Conclusion. Coopérer pour le commun
p. 205-207
Texte intégral
Coopérer dans la diversité
1Nous sommes par nature, dit Carol Gilligan (2013, p. 48), des homo empathicus plutôt que des homo lupus. La coopération est implantée dans notre système nerveux, et nos cerveaux s’allument plus intelligemment quand nous optons pour des stratégies coopératives que pour des stratégies compétitives. Pourtant, l’obsession pour la compétitivité et la mise en concurrence de tout contre tous se diffuse comme une norme efficace et banale de coordination.
2Si la théorie économique mainstream fait peu de cas de ces coopérations économiques ou non économiques comme modalités de coordination de l’action, cet ouvrage montre au contraire la permanence de ces coopérations dans le domaine de l’économie sociale et solidaire, comme sans doute dans d’autres champs. Si le vocabulaire indigène évoque tant la « co-construction », la « co-production », le « partenariat », la « collaboration », ou encore le « dialogue social », la coopération dans toutes ces facettes se diffuse.
3Cette présence multiforme, multi-niveaux et multi acteurs peut être lue de différentes manières. Tour à tour instrumentée pour plus d’efficacité économique, brancardée comme valeur (celle de l’associationnisme notamment), considérée comme efficace, la coopération entre acteurs s’impose aussi parfois comme une nécessité pour éviter la marginalisation de l’ESS (c’est le cas parfois dans des formes de coopérations entre ESS et collectivités territoriales), ou vise à élaborer des formes de confiance entre acteurs. L’ouvrage montre aussi que la coopération peut être, sous certaines conditions, désirable.
4Ces « coopér-acteurs » (entendus non pas comme acteurs des coopératives, mais plus généralement comme acteurs de la coopération) sont, montre aussi l’ouvrage, très divers. Avec les entreprises lucratives, tout d’abord, les coopérations ne sont pas spontanées. Les valeurs, les objectifs, les temporalités, les puissances respectives sont trop différents pour que la coopération puisse s’exercer sans un cadre institutionnel adapté. Des instruments juridiques existent, mais relèvent souvent d’une logique capitaliste si bien que le « partenariat » est souvent préféré à l’idée de coopération. Emprunter des outils organisationnels issus du monde capitaliste pour encadrer la coopération est insuffisant et parfois contre-productif : leur adaptation, leur réinterprétation, leur transformation aux réalités et objectifs de l’ESS apparaît, dans les faits, comme un impératif. Enfin, il apparaît que la coopération dans et avec l’ESS nécessite de repartir du local et du territoire. Dans ce cadre, la construction des coopérations nécessite d’inventer de nouveaux cadres institutionnels territoriaux, à l’instar du PTCE qui offre des cadres certes protéiformes, mais qui n’en sont pas moins des constructions territoriales permettant l’association d’acteurs diversifiés.
5La coopération avec le secteur public n’est pas, elle non plus, spontanée même si acteur public et acteur de l’ESS prétendent tous deux promouvoir l’intérêt général. En dépassant le concept de co-production, pour aborder les conditions sociales, politiques et institutionnelles de la co-construction des politiques publiques, l’ouvrage montre que c’est l’implication des acteurs de l’ESS dans l’élaboration des politiques publiques et non seulement dans leur réalisation qui est en question. Mais cette coopération entre l’ESS et les pouvoirs publics s’avère, dans la pratique, souvent insuffisante si l’idée est d’envisager une co-construction démocratique des politiques publiques : elle se dévoie trop souvent encore dans des formes de lobbying (comme le fait le secteur privé lucratif) ou dans des co-constructions corporatistes lorsqu’elle n’intègre pas les autres acteurs de la société civile dans ce processus. C’est pourtant cet horizon de co-construction démocratique, qui n’exclut pas le conflit, qui permettrait l’expression des intérêts collectifs en vue de la définition de l’intérêt général.
De la coopération au commun
6Il va de soi que la coopération ne vise pas seulement un supplément d’efficacité économique. Certes, des injonctions à la coopération et à la mutualisation provenant des pouvoirs publics conduisent des organisations de l’ESS à se rapprocher pour réaliser des économies d’échelle, mais ces injonctions peuvent aussi être prolongées, à la fois par la poursuite de projets communs améliorant la qualité des services, et par la redynamisation la fonction socio-politique des associations.
7Le mouvement associationiste entendu au sens large ne repose pas seulement sur la coopération volontaire de ses membres, mais aussi sur l’élaboration d’un projet commun. Les modes de coopération vers la recherche du commun, au sens de la gestion commune des choses communes de la Cité, peuvent être porteurs d’un renouveau de démocratie, au cœur du projet de l’ESS, de la recherche de nouvelles possibilités de dialogue ou de consensus. Ils s’accompagnent aussi de difficultés et tensions ou de « coopérations conflictuelles ». L’ouvrage ne rend sans doute pas suffisamment compte des coopérations qui se mettent aussi en œuvre avec le mouvement social, qu’il soit syndical, altermondialiste, féministe. Ainsi, du point de vue des mouvements féministes, les proximités avec l’ESS ont déjà été largement soulignées (Verschuur et al., 2015). Qu’en est-il aujourd’hui ? L’ESS, en se fédérant et en renforçant les coopérations internes, finit-elle par faire mouvement social, que ce soit par type d’acteurs, par type d’activité, voire de manière transversale ? Si les rapports avec les syndicats se nouent en interne de l’ESS dans des rapports salariaux assez classiques, engageant des négociations de branche ou d’entreprise, la recherche de nouveaux espaces de coopération conflictuelle est à l’œuvre, à l’instar de la construction de dialogues sociaux territorialisés. Les mouvements altermondialistes ont depuis longtemps fait une place à l’ESS qui a, très tôt, été présente dans les forums sociaux, mondiaux ou locaux (Hersent, 2008). Quel type d’alliance observe-t-on aujourd’hui entre les nouveaux mouvements sociaux et les acteurs de l’ESS ? Symétriquement, voit-on apparaître de nouvelles pratiques d’ESS dans un contexte de décroissance qui manifesterait de nouvelles dynamiques issues de la coopération entre mouvements sociaux et ESS ? Le mouvement Alternatiba, village des alternatives a ainsi donné à voir, dans son processus de mobilisation face au changement climatique dans le contexte de la COP21 en 2015, des événements festifs où la mobilisation citoyenne se combinait à des initiatives d’alternatives économiques mises en œuvre par l’économie solidaire. L’étude de ces alliances héritières des coopérations nouées entre l’alter-mondialisme et l’économie sociale et solidaire mériterait d’être renouvelée.
8Au total, les coopérations peuvent être pensées de manière plus générale comme des processus qui établissent des règles, des normes, des institutions visant de nouveaux agencements entre les acteurs et qui organisent des décisions de manière démocratique (Dardot et Laval, 2014, p. 151) en vue du commun. Il est urgent de jeter les bases de « pactes de coopération » entre acteurs au niveau local comme au niveau des nations, pour se libérer de l’esprit de compétitivité dont tout porte à croire qu’il est, au niveau cognitif (pédagogie, formation, communication), comme au niveau pratique (du pacte de compétitivité au Tafta), mortifère.
Auteurs
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