Le cadre communautaire des restructurations
p. 77-89
Texte intégral
1C’est au moment où le droit social communautaire émerge, dans les années 1970, que les prémisses d’un cadre normatif communautaire des restructurations sont définies. L’intervention communautaire se concrétise alors par une reconnaissance ponctuelle de droits à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs lors de restructuration. Dans les années 1990, ces droits vont être complétés par des textes plus généraux sur la représentation des travailleurs, avec la directive de 1994 sur les comités d’entreprise européens et la directive de 2002 sur l’information et la consultation. Si ces directives ne traitent pas directement des restructurations, elles sont explicitement motivées par le contexte des restructurations industrielles. Agissant sur la représentation des salariés elle-même, ces directives doivent contribuer à renforcer la capacité d’intervention des représentants s’il survient des réorganisations de l’entreprise1. L’objet de l’intervention des représentants des travailleurs s’élargit également : dans un premier temps essentiellement en charge de la négociation des conséquences sociales des restructurations, l’accent est aujourd’hui mis sur l’anticipation des risques par la mise en place concertée de différentes mesures, relatives notamment à l’adaptabilité des travailleurs.
2Ce droit communautaire des restructurations2 est aujourd’hui complété par une politique communautaire qui s’est progressivement affirmée à partir des années 2000. La mutation des méthodes d’intervention du droit communautaire, avec le développement des méthodes ouvertes de coordination (MOC), touche ainsi le domaine des restructurations. Les lignes directrices pour l’emploi, adoptées dans le cadre de la Stratégie européenne pour l’emploi, s’intéressent aux restructurations et surtout la publication de la communication de la Commission européenne en 2005, « Restructuration et emploi, anticiper et accompagner les restructurations pour développer l’emploi : le rôle de l’Union européenne3 » va impulser une politique communautaire autonome bien que complémentaire de la Stratégie européenne pour l’emploi.
3Dans cette perspective, le cadre communautaire des restructurations est aujourd’hui emblématique de l’intervention de l’Union européenne qui combine différents instruments normatifs pour articuler les niveaux nationaux et communautaire d’action. Parmi ces instruments normatifs, nous traiterons de la législation sociale et de la Stratégie européenne pour l’emploi, mais d’autres instruments peuvent également jouer un rôle. Il s’agit notamment des instruments financiers que sont les fonds structurels et le Fonds Social Européen et plus récemment le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation. Le droit communautaire de la concurrence influence également les opérations de restructuration des entreprises.
4Ce cadre communautaire comprend la reconnaissance d’un ensemble de droits de nature à intéresser les restructurations dans leur dimension nationale (I) et dans leur dimension transnationale (II). Avec le développement d’une politique communautaire des restructurations, la question se pose de la concurrence possible de ces deux modes d’intervention. La politique mise en œuvre ne cherchait-elle pas à masquer l’impossibilité d’avancer sur le terrain législatif démontrant ainsi les limites de l’action communautaire ? En réalité, on peut plutôt concevoir l’existence d’une complémentarité entre ces processus, la politique communautaire s’appuyant sur un cadre législatif (III). Ces différentes interventions sont loin de constituer une réglementation contraignante des restructurations dans la mesure où elles laissent la place à une très grande variété de réponses nationales et transnationales face aux opérations extrêmement complexes des restructurations. C’est la raison pour laquelle les termes de « cadre communautaire » semblent les plus appropriés pour qualifier cette intervention de l’Union européenne. Celle-ci définit quelques orientations et principes communs qui constituent ce cadre communautaire, au sein duquel les États membres et les acteurs des restructurations peuvent développer assez librement leurs stratégies. La crise économique qui frappe aujourd’hui le monde ne peut évidemment qu’interroger sur la capacité de ce cadre existant à y apporter des réponses (IV). Elle en démontre les faiblesses essentielles et les embryons de réponses communautaires apparaissent aujourd’hui bien insuffisants face à l’ampleur du phénomène. Il n’en demeure pas moins que ce cadre contribue à ce qu’un minimum de droits soit reconnu aux salariés, de l’ensemble des États membres, touchés par une restructuration de leur entreprise.
Un cadre communautaire intéressant les restructurations dans leur dimension nationale
5Le droit communautaire a d’abord reconnu quelques droits, individuels et collectifs, aux salariés touchés par une restructuration. Cette première intervention va ensuite être complétée par la directive de 2002, sur l’information et la consultation, qui s’applique aux acteurs mêmes, aux représentants nationaux des travailleurs. La mobilisation de ces droits reste fortement dépendante d’un contexte national et ils vont essentiellement intéresser les restructurations, dans leur dimension nationale, quand bien même les opérations en cause dépasseraient ce cadre interne.
La reconnaissance de droits pour les salariés touchés par une restructuration
6L’action communautaire dans le domaine des restructurations s’est d’abord concrétisée par l’adoption de deux directives : la directive du 17 février 1975 sur les licenciements collectifs et la directive du 14 février 1977 sur les transferts d’entreprise. L’objectif de ces deux directives, énoncé dans leur préambule, est d’assurer la protection des salariés.
7Cet objectif de protection s’est essentiellement traduit par la recherche d’une implication des représentants des travailleurs dans la définition des mesures d’accompagnement des restructurations. Les directives définissent des droits procéduraux en reconnaissant un droit à l’information et à la consultation sur les décisions de licenciements collectifs et de transfert d’entreprise. L’objet de la consultation est défini et l’intervention des représentants des travailleurs est très clairement centrée sur la définition des mesures sociales qui devraient accompagner les licenciements.
8Un aspect important de ces directives est qu’elles ne se contentent pas de reconnaître aux représentants des travailleurs un simple droit à l’information et à la consultation. Elles vont au-delà en accordant à ces représentants un véritable droit de négocier, avec l’employeur, sur l’opération de restructuration. En effet, selon les termes de ces deux directives, la consultation doit intervenir « en vue d’aboutir à un accord ». Comme l’a confirmé la Cour de justice des Communautés européennes à deux reprises, cette obligation ne se confond pas avec une simple obligation de consulter les représentants des travailleurs. Il s’agit d’une véritable obligation de négocier les conséquences sociales de la restructuration4.
9Parallèlement à cette implication recherchée des représentants des travailleurs dans la gestion sociale des restructurations, le droit communautaire accorde des droits individuels destinés aux salariés affectés par une telle opération. La directive de 1980, également adoptée pour « protéger les travailleurs » dans l’hypothèse d’une insolvabilité de leur employeur, prévoit un système de garantie des créances salariales. La directive de 1977 organise, lorsque intervient un changement d’employeur à la tête d’une entreprise, un maintien des conditions de travail, par le transfert du contrat de travail et des conventions collectives, du premier employeur au second employeur. Une protection minimale des salariés est ainsi assurée dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne.
10La directive de 1977 peut néanmoins manquer à son objectif de protection, notamment dans des opérations d’externalisation, où l’intérêt des salariés peut être de rester auprès de la première entreprise, plutôt que de passer au service d’un sous-traitant, souvent de moindre envergure et où les droits des salariés risquent d’être remis en cause. On assiste à un renversement de perspectives. Alors que la protection des salariés est supposée se réaliser par le transfert des salariés, ceux-ci peuvent en réalité avoir intérêt à ne pas être transférés et la directive de 1977 et ses traductions nationales peuvent devenir un instrument « d’expulsion des travailleurs5 » de l’entreprise principale. Cet effet est particulièrement visible dans les affaires Perrier, où précisément le comité d’entreprise demandait à ne pas être consulté sur une décision de sous-traiter l’activité de palettes, qu’il considérait ne pouvoir être qualifiée de transfert d’entreprise au sens du droit français et communautaire6. L’enjeu de la qualification de l’opération tenait au sort des salariés affectés à cette activité, qui restent salariés de la société Perrier, si cette opération n’est pas qualifiée de transfert d’entreprise. C’est ce que décidera précisément la Cour de cassation, au prix il est vrai d’une interprétation peu conforme aux décisions de la Cour de Justice. Aujourd’hui, seule la reconnaissance expresse d’un droit du salarié de s’opposer au transfert d’entreprise permettrait de contrecarrer cet effet inattendu de la directive de 19777.
11Concernant les droits à l’information, à la consultation et à la négociation, ceux-ci ont été déclinés de manière très variable selon les États membres. La transposition du droit communautaire a pu être imparfaite. Paradoxalement, cela peut être le cas lorsque les droits nationaux sont plus complets que la directive et que les États se sont exonérés de toute transposition. Ainsi, en France, les droits à l’information et à la consultation reconnus par la directive étaient déjà largement prévus par la législation française. D’où certainement une présomption de conformité qui fait que l’on ne s’est jamais véritablement intéressé à ce qui constituait une nouveauté et un apport de ces directives : l’obligation de négocier et non pas simplement d’être consulté sur les incidences sociales des restructurations.
12Plus généralement, l’impact des droits à l’information et à la consultation est fortement dépendant des systèmes nationaux préexistants de représentation des salariés. En effet, si les directives définissent des droits à l’information et la consultation, ce sont aux États membres de désigner les représentants des travailleurs à qui ces droits sont accordés. L’intervention des représentants des travailleurs va donc pouvoir prendre des formes très différentes selon les États et selon les caractéristiques et traditions nationales des systèmes de représentation. De cette articulation, il résulte que la mobilisation des règles communautaires va d’abord dépendre de la capacité des représentants nationaux à s’en saisir. C’est l’une des raisons pour laquelle la directive de 2002 est essentielle car elle oblige tous les États membres à organiser une représentation des salariés dans les entreprises d’une certaine taille.
Le soutien apporté aux structures nationales de représentation des salariés dans l’entreprise
13Avec l’extension des compétences communautaires, entérinée par l’adoption du protocole social du Traité de Maastricht en 1992, de nouvelles directives vont pouvoir être adoptées : la directive du 22 septembre 1994, relative aux comités d’entreprise européens et la directive du 11 mars 2002 établissant un cadre général relatif à l’information et à la consultation des travailleurs8. L’objet premier de ces directives n’est pas les restructurations puisqu’elles s’intéressent d’abord à la représentation permanente des travailleurs, dans l’entreprise, pour la première, dans les entreprises transnationales, pour la seconde. Pourtant, c’est bien le contexte des restructurations qui motive et légitime l’adoption de ces directives et leur préambule en fait explicitement des instruments de gestion de ces restructurations. L’objectif de protection des salariés s’efface ainsi devant un objectif d’anticipation et d’accompagnement des restructurations.
14L’une des innovations majeures de la directive de 2002 est de créer un cadre national de représentation des salariés sur lequel pourront désormais s’appuyer les directives structurelles de 1975 et de 1977. Alors que celles-ci ne prévoyaient qu’une intervention ponctuelle des représentants des travailleurs, la directive de 2002 envisage, elle, une intervention régulière des représentants des travailleurs et, se faisant, elle contribue à renforcer la capacité d’intervention des représentants des travailleurs s’il survient des restructurations. Ainsi, la directive de 2002 prévoit une information et une consultation régulière des représentants des travailleurs dans les entreprises d’au moins 50 salariés ou dans les établissements d’au moins 20 salariés. Ici aussi, dans l’hypothèse d’une restructuration, c’est bien un droit de négocier qui est reconnu par la directive de 2002.
15La directive de 2002 reste structurée de la même manière que les directives précédentes. Les droits à l’information, à la consultation et à la négociation sont accordés à des représentants des travailleurs qui sont définis par les États membres. La transposition de la directive va prendre des formes très différentes et les caractéristiques et les particularités des systèmes nationaux de représentation ne sont pas remises en cause. La capacité et les modalités d’intervention des représentants des travailleurs restent donc extrêmement variées selon les États et la directive n’impose pas un modèle de représentation. Néanmoins, elle constitue un élément essentiel de ce que l’on peut aujourd’hui qualifier de droit communautaire de l’implication des représentants des travailleurs. En accordant des droits réguliers à l’information et à la consultation à des représentants des travailleurs, la directive de 2002 suppose que les États membres reconnaissent, dans les entreprises d’une certaine taille, des représentants des travailleurs. C’est là l’apport majeur de cette directive, qui contribue ainsi à renforcer l’impact des directives antérieures en intervenant directement sur les mécanismes nationaux de représentation.
16Certes, le rapport sur la transposition de la directive9 relève une série de problèmes. Dans certains États membres, l’instauration de représentants repose sur une initiative des salariés, ce qui peut laisser un nombre plus ou moins important d’entreprises sans représentation. Le cadre d’instauration de cette représentation, l’entreprise ou l’établissement, n’est pas défini de manière suffisamment précise ce qui génère des incertitudes sur le champ d’application de la directive. L’information qui doit être délivrée reste trop générale et le processus de consultation devrait être mieux défini. Même dans les pays qui reconnaissent des droits beaucoup plus complets aux représentants des travailleurs, la transposition demeure imparfaite. Ainsi, la France et l’Allemagne ont estimé qu’aucune transposition n’était nécessaire, en vertu de quoi l’obligation de négocier les conséquences sociales des restructurations n’est pas reconnue en France. En Allemagne, alors même que généralement les droits des conseils d’établissement sont beaucoup plus étendus que ceux reconnus par la directive aux représentants des travailleurs, l’information financière n’est communiquée à la représentation du personnel que dans les entreprises de plus de 100 salariés10, ce qui n’est pas non plus conforme à la directive. Il est vrai que cette directive est un texte récent et que les droits qu’elle reconnaît devraient progressivement se renforcer notamment dans les pays où elle a amené des modifications importantes du cadre national préexistant.
17Si la directive de 2002 s’intéresse à la présence permanente de représentants dans les entreprises nationales, la directive de 1994 sur les comités d’entreprise européens, reconnaît, elle, un nouvel échelon de représentation, adapté aux structures internationales, ou tout du moins communautaires, des entreprises. Ce sont donc les restructurations dans leur dimension transnationale qui devraient pouvoir être appréhendées par ce nouvel organe de représentation.
Un cadre communautaire intéressant les restructurations dans leur dimension transnationale
18On le sait, la directive de 1994 laisse une place prépondérante à la négociation collective, puisque c’est un groupe spécial de négociation, qui représente l’ensemble des salariés du groupe d’entreprises communautaire, qui est chargé de discuter avec la direction centrale, l’organisation et les compétences de l’instance de représentation qui sera mise en place. Ce n’est qu’en l’absence d’accord que les prescriptions subsidiaires de l’annexe de la directive s’appliqueront. Ces dernières prévoient, dans une logique très similaire à celle des directives de 1975, de 1977 et de 2002, des compétences générales du comité d’entreprise européen sur toutes les questions d’emploi et il doit être consulté dès lors que « les circonstances exceptionnelles interviennent qui affectent considérablement les intérêts des travailleurs, notamment en cas de délocalisation, de fermeture d’entreprises ou d’établissements ou de licenciements collectifs ». À l’inverse des autres directives, c’est un simple droit à être consulté qui est reconnu aux comités d’entreprise européens, et non un droit à négocier les conséquences sociales des décisions de restructuration.
19Du fait de la place laissée à la négociation collective, les différentes instances de représentation des salariés qui ont été mises en place dans les groupes européens sont hétérogènes. La directive permet une implication des représentants européens des travailleurs dans des restructurations transnationales, alors que jusqu’à présent les compétences des représentants des travailleurs étaient limitées à l’échelon national. Mais cette implication va présenter des formes extrêmement variées et le rôle des comités européens dans les restructurations transnationales sera loin d’être uniforme11. Différents facteurs interviennent pour influencer la nature de l’intervention de ces comités : le contenu de l’accord qui les met en place, leur composition, les compétences des instances nationales de représentation, etc.12. Ils peuvent jouer un rôle extrêmement limité et être simplement un récepteur d’informations sur la restructuration, parfois même après que la décision ait été prise. Plus rarement, ils ont pu être un acteur à part entière, en devenant le lieu d’une négociation collective, dans les entreprises et les groupes transnationaux. Certes ce sujet conflictuel demeure rare, mais les accords conclus peuvent préfigurer de ce que pourrait être une première forme de régulation transnationale des restructurations. Sur les 37 accords cadres internationaux traitant des restructurations qui ont été identifiés, une typologie a ainsi été proposée selon que les accords traitent d’une restructuration spécifique, prévoient des mesures au cas où une restructuration interviendrait, traitent des questions de l’anticipation du changement ou enfin font une référence, qui peut être assez vague, aux restructurations et/ou à l’anticipation du changement13. Dans leurs formes les plus élaborées, des accords cadre transnationaux ont ainsi pu poser des normes saisissant la restructuration dans sa dimension transnationale.
20Peu à peu, un véritable cadre juridique communautaire des restructurations a été élaboré, le droit communautaire optant clairement pour une approche concertée et négociée des restructurations dans l’objectif affiché de les faciliter. Les processus d’information et de consultation des représentants des travailleurs poursuivent désormais deux objectifs : d’une part l’anticipation des risques par la mise en place concertée de différentes mesures, l’accent étant mis sur l’adaptabilité des travailleurs qui doit renforcer la compétitivité des entreprises, d’autre part, la gestion de la crise, le dialogue social étant posé comme condition d’une restructuration réussie. Le dialogue social est donc là pour faciliter les restructurations. Dans cette perspective, le droit communautaire opère une certaine instrumentalisation des droits reconnus à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs. Néanmoins, la référence à la Charte communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs, dans les préambules des directives les plus récentes, en font aussi des instruments de réalisation des droits sociaux fondamentaux, l’enjeu étant la prise en compte des intérêts des salariés dans la décision de restructuration et la capacité des représentants à effectivement influencer les décisions.
21Ce cadre juridique communautaire n’est pas sans lacune et peut être amélioré mais il présente aujourd’hui une certaine cohérence. Les droits réguliers à l’information et à la consultation des représentants des travailleurs nationaux et du comité d’entreprise européen doivent leur permettre de connaître la situation de l’entreprise, notamment la situation de l’emploi, et ces droits sont renforcés par des droits à la négociation lorsqu’une restructuration affectant l’emploi intervient. La dimension transnationale des restructurations est également prise en compte avec l’instauration du comité d’entreprise européen qui devra être consulté sur les restructurations. Enfin, le comité d’entreprise européen a pu contribuer à l’élaboration d’une norme relative aux restructurations transnationales.
22Mais, et c’est là un point essentiel, ces normes communautaires constituent un simple cadre à l’intérieur duquel les États membres conservent une liberté importante. Les pratiques nationales demeurent extrêmement variées et vont dépendre des structures et des compétences des organes nationaux de représentation des salariés. Les directives auront néanmoins permis de créer des obligations et des pratiques d’implication minimales dans l’ensemble des États membres14.
Un droit complété par une politique communautaire des restructurations
23Ce cadre juridique doit être mis en relation avec l’essor d’une véritable politique communautaire des restructurations, à partir des années 2000. Cette politique s’insère dans le cadre plus général de la Stratégie européenne pour l’emploi (SEE). Rappelons simplement ici que la SEE a été initiée dès 1998. Comme toutes les méthodes ouvertes de coordination, elle repose sur la définition de lignes directrices, accompagnées d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs et assorties de calendriers spécifiques pour réaliser ces objectifs à court, moyen et long terme. Les lignes directrices européennes sont ensuite déclinées en politiques nationales et régionales, qui font l’objet d’un suivi périodique et d’une évaluation. Les lignes directrices pour l’emploi, qui ont été élaborées dans le cadre de la SEE, sont loin d’être indifférentes à la question des restructurations. L’objectif de la SEE est notamment d’orienter les politiques nationales des États membres vers un certain mode de gestion et d’anticipation des restructurations. Sans entrer dans le détail, les lignes directrices vont mettre l’accent sur l’amélioration de la capacité d’adaptation des travailleurs et des entreprises (ligne directrice 20) et encourager les États membres à « mieux anticiper et gérer les changements y compris les restructurations économiques, et en particulier les changements liés à l’ouverture des marchés, afin de réduire au minimum leur coût social et de faciliter l’adaptation » (ligne directrice 2115).
24Si la SEE constitue le cadre général de la politique communautaire des restructurations, la Commission européenne a développé, à partir de 2005, une stratégie spécifique en matière de restructuration, afin de parvenir à la réalisation des objectifs définis par la SEE16, stratégie qui est définie dans la communication de la Commission de 2005 sur les restructurations17. Tout en indiquant que la plupart des réponses concrètes aux défis actuels se situent au niveau infra-européen, la communication indique différents domaines où l’Union européenne peut jouer un rôle. La communication a été suivie par une série d’actions concrètes à partir de 2005. Ainsi une task force restructuration a été créée dont l’objet est de coordonner les différentes politiques internes qui agissent sur les restructurations ou qui sont pertinentes pour le traitement de l’impact économique et social de celles-ci. Depuis 2005, sept « forums restructurations » sur différentes dimensions des restructurations ont été organisés afin de permettre une meilleure connaissance du phénomène des restructurations et bien sûr permettre les fameux échanges de bonnes pratiques. Des leviers financiers doivent servir cette politique communautaire notamment le fonds social européen. Depuis 2007, un fonds spécifique, le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, est également appelé à fournir un soutien aux travailleurs affectés par des restructurations liées à la mondialisation18. Cette politique communautaire entend donc combiner une diversité d’instruments pour analyser les restructurations dans toute leur diversité et pour proposer des outils d’accompagnement.
25L’une des questions posée par le développement de cette politique communautaire est celle de l’avenir des méthodes législatives traditionnelles. En d’autres termes, la politique communautaire des restructurations peut-elle être analysée comme un affichage, un discours, masquant l’impossibilité actuelle de développer un véritable droit social des restructurations, allant au-delà de la reconnaissance de droits à l’information, à la consultation et à la négociation des représentants des travailleurs, nationaux et européens ? Nous ne le pensons pas. On peut au contraire considérer qu’il existe une certaine complémentarité des processus. D’une part, les directives peuvent être conçues comme des instruments de la SEE et de la politique communautaire des restructurations. Elles ont pour objet de faciliter les restructurations ce qui est un des objectifs des lignes directrices ; elles concrétisent également la participation des représentants des travailleurs à ces opérations, participation qui est une antienne du discours social communautaire. D’autre part, les directives encadrent également cette politique en définissant quelques droits pour les salariés frappés par des restructurations et en posant le principe selon lequel les restructurations ne peuvent intervenir sans une participation des représentants des travailleurs19. La politique communautaire des restructurations peut ainsi se développer sur le socle de l’acquis législatif communautaire qui n’est évidemment pas remis en cause par cette nouvelle intervention.
Le cadre communautaire des restructurations à l’heure de la crise financière et économique
26Ce cadre communautaire des restructurations, constitué par le droit et la politique des restructurations, présente des lacunes, des incohérences et des incomplétudes qui sont particulièrement mises en lumière par la crise économique générale qui secoue la planète.
27La politique communautaire des restructurations semble marquer le pas. Le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, qui devait être l’une des actions les plus importantes et les plus visibles de l’Union dans le domaine des restructurations20, est bien loin d’avoir rempli son rôle et il semble avoir été très largement sous-utilisé par les États membres21. L’adoption, en juillet 2008, d’un simple document de travail, et non d’une communication, sur les restructurations, marque un essoufflement certain de cette politique communautaire des restructurations. Le document ne propose d’ailleurs qu’un bilan et une poursuite des actions, sans véritable nouveauté.
28Certes, des annonces ont été faites. La réforme du Fonds européen de mondialisation, qui devrait assouplir ses critères d’intervention, est à l’ordre du jour. Le 9 mars 2009, les conclusions du Conseil Emploi ont abordé les conséquences sociales de la crise et appelé à une coordination des efforts à l’échelle européenne22. L’accent est mis notamment sur les nouveaux besoins du marché du travail et la création de formations adaptées. Mais il n’y a pas, pour l’heure, de reformulation des termes mêmes de la politique européenne de l’emploi23. Pourtant la crise devrait être à l’origine d’une réflexion sur la conception même de cette politique. On sait qu’elle a fait de la flexicurité son axe majeur. La montée brutale du chômage démontre pourtant que la flexibilité des législations d’emploi est depuis longtemps acquise et que la sécurité est, elle, bien insuffisante. L’accent ne devrait-il pas aujourd’hui être mis sur la définition de droits pour les milliers de salariés frappés par ces restructurations, conçues comme nécessaires et positives par l’Union européenne24 ?
29Le droit communautaire des restructurations souffre également de faiblesses. La directive de 2002 devrait évidemment faire l’objet d’améliorations, mais elle est encore récente et elle devrait peu à peu révéler son potentiel. La question des restructurations transnationales reste plus problématique. D’une part, les outils du droit national sont impropres à prendre en compte l’intégralité de ces opérations25. D’autre part, les outils communautaires restent très limités, alors même que ces restructurations peuvent être de nature à exacerber les oppositions d’intérêts nationaux, notamment par la mise en concurrence des différents sites des entreprises transnationales. Ainsi, les comités d’entreprise européens semblent avoir des difficultés importantes à intervenir dans un contexte de restructurations transnationales. Ils sont majoritairement informés simplement une fois que la décision est prise ce qui limite évidemment leur capacité d’action sur les restructurations26.
30La directive sur les comités d’entreprise européens a fait l’objet de modifications27. Néanmoins, si l’on peut constater certaines améliorations techniques, ce nouveau texte ne semble pas en mesure d’insuffler une nouvelle dynamique dans le fonctionnement des comités d’entreprise européens pour en faire un acteur incontournable des restructurations transnationales. Deux éléments clefs n’ont pas été réglés par la nouvelle directive. D’une part, elle reste très ambiguë sur le moment même où la consultation du comité d’entreprise européen doit intervenir lorsque sont en jeu des restructurations. Cette ambiguïté pourra être utilisée pour ne pas reconnaître un véritable droit du comité à être consulté et en faire un simple réceptacle d’informations trop tardives. D’autre part, la nouvelle directive ne résout pas non plus explicitement la question essentielle de l’articulation des compétences des organes européens de représentation et des organes nationaux, dans l’hypothèse ici aussi de restructurations. Le texte prévoit que l’accord instaurant les comités d’entreprise européens doit traiter de cette question. Mais en l’absence d’accord, la directive prévoit uniquement que le processus doit être mené au niveau du droit national ou européen, dans le respect des compétences et des domaines d’intervention respectifs des instances de représentation des travailleurs, ce qui laisse entier la question de l’articulation des procédures. Or, on peut se demander si le rôle du comité d’entreprise européen n’exige pas que celui-ci soit informé et consulté avant les instances nationales, car il est le seul à pouvoir appréhender la restructuration dans une dimension plus globale. En partie liée aux comités d’entreprise européens, qui en sont souvent des acteurs essentiels, la négociation collective transnationale et les accords, de plus en plus nombreux, qui en sont issus, restent dépourvus d’un statut juridique, alors même que l’Agenda social de 200528 envisageait la définition d’un cadre optionnel pour la négociation collective transnationale. Ici encore, l’adoption d’un simple document de travail en juillet 2008 marque le pas des ambitions communautaires en ce domaine29.
Conclusion
31Il convient de ne pas nier l’apport qu’a constitué le cadre communautaire des restructurations. Comme nous l’avons indiqué, les directives ont permis de créer des obligations et des pratiques d’implication minimales dans l’ensemble des États membres et elles ont défini quelques droits individuels, comme une garantie minimale des créances salariales en cas d’insolvabilité des entreprises et le droit, pour les salariés, au transfert de leur contrat de travail lorsque la structure juridique de l’entreprise est modifiée. Sans pouvoir mesurer l’impact de la politique communautaire des restructurations, elle a au moins produit une certaine expertise sur le phénomène des restructurations par la production de recherches importantes sur ce thème30. Le rôle des différents fonds ne doit pas non plus être minimisé. Il n’en demeure pas moins que la crise économique et financière appelle à son renouveau pourtant aujourd’hui très improbable.
Notes de bas de page
1 Sur ce cadre communautaire de la représentation des salariés et sa transposition dans les droits nationaux, voir Laulom S. (dir.), La recomposition des systèmes de représentation des salariés en Europe, Presses Universitaires de Saint-Étienne, 2005, 324 p.
2 Sachs-Durand C. (dir.), La place des salariés dans les restructurations en Europe communautaire, Presses universitaires de Strasbourg, 2004, 337 p.
3 COM (2005) 120 final, du 31/03/2005.
4 CJCE, 8 juin 1994, aff. C-382/92 et C-383/92, Commission c/ Royaume-Uni et CJCE, 27 janvier 2005, aff. C-188/03, Junk.
5 Lo Faro A., « Rapport de synthèse transnational sur le thème des restructurations. Réflexion à partir d’une analyse des concepts de norme sociale européenne et d’impact », in Impact et perspectives des normes sociales européennes, CRDS Lyon 2, 2006, p. 48.
6 Cass. Soc. 18 juillet 2000, note Couturier G., « L’article L.122-12 du Code du travail et les pratiques d’externalisation », Dr. soc. 2000, p. 845-851.
7 Supiot A., « Les salariés ne sont pas à vendre », Dr. soc. 2006, p. 264-273.
8 Pour être complet, il faudrait rajouter la directive du 8 octobre 2001 sur l’implication des travailleurs dans la société européenne. Néanmoins, peu de sociétés européennes ont jusqu’à présent vu le jour et l’impact de la directive reste de ce fait encore limité.
9 Ales E., Studies on the implementation of Labour Law Directives in the enlarged European Union. Directive 2002/14/EC, 2007.
10 Rémy P., « Les pouvoirs des représentants des salariés dans les licenciements collectifs en droit allemand », Dr. soc. 2008, p. 902-914.
11 Moreau M.-A., « Restructurations et comité d’entreprise européen », Dr. soc., mars 2006, p. 308-318.
12 Voir Moreau M.-A. et Paris J.-J., « Le rôle du comité d’entreprise européen au cours des restructurations, Expériences et prospectives », Semaine Sociale Lamy, 2008, suppl. n° 1376, p. 33-45.
13 Schmitt M., Restructuring and anticipation dimension of existing transnational agreements, Analysis and overview table, mai 2008, rapport réalisé pour la Commission européenne. Voir également, Bethoux É., Transnational agreements and texts negotiated or adopted at company level : European developments and perspectives, the case of agreements and texts on anticipating and managing change, juillet 2008, Wilke P., Background paper on International Framework Agreements for a meeting of the Restructuring forum devoted to transnational agreements at company level, juin 2008. Da Costa I., Rehfeldt U., « La négociation collective transnationale européenne chez Ford et General Motors », Connaissance de l’emploi, oct. 2006.
14 Vasquez F., « La dimension européenne des restructurations », Dr. soc. 2006, p. 260-263.
15 Décision du Conseil du 15 juillet 2008, relative aux lignes directrices pour les politiques de l’emploi des États membres, JOUE 26/07/2008, L 198 p. 47.
16 Sur cette politique, voir Moreau M.-A., « Les restructurations dans l’Union européenne : récentes évolutions (2005-2006) », EUI Working Papers Law 2008/07, 20 p.
17 Op. cit. note 3.
18 Ce fonds a été créé et doté par le règlement communautaire (n° 1927/2006 du 20 décembre 2006, JOUE n° L 406, p. 1). Voir Lhernould J.-Ph., « Le concept de sécurisation des parcours professionnels », Semaine Sociale Lamy, 2008, n° 1348, p. 9-15.
19 Sur ces relations entre mesures législatives et politique de l’emploi, voir Laulom S., « La stratégie européenne pour l’emploi : alternative à l’harmonisation », première partie, Revue du droit du travail, n° 11, novembre 2007, p. 643-648. Deuxième partie, « Harmonisations législatives et stratégie européenne pour l’emploi », Revue du droit du travail, n° 12, décembre 2007, p. 710-716.
20 Cf. Restructurations et emploi, la contribution de l’Union européenne, document de travail des services de la Commission, SEC (2008) 2154, 2 juillet 2008, p. 6.
21 Liaisons sociales Europe, mars 2009, n° 220, p. 1. Voir également. Final Report IRENE, Socially responsible restructuring in the context of the present crisis, CE Triomphe (Astrées), 2009.
22 Dépêche Planet Labor, 10 mars 2009, n° 090261.
23 Voir la Communication de la commission, « Europe 2020, une stratégie pour une croissance intelligente, durable et inclusve », COM (2010) 2020, du 3/03/2010.
24 Ont pu ainsi être évoqués la mise en place d’un mécanisme européen de chômage partiel ou le renforcement des droits à la formation professionnelle (Liaisons sociales Europe, n° 220, 2009, p. 1).
25 Sur le droit français, Lhernould J.-Ph., « Le droit européen des restructurations, un droit en zig-zag ? », Dr. soc. 2008, p. 1265-1269.
26 Liaisons sociales Europe, novembre 2008, n° 212, p. 4.
27 Directive 209/38/CE du 6 mars 2009 concernant l’institution d’un comité d’entreprise européen. Laulom S., « La révision manquée de la directive sur les comités d’entreprise européens », Semaine Sociale Lamy, 2009, n° 1399, p. 5-9. Lhernould J.-Ph., « La nouvelle directive CE européen : une victoire à la française », RJS, 2009, p. 101-112.
28 Agenda Social 2005-2010, COM (2005) 33 final.
29 « Le rôle des accords d’entreprise transnationaux dans le contexte d’une intégration internationale croissante », SEC (2008) 2155, 2 juillet 2008.
30 Voir par exemple, le projet AgirE (Anticiper pour une Gestion Innovante des Restructurations en Europe) ou le projet IRENE (Innovative Restructuring – European Networks of experts).
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