Introduction
p. 169-172
Texte intégral
1Le caractère récurrent des restructurations intervenues ces dernières années a favorisé la créativité en matière d’espace d’intervention collective, permettant l’insertion des enjeux traditionnels économiques, industriels et d’emploi dans des cadres d’action plus ouverts.
Restructurations et anticipation
2Dans le jeu traditionnel induit par les procédures des livres 3 et 4 du Code du travail, une partie importante de l’énergie des organisations syndicales a pu être consacrée à la surveillance étroite des dates butoir légales successives, au respect strict des procédures formelles avec la menace permanente à la clef du délit d’entrave. C’est un exercice dans lequel sont passés maîtres les élus du personnel aguerris, appuyés par des cabinets d’experts rompus à ce type d’intervention. À tel point qu’il n’est pas rare que ces élus ayant acquis une expertise juridique soient embauchés ensuite par ces mêmes cabinets.
3Cette pratique consistant à utiliser les garanties formelles du Code du travail pour obtenir une montée des enchères en « jouant la montre » peut viser des objectifs ambitieux : on citera ainsi le cas d’un site francilien de fabrication de processeurs, où l’intention exprimée par certains élus était d’obtenir un seuil de départ en pré-retraite maison aussi avantageux (50 ans) que lors de la restructuration précédente du même site, au temps où IBM en était encore le seul propriétaire. Pourtant, la grande majorité des salariés de ce site étant plutôt dans la tranche 35/45 ans, on voit que le risque de fermeture ou de reprise partielle appelle d’autres solutions.
4Il est certes un peu tard à ce stade d’un processus de restructuration ouvert pour prétendre remonter le temps en travaillant dans l’urgence sur la formation de ces salariés embauchés pour la plupart sans qualification, ceux qu’on appelle dans l’entreprise, des « pousse-gallette », variété d’OS travaillant en salle blanche. C’est pourquoi la question de l’anticipation de l’emploi surgit comme à chaque restructuration : comment l’entreprise a-t-elle pu se contenter d’embaucher par dizaines ces salariés sans se poser la question de la consolidation de leurs savoirs acquis sur le tas ? C’est la première préoccupation à la base de ce que devrait être un dispositif interne de sécurisation des parcours professionnels, comme nous le nommons désormais. Le problème est bien sûr aussi posé aux organisations syndicales présentes dans l’entreprise.
5Il s’agit bien d’un élément essentiel de la gestion prévisionnelle et préventive des emplois et compétences, au titre duquel sont éminemment concernées les directions d’entreprise comme les sections syndicales. Si anticiper l’évolution économique de l’entreprise n’appartient pas au domaine des certitudes, au moins peut-on agir en prévention des risques potentiels par une action sur la qualité des emplois, largement en amont des difficultés éventuelles. Un processus d’information-consultation et de négociation relatif à une restructuration sera d’autant plus pertinent qu’il aura bénéficié de marges de décision collective créées auparavant par une Gestion Prévisionnelle de l’Emploi et des Compétences (GPEC) efficiente. C’est tout le sens que portent les Accords Nationaux Interprofessionnels (ANI) ayant développé les outils de formation professionnelle dans ce but, et dont se saisissent de plus en plus les négociateurs des accords de GPEC, encouragés dans cette voie, il est vrai, par l’obligation de négocier et le risque d’annulation de PSE qui n’auraient pas été précédés d’un tel accord. En pointant ces potentialités d’enrichissement de l’anticipation négociée qu’offre la GPEC, nous sommes bien dans la configuration qui est l’objet d’étude de ce colloque.
Restructuration et accords de méthode
6Le développement des accords de méthode dans un processus de restructuration offre un second exemple d’extension du domaine de la négociation. Leur double effet vaut d’être souligné : d’une part, en recentrant sur la négociation la délimitation des garanties et des objets de discussion, ils ouvrent les possibles dans la forme et le fond, de façon productive pour autant que le jeu soit équilibré entre la direction et les IRP. La négociation peut ainsi s’engager plus en profondeur sur les problèmes les plus aigus à propos de l’avenir industriel de l’outil de production comme du sort des salariés. Citons l’exemple de Videoglass à Saint Pierre les Nemours en Seine et Marne, où l’accord de méthode signé fut une condition constitutive de la reconversion opérée (du tube cathodique au verre automobile). Le projet industriel de reprise et transformation de l’activité n’a pu être finalisé qu’à travers le dispositif de formation lourde des salariés du site aux nouvelles techniques, inclus avec force détails dans l’accord de méthode. D’autre part, la responsabilité première confiée à la négociation dans les accords de méthode bouleverse les rôles traditionnels des représentants du personnel qui peuvent trouver là un moyen de dépasser le jeu des postures habituelles en faisant du travail ouvert sur le contenu de l’accord un vrai enjeu collectif. Dans la mesure où se trouve face aux représentants du personnel une direction prête à s’engager, alors nous nous rapprochons de ce que M. Meixner nomme dans son exposé un processus co-construit. Ces accords induisent une dimension cognitive importante contenant des processus d’apprentissage complexes, aussi bien pour les négociateurs salariés que pour les directions. Mais sachant avec quelle maestria les syndicats se sont accoutumés après apprentissage aux arcanes du Code du travail classique, ne peut-on penser qu’il en sera de même dans cette nouvelle configuration ? Enfin, ces accords « autogérés » sont l’occasion de faire entrer plus activement dans le jeu de la négociation des partenaires sinon cantonnés dans leur rôle de tutelle ou de guichet (OPCA1), collectivités territoriales, services déconcentrés du ministère du Travail). Le projet de reconversion des salariés de Videoglass inscrit dans l’accord, n’aurait pas été viable sans l’apport essentiel des OPCAREG2 tant en financement qu’en ingénierie de formation.
Restructuration et frontières des branches professionnelles
7Les restructurations sont maintenant autant transfrontières et industrielles qu’elles sont permanentes. Ce phénomène nous ouvre un troisième exemple de transformation du champ de la négociation. C’est le cas du secteur des télécommunications étudié par Arnaud Mias, où les privatisations et l’ouverture à la concurrence ont entraîné une vaste reconfiguration des entreprises mais aussi des métiers. Les organisations syndicales sont donc amenées à investir de façon nouvelle le terrain des négociations pour tenir compte du changement de physionomie de leurs secteurs. C’est non seulement le contenu des négociations qui s’en trouve changé, mais aussi la structuration de l’outil syndical. La fédération CFDT de la culture et de la communication et celle des postes et télécoms ont fusionné il y a deux ans pour créer la Fédération du conseil de la culture et de la communication (F3C). Dans un univers industriel où sont de plus en plus imbriqués et interdépendants les infrastructures et les contenus, conserver les anciens découpages n’aurait eu en effet aucun sens. C’est à cette condition que la nouvelle fédération a pu s’engager dans la négociation d’une nouvelle convention collective. D’autres secteurs sont dans le même cas comme les industries électriques et gazières, ou mieux encore le cas du textile où l’historique fédération CFDT Hacuitex s’est fondue dans la fédération des services, tant l’industrie textile est devenue au fil des ans l’antichambre du commerce « juste à temps ». En élargissant le spectre des mouvements transfrontières, on peut aller jusqu’à interroger le phénomène des pôles de compétitivité, vastes opérations de coordination des capacités de recherche-développement d’entreprises dépendant de différentes branches, et où la construction d’un champ de négociation propre reste un sujet émergent.
Restructurations et espace-temps européen
8Les restructurations transnationales se sont multipliées en Europe, provoquant un débordement général des cadres juridiques nationaux. C’est la place des IRP et organisations syndicales nationales et européennes dans le jeu des régulations européennes qui se trouve ainsi mise en question ainsi que le présente É. Béthoux.
9Les registres classiques tels que les procédures d’information-consultation sont soumis à des tentatives de redéfinition. Les comités d’entreprise européens doivent-il se limiter à un rôle consultatif au rythme de leur réunion annuelle, où est-il possible et souhaitable d’en faire un lieu de débat stratégique ? Dans l’enchaînement du processus de négociation-action qui se déploie à l’occasion des restructurations, chaque acteur peut être amené à revoir ses principes et modes d’action. La gestion du temps (les différents agendas) et de l’espace (intérêts nationaux) est plus complexe. Les fédérations syndicales mondiales ou européennes peuvent avoir un rôle aussi important que les CEE, dans une complémentarité qui n’est pas définie a priori. Les accords-cadres internationaux sont ainsi de nouveaux éléments d’anticipation qui n’ont de chance de se concrétiser qu’à travers l’action volontaire coordonnée de tous. La directive de 2008 sur les CEE laisse aux acteurs une marge importante pour structurer dans les entreprises européennes les processus de dialogue social transnational.
10Si le point commun caractérisant ces exemples est de fournir une approche renouvelée des champs de conflictualité, élargis à la dimension européenne, on voit qu’il en est ainsi sous la pression des mutations économiques qui elles mêmes entraînent une attente sociale. Comme le souligne M. Meixner, « le rôle des IRP dans les restructurations va au-delà d’une simple adaptation à des évolutions imposées de l’extérieur ». L’antagonisme entre employeurs et salariés ne s’est en rien estompé, il s’est transfiguré en cherchant à saisir le nouveau contexte, ouvrant ainsi à travers des formes nouvelles de tension entre conflit et coopération, une nouvelle étape des relations professionnelles restant encore largement à explorer.
Notes de bas de page
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