Annexe
Sources d’archives publiques conservées aux Archives nationales : quelques jalons de recontextualisation critique de la réforme de l’enseignement en 1968
p. 241-251
Texte intégral
1Depuis quelques années, les milieux de l’histoire contemporaine se sont donnés pour ambition de revisiter les lois relatives aux réformes de l’enseignement, en particulier l’enseignement supérieur. Le récent numéro de la revue Le Mouvement social, intitulé Mutations de la science et des universités en France depuis 19451 propose des contributions qui tracent autant de pistes de recherche, utiles dans un moment où l’institution s’adapte à des politiques de gestion publique conduisant à des changements de paradigmes. Certaines se fondent sur l’exploitation directe des sources d’archives, mais beaucoup privilégient des travaux universitaires ou des sources imprimées contemporaines des faits. Il reste encore à encourager les chercheurs à se tourner davantage vers les sources de première main, car le caractère hétérogène voire incohérent et désordonné parfois de nombre d’entre elles est le seul qui permette justement la création d’interstices ou de béances qui conduisent à une véritable analyse d’un phénomène et non à une compilation susceptible de dévier vers une hagiographie ou une histoire officielle. Plusieurs journées d’études et colloques ont été consacrées récemment à l’histoire des universités en 2011 : le 8 juin 2011 à la Sorbonne2, sur les archives universitaires ; les 22 et 23 septembre 2011, à la Fondation Charles de Gaulle consacré à la loi Faure ; les 10 et 11 octobre à Nancy sur l’histoire des universités ; pendant trois années de suite à l’université de Picardie3 et d’autres sont prévues sur les archives orales et l’architecture universitaire en 2012, dans le cadre des célébrations du quarantenaire des universités parisiennes.
2La question des sources primaires accessibles et de leur qualification est centrale car elle permet de distinguer les expressions de la pensée visionnaire ou programmatique de certains milieux intellectuels issus du sérail ou de l’univers politique4, des applications concrètes de la réforme en « centrale5 », en région et dans les services déconcentrés. Les sources de niveau national, qui relèvent de l’action de l’état central, diffusent une conception de la réforme de 1968 dont il faut comparer le discours et la mise en œuvre avec ceux des sources conservées soit en Archives départementales6 (fonds des Rectorats, des universités ayant versé leurs documents), soit dans les établissements d’enseignement supérieur qui pour un nombre non négligeable, ont conservé leurs archives dans leurs locaux. Nous ne traiterons ici que des sources des administrations centrales et cabinets ministériels, sur une période plus large que la seule année 1968. Il est en effet nécessaire de faire des sondages dans les documents des années 1950-1960, surtout les années 1962-1968 puis d’évaluer l’application de la loi, que révèlent les documents jusqu’en 1975. D’autres contributeurs ont cité des archives de nature privée, en cours d’exploitation et il est donc inutile d’en faire ici le commentaire7.
Éléments de compréhension indispensables
3Les sources publiques sont volumineuses et sont assez peu exploitées et des éclaircissements d’ordre méthodologique peuvent être apportés, pour une confrontation critique entre celles ci et les apports des grands témoins8. Cette complexité des sources d’archives contemporaines est réelle mais pas insurmontable. Le recours à des outils diplomatiques simples croisés à une connaissance d’histoire des institutions facilite et sécurise scientifiquement leur exploitation. La maîtrise du facteur temps est en revanche essentielle, car aucune d’entre elle ne délivre le message complet sur le sujet étudié et des autorisations de consultation doivent être sollicitées pour les archives versées sous protocole (archives des cabinets ministériels).
4La base de toute exploitation critique est fondée sur des critères qui tiennent au producteur, au contexte de la production et à la nature des documents et la manière dont ils ont été instrumentés et diffusés.
5Du point de vue du producteur, l’identification de celui-ci dans la chaîne de décision (cabinet, service), et la prise en compte des relations de ce producteur avec les autres échelons autour du sujet (associations, fédérations, ministère des finances, Élysée) est primordiale. Ce premier niveau appelle une connaissance préalable des processus d’arbitrage inhérents au fonctionnement pérenne de tout gouvernement contemporain démocratique (relations avec les services du premier ministre et de l’Élysée, du ministère des Finances). Il n’est pas toujours simple, dans un contexte où les travaux sur l’administration de l’enseignement supérieur manquent cruellement.
6Le deuxième niveau d’analyse critique découle des typologies. Certains versements contiennent des actes, en original, en copie, annotée ou pas, en versions successives, qui sont des actes du législateur ou du concepteur exprimant une intention et non l’application d’une volonté (textes relatifs à la préparation d’une loi). D’autres contiennent des actes qui sont l’expression d’une volonté d’appliquer au réel cette intention. Ils peuvent former des séries homogènes (statistiques, dossiers techniques et financiers, procès-verbaux d’instances de consultation centrale, élections aux conseils) ou disparates (éléments de réponses à des enquêtes, procès-verbaux et compte-rendus de commissions « ad hoc »), complètes ou lacunaires (cartes). Les séries permettent d’étudier un phénomène sur une durée plus longue. Certains documents, qui sont des actes de gestion et d’application, sont liés en revanche à un moment précis : ils décrivent une situation à un instant « t », sont le fruit d’une opération spécifique et limitée dans le temps (synthèses). Enfin, d’autres documents relèvent de l’étude, de la donnée agrégée, et mettent en jeu un processus de création (travaux des groupes de travail sur la réforme, dossiers documentaires d’articles de presse annotés, notes d’un conseiller). Quand ces documents servent à la rédaction d’études ou d’ouvrages littéraires, débouchent sur des interviews, ils servent de toile de fond à des œuvres de l’esprit dont ils forment pour ainsi dire les métadonnées. Par ailleurs, il est nécessaire de souligner que ces fonds forment rarement des ensembles cohérents et systématiques, et que cette situation impose au chercheur de tourner ses regards vers des éléments qui ne lui auraient pas forcément semblé les plus pertinents à l’origine. Ainsi des dossiers concernant le Comité consultatif des Universités, qui sera présenté infra.
7Certains biais sont connus : les systèmes de gouvernance contemporains font apparaître une concurrence entre les sphères du politique, qui s’arroge l’essentiel de la pensée créatrice et voit l’échelon bureaucratique comme un échelon d’exécution et le poids numérique et corporatiste du système bureaucratique qui, par la production exponentielle de documents, revendique une légitimité et un droit à conception lié à cette légitimité ; auxquels il convient d’ajouter l’intervention des représentants des sphères concernées par ces réformes, sous la forme de leurs représentants, qu’ils soient syndicaux, associatifs ou ad hominem. Le discours des producteurs est porteur de cette concurrence de légitimité dans la conduite des « affaires » et il importe de ne pas céder à la fascination des archives de cabinet au détriment des archives des « services », tout comme il convient de reconnaître l’ethnocentrisme des sources de l’administration centrale qui peuvent faire perdre de vue le fait que dans une Europe marquée par la culture de la « Guerre froide », les tensions que connaît la France des Trente Glorieuses dans sa réforme de l’enseignement sont observables ailleurs en Europe car elles impliquent une crise de la participation, de l’autorité et des confrontations sociales entre générations dont les attentes ne sont pas les mêmes. Les sources d’archives sont le reflet d’une vision et de son application triviale, de tensions exprimées à tous les niveaux de l’appareil d’État, souvent dans une perspective autocentrée et mécanique. Cet esprit critique préalable protège des jugements généralistes ou de fausses découvertes qui consisteraient à trouver étonnants des attitudes passées, par ce qu’elles sont jugées à l’aune des conditions du travail politique ou administratif actuel d’un état qui a connu deux vagues de décentralisation et de déconcentration.
La constitution des versements
8En dehors des dossiers de construction de bâtiments ou d’équipements qui constituent 55 versements de sources homogènes illustrant dans l’espace national une application concrète des mutations de l’université entre 1945 et 1980, et une application des principes d’autonomie des universités, telle que les définissait la loi d’orientation du 12 novembre 1968, les Archives nationales conservent 26 versements relatifs aux réformes de l’université, entre 1945 et 1984, arrivés entre 1977 et 2009, avec une prédominance de documents datés des années 1960-1975. Pour les retrouver, il convient d’interroger la base d’orientation Priam 39, sur le critère « Université ». On ciblera en revanche, si l’on souhaite aller plus rapidement, huit versements en utilisant le critère nominatif « Edgar Faure ». Enfin, le critère « Réforme de l’enseignement supérieur » donne accès à la description de trois versements. Le choix d’interrogation par paliers permet de mettre en lumière les périodes Peyrefitte, Faure et Guichard, années de grande activité tant conceptuelle que technique de l’administration, pouvant donner l’impression, a contrario, qu’il n’existe pas une grande activité entre 1945 et 1960. Cette impression est « optique » et est entretenue par un mélange des dossiers de différentes dates dans les versements, avec l’habitude qu’ont certains services de garder des fonds de dossiers anciens pour nourrir un dossier plus récent. La première conclusion est donc que les années antérieures à la loi sont décisives pour l’évolution et la préparation des concepts qui vont guider la mise au point des trois piliers de la loi d’orientation, participation, autonomie, pluridisciplinarité, auxquels s’adosseront les notions connexes de responsabilité et d’orientation, la première se définissant comme la réponse du gouvernement à la contestation et donc au désordre porteur d’irresponsabilité, la seconde prenant le pas sur le discours antérieur des premières années 1960 sur la sélection.
9Le volume total des sources relatives à l’histoire contemporaine des universités entre 1945 et 1989 et surtout entre 1960 et 1975, recouvre plus de 400 mètres linéaires, produits essentiellement par des services centraux et cabinets et de manière minoritaire par des établissements ou organismes déconcentrés (rectorat de Paris, université Paris VII10). Dans le cadre de recherches systématiques mais ciblées sur un phénomène, cette volumétrie est un atout car certains versements offrent des séries homogènes de documents.
10Les versements relatifs à la réforme de 1968 se sont constitués en deux vagues distantes d’à peu près 30 ans. Ceux des années 1977 et 1978 sont majoritaires. Il s’agit de versements des services, surtout la direction de l’enseignement supérieur mais sans exclusive, dont la structuration apparaît a posteriori par reconstitution des groupes de versements. La proportion des archives de cabinet est non négligeable, les dossiers sont souvent structurés par thèmes. Les archives relatives aux années précédant de peu l’arrivée d’Edgar Faure et celles de son successeur Olivier Guichard sont donc devenues très rapidement historiques. Les versements sont abondants car ils n’ont subi que peu de tri, plutôt des accumulations dans les bureaux et une arrivée rapide aux Archives de la mission des Archives nationales auprès du ministère puis aux Archives nationales à Fontainebleau (le site a bénéficié de bâtiments neufs mis en service entre 1977 et 1984). Ces fonds versés en 1977 et 1978 sont donc des archives à connotation politique forte et dont les effets sont observables immédiatement dans les dossiers des services. Les liens entre les deux types de sources sont nombreux et la pensée des ministres peut être étudiée dans sa mise en œuvre rapide par les services, avec une mention spéciale pour la fonction statistique et cartographique. Elle connaît un développement intéressant, car la période est fascinée par le recueil des données et le traitement par l’utilisation de l’informatique de gestion, ainsi que par l’utilisation, en général d’une pensée d’ordre structuraliste au service d’une analyse systémique.
11Trente ans plus tard, entre 2005 et 2009, on assiste à des versements dits « de contexte », qui renseignent sur la perception de la loi au sein du ministère de l’Éducation nationale. Il s’agit de versements plus fractionnés, constitués de documents retrouvés au ministère, longtemps gardés par les services ou en attente de versement aux Archives nationales. Deux versements tardifs peuvent être mis en perspective avec un fonds de statut privé, celui de Jacques Lhoste (640 AP, 14 cartons), conseiller technique, les procès-verbaux de l’Assemblée nationale et ceux du Sénat, dont l’exploitation est en cours. Il s’agit du versement 20080033, effectué par l’ancien conseiller technique d’Edgar Faure Jacques de Chalendar et le versement 20090276, du bureau de la réglementation et des statuts, qui revient sur l’élaboration et les modifications règlementaires de plusieurs lois de réforme de l’enseignement, de la loi du 12 novembre 1968 à celle du 10 juillet 1989 dite loi Jospin. Ce versement, par son approche juridique comparative, permet une recontextualisation du processus d’élaboration juridique de la loi du 12 novembre 1968, là où les versements plus anciens révèlent l’esprit de la loi dans l’entourage politique du ministre.
12Un sort à part peut être fait à certains cas d’école emblématiques, dont les dossiers constitués traversent toute la période et ont le mérite de proposer une étude ciblée de l’impact du processus de réforme (dossiers de Vincennes, des universités de province telles que celles de Nancy, de Lille, mais aussi de Bordeaux, Pau, Orléans-Tours). Les missions à l’étranger, la documentation réunie sur les pays étrangers dont l’URSS forment aussi des parties de versements qui montrent que la question de la réforme doit être envisagée également grâce à l’approche des « modèles » issus de la Guerre froide.
Avant et après la conception de la loi : intention et vision11
13L’urgence de la commande de réforme est réelle et les dossiers ont une chronologie bouleversée et resserrée, de la mention du discours de Georges Pompidou à l’Assemblée nationale sur l’université, le 14 mai 1968, aux débats de l’automne 1968 et à la prévision des textes d’application pour une rentrée dite « partielle » en 1969. Mai 1968 percute et accélère des réflexions plus anciennes. On relèvera l’intérêt des versements suivants :
- 19770496, art. 1, ou art. 6-12, comité consultatif des universités, depuis l’ordonnance de réforme de 1945.
- 19870199, article 10 – 13, en particulier article 10, classeur de notes de M. Amestoy, conseiller technique au cabinet du ministre sur les commissions de réforme dont celle dite « des 18 », 1963-1966.
- 19870199, article 12 : procès-verbaux de la commission Debré sur les études médicales et de pharmacie, 1957-1960.
- 19870192, articles 31, 33, 54 : dans l’article 31, polémiques avec le ministère des Finances et Georges Pompidou12. Dans l’article 54, illustration de la vision gaullienne de la loi, dans une note sur la planification, notion chère au Général de Gaulle.
14Les principales typologies sont celles des versements de cabinets, les procès-verbaux de réunions de consultation, l’organisation des déjeuners de travail, les mots manuscrits avec questions à poser aux recteurs, les télégrammes, les coupures de presse annotées, les notes formelles ou « confidentielles », les rapports, tapuscrits à vocation pédagogique ou de légitimation de l’action politique, des lettres au ton amical qui révèlent une fréquentation des mêmes milieux. Ces dossiers sont souvent pourvus de schémas explicatifs et de tableaux destinés à simplifier un empilement ou un cloisonnement ressenti comme le fruit d’une époque révolue. On consultera avec profit des études comparatives restituant les universités dans le paysage administratif des communes, régions ou du CNRS et les dossiers de conseillers techniques qui comportent des documents d’analyse des périodes précédentes, utiles pour les travaux de l’année 1968, en particulier les notes d’analyse de Yann Gaillard, conservées dans le versement 19870192, art. 31 (juin-août 1968), sur l’autonomie financière, point de difficulté pour la réforme.
Le versement sur le Comité consultatif des Universités (19770496)
15Articles 6 à 19 : comite consultatif des universités – organisation et projets de réforme (réglementation, résultats d’enquêtes et compte rendu de séances du conseil de l’enseignement supérieur, correspondance) : 1945-1972 ; dossiers des élections et nominations : 1962-1971
16Une attention particulière pourra être portée au versement 19770496, articles 6-12, qui concerne le Comité consultatif des Universités. De par son rôle central dans la gestion des corps enseignants universitaires, cette instance peut être envisagée comme une institution pivot dans les prémices de la réforme de 1968. Son obsolescence fonctionnelle, au regard des nouvelles conditions qui sont celles de l’enseignement universitaire depuis la fin de années cinquante, en font naturellement l’objet d’une réflexion approfondie dès 1965, lorsque Pierre Aigrain arrive à la tête de la direction de l’enseignement supérieur. Il s’ensuit une importante activité de réflexion et une campagne de consultation, dès les premiers mois de l’année 1965. Mais on retrouve aussi dans ces cartons la trace de demandes antérieures concernant une possible évolution du CCU, en particulier de la part des syndicats de l’enseignement supérieur.
17Cette série est particulièrement intéressante en ce sens qu’elle est la seule complète sur l’institution du CCU, qui existe, sous une autre dénomination, depuis la fin du XIXe siècle, concernant les conditions de sa mise en œuvre et de ses transformations. On peut ainsi y suivre dans le détail, et presque quotidiennement, les débats qui ont présidé à la rédaction de nouveaux décrets (en 1965-1967, 1969, puis en 1972), les négociations dont ils ont fait l’objet à la fois au sein de la puissance publique (correspondances interministérielles) et de la communauté académique. Ces fonds précieux nous renseignent alors sur les représentations et les attentes vis-à-vis d’une institution centrale qui met en scène les clivages majeurs traversant la profession universitaire et les administrations en charge de sa régulation. Le principal intérêt de ce versement, au delà de la seule quantité de documents accessibles sur un sujet mal connu des historiens, réside dans sa grande variété documentaire. Les correspondances nombreuses voisinent avec les versions successives des décrets préparés par la direction de l’enseignement supérieur, la « littérature syndicale », des extraits de presse, mais aussi et surtout de nombreux rapports préalables et intermédiaires qui permettent de saisir les intentions de l’administration, souvent annotés à la main. Ce fonds met en évidence la pluralité des acteurs qui interviennent dans le processus de la décision et les modes de régulation mis en œuvre pour obtenir un texte consensuel. Il révèle également les formes prises par les interventions extérieures, essentiellement académiques, en vue d’obtenir des inflexions ou des innovations réglementaires. Se donnent alors à voir, non seulement la fabrication d’une réforme, mais aussi et surtout les arbitrages dont elle fait l’objet13. Enfin, il renseigne de façon très riche sur les conséquences de la loi Faure sur les corps universitaires, à la fois sur le plan administratif mais aussi au sujet des rapports de force internes à la profession.
Le versement Chalendar (20080033)
18Article 1, notes du cabinet, décembre 1968 pour rentrée 1969 ; article 2, procès-verbaux et synthèse groupes de réflexion, été 1968 ; article, réunion à Amiens, juin 1968, discussions Faure-Valéry Giscard d’Estaing, Assemblée nationale, discours du ministre le 25/07/68 ; article 5, réflexions depuis 1967, mise en place du cabinet Faure, préparation et vote de la loi 29 août-7 novembre 1968, version manuscrite de la loi, de la main du ministre ; article 16, tapuscrit Chalendar, 1970, discours récolés d’Edgar Faure en vue d’une exploitation historique à chaud ; article. 18, réception des discussions sur la loi et des interventions du ministre dans la presse.
19Le processus de consultation directe pratiquée par le directeur de cabinet Alliot, croise les rapports dactylographiés des groupes de réflexion de l’administration centrale en mai et juin 1968, dont on a une version non datée, probablement émise au cours de l’été 1968, avant la déclaration d’Edgar Faure à l’Assemblée nationale le 25 juillet et la réunion du 2 septembre chez le général de Gaulle. La tradition de la note du conseiller technique, celle du rapport des groupes traduisent l’effort conceptuel des équipes politiques mais aussi des collaborateurs de l’administration centrale pour transcrire en actes juridiques et organisationnels, une vision de l’homme nouveau, issu du progrès de la science, confronté à la concurrence des modèles de civilisation. Les conseillers ont pour rôle de faire la synthèse des points de vue. Enfin, ils gèrent la communication du ministre, d’où l’attention portée aux revues de presse, caricatures, projets de discours, interviews, rédactions successives d’exposés des motifs de la loi.
Appliquer la loi à la société : l’apport des services, la direction de l’enseignement supérieur
20À la lecture des archives produites par cette direction énorme, dont le directeur participe au déjeuner de l’Élysée du 29 août, on perçoit que l’administration de l’enseignement est pour l’administration centrale une « construction » du système. Cette direction organise le travail des milieux professionnels en commissions ou conseils nés de la réforme et produit beaucoup d’organigrammes et de tableaux. Constitués pour le contrôle a priori, ses services se consacrent au recueil des informations de gestion et à l’organisation des travaux de groupes, conseils et en général toutes instances de travail d’un niveau national. L’approche technique des bureaux chargés des statistiques, de la prospective et de la carte scolaire et ceux chargés des dotations d’équipement et des constructions illustre leur recherche d’adaptation14. La donnée quantitative alimente la « carte universitaire », exploitée par les géographes15. Les sources sont à comparer avec celles de l’inspection générale. En 1968, les services centraux ont leurs revendications de participation et ne se limitent plus à l’exécution d’une commande. À travers des critiques du système central16, les fonctionnaires produisent paradoxalement des organigrammes et des procédures de traitement de l’information qui visent à encadrer dans un « super ministère » l’essentiel des relations avec les futures universités.
Affaires générales et financières, fonctions statistiques et prospectives, cartographie et planification : des sources homogènes
21– 19770537, direction des affaires générales, bureau des études prospectives de la carte universitaire, 1966-1977 ou service du plan, chargé des études de préfiguration. Les dossiers révèlent la culture du « Plan » et la croyance dans l’informatisation de gestion, issue de l’exemple américain d’IBM.
Enseignements supérieurs
Services des personnels
22– 19770496, procès-verbaux des comités consultatifs des universités, 1945-1972 ou dossiers de contrôle de la construction. La prise en compte de l’évolution de la société commence politiquement en région, par la perception sociale des recteurs qui se plaignent de la trop grande centralisation.
Service de l’organisation et des moyens, bureau de la réglementation
23– 20090276 : période d’évaluation du système. Permet de replacer la loi Faure parmi les autres lois de réforme jusqu’à la loi Savary de 1984.
Direction de l’équipement scolaire : aménager le territoire national, langage technico-financier
24– 19771378, dotation, 1974, Ve plan ou dossiers de construction et acquisitions, 1951-1978.
Représentation des disciplines et représentation des « unités nouvelles » de 1969
25Dès 1945, la demande de participation et la question de la représentation s’expriment dans la préparation de l’ordonnance de réforme de 1945. En 1968, deux thèmes de prédilection se dégagent des versements : l’organisation de l’enseignement ; la mise en œuvre dans les campus des réformes annoncées. Les disciplines médicales ou de pharmacie sont concernées essentiellement par les examens et le contrôle par les milieux scientifiques de la taxinomie des disciplines, pour être au plus prés des évolutions de la science contemporaine17, les facultés littéraires l’équilibre des disciplines, eu égard par exemple, à l’explosion des études hispaniques1818. Les billets informels sont conservés comme les pièces formelles qui rendent compte de l’avancée d’une discussion lors des séances comme, plus tard, le travail sur les sections nouvelles du comité consultatif des universités, de 1969 à 1972, qui contiennent arrêtés, décrets, rapports de présentation au gouvernement ou à la section du conseil de l’enseignement supérieur, mais aussi des notes manuscrites prises en réunion et des tableaux dactylographiés qui montrent l’élaboration progressive des propositions et prises de position nominatives19. Dans le cadre stricto sensu de la loi d’orientation, les milieux professionnels enseignants s’organisent en groupes de travail, tel celui d’Amiens, des 20 et 21 juin 1968, dont le rapport est lu attentivement et annoté par Jacques de Chalendar20.
26Adressés au premier ministre ou au chef de l’État, les travaux de commissions de réformes21 insistent sur l’explosion démographique, l’élévation du niveau de vie donc de l’instruction et ce dès les années précédant la réforme22. Le baccalauréat est toujours le premier grade de l’université, les débats sont vifs sur la maîtrise et la sélection à l’entrée de l’université. En 1968, les outils traditionnels, issus de cette idéologie techniciste de progrès sont insuffisants pour l’action immédiate. En témoignent aussi différents dossiers de technique budgétaire qui révèlent les conflits d’interprétation dans la traduction concrète de l’autonomie financière. Dans les dossiers des conseillers Gaillard ou Bienaymé, la situation difficile de présidents débordés lors des rentrées dites d’urgence 1968 et 1969 est analysée. Ces dossiers contiennent des remontées de syndicats, de collectivités territoriales (Seine-Saint-Denis, Bobigny) ou du « collectif 1969 » et du travail d’un groupe issu de l’application de la loi d’orientation, le « groupe Fresque ». Les thèmes évoqués sont, entre autres, la surcharge de gestion des présidents par rapport aux anciens doyens de facultés ou l’explosion des demandes de bourses23. Les conflits entre les recteurs et les contrôleurs financiers remontent en centrale24. La question de l’adéquation entre les diplômes délivrés par les « nouvelles unités » librement constituées en 1969 et les débouchés professionnels est récurrente et directement liée à l’autonomie dont ces organismes neufs ont joui pour structurer leur offre d’enseignement.
27Quelque soit cependant la richesse des sources centrales, elles ne prennent que partiellement conscience de l’aménagement du territoire pour lui même25 et le rôle des régions y est sous représenté. Pourtant, la Région n’est pas encore une collectivité territoriale et ne représente donc pas encore des élus, « notables locaux26 », dont les fonctionnaires se méfient. Les sources du ministère de l’Éducation nationale devront alors être complétées avec les sources traitant de l’aménagement du territoire, produites par le ministère des Transports ou de l’Intérieur (plus tardives, fin des années 1970-début des années 1980).
28 Producteurs : conseils supérieurs CNSER, CPU (19780191, 1969-1975) ou service des personnels enseignants et techniques (1977-0496, art. 6-12, enquêtes, comptes-rendus des séances du conseil supérieur de l’Enseignement supérieur ou du comité consultatif des universités, 1944-1975). Cabinets des années 1960 à 1972. Inspection générale.
29D’autres sources peuvent être utilisées pour changer de perspective et constater la réception de la loi par les milieux professionnels : les dossiers de contentieux du bureau de la réglementation et l’organisation des élections au conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche (20090276, bureau réglementation et statuts, 1968 – 2000) ; les archives de police, en particulier les notes des renseignements généraux, dossiers thématiques ou de personnalités, dossiers généraux sur le climat local, surveillance des réunions politiques où peuvent apparaître des personnalités du monde académique.
30En définitive, ce que les sources de l’époque Peyrefitte-Faure et Guichard nous révèlent, est une grande difficulté à concevoir que les demandes des milieux professionnels, qui s’expriment dans les procès-verbaux des nouveaux conseils, puissent se croiser avec la vision gestionnaire des services administratifs centraux. Il y aurait lieu d’analyser plus finement les déceptions du milieu universitaire en 196927.
Notes de bas de page
1 Le Mouvement social, octobre – décembre 2010, La Découverte (sous la direction de J.-M. Chapoulie, P. Fridenson et A. Prost), 218 p. Nombreuses références bibliographiques.
2 Nouvelles sources pour l’histoire de l’enseignement et de la recherche, les archives universitaires, à l’initiative de la chancellerie des universités de Paris et de l’école doctorale Histoire moderne et contemporaine Université Paris-Sorbonne, à l’occasion des 40 ans des universités de Paris.
3 B. Poucet (dir.), L’enseignement supérieur en Picardie, 1804-1970 : enseignement, étudiant, recherche (à paraître Amiens Encrage, éditions, 2015).
4 Colloques de Caen, 1956, 1966, de Grenoble, 1957 et d’Amiens, 1968. Edgar Faure, Philosophie d’une réforme, Plon, 1969 et J. de Chalendar, Une loi pour l’université, Paris, Plon, 1970.
5 Le terme de « centrale » est omniprésent dans les sources de l’administration. Les bureaux, à la faveur du mouvement de demande d’autonomie émanant de la société et des milieux professionnels, sont conduits à intensifier l’analyse critique et l’observation de leur propre mode de fonctionnement.
6 J. Aust, « Quand l’université s’ancre au territoire. Collaborations académiques et territoriales à Lyon (1958-2009) », Le Mouvement social, op. cit., p. 107-125. L’auteur exploite les sources des Archives départementales et nationales, en particulier les dossiers de construction de bâtiments universitaires.
7 A. Prost, sur l’exploitation du fonds de Jacques Lhoste, déposé aux Archives nationales, Fondation Charles de Gaule, 22 septembre 2011.
8 Voir le travail coordonné par Emmanuelle Picard (ENS Lyon) sur la recherche des sources des grandes mutations universitaires du XXe siècle.
9 La base d’orientation Priam 3 donne accès à des instruments de recherche du niveau des groupes d’articles. Jusqu’à la mise en ligne en 2013 des répertoires numériques à l’article, qui existent mais dont la consultation est locale, il est nécessaire d’articuler sa recherche entre le niveau par groupes d’articles (ou sommaire) qui permet un repérage des sources (les versements) et le répertoire en local. À partir de l’été 2012 cependant, la base d’orientation Priam3 sera remplacée par le système de recherche documentaire issu du nouveau Système d’information archivistique (SIA) des Archives nationales.
10 Deux versements denses de 2006 pour l’université de Paris VII. Quant au fonds du rectorat de Paris, son intérêt réside dans le fait qu’avant 1976 et la création du Secrétariat d’État aux universités, le recteur était en réalité un conseiller du ministre sur le sujet de l’enseignement supérieur en France.
11 Voir Antoine Prost, Emmanuelle Tricot et François Audigier le 22 septembre 2011 et leurs exploitations des archives Lhoste (A. Prost), Georges Pompidou (E. Tricot) et de l’Assemblée nationale (F. Audigier).
12 Notes sur l’autonomie budgétaire et les deux projets Chalendar et Thuillier, analyse de la réforme du décret de 1897, comparaison avec les finances communales et l’autonomie accordée aux maires, étude sur les budgets 1962 – 1969. Georges Pompidou prêche la rigueur en 1969, Edgar Faure lui répond en mars.
13 Cf. E. Picard, « Les universitaires de Mai 68 : tensions structurelles et radicalisation syndicale autour de la réforme du Comité consultatif des universités », dans B. Benoit, C. Chevandier, G. Morin, G. Richard et G. Vergnon (dir.), À chacun son Mai ? Le tour de France de mai-juin 1968, PUR, 2011, p. 269-280.
14 19870195, art. 3 : l’introduction de l’électronique dans les services administratifs de l’Éducation nationale, par Guy Caplat, chargé de mission d’inspection générale, étude des répercussions sur le plan humain d’une automatisation d’un grand secteur administratif américain, traduction d’une étude faite en 1958 et transmise par le chef du bureau d’études mécanographiques et électroniques du ministère des finances à la direction de l’administration, bureau des programmes administratifs, 10 février 1964.
15 M. Baron, « Les transformations de la carte universitaire depuis 1960 : constats et enjeux », Le mouvement social, op. cit., p. 93-106.
16 Critique sur la « dix-huitième partie d’une épingle » et le système de Taylor, 20080033, art. 2, rapport de synthèse de l’administration centrale.
17 19870199, art. 12 : procès-verbaux de la commission Debré sur l’organisation des études médicales et de pharmacie, 1957-1960. Durant ces années, les contributions sont tournées vers la validité du contenu des concours et le nombre de places aux concours. Il s’agit de prévoir des recrutements importants pour le secteur public. Les dossiers, constitués de procès-verbaux ronéotés, ont dû beaucoup circuler. Ils font état d’un fort lobbying du milieu des chefs de service et professeurs.
18 19770496, art. 6 : comité consultatif des universités, 1945-1955. Contient des projets de textes et des notes d’interprétation et donc de la rédaction juridique, mais aussi des contributions manuscrites des doyens qui livrent leur analyse de fond sur un ton amical (« cher ami ») à l’administration.
19 19770496, art. 12, idem.
20 20080033/3.
21 19870199, art. 10-13, en particulier article 10 qui rend compte, entre autres, du travail de la commission des 18 en 1964 et 1965. On y découvre que certains acteurs, tel le DATAR Olivier Guichard, qui succèdera à Edgar Faure en 1969, sont déjà impliqués dans des actions de réforme de l’université, aux côtés de grandes personnalités telles qu’Alfred Sauvy ou Fernand Braudel.
22 19870199, art. 10 : classeur de notes de M. Amestoy, conseiller technique du cabinet, qui analyse et compile, synthétise, pose des questions à sa hiérarchie et formule des hypothèses dont il étudie les effets. Le classeur contient un texte dactylographié de 16 pages du président de la société des agrégés, en date du 31 janvier 1966, qui appelle à la confrontation avec le Parlement et l’opinion publique et rend des statistiques issues du service du plan sur les besoins en recrutements. Les milieux professionnels ont connaissance des travaux du Vè plan et les citent.
23 19870192, art. 33.
24 19870192, art. 31 : universités de Rennes, Nice, Lyon, Toulouse, Strasbourg, Besançon etc. Le « président », Edgar Faure, ainsi qualifié dans une note manuscrite du 24 mars 1969 taxe le ministère des Finances d’« abus de pouvoir ».
25 19870192, art. 46, dossier thématique sur les régions.
26 Surtout à Dijon par rapport à Besançon, car la région est désignées comme conservatrice (19870192, art. 31).
27 19870192, art. 54 : note au général de Gaulle sur l’application de la loi, transmise de Bienaymé à Thuillier, en date du 20 mars 1969.
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