Introduction
p. 73-76
Texte intégral
1Le champ des restructurations porte en lui des enjeux majeurs de définition : définitions des phénomènes économiques et sociaux pris en compte, définitions tendant à poser des limites à la légitimité des décisions, définitions portant sur la place des acteurs et des pouvoirs publics. L’action publique est donc envisagée dans toute sa complexité, non seulement à travers la présence de l’acteur public dans les situations de restructuration, mais également à travers la capacité de cet acteur à produire les normes et les catégories permettant d’identifier ces situations. Elle se construit ainsi dans l’interaction avec l’ensemble des acteurs impliqués.
2Ces définitions s’inscrivent d’abord dans les cultures et l’histoire des systèmes nationaux de relations professionnelles. Les curseurs se déplacent selon les rapports de forces économiques mais aussi institutionnels, et selon le degré d’acceptabilité sociale des conséquences des restructurations à un moment donné, dans un contexte donné.
3Dans les années 1990, l’OIT définissait les restructurations comme « l’ajustement ou la transformation de la production et des services dans le but de faire face à des changements essentiellement quantitatifs et non transitoires des marchés des capitaux, des biens et du travail ». Dans une communication de 2005, la Commission Européenne parlait de « traduction, au niveau de l’entreprise, de la recomposition du tissu productif sous l’effet d’une multitude de facteurs ». Dans chaque cas, la discussion de chacun des mots choisis permettrait de repérer les préoccupations retenues.
4Le fait que « l’objet restructurations » se construise et prenne forme dans des contextes particuliers conduit à ce qu’il se dilue quand l’espace considéré s’élargit, quand il rencontre d’autres constructions, d’autres délimitations. Les instruments opérationnels mis en œuvre font sens au regard des contextes et ceci explique, sans doute, qu’il n’y ait, par exemple, pas de convention OIT (norme « dure » induisant un mode de traitement donné) portant spécifiquement sur les restructurations. Les problèmes rencontrés sont traités dans des conventions au titre de droits généraux et permanents : licenciement, discrimination, droit syndical, négociation collective, politique de l’emploi, insolvabilité. On pourrait observer le même phénomène avec l’élaboration de la norme ISO26000 sur la responsabilité sociétale. Il s’agit, en fait, de lignes directrices d’usage volontaire qui établissent une longue liste de principes à respecter par les entreprises et organisations. En dépit du caractère quasi exhaustif des thèmes traités, on n’y trouve pas de chapitre consacré aux restructurations. L’évocation des conséquences en termes d’emploi, des « changements » et des fermetures d’entreprise, l’information en temps utile des représentants des travailleurs, trouvent leur place comme éléments de principes relatifs aux relations d’emploi ou au dialogue social, supposés être mis en œuvre en toutes circonstances, les « changements » étant implicitement considérés comme des circonstances ordinaires.
L’action publique communautaire
5Revenons au cadre communautaire qu’éclaire la contribution de S. Laulom. Ce niveau, au-delà du fait qu’il constitue un appareillage, un ensemble d’instruments, forme aussi « un environnement de problématiques » auquel il est difficile d’échapper pour traiter de ces questions quel que soit le niveau auquel on les aborde en Europe. Ce cadre communautaire présente une double caractéristique. D’abord en considérant la diversité des leviers qu’il mobilise. On ne saurait, en effet, s’en tenir à la comparaison législation nationale/législation communautaire. Cette dernière existe et de manière assez dense et ancienne. Les premières directives sur les licenciements collectifs et sur les transferts d’entreprise datent du milieu des années 1970, rappelant les vagues de restructurations ayant conduit les institutions européennes à adresser des signaux aux opinions publiques déstabilisées. Par ces directives, le droit social européen s’orientait vers des textes procéduraux, organisant la construction de garanties via, en particulier, les acteurs sociaux.
6Mais ces acteurs sociaux n’ont pas toujours manifesté une ferme volonté de s’engager dans des pratiques volontaristes d’information et de consultation, puisque, dans la décennie suivante, si la Charte communautaire des droits fondamentaux des travailleurs évoquait les restructurations et les fusions affectant l’emploi, on se souvient aussi, faute d’accord, de l’aboutissement difficile de la directive sur le comité d’entreprise européen. Il y a, d’ailleurs, une certaine récurrence dans cette absence de pro-activité des partenaires sociaux européens sur ces questions. La révision de cette directive, en 2008, s’est ouverte à nouveau sur la base d’une proposition législative de la Commission, prenant acte des jeux tactiques de BusinessEurope et de la CES, en désaccord sur les conditions d’une négociation à leur niveau. Ce n’est qu’une fois le processus législatif engagé que les partenaires sociaux ont présenté des amendements conjoints. C’est encore l’absence de consensus entre eux qui a conduit la Commission à renoncer à formuler des propositions plus précises dans son « paquet social » du 2 juillet 2008. On savait la réticence des employeurs européens sur la mise en place d’un cadre, fut-il optionnel, pour la négociation transnationale. Les résistances se sont manifestées aussi sur la question des procédures d’anticipation en matière de restructurations, la Commission renonçant à proposer un code de conduite (instrument pourtant à usage volontaire) en matière d’anticipation du changement. Il faudra donc attendre la prochaine Commission pour une éventuelle initiative, après le bilan de la mise en œuvre des « orientations de référence » en matière de restructurations que les partenaires sociaux européens ont présenté lors du sommet social du Conseil de printemps 2009. Ici, le temps institutionnel (le terme inclut les rapports des partenaires sociaux) apparaît en décalage avec le temps de l’économie, comme si la crise et ses conséquences ne pouvaient infléchir un calendrier préétabli.
7Mais la législation ne constitue qu’une partie des instruments communautaires. C’est, en effet, à travers les instruments financiers que sont mobilisés les moyens communautaires : Fonds structurels, FSE et, plus récemment, Fonds d’ajustement à la mondialisation. Il y a de l’opérationnel aussi dans les échanges de pratiques et dans le benchmarking de la stratégie européenne pour l’emploi, et le thème de la flexicurité illustre combien, sur une période courte, ce cadre constitue une force de diffusion puissante. Et dans les approches holistiques dont se réclament les institutions européennes, il faudrait prendre en compte aussi les instruments relevant d’autres politiques, d’autres champs de l’action publique européenne : droit de la concurrence et des concentrations, coordination des politiques économiques et de recherche, et aussi, sans doute, en creux, absence de moyens d’agir contre la concurrence fiscale.
8La seconde caractéristique du cadre communautaire est qu’il repose sur une approche pro-active. Alors que la tradition française nous positionne pour la gestion des crises (passant, en particulier, par un régime d’obligations), la problématique européenne est celle de l’anticipation du changement, dont il ne s’agit pas de se défendre mais plutôt d’organiser la gestion dynamique. Ici, l’Europe est sans doute influencée par l’expérience des « petits » pays, historiquement dépendants de l’extérieur et contraints à l’adaptabilité plus tôt que les pays pouvant réguler leur production en s’appuyant sur leur marché national. Mais la France est en Europe et elle s’imprègne de la comparaison des pratiques, comme en témoignent les négociations récentes sur le marché du travail, les transitions professionnelles ou encore la GPEC.
La diversité des expériences nationales
9Envisager ensuite des expériences nationales permettra de voir comment celles-ci se confrontent à un environnement européen dans le cas du Royaume-Uni, au fédéralisme canadien dans le cas du Québec.
10La situation britannique analysée par S. Deakin et A. Koukiadaki, nous offrira, à travers le fonctionnement d’accords « préexistants » en matière d’information-consultation, une situation de transformation d’un système de relations professionnelles construit autour de l’acteur syndical. On se bornera, dans ce propos introductif, à suggérer un élément supplémentaire de grille de lecture, s’agissant du rapport entre le national et le communautaire. Le « modèle » britannique, qui s’est construit historiquement autour de la capacité des syndicats à s’imposer dans les entreprises, a été préalablement profondément mis à mal par l’épisode Thatcher. La Grande-Bretagne permet aujourd’hui d’éprouver l’existence d’une Europe sociale, notamment avec la transposition actuelle de l’importante directive de 2002 sur l’information-consultation. Ce qui se joue dans ce cadre est le développement d’un système de représentation permanente et élue, rapprochant le Royaume-Uni du modèle social continental. Le chemin pour y arriver est encore long, mais les auteurs suggèrent l’existence d’un apprentissage réflexif par lequel les représentants des salariés tendent à investir et à approfondir la portée de structures d’information-consultation qui semblaient initialement sous la coupe des employeurs.
11Quant au Canada qu’envisagent J. Bourgault et M. Coutu dans leur contribution, il nous offrira une pluralité de niveaux et de formes qui n’empêchent pas de « faire système ». Il permet de dégager la répartition des rôles entre syndicat implanté dans l’entreprise et intervention publique dans les entreprises sans représentation, entre champ fédéral et province – le Québec dans le cas étudié. L’Amérique est-elle un autre monde ? À côté des interventions policy oriented du niveau fédéral sont mises en œuvre des démarches plus formelles au Québec : un clin d’œil sur nos parentés culturelles ?
12En bref, il s’agit d’analyser dans cet exercice « pluriel » les restructurations et l’action publique les concernant comme champ de tensions et de définitions, avec la coloration propre à chaque contexte plutôt que comme une notion commune et établie. Et la mise en miroir de ces quelques situations doit rappeler – et non estomper – la diversité bien plus grande qui nous entoure, à commencer par l’Union Européenne et ses 27 États membres.
Auteur
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