Postface. La finance solidaire demain
p. 135-137
Texte intégral
1Il faut rendre à Pascal Glémain l’hommage d’avoir exploré dans leurs profondeurs les ressorts des épargnants solidaires et les motivations de ceux qui leurs proposent des outils aussi divers que variés. De son étude minutieuse de plusieurs (petits) échantillons il ressort un épargnant solidaire quelque peu protéiforme, à la fois aisé et modeste, homme et femme, d’âge aussi bien mur qu’avancé, et d’habitat aussi bien urbain que rural. Ce qui rassemble une telle diversité (une telle hétérogénéité, diront d’aucuns) c’est, au bout du bout, comme il l’écrit, une « conviction », voire l’adhésion à une cause. L’« actionneur » d’Autonomie et Solidarité, le sociétaire de la Nef, le Cigalier ou le titulaire de tel livret « Agir » du Crédit Coopératif, ont en commun la conviction que leur investissement ou leur épargne sont utiles à un entrepreneur social opérant dans leur région aussi bien qu’à une ONG intervenant dans le vaste monde émergent.
2Nouveau président de FINANSOL, mais bénéficiant d’une longue expérience des circuits de l’épargne, j’ai toujours été frappé par la diversité (et, hélas aussi) par la complexité des voies empruntées par l’argent solidaire. Je pense même que cette complexité représente un handicap vis-à-vis d’une population française plutôt ignorante des rouages de l’épargne quand elle n’y est pas carrément indifférente. Cela dit, de même que les petits ruisseaux finissent par faire les grandes rivières, l’accélération récente prise par l épargne solidaire représente non seulement une preuve de sa vitalité, mais une confirmation de son utilité1.
3Il est clair qu’en introduisant les fonds d’épargne salariale solidaires, la loi Fabius du 17 février 2001 a joué un rôle déterminant. Elle a augmenté de manière spectaculaire le nombre d’épargnants solidaires. Les salariés – relativement – protégés de nos grandes entreprises peuvent ainsi mettre des capitaux à la disposition de salariés ou de chômeurs sensiblement plus exposés qu’ils ne le sont, ouvrant ainsi une nouvelle voie à la solidarité. En étendant aux gestionnaires de tous les plans d’épargne d’entreprise l’obligation d’offrir un fonds commun de placement solidaire, la récente loi de modernisation de l’économie ouvre encore davantage ce nouveau marché, conformément aux vœux exprimés par Finansol, notamment dans le cadre du « Grenelle de l’insertion ».
4Les livrets de partage représentent une autre voie très prometteuse pour l’épargne de conviction. Leur diffusion reste encore symbolique hors des guichets du Crédit Coopératif, dont le développement spectaculaire de la clientèle de particuliers montre bien à quel point l’épargne de conviction est en route. Il suffirait qu’un grand réseau mutualiste s’empare de ce concept pour qu’il s’impose… aux autres. La diffusion rapide des livrets « Codévair » dans le réseau des Banques Populaires montre à quel point un circuit court solidaire (des livrets un peu moins bien rémunérés pour permettre la bonification de prêts « verts ») peut fonctionner efficacement.
5L’épargne des ménages n’est cependant pas le socle unique de la solidarité. Un troisième axe de développement de l’argent solidaire passe non par les comptes d’épargne salariale ou individuelle ou le « capital-risque solidaire », mais par le compte-chèques ou la part de sociétaire. En l’occurrence, ce n’est pas le particulier, mais l’établissement qui joue la carte de la solidarité en renonçant à (ou en partageant) une partie de sa rémunération. Comme le fait le Crédit Coopératif avec sa carte Agir ou comme le font les Caisses d’Épargne en investissant une partie de leurs fonds propres dans des projets locaux2. Un handicap : le déposant ou le sociétaire ne se sent pas directement impliqué. Il se crée en revanche une saine affectio societatis vis-à-vis de son établissement, qui met ainsi ses actes en conformité avec ses principes. Ce type de dispositif est en outre plus développé chez nos voisins européens qu’en France. Notre vaste secteur de l’économie sociale est particulièrement bien placé pour lui donner chez nous la dimension qu’il mérite.
6La créativité financière étant sans limite, d’autres formes de financement solidaires sont apparues depuis quelques années. On a vu des capitalistes nantis mettre en place Business Angels des Cités, dit BAC (brigade anticasseurs ou baccalauréat ?), dont la vocation est d’apporter des capitaux aux entrepreneurs des cités, quelle que soit leur activité. Même si l’utilité sociale n’est pas leur objectif, les promoteurs de BAC font clairement preuve de solidarité. Sur un autre registre, l’ambition des gestionnaires du fonds Danone Communautés est d’offrir aux épargnants un fonds « 90/10 » dont 90 % des capitaux sont placés en produits monétaires (en principe sans risque) et les 10 % restants dans de petites unités de production de « nutriments » implantées dans des pays où règne la pauvreté. L’idée a séduit non seulement les salariés de Danone, mais ses actionnaires. Elle mérite une diffusion plus large.
7Ces exemples ne sont pas isolés. Les vannes de la finance solidaire s’ouvrent. BAC a déjà fait des émules. Ce type d’initiative bute encore sur l’ignorance ou l’incompétence financière de nos concitoyens, qui empêche un certain nombre d’entre eux d’y adhérer3. Il me semble que la seule manière d’en faire des sympathisants (sinon des militants) de la solidarité, c’est d’en montrer la plus largement possible les résultats : qu’il s’agisse des bénéficiaires de micro-crédits en Afrique, des entrepreneurs sociaux, des agriculteurs biologiques ou des adeptes du commerce équitable en France, leurs expériences doivent bénéficier de la plus grande visibilté. Elles ont valeur d’exemple, elles sont porteuses d’espoir : l’entreprise ne se réduit pas à son compte d’exploitation. Plus nos concitoyens sauront où va l’argent solidaire, les emplois qu’il permet de créer ou de consolider, les chômeurs qu’il propulse à la tête de SARL ou de SCOP et plus généralement, les services qu’il rend à la collectivité, et plus il sera facile de les mobiliser. L’aventure de la finance solidaire ne fait que commencer.
Notes de bas de page
1 François de Witt: Président de FINANSOL.
2 Les PELS ou projets d’économie locale et sociale. 11 900 projets ont été financés entre 2001 et 2007. Signe des temps, les PELS se présentent désormais sous la marque Écureuil et Solidarité.
3 On n’empêchera pas une grosse moitié de nos concitoyens de rejeter le concept d’épargne solidaire. Est-ce un mal ? L’hostilité de plus de 50 % des Français vis-à-vis des actions n’a jamais été un handicap pour la bourse de Paris.
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