Bris de textes et autres fragments poétiques en Occitanie médiévale. Une question de genre et de discrimination ?
p. 87-103
Texte intégral
« À quoi tient ce pouvoir de suggestion, d’évocation ?
Peut-être à un assez secret rapport entre fragment et mélancolie.
Le fragment, en effet, est par définition, par constitution pour ainsi dire, incomplet.
Il est manque, absence. Il résulte d’une brisure.
Il lui demeure une marque de cette rupture et de cet arrachement. »
Louis Van Delft1
à Chris
1Quand M.-J. Bonnet raconte dans un article daté de 2001 comment et sous quelle plume l’essor de la subjectivité2 féminine prit probablement naissance, elle cite Christine de Pisan3 s’exprimant en des termes douloureux et constatant combien « Philosophes, poetes, tous orateurs ‑ que longue chose serait nommer leurs noms ! ‑ semble que tous parlent par une mesmes bouche et tous s’accordent a une semblable conclusion determinant les meurs feminins encline et plaine de tous les vices4. » L’air du temps, au tournant des xive et xve siècles, que les historiens nous aident à comprendre, les diverses réflexions que nous portons par ailleurs sur les questions de genre, cette pépinière de discours qui fondent et façonnent nos représentations du masculin et du féminin, nous invitent à considérer avec un relatif recul un corpus d’œuvres peu connues, attribuées à des poétesses en Occitanie médiévale. La tradition manuscrite dont il faudrait reconsidérer la survie jusqu’à nos jours en est discrète, complexe et lacunaire.
2En effet, ce qui nous est parvenu d’une production antérieure datée du xiie au xive siècles, ce que nous avons conservé des poèmes auxquels une main médiévale a attribué un nom de femme n’existe qu’à l’état de traces : textes a priori complets, mais isolés et unici, collections minimales de quelques rares pièces (au mieux trois ou quatre), strophes inversées et rejetées en fin de recueil, anonymat douteux, lacunes bien visibles, grattages et autres accidents. Que sont les poétesses devenues5, contemporaines ou non de Christine de Pisan, qui plongée dans un profond chagrin semblait se résigner de n’être qu’une femme, « ouvrage abominable » enfanté mystérieusement comme toutes ses semblables par la Nature, avec l’accord de Dieu ; celles-là mêmes dont il semble pourtant qu’elles aient frayé avec les plus grands compositeurs et artistes de leur temps au sein des cours d’Occitanie ; ces femmes dont Bernart de Ventadour appréciait le talent et reconnaissait l’autorité suffisante pour distribuer jugements et trophées ? Auront-elles, pour une durée limitée, connu une situation totalement paradoxale et exceptionnellement favorable à la pratique de leur art, de sorte que nous puissions aujourd’hui encore admirer quelques vestiges de leurs écrits ?
3Nous conviendrons de la rareté, à hauteur de 6 %6, des œuvres citées au sein d’un corpus extrêmement vaste de chansonniers médiévaux qu’il est souhaitable de circonscrire. Quelque chose du côté du fra(c)men(t) ou fragment au sens de ce qui reste « d’une chose déchirée7 » nous revient, d’une chose qui aura été, parfois délibérément, mise « en éclats8 », fracturée à certains moments de son histoire et de l’histoire des Belles Lettres, en raison des aléas de la conservation, voire sous l’action possible d’un discours édifiant et discriminant à leur endroit.
Geste anthologique et fragment biographique
4Le mot s’applique volontiers à la portion d’une étendue (fragment d’un territoire, d’un paysage) ; il est également le bienvenu pour accompagner la mention et la description d’une œuvre d’art quand une partie en est perdue, quand on n’en repère plus que des éclats, des débris, des restes, rappelle encore le TLFi9. Du côté des choses abstraites, il pourrait s’agir de portions de vie, de traces biographiques. Qu’en est-il en ce sens des fragments de textes attribués aux poétesses les mieux connues de la lyrique médiévale ?
5À la Bibliothèque Vaticane comme à la Bnf se trouvent miraculeusement conservés d’assez nombreux chansonniers, d’origine occitane, italienne ou française, confectionnés pour la plupart en Italie du Nord10. On découvre dans ces volumes, sans ordre apparent, quelques poèmes attribués à des femmes dont les noms s’égrènent au fil des feuillets, de manière affirmée ou d’une façon qui peut paraître quasi accidentelle : Azalais de Porcairagues11, Na Castelloza, la comtesse de Die, Clara d’Anduze, Marie de Ventadorn et Tibors de Sarenom12, soit les poétesses désignées comme telles et les plus fréquemment citées parmi ces dernières. D’autres noms affleurent comme celui de Na Bieiris de Romans (unicum) ou d’Azalais d’Altier (unicum)13. La recension en a été faite dès la fin du xixe siècle14, quelques éditions critiques virent le jour dans le courant du xxe siècle, puis ce fut le moment des traductions, qui assurent aujourd’hui un accès plus aisé à ces textes difficiles15. Le corpus ne nous est donc plus inconnu ‑ A. Rieger l’aura du reste et de manière quasi définitive soigneusement circonscrit. On repère encore poèmes et lettres historiées, ainsi que de courtes biographies ou vidas16 (assorties ou non de gloses explicatives nommées razos), disposées au-dessus du premier texte copié et de l’initiale ornée contenant un portrait en pied de l’artiste. Cette disposition se rencontre tout particulièrement dans les manuscrits de très grand format à enluminures, confectionnés en Italie du Nord aux alentours de 128017 : soit A, I, K, N18. Pour ne donner que quelques exemples tirés du ms. A19, on découvre dans ce recueil des noms d’auteures connues ailleurs ainsi que des textes leur revenant.
-fol. 167v : La comtessa de Dia (avec rubrique20 + miniature) « Ab joi et ab joven m’apais », une apostille21 dans la marge de droite indique : « una doma que cante ».
-fol. 168 : id., « À chantar m’er de so qu’ieu no volria ».
-fol. 168 : id., fragment de trois coblas22 : « Estat ai en greu cossirier ».
-fol. 168v et 169 : Na Castelloza (avec rubrique + miniature). La rubrique nomme cette seconde poétesse au-dessus de l’image peinte, et trois pièces lui sont attribuées : « Amics, s’ie.us trobes avinen », « Ja de chantar non degra aver talan » et « Mout avetz faich lonc estatge ».
-fol. 185 : Na Maria de Ventedorn (sans rubrique, ni miniature, mais avec un emplacement vierge). On lit le début d’une tenson (ou débat) avec Gui d’Ussel : « Gui D’Ussel bem pesa de vos ».
6Dans le ms. I23, la rubrique écrite en prose, de la taille d’un aphorisme, destinée à la présentation et à l’élucidation du poème, s’ouvre sur le nom de l’auteur.e, puis le ou la désigne comme pratiquant l’art de la poésie. La vida développe en trois ou quatre lignes le tracé d’une vie24. Or ce fragment biographique et explicatif n’est jamais d’une main autographe ; il a été écrit a posteriori, le plus souvent en Italie du Nord, là où les manuscrits ont été confectionnés, suite au déplacement forcé de nombreux troubadours lors de la croisade dite des « Albigeois25 », lesquels se réfugièrent dans la région de Montferrat, puis en Vénétie. A. Jeanroy s’est fait l’écho de cette migration involontaire dans un article très riche daté de 193026 auquel nous renvoyons.
7Si quelques troubadours pérégrins, relayés par des copistes locaux, ont bien contribué à la diffusion de cette poésie dans des conditions d’une grande précarité, ils n’auront pas manqué de faire également connaître les compositions de leurs homologues féminins, qui n’avaient assurément pas dû entreprendre cette même migration. Ils les décrivent dans les vidas avec une grande conviction, rappelant toujours qu’elles occupaient une position enviable dans la société de leur temps, affirmant leur noblesse et leur parfaite capacité à s’imposer comme artistes.
8Pourtant, à lire la rubrique (courte et lapidaire) et pour en venir à notre propos, l’on retire de ces lectures l’immédiate certitude que l’assise historique du bref développement formulaire, pourtant à l’encre rouge, ne pourra être vérifiée malgré les diverses tentatives menées encore récemment27, qu’en somme elles contiennent peu d’informations. Le fragment affleure, tel un instantané au sens romantique du terme, clos et isolé, sous la forme d’un écrit bref, démonstratif, voire aphoristique et à visée mémorielle. On se souviendra, décennie après décennie de cette poétesse…, clame-t-on. Un exemple tiré de ms. I atteste très précisément que nous sommes en présence d’un format spécifique : une écriture en prose d’une extrême densité, cherchant à décliner par quelques mots choisis et répétés les aspects les plus saillants d’une existence peut-être exemplaire, mais dont le témoignage n’est plus qu’indirect, au dire même du biographe.
Azalais de Porcarages28 si fo de l’encontrada de Monpesliez. Gentils domna et enseingnada29. Et enamoret se d’en Gui30 Guerreiat qu’era fraire den Guillem de Monpesliez e la domna si sabia trobar. E fez de lui mantas bonas cansos31.
9En effet, malgré ce double geste anthologique et biographique, ce sont des lignes concises et déjà trop tardives qui tracent les contours d’une vie. Ce constat est d’autant plus fondé que, d’une vida à l’autre, le canevas se répète. Il correspond probablement à l’activité d’un seul scribe désireux d’adopter, quel que soit le paragraphe rédigé, une même posture rhétorique et esthétique, déclinée en trois temps distincts : a) nom, origine, état dans la société (toujours la noblesse pour ces femmes) et alliance par le mariage (celles qui sont citées le sont toujours), b) qualités remarquées, non seulement la beauté, mais aussi l’instruction qui les distingue, c) situation affective : la poétesse est l’amante d’un autre que son époux, et le chevalier désiré lui inspire des compositions qui sont de bonnes chansons32.
10On le perçoit aisément, il ne s’agit en rien de récits de vie singuliers, voire exhaustifs, mais déjà de traces lacunaires insérées longtemps après les faits au sein d’un fragment voulu comme tel, composé de quelques mots-clefs (elles étaient nobles, cultivées, connues et aimées) pour une histoire envolée. Le court texte mesure certes la renommée d’une femme à l’aune de ses pair.es, suffisamment instruite pour inventer sa poésie (on supposera un accès réel à l’écriture vernaculaire, à la reconnaissance des différents genres littéraires bien constitués : cansos, tensos et sirventès, à la connaissance et à la pratique de techniques complexes), suffisamment libre pour que son œuvre soit si ouvertement inspirée par un amant.
11Pour conclure sur ce premier exemple, outre sa dimension archéologique, outre la nécessité de l’appréhender comme le bris d’un témoignage, une séquence de quelques lignes, « ce morceau choisi », ce fragment voulu comme tel (en excellent état de conservation du reste), aura certainement été l’occasion d’une performance publique afin d’assurer à l’auditoire des xiiie et xive siècles quelques aspects de compréhension précédant la lecture du poème. Produisant l’effet « de l’éclair », « d’une révélation33 », le temps de sa profération, il aura « retenu l’attention », se sera « imprimé dans la mémoire », dans les mémoires : celle du colporteur-jongleur qui transmit le message poétique, celle du scribe, italien et collecteur, mobilisant pour finir ce public dont nous occupons aujourd’hui la place. Ce fragment d’écriture aura rappelé la réalité d’une culture dont le rayonnement était le fait d’hommes et de femmes en Occitanie médiévale, d’une culture antérieure à la migration de troubadours. À n’en pas douter, avant que ne sonne le glas de leur propre effacement, ces derniers auront cherché à sauver de ces dernières tout ce qui pouvait l’être34.
Autre cas, autres mœurs : l’exemple du ms. H
12À l’inverse, l’état général du passionnant ms. H (Vatican lat. 3207) est alarmant, un volume qui pourtant donne exclusivement à voir des images peintes des mêmes poétesses et d’autres encore dans de précieuses miniatures rectangulaires35. Pour autant, alors que le recueil se trouve dans ce rare état de délabrement, le lecteur accrédité peut en disposer sans grande contrainte, ni restriction et à plusieurs reprises36, un fait notable qui en dit long sur le peu de valeur qu’on lui accorde, une souplesse qui frôle la négligence et le désintérêt. De même, A. Jeanroy, dont l’influence était grande à l’aube du xxe siècle, omit d’en signaler la composition si particulière, la « spécialité » pourtant remarquable (soit cette petite galerie de portraits peints en pied de ces femmes auxquelles O. Schultz37 avait consacré la première anthologie moderne connue à ce jour), huit images de poétesses généralement nommées. Dans sa Biographie sommaire des chansonniers provençaux (1916)38 A. Jeanroy est plus que laconique à leur endroit. Il n’est pas le seul d’ailleurs à négliger cette production. Au dire même d’A. Rieger39, W. Grützmacher (1863), L. Gauchat et H. Kehrli (1891) les considéraient déjà comme de petites choses insignifiantes et grossières : « abbastanza rozze40 » et, en 1924, J. Anglade41 les commenta de manière si erronée qu’il affirma avec le plus grand mépris que, le plus souvent, seules les têtes en étaient peintes, ce qui n’est jamais vrai.
13Or ce ms. H, sur parchemin, de format moyen in-4 (216 x 152 cm42), est un document majeur. Confectionné entre Trévise et Padoue au milieu ou à la fin du xiiie siècle43, il comprend 61 feuillets et présente de nombreuses lacunes, déjà signalées par Fulvio Orsini en 158444, soit l’absence de couverture et d’espositioni (préface ou table en l’occurrence). Ce dernier l’aurait ensuite légué à la Bibliothèque Vaticane tel quel. Antérieurement il semble avoir appartenu à Lodovico Castelvetro45 (1505-1571), philologue, qui à notre connaissance n’en dit rien. Aujourd’hui encore on ne peut que déplorer l’état du recueil, un ensemble composite peut-être originel. A. Rieger46 souligne la gravité des mutilations opérées : notamment l’absence de sept feuillets (arrachés) après la citation de Na Lonbarda, qui concerne la fin du cahier VI et le tout début du cahier VII ; d’autres feuillets délibérément déchirés dans les cahiers VIII et le IX. Trois manquent entre la citation d’Azalais de Porcairagues et celle de La comtesse de Dia dans le cahier VIII, et sept sont perdus dans le cahier IX, si bien qu’au milieu du recueil cette même comtesse se dédouble en deux images peintes sur le fol. 49v et que Na Iseuz de Capion et Ma dompna N’Almucs sont réunies comme s’il s’agissait de matérialiser par l’image leur échange de coblas (ou strophes). Puis, à la toute fin du volume, Ma dompna Maria de Ventedorn se retrouve seule. Ces effacements et brisures de parchemin (feuillets complets, déchirés, coupes de haut en bas) donnent à l’ensemble une allure accidentée mêlant de façon pathétique des portraits abîmés à des portions de textes, quelques rares coblas ouvrant des cansos (ou « chansons ») fantômes, mais que l’on retrouve ailleurs, mêlant ces vestiges à des blancs, le tout positionné sur des feuillets qui auront servi à d’autres fins. N’en demeure pas moins la précieuse mention textuelle et iconographique de ces poétesses : Na Lonbarda (fol. 43vb, fin du cahier VI), Anonyme (45a), Na Tibors (45a), Na Iseuz de Capion (fol. 45vb), Ma dompna N’Almucs (fol. 45vb, 46a), Azalais de Porcairagues (fol. 46a + fol. 57a non attribué), La comtesse de Dia (fol. 49vb, bis), Ma dompna Maria de Ventedorn (fol. 53b). Ainsi sept folios souvent incomplets contiennent rubriques et coblas esparsas, des poèmes brisés, huit miniatures en tout. Le reste est perdu47.
14Plus précisément, bien des accidents et lacunes viennent encore confirmer la fragmentation voulue du recueil. Le feuillet 45 a été délibérément lacéré de haut en bas48, puis a fait l’objet d’une restauration par l’addition d’une bande blanche de parchemin, large de la moitié, réunie à la partie originelle et correspondant à une deuxième colonne de texte au recto et à une première colonne au verso. L’image peinte d’une poétesse y est rendue anonyme faute de rubrique. Elle est accompagnée d’une cobla isolée provenant d’un poème unicum, a priori perdu. Le dispositif se répète en dessous, faisant apparaître dans la même colonne une rubrique consacrée à Na Tibors, suivie d’une image peinte et d’une cobla49 qui la jouxte à droite. Puis en dessous, au verso, mais à mi-hauteur, une nouvelle rubrique annonce les compositions d’Iseus de Capion, suivie de la miniature et d’une cobla également unica. Enfin, sur ce feuillet, là où un peu de place demeure, en bas à droite, lit-on le nom de la troisième poétesse Na Dompna N’Almucs. La rubrique se prolonge sur le fol. 46, suivie à nouveau d’une cobla esparsa (certainement s’agissait-il à l’origine d’une strophe d’échange au sein d’une tenso). La strophe est serrée à droite contre la miniature, posant ainsi les limites d’une première colonne. La partie restaurée du feuillet est demeurée vierge (au recto comme au verso). Dans le cas de ces trois poétesses, on ne lira jamais la fin des poèmes, en raison d’un geste délibéré de destruction.
15Une autre créatrice, Azalais de Porcairagues, aurait certainement mérité une place plus conséquente dans le recueil, puisque l’on retrouve par deux fois la trace d’un poème lui revenant50. Or le ms. H n’en contient ni le nom, ni la citation complète. On trouve d’une part deux coblas esparsas provenant du poème en question (fol. 46a). Ces strophes sont inversées (les 3e et 4e) et sont anonymes, elles ont été copiées sur une partie vierge du feuillet à la suite du fragment de Na Dompna N’Almucs. Il aura fallu du reste toute la sagacité d’O. Schultz51 pour les identifier comme revenant à celle qui « si sabia trobar » et qui vivait dans la région de Montpellier. Plus étrange encore, se découvre la trace de cette même poétesse au fol. 57a, puisque son unique poème y apparaît de nouveau, tronqué cette fois de quatre strophes et demie, soit le feuillet entier qui précède la citation. On supposera qu’il devait contenir une rubrique permettant une attribution claire, peut-être même une image ornée à l’instar de ses consœurs.
16Si l’on feuillette encore l’ensemble, on constate que la comtesse de Die, la mieux connue des poétesses, y est peinte deux fois sur un même folio (fol. 49v) comme il a été dit. Dans l’une des miniatures, elle tient un bâton surmonté d’une fleur de lys, dans l’autre un petit faucon sur fond printanier. Soit deux belles images, très singulières. Paradoxalement, on ne trouve copié qu’un seul poème (complet a priori) lui revenant, alors qu’ailleurs les pièces attribuées à cette poétesse sont au nombre de trois (mss I, K) voire de quatre (mss A, D). Les images et le poème sont disposés sur ce qui reste de la colonne de droite. Une lacune importante, aisée à enregistrer, mais dont les limites ne sont plus perceptibles.
17Un autre cas d’effacement montre encore que le pire n’est jamais atteint. Na Castelloza, souvent citée dans les grands chansonniers à enluminures italiens comme I, K, N n’apparaît pas dans H. On s’accorde à penser que cette absence résulte des mutilations réalisées52.
18Que dire enfin des images ? Nul n’a pensé qu’elles étaient d’une qualité artistique inestimable, mais les jugements qui furent successivement émis par la critique se révélèrent particulièrement sévères à leur endroit et sans véritable argumentation. Il fallut attendre les années 80 pour que les discours se nuancent, et qu’ils soient vigoureusement infléchis par de soigneuses recensions et une approche dépourvue de préjugés : l’on doit principalement ce travail et le retournement d’opinion qui en découla à P. Bec, M. de Riquer, A. Rieger et plus récemment à M. Jullian, qui procédèrent systématiquement à la réhabilitation de ces miniatures, lesquelles bénéficient enfin de descriptions détaillées. Retenons simplement que ces images ont subi les assauts du temps et de la malveillance. Celle de Na Tibors (fol. 45) est la plus abîmée, l’ensemble du corps est peu visible. Seuls sont réellement identifiables le fond de couleur verte, orné de petites fleurs printanières, la chevelure d’un ocre soutenu, le bâton fleurdelisé et la robe généreuse au drapé rouge. Nul trait du visage n’est perceptible. L’image qui contient une représentation d’Iseus de Capion se trouve dans un état comparable. La main tendue, l’index relevé ont gardé chacun leur contour, mais le visage ne laisse deviner que de rares traits du dessin originel. Na Dompna N’Almucs de Castelnou est pour sa part quasiment sans visage, hormis les yeux dont on perçoit deux points sombres. Quant à la comtesse de Die, l’état du sien ne relève ni de l’usure naturelle, ni de la fragilité constitutive des pigments, s’estompant au fil du temps, hypothèse que l’on pouvait encore avancer pour expliquer la dégradation des images précédentes. Une main a œuvré pour mutiler cette silhouette, le visage et les mains sont effacés d’une manière très circonscrite en haut du fol. 49v, et l’ovale du visage a été soigneusement gratté en bas du même folio. Seules la première, Na Lonbarda (fol. 43v), et la dernière, Ma dompna Maria de Ventedorn (fol. 53), ont échappé à la pointe du stylet qui a vandalisé ces très anciens portraits de femmes.
19Intention de nuire ? Brisure volontaire d’un bel ouvrage qui semblait vouloir conjuguer avec force l’art de l’enluminure et celui du littéraire, pour affirmer chemin faisant la part du féminin dans la création des xiie et xiiie siècles. Les troubadours qui migrèrent en Italie du Nord avaient eu cette intention de sauver ce qui pouvait l’être, sans distinction de genre.
20Nous nous trouvons ainsi confronté.es à des actions de vandalisme qui firent intrusion dans le champ de la création pour distinguer le grain de l’ivraie, le Bien du Mal, le masculin du féminin, la littérature sacrée du champ profane de la création, la pensée mystique du désir amoureux. Sans conclure, et pour prolonger d’un dernier aspect l’appréhension d’une telle fragilité dans la transmission des œuvres, il est possible d’interroger l’effacement du lyrisme intrinsèque de cette poésie, de questionner ce qui plongea la poésie de ces femmes dans un silence plus profond encore, en raison de la quasi-absence de partitions musicales, destinées originellement à accompagner leurs poésies.
Le cas du ms. W, fragment musical francisé
21La dimension musicale de cette production est indéniable. Plusieurs chansonniers sont authentiquement musicaux, ils attestent la dimension lyrique des poèmes retrouvés et le recueil provençal dit « chansonnier La Vallière » Bnf fr. 22543 R en est un bel exemple53. Au folio 101 (100 en chiffres romains), le sirventés (poème satirique) attribué à la poétesse Na Gormonda de Monpeslier, est accompagné d’une portée sans notation. Dans ce recueil, des portées complètes ou demeurées vierges sont systématiquement ménagées pour une notation musicale de type neumatique. Le lyrisme de cette poésie s’affirme donc sans distinction de genre (« gender »).
22En revanche le précieux ms. Bnf fr. 844 W, fol. 204r-v54 unicum (sur parchemin, 217 feuillets, fin du xiiie s.) et français cette fois55, contient aux fol. 188-204 des pièces et fragments de pièces provençales, presque tous anonymes et dont la graphie est fortement francisée. Cinquante et une sont accompagnées de leurs mélodies56. C’est le cas pour la première strophe du poème de la comtesse de Die précédemment cité : « A chantar m’er… », copiée sans nom d’auteur.e, rédigée dans une langue altérée : « Ar chantar m’er al cor que non devrie57 » (fol. 204-204v) et rejetée à la fin du recueil.
23Ce dispositif témoigne d’une triple fragmentation, notable dans le continuum idiomatique (l’occitan est francisé), dans le continuum textuel (seule une strophe est sauvée) et dans la manière habituelle de composer les recueils sans hiérarchiser les productions (cette strophe est isolée). La francisation fut peut-être le fait de la haute noblesse occitane du xive siècle, soucieuse de se fondre dans la culture d’Oïl sous la houlette des papes d’Avignon et se reconnaissant davantage dans une culture qui s’internationalisait, ou bien la marque d’un copiste cherchant à rendre mieux lisible le poème, originellement écrit dans un français occitan mal compris. On peut estimer aussi, comme le fit L. Gauchat dès 1892, que la migration fragile de cette production vers le nord résulta de l’action de quelques poètes d’envergure dont Bernart de Ventadour, qui séjourna à la cour d’Aliénor d’Aquitaine, et de l’influence de cette dernière comme de celle de sa fille, Marie de Champagne.
Il n’y a rien d’étonnant à ce que ces deux dames aient joué un rôle aussi important dans la transplantation d’une poésie où la femme domine avec une puissance si souveraine58.
24Voilà tout ce qui reste du caractère musical d’un répertoire féminin fragmenté. Les créatrices se sont tues à jamais, hormis dans cet exemple. Pourtant formellement le fragment ne résulte pas d’un vandalisme concerté, comme ce fut le cas avéré pour H. Aucun soupçon de destruction volontaire ne peut être porté sur ce document. Il atteste bien au contraire une collecte soigneuse, là où l’on disposait encore de place sur un parchemin. Le morceau est isolé à la fin du volume sur un feuillet demeuré blanc en partie, au recto comme au verso, mais la notation en est rigoureuse et régulière, sans accident particulier. Il y a là une intention de préservation. Pour preuve, l’attentionné copiste du ms. W, ayant composé son ouvrage à la fin du xiiie siècle en Artois, donne également à lire intégralement rien moins que l’œuvre monodique et polyphonique d’Adam de la Halle.
25En outre l’ouvrage conservé relève d’une tradition profane soigneusement consignée, ce que traduisent les moyens très simples mis en œuvre : une portée de quatre lignes, une clef de hauteur d’Ut 4e et autres signes musicaux de type neumatique (notes carrées simples ou plicae (avec une barre verticale) comme dans le plain-chant. Au commencement du dernier vers de la cobla, on lit une clef de Fa 3e impliquant comme première note à l’attaque du vers 7 un Do médian. La clef d’Ut 4e est en forme de C carré et la clef de Fa suit le tracé d’un F schématique et déformé. Dans le sillage de G. Le Vot, il serait bien sûr possible d’exhumer ces quelques lignes musicales au moyen de notre système actuel et d’en révéler peu ou prou la mélodie, mais là n’est pas notre propos. Chaque note ou groupe de deux notes correspond à une syllabe du texte, sauf dans le cas de mélismes59 (notés alternativement avec des notes carrées ou des losanges jamais isolés, appelés puncti), qui resserrent la notation en groupes neumatiques accélérés. Chaque ligne mélodique permet le déploiement d’un vers, et la limite du mètre est marquée musicalement par des barres de silence verticales, bien visibles. Dans le texte souscrit, c’est un point qui offre la même limite. La barre de mesure rythmique n’existe pas et, en l’état actuel de nos connaissances, il semble même totalement aléatoire de vouloir chercher à fixer un rythme quelconque. Voilà pour ce qui est de ce fragment musical dont on mesure à chaque instant qu’il ne peut nous donner à entendre que le filet lointain d’une voix perdue. Qu’elle ait traversé ces siècles d’abandon semble néanmoins un miracle.
26Pour conclure, l’on perçoit combien les trois extraits soumis ici ne sont plus que la trace d’une production avérée, mais si lointaine que les contours en sont perdus ; ils témoignent d’une indéniable fragmentation. Dans le premier cas se détachent des traces de vies, mises en exergue par le choix de cette encre rouge et dont le support textuel forme un tout, clos sur lui-même, n’appelant pas un mot de plus que ce qui aura été écrit. Il s’agit bien de fragments au sens romantique et moderne du terme, de parties d’une œuvre dont on a pu détacher des éléments, et, qui sous l’angle de l’histoire littéraire, révèle une première attestation du genre biographique en prose. On admirera la façon dont le scribe ne choisit pas de maltraiter l’œuvre qu’il attribue à une femme, qui ne lui est déjà plus contemporaine, mais dont il veut garder la mémoire. Un même soin dans le tracé des lettres, le même souci de restituer ce qui peut l’être, le même désir d’honorer, de combler de qualités particulières des poétesses nobles et cultivées sont bien perceptibles. Le fragment est dans ce cas un ouvrage intentionnel. Sa valeur performative et le geste anthologique qu’il génère permettent que le vestige de ces existences passées puisse encore nous être transmis.
27De même, des fils de vie se déploient, des échos de voix lointaines et féminines s’entendent encore parce qu’un copiste d’une grande valeur (celui de W) a fait le choix de noter à la plume sur un « brief » de parchemin un texte et sa portée musicale. Certainement est-il à même de déchiffrer cette langue autre, homogène, mais propre au sud de la France ? Qu’a-t-il réellement sous les yeux ? Une œuvre originale, autographe ? Un recueil bien constitué en occitan médiéval ? Un chansonnier musical en bon état ? Un volume délabré ? Un simple feuillet arraché ? Il n’existe aucune trace antérieure à ce qui est décrit ici. Sa tâche est-elle celle d’un scribe modeste ou bien est-il inventif au point de créer lui-même la mélodie que nous avons à déchiffrer laborieusement pour accompagner le poème de la comtesse de Die ? Autant de questions qu’aucune réponse ne viendra jamais soulager ? Nous ne disposons pas de moyen d’accroître ou de retrancher la part de ce qui lui revient. Seulement tenter de rendre hommage à son action, qui permit à la fin du xiiie siècle d’affirmer avec talent et véhémence qu’en leur temps ces poétesses pratiquaient un art double, textuel et musical, à l’instar de leurs pairs.
28Enfin le chansonnier H est parmi d’autres recueils un exemple des brisures du temps, des accidents volontaires ou non qui vinrent affecter le bel ouvrage et contrarier l’action de collectionneurs sourcilleux et grands bibliothécaires érudits italiens. À tous égards c’est ce que furent pour la conservation des chansonniers médiévaux Pietro Bembo (1470-1547), Lodovico Castelvetro (1505-1571) et Fulvio Orsini (1529-1600). S’agissant d’un recueil contenant des portraits en pied de poétesses, d’un volume qui aurait mérité à ce seul titre l’attention et les égards des chercheurs, son état atteste les gestes commis (coupures de parchemin par bandes, récupération de reliures, grattages), pire, indifférence… et constitue un témoignage direct de la négligence des hommes. Nous en conviendrons avec regret. Néanmoins le manuscrit nous est parvenu, il est lisible. S’y découvrent des fragments d’un discours, d’un discours amoureux même, porté par des voix, des corps peints et des visages de femmes lointaines dont l’existence est probable et l’art assuré. Il nous revient d’en admirer la facture et le contenu, d’en remercier ceux qui participèrent à cette chaîne humaine indispensable : écrivain.es, messagers et jongleurs, scribes et collectionneurs, conservateurs/conservatrices, lecteurs et lectrices que nous sommes.
Notes de bas de page
1 L. Van Delft, Les Spectacles de la vie, Presses de l’Université Laval, 2005, p. 220.
2 M.-J. Bonnet, « Tout renouvellement de la pensée se fait à partir de l’essor de la subjectivité », F. Basch, L. Bruit, M. Dental, F. Picq, P. Schmitt-Pantel, C. Zaidman (dir.), « Les noces entre la pensée et la vie », Vingt-cinq ans d’études féministes. L’expérience Jussieu, Université Paris 7, Publications universitaires Denis-Diderot (coll. « Les cahiers du CEDREF »), 2001, p. 42.
3 Ch. de Pisan, Le Livre de la cité des dames, Bibliothèque de l’Arsenal, ms. fr. 2686, xve s., fol. 1va/b (consultation en ligne, http://gallicalabs.bnf.fr/ark:/12148/btv1b84514768/fr14.image).
4 Pour la traduction, voir Christine de Pisan, Le Livre de la Cité des Dames, texte traduit et présenté par Th. Moreau et É. Hicks, D. Régnier-Bohler (dir.), Paris, Stock (coll. « Moyen Âge »), 2005, p. 36 : « Philosophes, poètes et moralistes – et la liste serait bien longue –, tous semblent parler d’une même voix pour conclure que la femme est foncièrement mauvaise et portée au vice. »
5 Cf. notre communication donnée à l’occasion de la Journée d’étude Penser le genre. Genre et littérature, organisée par G. Leduc et M. Reid, Lille III, Maison de la Recherche, le 27 mars 2015 : « Que sont les poétesses devenues ? Enquête sur la voix et le genre dans l’Occitanie médiévale ».
6 D’après nos propres calculs, qui méritent approfondissement et qui s’appuient sur les mss I, Bnf fr. 854 (anc. de la Biblio. Vaticane, 7225) et K, Bnf fr. 12473 (anc. de la Biblio. Vaticane, 3204).
7 Dictionnaire du Moyen Français (1330-1500) : framen, « fragment » (consultation en ligne, http://www.atilf.fr/dmf/) de fragmentum (FEW, t. III, p. 745b), « morceau d’une chose déchirée ».
8 God., t. III, p. 653c.
9 Tlfi (consultation en ligne, http://www/atilf.fr/dmf).
10 Lire à ce sujet l’article très complet de M. Jullian, qui nous servira de guide sur les aspects iconographiques de ces collections : « Images de Trobairitz », CLIO. Histoire, femmes et sociétés, 25, 2007, p. 155-173 (consultation en ligne, Clio.revues.org/3231, § 1), collections réalisées « en Vénétie à la fin du xiiie siècle ».
11 Cf. notre étude portant sur l’unique poème d’Azalais de Porcairague à l’occasion de la Journée d’étude (cit.), Penser le genre…
12 Dont il ne reste que le fragment d’une strophe incomplète provenant du ms. H. Voir à ce sujet, P. Bec, Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock/Moyen Âge, 1995, p. 111.
13 Pour une étude de cet étrange poème, lire notre contribution à la Journée d’études du 16 juin 2015, Des femmes en littérature. La voix, le jeu et le genre, organisée par F. Le Nan et C. Pergoux-Baeza, Maison de la Recherche Germaine Tillion, Université d’Angers : « Na Bieiris de Roman, poétesse occitane ? Ou le genre auctorial en question » (actes en cours de publication).
14 O. Schultz, Die provenzalischen Dichterinnen, Biographieen und Texte, Leipzig, 1888. Antérieurement on trouve encore quelques indications données par J.-B. de La Curne de Sainte-Palaye (1697-1781), Histoire littéraire des troubadours, publié par l’abbé Millot, Claude-François-Xavier (1726-1785), 1774, Genève, Slatkine reprints, 1967, p. 379.
15 Ces textes ont été copiés dans un occitan ancien teinté d’italianismes. Voir A. Rieger, Trobairitz. Der Beitrag in der altokzitanischen höfischen Lyrik. Edition des Gesamtkorpus, Tübingen, Max Niemeyer Verlag, 1991 ; P. Bec, Chants d’amour des femmes-troubadours, Paris, Stock/Moyen Âge, 1995 ; D. Régnier-Bohler (dir.), Voix de femmes au Moyen Âge. Savoir, mystique, poésie, amour, sorcellerie (xiie-xve siècle), Paris, Robert Laffont, 2006, etc., pour ne citer que les travaux les plus saillants.
16 À distinguer en effet, mais d’une manière qui n’est pas toujours aisée, des razos.
17 M. Jullian, art. cit. (consultation en ligne, clio.revues.org/3231, § 6).
18 Cf. A. Rieger, « ‘Ins e.l cor port, dona, vostra faisso’, Image et imaginaire de la femme à travers l’enluminure dans les chansonniers des troubadours », Cahiers de Civilisation médiévale, 1985, 28, p. 392 : « … il y a quarante-trois lettres ornées dans A, quatre-vingt douze dans I, soixante et onze dans K et trente-trois dans N. Écrits et enluminés en Italie du Nord au xiiie s., ils sont ornés du même type d’enluminures, de lettrines historiées, peintes sur fond or. »
19 Voir ce très précieux manuscrit A, lat. 5232, conservé à la Bibliothèque Vaticane, dont on n’obtient la consultation que très difficilement.
20 D’après le Dictionnaire du Moyen français (Dmf) (consultation en ligne, http://www.atilf.fr/dmf/), Rubrique < rubrica, « craie rouge, terre rouge (de Sinople) » < rubeus « rouge. Cf. God., t. X compl, p. 598 : 1273, rubriche « titre de chapitre (primitivement écrit en rouge dans les manuscrits) ».
21 « ‘[P]ostilles’, notes en dialecte vénète dans la marge en face de chaque vignette à l’intention du miniaturiste et qui stipulent le sujet que celui-ci doit traiter ». Cf. M. Jullian, art. cit. (consultation en ligne, clio.revues.org/3231, § 31).
22 Cobla ou « strophe ».
23 D’après A. Jeanroy, Bibliographie sommaire des chansonniers provençaux (Manuscrits et éditions) [1re éd. 1916], rééd. Paris, Champion, 1966, p. 8, et F. Raynouard, Choix des poésies originales des troubadours [1re éd. 1820], rééd. Genève-Paris, Slatkine, 1982, p. clv, le ms. I est un grand parchemin à enluminure de 199 feuillets (un feuillet manque entre 116 et 117), il est daté de la fin du xiiie s.
24 La rubrique contient vidas et razos, de courts textes oscillant entre biographie et commentaire. On est en droit de penser que l’affabulation n’a cessé de croître au fil du temps pour culminer dans l’ouvrage bien connu de Jehan de Nostredame, écrivain provençal (1522-1576/7), auteur des Vies des anciens poètes provençaux. Au demeurant, il ne cite que la comtesse de Die, mais ce qu’il dépeint de cette poétesse ne coïncide en rien avec le contenu de la petite biographie médiévale originelle. « [U]n tissu de fantaisies et de mensonges impudents », dira en quelques mots J. Véran en un jugement d’une grande sévérité (Les poétesses provençales du Moyen Âge et de nos jours, Paris, A. Guillet, 1946, p. xv et xvi).
25 Voir l’édition de référence : J. Boutière et A. H. Schutz, Biographies des troubadours. Textes provençaux des xiiie et xive siècles, Paris, Nizet, 1950 (2e éd. refondue, Paris, 1964, réimp. Paris, 1973). Pour la traduction, M. Egan, Les Vies des troubadours, textes réunis et traduits, Paris, UGE, coll. « 10/18 » (coll. « Bibliothèque médiévale »), 1985, p. 20.
26 A. Jeanroy, « Les troubadours dans les cours d’Italie du Nord aux xiie et xiiie siècles », Revue historique (G. Monod), 1930, Paris, Librairie F. Lacan, t. CLXIV, p. 1-26.
27 Cf. dans P. Bec, Chants d’amour…, op. cit., 1995, l’ensemble des notes relatives aux textes cités. Idem dans Voix de femmes au Moyen Âge…, op. cit., 2006, pour les chapeaux introductifs et les notes qui accompagnent les traductions.
28 Le ms. I, fol. 140 contient un poème attribué à Azalais de Porcarages (avec miniature et rubrique contenant une vida). Voir les variantes du même poème dans K, d. Porcairagues (fol. 125v).
29 e. enseignanda K.
30 e. Gi K.
31 b. cansons K.
32 Ce paragraphe reprend en partie un passage de notre communication déjà citée : « Que sont les poétesses devenues… », lors de la Journée d’étude, Penser le genre. Genre et littérature.
33 Ensemble de termes cités ici que nous devons à la présentation du livre de Louis Van Delf, Les Spectacles de la vie. Généalogie du regard moraliste… (consultation en ligne, http//agora.qc.ca/dossiers/Fragment).
34 Aujourd’hui encore ces textes sont perçus comme des entiers de discours, au point qu’ils auront à plusieurs reprises été publiés à part. Voir l’édition de référence : J. Boutière et A. H. Schutz, Biographies des troubadours. Textes provençaux des xiiie et xive siècles, op. cit., et M. Egan pour la traduction, Les Vies des troubadours, textes réunis et traduits, op. cit.
35 On y lit certes des poèmes de troubadours, mais aucune image peinte ne vient illustrer leur nom. Ce ms. n’est pas accessible en ligne sur le site de la BVA. Pour s’en faire une idée, on consultera le bel ouvrage de Martin de Riquer, Vidas y retratos de trovadores : textos y miniaturas del siglo XIII, Barcelone, Galaxia Gutenberg, 1995. Les miniatures y sont reproduites dans des images d’une très grande qualité.
36 Telle fut notre expérience à la Vaticane quand ce recueil H de taille médiocre et de facture composite nous fut confié de la manière décrite ci-dessus.
37 A. Jeanroy les désigne par un terme rarissime : trobairitz (une seule occurrence connue à ce jour) et pour la première fois dans La poésie lyrique des troubadours (Toulouse-Paris, 1934, t. I, p. 317), l’empruntant à O. Schultz (Die provenzalischen Dichterinnen, Biographieen und Texte, Leipzig, 1888).
38 Du même auteur, Bibliographie sommaire des chansonniers provençaux…, op. cit., p. 7.
39 A. Rieger, art. cit., p. 389.
40 L. Gauchat et H. Kehrli, « Il canzoniere provenzale di H », Studj di filologia romanza, XV, 1891, p. 343 (également cit. par A. Rieger, p. 389) : « Alcune miniature abbastanza rozze ornano le canzoni di trovatrici contenute nel codice. », « Quelques miniatures assez grossières ornent les chansons des trobairitz contenues dans le codex. »
41 J. Anglade, « Les miniatures des chansonniers provençaux », Romania, L, 1924, p. 596 : « En somme le manuscrit ne renferme que des représentations de trobairitz (souvent réduites à la tête seulement) et d’une facture très médiocre » (id., p. 389), et D. Rieger, « Die trobairitz in Italien. Zu den altprovenzalischen Dichterinnen », Cultura neolatina, XXXI, 1971, p. 205-223 (id., p. 389).
42 M. Careri, Il canzoniere provenzale H (Vat. Lat. 3207). Struttura, contenuto e fondi, Modène, Mucchi Editore, 1990, p. 5.
43 Voir encore M. Jullian pour la date et le lieu de confection : « seconde moitié du xiiie siècle entre Trévise et Padoue », art. cit., § 7, M. Careri, op. cit., p. 3 : « une zona del Veneto orientale compresa tra Treviso e Padova », ou encore A. Rieger (art. cit., p. 389-392), qui l’étudie longuement.
44 A. Rieger, art. cit., p. 390, note 24.
45 A. Jeanroy, Bibliographie sommaire…, op. cit., p. 7.
46 Idem, p. 390.
47 Voir l’étude très détaillée d’A. Rieger, art. cit., p. 390.
48 Voir, d’après un article d’A. Jeanroy, un autre exemple de vandalisme (ms. Bnf, fr. 856, C) : « Notes sur l’histoire d’un chansonnier provençal », dans Mélanges offerts à E. Picot, Paris, 1913, I, p. 525-533 et notamment la page 525 sur l’acte même commis « à coups de ciseaux ». À la consultation de C on découvre en effet que la plupart des lettres historiées ont été découpées (au fol. 371 notamment).
49 Comme le souligne P. Bec (op. cit.), il se pourrait que ce fragment conservé dans H ne soit pas la première strophe d’une chanson, mais l’ouverture d’un salut d’amour, car il présente des rimes plates, ou bien qu’il s’agisse du début d’une tenso commençant par amics/domna en apostrophe (voir l’ensemble des hypothèses émises par le brillant occitaniste à ce sujet, op. cit., p. 110).
50 Le poème (unicum) Ar em al freg temps vengut, « Maintenant m’est venu le froid de l’hiver », se reconnaît fort bien. Il est par ailleurs copié dans six autres manuscrits, ce qui est considérable. Cf. P. Bec, op. cit. Le poème d’Azalais est en effet présent dans trois mss médiévaux : C 383 (anonyme), D 190, H 46 (anonyme) et H 57 (anonyme, fragment de deux strophes), dans un ms. papier du xvie siècle, d 314 (Modène) et dans le ms. dit « de Béziers » 171.
51 O. Schultz, Die provenzalischen Dichterinnen…, op. cit., 1888, p. 16.
52 Hypothèse émise par M. Jullian, art cit. (consultation en ligne, clio.revues.org/3231, § 13) : « L’état fragmentaire de ce chansonnier pourrait laisser supposer qu’à l’origine elle y figurait en bonne place. »
53 Le ms. R, Paris, Bnf fr. 22543 (anciennement n° 2701 de la Biblio. du Roi) est un chansonnier languedocien écrit sur parchemin, contenant 148 feuillets et daté du xive s. C’est un manuscrit orné de grotesques et de petits portraits de troubadours. Sur les 900 pièces lyriques conservées, 160 sont accompagnées de leurs mélodies. Ce manuscrit a appartenu à Honoré d’Urfé († 1635), puis à ses descendants et au duc de La Vallière après la mort duquel il est entré (1783) à la Bibliothèque du Roi (voir F.-J.-M. Raynouard, Choix des poésies originales, op. cit., p. clv et A. Jeanroy, Bibliographie sommaire…, op. cit., p. 13).
54 Le ms. français de la Bnf (côte 844 W) est un parchemin contenant 217 feuillets, daté de la fin du xiiie s.
55 Notons au passage que les deux corpus d’oïl et d’oc, « ont des liens entre eux », rappelle G. Le Vot, « répertoires contigus et quasi contemporains » (G. Le Vot, « Troubadours et trouvères », in M.-C. Beltrando-Patier, Histoire de la musique. La musique occidentale du Moyen Âge à nos jours, Paris, Bordas, 1995, 1er éd. 1982, 2e 1988, 3e 1993, p. 48).
56 A. Jeanroy, Bibliographie sommaire…, op. cit., p. 17.
57 Une transcription en a été donnée par G. Le Vot dans l’ouvrage de P. Bec, Anthologie des troubadours, avec la collaboration de l’occitaniste G. Gonfroy, éd. bilingue, Paris, coll. « 10/18 », Série « Bibliothèque médiévale », 1979, p. 388.
58 L. Gauchat, « Les poésies provençales conservées par des chansonniers français », Romania, 1888, Paris, F. Vieweg, Libraire-éditeur, XVII, p. 380.
59 Une même syllabe est chargée par plusieurs notes.
Auteur
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