophile Cassegrain est bien reconnu à Genève et dans les milieux intellectuels réformés. Localement, sa notoriété est plus forte encore : « On me cognoist trop icy », écrit-t-il à la Compagnie des pasteurs de Genève34. Mais qu’est-ce que ce « local » auquel on le cantonne ? Peut-il s’en satisfaire, lui, l’exilé qui déjà rêve de gloire nationale ? La Parole de Dieu doit-elle souffrir ces trop humaines barrières ? Tandis que, tout juste revenu de Genève, il est pasteur à Pont-de-Veyle, c’est en juin 1597 que Cassegrain connaît son quart d’heure de célébrité et commet l’acte qui portera son nom dans la France entière : il rédige un « défiuniversel » par lequel il provoque en dispute tous les docteurs de l’Église catholique. Lui seul contre le monde romain. Sa célébrité va alors s’étendre à l’échelle nationale. Vingt ans après, ses adversaires se souviendront encore de Cassegrain publiant des « superbes deffis contre tous les docteurs de l’Eglise Romaine35 ». Signé de Pont-de-Veyle, en juin 1597, le défiest aussi lancé à la géographie, qu’il tiraille entre l’indexicalité d’un toponyme (« Pont-de-Veyle ») et l’élan de l’Universel (« tous les théologiens ») :
« Cartel de Theophile Cassegrain Ministre.
À tous les Theologiens de l’Eglise Romaine.
J’ay tousjours estimé qu’il n’y avoit rien plus proffitable, et moins difficile pour amener les hommes à la cognoissance de verité qu’une douce et paisible conference, ou de vive voix ou par escrit. Car s’ouvrant ainsi l’un à l’autre les doubtes se proposent et resolvent, et si l’une des parties s’opiniastre en son erreur, facilement elle est convaincuë par la seule opposition des principes, et conclusions necessaires et impossibles ; sur tout en la Theologie appellée à bon droict la Science des sciences, et riche en maximes tres-certaines, et tres-infaillibles. Partant s’il y a quelqu’un entre les doctes et traictables Theologiens de l’Eglise Romaine, qui me vueille faire ce bien et honneur de conferer avec moy sur les Theses suyvantes ou partie d’icelles, ou d’autres à son choix, je proteste devant Dieu et les hommes d’examiner ses propos en toute bonne conscience avec intention de les embrasser de tout mon cœur et de recognoistre pour tres-digne Docteur de verité, si je les trouve de mise : comme aussi de les refuter sans aucun d’esguisement, si je les juge non valables. Chose qui me fait le supplier autant qu’il ayme l’honneur de Dieu et le salut des peuvres ames, qu’il ne desdaigne point une œuvre si necessaire, et si convenable à sa profession ; mais que pour s’en acquiter dignement il y apporte un esprit modeste, et attrempé, avec des raisons plus fermes que nombreuses, sans parade, embarrassement, et affectation de langage. Afin de me donner occasion de respondre plus ouvertement et Analytiquement, ainsi qu’on doit manier une sérieuse et solide Conference36. »
15Aussitôt, l’audience de Cassegrain s’élargit et surtout – c’est le but d’un défi– passe la frontière confessionnelle. Rares sont les pasteurs à s’engager de la sorte à se convertir (« les embrasser ») au cas où les arguments de leurs adversaires seraient jugés convaincants (« de mise »). La provocation de Cassegrain lui permet de sortir du cercle bourguignon et des réseaux strictement réformés pour acquérir – ponctuellement du moins – une envergure nationale. Tandis qu’il prêche à Usson devant Marguerite de Valois, le minime François Humblot entend parler du défide Cassegrain dont il décrit la propagation sur un modèle pathogène :
« Cest escrit couloit de main à main, & rampoit à la semblance du chancre, de païs à autre, j’estois à Usson honorant nostre ordre au service de la Royne37. »
16Plus loin, le même parle des « epistres volantes de Cassegrain, qui, comme feux follets se sont esparpillées par divers endroits de la France38 ». Pour sa part, le ministre explique qu’il a été « contrainct pour maintenir la gloire de Dieu et l’honneur de mon ministere de provoquer celui des docteurs de l’Eglise romaine qui voudroit conferer avec [lui] de bouche ou par escrit39 ». Cassegrain réussit son pari. Qui le premier oserait lui répondre ? Humblot écrit :
« J’estimay que ceste semonce de Cassegrain ne manqueroit d’estre accueillie par l’un de cent mille Theologiens qui sont en l’Eglise et qu’il ne chomeroit d’instruction s’il y vouloit entendre : c’est pourquoy j’en remettois aysément le bouquet à un autre40. »
17Le premier à saisir le bouquet fut le Lyonnais Gaspard Dinet (1569-1619), provincial des Minimes de France et ancien confesseur du roi41. À l’évidence, il y avait là un honorable adversaire pour Cassegrain : de très bonne famille, l’homme avait belle réputation, après avoir réformé son ordre dans toute l’Espagne et l’Italie. À l’été 1597, à la demande des échevins catholiques de Chalon, Dinet entra en lice dans une conférence contre Cassegrain qui n’a pas été publiée et a laissé peu de traces. Le ministre se vante d’avoir réduit son adversaire au silence, « luy serra[nt] la bouche42 ». Les catholiques assurent le contraire.
18Classique, ce désaccord sur l’issue de la rencontre ne doit pas masquer une entente plus profonde sur les conditions de la mésentente, dessinant des règles du jeu strictes bien que tacites : puisqu’il est impossible de fonder l’équivalence entre les adversaires sur des diplômes ou sur des titres, tant ces clergés sont issus d’institutions dissemblables, c’est la « réputation », la « notoriété », le « crédit » qui font office d’unités de mesure. Certes, les catholiques ne manquent jamais de rappeler que leurs adversaires ne sont pas docteurs et qu’il « ferait beau » les voir soutenir une disputatio en Sorbonne43. Mais ils savent bien, au fond, qu’ils ne peuvent pas le leur reprocher. Ce qu’on exige de son adversaire, c’est une égalité de réputation : on ne peut mettre en contact des adversaires trop dépareillés. Il y a donc, nolens volens, une reconnaissance mutuelle de la part de clergés en compétition. Cassegrain le dit sans fausse pudeur :
« Aussi ai je souvent des recommandations de gens de qualité entre nos adversaires, sans que je les cognoisse toutesfois et en la seule faveur d’homme de letres. Il me reputent ce que je ne suis pas et ne serai jamais, et ce langage est si divulgé par toute la province que leurs gens n’ozent plus n’y escrire ny se presenter44. »
19Tout est dit ici : dans la République des Lettres se font et défont les renommées, s’accumule, se conserve ou se dilapide un capital de visibilité. Localement, celui de Cassegrain est grand et inhibe les prétendants. Mais ce sont précisément les « autres » (« nos adversaires ») qui portent loin la réputation et permettent de dépasser les liens d’interconnaissance personnelle, le régime du proche ou du familier. Être connu, c’est être reconnu par ceux qu’on ne connaît pas personnellement (« sans que je les cognoisse »)45. C’est même cette dissymétrie, « l’inégalité numérique entre “reconnaisseurs” et “reconnus” » qui est « constitutive de toute célébrité » et qui fait de la renommée un capital46. On ne peut mettre en contact des théologiens trop inégalement pourvus en « capital de visibilité », tant le fait de partager ce même statut – celui d’être un « controversiste vedette » – est précisément ce qui permet de rapprocher des hommes que sinon tout oppose : leur statut social, leur foi, leur formation et leur origine géographique. Être un théologien en vue, c’est avoir un espace d’interaction dilaté et dématérialisé ; ne dépendant pas, autrement dit, de rencontres réelles. Le minime Humblot n’utilise pas d’autre unité de mesure quand il met en avant « la reputation qui vogue par toute la France du R. Père Dinet47 ». Cette précision sert aussi à rebours à souligner l’étroit localisme de Cassegrain, rivé à son rocher pont-de-veylois.
20Gaspard Dinet ne mène avec Cassegrain qu’une brève conférence, à l’été 1597, puis envoie à sa place un représentant, que le pasteur rejette dans un premier temps, le qualifiant « d’homme de paille » et de « tres inhabile ». Il s’agit en l’occurrence du minime Jean François. Pour les catholiques, il n’a rien d’un homme de paille et dispute trois jours durant contre Cassegrain. De fait, déléguer un représentant, c’est infliger au ministre un camouflet. La célébrité ne se délègue pas. Entre Cassegrain et Jean François, il n’y avait pas, aux yeux du pasteur, symétrie de notoriété. Consentir au contact aurait conduit le premier à déchoir. De manière symptomatique, dans tous les textes qui composent cette affaire, le minime Jean François est le seul à toujours voir son patronyme précédé de son prénom. Les autres, et c’est là le signe de leur notoriété, sont presque toujours désignés par leur seul nom : Cassegrain, Dinet, Cayet, etc. En cette préhistoire médiatique, ce n’est pas le visage qui compte, mais le nom. Comme l’écrit Luc Boltanski, tandis que dans la cité domestique, la
« grandeur s’inscrit dans une chaîne hiérarchique, dans la cité du renom, la grandeur ne dépend plus que de l’opinion des autres. Liée à la constitution de signes conventionnels qui, condensant la force et l’estime des gens, en permettent l’équivalence et le calcul de la valeur, elle ne dépend que du nombre des personnes qui accordent leur crédit et est, par la vertu de cette formule d’équivalence, abstraite de toute dépendance personnelle48 ».
21Ce faisant, avoir une belle renommée peut, jusqu’à un certain point, oblitérer les différences de statut. Parce que les Églises et leurs grades ne permettent pas de fournir des « titres » d’équivalence, il faut que les adversaires se reconnaissent entre eux comme des égaux sur le plan de la réputation. C’est donc bien un principe de reconnaissance réciproque, c’est-à-dire de crédit, valeur pour partie distincte des hiérarchies sociales, qui fait figure d’unité de mesure dans ces rencontres entre membres du clergé des deux confessions. Comme le montre Olivier Christin :
« L’organisation concrète des conférences publiques entre confessions tend donc structurellement à détacher le prestige intellectuel de la position institutionnelle et à placer au centre des stratégies de sélection des protagonistes du débat savant le seul crédit scientifique, c’est-à-dire un bien fragile que rien, sinon la reconnaissance des autres, ne permet jamais de stabiliser et de capitaliser49. »
« Vous ne sçavez encore qui je suis » : la captation de prestige
22Pourquoi diable alors Cassegrain se mit-il en tête de transgresser cette règle d’homologie ? À l’automne 1597, plutôt que de défier « cent mille théologiens » anonymes, il n’en provoqua qu’un seul, mais « cent mille » fois plus célèbre, et nommément, à savoir l’évêque d’Évreux Jacques Davy Du Perron, dont la gloire était alors à son zénith, après avoir obtenu l’absolution du roi à Rome. Le 10 novembre 1597, le ministre de Pont-de-Veyle signait ainsi une Epistre, accompagnée de trois thèses en théologie, incitant Du Perron à la dispute, orale ou écrite50 :
« Monsieur,
Il y a longtemps que j’ay ouy parler de vous, comme d’un personnage riche de belles parties, mesmesment d’une excellente dexterité à bien manier une dispute. Chose qui m’a tousjours depuis fait desirer de voir quelque piece de vostre ouvrage. Mais comme je m’y attendoy le moins, d’autant qu’on m’avoit quasi persuadé que vous estiez tout resolu de ne mettre rien en lumiere, vostre Replique à la Responce de quelques Ministres, lesquels vous ne designez qu’en general, est tombée entre mes mains. Je ne puis tenir, que je ne die que vous estes à mon jugement tres-capable de plaider une bonne cause […]. Car quand à ce qui touche ma personne, je pense que vous ne direz pas qu’elle est du tout indigne qu’on la reçoyve à conférer des choses sainctes, veu que vous ne sçavez encore qui je suis […]. Outre plus ce n’est pas un petit gain de convertir un heretique tel que vous me pretendez, ayant une cause commune avec tous les autres Ministres de l’Eglise Reformée ; et je proteste devant Dieu et les hommes, si vous me montrez ce que vous distes, que je seray des vostres sans aucun deguisement ; et qu’avec une perpetuelle obligation et recognoissance de ce bien faict inestimable, vous m’aurez incontinent pour humble et serviable disciple51. »
23Dans son épître, Cassegrain prend acte de la célébrité de Du Perron (« j’ay ouy parler de vous »). Les catholiques se demandent bien en revanche qui est ce ministre – Humblot ironise sur tous ceux qui « n’ouyrent jamais parler de luy52 ». Cassegrain sait bien que sa réputation n’est pas à la hauteur de celle de Du Perron : « qu’on n’estime pas pourtant que je mescognoisse mon calibre », écrit-il à l’évêque d’Évreux à qui il confesse avoir conscience « tant de [s]a foiblesse que de la force de [s] es antagonistes53 ». Le ministre a conscience de ne pas être du même calibre. Mais cette faute de grammaire vient en définitive accroître la notoriété du fauteur qui, du même coup, l’est paradoxalement un peu moins. Car le principe même de la « captation de prestige » veut qu’en se frottant à quelqu’un de célèbre, on gagne en notoriété. Ils sont nombreux, c’est entendu, à railler le ministre : le minime Humblot convoque la fable de la « grenouïlle Ésopique se comparageant au bœuf, qui de trop s’enfler creva54 ». Il compare la dissymétrie des adversaires au « mont Caucase » face « à la touche d’un moucheron ou un lion Lybien au jappement d’un Turquet55 ». Mais qu’on s’en gausse ou qu’on soutienne le pasteur, tout le champ clérical entre en émoi, posant le nom de Cassegrain sur toutes les lèvres. « Vous ne sçavez encore qui je suis » avait-il lancé à Du Perron ! C’était mêler la conscience d’une moindre notoriété et l’espoir d’une future reconnaissance.
24Du Perron ne condescend jamais à répondre. Le duel serait inégal. Mais Pierre-Victor Palma-Cayet se fend d’une réplique dès mars 1598. Ce n’est pas rien. Cayet est déjà « quelqu’un » et s’attirer une réponse de sa part, c’est une première victoire. D’emblée, Cayet souligne l’outrecuidance du pasteur : « Quant à vous escrire, dont vous le [Du Perron] suppliez ne vous esconduire, croyez moy, je pense qu’il n’a point encore ouy parler de vous, ny de vostre Epistre56. » La réponse de Cayet parodie le titre du livre du ministre, pour mieux en détourner l’intention, sous-entendant que Cassegrain « désir[e] se faire catholique57 ». Un succès certes que d’avoir attiré l’attention de celui dont le tout Paris parlait depuis sa conversion (novembre 1595). Mais l’on remarquera que dans sa réplique, Cayet ne mentionne pas encore le nom de Cassegrain, parlant de l’épître « d’un ministre de la religion prétendue reformée… ». Être appelé par son nom, la grande affaire.
25Un à un, qu’ils s’opposent à lui ou le soutiennent, des théologiens éparpillés dans le royaume de France prennent la plume. Ils témoignent de l’élargissement de la notoriété de Cassegrain en même temps qu’ils la fondent. Le défi dissymétrique était une bonne idée. Le fameux pasteur de Châtellerault, Georges Pacard, publie à Niort un ouvrage de défense de Cassegrain contre Cayet. Dans le titre cette fois, le nom de Cassegrain est mentionné58. Ses opposants assurent aussi sa renommée : un pieux laïc de Chalon, Claude Languet, sieur de Saint-Cosme, fait paraître à Lyon une Missive catholique au S. Cassegrain59. Le prévôt de Notre-Dame de Bourg, François Girard, rédige une tonitruante Catholique batterie pour répondre au cartel de Cassegrain60. Proche de François de Sales, François Girard dispose alors d’un réseau dense dans le monde des théologiens catholiques et exporte le nom de Cassegrain par sa réponse au ministre61. C’est Girard, par exemple, qui adresse à François de Sales un exemplaire de l’ouvrage publié par Henri de Sponde au sujet de la conversion de son frère par Du Perron62. On pourrait multiplier les exemples : même raté, le défi lancé à l’évêque d’Évreux inscrit le nom de Cassegrain en haut de l’affiche.
Le scandale, rançon de la gloire
26Rançon de la gloire, le scandale est, on le sait, un élément constitutif de la célébrité. Le cartel adressé par Cassegrain à Du Perron suscite de vives inquiétudes et notamment sa récupération par Palma-Cayet. Dès la mi-avril 1598, soit un mois après la réplique de Cayet, la Compagnie des pasteurs de Genève s’adresse au ministre de Pont-de-Veyle :
« Monsieur et très cher frere, on nous a envoyé de Paris un certain escrit publié par ce miserable apostat Cahier, auquel est contenue une lettre portant vostre nom escrite à l’evesque d’Evreux et accompagnée de trois theses proposées par vous audit evesque, ensemble la response dudit apostat tant à vostre tel escrit. Car premierement nous avons doubté si vrayement vous aviez escrit ladite lettre, en après avons esté esbahis et bien faschez de la meschante conclusion et consequence qu’en tirent les impudens adversaires de verité au grand scandale de toute l’Eglise et au prejudice de vostre bonne reputation […]. Si vous avez escrit ladite lettre nous estimons que ç’a esté à la persuasion du gentilhomme qui y est nommé et que vous avez pensé bien faire d’attaquer ledit evesque par telle communication de lettres escrites à lui en particulier […]. Pourtant quand on se mesle avec eux, il est requis de bien preudemment et discretement peser non seulement ce qui est fait ou dit, mais aussi comment l’on marche avec eux, à ce qu’il n’en advienne tout au rebours de nos pretensions, comme vous pouvez voir estre icy advenu, car les malheureux ont tiré à eux vostre lettre pour signe concluant vostre revolte à leur meschant et destestable parti. À quoy nous sommes persuadez que vous n’avez pensée ni volonté qui tire63. »
27La Compagnie s’inquiète des rumeurs. Le moment n’est pas favorable : avec le « saut périlleux » d’Henri IV, Du Perron et le parti catholique ont remporté de beaux trophées dans la course aux fameux convertis, de ceux qui emportent le cœur des fidèles : Palma-Cayet64, Jean puis Henri de Sponde, Nicolas de Harlay, etc. Dans ce contexte, le livre de Cayet est délétère. Il accroît l’incertitude : Cassegrain n’est-il pas sur le point de se réduire ? Genève assure ne pas douter, mais ces protestations de confiance répétées disent en réalité l’inverse (« nous sommes persuadez que vous n’avez pensée ni volonté qui tire », « nous sommes esloignés d’avoir le moindre soupçon du monde que vous ayez seulement pensé à ce qui vous est imputé65 »). Seulement voilà, le mal est fait. Pire, la rumeur a été lancée par Cayet à Paris et la Compagnie s’inquiète « du bruit semé en la ville capitale et comme au theatre general de toute la France66 ». Théâtre, le mot est lâché : les disputes religieuses fonctionnent telle une société du spectacle dans laquelle se font et se défont les renommées des théologiens, traînant avec elles, parfois, l’adhésion ou l’abandon des fidèles. Le nom de Cassegrain se murmure à la capitale, lui qui, de son propre aveu, vit en « lisière du royaume ». L’évêque de Paris Gondi a même été sollicité pour préfacer le pamphlet de Palma-Cayet67.
28Théodore de Bèze se fend d’une lettre à l’imprudent ministre, le 18 avril 1598 :
« Je ne puis assez m’esbahir que soyez ainsi entré en ce chemin, ne fust ce qu’à cause de ce que vous pouviez et deviez, ce me semble, prevoir qu’il n’en pouvoit advenir aucun bien ayant affaire à telles gens68. »
29Sévère dans le ton, Bèze rappelle à Cassegrain qu’il existe, dans la discipline des Églises réformées de France, des règles à suivre quant à l’entrée en dispute. Déjà en 1594, le synode de Montauban n’avait accordé qu’à un groupe d’élite d’apologistes réformés (dont Jean-Baptiste Rotan, Jacques Couët, Daniel Chamier, Léonard Constant, Antoine de La Faye, François du Jon) la permission d’entrer en controverse avec Du Perron et d’autres théologiens catholiques69. Cassegrain répond à Genève un mois plus tard, le 18 mai 1598, réitérant son adhésion à la foi réformée : « Dieu merci je ne doute ny de nostre vocation ny de nostre doctrine et deteste de tout mon cœur les impietez de l’Eglise romaine et je pense n’avoir baillé occasion à personne de penser que je nage entre deux eaux. » Il explique son geste pour les besoins de l’Église et estime que personne n’a cru aux imputations de Cayet bien qu’il soit « necessaire de fermer la bouche » à l’apostat tout en assurant que jamais il ne « luy daigne[ra] répondre ». Le silence dit le mépris de Cassegrain pour cet adversaire qu’il qualifie de « petit avorton70 ».
30Malgré tout, le pasteur de Pont-de-Veyle supplie la Compagnie de ne pas le priver des « conférences », tant elles sont nécessaires à son ministère. Dans le fond, les Genevois sont bienveillants envers Cassegrain, dont ils reconnaissent le talent. Mais c’est du côté français que grossit le scandale. Le synode de Montpellier se réunit dès le 25 mai 1598 et Bèze prévient qu’il s’y « traictera de telles matieres », c’est-à-dire des conférences. Il conseille au ministre de profiter de l’occasion pour « remedier à toute calomnie et à tout scandale71 ». Il faut aller au synode pour s’expliquer. Mais Cassegrain reste en Bourgogne et le synode inflige une sévère censure au pasteur pour son adresse à Du Perron :
« Il sera pareillement écrit à M. Chassegrain, pour l’avertir que, sans besoin et mal à propos il a écrit à du Peron avec trop d’afection, de vanité et de flateries, c’est pourquoi il lui fera une autre Reponse à loisir & mieux digerée laquelle il communiquera au Synode de Dauphiné, auquel il est exhorté de se soumettre72. »
31L’animosité dans son propre camp est le prix de la renommée73. Ses collègues estiment que l’adresse à Du Perron n’était pas suffisamment critique envers le futur cardinal : de fait, Cassegrain y loue l’« excellente dextérité » de l’évêque d’Évreux, son « jugement très capable ». Mais le synode va plus loin et rend publique la censure adressée à Cassegrain. C’est cette publicité que le ministre de Pont-de-Veyle dénonce, comme une atteinte à sa réputation. Privée, cette censure aurait dit-il rencontré son adhésion. Désormais, Cassegrain estime son ministère « rendu inutile74 ». Il annonce qu’il démissionne de sa charge et prie la Compagnie d’en prendre acte75. Il faut alors toute l’éloquence de la Compagnie des pasteurs pour retenir le ministre. Du reste, trois ans plus tard, le synode national de Jargeau adressait ses félicitations à Cassegrain, pour la « manière édifiante » avec laquelle il « s’acquitt[ait] de sa charge, pour le service de Dieu et l’avancement de son Regne » et estimait que le ministre avait « bien profité de l’avertissement qui lui fut donné par ledit Synode de Monpellier76 ». Comme souvent, c’est à Genève qu’on va ressourcer une légitimité mise à mal en France. Nul n’est prophète en son pays.
L’athlète des disputes
32À la fin de mai 1598, Cassegrain est donc dans une situation délicate. Désavoué par le synode de Montpellier, morigéné par Théodore de Bèze, publiquement raillé par Palma-Cayet, il lui faut gagner ses duels. Le ministre s’estime trop engagé pour refuser les disputes sans encourir la honte ou, pire, sans entraîner les fidèles dans le doute :
« Je suis tellement engagé que je ne m’en puis desdire et qui me voudroit oster les conferences il me faudroit transporter en une autre Eglise en laquelle j’eusse moyen de communiquer avec d’autres freres, sans cela je n’y voi point de remede. On me cognoit trop icy et le changement feroit une grande bresche77. »
33Pris comme dans un engrenage qu’il a lui-même enclenché, Cassegrain devient un athlète de la dispute et enchaîne les adversaires.
34Sa première conférence l’oppose au minime François Humblot et au Père Jean François, précédemment taxé « d’homme de paille ». Le Père Dinet accompagne les deux minimes. La dispute s’ouvre le 22 juillet 1598 à Pont-de-Veyle, avant d’être portée à Mâcon du 23 au 26 juillet78. Convoquée à l’initiative des échevins catholiques de Mâcon, qui espéraient ainsi ruiner l’influence du remuant pasteur, la dispute est accueillie en l’hôtel de ville. Des modérateurs veillent au temps de parole, et deux notables de la cité sont nommés secrétaires de la conférence. Celle-ci roule d’abord sur l’Écriture sainte et sur la Tradition, pour se terminer par une discussion sur le baptême et la présence réelle. Comme de coutume, les adversaires s’attribuent la victoire dans les comptes rendus contradictoires qu’ils en publient par la suite.
35Le principal adversaire de Cassegrain est François Humblot : né en 1569 à Verdun, élève des jésuites de Pont-à-Mousson, docteur en théologie, Humblot était entré dans l’ordre des Minimes en 1594 et avait déjà belle réputation. On a vu qu’il était notamment attaché au service de Marguerite de Valois à Usson où il vit passer entre ses mains le défiuniversel de Cassegrain et se décida à le rencontrer. Non pour disputer assure-t-il, mais pour le convertir, « la dispute scholastique [étant] plustost une mutuelle contention, qui aboutit souvent à piques, qu’une solide instruction79 ». Selon Humblot, c’est en commençant la discussion que les minimes, feignant la naïveté, découvrent que Cassegrain n’a nullement l’intention de se convertir :
« Le ministre tesmoigna que tout ce qu’il avoit escrit n’estoit qu’hypocrisie, qu’il vouloit attendre de se depouiller de sa peau d’infidelité, jusques à ce qu’on le couchast ez enfers80. »
36C’est par une référence à l’épisode de David et Goliath que François Humblot explique sa décision d’entrée en lice : « Qui est ce Philistin incirconcis, qui deffie l’armée du Dieu vivant81 ? » Jouant sur son nom, Humblot, l’humble, se compare à David affrontant le prétendu géant. L’exigence d’homologie des partenaires est donc tiraillée en permanence par le désir contradictoire de voir les inégalités réelles entre les adversaires renverser les apparentes similitudes. Le but de la dispute est de lever le voile sur l’état des grandeurs en place.
37Selon Humblot, l’épreuve controversiste, comme toute épreuve, permet de réduire l’incertitude sur le niveau réel des adversaires. Elle est un verdict : sont-ils à la hauteur de leur réputation ? Pour le minime Humblot, c’est cet étalon même de mesure qui doit être remis en question : peut-on véritablement se fier à cette renommée, à ces rumeurs, à ces opinions portées par les fidèles, c’est-à-dire, au fond, par le peuple ? Ne vaut-il pas mieux faire confiance aux diplômes, à la Sorbonne, à l’Église, aux titres, aux hiérarchies ? Ce faisant, ce sont bien deux modes de construction des grandeurs qui sont ici mis en balance :
« Cassegrain avoit vogue parmy les siens et le tenoit on pour habile homme, tout ainsi que les borgnes regnent au royaume des aveugles, mais qui se fie au murmure et jugement populaire, bastit en l’air82. »
38Outre la référence à la mauvaise vue de Cassegrain, Humblot raille ici l’étroit paroissialisme de son adversaire : le royaume de Cassegrain est des plus circonscrits. Sitôt franchi l’espace où il joue à domicile, on s’aperçoit combien est usurpée sa réputation. Le ministre ne s’est adressé au monde catholique que
« d’une garite du Pont de Veyle, comme s’ils n’avoient autre plus urgent affaire que de perdre le temps et les moyens pour visiter ceste Idole, qui ne veult quitter son fumier, qui est demy mort s’il en perd tant soit peu la veuë. Jamais Ulysses ne desira tant son Itaque deserte, que Cassegrain son gelinier [poulailler] pendant qu’il fut à Mascon, il n’estoit toutesfois parmy les Lestrygons et Cyclopes, ains entre ceux qui n’avoyent rien plus à desir que de le voir un jour glorieux entre les Anges83 ».
39Les allusions au monde de la ferme, antithèse du monde de la culture et de l’esprit, ne doivent rien au hasard. Outre qu’elles font référence au patronyme du ministre (Casse-grain), elles rappellent combien celui-ci est lié, comme un paysan, à sa terre, à son fumier, à ses ouailles. Nombreux sont du reste ses adversaires à moquer ce nom qui sent la campagne, pour le dévaloriser socialement et le river localement. C’est le cas du Père Marcellin de Pont de Beauvoisin qui le baptise « coq des ministres de Bourgougne84 ». Si Cassegrain prétendait jouer dans la cour des grands, ses opposants le renvoient à la basse-cour.
40Dans sa réfutation, publiée après la dispute et avec l’assentiment de Genève, le pasteur est sur la défensive, ne semble pas pleinement à son affaire. Loin du thème de la conférence, il n’hésite pas ainsi à accuser les Minimes, et les catholiques en général, du meurtre d’Henri III :
« Qui en pleine chaire a magnifié de louanges divines et humaines le prodigieux et abominable parricide du feu Roy ? Qui l’a complotté, acheminé, executé ? Qui a detrempé au fiel de sa passion, les cousteaux destinés à meurtrir sa Majesté […] ? Sont-ce les ministres ou les Moynes ? Tout est oublié par la paix, enseveli sous la clemence du Roy, hormis un tel parricide detestable et punissable sur les autheurs à jamais85. »
41On pourrait parler d’une « importation de misère » pour désigner cette manière de handicaper son adversaire en lui imputant des fautes commises dans une autre épreuve. Surtout, il regrette les éléments venus troubler le bon déroulement de la dispute. À défaut de contester le résultat de l’épreuve, il en dénonce le format : le modérateur le coupait sans cesse ; ses réponses « eussent été meilleures si la balance inegale du moderateur de l’action ne [l]’eut distrait souventesfois86 ». Après s’en être fait gloire, le ministre regrette d’avoir disputé à un contre deux (« la partie estoit mal faite, de plusieurs contre un »). Pire, Cassegrain assure que Dinet venait le trouver le soir à Mâcon pour le déconcentrer et l’empêcher de se préparer : « après souppé », Dinet le
« requist à chasque fois d’une communication particuliere […]. Or le faisoit-il à dessein, non tant pour sonder ma creance […] que pour me distraire de vaquer à la méditation de mes responces : tandis que ses Moynes assemblez en leur conclave ne perdoyent par une minute de temps87 ».
42Entre délire de persécution et folie des grandeurs, on aurait tort toutefois de psychologiser les réactions du pasteur de Pont-de-Veyle : elles sont symptomatiques d’un déclassement socio-spatial, de dispositions sociales peu en prise avec le monde tel qu’il est. Peut-il vraiment lutter contre ces sophistes de la Sorbonne, lui qui est très éloquent face à ses ouailles et moins habile au syllogisme ? Cassegrain se plaint de la méthode utilisée par son adversaire « [l’]astreignant à une simple affirmative ou negative, ou distinction », ne lui permettant pas de « luy faire voir à lœil les absurditez de ses Syllogismes ». « Ce n’estoit pas là une conference theologale mais une pure sophisterie. » Alors qu’il espérait utiliser ses propres armes, Cassegrain dénonce l’attachement de son contradicteur catholique « à l’héritage scolastique et à des formes d’échanges rigides88 ». De la sorte, on voit combien le mépris affiché par les controversistes pour les titres et les diplômes au profit de la « réputation » n’empêche jamais les catholiques de revendiquer la supériorité des premiers sur la seconde, trop souvent usurpée à leurs yeux, notamment quand elle est concédée par des laïcs. La dispute ne sert alors pas – ou pas seulement – à convertir, mais surtout à revendiquer l’expertise cléricale dans la certification des renommées intellectuelles.
43Dès lors, comme le dit Marx à propos du titre scolaire qui universalise le travailleur, on pourrait dire que diplôme en Sorbonne universalise le controversiste catholique, en faisant de lui tout autre chose qu’un « théologien maison », qu’on écoute localement, mais qui, comme l’« ingénieur maison », est invendable ailleurs, littéralement inexportable, incapable, au sens propre, de « tenir la distance » parce qu’on ne le reconnaît pas sur d’autres marchés et que toutes ses qualités proviennent de son lieu d’« attache » (au sens figuré comme au propre) et des autochtones89. Ce n’est donc pas un hasard si Humblot insiste à plusieurs reprises sur le fait d’avoir parcouru « quarante lieues » pour disputer contre le ministre. Sorti de Pont-de-Veyle, Cassegrain voit selon ses adversaires sa grandeur se dévaluer. Le minime conclut son pamphlet :
« Si je ne me fourvoye, ce fust la première fois qu’il disputa onques à la bonne escient [i. e. il n’a jamais soutenu de dispute en Sorbonne] et celle qu’il a euë avec moy sera la dernière de sa vie90. »
44Sur ce dernier point, assurément, Humblot se trompait.
45Théophile Cassegrain rencontre par la suite de nombreux autres adversaires à l’occasion de conférences théologiques. Le suivant est le capucin Marcellin de Pont de Beauvoisin à l’été 1603. Des témoignages tardifs (1615) documentent ces contacts : celui de Marcellin lui-même91, et celui du pasteur Bouteroue, adversaire ultérieur du capucin qui assure tenir ses informations de Cassegrain lui-même92. En 1618 encore, Marcellin publie sous un pseudonyme une fameuse Piperie des ministres, dans laquelle il revient brièvement sur ses disputes avec Cassegrain93.
46Le père capucin Marcellin du Pont de Beauvoisin est un bel adversaire pour Cassegrain. Né vers 1565 dans la ville dont il porte le nom, entré chez les Capucins de la province de Lyon en 159494, Marcellin est alors un prédicateur à succès, controversiste redouté, ayant l’eucharistie pour thème de prédilection95. En juillet 1603, Marcellin avait prêché l’avent de 1603 et le carême suivant dans la cathédrale de Chalon-sur-Saône, rencontrant un très vif succès si l’on en croit certains contemporains96. Face à ce compétiteur talentueux, Cassegrain aurait alors fait courir le « bruit » à Dijon que Beauvoisin n’oserait jamais soutenir une dispute contre lui97. La bonne ou la mauvaise réputation se construit sur ces bruits, ces rumeurs, ces scandales. Il est important de les tordre s’ils sont mauvais. Ici encore, c’est la réputation de Cassegrain qui incite ses adversaires à le rencontrer. Marcellin écrit s’être déplacé « de Romans à Chalons pour cette dispute98 ». On le sait, les Capucins sont des « prédicateurs de mission par excellence ». Ils se déplacent de lieu en lieu, visibles et reconnaissables par « leur habit brun ceint d’une corde, leur capuchon imposant (d’où vient leur nom), leurs sandales portées en toute saison, leur barbe généralement abondante99 ». Localement, ils disputent avec les gloires locales, ainsi mises au défi de prouver leur valeur face à des étrangers.
47En 1603, Cassegrain a dû quitter Pont-de-Veyle, la mort dans l’âme, pour l’Église réformée de Dijon qui l’a affecté à Vosne. Lui, vit à Nuits-Saint-Georges. Depuis 1600, Vosne est le second lieu de culte du bailliage de Dijon. En dépendent les réformés de Beaune, Nuits, Saint-Jean-de-Losne, Auxonne et Seurre100. Le capucin entreprend de se mesurer au pasteur local sur son lieu de prêche, à Vosne, et affirme s’y être rendu à trois reprises en vain. L’anecdote, destinée à décrédibiliser Cassegrain en en faisant un pasteur peu impliqué, rechignant à courir les chemins, cherche à l’inverse à souligner l’infatigable endurance de son adversaire. D’autant que l’on sait que le capucin était malade et peinait à marcher. La mission est sacrifice. La distance se livre ainsi comme la clef de lecture de nombre de ces échanges entre théologiens : qui se déplace ? Qui est déplacé ? Qui est visité telle une idole ? Qui est infréquentable ? L’enjeu pour Marcellin est de peindre un Cassegrain casanier – c’est-à-dire de tracer en creux le portrait des Capucins nomades. Parfaite illustration de cette rhétorique de la distance, la première rencontre entre les deux hommes se tient finalement dans la maison même du pasteur, à Nuits-Saint-Georges, en présence de « messieurs les gens du roy ». On ne saurait mieux laisser entendre combien le pasteur aime son confort. En outre, cet espace domestique montre qu’une certaine familiarité peut s’installer entre des hommes opposés sur le plan religieux, mais qui se reconnaissent comme des égaux, socialement et peut-être intellectuellement. Cette égalité sociale, ce respect mutuel s’expriment dans le rituel final de cette première dispute à Nuits : « Nostre conference fut si amiable que le sieur Ministre nous donna la collation après, car c’estoit dans sa maison, où j’attaquois son erreur101. »
48Quelque temps après cette rencontre, une nouvelle conférence est organisée le 30 septembre 1603 à Saint-Jean-de-Losne, en présence des consuls. Si les premiers contacts sont informels, les disputes en bonne et due forme sont chapeautées par le politique, qui entend baliser l’espace savant par des règles pacifiées d’expression des désaccords. Cette dispute est restée inédite102, mais un compte rendu manuscrit en a été produit103. Avec pour thème principal de débat l’eucharistie, la conférence a pour seule règle que chaque argument doit être justifié par l’Écriture.
49À l’issue de ces rencontres, Marcellin se glorifie d’avoir occasionné deux conversions, ce que les protestants ne démentent pas. Première prise de guerre à Nuits où, selon Marcellin, Jean Bourrée se convertit : « conference qui fut le motif de la conversion de Monsieur Borré (le plus zélé à la Réformation pretenduë qui fut à Nuits, et lequel mesmes y avoit tiré le sieur Cassegrain)104 ». Assurément une belle prise ! Jean Bourrée est un homme en vue à Nuits-Saint-Georges, un ancien de l’Église réformée qu’on avait vu, avec Antoine Brocard, porter à Genève une demande de pasteur pour la nouvelle Église de Vosne105. Autre converti probable de ces rencontres : David Grain de Saint-Marsault, seigneur de Fontcouverte et baron de Montjay. Marcellin affirme que le seigneur de Fontcouverte, devant le refus du ministre de défendre ses thèses face au capucin « fit l’une des plus belles conversions qui se soit faite en France106 ». À l’inverse, le pasteur Bouteroue, qui défend Cassegrain, assure que le capucin « s’attribue par orgueil le changement de deux apostats, que la commodité d’un mariage et le débordement de la vie de l’autre ont causé107 ». Autrement dit, Bouteroue rabat sur des motifs personnels les conversions en refusant de les lier aux disputes de Cassegrain.
50Ces apostasies n’empêchent pas Cassegrain de poursuivre les conférences dans la première décennie du XVIIe siècle, même si celles-ci sont beaucoup moins documentées. On sait toutefois qu’un an après la conférence de Saint-Jean-de-Losne, en 1604, Théophile Cassegrain tente de réitérer son coup de maître en provoquant à la dispute François de Sales, alors beaucoup plus célèbre que lui, et de passage à Dijon pour la prédication de l’avent et du carême. Cassegrain est alors pasteur de Dijon. Les sources, catholiques, sont trop unilatérales pour être utilisées sans crainte. Toutefois, il semble que la technique de la « captation de prestige », initiée avec Du Perron, est réutilisée avec François de Sales. À la fin des fêtes de Pâques, le prédicateur catholique s’apprêtait à quitter la ville. L’affaire est racontée tardivement, en 1634, dans la biographie de François :
« Les Festes de Pasques [avril 1604] estant passées, comme il pense de s’en retourner, et que ses gens bagagent desja pour cet effect, voilà que le Ministre Cessegrain [sic] l’abborde insolemment et le provoque à la dispute sur les poincts qu’il avoient enseignez durant tout le temps de Caresme. Ce poltron n’avoit pas osé attaquer le vaillant Soldat de Jesus Christ auparavant ; mais croyant qu’il refuseroit, avoit attendu l’heure de son despart, à fin de se vanter d’un tel refus parmy les siens. Mais il fust bien trompé en son attente ; car l’homme de Dieu sousriant de sa temerité et pauvre finesse luy respondit : Certes il eust esté bien mieux, si vous eussiez faict ce que vous faictes maintenant lors que j’estois de loisir, et que je parlois librement au peuple : peut-etre que me voyant sur mon despart, vous croyez que je vous refuseray et voulez par ce moyen vous acquerir quelque honneur de ma crainte : vous-vous trompez ; car je ne suis point tant pressé de mon despart que je ne sois tout prest de respondre à vos argumens ; et conferer de tout ce que vous voudrez. Alors Cassegrain luy dit : Monsieur, mon intention n’est point de vous retarder ; mais seulement, prenez le jour qu’il vous plaira et faisons une conference à Geneve ; là nous aurons toutes sortes de livres pour tirer la verité de nostre croyance : et il disoit encore cela, parce qu’il croyoit que le Bien-heureux François refuseroit tant plus, lequel toutesfoys luy respondit hardiment : Or sus, j’en suis content ; que Genève soit le lieu de nostre dispute : à la verité, je n’y baille pas tant seulement mon consentement, mais de plus, je prie Monsieur le baron de Lux (qui estoit present) qu’il luy plaise de procurer ceste bonne affaire vers la ville de Genève ; de proposer les conditions qu’il luy plaira, auquelles vous serez obligé et les vostres, de mesme que nous : en fin (dit-il haute voix). Messieurs je vous appelle à tesmoings tous tant que vous estes, souvenez-vous s’il vous plaist que je promets à Monsieur Cassegrain de conferer avec luy, et disputer des poincts de la Religion dans la ville de Genève108. »
51Selon le même ouvrage, le baron de Lux se rend à Genève et le Conseil des Deux-Cents refuse la proposition. Il n’est bien sûr pas question de suivre mot à mot le panégyrique. Force est de constater que Cassegrain a déjà usé de la provocation à plus grand que soi. La reprise d’un tel procédé n’est donc pas impensable. Qu’il désire désormais que Genève soit le théâtre de cette rencontre s’explique probablement par la mauvaise réception de son précédent défi auprès de ses confrères. On ne trouve pas trace de ce débat dans les chroniques protestantes et il est fort probable qu’il n’ait pas eu lieu.
52Infatigable, Cassegrain réitère le même geste l’année suivante, avec succès cette fois. On saisit combien pour le pasteur, la présence d’un prédicateur étranger à la ville est toujours une occasion de faire triompher la vérité, mais aussi de ne pas laisser la « nouveauté » d’une prédication trop séduire les fidèles. Le célèbre jésuite André Valladier est en effet de passage à Dijon pour la prédication de l’avent et du carême [février] 1605. Né en Forez vers 1565, élève des jésuites de Billom, Valladier a déjà une solide réputation : entré dans la Compagnie de Jésus à Avignon en 1586, il est, dès la décennie 1590, un poète et un prédicateur reconnu. Dans les milieux intellectuels avignonnais, il s’est lié au monde des belles-lettres, de Peiresc à Génébrard, et s’est fait remarquer en 1600 par une très royaliste harangue de bienvenue en l’honneur de l’entrée de la reine Marie de Médicis à Avignon109. Aussi bien, sur les instances de Cassegrain cette fois, une dispute se tient, en présence des autorités politiques, puisque Roger de Bellegarde, nouveau gouverneur de Bourgogne, y assiste ainsi que le baron de Lux, son lieutenant. Deux présidents, deux greffiers et vingt assistants, pris dans les deux partis tenaient lieu de spectateurs. La conférence s’ouvre le 6 mai 1605 et, selon Claude Sullot, se termine « à la honte et confusion entière dudit Casgrain, de ses complices et adhérans ». Les débats reprennent au mois de juin « attendu le départ du sieur de Lux au païs de Bresse ». Reprise le lundi 11 juillet, la conférence continue « jusques au lundi 18 [juillet 1605] jour que ledit Casgrain, ministre demanda congé, quittant la dispute au plus fort110 ». On ne dispose pas de témoignage protestant de cette rencontre. C’est là la dernière dispute de Cassegrain.
***
53Un quatrain moqueur, rimé pour l’occasion, est parvenu jusqu’à nous, preuve, une fois encore, du talent de Cassegrain à faire parler de lui :
« Le moulin qui cassoit le grain
Faute d’eau a esté esclos
Le mugnier n’y a point de gain
Dont il fait de tristes sanglots
Valladier empesche le cours
Et la source de la rivière
Aidant Dieu, il fera les sourds
Oüyr pour se donner carrière111. »
54L’insistance des controversistes catholiques à faire des jeux de mots autour du nom « Cassegrain » constitue un indice fort. Même une réputation flatteuse ne comble pas une mauvaise naissance, une foi hérétique et une implantation géographique marginale. Une belle renommée n’autorise pas à tout. L’univers de la campagne, de la farine, des paysans campe Cassegrain dans un registre social inférieur. Ces boutades viennent accuser Cassegrain d’avoir voulu sortir du rang, aussi bien social que géographique, que la société assignait au protestantisme légalisé par l’édit de Nantes. Surtout, elles rappellent que ce sont les clercs, des deux bords, qui sont les mieux placés pour distribuer les brevets de bonne ou mauvaise réputation et que sans leur expertise, la célébrité n’est que démagogie. Eux seuls peuvent délivrer des certificats de bonne vie.
55Toutefois, s’il était de coutume que le contact entre théologiens de confessions distinctes ne rapprochât que des homologues en renommée, Théophile Cassegrain montre tout l’avantage que certains controversistes surent tirer de procédés de « captation de notoriété », provoquant en dispute des adversaires bien plus célèbres qu’eux. Loin de n’être qu’une bévue, cette technique fut aussi une façon de dénoncer et, partant, de nier le cantonnement spatial des huguenots. Provoquer plus grand que soi, c’est aussi revendiquer plus de centralité pour les protestants français. Force est de constater que les « provocations » de Cassegrain ont permis de charrier, dans une fourchette chronologique courte (1597-1605) des noms aussi variés et prestigieux que Roger de Bellegarde, Henri de Gondi, François de Sales, Jacques Davy Du Perron, André Valladier, Théodore de Bèze, etc. La visibilité du pasteur de Pont-de-Veyle tient ce faisant dans sa capacité à faire surgir des noms célèbres autour de sa propre histoire. On ne peut donc se contenter de reprendre les critiques de ses adversaires et d’entonner avec eux la critique d’un trop grand déséquilibre. Il s’agit, au contraire, de comprendre les choix de Cassegrain en les insérant dans un contexte plus large, dans lequel les huguenots, notamment les plus cultivés d’entre eux en la figure de leurs pasteurs, furent victimes d’un sentiment de déclassement, social et spatial, consécutif aux dispositions des édits de pacification et singulièrement de l’édit de Nantes. Tenter de dilater et de dématérialiser son espace d’action, quitte à se frotter à plus célèbre que soi, c’était aussi sortir des cadres stricts dans lesquels le catholicisme royal bornait les huguenots.
Notes de bas de page
1 Pour une problématisation de Don Quichotte, Schütz A., « Don Quichotte et le problème de la réalité », Sociétés, no 89-3, 2005, p. 9-27.
2 Sur cette notion d’inconscient académique, ainsi, plus largement, que pour la problématique des conférences interreligieuses, voir Christin O., « La formation étatique de l’espace savant. Les colloques religieux des XVIe-XVIIe siècles », Actes de la recherche en sciences sociales, no 133, 2000, p. 53-61 ; Kappler É., Les conférences théologiques entre catholiques et protestants en France au XVIIe siècle, Paris, Honoré Champion, 2011.
3 Jacob de Saint-Charles L., De claris scriptoribus Cabilonensibus libri III, Paris, Cramoisy, 1652, p. 100.
4 « Ad Iona. Iacamotum Barrensem amicissimum, & in Ecclesia Geneuensi verbi Dei ministrum Th. Quatigranus Tempensis », J. Jacmotius, Ioannis Iacomoti Barrensis Lyrica, Genève, Stoer, 1591, p. 9.
5 Quatrigranus C. [Cassegrain C.], « Versus de Tempensium jure municipali conscripto », C. de Thou, B. Faye et J. Viole, Coustumes des bailliage et prevosté d’Estampes, anciens ressorts & enclaves d’iceluy bailliage, redigées & arrestées, au moy de Septembre mil cinq cens cinquante six, par ordonnance du roy rédigées en 1556, Paris, Jean Dallier, 1557, p. III-IV.
6 « Arrêt du Parlement de Paris [du 21 novembre 1562], portant condamnation de mort contre les y dénommez, revétus de Charges dans la ville d’Orléans, & autres, rebelles au Roy ; Coutumaces », Mémoires de Condé, ou Recueil pour servir à l’histoire de France, Londres, C. du Bosc – G. Darrés, t. IV, 1743, p. 122-123.
7 Fleureau B., Les Antiquitez de la ville, et du Duché d’Estampes avec l’histoire de l’abbaye de Morigny et plusieurs remarques considerables, qui regardent l’Histoire generale de France, Paris, J.-B. Coignard, 1683.
8 « Ce 28 apvril 1579 Monsieur Cassegrain fut receu et admis Ministre de la parolle de Dieu pour l’eglise de Cornaillon [Cormaillon] comme aussy ledit sieur Cassegrain administre la dite eglise pour son troupeau estant assisté de monsieur Cohet ministre de la parole de Dieu en l’eglise de Villernoux (Villarnoux) », AD Ain (non classé), Registre des décisions du consistoire de Pont-de-Veyle, « Baptêmes 1579-1610 », cité par Pagat J., Formes et pratiques de la controverse religieuse : les disputes de Mâcon et Annonay, mémoire de maîtrise en histoire, O. Christin (dir.), université Lumière – Lyon 2, 1999, p. 32. Je remercie vivement Julien Pagat pour son aide généreuse pour cet article et pour m’avoir permis de lire sa maîtrise.
9 Bibliothèque de Genève, ms. fr. 409, fol. 90, lettre de Cassegrain à Simon Goulart, de Nuits, le 10 février 1583, citée dans Dufour A., Nicollier N. et Genton H. (éd.), Correspondance de Théodore de Bèze, Genève, Droz, t. 24, 2002, p. 154, note 3.
10 Dans sa première lettre (conservée) à Théodore de Bèze, Cassegrain parle de ses « brebis de Cormaillon » (auj. Côte d’Or, commune de Lantilly), dernier mai 1583, Dufour A., Nicollier N. et Genton H. (éd.), Correspondance de Théodore de Bèze, op. cit., t. 24, p. 153-154.
11 Tombeau « De A. C. F. de Th. C. M. » (Pour « Avoye Chicheret, femme de Théophile Cassegrain, Ministre »). Voir Poupo P., La Muse Chrestienne, éd. A. Mantero, Paris, Société des textes français modernes, 1997, p. 255.
12 Salomon Cassegrain, « professeur en théologie », « natif de Corbaillon [sic, pour Cormaillon] en Auxois » meurt le 22 mars 1637 à l’âge de 51 ans, ce qui le fait naître vers 1586. Il est enterré au cimetière protestant de Charenton : Read C., « Cimetières et inhumations des huguenots principalement à Paris aux XVIe, XVIIe et XVIIIe siècles », Bulletin de la SHPF, t. 12, 1863, p. 374.
13 Poupo P., La Muse Chrestienne, op. cit., p. 553.
14 François Humblot, La dispute solennelle agitée en la maison de ville de Mascon entre F. F. Humblot Minime et Th. Cassegrain Ministre, Lyon, J. Pillehotte, 1598, p. 293.
15 Poupo P., La Muse Chrestienne, op. cit., p. 553.
16 Citron S. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie des Pasteurs de Genève, Genève, Droz, t. 6, 1980, p. 89-94.
17 Archives hospitalières de Pont-de-Veyle, C 1. Cité dans Cadier-Sabatier S., Les protestants de Pont-de-Veyle et lieux circonvoisins au XVIIe siècle, s. l., Éditions de Trévoux, 1975, p. 12 : lorsqu’en 1661, les catholiques tentent d’obtenir l’interdiction de prêcher, le conseil du roi ordonne une enquête sur la date d’établissement du culte à Pont-de-Veyle. Les témoins affirment qu’au « moys de janvier 1596, maître Théophile Cassegrain, ministre de la parolle de Dieu, arrivant en la ville du Pont-de-Veyle en Bresse, auquel lieu, dès ledit temps, il a presché et administré les sacrements de la Sainte Cène, du baptême et célébré les mariages ». Le conseil rend un avis favorable aux huguenots.
18 La Compagnie des pasteurs lit le 8 octobre 1601 une lettre (aujourd’hui perdue) de Cassegrain où celui-ci se dit « contrainct de se departir de l’Eglise du Pont de Velle pour servir à celle de Dijon par l’ordonnance du synode » et demande à ce que soit pourvu « en sa place » un homme de « grande consequence » (Cahier G. et Campagnolo M. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 8, 1986, p. 109).
19 Aymon J. (éd.), Tous les synodes nationaux des Eglises Reformées de France, La Haye, Charles Delo, 1710, t. II, p. 232.
20 Marcellin de Pont de Beauvoisin, La piperie des ministres et fausseté de la Religion pretendue, ensemble la verité catholique recogneües par le Sr de Pasthée gentilhomme dauphinois advocat au parlement de Grenoble, Lyon, Loys Muguet, 1618.
21 Crouzet D., Les guerriers de Dieu. La violence au temps des troubles de religion (vers 1525-vers 1610), Seyssel, Champ Vallon, 1990, t. 1, p. 284.
22 Fatio O. et Labarthe O. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 3, 1969, p. 83 ; Labarthe O. et Tripet M. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 5, 1976, p. 149 et Citron S. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 6, p. 83, note 94 et p. 95, note 23.
23 Bellenger Y. et Ester R. (dir.), Pierre Poupo (1552-1590) : un poète protestant en Champagne, Paris, Klincksieck, 1992.
24 Poupo P., La Muse Chrestienne, op. cit., p. 255.
25 Jacob de Saint-Charles L., De claris scriptoribus Cabilonensibus…, op. cit., p. 100.
26 Jacquemot J., Joannis Jacomoti Barrensis Lyrica, Genève, Jacob Stoer, 1591. L’ouvrage est dédicacé par Jacquemot à Philippe Canaye, sieur de Fresne (alors encore huguenot).
27 Colomiès P., Gallia orientalis : sive Gallorum qui linguam hebraeam vel alias orientales excoluerunt vitae, La Haye, A. Vlacq, 1665, p. 273 : « Theophilus Cassegrain Stampensis […] literas Hebraeas coluit eodem ferè tempore quo Kyriacus. »
28 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 12.
29 AM Mâcon, EE 49. Sur ce point, Turrel D., Bourg-en-Bresse au XVIe siècle. Les hommes et la ville, Paris, Société démographique historique, 1986, p. 170-171.
30 Voir l’article 25 des particuliers de l’édit de Nantes : « L’edict fait pour la reduction de la ville de Dijon sera observé, et suivant iceluy n’y aura autre exercice de religion que de catholique, apostolique et romaine en lad. ville et fauxbourgs d’icelle ny quatre lieues à la ronde ». Barbiche B. (et al., éd.), L’édit de Nantes et ses antécédents (1562-1598) [http://elec. enc. sorbonne. fr/editsde pacification], consulté le 23/06/2016.
31 Bourdieu P., « Effets de lieu », P. Bourdieu (dir.), La Misère du Monde, Paris, Seuil, 1993, p. 249-262, ici p. 254.
32 Puyroche A. de, « Le château de Chandieu et les protestants de Lyon à la fin du XVIe siècle », Bulletin de la SHPF, t. 39, 1890, p. 278-283, ici p. 278.
33 Cassegrain T., Advertissement sur le libelle fameux publié par F. Humblot sous le nom de la Dispute solennelle agitée en la maison de ville de Mascon entre ledict Humblot Minime, et Th. Cassegrain Ministre, Genève, Étienne Gamonet, 1600, p. 12.
34 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, 1984, p. 301 (18 mai 1598).
35 Marcellin de Pont de Beauvoisin, La piperie des ministres…, op. cit., p. 15.
36 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 6-7.
37 Ibid., p. 8.
38 Ibid., p. 282.
39 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 300 (18 mai 1598).
40 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 8.
41 La Rochette C. de, Histoire des évêques de Macon, Mâcon, Protat, t. 2, 1867, p. 506-507.
42 Cassegrain T., Advertissement sur le libelle…, op. cit., p. 5. Dans une lettre adressée à la Compagnie des pasteurs de Genève, Cassegrain assure que « Dieu a espandu par sa grace tant de benediction [sur la conférence qu’il eut avec Dinet] que les plus contraires mesmes et du parlement et des ecclesiastiques, voire les evesques de Chaalon et d’Autin, ainsi que nous en avons eu de très bon advertissemens, ne se louent guères de leur advocat et ne font point de difficulté de m’avoir en bonne estime. » Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 300, 18 mai 1598.
43 C’est ainsi ce que fait François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 17 : « Je vous laisse à penser comme il le feroit beau voir ez actes de Sorbonne et comme il agreoit à 250 personnes pleines de vie qui tressoient d’ahan et de pitié de le voir begayer et entrecouper les sentences. »
44 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 300-301 (18 mai 1598). Les italiques sont de mon fait.
45 Pour une réflexion sur la notoriété à l’époque moderne et contemporaine, Lilti A., Figures publiques. L’invention de la célébrité (1750-1850), Paris, Fayard, 2014 et Heinich N., De la visibilité. Excellence et singularité en régime médiatique, Paris, Gallimard, 2012.
46 Heinich N., De la visibilité…, op. cit., p. 33 et p. 42.
47 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 11.
48 Boltanski L., L’amour et la justice comme compétences : trois essais de sociologie de l’action, Paris, Métailié, 1990, p. 85, note 3.
49 Christin O., Confesser sa foi : conflits confessionnels et identités religieuses dans l’Europe moderne (XVIe-XVIIe siècles), Seyssel, Champ Vallon, 2009, p. 36-37.
50 Cassegrain T., Epistre de Theophile Cassegrain, ministre du Sainct Evangile, addressée à M. d’Evreux, avec trois thèses en théologie, s. l., s. n., 1597. Les trois thèses sont celles-ci : I. « L’escriture saincte contient tout ce qui est nécessaire à l’homme de sçavoir pour estre sauvé ». II. « L’homme est justifié devant Dieu par la seule Foy ». III. « L’evesque de Rome n’est pas chef Ministeriel de l’Eglise Catholique ».
51 Ibid., p. 7-16.
52 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 8.
53 Cassegrain T., Epistre de Theophile Cassegrain…, op. cit., p. 7-17.
54 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 28.
55 Ibid., p. 9.
56 Palma-Cayet P.-V., L’epistre d’un ministre de la Religion pretendue reformée desirant se faire catholique. Adressée à Monseigneur l’evesque d’Evreux. Avec la responce à icelle, Paris, Denis Binet, 1598, p. 4. Cayet reprend l’épître de Cassegrain et y ajoute son commentaire, intitulé « Responce des trois theses envoiées par M. Théophile Cassegrain, ministre, à monseigneur le révérendissime évesque d’Evreux, estant ledit ministre sur le point de se réduire », p. 26-29. Cet ouvrage est souvent confondu avec l’épître originale de Cassegrain. Il est signé « De Paris, ce saint jour de Jeudy Absolu 1596 » [sic pour 1598], soit le 19 mars 1598, Pâques tombant le dimanche 22 mars.
57 Ibid., p. 7-16.
58 Pacard G., Refutation des raisons par lesquelles M. P. Cayer pretend d’impugner les trois theses proposées par M. Cassegrain à M. D’Evreux, Niort, s. n., 1599, cité par Desgraves L., Répertoire des ouvrages de controverse entre catholiques et protestants en France (1598-1685), Genève, Droz, 1984, t. 1, p. 22 (no 120).
59 Languet C., Missive catholique au S. Cassegrain Ministre au Pont de Veyle. De la vraye presence du corps de nostre Sauveur en l’Eucharistie, Lyon, Jean Pillehotte, 1601.
60 Girard F., Catholique batterie et prise de trois boulevarts sur lesquelles l’heresie calvinienne a dressé sa citadelle en la ville du Pont de Veyle, en Bresse, qui sont les trois dogmes et theses publiees par le Ministre Cassegrain en son epistre adresse à Monsieur d’Evreux du 10 novembre 1597, Lyon, Jacques Rousseau, 1598.
61 Migne J.-P. (éd.), Œuvres complètes de S. François de Sales, Paris, J.-P. Migne, t. 1, 1861, p. 291.
62 Sponde H. de, Défense de la declaration du feu sieur de Sponde par Henry de Sponde son frère, conseiller et maistre des requestes du roy en Navarre ; converty à l’Eglise catholique, contre les Cavillatations des Ministres Bonnet et Sonis, Bordeaux, S. Millanges, 1597.
63 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 293 (sans date).
64 Coppie d’une lettre de Me Victor Pierre Cayer, cy devant ministre, à present ferme catholique apostolique et romain, à un sien amy le sieur Dam[ours] encores à present ministre, contenant les causes et raisons de sa conversion à l’Eglise Catholique Apostolique et Romaine, Paris, Jean Richer, 1596.
65 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 295, lettre de Théodore de Bèze à Cassegrain, 18 avril 1598.
66 Ibid., p. 293, lettre de la Compagnie des pasteurs de Genève à Cassegrain (sans date, mi-avril 1598).
67 Une lettre de Gondi est publiée en préface de Palma-Cayet P.-V., L’epistre d’un ministre…, op. cit.
68 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 295.
69 Manetsch S. M., Theodore Beza and the Quest for Peace in France: 1572-1598, Leyde, Brill, 2000, p. 311.
70 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 300-301.
71 Ibid., p. 296 (18 avril 1598).
72 Aymon J. (éd.), Tous les synodes…, op. cit., t. I, p. 229.
73 Roussel B., « Les synodes nationaux de 1594 à 1598 : le difficile maintien d’une “bonne union et intelligence” entre les Églises réformées », M. Grandjean et B. Roussel (éd.), Coexister dans l’intolérance. L’édit de Nantes (1598), Genève, Labor et Fides, 1998, p. 115-133, ici p. 124-125.
74 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 353, lettre de la Compagnie à Cassegrain (9 décembre 1598) : « elle a esté tellement publiée que vous estimez vostre ministere vous en estre rendu inutile, au lieu que par une simple lettre à vous adressée vous protestés que vous y eussiez acquiescé ».
75 Ibid., p. 126 (8 décembre 1598) : « sur ce que dimanche dernier en nostre assemblée chez M. De Beze, lettres de M. Cassegrain furent leues qui se resoubt de quitter le ministere à cause de la censure à luy faitte et publiée par le synode de Mompellier ».
76 Aymon J. (éd.), Tous les synodes…, op. cit., t. I, p. 249.
77 Cahier G., Grandjean M. et Junod M.-C. (éd.), Registres de la Compagnie…, t. 7, p. 301 (Cassegrain à la Compagnie, 18 mai 1598).
78 Pagat J., Formes et pratiques…, op. cit., p. 63.
79 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 15.
80 Ibid.
81 Ibid., p. 9.
82 Ibid., p. 16.
83 Ibid., p. 28.
84 Marcellin de Pont de Beauvoisin, La piperie des ministres…, op. cit., p. 7.
85 Cassegrain T., Advertissement sur le libelle…, op. cit., p. 10-11.
86 Ibid., p. 11.
87 Ibid.
88 Christin O., « Concile, conférence, dispute : les dispositifs de parole dans les conflits confessionnels du XVIe siècle et l’Histoire du concile de Trente de Sarpi », M. Viallon (éd.), Autour du Concile de Trente, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 2006, p. 102.
89 Boltanski L. et Bourdieu P., « Le Titre et le Poste : rapports entre le système de production et le système de reproduction », Actes de la recherche en sciences sociales, no 1, 1975, p. 95-107.
90 François Humblot, La dispute solennelle…, op. cit., p. 16.
91 Marcellin de Pont de Beauvoisin, Responce du P. Marcellin, predicateur Capucin au narré du Sr Ministre de Grenoble sur leur conference du 19 dec. 1614, Grenoble, Verdier, 1615, p. 6-9.
92 Bouteroue D., Refutation du livre du sieur Marcellin intitulé Responce du P. Marcellin predicateur capucin, Genève, Pierre Aubert, 1615.
93 Marcellin de Pont de Beauvoisin, La piperie des ministres…, op. cit. Blasutto L., Étude d’un écrit antiprotestant : la Piperie des Ministres et fausseté de la religion pretenduë… par le Sr de Pasthée gentilhomme dauphinois advocat au parlement de Grenoble, mémoire de master « Culture de l’écrit et de l’image », D. Varry (dir.), ENSSIB – Lyon, 2009 (je remercie l’auteure de me l’avoir communiqué). On reconnaît derrière ce Pasthée (« Tout Dieu ») le pseudonyme de Marcellin du Pont de Beauvoisin qui d’ailleurs signe l’épître liminaire. Une des plus importantes disputes de Pont de Beauvoisin fut celle qu’il soutint à Grenoble contre Denis Bouteroue.
94 Rochas A., Biographie du Dauphiné contenant l’histoire des hommes nés dans cette province qui se sont fait remarquer dans les Lettres, les Sciences, les Arts, Paris, Chavaray, t. 2, 1860, p. 116.
95 Varry D., Prosopographie des Capucins de la Province Saint-André de Bourgogne, dite de Franche-Comté, document inédit [http://dominique-varry. enssib. fr/sites/dominique-varry. enssib.fr/files/Capucins.pdf], consulté le 22/06/2016, p. 270.
96 Besnard P., « Les Capucins à Chalon-sur-Saône », Revue d’histoire franciscaine, t. 6, 1929, p. 21.
97 Marcellin de Pont de Beauvoisin, Responce du P. Marcellin…, op. cit., p. 7.
98 Ibid., p. 8.
99 Dompnier B., Enquête au pays des frères des anges. Les Capucins de la province de Lyon aux XVIIe et XVIIIe siècles, Saint-Étienne, Publications de l’université de Saint-Étienne, 1993, p. 9.
100 Cahier G. et Campagnolo M. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 8, p. 311.
101 Marcellin de Pont de Beauvoisin, Responce du P. Marcellin…, op. cit., p. 7.
102 Sur tout ce qui suit, voir Blasutto L., Étude de la controverse religieuse de 1603 à Saint-Jean-de-Losne entre le pasteur Cassegrain et le capucin Marcellin, mémoire de master 1 en histoire, O. Christin (dir.), université Lumière – Lyon 2, 2008.
103 AD Ain, H 537.
104 Marcellin de Pont de Beauvoisin, Responce du P. Marcellin…, op. cit., p. 7.
105 Cahier G. et Campagnolo M. (éd.), Registres de la Compagnie…, op. cit., t. 8, p. 311.
106 Marcellin de Pont de Beauvoisin, Responce du P. Marcellin…, op. cit., p. 8. David Grain de Saint-Marsault, fils d’un gentilhomme protestant de Saintonge, Jean de Grain qui avait envoyé son fils chercher fortune en Bourgogne, avait épousé Dorothée de Vaudrey en 1587, ce qui lui avait apporté les seigneuries de Montjay et de l’Isle-en-Bresse, qui sont dans la sphère d’influence de Cassegrain. Montarlot P., « Rosey, ses seigneurs, sa confrérie du corps de Dieu », Annales de l’Académie de Mâcon, t. 18, 1913, p. 121.
107 Bouteroue D., Refutation du livre…, op. cit., p. 203-204.
108 Sales C.-A. de, Histoire du bien-heureux François de Sales, Paris, Louis Vivès, (1re éd. Lyon, La Bottière, 1634), t. 1, 1857, p. 386.
109 Valladier A., Labyrinthe royal de l’Hercule gaulois triomphant. Sur le suject des fortunes, batailles, victoires, trophées, triomphes, mariage & autres faicts héroïques & mémorables de très-auguste & très-chrestien prince. Henry IIII. roy de France, & de Navarre. Représenté à l’entrée triomphante de la royne en la cité d’Avignon. Le 19 novembre, l’an M. D. C. Où sont contenuës les magnificences et triomphes dressez à cet effect par ladicte ville, Avignon, Jaques Bramereau, 1601.
110 Sullot C., Journal des choses les plus remarquables arrivées en Bourgogne et particulierement à Dijon depuis 1588 jusques en 1610, BnF, NAF 394, fol. 23, cité par Fouqueray H., Histoire de la Compagnie de Jésus en France des origines à la suppression (1528-1762), Paris, Picard, t. 1, 1910, p. 33.
111 Sullot C., Journal des choses…, ms. cité par Gazin Gossel J., « Un contre-coup de la Ligue en Bourgogne. L’expulsion et le retour des jésuites de Dijon (1595-1603) (Suite) », Revue d’histoire de l’Église de France, t. 1, no 6, 1910, p. 641-665, ici p. 661.
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