Introduction générale. Les contours d’un projet institutionnaliste en économie du développement
p. 9-37
Texte intégral
1Le but de cet ouvrage n’est pas d’étudier les institutions en elles-mêmes ni de faire une revue de la littérature sur les différentes facettes et ambivalences de l’institutionnalisme aujourd’hui1, mais de montrer qu’en tant qu’éléments constitutifs de la réalité sociale, elles représentent une entrée indispensable et particulièrement heuristique pour l’étude du phénomène du développement au Nord comme au Sud, et pour l’analyse des politiques de développement. L’ouvrage se penche sur des pays aux niveaux de développement et aux rythmes de croissance très différents (Mali, Équateur, Iran, Russie…), afin de renvoyer à la profonde diversité des paysages du monde en développement. Pour autant, nous pensons que certaines questions qui se posent aux pays de la périphérie (notamment la question de leur place dans la mondialisation, la souveraineté de l’État, l’héritage de la colonisation, l’importance performative du discours de la Banque mondiale) sont communes au phénomène du développement aujourd’hui et permettent un dialogue et une mise en regard des travaux de recherche.
2Penser le développement reste un enjeu théorique fondamental, au regard de la diversité des trajectoires et de l’historicité des sociétés. Longtemps, les théories du développement ont oublié les institutions, ou les ont tenues pour acquises et ne nécessitant pas de traitement particulier. Mais aujourd’hui « l’institutionnalisme » est devenu, à l’inverse, le paradigme le mieux partagé en sciences sociales, que ce soit en histoire, sociologie, sciences politiques ou en économie : mettre l’accent sur les institutions s’est soudain généralisé. On a parlé ainsi de « tournant institutionnaliste2 ». Nous commencerons par retracer cette évolution et brosser les grands traits du néoinstitutionnalisme dans le domaine de l’économie du développement, avant de justifier et caractériser la singularité de l’approche adoptée par les auteurs de ce livre, pour soulever enfin comment les questions du changement institutionnel et des politiques de développement sont abordées dans le contexte de la mondialisation libérale.
Les institutions dans la théorie du développement : de l’oubli au retour en force
Absence de tradition institutionnaliste dans la théorie néoclassique du développement
3La théorie du développement, issue des thèses du milieu des années cinquante, marquées par la problématique des étapes de la croissance économique (Rostow, 1963) d’une part, et par la théorie néoclassique de la croissance (Solow, 1956) de l’autre, a totalement ignoré les institutions dans la dynamique économique de croissance régulière telle qu’elle a été modélisée. À la fin du xxe siècle, l’engouement pour les théories dites de la « croissance endogène » a relancé une analyse du développement focalisée sur la question de la croissance et sur les conditions d’une croissance équilibrée du revenu par tête de long terme. L’oubli ou l’ignorance par ces modèles du caractère irréversible du temps du développement3, de sa dimension politique et du rôle crucial des rapports sociaux dans l’évolution des modes d’organisation économique a déjà été largement critiqué. On peut y ajouter le reproche de ne pas prendre en compte les institutions, éléments constitutifs du système économique à un moment donné, issus de l’histoire et dont le changement engendre à son tour des transformations économiques. Longtemps, en effet, la théorie du développement s’est concentrée sur les conditions d’accumulation et de reproduction du capital afin d’assurer une croissance capable de répondre à la demande issue de la dynamique démographique (Nurske, 1952 ; Lewis, 1954). Pour les institutions internationales telles que la Banque interaméricaine pour la reconstruction et le développement (BIRD), ou l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), la sécurité alimentaire face à la transition démographique était l’un des objectifs principaux du développement. Si Gunnar Myrdal, dans The Asian Drama (1968), plaide déjà pour « une approche institutionnelle », il souligne le fait que « l’analyse économique conventionnelle » de l’époque ignore les structures institutionnelles et sociales, et se concentre exclusivement sur la sphère économique, sans ancrer solidement l’analyse dans le terrain sur lequel on souhaite réfléchir4. Durant cette période des Indépendances (décennies 1950 et 1960) l’accent a par ailleurs été mis sur l’industrialisation et la définition des secteurs de l’économie nationale à développer en priorité5. Durant ces années, le modèle de développement économique fait de la mobilisation de l’épargne le moteur du développement, la planification se chargeant d’affecter de manière optimale les ressources financières : l’épargne doit servir à construire des entreprises modernes afin de soutenir l’industrialisation. Le débat va porter alors davantage sur le choix des secteurs agricoles et industriels à privilégier et sur les stratégies de développement, dans une approche strictement économique.
4Mais les difficultés politiques et économiques de certains pays du Sud, soumis à des rapports de force accentués par la guerre froide, ont donné lieu à la redéfinition du sous-développement comme résultat direct du développement, conséquence d’inégalités structurelles dans la division internationale du travail et dans le commerce, issues de la colonisation ou de relations politiques fortement asymétriques. Selon les théoriciens de la dépendance, le sous-développement est le résultat direct du développement capitaliste des pays occidentaux qui ont besoin d’une périphérie dépendante pour réaliser une partie du profit. Les questions politiques soulevées par le choix des stratégies de développement se doublent de la question des rapports de classes internes aux sociétés périphériques, et des rapports de domination Nord-Sud, y compris après la décolonisation (Frank, 1972 ; Amin, 1970). La prise en compte actuelle du poids de l’histoire dans les travaux qui font référence à l’époque coloniale est l’écho de telles problématiques.
5À partir des années 1980, ces questionnements – stratégies de développement, théories de la domination – vont passer à l’arrière-plan, sinon tomber complètement dans l’oubli, au profit d’un accent mis sur le strict équilibre de la balance des paiements. Les manuels d’économie du développement publiés dans les années 1980 (Guillaumont, Hagen, Gillis et al.) mentionnent les institutions comme un élément du contexte, ou n’en parlent pas du tout : les index n’ont pas d’entrée « institution » et leur consacrent au mieux un chapitre à part6. L’effort de développement dans les années 1970 s’était appuyé, dans un contexte international de surliquidité, sur l’accroissement considérable du volume des prêts bancaires consentis aux pays en développement par les banques internationales pour financer leur croissance7. Cependant, suite à la crise de la dette qui s’ouvre au Mexique en 1982, un grand nombre de pays en développement sont alors soumis aux politiques d’ajustement du FMI, en contrepartie du rééchelonnement de leur dette. L’économie du développement, telle qu’elle est prescrite par les Programmes d’ajustement structurel (PAS) du FMI, se concentre désormais sur l’équilibre de la balance des paiements. Elle engage le tournant néolibéral8, au sein du Consensus de Washington qui se caractérise par une stricte discipline budgétaire et monétaire, des réformes fiscales, une déréglementation des marchés, des biens et des capitaux, un processus de privatisation de l’économie. L’exemple du Mali9 met clairement en évidence comment la succession des choix politiques et des efforts de développement vient buter sur cette contrainte financière qui aujourd’hui réduit à l’extrême les marges de manœuvre et les perspectives du pays. Ceci illustre aussi comment l’orthodoxie monétariste se retourne contre son objectif affiché : condition présumée de la croissance, le rééquilibrage de l’économie à travers l’assainissement des finances publiques devient cause de l’absence de développement.
6Les échecs du PAS dans de nombreux pays, en particulier ses conséquences sociales parfois dramatiques, ont suscité de très vives critiques. Le courant dit de l’« anti-développement » s’appuie sur ces faits pour conclure à l’échec généralisé du développement et donc du projet même de développement. Ses principaux auteurs (Partant, Latouche, Rist) voient dans la mondialisation la domination économique et culturelle de l’Occident, porteur d’une dynamique de développement qu’il faut refuser. Critique vis-à-vis du capitalisme et de la mondialisation (assimilée au développement économique), ce courant récuse la domination des imaginaires dont seraient coupables les pays occidentaux. Dans son article, Stéphanie Treillet met en garde contre la tendance actuelle de ce courant à se contenter de l’étude de discours, et montre que, paradoxalement, les tenants de l’anti-développement rejoignent les thèses néolibérales sur un certain nombre de points, dont celui de la méfiance à l’égard de l’État.
7Théorisé dans une perspective libérale par l’économie du développement standard, le recul de l’État est accéléré dans les faits par les institutions internationales (FMI, Banque mondiale) qui dévalorisent la politique publique au profit des mouvements de décentralisation et de privatisation, et choisissent souvent de mettre en évidence l’action de la « société civile » dans l’effort de développement10. Cependant la réduction des politiques de développement à un programme par objectif, par exemple ciblé sur les « pauvres » dans le cadre des Objectifs du Millénaire de la Banque mondiale, soulève à son tour des questions. Car on constate que les grandes institutions internationales ont pris en charge la définition et l’orientation du développement sous couvert de son financement. L’idéologie économique qui prévaut est marquée par l’utilitarisme et l’utopie d’une rupture avec le politique. Elle donne lieu à une forme de scientisme, l’économisme, qui revient à voir dans la logique économique (en particulier du calcul rationnel) l’alpha et l’oméga de l’existence sociale. Cet économisme, qui imprègne la rhétorique de la Banque mondiale se traduit par exemple en instrumentalisant la lutte contre la pauvreté dans un objectif de croissance11. Le retrait programmé de l’État, à travers les réformes de libéralisation, l’a concrètement obligé à un redéploiement, qui s’apparente à la fin des années 1990 à un processus de « privatisation de l’État », touchant ses fonctions économiques et sociales comme ses fonctions régaliennes12. Ce recul a en tous les cas profité à d’autres acteurs, et a fait émerger, d’un point de vue analytique, la question du poids des institutions dans le développement : on assiste dès lors à la multiplication des travaux académiques faisant référence à ce niveau intermédiaire de l’analyse économique.
Les années 2000 sous la vague du néoinstitutionnalisme13
8L’introduction des institutions dans la théorie néoclassique du développement va permettre d’analyser le développement en deçà du cadre politique de l’État, en reliant certaines institutions à des variables de performance économique. Cette prise en compte récente des institutions s’effectue dans un contexte général de reconnaissance de leur rôle en économie où le néoinstitutionnalisme triomphe dans les années 1990. On le trouve dans la Nouvelle Économie Institutionnaliste ou New Institutionnal Economics (NIE), issue de la microéconomie de Williamson14, reprenant l’approche par les coûts de transaction de Coase (1937). Ce courant traite des institutions sous le seul critère de l’efficience, et les définit par leur capacité à réduire les coûts de transaction. L’institution est vue comme la solution optimale de divers problèmes que le marché seul ne peut résoudre. À partir d’une telle perspective, la « nouvelle théorie de la firme » est désignée comme « l’étude des modes d’organisation des transactions, des arbitrages entre ces modes, et de leur efficacité comparée15 » : l’institution qui compte ici est l’entreprise. Son existence tient au fait qu’elle minimise les coûts de transaction16. Pour la théorie des jeux, autre branche de cette NIE, les institutions sont des règles du jeu, constitutives ou régulatrices, dont la fonction est « essentiellement de résoudre un problème de coordination entre les joueurs relativement à la réalisation d’un équilibre17 ». La nouvelle économie néoclassique, qui semble ainsi gagnée soudain par le néoinstitutionnalisme, n’est pas seule à opérer cette conversion : ce paradigme avait aussi fait son entrée en sciences politiques dans les années 198018 ; il a progressivement gagné la sociologie du choix rationnel, l’histoire économique, suite aux travaux de North19 ou de Fogel20, et, de là, le champ de l’économie du développement. Comme ailleurs, l’accent est mis sur l’institution à la fois comme dispositif de création de règles et comme dispositif garantissant leur respect : l’institution cruciale dans la perspective déterminante d’un bon fonctionnement du marché (pour créer de l’ordre et réduire l’incertitude dans les relations interindividuelles, condition de l’activité économique) est celle des droits de propriété adéquats21.
9La prise en compte de l’histoire (lue à la manière évolutionniste comme essentiellement de la « dépendance de chemin ») réduit un peu le déterminisme fonctionnaliste : comme ce sont les hommes qui font les institutions et les élaborent en leur faveur, la résultante institutionnelle peut par conséquent être de mauvaise qualité et pourtant se maintenir dans le temps. D’où le nouvel enjeu en termes de politique économique qui, en référence à la fameuse orthodoxie économique « Getting the price right », est désormais « Getting the institutions right22 ».
10L’an 2000 constitue sans doute un tournant pour l’entrée des problématiques institutionnelles en économie du développement car la Banque mondiale, à son tour, semble alors opérer sa conversion aux institutions :
Le plaidoyer pour la libéralisation inconditionnelle des marchés, l’attention insuffisante portée aux institutions, des politiques macroéconomiques trop axées sur la stabilité financière et accordant trop peu de place à la croissance et à l’emploi ont été battus en brèche par les échecs de la transition et par les crises financières de ces dernières années23.
11La même année est publié un véritable manifeste de l’impérialisme économique par Olson (pionnier de la théorie du choix rationnel en sociologie politique) et Kähkonen. Rebaptisé en 2002 A New Institutional Approach of Development, l’ouvrage (dont la seconde partie porte exclusivement sur l’Inde) acte le changement de point de vue en économie du développement : axée jusque-là sur le capital et autres ressources, celle-ci se centre désormais sur la qualité de la gouvernance24.
12À partir de cette date, de nombreux travaux américains et européens publiés dans les grandes revues scientifiques, après diffusion via les Working papers du National Bureau of Economic Research (NBER)25, font état de l’étude statistique ou économétrique des liens entre le niveau de développement économique et les institutions. Derrière la notion de bonne gouvernance, les facteurs institutionnels pris en compte sont, par exemple, le degré de réglementation, la responsabilité du gouvernement, la bureaucratie, l’efficacité judiciaire ou la corruption. En France, les travaux d’Acemoglu26, de Rodrik et d’autres27 sont vite connus et imités, appliqués en particulier dans le domaine de la finance, corrélant la croissance économique (ou l’état des inégalités) à la qualité des institutions financières. Précisons que cette approche des institutions reste thématique28 et en un sens largement instrumentale. Les institutions auxquelles on devrait désormais accorder une place sont les contrats, la politique de la concurrence, la législation sur les faillites, la régulation du système financier. Théoriquement, ces « facteurs institutionnels » ont pour but unique le bon fonctionnement du marché. Bien souvent la mesure de leur qualité se réduit à un indice fourni par les agences de rating29. Dans ces études du développement, les institutions sont définies non pas par leur origine, leur formation mais par leur fonction30. Elles sont là parce qu’elles servent à quelque chose (au minimum du point de vue de la coordination économique, sinon de la croissance), mais ce fonctionnalisme renvoie à un raisonnement évolutionniste quasi tautologique : les institutions présentes aujourd’hui sont par définition celles qui « ont survécu » ; d’où l’on déduit qu’elles sont les plus aptes ou les plus appropriées, car sinon elles auraient disparu. Ce raisonnement devient vite normatif puisqu’on qualifiera de « bonnes institutions » celles qui ont cours dans les pays qui se sont développés. Ainsi, dans cette optique, les institutions qui existent au cœur du capitalisme marchand sont celles qui sont les plus efficientes : le devenir des sociétés serait guidé de lui-même par une fin (la réalisation de la logique d’efficience) qui peut être reconstruite a posteriori. Le caractère téléologique de ce type de lecture étroitement fonctionnaliste de l’histoire a déjà été souligné par d’autres31.
13C’est à très grande distance de ces paradigmes que s’élabore collectivement une autre réflexion institutionnaliste sur le développement d’où procède ce livre.
Heuristique d’un institutionnalisme en économie politique du développement
14Loin d’être définies dans leur seul rapport à l’efficience et au marché (lui-même institué), les institutions sont, selon nous, le moyen de réintroduire explicitement les déterminants sociaux dans l’analyse économique, et, ce faisant, de remobiliser la dimension politique de l’activité économique, mettant en évidence les marges de manœuvre des États. Si l’on reprend la terminologie de Hall et Taylor (1997), transposée par Théret au champ de l’économie, cet ouvrage s’inscrit clairement dans un institutionnalisme historique qui se distingue de l’institutionnalisme du choix rationnel (de la NIE) par « son refus du fonctionnalisme, de l’instrumentalisme et de l’intentionnalisme32 » ; de même qu’il se distancie aussi, dans la plupart des textes présentés ici, de l’institutionnalisme sociologique (dont serait proche en France la théorie des conventions par exemple), en abordant la genèse des institutions à partir des rapports sociaux, voire des conflits, plutôt que résultant d’un « problem solving appliqué aux problèmes de la coordination des comportements individuels33 » où l’accent est surtout mis sur la dimension cognitive des institutions.
15Nous pouvons emprunter à la sociologie durkheimienne du début du xxe siècle une définition provisoire des institutions qui en souligne les éléments clefs retenus au travers de ce livre. Phénomène proprement social, l’institution est définie dans l’article « Sociologie » de la Grande Encyplopédie de 1901 comme « un ensemble d’actes ou d’idées tout institués que les individus trouvent devant eux et qui s’impose plus ou moins à eux34 ». Les institutions sont instituées, c’est-à-dire que l’homme n’en est pas l’auteur, il les trouve déjà formées. En ce sens, elles sont porteuses d’histoire et elles s’imposent à lui. La temporalité des institutions n’est pas celle des comportements individuels. « Qu’il soit ou non défendu à l’individu de s’en écarter, elles existent déjà au moment où il se consulte pour savoir comment il doit agir ; ce sont des modèles de conduite qu’elles lui proposent. » Elles vont façonner les comportements humains, du fait de leur caractère coercitif dont la force vient de la société elle-même (notion de légitimité de l’institution). Donnée d’avance, l’institution n’est pas pour autant figée de toute éternité : « Les institutions véritables vivent c’est-à-dire changent sans cesse. » Qui plus est, il est possible d’arriver à une situation où « les règles de l’action ne sont ni comprises ni appliquées de la même façon à des moments successifs, alors même que les formules qui les expriment restent littéralement les mêmes. » Ainsi, l’institution compte pour la vie sociale d’une part dans la mesure où elle l’encadre, d’autre part en raison de l’ampleur des conséquences entraînées par ses changements, ses évolutions. D’où l’intérêt de mettre l’accent sur le changement institutionnel pour les problématiques de développement. Enfin, dernière idée importante empruntée à la vieille définition sociologique, que l’on retrouvera lorsqu’il s’agit d’étudier les politiques publiques, « certaines institutions forment avec d’autres un système35 », ce que nous nommerons les complémentarités institutionnelles. De ce structuralisme découle que tout n’est pas possible en termes d’ingénierie institutionnelle : les recommandations en matière de politique publique ne peuvent aboutir à isoler certaines institutions qui « marchent » et à vouloir les reproduire telles quelles ailleurs pour obtenir un résultat particulier (d’où la critique du « plaquage institutionnel » que l’on développera plus loin dans cette introduction).
Dénaturalisation de l’économique
La référence à Polanyi
16L’apport des travaux de Polanyi est essentiel dans ce projet institutionnaliste, et le texte de Jérôme Maucourant et Sébastien Plociniczak revient sur les concepts fondamentaux de cet auteur qui définit l’économie comme un processus institutionnalisé de création, circulation et répartition des richesses sociales36. La référence à Polanyi qui se double des lectures de Marx et des institutionnalistes américains (Veblen, Commons, Mitchell), vise entre autres à démontrer la nécessaire mise à distance des conceptions naturalisantes de l’économie, en particulier de la monnaie et du rapport pécuniaire. La problématique de la construction sociale du marché, proprement hétérodoxe, commence à être mieux connue en sciences sociales, notamment en sociologie. Elle est ici reprise en profondeur à partir des travaux de l’économiste qui en a fait la preuve la plus magistrale, non seulement dans la Grande Transformation (1944), mais aussi grâce à ses travaux moins connus en France sur les sociétés non-modernes. La reconnaissance du fait que le marché est dans l’incapacité de produire les institutions, qui sont la condition sine qua non de son fonctionnement concret, impose de revenir au paradigme fondateur élaboré au milieu du xxe siècle.
17De nombreuses contributions dans cet ouvrage poursuivent l’opération de dénaturalisation théorique du capitalisme qui découle de la perspective polanyienne. Jérôme Maucourant et Sébastien Plociniczak, Jean-Michel Servet, et Stéphanie Treillet montrent qu’elle peut s’appliquer en particulier à la rareté et, de là, à la notion de pauvreté37, et ceci sans forcément tomber dans les thèses de la décroissance et de l’« anti-développement », prêtes à relativiser le problème de la pauvreté parce qu’elle a cours dans des sociétés « autres », « traditionnelles », où les références sont différentes des nôtres38.
Constructivisme et réflexivité
18L’analyse des grandes institutions du développement (la Banque mondiale traitée comme l’« idéal-type des bailleurs de fonds39 »), à travers leur discours, tel qu’il apparaît dans leur littérature grise, s’inscrit dans une double problématique de réflexivité en sciences sociales et de déconstruction des discours, qui reprend une préoccupation familière aux premiers institutionnalistes américains, mais pas toujours évidente pour l’économiste contemporain. Pourquoi en effet, pour étudier le développement, faudrait-il analyser les discours des grandes institutions investies dans les politiques de développement ? Selon quelle justification peut-on mettre sur un même plan l’explication des dynamiques économiques propres au développement, l’analyse des politiques de développement, et un ensemble de discours normatifs relatifs aux orientations à privilégier pour soutenir les pays du Sud ?
19L’approche institutionnaliste américaine du début du xxe siècle s’est nourrie de pragmatisme40 selon lequel les institutions (définies comme ensemble de règles abstraites), tous les éléments de connaissance, et les concepts, font eux-mêmes partie de la réalité. Les pères de l’institutionnalisme moderne ont ainsi ouvert la porte à l’analyse discursive. Mais la critique de la production de la connaissance et de ses enjeux à travers la notion d’idéologie remonte en réalité bien plus loin, et, là encore, nous renvoie à Marx et à l’origine de la sociologie de la connaissance.
20La critique de l’état du développement actuel et de ses acteurs ne peut certes se limiter à l’analyse de discours. Cette analyse doit néanmoins être menée, d’abord, en raison du poids de la Banque mondiale qui confère un caractère performatif à son discours, ainsi que l’ont déjà fait de nombreux travaux41 ; mais aussi, à cause de son extraordinaire souplesse théorique, de son adaptation permanente aux critiques, et de sa capacité étonnante à intégrer de nouveaux éléments, y compris les reproches adressés au Consensus de Washington de ne prendre en compte que les équilibres financiers et d’oublier la dimension humaine du développement, au mépris notamment de toute considération éthique42. Enfin, comme contrepoint à l’analyse critique du discours sur les Objectifs du Millénaire par Jean-Michel Servet, l’étude des contraintes subies aujourd’hui par le Mali par Many Camara en souligne la pertinence, en venant montrer comment les principes prônés par la Banque mondiale (et le FMI) se sont traduits dans la réalité.
Les écueils du culturalisme
21Les travaux sur les institutions que nous présentons dans cet ouvrage cherchent à revenir sur les conditions, spécifiques, d’émergence et de fonctionnement des institutions, sous des formes idiosyncrasiques, en insistant sur la diversité des situations nationales. Cette prise en compte de la richesse et de la complexité de la réalité sociale fait parfois verser dans le culturalisme43 qui n’est pourtant pas sans dangers.
22La perspective culturaliste a été, par exemple, largement appliquée à l’analyse du développement des pays d’Asie, accordant du crédit au discours « asiatiste », discours anti-occidental des dirigeants malaisiens et singapouriens avant la crise de 1997, qui attribuait aux valeurs asiatiques le « miracle économique » des dernières décennies. Ces valeurs seraient : une grande capacité de travail, l’importance du travail bien fait, la soumission à l’autorité, la recherche du consensus, le rôle central donné à la famille et à la communauté plutôt qu’à la valorisation hédoniste égoïste de l’individu, etc. Mais les chercheurs en sciences politiques sont nombreux à mettre en doute la réalité historique de ces valeurs44. D’autres économistes en dénient également l’efficacité économique, notant que ce sont les mêmes valeurs qui servaient à expliquer le retard de développement de la région dans les années 196045.
Changement institutionnel et dynamique des rapports sociaux
23Les deux grands problèmes qui se posent à toute recherche institutionnaliste sont la théorisation des effets des institutions, et celle de leur changement. Nous abordons ici les présupposés retenus par les auteurs concernant la dynamique des institutions. Postuler la nature sociale des institutions a des conséquences fortes dès lors que l’on cherche à en faire la genèse ou à trouver les causes de leur évolution. S’y ajoute ici une autre proposition selon laquelle la genèse des institutions, qui marquent les trajectoires de développement, n’est pas forcément d’essence économique. Cette idée, déjà soulignée par Polanyi, nous semble fondamentale. Elle constitue l’un des fils directeurs qui courent à travers le livre. Cette problématique est également partagée et présente dans le courant de la Régulation. À partir de travaux historiques et théoriques, la théorie de la Régulation considère en effet que « les institutions les plus essentielles n’ont pas toujours pour origine ou principe une logique exclusivement économique46 », dans le sens où ce n’est pas le principe économique d’efficacité qui gouverne leur création. Marquée par les analyses marxistes, cette théorie place les institutions au centre de son analyse des évolutions de long terme du capitalisme depuis le milieu des années 1970. Elles sont conceptualisées en termes de « formes institutionnelles », c’est-à-dire des « codifications d’un ou de plusieurs rapports sociaux fondamentaux47 ». Elles sont présentées de manière taxinomique48 : au nombre de cinq, elles comptent le régime monétaire, la forme du rapport salarial, la forme de la concurrence, la forme d’adhésion au régime international et la forme de l’État. Le principal apport pour notre ouvrage réside dans le caractère systémique de cet ensemble d’institutions : l’architecture d’ensemble de ces formes institutionnelles détermine à un moment donné le rythme et la forme du développement économique. L’aspect systémique des institutions peut s’observer particulièrement clairement dans l’évolution des ex-pays de l’Est. En effet, « la transition est un laboratoire à ciel ouvert pour analyser la dynamique des institutions et l’impact de ce changement sur l’évolution économique des pays concernés49 ». C’est l’objet de l’article de Julien Vercueil analyse la Russie en transition : l’approche institutionnaliste retenue se situe au croisement de la théorie de la Régulation, de l’économie des conventions et du courant évolutionniste, permettant à l’auteur de souligner la dimension structurante du retard technologique dans la trajectoire passée et à venir de la Russie contemporaine.
24Réciproquement, les institutions sont le fruit de construits sociaux, et résultent de compromis institutionnalisés, eux-mêmes issus des rapports sociaux s’exprimant en particulier sous la forme de conflits sociaux et politiques. Dans cette perspective d’économie politique, et contrairement aux tenants de l’anti-développement, la mondialisation à l’œuvre ne relève pas d’un déterminisme implacable dont la cause première reste imprécise. Elle doit se lire comme un moment historique particulier50, comme le processus politique de libéralisation et de déréglementation des marchés à l’échelle mondiale, bien plus que comme un simple contexte qui s’imposerait de lui-même aux gouvernements et aux populations.
25Dans la perspective théorique défendue ici, la genèse des institutions est bien sûr l’un des problèmes auxquels se confrontent certains textes, que ce soit d’un point de vue théorique, comme la contribution de Ekkehard Ernst, repartant des modèles néoclassiques de croissance endogène, ou bien à partir d’études de cas, comme celui de l’enseignement supérieur réunionnais (Raoul Lucas, Karin Radojcic et Françoise Rivière), ou encore ceux abordés dans la deuxième partie de l’ouvrage, concernant les transformations des régimes monétaires (Iran, Équateur, UEMOA). Mais dans tous les cas, la mise à distance du principe d’efficacité comme générateur de l’institution conduit à ne pas reprendre le raisonnement sur un mode évolutionniste expliquant la genèse des institutions par une « sélection » des institutions, ni selon une perspective fonctionnaliste caractéristique du courant néoinstitutionnaliste dans sa version issue des théories du choix rationnel. La genèse des institutions relève d’une analyse bien différente à partir du moment où l’on ne considère plus que c’est le seul principe économique d’efficacité ou d’optimalité qui motive leur création.
26Si l’on admet que les institutions dépendent le plus souvent de logiques sociopolitiques, alors, soit on considère leur création extérieure au champ de l’économie, et on les traite comme données pour s’intéresser à leurs effets économiques, soit on cherche à revenir aux conditions de leur émergence en faisant appel à l’économie politique, l’histoire, la science politique ou aux travaux sociologiques. Dans ce dernier cas, en effet, on admet que l’institution trouve sa source dans des rapports sociaux qui, à un moment du temps, se sont cristallisés sous une certaine forme et s’imposent à tous. Réfléchir au développement revient à penser les politiques de développement et, en ce sens, travailler sur le développement est inséparable d’une dimension politique. Cette idée nous ramène à des présupposés anciens de l’économie du développement, rejoignant notamment Myrdal qui liait l’historicité, la détermination sociale des phénomènes économiques et leur dimension politique : « Mon itinéraire personnel depuis ma jeunesse m’a apporté la conviction croissante que les problèmes économiques ne pouvaient être étudiés isolément, mais devaient l’être dans le cadre démographique, social et politique51. » Pour l’auteur de The Asian Drama (1968), la dimension politique du développement ne peut se ramener à une ingénierie comme le suggèrent les rapports de la Banque mondiale et l’invitation contemporaine à mettre en place les « bonnes institutions ». Dans les pays du Sud décolonisés, les notions de planification et d’industrie dépassaient leur sens étroit de technique de croissance, pour devenir l’expression d’un nationalisme et d’une volonté d’action : aujourd’hui encore, le développement est l’effort global d’une société, et le résultat de ses propres conflits.
27Pour comprendre les tenants et aboutissants de la structure d’une grande partie des États en développement aujourd’hui, le détour par l’histoire coloniale est donc indispensable. Au cours de sa progressive (et incomplète) colonisation du monde, l’influence européenne a façonné non seulement l’économie mais aussi la future société nationale, tant du point de vue de sa démographie, que de ses hiérarchies sociales et de la division sociale du travail (sans parler des représentations52). Au-delà du phénomène majeur de l’esclavage qui a modelé la démographie de nombreux pays sur plusieurs siècles, la colonisation a aussi signifié l’introduction du salariat (dans les mines ou les plantations par exemple, dans la construction, dans la fonction publique), s’accompagnant souvent de l’organisation d’une immigration massive de main-d’œuvre étrangère venue des autres colonies. Cette influence de la colonisation s’est aussi exprimée à travers la mise en place d’une administration fiscale, d’un état civil (carte d’identité), du recensement, de l’application d’un système de droit, et, du point de vue des institutions informelles, on notera encore la prééminence accordée à l’écrit, les unités de mesure internationales (système métrique, etc.). Un autre changement institutionnel majeur véhiculé par la colonisation concerne la monnaie, sous des formes variables allant de la définition de sa convertibilité et de son ancrage au système monétaire dominant, à l’introduction d’une nouvelle monnaie ou l’imposition d’une monnaie unique.
28C’est sur le système éducatif que reviennent en détail Karin Radojcic, Raoul Lucas et Françoise Rivière à la Réunion, anciennement l’Île Bourbon, pour analyser la rapide évolution de l’enseignement supérieur de l’un des DOM français marqué, comme les autres, par la mobilité de ses étudiants, dans un contexte de taux de chômage très élevé. Comment se fait-il que la France, inscrite dans le projet européen du sommet de Lisbonne de société de la connaissance, ait pu connaître de telles zones de sous-développement, en particulier en termes de niveau d’éducation de ses citoyens ? Sous quelles conditions des changements ont-ils pu avoir lieu ? Ce sous-développement de l’intérieur prend ses racines dans une histoire sociale et économique singulière, celle d’une colonisation de peuplement (fondée sur l’esclavage et structurée par l’exploitation de quelques ressources naturelles) et dont la plupart des structures, y compris l’enseignement universitaire portent la trace aujourd’hui.
Impasses d’une politique de développement universelle
29Les divergences de conception en matière de théorie des institutions se reflètent immédiatement dans les diverses manières de penser les politiques de développement. Notre démarche se distingue de celle de la théorie économique dominante d’obédience néoclassique (théorie standard) sur le terrain de la prescription des politiques publiques et de l’analyse de leurs effets.
La tentation du plaquage institutionnel
30À l’image d’une conception fonctionnaliste des institutions, la théorie économique standard conçoit les politiques de développement comme un processus qui permettrait d’imposer de nouvelles institutions supposées être les supports de nouveaux comportements qu’elles vont alors « naturellement » faire surgir. Cette conception des institutions se double ainsi de ce que l’on pourrait qualifier d’individualisme institutionnel en matière de politique de changement institutionnel. Évidemment « individualisme institutionnel » n’a ici rien à voir avec l’invidualisme méthodologique qui pense pouvoir rendre compte de la formation et du fonctionnement des institutions par la seule action des individus. Loin du classique débat entre individualisme et holisme méthodologiques, ce que nous nommons ici « individualisme institutionnel » désigne la position consistant à croire en effet qu’il est possible de modifier certaines institutions « individuellement », c’est-à-dire séparément, indépendamment du cadre institutionnel global, pour leur faire véhiculer des normes qui vont ipso facto structurer de nouveaux comportements53.
31C’est selon une telle approche des politiques de développement et en escomptant de telles vertus des politiques de changement institutionnel que la transition des pays ex-communistes a par exemple été conçue. Sous la houlette des organisations internationales et d’économistes devenant « pour la bonne cause » conseillers du prince, l’économie de marché allait émerger grâce au développement, d’une part, de nouvelles institutions telles que la propriété privée, le marché et la concurrence, et, d’autre part, grâce à des politiques macroéconomiques d’austérité. On connaît le résultat : pour s’en convaincre, il suffit de se rappeler les nombreuses études54 qui soulignent les conséquences économiques et sociales dramatiques engendrées par de telles politiques. Le démantèlement des anciennes structures et infrastructures qui s’en est suivi, en faveur de nouvelles, ayant tardé par ailleurs à se mettre en place, a provoqué, pendant un certain temps, une sorte de vide institutionnel et juridique, qualifié par certains de « hiatus institutionnel » comme le rappelle Julien Vercueil dans son texte. Cette situation s’est avérée propice au développement d’un chaos généralisé et de comportements de prédation et de rentes55 de la part notamment des élites sociales au pouvoir soucieuses de se repositionner dans les nouvelles structures économiques et bancaires en cours d’édification (privatisées à leur profit).
32La littérature économique dominante, épaulée par les institutions et bailleurs de fonds internationaux, eux aussi grands producteurs de discours, mais également instigateurs, dans la pratique, de politiques de développement, a multiplié ses efforts à partir des années 1990 pour identifier les « bonnes » institutions, celles qui permettraient aux pays en développement de sortir de leur pauvreté. La politique de développement, selon cette approche, se résume à la mise en place d’un modèle institutionnel standard et à une uniformisation des comportements. Ce « standard » économique en matière de politique de développement est bien connu, mais sous un nom devenu passe-partout, dépouillé dans les usages de toute connotation politique et faisant référence à une réalité économique qui s’imposerait de manière « naturelle » : la mondialisation. Mais la mondialisation n’a rien d’une fatalité naturelle, elle correspond à un processus politique de déréglementation générale de tous les marchés (biens et services, travail, capitaux), qui a débuté au milieu des années 1980 et n’est pas encore achevé, préconisé par les principaux organes et bailleurs de fonds internationaux (FMI, OMC, OCDE, Banque mondiale, Commission européenne), et relayé au niveau des gouvernements nationaux tant dans les pays riches que dans les pays pauvres… Il s’agit là d’un projet politique d’universalisation institutionnelle dans lequel le libéralisme économique est conçu comme inséparable de la propagation du modèle libéral démocratique.
33Les bailleurs de fonds internationaux soutiennent un tel modèle économique et politique, et conditionnent l’octroi de leurs prêts à la mise en place des « bonnes » politiques publiques. Il est par ailleurs intéressant de souligner un changement de méthode de leur part, à partir de la fin des années 1990, relatif à leur intervention. En réponse notamment aux fortes critiques émises par les gouvernements et populations des pays aidés, qui crient, à juste titre, à la perte de leur souveraineté, et par un fort mouvement de contestation de l’opinion publique internationale, les bailleurs de fonds internationaux, en particulier le FMI, multiplient en effet documents de travail, séminaires et colloques afin de proposer de nouvelles stratégies en matière de conditionnalité56. Mais ce changement relève en réalité plus de la forme que du fond. Leurs nouvelles propositions d’intervention consistent à ne plus intervenir directement auprès des autorités nationales pour leur imposer un programme d’ajustement structurel57, mais à les encourager à concevoir leurs propres programmes. Sans interférer ainsi, explicitement, dans le choix des politiques publiques, ils se limiteraient, implicitement, à conditionner leurs aides en fonction des résultats et objectifs économiques affichés par les autorités nationales et des « bonnes » institutions que les pays aidés mettraient en place « d’eux-mêmes ». On passe ainsi, à la fin des années 1990, d’une conditionnalité exprimée essentiellement en termes de politiques macroéconomiques vers une conditionnalité exprimée en termes de construction institutionnelle.
34L’intérêt porté par la Banque mondiale à la question des institutions depuis la décennie 1990 reflète les évolutions du champ académique qui a connu une montée en puissance de cette problématique, comme on l’a vu. Celle-ci, jadis réservée au courant hétérodoxe, et ignorée du courant dominant, a été reprise par ce dernier. S’est donc développée toute une économie institutionnaliste, au sein de l’approche dominante, qui a permis d’appuyer du poids de sa légitimité scientifique des politiques publiques de développement maintenant orientées vers la transformation des structures institutionnelles. Mais il y a de nombreuses manières de faire de l’économie institutionnaliste. Si le courant hétérodoxe a été rejoint dans la problématique des institutions, il n’en reste pas moins des différences profondes entre ces approches quant à la manière d’appréhender théoriquement les institutions et d’en concevoir subséquemment les politiques de développement.
35L’approche retenue dans cet ouvrage, pour aborder la question des politiques de développement, se situe aux antipodes de celle que l’on vient de rappeler. Sont pointés les problèmes théoriques et politiques posés par un tel plaquage institutionnel d’une politique de développement réputée universelle.
Les limites théoriques posées du plaquage institutionnel
36L’ensemble des contributions s’accorde pour réfuter tout d’abord, aussi bien du point de vue de l’analyse théorique qu’au travers d’études de cas, l’hypothèse d’une relation simple entre institutions et comportements des acteurs économiques. L’idée que l’on pourrait établir un lien simple, déterministe et univoque entre une forme institutionnelle isolée et un ou des comportements qui lui seraient associés doit ainsi être critiquée. Notre approche soutient en effet ce que l’on pourrait qualifier de holisme institutionnel, c’est-à-dire le fait que c’est un ensemble institutionnel et non une ou quelques institutions prises isolément, qui détermine les comportements. La thèse du holisme institutionnel consiste à dire qu’il y a une relation entre l’ensemble des constructions institutionnelles et l’ensemble des comportements. Dès qu’on veut aller au-delà de cette proposition, il est vrai très générale, il faut étudier au cas par cas comment jouent les synergies institutionnelles sur des sous-ensembles particuliers de comportements. Des complémentarités institutionnelles jouent en effet non seulement parmi les institutions formelles politiquement réformables, mais aussi et surtout entre ces dernières et toutes les institutions informelles hors de portée des politiques de transformation délibérée, et généralement le produit d’une histoire longue, voire très longue. En d’autres termes, les institutions formelles et réformables ne doivent pas seulement s’agencer en une totalité cohérente. Elles doivent également se révéler compatibles avec toutes ces autres institutions ou infra-institutions (ordre symbolique, culture, mentalités, etc.). À partir d’une telle perspective, on en déduit un deuxième désaccord théorique avec l’approche standard. Il concerne la possibilité même d’avoir un modèle économique universel, doté des « bonnes » institutions, que l’on pourrait transposer à tous les pays en développement et en transition.
37Ekkehard Ernst développe les conséquences, en termes de politique structurelle, de la précédente analyse du holisme institutionnel. L’argument central de la thèse des « complémentarités institutionnelles » interdit en effet le bricolage institutionnel local. Modifier isolément une ou quelques institutions, c’est prendre le risque de perdre la cohérence globale du modèle antérieur quand bien même on jugerait que celui-ci doit évoluer. L’importation brutale de quelques formes institutionnelles supposées « plus efficaces » rencontrera nécessairement la contrainte du défaut de compatibilité avec les formes anciennes qui auront été conservées. À supposer même qu’on puisse imaginer importer non pas quelques mais toutes les institutions formelles réformables d’un bloc, il resterait le problème de leur cohérence avec les infra-institutions informelles et non réformables. L’expérience ne cesse de montrer en effet le rôle déterminant des contextes locaux, des caractéristiques symboliques et politiques propres à chaque pays qui peuvent conduire les réformes au succès dans certains cas, à l’échec dans d’autres. Seuls de naïfs ingénieurs sociaux peuvent croire que « one size fits all » : toute réforme n’est pas mécaniquement transposable d’un pays à un autre.
38Nombreux sont les cas empiriques qui montrent en effet qu’une politique de changement institutionnel peut échouer à produire les comportements escomptés. À cet égard, l’expérience des anciens pays post-communistes est riche d’enseignement. Si l’on prend l’exemple de la Russie en transition, une des priorités affichées au programme des grandes réformes engagées dès la fin des années 1980 était d’instaurer de « vrais » rapports monétaires et marchands. Pour ce faire, des réformes institutionnelles de grande envergure ont été opérées qui se sont traduites par une transformation des anciennes structures bancaires et monétaires, rebâties à l’image de celles des économies de marché (système bancaire à deux niveaux, banque centrale indépendante, normes prudentielles…). Ces changements institutionnels se sont également accompagnés d’autres réformes : privatisation des structures bancaires et économiques, libéralisation économique et financière… Cependant, les multiples réformes n’ont pas suffi à façonner les nouveaux comportements escomptés, ni à mettre en place un nouveau rapport monétaire. Si l’on regarde les conséquences en matière bancaire, la relation de crédit demeure basée sur des critères non pas économiques mais politiques. En outre, la Banque centrale de Russie rencontre les plus grandes difficultés à exercer un contrôle sur le secteur bancaire et, plus généralement, à imposer et faire respecter une régulation monétaire58. Du système bancaire russe, on pourrait ainsi dire d’une certaine manière qu’il est constitué de banques mais sans banquiers, c’est-à-dire sans individus possesseurs d’un ethos bancaire tel qu’il s’en est constitué un au fil des siècles dans les capitalismes occidentaux. Un des enseignements théoriques que l’on peut dégager de l’expérience de la Russie depuis la transition consiste à dire qu’il ne suffit pas de privatiser le système bancaire, ni de créer une banque centrale indépendante munie de consignes de rigueur, pour structurer un nouvel ordre monétaire et bancaire. Pour comprendre cet écart entre le changement institutionnel, ses comportements escomptés, et les comportements finalement produits, il importe de prendre en considération le contexte sociopolitique de la transition.
39Les transformations d’institutions quand elles sont opérées dans l’ignorance de cette économie politique du changement institutionnel sont également exposées à être récupérées, instrumentalisées, contournées ou détournées par les agents privés, ou plus exactement par les groupes d’intérêts privés dans un sens qui subvertit sensiblement les finalités originelles des réformes. À cet égard, Ramine Motamed-Nejad met au jour les conflits d’intérêt et les rapports de pouvoir nés des tentatives d’institutionnalisation des nouveaux rapports monétaires en Iran. Il montre, entre autres, en quoi les réformes bancaires mises en œuvre par les « réformistes » de M. Khatami, à partir de 2000, ont donné lieu à des effets totalement contre-intuitifs. Loin de promouvoir le financement des investissements productifs, les nouvelles banques issues de ces réformes, affiliées aux grands groupes industriels et aux grandes fondations religieuses, ont privilégié des opérations spéculatives tendues vers les seuls intérêts d’une oligarchie économique et politique née à partir de la fin des années 1980. Ce faisant, ces nouvelles banques privées, de même que les banques étatiques, ont dépouillé, comme dans les années 1980 et 1990, la majorité du corps social de tout accès au crédit bancaire au sein du système monétaire officiel. Ce comportement sélectif du système bancaire officiel a rejeté une grande partie des agents économiques vers le système monétaire et financier informel où règnent l’usure et la spoliation récurrente des déposants par les marchands-banquiers traditionnels dotés d’importants soutiens au sein du régime. Et c’est sur une telle scène monétaire que l’auteur donne à voir les usages politiques de la monnaie en Iran, puisqu’il dévoile les mécanismes selon lesquels les groupes politiques « néoconservateurs » ont édifié, avec le soutien de l’armée parallèle (les Pasdarans), des « contre-institutions » bancaires, dont les largesses monétaires ciblées en faveur d’une fraction restreinte des couches sociales défavorisées expliquent, du moins en partie, le succès politique de ces derniers lors des élections présidentielles de juin 2005. L’expérience monétaire de l’Iran post-révolutionnaire porte ainsi témoignage de la dimension pleinement politique de la monnaie.
La mondialisation et ses effets : quelles marges de manœuvre politique ?
40À cette première critique, d’ordre théorique, concernant la manière dont l’approche dominante conçoit la politique de changement institutionnel s’ajoute une deuxième critique d’ordre plus politique et pratique. Un certain nombre de contributions discute des effets de la « politique de changement institutionnel universelle », prenant la forme d’un processus politique de déréglementation générale des marchés (mondialisation), depuis le début des années 1990. Cette politique s’est révélée la source d’une grande instabilité à la fois dans les pays dits développés, et plus fortement encore dans les pays dits en développement59. Le facteur générateur de cette instabilité macroéconomique provient pour une grande part de la finance et de la déréglementation des marchés de capitaux (marchés financiers et marchés de change). En effet, dans sa dynamique, la finance est relativement autonome et propice aux accidents spéculatifs, donc à l’instabilité, comme l’attestent les nombreuses crises financières des années 1990 dans les pays développés – essentiellement sur les marchés d’actions –, et dans les pays en développement – concernant cette fois plutôt les marchés de change, de titres de la dette publique, et immobilier.
41Si la plupart du temps la finance est la source primaire de l’instabilité, celle-ci est cependant transmise à la sphère réelle qui elle-même l’accommode – et en l’espèce il faudrait plutôt dire : la relaye, voire l’amplifie – au travers d’une série de mécanismes spécifiques. Si en effet les dynamiques spéculatives peuvent se développer en n’ayant plus que des rapports extrêmement distendus avec les données de l’économie réelle, à l’inverse les accidents financiers produisent des impacts directs sur l’activité productive. Le système bancaire est l’un des canaux privilégiés de cette transmission puisqu’il est rare que les institutions bancaires sortent indemnes d’un accident spéculatif grave, auquel elles réagiront d’abord par la contraction de leur offre de crédit. Le financement de l’activité productive, notamment de l’investissement, s’en trouve immédiatement affecté. Il se peut par ailleurs, comme l’ont prouvé certains accidents financiers récents, que les entreprises soient elles mêmes directement frappées par le retournement des marchés de capitaux, aux excès spéculatifs desquels elles ont été mêlées. Toute l’instabilité financière se diffuse alors au sein de l’économie réelle au travers des ajustements récessifs mis en place par les banques et les entreprises. Cette diffusion est d’autant plus forte que les structures de l’économie sont dépourvues de forces de rappel et de mécanismes contracycliques. Telle est bien la situation créée par la déréglementation de tous les marchés (autres que financiers). Ainsi notamment, l’ajustement sur l’emploi se fait d’autant plus vite et d’autant plus fort que le marché du travail est déréglementé et flexible. Une dynamique macroéconomique récessive de causalité cumulative s’opère alors, en l’absence d’éléments contracycliques, dans le mode de régulation du fait de la déréglementation généralisée, et en particulier du désengagement forcé de l’État dans sa fonction de stabilisateur macroéconomique. Les ajustements de l’emploi vont provoquer une baisse du revenu des ménages et donc de la demande intérieure qui, à son tour, aura des répercussions négatives sur le niveau de la production, de l’emploi et de l’investissement.
42Cette grande instabilité macroéconomique et financière s’accompagne, le plus souvent, dans les pays en développement d’une grande dépendance monétaire vis-à-vis d’une monnaie étrangère forte, le dollar notamment pour les pays d’Amérique du sud, ou l’euro pour les pays africains de l’UEMOA, en raison de la mise en place de régimes de change à ancrage rigide par rapport à une devise étrangère de référence (dollar, euro), qui ont pour effet d’affaiblir les marges de manœuvre de leurs institutions monétaires en cas de chocs ou déséquilibres macroéconomiques d’origine interne ou externe60. Qu’il s’agisse de régimes de dollarisation partielle61 (Currency Board) ou intégrale62, ou encore de régimes à ancrage nominal fixe, comme dans le cas de l’UEMOA, tous ces régimes entraînent, sans surprise d’ailleurs, une diminution voire une suspension de la souveraineté monétaire de ces pays.
43Néanmoins, s’il est possible d’escompter en principe de ces régimes de change plus ou moins rigide, dans des contextes de fortes tensions monétaires, un certain nombre d’avantages, en particulier celui d’une certaine stabilisation monétaire interne, celle-ci s’avère dans la réalité d’une grande fragilité. En effet, dans le cas d’un Currency Board, et plus encore dans le cas d’une dollarisation intégrale, la masse monétaire et le crédit interne se trouvent alors fortement liés à l’état de la balance commerciale et au niveau du solde d’entrées-sorties de capitaux. En outre, de tels régimes monétaires participent à l’accroissement des risques sur les systèmes bancaire et financier63. En effet, privée de son rôle de prêteur en dernier ressort, la banque centrale ne peut plus porter secours aux banques en cas de crise de liquidité ou de crise monétaire d’origine cambiaire, ce qui accroît la portée du risque systémique et fait peser une menace vitale sur le système bancaire. Par ailleurs, l’impossibilité pour la banque centrale d’accorder des prêts en dernier ressort peut engendrer une modification des comportements des banques qui cherchent alors à constituer leurs propres réserves autonomes en plaçant leurs liquidités à l’étranger et en se détournant du financement de l’activité productive. Ces régimes de change ultrafixe font donc peser un risque accru sur les institutions monétaires et financières qui, pour s’en préserver, pratiquent des taux d’intérêt élevés et un rationnement de l’offre de crédit à l’économie, ayant pour effet à son tour d’entraîner des ajustements récessifs macroéconomiques. Enfin, une troisième source d’instabilité monétaire doit être rappelée. Le risque de défaut souverain se trouve accru en effet de ce que les investisseurs étrangers dans le pays dollarisé peuvent décider massivement de rapatrier très rapidement leurs capitaux en raison de faiblesses de la position budgétaire du pays, de la détérioration de sa qualité de signature, ou encore de l’insécurité de son système financier. Aussi, si la dollarisation annule tout risque de dévaluation pour le pays dollarisé, en revanche elle ne supprime pas, voire accroît, les risques de déflation, de liquidité et le risque de défaut souverain.
44Si l’on examine les effets de ces politiques de dollarisation sur des cas concrets, s’agissant de l’Équateur par exemple, analysé par Jean-François Ponsot, force est de reconnaître que la dollarisation totale a permis à cette économie de surmonter un début d’hyperinflation, des faillites bancaires et une récession économique à la fin des années 1990, et de connaître, depuis, une certaine stabilité monétaire et de bonnes performances macroéconomiques. Néanmoins, tous ces bons résultats tiennent pour une grande part à la conjoncture haussière des prix du pétrole qui contribue à l’augmentation de ses recettes d’exportation et écarte de fait les tendances déflationnistes du régime de dollarisation. Cette conjoncture internationale favorable à l’Équateur ne doit pas occulter, comme le montre Jean-François Ponsot, la permanence de profonds déséquilibres structurels, macroéconomiques et financiers. La consolidation du système bancaire depuis 2000 repose en effet sur des faiblesses structurelles (rentabilité incertaine, liquidité prudentielle contestable, risque de contrepartie, placements financiers à l’extérieur) qui fragilisent les performances d’un système de crédit et de paiement dans un contexte d’absence de prêteur en dernier ressort. Ceci s’accompagne d’une instabilité macroéconomique reposant sur une élévation des taux d’intérêt et un étranglement de l’offre de crédit à l’économie.
45Concernant l’Argentine64, les effets du Currency Board, conjugués à la libéralisation économique, se sont fait sentir dramatiquement et ont éclaté au grand jour en 2001, après une décennie d’ajustements économiques et sociaux récessifs. Ce pays a été confronté à un niveau d’instabilité macroéconomique et de grande dépendance vis-à-vis de l’économie financière internationale, qui l’ont conduit à une crise systémique aiguë en 2001 dont les manifestations multiples se sont auto-renforcées et que l’on peut énumérer ici brièvement pour en saisir l’ampleur : une crise sociale, marquée par une désalarisation de la société et une grande précarisation de l’emploi, une explosion du chômage, de la pauvreté et des inégalités ; un État insolvable qui en outre se désengage de sa fonction sociale – éducation, santé, infrastructures – au profit d’une privatisation de tous ces secteurs ; une crise financière alimentée par l’insoutenabilité de la dette publique et la sortie massive de capitaux étrangers ; une crise monétaire liée à un ancrage nominal du peso au dollar devenu intenable ; une crise économique marquée par une destruction de l’appareil industriel, affaibli par une appréciation du dollar pesant sur sa compétitivité et provoquant alors un processus de déflation et des ajustements sévères sur le facteur travail ; enfin, une profonde crise politique.
46L’Afrique n’a pas non plus été épargnée. La politique de désinflation compétitive menée au sein de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA65) à partir des années 1990 telle qu’elle est exposée par Kako Nubukpo peut être elle aussi réinscrite dans le paysage général de la mondialisation et plus précisément dans le cadre du Consensus de Washington qui en est en quelque sorte le volet « politique macroéconomique ». Sans être aussi extrême que les solutions monétaires retenues par l’Argentine et l’Équateur, la politique de désinflation compétitive en partage néanmoins l’idée générale. Certes, elle ne sera pas allée jusqu’à des transformations des structures monétaires aussi radicales que les régimes argentins et équatoriens de Currency Board, mais elle aura également affirmé l’idée que la politique monétaire doit être entièrement consacrée à l’objectif de stabilité nominale, sans égard pour la croissance et l’emploi.
47Many Camara dresse enfin un bilan du Mali (1990-2005), pays qui s’est appliqué à mettre en place une politique de spécialisation pour l’exportation et de libre-échange depuis une trentaine d’années qui devait, selon les organisations internationales, lui permettre de procéder à un rattrapage en termes de niveau de développement. Néanmoins, cet acharnement dans la voie d’une telle politique, salué par ailleurs par les organisations internationales qui citent bien souvent le Mali comme modèle, a été mal récompensé. Many Camara en montre les conséquences dévastatrices, qui ont conduit le Mali à des tensions macroéconomiques extrêmes conduisant à un appauvrissement et à un pillage des actifs économiques de l’État. En effet, au lieu de favoriser réellement la création de richesses et l’amélioration des conditions de vie de la population, le Mali se trouve pris dans une concurrence internationale inégale qui ruine ses revenus et entrave l’épargne intérieure ; pris dans le carcan d’une dette extérieure qui absorbe ses ressources financières et lui interdit tout investissement significatif, et partant tout décollage économique.
Conclusion
48L’apport de cet ouvrage est de proposer une version relativement cohérente d’institutionnalisme en économie politique du développement, nourrie d’emprunts aux autres sciences sociales, à partir de textes de spécialistes de différents continents. Ce volume rassemble des parcours intellectuels et méthodologiques divers et ne reflète pas ce qui pourrait relever d’une école de pensée à proprement parler, ni d’un courant constitué de l’économie du développement. Mais une réflexion collective s’est élaborée à partir de ces textes et de leur discussion dans le cadre d’un séminaire de recherche pluridisciplinaire tenu depuis 2001 à la Maison des sciences économiques66. Ainsi, on trouvera au fil des pages qui suivent des thématiques convergentes et des options théoriques partagées. Car derrière les questions méthodologiques communes se profilent des enjeux théoriques à partir du moment où l’on refuse les réponses (et les méthodes qui lui sont associées) générales et valables en tout lieu de la théorie néoclassique du développement, imposée à l’heure actuelle par les institutions internationales et répandue dans le domaine scientifique par un impérialisme économique revendiqué. Ainsi, malgré la diversité des parcours des différents auteurs, on peut identifier des grandes lignes communes suggérant l’existence d’un paradigme institutionnaliste du développement.
49Derrière les différentes analyses des institutions dans le développement et du changement institutionnel présentées ici, il faut donc souligner la référence aux mêmes acquis théoriques :
Le marché, lui aussi, est une institution sociale, il n'est pas auto-institué ;
Les rapports sociaux et le pouvoir politique jouent un rôle déterminant dans la genèse des institutions et dans le fonctionnement des économies ;
Les instances que la doctrine néolibérale se propose de substituer à l'État pour mettre en œuvre le développement ne sont pas suffisantes ;
Il n'y a pas de déterminisme technologique.
50Les textes présentés dans cet ouvrage partagent aussi des principes épistémologiques. Le rejet d’une conception de l'économie comme science du choix individuel se traduit dans la distance avec l'utilitarisme67 et un institutionnalisme qui partirait de la microéconomie en se fondant sur des présupposés comportementaux68 réputés universels. S’exprime également dans les présentes contributions une certaine méfiance vis-à-vis des séductions du fonctionnalisme en sciences sociales. Enfin, l’économie étant définie comme une science sociale, cela signifie qu’il n’y a pas de détermination purement économique de l’économie, mais qu’elle est encastrée dans la réalité sociale tout entière. De là aussi les emprunts à la sociologie, et notamment aux théories constructivistes (auquel le titre du volume fait référence) et à la nécessaire réflexivité du travail scientifique. Les proximités seront finalement méthodologiques avec la généralisation du recours à l’histoire, l’emprunt aux autres sciences sociales (sans pour autant surestimer les vertus de la pluridisciplinarité) et le constat que la modélisation n’est pas le seul recours pour penser et théoriser l’activité économique.
51Cet ouvrage est sous-tendu par une conception où l’histoire ne se tient pas en surplomb des hommes et des sociétés en leur imposant un déterminisme qui leur serait extérieur (la mondialisation, le progrès technique) et les conduirait à leur insu vers une certaine finalité. La mondialisation est le projet politique dominant aujourd’hui marqué par l’idéologie néolibérale et non une fatalité ou une donnée de l’ordre naturel. Il n’y a pas de déterminisme technologique ni politique à l’échelle mondiale mais des rapports de force, notamment cristallisés dans les institutions. Une telle conception remet ainsi l’action politique au cœur des débats et des décisions. Elle nous amène à poser la question des intérêts spécifiques des nouveaux acteurs du développement (associations, ONG, partis politiques, syndicats), et à repenser la place centrale que les États souverains peuvent aujourd’hui occuper dans la mise en œuvre de leurs propres politiques de développement.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Pour un travail d’histoire de la pensée économique contemporaine, on se référera en particulier au numéro des Cahiers d’économie politique, « Qu’a-t-on appris sur les institutions ? », n° 44, 2003. Sur l’évolution du sens (longtemps opposé au sens actuel) du mot institution au cours du temps, y lire l’étude qu’y consacre Guéry (2003 : 7-18).
2 Jessop (2001).
3 Boyer, Chavance & Godard (1991).
4 De cette négligence découle les « distortions in research, and faults in planning », Myrdal (1968 : 26-31).
5 Kindleberger (1962), Hirschman (1958), et Perroux (1991).
6 Ainsi, Hagen (1982 : 284) les définit comme « une organisation qui a été établie dans un dessein particulier ou des pratiques devenues un élément acquis du comportement d’une société ».
7 Treillet (2002 : 109-125).
8 Sur le sens précis de ce terme, voir Mulot (2002).
9 Ce cas est étudié par Many Camara dans ce volume.
10 Sur les conséquences de l’apparition de ces nouveaux acteurs dans la sphère du développement et sur la sous-traitance des politiques publiques à la société civile (associations et ONG), dans le domaine de l’éducation, voir Mulot (2001), ou encore Lamarkbi & Lafaye de Micheaux (2006). Sur ces nouveaux acteurs, en général, voir Froger et al. (2005).
11 Cf. l’article de Jean-Michel Servet.
12 Hibou (1998a).
13 Pour une synthèse comparative des nouveaux institutionnalismes en économie, sociologie et sciences politiques, voir Théret (2000).
14 Williamson (1985).
15 Ménard (2003 : 105).
16 On verra les contradictions et les faiblesses de cette « nouvelle » théorie de la firme dans la contribution de Bruno Tinel.
17 Walliser (2003 : 168). Nous ne reviendrons pas dans cet ouvrage sur ce type d’analyse.
18 Pour une synthèse des différents courants du néoinstitutionnalisme en sciences politiques, voir March & Olsen (1989), ainsi que Hall & Taylor (1997).
19 La New Institutional Economics est largement due aux travaux pionniers de Douglass North entrepris dans les années 1970. Pour une critique approfondie du caractère ambigu, d’un point de vue économique et méthodologique, de cette approche, voir Maucourant (2003), ainsi que l’article de Jérôme Maucourant et Sébastien Plociniczak dans ce livre.
20 Robert William Fogel a été « nobélisé » ex aequo avec Douglass North en 1993 pour ses travaux sur la cliométrie.
21 Ainsi, North explique-t-il la révolution néolithique par l’institution des premiers droits de propriété exclusifs, qui constituent alors une incitation favorable à la croissance (Maucourant, 2003).
22 Rodrik (2004).
23 « Introduction » au numéro consacré à la première conférence européenne sur le développement, coorganisée par la Banque mondiale et le Conseil d’analyse économique (Muet & Stiglitz, 2000). Plus récemment, cette conversion peut encore être illustrée par le rapport sur le développement humain 2006 de la Banque mondiale, Équité et développement (chapitre 6, « Équité, Institutions et processus de développement »).
24 Les auteurs récusent le terme d’impérialisme économique, trop belliqueux à leur goût, considérant que « les ambitions élargies de l’économie et l’intégration des sciences sociales sont dues plutôt aux avancées intellectuelles qui étendent le champ de nos esprits » (Kähkonen & Olson, 2002 : viii). Il n’en demeure pas moins que « l’influence dans les autres sciences sociales du style de pensée déductif de l’économiste et de sa sensibilité au quantitatif a été si fondamentale et si étendue que l’on assiste à une intégration théorique des sciences sociales sous un paradigme englobant » (id. : vii).
25 Ces travaux sont régulièrement synthétisés et repris dans une revue du FMI, Finances and Development, cf. Rodrik & Subramanian (2004) ; et Acemoglu (2003).
26 Acemoglu, Johnson & Robinson (2001).
27 Rodrik, Subramanian & Trebbi (2004) ; Sachs (2001).
28 Jessop distingue au sein du « tournant institutionnaliste » trois modes de prise en compte des institutions : le premier (thématique) traitant l’institution comme un thème à étudier parmi d’autres ; le second (analytique) faisant de l’institution l’une des variables explicatives des phénomènes économiques ; le troisième (ontologique) y voyant un fondement de la réalité économique et plus généralement de l’existence sociale (Jessop, 2001). Ce découpage dans la floraison des travaux institutionnalistes en économie est repris pour définir et situer leur « cahier des charges théorique ». Voir Koleva, Rodet-Kroichvili & Vercueil (2006) à qui nous devons cette référence.
29 Par exemple, M. K. Nabli (économiste à la Banque mondiale) mesure l’existence des « bonnes institutions » à la valeur de l’indice de corruption (formulé par l’International Country Risk Guide), échelonné de 1 à 5 (Nabli, 2000 : 96). C’est un indicateur plus complexe mais collecté auprès des mêmes sources qu’utilisent Rodrik et al. (2004).
30 Paul David oppose ainsi mode téléologique et mode évolutionniste (généalogique) pour analyser les institutions (David, 1994).
31 En particulier, Dockès & Rosier (1988).
32 Théret (2000 : 33).
33 Ibid.
34 Mauss & Fauconnet (1969 : 16-17).
35 Id. : 17.
36 Polanyi & Arensberg (1975).
37 Comme le précise l’annexe méthodologique dans la contribution de Many Camara.
38 Stéphanie Treillet.
39 Hibou (1998b).
40 Corei (1996).
41 Hibou (1998b). L’auteur souligne d’ailleurs l’hétérogénéité des éléments constitutifs du « discours » de la Banque mondiale et l’absence de cohérence proprement théorique du corpus retenu. En revanche, la cohérence idéologique ne semble pas faire défaut.
42 Prevost (2004).
43 C’est ce que fait d’ailleurs le rapport de la Banque mondiale, Équité et Développement (2006).
44 Scepticisme très présent dans Camroux & Domenach (dir.) (1997).
45 Mingat & Tan (1992).
46 Boyer (2003 : 82).
47 Id. : 80.
48 Avec les limites propres à cette construction que souligne Ekkehard Ernst dans son article.
49 Koleva, Rodet-Kroichvili & Vercueil (2006 : 22).
50 Duménil & Lévy (2004) interprètent la phase néolibérale actuelle comme la revanche des classes sociales liées à la finance, sur la période du capitalisme fordiste.
51 Myrdal (1968 : Préface, IX).
52 Benot (2005).
53 Procéder à cette extension des concepts d’individualisme et de holisme hors des limites du seul débat de l’individualisme et du holisme méthodologiques est une opération non seulement possible mais déjà pratiquée, comme l’atteste par exemple les thèses du holisme épistémologique de Duhem et Quine selon lesquelles, dans une construction théorique scientifique, on ne saurait apprécier la validité des hypothèses séparément – « individuellement » –, seule la validité de la construction globale, c’est-à-dire de l’ensemble des hypothèses, devant être considérée.
54 On fera référence ici particulièrement au numéro spécial de la Revue d’études comparatives Est-Ouest, paru en 1999, dans lequel est dressé un bilan sur les économies post-socialistes après une décennie de transition économique (Chine, Russie, Bulgarie, les Balkans, Hongrie, etc.). Voir également Shleifer & Treisman (1998).
55 Sur la Russie, voir notamment Favarel-Garrigues (1999), Kagarlitsky (2004), Motamed-Nejad (2007), Ould-Ahmed (2003) ; et, sur la Chine, voir Rocca (1992, 1994).
56 Se référer notamment au site du FMI où sont téléchargeables tous les documents (Working Papers, Rapports par pays, Discussions sur les politiques, et les Economic Issues) relatifs aux nouvelles orientations et aux politiques d’intervention de la part de cette institution, à partir de 2000 : <www.imf.org>.
57 Les prêts des politiques de développement remplacent les prêts d’ajustement à partir d’août 2004. La Banque mondiale opère des transformations en matière des politiques d’aide. Pour disposer des documents et autres textes produits en cette matière par cette institution, se reporter à son site : <www.web.worldbank.org>.
58 Pour une analyse comparative URSS-Russie des continuités monétaires et bancaires, voir Ould-Ahmed (2000).
59 Pour une analyse critique des effets d’une telle politique dans un certain nombre de pays d’Amérique du Sud (Mexique, Argentine, Bolivie), se reporter notamment à Hernandez, Ould-Ahmed, Papail & Phelinas (2007).
60 Pour une analyse du concept de dollarisation et sur les effets macroéconomiques et politiques des régimes de dollarisation dans les pays concernés, voir Théret (2003).
61 De 1991 à 2001, l’Argentine choisit de conditionner l’émission de sa monnaie nationale à l’augmentation de ses réserves en dollars et de soutenir un ancrage nominal rigide à cette devise.
62 Certains pays font le choix d’une dollarisation officielle intégrale qui consiste à imposer le dollar comme monnaie ayant cours légal tout en préservant leur monnaie nationale (Salvador, 2001) ou bien en la substituant à celle-ci (Panama depuis 1904, Équateur en 2000).
63 Se reporter, par exemple, pour le cas de la Bulgarie (1991-1998) à Sgard (1999) ; pour celui de la Lituanie, à Blanc et Ponsot (2004).
64 Pour une analyse sociopolitique des conditions de mise en place du Currency Board en Argentine, se reporter à Roig (2007).
65 L’UEMOA est composée de huit pays : Bénin, Burkina, Côte d’Ivoire, Guinée Bissau, Mali, Niger, Sénégal et Togo.
66 Séminaire mensuel Institutions et Développement, organisé par le Matisse (CES, UMR Paris 1-CNRS) et l’école de la Régulation, dont on peut consulter les archives sur le site : <http://matisse.univ-paris1.fr> (erreur en 2017).
67 Ce positionnement situe la perspective institutionnaliste retenue dans cet ouvrage en opposition à l’Institutionnalisme des choix rationnels, identifié par Hall & Taylor (1997).
68 Qui donne lieu à des développements cognitivistes et culturalistes, comme dans le dernier ouvrage de North (2005).
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