Conclusion
p. 257-260
Texte intégral
1En mai 2012, une centaine de militants français sont invités à participer à la fête annuelle de la Casa pound romaine, l’autoproclamé « centre social de droite ». Un an plus tard, en mai 2013, lorsque Dominique Venner se suicide dans la cathédrale Notre-Dame de Paris, une banderole à la graphie d’extrême droite ornée du logo de Casa pound apparaît sur les murs d’une cinquantaine de villes italiennes : « Onore a Dominique Venner Samurai d’Occidente » – Honneur à Dominique Venner samouraï d’Occident. Ce type d’initiatives, comme les séjours réguliers de Marine Le Pen en Italie et sa rencontre avec Assunta Almirante – veuve de Giorgio Almirante – à l’automne 2011, témoigne, au-delà des recompositions que connaît l’extrême droite depuis trente ans, de la pérennité des relations entre les extrêmes droites françaises et italiennes. Entre 1960 et le début des années 1980, le sentiment de persécution et de ghettoïsation des groupes d’extrême droite, leur rapport étroit et identitaire à la violence politique, leur volonté de proposer un modèle alternatif de société, leur appel à la révolution participent de la formation de cultures politiques communes qui facilitent dialogues et échanges transnationaux. Autant de passerelles pour penser un monde commun à l’extrême droite, et ce jusqu’à nos jours.
2Au début des années 1980 toutefois, après avoir échoué à représenter l’extrême droite française au sein de l’Eurodroite, le Front national se détourne momentanément de son homologue italien. Ces années sont celles d’une mutation profonde pour le parti de Jean-Marie Le Pen. En une dizaine d’années, le FN passe du stade de groupuscule politique à celui de parti de l’opposition et il s’impose au milieu des années 1980 comme un partenaire politique respecté par le MSI. Le premier succès électoral du Front national lors des élections municipales partielles de Dreux en septembre 1983, la structuration du parti et la constitution progressive d’un appareil politique frontiste, permettent d’amorcer une modification du rapport de force franco-italien.
3L’affirmation de la domination du Front national sur l’extrême droite française et la naissance d’un espace politique frontiste permettent au parti français de reprendre des relations avec le « parti frère » d’Almirante sans se situer dans une position de dépendance politique et financière, comme cela avait été le cas dans la décennie précédente. Au début des années 1980, la politique de Jean-Marie Le Pen à l’égard du MSI est toutefois marquée du sceau de l’ambiguïté. Le leader frontiste intime à ses militants de n’entretenir aucune relation officielle avec les militants du MSI sous peine de sanctions. Jean-Marie Le Pen réfute le qualificatif infamant d’extrême droite et l’affiliation au parti « fasciste » risquerait de compromettre la stratégie frontiste de « normalisation ». Toutefois, Le Pen ne peut pas se permettre de se priver du soutien de son homologue transalpin qu’il rencontre régulièrement, entre 1984 et 19881. En 1986, le leader français assiste même aux festivités du quarantième anniversaire du MSI dans la capitale italienne.
4Dans ce contexte marqué par l’émergence politique de l’extrême droite française qui connaît des succès électoraux inédits, aux élections municipales de Dreux en septembre 1983, aux élections européennes de 1984 et aux législatives de 1986, le FN et le MSI reprennent une collaboration active marquée par une institutionnalisation des relations au sein du Parlement européen. Le MSI et le FN forment alors, avec les Grecs de l’EPEN, le groupe des droites européennes (GDE). Les représentants italiens sont ainsi présents à toutes les fêtes Bleu blanc rouge, rendez-vous annuel du parti français d’extrême droite dans les années 1980. Parallèlement, le FN bénéficie d’un traitement médiatique nouveau qui lui permet de diffuser son message et lui donne une audience sans précédent dans la société. On assiste dès lors à un rééquilibrage politique des interactions entre extrêmes droites française et italienne qui discutent désormais sur un pied d’égalité.
5Le FN, qui fait de la menace de l’immigration l’un de ses thèmes de prédilection dès les années 1970 rencontre, au début des années 1980, un électorat séduit par cette thématique, à la faveur de l’arrivée au pouvoir de la gauche en France en 1981. Notre étude a montré la grande permanence d’un discours d’extrême droite qui se constitue autour de la dénonciation de la menace migratoire. La figure stigmatisée et dépréciée de l’Immigré telle qu’elle se construit dans les années 1960, sous ses multiples facettes, témoigne de la pérennité de cette thématique. Elle rencontre un électorat réceptif dans les années 1980 : ses principales figures sont aujourd’hui encore au cœur de la rhétorique et de l’idéologie des extrêmes droites françaises. La dénonciation d’un « racisme nègre », apparue dans les principaux périodiques nationalistes-révolutionnaires des années 1960 a connu, depuis 2012, une réactualisation et un écho troublant dans la stigmatisation d’un supposé « racisme anti-blanc ». Ce phénomène témoigne de la diffusion et d’une réception nouvelle de thématiques d’extrême droite au sein de la société française.
6Cet exemple témoigne de la perméabilité des discours – et des pratiques – entre extrêmes droites et droite parlementaire, en France comme en Italie. Des personnalités politiques appartenant à la droite et à l’extrême droite entretiennent en effet des relations troubles. Durant les décennies étudiées, l’existence de réseaux anticommunistes actifs, parfois liés aux organisations militaires atlantiques, met au jour la porosité qui caractérise les relations entre certaines branches de la droite parlementaire, des groupes et partis d’extrême droite et des institutions militaires. La constitution de réseaux de soutien aux activistes OAS en Italie associe, en effet, représentants de l’aile droite de la Démocratie chrétienne, des personnages de premier plan de la Curie romaine et des membres du MSI. L’implication personnelle du cardinal Ottaviani, no 2 de la hiérarchie vaticane, dans l’appui à l’organisation secrète dans la péninsule met en lumière l’intrusion manifeste du Vatican dans les affaires politiques internes de l’État italien.
7Ces liaisons ont également été identifiées par l’informateur Aristo qui mentionne le rôle d’intermédiaire joué par un dirigeant de la Démocratie chrétienne italienne pour permettre à un groupe d’extrême droite, Ordine Nuovo, de cacher d’importantes quantités d’armes dans la péninsule italienne. En France, l’apparition régulière de Georges Albertini dans des documents de natures assez diverses témoigne de la place centrale qu’il occupe dans des milieux anticommunistes où hommes de droite et d’extrême droite se côtoient. En 1960 et 1961, il participe aux réunions anticommunistes organisées par l’OTAN à Paris et à Rome. Il entretient également des relations avec Filippo Anfuso et son réseau Est/Ouest s’étend indéniablement en Italie. En 1979, il réapparaît dans un document exceptionnel du SIFAR qui fait état de l’existence de réseaux de financements occultes de partis politiques qui gravitent autour de la banque Worms. Albertini est également soupçonné d’avoir fait office d’intermédiaire entre le CNPF et l’extrême droite française pour favoriser le financement d’Ordre Nouveau lors de son lancement en 1969. Cette porosité entre hommes de droite et d’extrême droite se manifeste également, de façon éclatante, par l’utilisation du patrimoine militant de l’extrême droite française par Valéry Giscard d’Estaing. Il témoigne du rapprochement progressif des instances dirigeantes du PFN avec la droite parlementaire qui aboutit à la désagrégation du parti, au milieu des années 1980. Vingt ans plus tard, la nomination de l’idéologue d’extrême droite et ancien dirigeant du Parti des forces nouvelles Patrick Buisson comme conseiller spécial de Nicolas Sarkozy lors de son mandat présidentiel (2007-2012) a ainsi favorisé la circulation et la réappropriation de thématiques d’extrême droite au sein de la droite française.
8Cette perméabilité est également manifeste, en France et en Italie, entre groupes extra-parlementaires et partis politiques d’extrême droite, insérés dans le jeu politique. Les itinéraires politiques mis au jour témoignent de la porosité de ces milieux, numériquement restreints, où les solidarités militantes constituent un élément identitaire fondamental dans la sociabilité d’extrême droite. L’exemple de l’IREP, qui rassemble des dirigeants du Parti des forces nouvelles et des personnages de l’extrême droite espagnole et italienne personnellement impliqués dans des projets subversifs, est caractéristique de ces contacts et des frontières floues entre action politique et menées subversives qui structurent les extrêmes droites durant notre période. Certaines tendances du MSI entretiennent en effet des relations troubles avec des militants formés politiquement au sein de ses organisations de jeunesse et qui font, durant la période, le choix de la lutte armée. Les contacts entretenus avec ces franges violentes de l’extrémisme de droite mettent en lumière le difficile positionnement d’un parti – le MSI – qui peine à rompre avec un activisme et des pratiques violentes, constitutives de son identité politique.
9Le rapport à l’action violente demeure, jusqu’à aujourd’hui, un problème politique pour des partis parfaitement insérés et parties prenantes du « système » républicain et démocratique autrefois tant décrié. Désormais, les principaux partis d’extrême droite français et italien sont considérés comme des interlocuteurs politiques à part entière et ont trouvé, au sein des institutions démocratiques, le terrain d’un développement politique nouveau.
10Il semble même que le « modèle » italien soit de nouveau d’actualité pour Marine Le Pen alors qu’elle s’attache à « normaliser » le Front national. Le lancement du Rassemblement Bleu Marine (RBM) en 2012 et la rupture récente avec son père, Jean-Marie Le Pen, font écho à la stratégie politique que choisit, en 1995, Gianfranco Fini lors du lancement de l’Alleanza Nazionale. Au-delà de cette stratégie politique qui vise à dédiaboliser le parti et à lui permettre de dépasser un plafond de verre électoral, l’extrême droite parlementaire française conserve son regard au-delà des Alpes, vers un horizon italien.
Notes de bas de page
1 Ces rencontres ont lieu, notamment, dans le cadre des réunions du groupe des droites européennes. Le Pen est présent aux XIVe et XVe congrès du MSI en décembre 1984 et en décembre 1987. Il rencontre le Pape Jean-Paul II en 1987, accompagné par Giorgio Almirante.
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