Gauche catholique et liturgies « sauvages » dans le catholicisme français (1965-1978). Mythe ou réalité ?
p. 115-136
Texte intégral
1Les guillemets sont des signes ambigus. Leur rôle est normalement de signaler une citation, mais il arrive qu’on les utilise – un peu paresseusement, j’en conviens – pour abdiquer, au moins provisoirement, devant l’incertitude du vocabulaire ou l’indécision de la pensée. Ceux qui figurent dans le titre de ma communication relèvent de ces deux types d’emploi, et il n’est pas superflu que je dise d’emblée pourquoi. Au départ, un courriel de Bruno Dumons me demandant pour ce colloque « une intervention sur le thème des “liturgies sauvages” dans les années soixante-dix, à partir de ce que tu as connu et peut-être des documents que tu détiens ou dont tu as connaissance1 ». Curieusement, j’accepte sans barguigner, sans même m’interroger sur la signification des guillemets employés déjà par mon correspondant. Je ne conteste pas non plus ce double statut d’historien et de témoin qu’il m’assigne d’emblée et qui laisse entendre que je dois avoir accès à des archives inédites sur des pratiques interlopes2. Au fond, je suis persuadé de voir ce qu’il veut dire. Et d’ailleurs, quand je commence à en parler autour de moi, auprès d’anciens militants de la gauche catholique, l’expression ne surprend pas mes interlocuteurs : chacun croit se souvenir ou avoir entendu parler de telle ou telle célébration « sauvage ».
2Tout se passe donc comme si chacun avait fait sien ce lieu commun de la vulgate intégriste : au nom de l’esprit conciliaire, invoqué à tort et à travers, l’après Vatican II a été marqué par de nombreuses transgressions des normes liturgiques dans les milieux chrétiens de gauche, ce qui explique et justifie la résistance, puis la révolte, d’une droite catholique attachée à la tradition. Or les choses se compliquent lorsque l’on essaie d’objectiver ce discours. Et si je garde finalement les guillemets du titre, c’est parce que j’ai du mal à apercevoir entre 1965 et 1978 – du moins dans des manifestations publiques – le phénomène résolument transgressif que l’adjectif « sauvage » suggère. Il s’avère une nouvelle fois que la mémoire est trompeuse ou approximative. La documentation écrite disponible témoigne plutôt de célébrations expérimentales, plus ou moins réussies mais pas forcément iconoclastes, au sein du courant communautaire de la gauche catholique. En revanche, et ceci mérite réflexion, le courant politique de cette nébuleuse se montre longtemps indifférent et même rétif à ces questions : il faut attendre le milieu des années soixante-dix pour qu’apparaisse l’idée d’un « front de lutte » liturgique dans le cadre du combat révolutionnaire.
À la recherche des liturgies « sauvages »
3Si la liturgie est, comme l’explique Franck Lafage, « le premier enjeu, le premier cercle » autour duquel s’organise l’opposition traditionaliste à Vatican II3, il n’en va pas de même, à de rares exceptions près, du côté de la gauche catholique, plus préoccupée par les enjeux politiques de la foi. Au cours des treize années qui vont de la fin du concile à l’avènement de Jean-Paul II, je ne vois que trois événements importants où une pratique liturgique exprime ouvertement, directement ou indirectement, cette contestation de gauche. Examinons-les dans l’ordre chronologique.
4Le premier est aussi le plus évident. Il s’agit de l’intercommunion de la Pentecôte qui réunit, le 2 juin 1968, dans un appartement parisien, 61 personnes – un tiers de protestants dont sept pasteurs, deux tiers de catholiques dont huit prêtres4. Le lieu est privé, mais l’initiative est rendue publique par les participants, qui adressent une lettre ouverte à Mgr Marty, archevêque de Paris, et au pasteur Westphal, président de la Fédération protestante de France. Pratique sauvage, incontestablement, et revendiquée comme telle par son initiateur, le pasteur Georges Casalis, parce qu’elle bouscule les limites de la communauté ecclésiale. C’est d’ailleurs cette précipitation œcuménique que déplore trois jours plus tard le communiqué de l’archevêché de Paris5. Mais la transgression s’arrête là. S’expliquant sur sa participation, le protestant Paul Ricœur souligne que « la liturgie de cette concélébration n’innovait en aucune façon » et que « rien par conséquent ne pouvait accréditer l’idée qu’une “secte” était en train de naître ». André Laurentin, prêtre de la Mission de France, ajoute qu’il s’est agi d’un « acte d’exception », exprimant une unité réelle vécue dans l’effervescence des événements de mai, et donc d’un geste prophétique qui « ne pouvait recevoir son authenticité que de sa référence eschatologique6 ». Plusieurs des prêtres présents – Jo Canal, Robert Davezies, Jean Godard, André Laurentin, Jean-Marie Trillard – se retrouveront quelques mois plus tard aux avant-postes du mouvement Échanges et Dialogue qui, tout à ses trois revendications majeures – droit des prêtres au mariage, au travail et à l’engagement politique – ne se préoccupera guère de la liturgie.
5Le deuxième cas est plus spectaculaire. Il s’agit, le 26 octobre 1969 à Boquen, de la messe d’adieu de Bernard Besret, démis de son priorat et contraint de quitter l’abbaye. L’affluence – près de 6 000 personnes, dont la plupart doivent rester hors de l’abbatiale archi-comble et suivre l’office par haut-parleurs –, la présence des télévisions, des radios et de nombreux journalistes de la presse écrite, l’émotion suscitée par la sanction romaine, tout contribue à donner à cette célébration eucharistique l’aspect d’un meeting pour la liberté dans l’Église. Pourtant, il n’y a ni propos agressifs dans l’homélie ni entorse aux règles liturgiques7. Comme l’a expliqué Bernard Besret, quelques années plus tard, « la célébration était subversive du fait même des circonstances. Elle ne pouvait l’être que davantage si la parole prononcée était une parole de fidélité8 ». On peut compléter : et le cérémonial sans ambiguïté. Mais l’incident survient quelques semaines plus tard, lorsque l’ancien prieur, qui se répand en interviews, explique aux journalistes de L’Express qu’on célèbre l’eucharistie « un peu comme on prend l’apéritif », parce qu’on « communie mieux quand on trinque ensemble9 », ce qui lui vaut une lettre alarmée du cardinal Gouyon, archevêque de Rennes, s’inquiétant d’une expression qui « risque d’être très mal comprise10 ».
6La troisième occurrence met à nouveau en scène l’ancien prieur de Boquen puisque c’est lui qui préside, le 1er mai 1972, l’eucharistie clôturant la rencontre nationale des 1 500 « Chrétiens en recherche » réunis à Rennes. L’allure générale est bien différente, puisque la célébration, qui se veut festive, se déroule dans la grande salle de l’école d’agriculture où se sont tenus les travaux de l’assemblée, que l’ex-prieur ne porte pas de vêtements liturgiques et qu’une grande farandole tient lieu de procession finale. Reste que, sur le fond, les choses se passent, là encore, « en toute orthodoxie11 », précaution d’autant plus nécessaire que le mouvement des Silencieux de l’Église tient un rassemblement contradictoire dans la même ville le même week-end.
« C’est assez amusant, remarque François Biot, de lire sous la plume de quelques journalistes de tendance conservatrice, que cette eucharistie fut une vraie eucharistie, malgré les nombreuses libertés prises par rapport aux règles officielles. Comme si les divers groupements responsables de l’assemblée de Rennes avaient un goût prononcé pour des célébrations fausses et irrégulières12. »
7La hiérarchie reçoit néanmoins des plaintes plus générales. L’abbé Fihey, secrétaire général adjoint de l’épiscopat français, s’inquiète des « eucharisties irrégulières [qui] vont continuer à Boquen13 ». Les évêques de la Région apostolique Ouest, réunis les 9 et 10 mai, sont perplexes : « Bernard Besret croit-il à la présence réelle, à l’incarnation… ? La formule qu’il emploie pour la consécration est douteuse : “Ceci est le corps du Christ, ceci est le sang du Christ.” » Mais les prélats préfèrent temporiser : ils se défaussent en considérant que c’est à l’Abbé général de l’Ordre cistercien d’intervenir, tout en sachant – on croit rêver – que « dom Kleiner est désemparé » et que « son entourage n’est pas sûr14 ».
8Dans ces trois moments où la gauche catholique se donne à voir en célébration, par une transgression dûment expliquée dans le premier, par un classicisme tactique dans le second, par un passage à la limite soigneusement calculé dans le troisième, il faut bien constater que la liturgie n’est jamais l’enjeu de sa mise en scène mais l’instrument d’une autre cause. Elle renvoie ici, tour à tour, au dépassement des frontières confessionnelles, au droit à la parole dans l’Église, à la légitimité de l’engagement politique et de l’expérimentation ecclésiale. La liturgie est d’ailleurs le parent pauvre dans les autres grands rassemblements de ces années15. À la première rencontre nationale des communautés de base, à Bourges, en 1970, alors que Bernard Besret déplore que les chrétiens de gauche s’accommodent d’un « décalage complet entre le discours politique et religieux qu’ils tiennent et leur expression liturgique16 », la célébration eucharistique du congrès est ratée, « faute de préparation, de cadre et peut-être d’ambiance joyeuse et simple qui facilite l’invention des gestes et des paroles », au jugement de Pierre de Grauw17. À Rouen, en 1971, l’assemblée gauchiste des « Chrétiens dans la lutte des classes » se dispense d’eucharistie. À Orléans, en 1976, les congressistes plus modérés qui envisagent la création d’une section française des « Chrétiens pour le socialisme » font appel au Père Cardonnel, qui a le génie des formules, pour intégrer à la célébration une glose politique des paroles de la consécration (document 1). L’année suivante, à Lille, l’affrontement est tellement vif entre réformistes et révolutionnaires que les plus radicaux de ces derniers refusent de participer à l’eucharistie finale et préfèrent aller boire un coup au bistrot.
Document 1. Jean Cardonnel : actualisation eucharistique pour la célébration des « Chrétiens pour le Socialisme », Orléans, 6 juin 197618
Voici ce que j’ai reçu du Seigneur Jésus et ce que je vous ai transmis : le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain, et après avoir rendu grâce, il le rompit et dit : « Ceci est mon corps qui est pour vous, faites ceci en mémoire de moi. »
La veille de ce jour où la police est venue te chercher pour te passer à tabac, te torturer dans un commissariat de Valparaiso, tu nous as dit au dernier repas d’amitié :
« J’ai la taille de ce à quoi je m’intéresse. J’ai la stature de ce à quoi je m’applique. J’ai l’étoffe de ce pour quoi je me passionne. J’ai l’ampleur de ce avec quoi je fais corps. Plus est vaste ce à quoi je m’applique, plus ma taille est immense. Mon corps a la mesure du combat que je mène. Aussi, le pain qui vous nourrit, que l’on vole à la masse en spéculant sur lui, en le stockant pour des minorités, ce pain qui grouille d’injustice et porte l’exigence du partage mondial, de la mise en commun, le pain, le grand enjeu du combat populaire, tout ce pain, c’est mon corps.
Mon corps n’est pas à moi. Mon corps n’est pas ce qui m’appartient. Mon corps, mais c’est tout ce avec quoi je fais corps. Le pain que nous mangeons avec ce qu’il exige de combat, voilà tout mon corps appliqué pour qu’il soit fait de tous toute l’humanité. »
Il fit de même pour la coupe, après le repas, en disant : « Cette coupe est la nouvelle alliance en mon sang ; faites cela toutes les fois que vous en boirez, en mémoire de moi. Car toutes les fois que vous mangez ce pain et buvez à cette coupe, vous annoncez la mort du Seigneur jusqu’à ce qu’il vienne. »
La veille de ce jour où, dans le sous-bois, la police est venue te passer les menottes, tu nous as dit encore :
« Le vin que vous boirez au grand festin des peuples en levant votre coupe à la santé du monde, c’est mon sang qui circule pour féconder le sol où les hommes s’insurgent. La multitude énorme de tous les immigrés, des mineurs, des OS, des petits fonctionnaires courbés sur le bureau dont le gris les absorbe, la masse travailleuse et aussi rentière et vieillie sur laquelle on s’acharne pour qu’elle n’ait pas sa fête gigantesque et mondiale, ça m’allume le sang. »
Le marché fait des hommes enfermés dans leur peau, dont le sang est figé, ne circule jamais pour parcourir les luttes de nos libérations en vagues empourprées. N’avoir rien dans la peau, dans le sang, dans les veines, c’est n’être pas humain.
Tu lèves ta coupe où transparaît le vin : « Comme j’ai dans la peau ce qui vous tient en vie – ce qui vous met en joie, je l’ai dans le sang. »
9Actualisation des formules canoniques ou des textes bibliques, comme à Orléans, c’est aussi le modèle le plus courant des audaces célébrantes de la gauche catholique assemblée localement ou régionalement : mais peut-on parler de liturgie sauvage, alors qu’il s’agit d’ajouts et non de substitutions aux prescriptions rituelles ? Il me semble que plusieurs événements ont fait scandale non à cause d’un détournement liturgique mais en dépit d’une liturgie parfaitement régulière. L’exemple le plus frappant à cet égard est sans doute celui d’Objectif 74 : c’est la présence de Georges Marchais le dimanche après-midi et le chant de l’Internationale par les jeunes jocistes qui ont choqué l’opinion catholique. Mais la messe du matin était tout à fait conforme aux normes, simplement enrichie de témoignages de jeunes « donnant le ton de cette incarnation de la foi dans la vie de tous les jours19 ».
10Restent aussi dans les mémoires des actions spectaculaires de perturbation d’offices religieux. Le 2 juin 1968, une trentaine de jeunes du Comité d’action pour la révolution dans l’Église (CARÉ) troublent la messe de 10 h à Saint-Séverin, en distribuant des tracts qui dénoncent « la coupure scandaleuse entre le culte et la politique, entre le sommeil liturgique et l’action révolutionnaire », à la sidération affligée de prêtres et de paroissiens qui se flattaient d’être à la pointe de l’esprit conciliaire20. Le dimanche suivant, le culte est interrompu à Saint-Honoré d’Eylau par les militants du mouvement Bible et Révolution, mais les fidèles ne se laissent pas faire, éjectent les intrus et l’on en vient aux mains sur le parvis après avoir échangé, rapporte Robert Serrou, « des injures non inventoriées jusqu’à ce jour dans le vocabulaire religieux21 ». Il nous manque un inventaire de la zizanie paroissiale en mai et juin 68, mais il semble qu’il y ait eu moins d’incidents pendant les offices que de débats, parfois houleux, dans des « forums » ou « amphis » – ce sont les mots de l’époque – tenus en dehors des lieux et des heures de culte, et sur des questions tout autres que liturgiques.
11On peut ranger dans le même registre la tentative de « veillée anti-répression » au Sacré-Cœur de Montmartre, le 12 mars 1971, à l’initiative de la Lettre et de Frères du Monde : l’affaire tourna court, le Recteur ayant préventivement fermé les portes. Il s’agissait de protester contre l’appel fait à la police pour évacuer les militants gauchistes qui avaient tenté d’occuper la basilique un mois plus tôt, mais aussi d’attirer l’attention sur un édifice perçu comme un « monument d’expiation » de la Commune de Paris et donc comme un « symbole de la domination des possédants22 ». On trouve encore, en 1975, deux opérations ponctuelles menées par les chrétiens marxistes à la suite de l’exécution de cinq militants révolutionnaires en Espagne. Le 28 septembre, 400 personnes se rassemblent sur le parvis de la cathédrale Saint-Jean à Lyon. Après lecture de textes bibliques, les organisateurs dénoncent l’attitude de l’archevêque, qui s’est contenté d’appeler à la prière sans condamner le régime franquiste23. La veille, à Nantes, des manifestants avaient occupé la cathédrale, retardant le début de la messe qui n’avait pu commencer qu’après leur départ au chant de l’Internationale24.
12Additionnons le tout, malgré les différences et les ambiguïtés : cela fait peu de chose. Où sont donc les liturgies sauvages qui auraient justifié la fronde traditionaliste ? Pour le savoir, le mieux est encore de s’en remettre aux écrits des plaignants. Leurs dossiers à charge sont fournis, mais, curieusement, ils trouvent peu d’offices irréguliers à épingler. Mis à part le cas très particulier de Boquen, ce sont surtout les aumôniers de lycée et d’Action catholique qui sont accusés de profiter de la cohérence et de la convivialité des petits groupes qu’ils animent pour se livrer à de dangereuses improvisations eucharistiques. Celles-ci mettent en doute, aux yeux de certains, la validité du sacrement25, alors que, le plus souvent, on peut simplement trouver à redire d’un point de vue esthétique ou pastoral26.
13Le ressentiment vis-à-vis de ce que Jean-Marie Paupert, passé brutalement de la gauche à la droite de l’échiquier catholique, appelle « la dérisoire piquette de la réforme liturgique27 », tient à quatre griefs bien connus. D’abord l’épuration des lieux de culte, vidés de leur décor ancien pour dévotions privées à la faveur du réaménagement induit par le retournement des autels. Ensuite la généralisation intempestive du français, parfois dans des traductions discutables, le latin s’en trouvant quasiment éliminé de la liturgie. Puis l’hypertrophie de la parole, lourdement didactique ou insidieusement politique, au détriment des gestes et du silence. Enfin, le négligé des célébrations, souligné par la niaiserie des cantiques à la mode. L’ensemble, qui fait système, est perçu comme le signe d’une désacralisation tendancielle qui interroge sur le devenir de la foi.
14Soit, mais qui sont les coupables ? Les mécontents ont leurs têtes de Turc, Martimort, Roguet, Deiss ou Gelineau, mais ceux-ci n’appartiennent pas à la gauche catholique. En relèvent en revanche deux autres cibles favorites, Bernard Besret et Jean Cardonnel, que l’on soupçonne de tenir volontairement un langage suffisamment équivoque pour n’être pas condamnable : Dieu est mort en Jésus-Christ est un titre merveilleusement orthodoxe et qui nierait que le christianisme soit une libération de l’homme28 ? On reproche au cistercien de prendre des libertés avec la liturgie, au dominicain d’y introduire un discours révolutionnaire : deux façons de tourner les têtes des fidèles.
15Pourtant les récriminations ne visent pas tant ces personnalités du monde catholique que le curé ou le vicaire qui, à la base, n’en font qu’à leur idée. « Un peu partout des prêtres se livrent à des improvisations liturgiques les plus ridicules ou parfois les plus dangereuses, déclare Pierre Debray en 1971. […] On laisse n’importe qui faire n’importe quoi dans le sanctuaire. […] Le nouvel ordre de la messe, d’accord, mais pas le nouvel ordre de l’abbé Tartempion29. » L’exaspération tient donc moins à des écarts clairement identifiés qu’à un climat général d’anarchie, malencontreusement entretenu par la lenteur de la réforme liturgique. Claude Barthe suggère fort justement que c’est « un trop long étagement des mutations, de 1964 (messe face au peuple avec de nombreuses parties en langue vernaculaire) à 1974 (nouveau rituel du sacrement de pénitence), durant lequel les suppressions succédaient aux allègements, les abandons aux simplifications, qui a donné aux catholiques l’impression de changements qui ne cesseraient plus30 ». L’invocation répandue de l’esprit conciliaire n’était donc pas sans fondement : les tergiversations romaines pouvaient laisser penser que le concile avait introduit dans l’Église, sinon la révolution permanente, du moins l’expérimentation indéfinie31. « La Constitution sur la liturgie n’a pas fixé un équilibre, mais a créé un mouvement », assurait en 1967 le Père Gy32 : il en est résulté, au jugement feutré de Monique Brulin, un certain nombre de « nuisances », qualifiées plus crûment de « modernichonneries » par Jean-Marie Paupert33.
Gauche communautaire et liturgie
16Si la gauche catholique a eu peu de part dans les modernichonneries de l’abbé Tartempion, cela ne veut pas dire pour autant qu’elle s’est totalement désinvestie des affaires liturgiques. Mais c’est avant tout sa branche communautaire qui s’y est intéressée. Or il s’agit là d’un courant difficile à cerner. Comme il s’est d’abord identifié aux expériences séduisantes de l’abbaye de Boquen, la destitution de Bernard Besret en 1969 l’a fait basculer ipso facto dans le camp des contestataires, lui donnant du même coup, par accident en quelque sorte, une réputation de gauche que rien ne justifiait jusque-là34. Mais ensuite les problèmes propres à la Communion de Boquen ont fait que la question liturgique s’est déplacée vers les communautés de base, qui ont peiné à lui trouver une solution satisfaisante.
17À ne considérer que les célébrations, la grande époque de Boquen court de 1965 à 1969. Pour le dire en quelques mots, la liturgie qui s’y déroule alors est belle, en français et constamment renouvelée. Elle est belle d’abord parce qu’elle s’inscrit dans le cadre d’une magnifique abbatiale au fond de la campagne bretonne, en présence de personnes motivées qui ont choisi d’y venir pour la circonstance : on est loin d’une assistance routinière par obligation dominicale dans l’église ordinaire d’une paroisse quelconque. Elle est belle aussi parce que les célébrants sont soucieux de l’esthétique des offices. Même en 1968, lorsque la communauté se réduit à presque rien après le départ à l’île Saint-Gildas des moines hostiles au nouveau cours des choses, le chœur formé par Bernard Besret, François Chagneau et Dominique Toquet atteint à la perfection, y compris lorsqu’ils improvisent. Et – pourquoi ne pas le dire ? – il y a le look séduisant de ces trois jeunes religieux (ils ont alors respectivement 33, 25 et 23 ans), revêtus de l’ample coule blanche des cisterciens, qui ne laisse pas indifférentes les étudiantes rennaises35…
18La liturgie se fait en français, en application immédiate des autorisations romaines, dès 1965 pour une bonne partie de la messe, fin 1967 pour le Canon. Mais loin de s’en satisfaire, Bernard Besret souligne très vite les difficultés induites par ces traductions qui révèlent brutalement aux participants, soit l’obscurité de ce qu’ils entendent, soit leur inadéquation à ce qu’ils proclament :
« Le souvenir d’Agathe, Perpétue et Félicité, maintenant qu’il ne sera plus noyé dans un débit monocorde de latin mal prononcé, risque vite de devenir lancinant, et la traduction du Canon dans son intégrité, une nouvelle source de souffrance.
Il en va de même du rite de communion. Le fait de pouvoir dire avec le prêtre : “Seigneur, je ne suis pas digne de te recevoir” ne fera qu’accentuer l’absence de plénitude du signe de la communion. Là encore l’expérience quotidienne de la concélébration a ravivé en nous une souffrance que des siècles d’habitude avaient anesthésiée36. »
19Dans sa fameuse conférence du 20 août 1969, le prieur revient sur les conséquences décisives de ce changement de langue : « Ces paroles que nous prononcions, ces gestes que nous posions, ou bien ils exprimaient une vie, ou bien ils sonnaient faux. Pour être honnête, il fallut donc ou bien changer les mots, ou bien changer la vie, et le plus souvent changer les deux37. » Changer les mots, avec un réel talent, c’est ce que fait François Chagneau dans Reste avec nous, le recueil de textes qu’il publie en 1969 pour aider à la prière personnelle ou communautaire38.
20Le constant renouvellement de la liturgie relève de la même exigence de vérité. « Une célébration est avant tout l’expérience vécue par un groupe, une communauté, une assemblée, explique Bernard Besret. […] Les formes d’une célébration coupées de la réalité qu’elles doivent signifier, ne sont plus une célébration. » Boquen s’adapte donc aux variations quantitative et qualitative de son public, ce qui donne à ses offices un aspect aléatoire, qui déconcerte ou trouble quelques participants, mais que le prieur déchu justifiera encore, quelques années plus tard, sans méconnaître les difficultés :
« Quel est le but de la célébration ? Que l’assemblée s’exprime elle-même, telle qu’elle est, ici et maintenant ? Ou bien n’est-il pas au contraire nécessaire qu’elle éveille sa conscience à ce que Dieu lui propose d’être et qui serait exprimé, en quelque sorte objectivement, dans la révélation ? La première option risque fort de mener à des célébrations teintées de narcissisme collectif, la seconde au contraire suppose une conception simpliste de nos rapports avec Dieu et conduit à des célébrations de type purement didactique, marquées par le clivage entre enseignants et enseignés.
Ce sont bien sûr deux caricatures, mais la réalité dépasse parfois la caricature qu’on veut en donner. Dans la mesure où nos célébrations sont très libres, il nous arrive à Boquen de connaître ces deux tentations et d’y céder parfois jusqu’à la caricature. C’est que la troisième voie est difficile à tenir.
Lorsque des fidèles de Jésus se rassemblent, ce n’est pas seulement pour se dire (il y a d’autres lieux pour une thérapie de groupe), mais ce n’est pas non plus pour s’entendre asséner une bonne nouvelle qui leur serait comme extérieure et étrangère39. »
21Reste que, dans ce subtil balancement, Boquen penche plutôt du premier côté, parce qu’il s’agit de promouvoir une liturgie festive à l’encontre du ritualisme dominant qui porte à considérer l’assemblée comme « la simple juxtaposition d’un certain nombre d’individus se retrouvant ensemble, à un moment donné, pour satisfaire à une obligation légale d’ordre spirituel40 ». Dès lors, l’expérience tend à prévaloir sur la norme, ce qui peut induire, chez certains observateurs, le sentiment d’une liturgie sauvage. Le recueil de François Chagneau inclut deux « prières pour des agapes fraternelles » qui font figure de propositions alternatives aux formules officielles de consécration eucharistique. « À la limite, si l’assemblée est une véritable communion dont le lien de cohésion est l’Esprit, tous les moyens techniques auront tendance à s’estomper pour laisser place à une improvisation collective dont le dire (bien qu’avec d’autres mots) ne sera pas différent de celui des Écritures41. » L’esprit, dans tous les sens du terme, l’emporte donc sur la lettre. « Les critères académiques ne sont pas premiers, mais l’authenticité », résume Bernard Besret, qui déplore « la conception rigide et fixiste de la liturgie42. » L’instruction Tres abhinc annos du 4 mai 1967 sur l’application de Sacrosanctum Concilium lui laisse espérer à terme à une « loi-cadre » plutôt qu’une réglementation tatillonne : « Pour être liturgique, une célébration n’a plus à être prédéterminée dans tous ses détails par les instances supérieures de la hiérarchie. Le temps est définitivement révolu des discussions casuistiques sur la gravité de l’omission de quelques mots43. » La suite, on le sait, décevra cette attente.
221970 est un tournant. C’est l’année où l’ex-prieur, rappelé à l’abbaye par son successeur Guy Luszenszky, formalise le projet de la Communion de Boquen. Fin octobre, à Bourges, au rassemblement des communautés de base, il en appelle – on l’a vu – à un christianisme qui ne soit pas seulement critique et politique, mais aussi lyrique. Ceux qui se pressent à Boquen, cette année-là, décrivent encore « le bonheur d’une exaltation commune44 ». Mais ensuite, progressivement, les choses basculent. Bernard Besret est moins présent, François Chagneau et Dominique Toquet s’en vont, et Guy Luszenszky n’a pas le même charisme : l’atmosphère n’est plus aussi festive, les offices s’enlisent dans l’intellectualisme. Pourtant la période précédente n’était pas elle-même sans ambiguïtés, lucidement analysées par Bernard Besret quelques années plus tard, alors qu’il a quitté Boquen et abandonné la vie monastique :
« Nous avions mis sur pied un lieu d’extraordinaire créativité liturgique. Nous étions capables de créer un climat émotif de qualité mais non d’inventer une véritable pédagogie de la foi. […] J’ai pris peu à peu conscience que je consacrais mes forces beaucoup plus au conditionnement psychologique de ceux qui venaient ici qu’à l’essentiel. L’essentiel étant de savoir au nom de qui nous nous rassemblions et, si c’était au nom de Jésus, ce que cela signifiait45… »
23Mais précisément la dimension des assemblées dominicales n’était pas adaptée à de telles vérifications sur l’essentiel. Dès lors qu’elle faisait abbatiale comble, la virtuosité liturgique de Boquen était à son apogée, et en même temps, fatalement, elle sonnait faux : l’exigence d’authenticité impliquait de célébrer dans des groupes plus restreints, les communautés de base.
24Sur la pratique liturgique de celles-ci, l’information est lacunaire et, lorsqu’elle existe, d’une exemplarité incertaine. Mais l’impression générale est que l’on y trouve moins de témoignages de satisfaction que d’aveux d’impuissance, et moins d’exemples d’innovation que de preuves de conformisme. Dans ces groupes de taille modeste (dix à quinze personnes), instables et souvent éphémères, majoritairement urbains et surtout composés d’étudiants ou de jeunes adultes d’origine petite-bourgeoise appartenant à des professions intellectuelles ou libérales, le débat sur l’eucharistie est récurrent. Prenons un exemple, celui de la communauté de Vincennes-Saint-Mandé, bien documenté par un article et la controverse qu’il suscite dans la Lettre en 1973. Au point de départ, comme souvent, une insatisfaction face à une offre paroissiale qu’on échoue à réformer, et donc « le besoin de vivre et d’exprimer notre foi autrement qu’en s’engueulant avec de “vieux chrétiens fatigués” ». Après divers tâtonnements le groupe se stabilise à une douzaine de personnes, dont un prêtre, adopte une liturgie « plus informelle » et simplifie la célébration de l’eucharistie. Mais la question se pose bientôt de la place spécifique du prêtre : « Pourquoi ne pas célébrer en son absence ? » Après une longue réflexion, il est décidé de « célébrer communautairement », en récusant la conception « quasi magique » qui fait de la présence d’un prêtre la condition de validité du sacrement : « Pour nous, c’est la foi de la communauté rassemblée qui assure la réalité du sacrement46. »
25Une telle audace pneumatique suscite une vive réaction d’Annie Jaubert, exégète, collaboratrice d’Henri-Irénée Marrou à la Sorbonne, qui s’élève contre la radicalisation de l’esprit centrifuge paulinien au détriment de la fonction centripète pétrinienne : « Une communauté ne saurait ni célébrer elle-même ni se fabriquer des ministres à l’encontre des responsables actuels de l’Église. » Elle suggère donc de s’en tenir à des « agapes » non eucharistiques, concluant sévèrement qu’il « n’y a pas d’avenir pour les sectes47 ». Cette lettre est « d’un autre univers », réagit une lectrice, employée de bureau et militante dans son quartier : « Elle rassemble tout le vocabulaire ambigu qui ne veut rien dire aux hommes d’aujourd’hui. » Et de dresser un réquisitoire contre « l’Église-Institution, telle qu’elle se présente aujourd’hui, s’annonçant elle-même, annonçant ses structures, ses règlements avant l’Évangile », pour terminer sur un congédiement brutal : « Il y a tant à faire partout pour essayer de faire régner un tout petit peu plus de justice, que je ne me sens pas le droit de passer plus de temps à ce sujet48. »
26Cette polémique est instructive et fournit une trame commode. S’il arrive que tous les participants prononcent ensemble les paroles de la consécration, la célébration sans prêtre est une frontière rarement franchie, et la plupart de ceux qui la franchissent prennent en effet la précaution de parler d’agapes et non d’eucharistie, ce qui est, au jugement de Danièle Léger, « un bon test du caractère intra-ecclésial de la contestation développée par beaucoup de communautés de base49 ». On se hasarde encore moins à modifier le rite, tant semblent fortes les « barrières psychologiques qui s’opposent à tout “coup de force” dans un domaine “sacré” par excellence50 ». Cette répugnance favorise, au moment de la consécration, des attitudes convenues, gênées, généralement compassées, qui introduisent dans l’assemblée le sentiment d’une désagréable solution de continuité : « C’est comme si l’on revêtait un personnage, on changeait de registre », explique un membre de la communauté d’Albertville51. Du coup la tentation est grande d’amplifier la liturgie de la parole, où l’on se sent autorisé à prendre des libertés. Mais elle devient le prétexte à d’inévitables et trop prévisibles actualisations – domestiques ou politiques – des textes bibliques, qui finissent par lasser autant qu’Agathe, Félicité et Perpétue. Du point de vue liturgique, il y aurait à réfléchir au contraste entre cette paralysie des communautés de base engluées dans l’inflation discursive, et la libération émotionnelle des premières communautés charismatiques que la glossolalie affranchit opportunément de l’intellectualisme52.
27Souvent décevantes, les célébrations des communautés de base n’en offrent pas moins à leurs participants la satisfaction d’être entre eux, avec le clergé qui leur convient. Jean Séguy a justement attiré l’attention sur ce renversement des usages ecclésiaux :
« On refuse un ministère imposé administrativement. C’est tel prêtre choisi par les membres de l’assemblée qui célèbre, dans la forme et aux intentions qu’ils ont décidé. La régulation du sacrement, forteresse de la spécificité sacerdotale, passe ainsi – quelles que soient les modalités du rite – du ministre aux “bénéficiaires”. C’est dire qu’il n’y a plus de consommateurs laïcs, mais des laïcs qui se font servir, des laïcs qui régulent les sacrements53. »
28Les voilà donc maîtres de leur pratique liturgique, et même s’ils n’en profitent pas, comme on vient de le voir, ils sont toujours en position de le faire, ce qui explique l’agacement de leurs adversaires. Tout joueur d’échecs le sait : la menace est plus forte que l’exécution.
29Reste la pointe finale de la lettre de l’employée de bureau : un certain nombre de chrétiens de gauche considèrent les problèmes liturgiques comme des problèmes secondaires. La situation de la gauche catholique française se caractérise en effet par la tension entre un courant qui prend au sérieux l’expérimentation religieuse, à l’image de l’Underground Church popularisée aux États-Unis par Malcolm Boyd et William Hamilton54, et un autre qui privilégie le combat politique et lui sacrifie ou lui subordonne la question religieuse, à l’instar du mouvement radical qui s’exprime en Allemagne de l’Ouest, notamment autour de Rudi Dutschke55.
Gauche politique et liturgie
30La meilleure manière d’appréhender le point de vue de ceux qui, au sein de la gauche catholique, donnent la priorité à l’action politique, est sans doute de suivre le découpage chronologique établi par Guy Goureaux, le fondateur et principal animateur du Cercle Jean XXIII de Nantes, fondé en 1963 et vraiment actif jusqu’en 197856. Après avoir indiqué d’emblée que « la liturgie n’a jamais été une préoccupation première au Cercle », il distingue nettement quatre périodes qui ont, grosso modo, valeur générale.
31La première, qui court de 1963 à 1967, est marquée par une attente passive, en quelque sorte, des effets du renouveau conciliaire. Le Cercle Jean XXIII, dont les membres ont en commun le choix du socialisme et de la laïcité, s’est fait une spécialité de la lutte contre l’école catholique, fortement implantée dans l’Ouest, et il y consacre tous ses efforts. Aux yeux des militants, « le bricolage liturgique des paroisses et les tentatives de rénovation (en particulier les recherches de cantiques) sont sans intérêt ». On continue de fréquenter sa paroisse et lorsqu’il y a une rencontre au Cercle « on célèbre classiquement ». Cette indifférence semble assez commune, et dans les milieux gauchistes elle durera longtemps : au lendemain de l’assemblée de Rouen, Jean-Pierre Perrin-Martin déplore que les chrétiens engagés dans la lutte des classes ne pensent pas à « organiser eux-mêmes leur liturgie57 », et, en 1976 encore, Cité nouvelle, organe des chrétiens marxistes, note que « personne ne semble se préoccuper de liturgie58 ».
32La lenteur des réformes finit pourtant par susciter une impatience qui se manifeste à Nantes, dès 1967, par des initiatives dissidentes. Les liens tissés localement avec la Fraternité protestante pour une veillée de prière contre la guerre au Vietnam et des carêmes œcuméniques, débouchent tout naturellement sur des intercommunions, pratiquées sans état d’âme et sans tapage médiatique : on célèbre les uns chez les autres, sans être préoccupé outre mesure par la validité canonique de l’opération. Mais la répétition de cet œcuménisme sauvage induit chez les catholiques les questions dérangeantes que l’on a déjà évoquées sur la fonction sacerdotale et la signification de l’eucharistie : « Qui célèbre ? celui qui préside ? la communauté dans son entier ? Qu’est-ce qui est important : les “Saintes Espèces” ou le rassemblement ? » L’abbaye de Boquen étant relativement proche, la destitution de son prieur contribue à développer l’attention à ces problèmes, même si la solidarité qui s’exprime en la circonstance est motivée avant tout par la défense du droit à la liberté d’expression dans l’Église.
33Un pas nouveau est franchi en 1970 avec la constitution de plusieurs communautés de base dont les membres se regroupent sur la base d’options politiques ou syndicales et de préoccupations communes : plus que l’exaspération devant la médiocrité des messes postconciliaires, le motif déterminant est ici le rejet de la fiction des « communautés » paroissiales dont le public est traversé par des antagonismes pieusement occultés. « Le discours religieux des liturgies traditionnelles dépasse le politique sans y être passé », explique en 1971 un article de la Lettre : c’est donc parce qu’il se sent « inévitablement floué, récupéré politiquement », que le chrétien de gauche finit par quitter sa paroisse59. Pour quoi faire ? À Nantes, les eucharisties, associées à un repas, mais clairement séparées de celui-ci, transgressent les règles canoniques puisque des protestants ou des prêtres mariés y participent. Cependant, comme dans les autres communautés de base, elles restent « assez traditionnelles », la recherche principale étant celle d’une simplification du rituel. Cette épuration soulage, mais il manque une recharge symbolique, et « assez vite » la lassitude s’installe : « Plus la célébration était sobre, plus elle s’éloignait des normes officielles, plus on s’interrogeait sur son sens réel. Force a bien été de constater que nous n’arrivions pas à réaliser ce que nous espérions : relier ces célébrations sans artifice à la vie, au travail et au militantisme quotidiens. »
34En 1974, le désarroi est d’autant plus grand que Boquen est en pleine crise – Bernard Besret s’en va – et que Taizé déçoit. La Lettre publie de sévères critiques du grand rassemblement de Pâques 74 sur la colline bourguignonne. L’un déplore « une liturgie très traditionnelle dans son mouvement malgré une apparence de “modernité”, une assemblée restant centrée sur un théâtre de “moines-figurants”, […] des chants aux contenus surannés et qu’il faut chanter sans réfléchir aux paroles… ». D’autres stigmatisent une « prière de type archaïque, choquant la sensibilité moderne (la procession et l’adoration de la Croix : quelle magie !…), réintroduisant, grâce à un cadre non-conformiste (vêtement quelconque, cheveux longs, on s’assied par terre…) des modes de prière des plus conservateurs »60. L’épuisement interne des communautés de base et la désillusion des deux grands modèles alternatifs auxquels beaucoup avaient, en quelque sorte, délégué les questions liturgiques, aboutissent donc à un enlisement religieux de la gauche catholique, et cela à un moment où la division entre réformistes et révolutionnaires témoigne de ses difficultés politiques.
35C’est cette concomitance d’une paralysie religieuse et d’une crise politique qui ouvre la dernière période. Et paradoxalement, de 1974 à 1978, la liturgie devient tout d’un coup, pour les chrétiens marxistes, une cible de choix dans le cadre du combat contre une Église pensée, selon l’analyse de Louis Althusser, comme un « appareil idéologique d’État ». Tout se passe alors comme si le gauchisme catholique, enfermé dans une impasse politique, trouvait une raison de persévérer dans l’ouverture d’un « front de lutte » liturgique contribuant à l’affaiblissement de l’État bourgeois. Au demeurant, ce front s’anime, ces années-là, du fait du développement de l’affaire Lefebvre et de la querelle sur la religion populaire61. Il faut noter également que cette inflexion coïncide avec le développement des lectures matérialistes de la Bible, autour des travaux de Fernando Belo et de Michel Clévenot, dont les motivations et les présupposés sont à peu près les mêmes. La nouvelle ligne devient visible en 1975, lorsqu’un militant lyonnais, Jean Guichard, publie, en collaboration avec le Père Christian Duquoc, un ouvrage sur le rapport entre Politique et vocabulaire liturgique62, ce qui est aussi le thème d’une session organisée fin août près de Nantes par le Cercle Jean XXIII et dont la quarantaine de participants s’accordent sur une motion finale qui se veut mobilisatrice (document 2).
Document 2. Communiqué du Cercle Jean XXIII, 31 août 197563
Les participants de la session « Langages liturgiques et politique » rassemblés à La Hilière, à l’appel du Cercle Jean XXIII, constatent l’échec des tentatives actuelles de réformes liturgiques. Elles n’ont été en fait que l’occasion de mystifier les fidèles, faute de prendre en compte la lutte des classes.
Les participants constatent la complète contradiction entre leur pratique militante socialiste et la liturgie officielle, celle-ci véhiculant l’idéologie de la classe contre laquelle ils sont en lutte quotidiennement. Ils veulent sortir de l’impasse dans laquelle s’est enfermée l’institution ecclésiale et dominer le malaise qu’ils éprouvent en présence des liturgies actuelles dans les paroisses ou autres communautés des institutions ecclésiales.
Les participants se proposent (dans leurs communautés respectives) de continuer à rechercher des formes d’expression de leur foi qui soient conformes au climat socio-culturel et politique de notre époque. Ils considèrent que l’enjeu de leur lutte est indissociablement politique et de l’ordre de la foi.
Ils appellent toutes les communautés chrétiennes à entreprendre des recherches identiques et à prendre sans tarder des initiatives publiques en ce sens, afin que d’un tissu de communautés témoignant de leur foi, chacune à leur façon, renaisse une Église vivante d’où sera bannie toute forme d’oppression. De telles initiatives doivent s’inscrire dans une stratégie d’ensemble visant à modifier radicalement les rapports de pouvoir, donc à décléricaliser l’Église et à redonner au peuple chrétien, à la recherche d’une libération collective, l’initiative de l’interprétation de la Parole.
36Les reproches faits à la liturgie « bourgeoise » qui se pratique dans les paroisses sont au nombre de quatre. Le premier est de proclamer l’égalité devant Dieu tout en faisant bon marché des contradictions sociales qui divisent les fidèles. Le second est de maintenir une division radicale entre clercs et laïcs, ces derniers étant réduits à assister à la messe ou à y remplir des tâches subalternes et de simple exécution. Le troisième est d’abuser de termes affectifs qui, à force d’effusions de ferveur, mystifient la réalité et détournent de l’action. Le quatrième, résumant et justifiant les trois autres, est d’avoir transformé le partage eucharistique de l’Évangile en saint sacrifice de la messe. On invoque les travaux de Fernando Belo64 pour montrer comment
« la liturgie du Jeudi saint, l’institution de la Cène eucharistique, qui traçait un programme de partage du pain, de rassasiement concret des foules, avait été déviée en symbolisme de la mort du Christ prévue de toute éternité, où la mort culturelle de la victime sacrée se substitue au meurtre politique, effet de l’injustice et de la violence. À partir de là, la pratique chrétienne deviendra non plus une lutte avec les pauvres et un partage du pain, mais une célébration plus ou moins morbide de la mort salvatrice65. »
37Sur tous ces points, la liturgie conciliaire n’est guère épargnée. Les chrétiens marxistes lui reprochent moins son indigence esthétique que sa nocivité politique, car il ne suffit pas de « changer de langage » pour effacer la lutte des classes et rendre possible la célébration : au contraire, il faut « assumer aussi la contradiction à ce niveau des symboles liturgiques »66. Jean et Colette Guichard élaborent un étonnant tableau des conditions économiques, politiques et idéologiques de possibilité d’une célébration liturgique en fonction des rapports de classes (document 3).
38Insistant, dans la ligne du marxisme althussérien, sur l’autonomie de l’idéologie68, ils concluent qu’il n’y a « pas en soi d’impossibilité théorique de célébrer une liturgie dans une situation de contradiction (avec un adversaire de classe, un adversaire politique) », mais que le langage symbolique « est nécessairement le langage hégémonique d’une des forces en présence ». Leur analyse du champ liturgique rejoint logiquement celle du champ théologique qu’exposent au même moment les théologiens de la libération69 : il n’y a pas de liturgie neutre, mais une liturgie dominante et une liturgie dominée ; il ne s’agit donc pas d’élaborer une liturgie moderne mais d’opérer une révolution de la liturgie, en opposant à la liturgie bourgeoise une liturgie populaire. La pointe du propos, c’est d’affirmer que les chrétiens de gauche qui ont rejoint le PSU ou le nouveau Parti socialiste, et dont beaucoup abandonnent la pratique religieuse ou s’accommodent de la liturgie conciliaire, font une erreur politique : « La désertion du terrain “symbolique” conduit tout droit au réformisme70. »
39Mais de la théorie à la pratique il y a un écart, que les meilleures volontés peinent à combler. Les communautés de base touchent peu de monde et, même quand la motivation politique s’en mêle, elles manquent d’imagination liturgique ou n’osent pas en avoir. La désacralisation de l’eucharistie se limite le plus souvent à une mise en scène : banalisation du cadre (un salon ou une salle à manger), des objets (un verre tient lieu de calice), de la forme (la miche de pain à la place de l’hostie) et du son (guitare, chants profanes au lieu de cantiques). Tout cela est volontiers rapporté avec quelques formules provocatrices à faire tomber de sa chaise le plus modéré des intégristes – « il élève son verre, tout le monde trinque71 » – mais il y a comme un alignement réflexe sur les structures classiques72. Le principal problème tient à ce que la volonté d’articuler liturgie et actualité militante oblige à une constante invention, alors que le rite est répétition, et à une perpétuelle réinterprétation symbolique, alors qu’il fonctionne à la reconnaissance immédiate d’un réalisme sensible73. Plus fâcheux encore, cela suppose d’avoir les mots pour le dire : la promotion supposée de la célébration populaire dépend du capital culturel d’une élite petite-bourgeoise74.
40Le paradoxe du discours liturgique des chrétiens marxistes est donc qu’il se fracasse précisément sur la cause qu’il prétend servir : son peuple imaginaire vient se heurter à la réalité du peuple chrétien. Au cours de leurs « travaux pratiques », les participants à la session du Cercle Jean XXIII achoppent sur le culte de Notre-Dame de Fatima, qui a ses adeptes dans les milieux ouvriers de l’immigration portugaise : « Il y a quelque chose à tirer de là », conviennent-ils, sans arriver à déterminer quoi75. Cette impasse est au cœur d’une critique incisive de Politique et vocabulaire liturgique, dans laquelle André Rousseau, en bon disciple de Bourdieu, s’étonne que les auteurs puissent manier leur scalpel linguistique sans se préoccuper de « l’usage social des mots ». Il observe que « si une analyse interne du discours liturgique est utile, elle eût en tout cas été mieux fondée une fois subordonnée à une analyse sociologique des relations dans lesquelles ce discours est produit, divulgué, consommé », ajoutant que « c’est moins par son contenu (à la limite il peut être incompréhensible) que par la reconnaissance qui lui est accordée » que le discours religieux « remplit des fonctions politiques ». L’exécution s’achève cruellement :
« Nous pensons même que les auteurs font une erreur politique lorsqu’ils privilégient tout au long de leur dossier l’innovation symbolique et linguistique (cf. la fête, la “dépense”), c’est-à-dire une certaine virtuosité culturelle, là où l’on attendrait une réflexion un peu serrée sur les mécanismes qui assurent la distribution entre les classes sociales de la connaissance et de la reconnaissance de la langue religieuse légitime76. »
*
41Finalement, mythe ou réalité ? Si l’on s’en tient strictement à l’idée d’une transgression des normes, je ne crois pas, exploration faite, qu’il y ait eu beaucoup de liturgies sauvages dans le catholicisme français entre 1965 et 1978. S’il y en a eu, elles me semblent avoir été surtout domestiques, notamment au sein des communautés de base, et portées à la connaissance d’un public restreint dans des revues ou des bulletins confidentiels. Et si la contestation ambiante portait sans doute à en susciter, l’indécision de Rome et la lenteur consécutive des réformes rendaient fort imprécise la frontière du permis et du défendu. J’incline donc à penser, comme Serge Bonnet, que la crise catholique des sixties et des seventies a plutôt produit de la régression que de la transgression77. Mais si l’on mesure la civilisation des mœurs liturgiques comme on le fait des bonnes manières dans les salons, on trouvera assurément quantité de liturgies sauvages dans les paroisses urbaines où le clergé s’est essayé, avec plus ou moins de bonheur et de bon sens, à la pédagogie eucharistique. Et s’il y a eu des gens scandalisés, à tort ou à raison, c’est à ce niveau-là. La réponse à la question initiale renvoie donc à l’étalonnage du baromètre.
42En toute hypothèse, les chrétiens de gauche n’ont pas joué, sur ce terrain liturgique, le rôle qu’on leur suppose. La plupart, absorbés par leur engagement politique, n’y ont prêté qu’une attention distraite, quand ils ne sont pas restés totalement indifférents à ces « luttes entre une droite intégriste et un centre réformiste78 ». Sans doute, la conformité canonique minimale maintenue ne saurait dissimuler le conflit des interprétations : l’eucharistie de gauche est un partage fraternel, quand celle de droite est un saint sacrifice. Reste que, longtemps, ce n’est qu’à Boquen que l’enjeu liturgique a été pris au sérieux, et Bernard Besret n’a cessé de déplorer qu’un christianisme politique ne fût pas aussi un christianisme lyrique. Mais le sens de la fête n’était assurément pas le point fort de ces milieux, souvent paralysés par leur intellectualisme. Il a fallu qu’ils perçoivent la liturgie comme question politique pour qu’ils s’y intéressent enfin, avec autant de sagacité critique que de pauvreté imaginative. À de rares et éphémères exceptions près, la gauche catholique, absente ou protestataire, n’a donc guère proposé une autre liturgie. En 1976, Philippe Warnier, fin psychologue, se demandait si cette acceptation de l’existant par bon nombre de militants ne venait pas, « outre la force écrasante de l’habitude, […] de ce que la vie religieuse constitue malgré tout pour eux un refuge, un lieu d’hygiène intérieure où les conflits de la vie militante sont évacués durant quelques instants79 ». La messe est aussi le repos du guerrier, même révolutionnaire.
Notes de bas de page
1 Courriel de Bruno Dumons à Yvon Tranvouez, 7 mars 2012.
2 J’ai été membre de l’équipe de rédaction de la Lettre au début des années soixante-dix, et j’ai effectivement conservé nombre de documents fragiles de l’époque : programmes, circulaires, comptes rendus de réunions, etc.
3 Lafage Franck, Du refus au schisme. Le traditionalisme catholique, Paris, Seuil, 1989, p. 50.
4 Je reprends les chiffres de Robert Serrou, qui sont ceux qui ont circulé à l’époque (Dieu n’est pas conservateur. Les chrétiens dans les événements de mai, Paris, Robert Laffont, 1968, p. 57). Grégory Barrau, qui renvoie à un entretien avec Robert Davezies, évoque 70 participants (Le Mai 68 des catholiques, Paris, Éditions de l’Atelier, 1998, p. 87). Voir aussi Raison du Cleuziou Yann, « L’intercommunion de la Pentecôte : une subversion religieuse », in Denis Pelletier et Jean-Louis Schlegel (dir.), À la gauche du Christ. Les chrétiens de gauche en France de 1945 à nos jours, Paris, Seuil, 2012, p. 317-319.
5 Voir le texte de la lettre ouverte des 61 et celui du communiqué de l’archevêché dans le dossier sur « L’intercommunion : théorie et pratique des Églises », IDOC-International, no 2, 15 mai 1969, p. 62-63.
6 Ricœur Paul et Laurentin André, « La concélébration eucharistique de la Pentecôte », Lettre, no 118-119, juin-juillet 1968, p. 43-46.
7 Selon le récit du correspondant local d’Ouest-France, l’assemblée « sut n’être que religieuse en dépit des circonstances qui l’avaient revêtue d’un caractère d’une exceptionnelle gravité » (Legrand André, Boquen. Les chemins de l’automne, Saint-Brieuc, SOFEC, 1976, p. 58).
8 Besret Bernard, De commencement en commencement. Itinéraire d’une déviance, Paris, Seuil, 1976, p. 69.
9 Cotta Michèle, Duquesne Jacques, « L’Express va plus loin avec Bernard Besret », L’Express, 22-28 décembre 1969.
10 Mgr Gouyon à Bernard Besret, 9 janvier 1970, Centre de recherche bretonne et celtique, Fonds Abbaye de Boquen-Bernard Besret, ABB24 C3980.
11 Lebel Béatrice, « De Bourges 1970 à Rennes 1972 : la Communion de Boquen au cœur de la crise catholique », in Yvon Tranvouez (dir.), Requiem pour le catholicisme breton ?, Brest, CRBC, 2011, p. 220.
12 Biot François, « Réflexions sur Rennes », Notre Combat, no 55, avril-mai 1972, p. 19.
13 Le litige porte moins sur la liturgie que sur l’hospitalité eucharistique accordée aux divorcés remariés, aux prêtres mariés, voire à des non baptisés, ce qu’une émission télévisée de janvier 1971 sur « l’Église de demain » avait rendu public.
14 Compte rendu de la session des 9 et 10 mai 1972 des évêques de la Région apostolique Ouest, Archives de l’évêché de Vannes, 1D133. Ce document m’a été amicalement communiqué par Frédéric Le Moigne, dont on lira, pour éclairer le contexte : Le Moigne Frédéric, « Vincent, François, Paul et les autres… Les évêques face à la crise de la chrétienté bretonne », in Yvon Tranvouez (dir.), La Décomposition des chrétientés occidentales, 1950-2010, Brest, CRBC, 2013, p. 143-158.
15 Pour un balisage de ces rassemblements, voir Tranvouez Yvon, « Géographie de la gauche catholique », dans D. Pelletier D. et J.-L. Schlegel (dir.), op. cit., p. 495.
16 Propos cité par Schreiner Bernard, « Pour une Église solidaire de la libération des hommes », Notre Combat, no 45-46, janvier-février 1971, p. 39.
17 de Grauw Pierre, « Réflexions sur une rencontre », Notre Combat, no 45-46, janvier-février 1971, p. 47.
18 Notre Combat, no 92, octobre 1976, p. 48.
19 Woodrow Alain, « 40 000 jocistes ont crié leur espérance en un avenir meilleur », Informations catholiques internationales, no 460, 15 juillet 1974, p. 4. « La messe était conforme aux règles liturgiques », me confirme le célébrant, l’abbé Jean Miossec, aumônier national de la Joc à l’époque (courriel de Jean Miossec à Yvon Tranvouez, 11 novembre 2013).
20 Voir Davezies Robert, Mai 68. La rue dans l’Église, Paris, Éditions de l’Épi, 1968, p. 19.
21 Serrou R., op. cit., p. 53.
22 « 300 chrétiens à la porte du Sacré-Cœur », Lettre, no 152, avril 1971, p. 27. Lecuir Jean, « La Commune et l’Église », Lettre, no 153-154, mai-juin 1971, p. 3-17.
23 « La prière devient indécente quand elle devient prétexte à ne rien faire », déclarent les manifestants (Guichard Jean et Colette, « Célébration lyonnaise », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes. Symbolique et politique, Paris, IDOC-France/L’Harmattan, 1976, p. 121).
24 « Nantes : occupation de la cathédrale », Cité nouvelle, no 573, octobre 1975, p. 8. Commentaire provocateur d’un participant : « La célébration a bien eu lieu, mais les célébrants n’étaient point les perturbés, mais les perturbateurs » (propos cité par Ricot Jacques, « Liturgie et politique », Lettre, no 224, avril 1977, p. 19).
25 Dans les centaines de lettres adressées au curé de Morlaix, entre 1970 et 1982 par une paroissienne hostile aux réformes conciliaires, l’obsession de la validité des sacrements est récurrente : voir Loarer Agnès, Le Traditionalisme à la base : les lettres de la Chouanne (Morlaix, 1970-1982), maîtrise d’histoire, université de Bretagne Occidentale, 1998.
26 Guy de Lassus a rapporté ainsi son désarroi quand, en 1970, au cours d’un voyage en Égypte avec la Conférence Olivaint – regroupant des étudiants des grandes écoles encadrés par des jésuites – l’aumônier avait « célébré la messe pour le groupe dans sa chambre d’hôtel, avec des morceaux de pain ramenés du restaurant de l’hôtel et avec un verre à dents » (« Un jeune laïc français dans la tourmente postconciliaire », in Jean-François Galinier-Pallerola, Augustin Laffay et Bernard Minvielle (dir.), L’Église de France après Vatican II, Paris, Parole et Silence, 2011, p. 96). Combien d’aumôniers scouts ont dû faire face, longtemps avant, à semblables indignations ? Sans parler du Père Fillère, fondateur de L’Homme Nouveau, prêt à bien des audaces liturgiques…
27 Paupert Jean-Marie, Péril en la demeure. Récits et rétractations, Paris, France-Empire, 1979, p. 310.
28 Cardonnel Jean, Dieu est mort en Jésus-Christ, Bordeaux, Éditions Ducros, 1968. Besret Bernard, Libération de l’homme, Paris, Desclée de Brouwer, 1969.
29 Debray Pierre, Discours de clôture de l’assemblée européenne des Silencieux de l’Église à Strasbourg, 7 novembre 1971, Les Silencieux de l’Église prennent la parole, no 24, janvier 1973, p. 11.
30 Barthe Claude, Trouvera-t-Il encore la Foi sur la terre ? Une crise de l’Église : histoire et questions, Paris, François-Xavier de Guibert, 1996, p. 172.
31 « Je regrettais la contradiction des textes qui souvent disaient “on pourra…, toutefois…”, car cela permettait à chaque vicaire d’improviser au gré de ses fantaisies. Le mot d’ordre qui circulait dans les discours cléricaux était : “expérimentez”, ce qui était la porte ouverte à n’importe quoi dicté par les motifs les plus généreux jusqu’aux plus stupides (“faire jeune”) » (De Lassus G., loc. cit., p. 95).
32 Gy Pierre-Marie, « Situation historique de la Constitution », in Jossua Jean-Pierre et Congar Yves (dir.), La Liturgie après Vatican II, Paris, Cerf, 1967, cité par Brulin Monique, « Les mutations liturgiques en France (1965-1975) », in J.-F. Galinier-Pallerola et alii (dir.), op. cit., p. 115.
33 Brulin M., loc. cit., p. 125. Paupert J.-M., op. cit., p. 237.
34 On sait notamment que Bernard Besret a tenu une chronique du concile dans Aspects de la France.
35 Sur cette période, voir Tranvouez Yvon, Catholicisme et société dans la France du XXe siècle. Apostolat, progressisme et tradition, Paris, Karthala, 2011 (chapitre 11, « La route de Boquen ») et surtout Lebel Béatrice, Boquen. Entre utopie et révolution, 1965-1976, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2015.
36 Besret Bernard, « Vers une nouvelle conception de la liturgie », Signes du temps, juin 1967, repris dans Propos sur la liturgie, Paris, Éditions de l’Épi, 1970, p. 23.
37 Besret Bernard, Boquen, hier, aujourd’hui, demain, Paris, Éditions de l’Épi, 1969, p. 13. Même constat chez le théologien hollandais Ton Veerkamp : « On a vite découvert qu’on faisait plus que traduire, plus que faire de l’aggiornamento, plus que mettre à jour une réalité pré-établie ; une discussion sur l’essence de l’Eucharistie s’est presque immédiatement engagée. En ne faisant que modifier des formes accidentelles, on a découvert qu’on ne savait plus quelle était la nature de l’Eucharistie » (Veerkamp Ton, « La destruction du temple », IDOC-international, no 36, 15 décembre 1970, p. 77).
38 Chagneau François, Reste avec nous, Paris, Desclée, 1969 (préface de Bernard Besret « ex-Prieur de Boquen »).
39 Besret Bernard, « Pour qu’il y ait célébration », Paroisse et Liturgie, 1974/1, p. 3 et 6. Il s’agit en fait de la reprise d’un texte donné pour le cours no 9 (1972-1973) de Formation œcuménique interconfessionnelle, « Comment prier aujourd’hui ? », du Centre Saint-Irénée. Je remercie le Père René Beaupère, directeur du Centre Saint-Irénée, de m’avoir fourni cette précision dans un courriel du 28 novembre 2013.
40 Chagneau F., op. cit., p. 11-12.
41 Besret B., « Pour qu’il y ait célébration », loc. cit., p. 6.
42 Besret B., respectivement dans « Pour qu’il y ait célébration », loc. cit., p. 4, et « Vers une nouvelle conception de la liturgie », loc. cit., p. 24.
43 Besret B., « Vers une nouvelle conception de la liturgie », loc. cit., p. 25.
44 de Grauw Georgine et Pierre, Chemins de traverse. Récit à deux voix, Paris, Karthala, 2000, p. 27.
45 Besret Bernard, De commencement en commencement. Itinéraire d’une déviance, Paris, Seuil, 1976, p. 48.
46 « Une communauté de base », Lettre, no 175, mars 1973, p. 11, 13 et 15.
47 Jaubert Annie, « De quelle manière célébrait-on l’Eucharistie dans les premières communautés chrétiennes ? », Lettre, no 180-181, août-septembre 1973, p. 37. On se souvient qu’à Boquen, François Chagneau réservait prudemment ses prières novatrices à des « agapes fraternelles. »
48 Duboux J., « L’Eucharistie dépend-elle de la présence d’un prêtre ou de la foi des participants ? », Lettre, no 184, décembre 1973.
49 Léger Danièle, « Entretien sur les communautés de base », Esprit, novembre 1971, p. 662.
50 Ibidem.
51 Cité dans Besret Bernard et Schreiner Bernard, Les Communautés de base, Paris, Grasset, 1973, p. 145.
52 Voir Landron Olivier, Les Communautés nouvelles. Nouveaux visages du catholicisme français, Paris, Cerf, 2004.
53 Séguy Jean, « La dynamique interne des groupes informels », in René Metz et Jean Schlick (dir.), Les Groupes informels dans l’Église, Strasbourg, CERDIC, 1971, p. 67.
54 Voir Steeman Theodor M., « L’Église souterraine : aspects et dynamique du changement dans le catholicisme contemporain », IDOC-International, no 3, 1er juin 1969, p. 61-94.
55 Voir Reitz Rüdiger, « Analyse de l’Église souterraine en Allemagne de l’Ouest », IDOC-International, no 21, 1er avril 1970, p. 65-94.
56 « Histoire de la liturgie au Cercle Jean XXIII (Nantes) », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 3-8. Les citations sans référence, dans le développement qui suit, sont issues de ce texte, qui a été repris et développé dans Goureaux Guy, Le Cercle Jean XXIII. Des catholiques en liberté, Nantes, 1963-1980, Paris, Karthala, 2004 (chapitre 11 : « Expressions de la foi et Communautés de base »).
57 Perrin-Martin Jean-Pierre, « À propos de Dieu et de la haine », Notre Combat, no 55, avril-mai 1972, p. 8.
58 Observation de l’interviewer de Ricot Jacques, « Le langage symbolique est-il apolitique ? », Cité nouvelle, no 581, juin-juillet 1976, p. 13.
59 Lavernhe J., « Prière communautaire et problèmes liturgiques », Lettre, no 160, décembre 1971, p. 31.
60 Respectivement, Gambet Pierre, « Il m’a manqué la parole », et Cordonnier J.-M. et Hallacq B., « S’engager… pour quoi ? », Lettre, no 195, novembre 1974, p. 21 et 22.
61 Ces coïncidences significatives ont été relevées naguère par Fouilloux Étienne, « “Gauche chrétienne” et “religion populaire” », dans les actes du colloque sur La Religion populaire, Paris, éditions du CNRS, 1979, p. 293-304 (repris dans Fouilloux Étienne, Les Chrétiens français entre guerre d’Algérie et Mai 1968, Paris, Parole et Silence, 2008).
62 Paris, Cerf, 1975.
63 Cercle Jean XXIII et Guichard J. et C., Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 109-110.
64 Belo Fernando, Lecture matérialiste de l’Évangile de Marc, Paris, Cerf, 1974.
65 Guichard Jean et Colette, « Pratique liturgique et pratique politique », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 31-32.
66 Idem., p. 61.
67 Idem., p. 61.
68 Jean Guichard, professeur d’italien, est aussi l’auteur d’une très pédagogique introduction au marxisme, qui connaît une importante diffusion dans les milieux militants : Le Marxisme. Théorie et pratique de la révolution, Lyon, Chronique sociale de France, 1970.
69 Voir Tranvouez Y., « Les idées du ciel ne tombent pas juste », dans D. Pelletier et J.-L. Schlegel (dir.), op. cit., p. 526-527.
70 Ricot J., loc. cit., p. 14.
71 « Travaux pratiques », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 103.
72 Les participants à la session du Cercle Jean XXIII le constatent après s’être essayés à trois célébrations expérimentales. Il y a notamment respect de la matière eucharistique. Les liturgies sauvages de l’époque sont parfois où l’on ne les attend pas : en 1975, Mgr Georges-Hilaire Dupont, Oblat de Marie immaculée, évêque missionnaire de Pala, au Tchad, a été contraint de démissionner après avoir remplacé le pain et le vin par le mil et la bière de mil, dans un souci d’inculturation. Il n’a jamais pu être reçu par Paul VI pour s’en expliquer (témoignage oral de Mgr Dupont, Pontmain, 8 septembre 2013).
73 Voir Mehl Roger, Le Catholicisme français dans la société actuelle, Paris, Le Centurion, 1977, p. 127-128.
74 Ce que Serge Bonnet suggérait dès 1971 dans son article « Une hypothèse de recherche : le clergé et la petite bourgeoisie en France », in Élites et masses dans l’Église, Recherches et Débats, no 71, 1971, p. 133-144.
75 « Travaux pratiques », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 95.
76 Rousseau André, « Discussion sur les limites d’une analyse du vocabulaire liturgique », LMD, no 125, 1976, p. 91, 93, 95 et 96. C’est moi qui souligne dans la dernière citation, où la notion de « virtuosité » renvoie évidemment ici à Max Weber. Voir aussi Rousseau André, Pour une sociologie de la crise catholique. France 1960-1980, Brest, UBO/CRBC, 2015.
77 Bonnet Serge, « De l’extinction de la religion populaire », communication « sauvage » au colloque du CNRS sur la religion populaire, publiée dans Logier Richard (dir.), Une anthropologie religieuse en Lorraine. Hommage à Serge Bonnet, Metz, Éditions Serpenoise, 2000, p. 25-62.
78 Guichard Jean et Colette, « Pratique liturgique et pratique politique », in Cercle Jean XXIII et J. et C. Guichard, Liturgie et lutte des classes, op. cit., p. 17.
79 Warnier Philippe, « Les chrétiens et le socialisme », Faire, no 6, mars 1976, p. 32.
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