Les praticiens du droit au service de la ville de Douai (1384-1531)
p. 109-121
Texte intégral
1En 1527, Marguerite, archiduchesse d’Autriche, régente des Pays-Bas en l’absence de Charles Quint, portait de lourdes accusations concernant les gestionnaires de la ville de Douai. Cette dernière était, selon elle, dirigée par « trop de gens marchans et aultres mécanicques de petit estat et condition, non experimentez, ne soy cognoissans en faict de justice »1. Elle était également scandalisée car les électeurs chargés de la désignation des échevins, se trouvaient être « pour la pluspart, frèrs, beau-frèrs, parens, coussins et aultres alliez et favorables aux deux greffiers et procureurs de la ville2 », Jean Dablaing et Rolland de Vendeville, au préjudice du Bien Public3. Dans ce présent article sur les praticiens du droit, la période d’étude débutera avec l’avènement du premier duc de Bourgogne, Philippe le Hardi, qui devint comte de Flandre, et se poursuivra jusqu’en 1531, date à laquelle l’échevinage de Douai demanda à Charles Quint de l’autoriser à fonder une université en ses murs.
2La ville était à cette époque une ville secondaire. Elle subissait, aux xive et xve siècles, le déclin de la draperie, qui avait fait sa richesse auparavant. Elle s’était alors reconvertie dans le commerce des grains, grâce à son privilège d’étape. Alors que Lille devenait ville curiale, hébergeant la Chambre des Comptes et proposant un palais digne de ce nom à son Prince, qu’Arras, déjà siège de l’évêché, se voyait dotée de la Cour d’Artois en 1530, Douai demeurait exclue de la politique d’aménagement du territoire initiée par les ducs de Bourgogne et poursuivie par leurs descendants. La nécessité était devenue impérieuse de s’intégrer au réseau urbain. L’implantation de facultés dynamiserait sans doute les flux démographiques et économiques. Après avoir présenté les juristes et universitaires apparaissant dans la société douaisienne, nous nous interrogerons sur les ambitions et stratégies employées par les pensionnaires urbains, ainsi que par les officiers princiers. Nous tenterons d’appréhender leur influence sur l’histoire de la Bonne Ville de Douai ; la constitution d’un fichier prosopographique apparaissant de fait indispensable.
Premiers apports prosopographiques des sources
3Dans ce fichier, fut intégré tout individu signalé par un grade universitaire ou un emploi auprès d’une cour de justice. La collecte des données s’axa surtout sur l’origine géographique, le milieu social, l’éducation, la carrière professionnelle et politique ainsi que les étapes de la vie et les liens familiaux. Les fiches d’identification devaient fournir une biographie de chacun, ainsi que des monographies familiales. Il paraît indispensable de signaler que malheureusement, l’historien se trouve très démuni face aux données concernant les études, les grades universitaires n’étant que rarement précisés. Au total, ce fichier regroupe environ deux cent cinquante individus. Pour une première approche, il convient de les présenter en examinant les sources.
Les nouveaux bourgeois
4Pour la période considérée, le « registre aux bourgeois » a été conservé. Il mentionne les nouveaux arrivants en ville ayant prêté serment de solidarité envers les autres membres de la communauté et accédant à un statut juridique privilégié. Ce registre ne renseigne que sur une représentation restreinte de la population : 3703 individus entre 1399 et 1532. N’y figurent pas : les bourgeois, fils de bourgeois, douaisiens de souche et résidents permanents de la ville, ni les résidents récents ou provisoires de la ville4. Vingt-cinq praticiens du droit sont entrés en bourgeoisie au cours de la période, dont cinq (un maître et quatre procureurs) dans la première moitié du xve siècle. Dans la seconde moitié, ce nombre triple et les trente premières années du siècle suivant voient cinq juristes prêter serment. Le premier maître licencié ès lois n’apparaît dans les sources qu’en 1462. Au total, nous trouvons huit maîtres licenciés ès lois et un licencié ès lois et décret, dont quatre prêtent serment en tant que conseillers pensionnaires de la ville. Nous comptons d’autre part, trois pratiquants en cour spirituelle, huit pratiquants en cour laïque, un procureur et homme de pratique. Pour ces derniers, aucun grade universitaire n’est précisé.
5Ces hommes provenaient tous des pays bourguignons : natifs des agglomérations proches Lille, Valenciennes, Tournai... Seule exception notable, celle de Gilles de Neuville, né à Bapaume, et vivant à Arras : l’administration urbaine l’avait elle-même recherché et recruté en tant que procureur et conseiller5. Le principal atout de ces hommes résidait dans leur mobilité. Afin de les « atraire », la ville attribuait à ces juristes un logement de fonction, réglait leurs frais de déménagement6 et le transport de leurs livres7. Elle leur offrait aussi la bourgeoisie ainsi que tous ses privilèges (exemptions fiscales, accès aux bonnes maisons charitables). Il faut signaler que la ville agissait de la même manière lors du recrutement des médecins, eux aussi des universitaires recherchés8. Ces nouveaux bourgeois, ressemblaient-ils aux Tolvin de Gand ou aux Jossard de Lyon ?
6Pour certains, en effet, la bourgeoisie ne constituait qu’une étape « accessoire » et utile dans une carrière9. Ils prêtaient serment uniquement afin de bénéficier des avantages que conférait le statut bourgeois, et notamment le privilège de non confiscation permettant en cas de crime, d’endettement, ou même de trahison, de sauvegarder le patrimoine familial. Il protégeait de fait les officiers de l’État, responsables sur leurs biens, de toute saisie10. Suite à la mort de Charles le Témé raire, maître Jean de la Vacquerie préférant « trahir » Marie de Bourgogne, et se lier à Louis XI, exploita ce privilège : il put revendre ses biens dans le douaisis, récupérer son argent, avant de passer de l’autre côté de la frontière11.
Les universitaires
7Dans le fichier prosopographique, apparaissent ensuite les universitaires. D’une part, les douaisiens avaient saisi la nécessité de maîtriser la législation, que ce soit à titre personnel ou professionnel12. D’autre part, un diplôme universitaire apportait au clan familial une source complémentaire d’estime sociale non négligeable : beaucoup de fils issus des élites firent des études à Paris ou à Louvain, afin de travailler auprès des cours laïques ou ecclésiastiques, ou d’entrer au service de Dieu13. Douai entretenait des liens historiques avec l’université de la Sorbonne, dont un des fondateurs, Robert de Douai, natif de la ville, lui avait légué à sa mort 1 500 1ivres parisis et l’ensemble de ses livres de théologie14. Une confrérie des Clercs Parisiens à but charitable (envers les étudiants) existait en l’église Notre-Dame depuis environ 1 33015. Pour le xve siècle, elle resta discrète, conséquence certaine des rapports conflictuels entre la France et les ducs de Bourgogne. Elle transparaît dans les sources comme propriétaire de terrains16. Elle devint bientôt une société littéraire dont les membres se réunissaient afin de lire de la poésie et organisaient un concours de rhétorique. En 1538, cette confrérie regroupait parmi ses 153 adhérents, une majorité d’échevins et anciens échevins, des juristes, des religieux issus de toutes les paroisses de la ville et du plat pays, devenant un groupe de pression important à qui pourrait facilement être attribuée l’initiative de la demande d’une université17. Parmi ces confrères, combien avaient suivi des études universitaires en France ? Les recherches se poursuivent. Mais l’attachement douaisien à l’Université parisienne est indéniable.
8D’autre part, le dépouillement des matricules de l’Université de Louvain confirme un réel investissement des élites dans les études universitaires. Le nombre d’inscrits natifs de cette Bonne Ville ne cessa de s’accentuer. Les premiers repérages fournissent une liste d’une dizaine d’individus pour la période 1453-1485 et de plus de soixante-dix de 1485 à 1527, avec une nette augmentation après 1521, date de reprise des combats contre la France18. L’initiative de la demande douaisienne d’une université pourrait tout aussi bien être imputée à l’un d’eux. Le texte présente de nombreuses similitudes avec celui présenté par Louvain et Jean IV, duc de Brabant, en 1425 pour l’obtention d’un Studium Generale. C’est peut-être d’ailleurs pour cette raison que l’université de Louvain réagit si âprement face aux arguments douaisiens de 153119.
Les pensionnaires urbains
9Plusieurs types de sources, ensuite, fournissent des informations sur les pensionnaires urbains. Les comptabilités, par leurs chapitres des pensions, des frais de procès et d’ambassade renseignent sur leurs effectifs, leurs travaux ainsi que sur leurs rémunérations. Le registre aux consaux relatant les réunions et les décisions du conseil municipal expose les conditions d’embauche et de recrutement de ces employés. Enfin, des layettes de chirographes20 donnent des précisions relatives à la généalogie, aux carrières, ou à la constitution des patrimoines...
10Pendant le premier tiers du xve siècle, la ville salariait un procureur conseiller pour 100 livres par an, un clerc appelé aussi greffier, et des clercs pour la rédaction des actes. En 1428, s’est adjoint un nouvel office, celui de conseiller principal. Le premier titulaire, Jean Dauby, maître, licencié en lois, reçut 400 livres de pension, (pension presque quatre fois supérieure à celle proposée à Lille sur un poste équivalent). En une cinquantaine d’années de service, il conquit le respect de tous, et créa un précédent : cet employé obtint au mérite le droit de s’asseoir « au dessus » et entre les deux premiers échevins. Il est à noter qu’à Douai, n’existait pas encore de maire et que son travail, non son titre universitaire, justifiait ce positionnement. Selon l’étymologie du mot, Jean Dauby était devenu le major de la ville, le plus haut, par son expérience, et sa place assise. Ce poste fut l’objet de toutes les convoitises.
11De plus, la ville employait des avocats et des procureurs résidants dans les villes curiales et auprès des administrations afin de la représenter et de défendre les privilèges urbains. Il s’agissait de simples consultants occasionnels ou de juristes groupés en cabinet21, sous contrat avec la ville. Certains d’entre eux travaillaient d’ailleurs pour plusieurs cités. Ils se spécialisaient selon l’administration à proximité. La ville les recrutait stratégiquement. Elle disposait à chaque moment de l’annuaire des juristes exerçant dans chaque cité, à contacter en cas de besoin22. La répartition spatiale de ces ambassadeurs reflète le déclin progressif de l’influence royale, et le déplacement des centres de gravité politiques, administratifs et décisionnels vers le Nord-Est23. Qui étaient ces juristes ? Les registres ne mentionnent que leurs noms et leurs emplois. Les relations urbaines avec ces hommes ne semblent n’être jamais sorties du cadre professionnel. Ne désirant pas s’intégrer à la communauté, n’entretenant aucun lien avec la société douaisienne, ils ne se sont jamais investis personnellement dans la gestion urbaine proprement dite.
12Douai ne fut jamais une ville curiale et aucune administration étatique n’y fut installée. Elle ne présentait que peu d’attraits pour des diplômés universitaires rêvant de carrière et de prestige. Le fichier prosopographique nous le confirme en ne laissant apparaître que très peu de juristes résidants en ville, parmi lesquels, figuraient les employés municipaux.
La réussite sociale des pensionnaires urbains
La reconnaissance professionnelle
13Les pensionnaires urbains résidant à Douai se voyaient nommés à vie et prêtaient serment lors de leur entrée en fonction. Ils étaient dévoués, au moins au début de la période... Lors des recrutements, la ville recherchait un « homme de bon eaige et bien clercq24 », « habille, ydoine et souffissant25 ». Les échevins recrutaient des hommes compétents, et expérimentés. La maîtrise parfaite du droit et du latin était indispensable26. Les « gens mécaniques » eux, comprenaient à ce niveau leurs limites et avouaient leur incompétence « en fait de judicature, fachon de lettres et es formes de pratique, ils se sentaient très simple[s] et ignorant[s] »27.
14Les pensionnaires quittaient parfois leurs fonctions, quand « debilitacion et anchienneté » les rendaient inutiles28. Chacun d’entre eux s’investissait largement dans la vie de la cité et créait des liens indélébiles avec la communauté. Leur attachement transparaissait par exemple dans leur testament : le greffier Michel du Forest fonda une messe en la chapelle de la halle29. La communauté reconnaissait leur dévouement, les récompensait et pour certains, leur réservait une place au Conseil de la ville, comme ce fut le cas pour le greffier Noël Pollet et le conseiller principal Jean Dauby30. Parfaitement enracinés, ils épousaient des filles issues des élites urbaines, achetaient des propriétés en ville, des rentes et des fiefs dans l’arrière pays31.
15Au cours de la période, les conseillers et procureurs, qui devaient aux élus le consilium, l’auxilium et le patrocinium32, s’étaient rendus indispensables. Ils remplaçaient les élus dans de nombreux domaines. L’exemple de la diplomatie illustre parfaitement leurs rôles. Pour le mandat de 1398 à 1399, les échevins se chargeaient de 68.54 % des missions d’ambassade. Une vingtaine d’années plus tard, les élus n’effectuaient plus que 36 % des délégations, les conseillers, eux, 24.6 %. Douai préférait dorénavant laisser les affaires importantes entre les mains des juristes, seuls capables de se repérer dans le dédale des textes législatifs, et de défendre efficacement le Bien commun. Les élus, confiants, leur remirent même une procuration générale sur toutes les affaires33. En 1530-31, les voies à cheval n’étaient plus effectuées que par le conseiller principal, le procureur, le greffier et le receveur : ils cumulaient plus de 85 % des rémunérations.
16La création de dynasties sur certaines fonctions illustre la confiance et la reconnaissance qu’ils se voyaient accorder. Ainsi se justifie l’emploi d’André et Rolland de Vendeville comme procureur ou de Jean et Josse de la Vaquerie comme greffier. Dans ce dernier cas, le texte de la résignation du père, très méritant, en faveur de son fils a été conservé dans les archives. Selon lui, Josse « ayant hault le greffe », maîtrisant le latin, était âgé de 22 à 23 ans. Il travaillait jusque là au greffe d’Amiens « pour sa plus grand[e] instruction »34. Les arguments se révélèrent les bons. La ville accepta la succession.
Une réussite exemplaire : la famille des De Haucourt
17La lignée des De Haucourt, dans ce même cadre, s’est avérée grande tacticienne. Elle créa des liens indissociables entre vie privée et vie publique, service urbain et carrière ducale. Jean de Haucourt, conseiller en cour laïque, juriste de formation, né à Lécluse près de Douai, époux de Marie Le Maire, avait cinq enfants lors de son entrée en bourgeoisie à Douai le 11 décembre 145035. Après avoir été lieutenant du bailli en 1448, il avait opté pour une carrière urbaine, en tant que premier greffier de la ville, ce qui lui permit d’acquérir respectabilité et terres fieffées à Dury. En 1480, dans son testament, il se présente comme greffier de l’échevinage et conseiller du duc d’Autriche36. A l’instar de Germain Picavet à Lille, Jean de Haucourt ne fut jamais élu37. Mais il offrit à ses descendants un titre de noblesse, sa voix d’électeur, ainsi que l’estime sociale qui favorisa des alliances matrimoniales avec les familles les plus puissantes de la ville. Ses deux fils Antoine et Gilles alternèrent pendant vingt-cinq ans au pouvoir. Gilles épousant en 1465 Catherine de La Vacquerie s’allia ainsi au frère de celle-ci, Jean, maître licencié en lois, futur greffier de la ville. Sa fille Marguerite épousa Gérard Du Hem, clerc de l’échevinage. Ses petites-filles Marguerite et Colle poursuivirent la stratégie familiale en s’unissant à la noblesse pour la première avec Vaast de la Rachie, maître licencié en lois et pour la seconde au chevalier Porrus de Manchicourt, qui en contrepartie fut reçu en bourgeoisie à Douai38.
18En 1484, au point de vue professionnel, Jean de Haucourt adressait une lettre au conseil municipal, mettant en avant ses trente-six années de bons et loyaux services, durant lesquelles il sacrifia sa jeunesse et délaissa une clientèle, source d’un possible enrichissement. Il réclamait la nomination de son fils comme son remplaçant au poste de premier clerc, la montée en grade de son gendre comme second clerc et surtout il annonçait que ses deux protégés tiendraient dorénavant une échoppe, bien « munies de clercs », et se partageraient à égale portion les rémunérations des deux offices municipaux. En fait, il installait au cœur de la ville, un office clérical, et au sein du personnel urbain, un monopole familial sur les fonctions de greffier39. Le prestige de Jean de Haucourt reposait sur la reconnaissance professionnelle, la création de larges réseaux familiaux et clientélistes, le placement de ses héritiers au sein de l’administration mais aussi le service princier40. Ce dernier permettait en effet d’améliorer statut et prestige social41.
Le service princier
19Plusieurs conseillers étaient issus du service princier comme Pierre de Haulte ville, ancien conseiller et avocat ordinaire du duc Charles en la gouvernance de Lille42. Certains même travaillaient à la fois pour la ville et pour les ducs de Bourgogne. Thierry le Roy, pensionnaire de Lille puis de Douai comptait parmi ses employeurs Robert de Bar, seigneur de Cassel, ainsi que le duc Jean Sans Peur43. Thomas de la Pappoire, conseiller principal urbain, fut député en Angleterre en 1498 par l’Archiduc Philippe44. Les conditions de recrutement avaient évolué. En 1513, trois prétendants postulèrent au poste vacant de conseiller. Chacun des trois produisit des lettres de recommandation vantant leurs compétences, venant du chancelier de Brabant, d’un maître des requêtes de la Chambre des comptes, d’un procureur d’Amiens. Dans ce cas, le recrutement ne se décida pas à partir des compétences de chacun, sans doute équivalentes, mais selon les réseaux de connaissances dont ils disposaient au cœur de l’administration et de la Cour.
20Jean Dablaing, âgé de 34-36 ans, ancien avocat au siège de la gouvernance à Lille et avocat impérial fut embauché pour son réseau de relations. « Il auroit toutte adresse pour la ville vers l’empereur [...] quant besoing seroit45 ». La ville pensait utiliser ses relations à son profit. Mais elle s’aperçut très vite des inconvénients de telles embauches : elle reçut une lettre du chancelier, son protecteur, réclamant un logement pour le conseiller46. Les réseaux ne fonctionnaient pas à sens unique. La ville céda : cela est très révélateur du rôle nouveau joué par les juristes et prouve leur place d’intermédiaire et leur influence. Jean Dauby lui-même, insatisfait de sa pension de retraite de 120 livres, exerça du chantage sur l’administration municipale : « estoit peu et sen plaindoit disant quil sen yroit plaindre » devant le duc et son Conseil47. Les princes placés en position d’arbitre dans de tels cas, étaient les grands vainqueurs, d’autant plus qu’ils pouvaient eux-mêmes proposer des opportunités de carrière. Mais ce service du Prince était-il compatible avec les serments d’entrée en fonction et en bourgeoisie prêtés par ces fonctionnaires urbains ?
La protection du Bien Commun
Des officiers ducaux à la tête de la ville
21Le fichier fournit effectivement les noms de quelques individus arrivistes ayant utilisé la ville comme tremplin pour leur cursus honorum vers l’État bourguignon, présentant tant d’opportunités de carrière et d’enrichissement. Thierry le Roy en 1422 devint bailli de Douai. Dans cette fonction, il multiplia les atteintes aux privilèges urbains, ce qui lui valut un procès de la part de ses anciens employeurs. En 1505, Thomas de la Pappoire fut appelé au Grand Conseil de Malines48. La ville tentait de fidéliser ses gens. Elle versait des courtoisies au procureur Guillaume Denis ayant défendu pendant deux ans « les drois francises libertez et privileges de ladite ville [...] soubz esperance que encore fera49 ». En 1532, la ville un peu désabusée émettait une clause lors du recrutement du nouveau conseiller. Il pourrait postuler « au siège de l’eschevinage, de la gouvernance et ailleurs, pourveu que ce ne soit contre la ville50 ». Le danger provenait bien entendu non uniquement de leur départ mais bien des moyens utilisés pour y parvenir.
L’oubli du Bien Public
22Preuve en est le procès qui éclata en 1479 : il opposait Pierre de Haulteville conseiller principal à Simon de Férin, premier échevin. Pierre de Haulteville à 60 ans, ancien et gradué, se vantait d’une très belle carrière, loyal et honnête au service du duc en tant que conseiller et maître général des monnaies... Il n’était passé au service de la ville qu’avec l’accord de son employeur, « du consentement expres de mondit seigneur le duc Charles ». Il faut savoir qu’au début, il avait refusé cet emploi. Une intervention ducale, et le 11 août 1469, le conseiller se trouvait en halle à prêter serment devant les échevins et le peuple51. La vérité : il avait été parachuté à ce poste, alors que le duc voulait s’assurer du soutien de sa Bonne ville dans un probable conflit contre Louis XI52. Lors de son arrivée en ville, il avait récupéré le poste de Jean Dauby, « au dessus » des échevins. Lors de la première entrée de Charles le Téméraire à Douai en 1472, c’était bien, chose inhabituelle, le conseiller qui l’avait accueilli au pied de la forteresse, suivi par les échevins53.
23L’affaire débuta au cours d’une réunion du conseil municipal. Le juriste énervé parce que son avis n’était pas suivi, affirma que l’élu était plus préoccupé par le cul d’une prostituée que par la justice. Simon de Férin ne put supporter cet affront public, réclama une amende honorable et la destitution de ce serf, de ce valet qui devait « obeyr »54. Il entama une guerre froide, visant à remettre à sa place cet employé. Ce fut une querelle de préséance pour le droit à la parole, la place assise, la position dans la procession55. Ces deux bourgeois se livraient une véritable guerre d’influence pour carrière, honorabilité et pouvoir, au dépend de la ville. Les arguments du conseiller tentaient de justifier une hiérarchie entre eux deux, basée sur leur honorabilité respective, le lignage, l’expérience et la carrière. « Le filz naturel ou illégitime d’un noble homme de quatre costez yssu de plusieurs bannières est bien et aussy grande estimation que le second fils et légitime d’un bourgeois de Douai ». L’élu était jeune et inexpérimenté et n’avait pour argument que sa fidélité à la communauté bourgeoise56. Les deux hommes s’affrontaient par ailleurs pour une carrière ducale57. En 1482, la seule remarque inscrite au registre lors du départ du conseiller : « Bien s’en parte »58 ! Suite à cette affaire, il fut mis en place un serment pour tout nouveau juriste qui s’engagerait dorénavant à servir la ville sous péril de damnation de son âme59. Alors, peut-on en conclure que l’action de ces juristes a été néfaste pour la ville ? Parmi les successeurs de Pierre de Haulteville, fut nommé en 1513, Jean Dablaing, dont une étude pourrait amener quelques réponses.
Les Dablaing... mal s’en partent !
24La situation de la famille Dablaing et de ses alliés, critiquée par l’archiduchesse, résultait de plus de soixante-dix années de stratégie familiale. Jean Dablaing, un mercier, fut le premier de la dynastie à être élu et ce, pendant plus de trente ans. Trois de ses fils menèrent une carrière politique, en alternant au pouvoir. Thomas entrait au service de la ville comme greffier puis laissait sa place à son fils Judes. Son cousin Antoine au départ simple clerc, devint receveur. Les alliances matrimoniales renforcèrent leur position. Gilles et Robert épousèrent des filles du greffier de la ville Noël Pollet et Anthonie, fille de Gilles, épousait Rolland de Vendeville procureur général et conseiller urbain. Quatre des petites filles de Jean concrétisaient des alliances avec le monde des marchands60. Jean Dablaing, le conseiller, ancien étudiant de l’Université de Louvain était lui, issu d’une branche lilloise, mais il s’investit pleinement pour la ville. En 1531, il pouvait se vanter de dix-sept années de bons et loyaux services. Embauché en avril 1513, il entrait en bourgeoisie en juillet de la même année. Sa position lui permit parfois de faire main basse sur des biens ; la ville pour le remercier, le dispensait de certains paiements61. Il sacrifia neuf mois de sa vie en demeurant à la Cour afin de défendre les arguments de la ville pour l’obtention de facultés. La famille possédait de nombreux biens et figurait par leurs achats de rentes parmi les « actionnaires de l’État »62. Jean Dablaing se vit proposer en 1530 un poste au Conseil d’Artois, nouvellement créé63. Était-ce une faveur accordée par l’archi duchesse à un conseiller particulièrement performant, ou un moyen de se débarrasser ou encore d’assujettir un juriste trop efficace et trop dévoué à la défense de la Bonne Ville de Douai ? Les élus s’affichant comme totalement dépendants de lui, réclamèrent l’abandon de sa mutation, qui d’ailleurs n’était aucunement désirée. Deux membres du Conseil ainsi que Rolland de Vendeville, son « complice », furent délégués pour sa défense.
25À la fin du Moyen-Âge, Douai avait vu se succéder un grand nombre de juristes aux profils différents. Elle ne réussit pas pour autant à les retenir et beaucoup utilisèrent la ville par intérêt personnel. Elle réussit néanmoins à se défendre, quitte à les affronter sur leurs propres terrains, les attaquant en procès. Seuls les plus dévoués, les mieux enracinés jouèrent un rôle politique conséquent aboutissant à de véritables dynasties. Pierre de Haulteville n’avait commis qu’une petite erreur contrariant ses ambitions. En exigeant comme un dû, dès son arrivée en ville, le poste de major, il avait heurté l’oligarchie douaisienne en place. Hautain, il fut perçu comme un intrus, et ses desseins de suite devinés64. Jean Dablaing quant à lui, délaissant une carrière plus prestigieuse, demeura au service de la ville. Il est fort probable que la demande de création d’une université fut à l’initiative d’anciens étudiants, dont peut-être Jean Dablaing. En tout état de cause, on peut dire que ce fut une chance pour Douai que de voir apparaître dans son histoire des fils douaisiens, diplômés universitaires et des hommes nouveaux, venus d’horizons divers et qui par leurs actions, leurs connaissances, leurs réseaux, leur ambition, ont su redynamisé la ville autour d’un projet porteur. Il est bien évident que certains des fonctionnaires-juristes se révélaient arrivistes et carriéristes. Cela n’a pas empêché in fine que le Bien Public en sorte vainqueur. L’implantation de l’Université à Douai en 1562 en fut le couronnement.
Notes de bas de page
1 Archives générales du Royaume à Bruxelles, Conseil privé espagnol, n° 170 du 1er juillet 1527. Transcrit en annexe dans J.-M. Lienard, Y. Moret, Messieurs » du Magistrat de Douai. Pouvoir et société dans une ville en mutation (de la fin du xvie siècle à la fin du xviie siècle), Mém. Maîtrise, M. A. Lottin dir., Univ. Lille III, 1982, t. 2, p. 257-258. La ville est dirigée par deux collèges, celui des échevins (au nombre de 12), et celui des Six Hommes, spécialisé dans les finances et les travaux publics. Les électeurs sont issus des paroisses de la ville.
2 Sur la montée au pouvoir des conseillers juridiques à la fin du Moyen-Âge, on consultera : R. Fedou, Les hommes de loi lyonnais à la fin du Moyen-Âge. Étude sur les origines de la classe de robe, Lyon, Annales de l’Univ. de Lyon, 1964 ; P. Desportes, « Les gradués d’universités dans la société urbaine de la France du Nord à la fin du Moyen-Âge », in Milieux universitaires et mentalité urbaine au Moyen-Âge, Paris, Presses de l’Univ. Paris-Sorbonne, 1987, p. 49-67 ; H. De Ridder-Symoens, « Milieu social, études universitaires et carrière des conseillers au Conseil de Brabant (1430-1600) », in Liber amicorum Jan Buntix, Studia historica Gandensia, n° 248, 1981, p. 295-296 ; A. Rigaudiere, « L’essor des conseillers juridiques des villes dans la France du bas Moyen-Âge », in A. Rigaudiere, dir., Gouverner la ville au Moyen-Âge, Paris, Anthropos, 1993, p. 215-251 ; J. Verger, « Prosopographie des élites et montés des gradués : l’apport de la documentation universitaire médiévale », in J.-P. Genet, G. Lottes, dir., L’État moderne et les élites. Apports et limites de la méthode prosopographique, Paris, Publications de la Sorbonne, 1996, p. 363-372.
3 A propos des alliances matrimoniales et de la constitution de réseaux existe une riche bibliographie, dont F. Autrand, « Le mariage et ses enjeux dans le milieu de robe parisien (xive-xve siècles), in M. Rouche, J. Heuclin, dir., La femme au Moyen-Âge, Maubeuge, éd. Ville de Maubeuge, 1990, p. 407-430 ; F. Autrand, « “Tous parens, amis et affins” : le groupe familial dans le milieu de robe parisien au xve siècle », in Commerce, finances et sociétés. Mélanges offerts à Henri Dubois, Textes réunis par P. Contamine, T. Dutour, B. Schnerb, Paris, Publications de la Sorbonne, 1993, p. 347-360 ; J. Heers, Le clan familial au Moyen-Âge, Paris, PUF, 1974 ; J. Theurot, « Une élite urbaine au service de Bourgogne. Les hommes de loi à Dôle du xive au début du xvie siècle », in Les juristes dans la ville : urbanisme, société, économie, politique, mentalité, Publications du Centre européen d’Études bourguignonnes (P.C.E.E.B), 40, 2000, p. 9-32.
4 Archives municipales de Douai (AMD). BB84. Registre des entrées en bourgeoisie. Pour une première approche, voir Y. Minet, Les inscriptions du registre aux bourgeois de Douai, Mém. Licence, Université catholique de Louvain, 1973.
5 AMD. CC 208 p. 481.
6 AMD. CC 231 fol. 75 v° -76 et fol. 79. La ville prend en charge le déménagement de maître Pierre de Haulteville, de Lille à Douai, et loue pour lui une maison proche du beffroi.
7 Déménagement de Thomas de la Pappoire en 1486. AMD. BB 1 fol. 71 v°.
8 Pour un exemple, voir AMD. BB 1 fol. 104. Maître André Frétel, docteur en médecine, part s’installer à Arras, son remplaçant prête serment et reçoit une prime d’emménagement.
9 M. Boone, « De la ville à l’État : les Tolvins, clercs de la ville de Gand, serviteurs des ducs de Bourgogne », in W. Blockmans, M. Boone, T. de Hemptinne, eds., Secretum Scriptorum. Liber alumnorum Walter Prévenier, Louvain, 1999, p. 327-350. R. Fedou, « Une famille aux xive et xve siècles : les Jossard de Lyon », Annales E.S.C., vol. 9, n° 4, 1954, p. 461-480.
10 J. Houdoy, Chapitres de l’histoire de Lille. Le livre Roisin, le privilège de non-confiscation, les comptes de la ville. Titres et documents inédits, Lille, impr. Danel, 1872.
11 BB 84 fol. 116 v°. Pierre de la Vacquerie, premier lieutenant de la gouvernance était entré en bourgeoisie le 28 janvier 1478, certainement en réaction aux évènements de l’année 1477. Cf. M. Brassart, « Le lieu de naissance du premier président La Vacquerie et son rôle politique à Arras », Mémoires de la société d’agriculture, sciences et arts (M.S.A.S.A.), 1881-85, troisième série, t. 1, p. 276.
12 En 1469, Pierre Le Cuvelier bourgeois demeurant à Douai fait un don à son fils Jean, licencié en décret, étudiant en l’Université d’Orléans, d’une part pour le remercier des bons et agréables services qu’il lui avait rendu, et d’autre part, afin de couvrir ses dépenses journalières et les achats de livres (FF 405 fol. 1).
13 Un diplôme universitaire permettait d’entrer au service d’une des églises paroissiales de la ville ou d’une des abbayes du plat pays, à l’instar de maître Simon, fils d’un échevin, maître ès art et bachelier en décret, ou de Jacques Muret, maître ès art, devenus chanoines de l’église Saint Pierre.
14 Robert de Duaco fut, entre autre, chanoine de Senlis et médecin de la reine Marguerite de Provence. Le lecteur pourra trouver une biographie détaillée dans E. wickersheimer, Dictionnaire biographique des médecins en France au Moyen-Âge, Paris, 1936, p. 709, M. Mestayer, « Un des pères de la Sorbonne : Robert de Douai », Les Amis de Douai, n° 2, 1958, p. 39-40. Et plus globalement : P. Glorieux, Les origines du Collège de la Sorbonne, Univ. of Notre-Dame, Indiana U.S.A, 1959, p. 5-24, et A. Tuilier, Histoire de l’Université de Paris et de la Sorbonne, 1. Des origines à Richelieu, Paris, Nelle Libr. de France, 1994.
15 G. Espinas, La vie urbaine de Douai au Moyen-Âge, Tome 2, Paris, A. Picard, 1913, p. 589-590.
16 AMD. CC224 fol 81 v°, BB 1 fol. 69.
17 Seule la comptabilité de la confrérie de l’année 1538 a été conservée aux archives municipales sous la côte GG layette 173. Elle fournit des informations sur les finances, les possessions, les réunions et les membres de la confrérie.
18 A. Schilling, Matricule de l’Université de Louvain, t. 2. Introduction, bibliographie, tables, 31 août 1485-31 août 1527 et t. 3. Corrections et tables, 31 août 1453-31 août 1485, Bruxelles, 1954-1962.
19 Elle délégua des représentants à Douai lors de la venue des inspecteurs de l’Empereur, en vue d’anéantir la proposition de sa rivale qui aurait pu lui occasionner tant de préjudices (démographiques et économiques). Il n’est alors pas étonnant qu’elle ait ordonné le 31 mai 1531, la copie complète de toutes ses archives, afin de mettre en avant ses privilèges (H. de Vocht, Inventaire des archives de l’Université de Louvain aux Archives Générales du Royaume à Bruxelles, 1426-1797, Louvain, Uystpruyst, 1927).
20 Les chirographes passés devant les échevins sont l’équivalent des actes notariés du Sud de la France : les séries douaisiennes se répartissent en contrats de mariage, testaments, actes et contrats divers.
21 A Tournai, la ville consultait maître Bertrand de Thourotte licencié in utroque, et payait son salaire et ceux de troix aultrez notables conseillers residens audit lieu. AMD. CC232 fol. 77) A Arras, elle consulte trois conseillers légistes sur des affaires en cours devant l’official... AMD. CC238 fol. 80). Sur les centres de consultation, A. Rigaudiere, « L’essor des conseillers... », op. cit., p. 232 sq.
22 Un de ces annuaires, celui de 1445, a été transcrit dans un registre aux embrièvements passés devant les échevins (AMD. FF 402 fol. 48 v° ) : il contient la liste des maîtres exerçants auprès du Parlement de Paris (45 dont 15 avocats), au Châtelet (13 procureurs), à Amiens (16 procureurs), à Arras (7 maîtres), à Tournai (4 maîtres) et à Lens (liste en partie effacée par une tache d’humidité). Cette étude pourrait être approfondie par l’identification de ces juristes et par la reconstitution de leur clientèle. Par un dépouillement systématique des comptabilités urbaines françaises, il serait possible de savoir combien de clients avaient ces conseillers, leurs salaires. Comment se répartissait-il les affaires, par secteur géographique ? Pour illustrer mon propos, je ne prendrai qu’un exemple parmi d’autres, celui de Jean Luillier. Avocat et conseiller pensionnaire de la ville de Douai au parlement de Paris entre 1428 et 1459. Il est appelé maître, recevant 11 livres 5 sous. Au service de la ville de Saint-Omer, en 1436-1437, au même titre qu’à Douai, il reçoit 10 livres. En 1454-55, à Douai et à Saint-Omer, il travaille avec Eustache Luillier. Il est pensionnaire de la ville de Lille, au moins de 1437 à 1445, au salaire de 23 livres 13 sous. Mais il est aussi pensionnaire d’Amiens (cité dans P. Desportes, « Monnaie et souveraineté. Les monnaies à Amiens durant la période bourguignonne (1435-1475) », Commerce, finances et sociétés, op. cit., 1993, p. 206). De nombreuses informations complémentaires sur la clientèle de ces juristes dans S. Dauchy, Les appels flamands au Parlement de Paris. Regeste des dossiers de procès reconstitués d’après les registres du Parlement et les sources conservées dans les dépôts d’archives de Belgique et du Nord de la France, Bruxelles, Brépols, 1998.
23 S. Blondel, Les champs relationnels de la Bonne ville de Douai (fin xie-début xvie siècles), Mém. DEA, Univ. Artois, 2001, p. 57-60.
24 BB 1 fol. 120. L’âge des personnes au pouvoir, aussi bien des élus que des employés, était une préoccupation importante. En 1506, le bailli ducal signalait au Conseil Privé de l’archiduc Philippe le Beau des abus concernant l’âge des nouveaux électeurs et élus, âgés de 18 à 22 ans. Ils étaient selon lui inexpérimentés et trop influençables par leurs aînés et familiers (AMD. AA 84 fol. 63). Des plaintes semblables se sont élevées à Saint-Omer cf. C. Petillon, « Les élites de Saint-Omer dans la première moitié de xve siècle d’après l’enquête de 1446 », Revue du Nord, t. 81, 1999, p. 89. Plus globalement, voir B. Guenee, « L’âge des personnes authentiques : ceux qui comptent dans la société médiévale sont-ils jeunes ou vieux ? », in F. Autrand, dir., Prosopographie et genèse de l’État moderne, Paris, CNRS-ENSJF, 1986, p. 249-279.
25 AMD. CC 208 p. 321.
26 Maître Gérard de le Croix, procureur du duc, menait en 1455 l’interrogatoire en latin de deux compagnons russes soupçonnés de larcins (AMD. CC 223 fol. 83) A Douai, les habitants avaient recours à des traducteurs, souvent membres du clergé : « A Jehan notaire publique de l’autorité apostolique pour se desserte davoir translate de latin en rommanc une bulle donne de notre Saint Pere le Pappe a nostre tres redoubte seigneur monseigneur de Bourgogne adrechans as evesques de Tournay d’Arras et de Terouwane pour contraindre les gens d’Église a paier l’assise dou vin XL s. ». AMD. CC 202 p 388.
27 Voir le témoignage de Gilles le Maçon (AMD. FF 292, f. 261) dans R. Jacob, Les époux, le seigneur et la cité. Coutume et pratiques matrimoniales des bourgeois et paysans du Nord au Moyen-Âge, Bruxelles, FUSL, 1990, p. 115. Ce manque de connaissance juridique et l’incompétence des « gens mécaniques » ont par ailleurs déjà été signalés : B. Chevalier, « La politique de Louis XI à l’égard des bonnes villes : le cas de Tours », Le Moyen-Âge, t. LXX, 1964, p. 502-503, A. Rigaudiere, « Le contrôle des comptes dans les villes auvergnates et vellaves aux xive et xve siècles », in P. Contamine, O. Mattteoni, dir., La France des principautés : les Chambres des Comptes xive-xve siècles, Paris, Comité pour l’histoire économique et financière de la France, 1996, p. 211.
28 AMD. BB 1 fol. 68.
29 AMD. AA 94 fol. 83-83 v°
30 AMD. BB 1 fol. 13-14 et fol. 48.
31 De manière générale, les juristes investissent de façon assez comparable aux données fournies par A. Rigaudiere, « La fortune des hommes de loi sanflorains d’après le livre d’estimes de 1382 », in A. Rigaudiere, dir., Gouverner la ville au Moyen-Âge, op. cit., p. 275-318.
32 A. Rigaudiere, « L’essor des conseillers... », op. cit., p. 230-231. Une thèse d’histoire du droit est actuellement en préparation à l’Université Lille II sur ces thèmes : F. Zanatta, Conseiller pensionnaire, jus commune et jura proria, dans le Nord de la France, du xive siècle à 1667.
33 Pour des exemples de procurations accordées : AMD. AA90 fol. 100, CC210 p. 203.
34 AMD. BB 1 fol. 121.
35 AMD. BB 84 fol. 85.
36 AMD. FF 882 n° 33799.
37 P. Schandel, « De l’ombre à la lumière. Germain Picavet, bourgeois de Lille, clerc de la gouvernance, scribe occasionnel de Philippe le Bon (1454) », Revue du Nord, t. 80, 1998, p. 84-85.
38 AMD. FF 625 n° 3128, FF 626 n° 3194, BB 84 fol. 126 et fol. 144.
39 AMD. BB 1 fol. 68-68 v°.
40 L’Honneur ne reposait plus seulement sur un titre de noblesse ou sur une carrière politique mais sur le cumul des signes extérieurs de réussite sociale : richesse et patrimoine (maisons, terres, bijoux, numéraire disponible...), mode de vie, alliances familiales et clientèles, carrière politiques, grades universitaires, œuvres artistiques, legs testamentaires, carrière au service ducal... Tous ces critères permettaient aux contemporains de se situer dans la hiérarchie sociale, où seul « honorabilité » et « respectabilité » comptaient. Cf. M. Boone, « De la ville à l’État... », op. cit., p. 349 ; J. Bartier, Légistes et gens de finances au xve siècle. Les conseillers des ducs de Bourgogne Philippe le Bon et Charles le Téméraire, Bruxelles, 1955-1957 ; T. Dutour, Une société de l’honneur. Les notables et leur monde à Dijon à la fin du Moyen-Âge, Paris, H. Champion, 1998.
41 Sur le recrutement des officiers dans les élites urbaines : J. Thibault, « Les hommes de pouvoir à Orléans et le service de l’État (fin xive-début xve siècle) », in Les serviteurs de l’État au Moyen-Âge. Paris, Publications de la Sorbonne, 1999, p. 127 ; O. Matteoni, « L’apport de la prosopograhie à la connaissance des carrières des officiers de la Chambre des Comptes de Moulins (vers 1450-vers 1530) », in J.-P. Genet, G. Lottes, dir., L’État moderne et les élites, op. cit., p. 133 ; G. Castelnuovo, « Physionomie administrative et statut social des officiers savoyards au bas Moyen-Âge : entre le prince, la ville et la seigneurie (xive-xve siècles) », in J.-P. Genet, G. Lottes, dir., Les serviteurs de l’État au Moyen-Âge, op. cit., p. 190 ; J. Theurot, « Une élite... », op. cit., p. 15.
42 F. Brassart, « Une vieille épigraphe lilloise. Renseignements historiques et héraldiques sur Pierre de Haulteville dit Le Prince d’Amour et sur son bâtard Me Pierre de Haulteville conseiller pensionnaire de Douai », Souvenir de la Flandre Wallonne, 2e série, t. 4, 1884, p. 79-105 et J. Dumolyn, Staatsvorming en vorstelijke ambtenaren in het graatschapVlanderen (1419-1477), Anvers, 2003, fiche prosopographique, Pierre de Hauteville.
43 Licencié ès lois, Thierry le Roy habite à Cambrai en 1402. Il est au service de la ville de Lille de 1402 à 1409. Il est avocat et conseiller de la ville de Douai en 1414-1415. Dès 1417, il ne fait plus partie du personnel pensionnaire de la ville. Il est toujours conseiller du duc en 1421, puis en 1422, devient bailli de Douai. Pour une synthèse complète : B. Schnerb, Jean sans Peur : le prince meurtrier, Paris, Payot, 2005 et J.-M. Cauchies, « La carrière exemplaire de Thierry Le Roy, avocat à Lille, puis conseiller en Hainaut dans le premier tiers du xve siècle », Bulletin de la Commission Historique du Nord, communication du 25 octobre 2004, à paraître.
44 AMD. BB 1 fol. 114. En 1476, Thomas de la Pappoire est procureur général du duc au Parlement de Malines. Il est embauché par la ville en 1486. Pour une bibliographie sur ce personnage : W. Paravicini, ed., Invitations au mariage : pratique sociale, abus du pouvoir, intérêt de l’État à la cour des ducs de Bourgogne (1399-1489), Stuttgart, 2001, p. 160.
45 AMD. BB 1 fol. 137 v° 138. Les critères de recrutement sont semblables à ceux des officiers : la compétence juridique, l’expérience professionnelle et les liens de solidarité. Cf. J. Thibault, « Les hommes de pouvoir... », op. cit., p. 117-132. Sur les réseaux et le patronage, J. Dumolyn, « Les réseaux politiques locaux en Flandre sous la domination bourguignonne : les exemples de Gand et de Lille », Revue du Nord, t. 88, 2006, p. 309-329.
46 AMD. BB 1 fol. 140.
47 AMD. BB 1 fol. 21 v°
48 AMD. BB 1 fol. 119.
49 Le procureur reçut six livres. AMD. CC 217 fol. 106-106 v°.
50 Conseil du 28 janvier 1532, BB 1 fol. 206.
51 AMD. BB 1 fol. 27-27 v°.
52 Un autre exemple de parachutage politique : S. Dauchy, « L’affaire Jean Van Der Zijpe (1448) ou les mésaventures gantoises d’un juriste au service du Prince », P.C.E.E.B., 40, 2000, p. 69-78.
53 AMD. BB 1 fol. 110. Pierre de Haulteville parla au nom des bailli, échevins, conseil, corps et communauté de la ville.
54 AMD. BB 68. Tous les plaidoiries, pièces justificatives et témoignages ont été conservés sous cette côte. Pour citer des extraits de la plaidoirie, nous reprendrons la numérotation des articles présente dans la marge gauche. Dans l’article 58, le procureur de Pierre de Haulteville rappelle qu’il n’est employé ni dans la cuisine ni dans l’étable de son ennemi, que son travail n’est pas manuel et que la « servitude est ung estat vilain tout contraire et derroguant notoirement al estat dudit de Haulteville qui est homme de france condition ». L’insulte de « serf » est la pire qui soit, relative à un homme qui ne possède même pas son propre corps. Cf A. Saint-Denis., « La punition des mauvaises paroles aux xiie et xiie siècles », in B. Garnot, dir., La petite délinquance du Moyen-Âge à l’époque contemporaine, Dijon, EUD, 1998, p. 406.
55 Lors de la procession générale, lorsque Haulteville tenta de marcher à ses côtés, Jean de Férin par deux fois stoppa le pas. Le conseiller fut contraint « pour faire cesser ledit esclandre de marchier avant et aller seul empres et derrieres les sergans à verge de ladite ville jusques a ce que Pierre de le Vacquerie, premier lieutenant de la gouvernance, en ceste ville de Douay prinst ledit de Haulteville par le bras et le tint et compaigna au retour d’icelle procession générale ». Sur les « mesquineries » de la préséance, voir M. Jones, « Aristocratie, faction et État dans la Bretagne du xve siècle », L’État et les aristocraties, xiie-xviie siècle, France, Angleterre, Écosse, textes réunis et présentés par P. Contamine, Paris, Presses de l’ENS, 1989, p. 133.
56 Dans sa plaidoirie, le premier échevin réunit des témoignages pour illustrer son service à la communauté bourgeoise, sa participation à la défense de la ville lors de l’attaque des Français et sa faillite financière. Pierre de Haulteville, lui, profita de la situation pour s’enrichir. Obtenant des lettres de madame d’Autriche, il récupéra les biens saisis sur les Français et leurs partisans. AMD. BB 68, Articles 65, 102, 104 et 107.
57 A l’instar de son père, Jean de Férin désirait un poste de lieutenant de la gouvernance et nourrissait de la rancune contre son ennemi qui par deux fois entrava son ascension professionnelle. Pierre de Haulteville confirmait ces accusations mais expliquait qu’après l’avoir recommandé auprès du gouverneur, il avait découvert à quel point Simon de Férin était « hautain tost troublé à petite ou mille occasion » et ingrat. Il lui avait donc retiré sa confiance et son soutien. AMD. BB 68, Articles 72, 124 à 129.
58 Il demanda le 13 février 1482 à être assigné, soit à Malines, soit à Louvain, pour 100 écus, ou pour une récompense équivalente : il est alors âgé de 72 ans ! L’échevinage douaisien refusa : « sil veut partir bien sen parte mais riens ne lui sera donne, assigné ne promis veu lestat de la ville » (AMD. BB1 fol. 56).
59 Conseil du 31 juillet 1486. AMD. BB 1 fol. 71 v°.
60 Parmi les filles de Jean, fils de Jean, Jeanne épousait un brasseur, Marguerite et Marie des tanneurs et Marie l’apothicaire Jean le Soif. Il ne s’agit ici qu’un extrait d’une généalogie beaucoup plus complexe, mais illustrant assez correctement les alliances avec le monde des marchands. N. Coulet, « Les juristes dans les villes de la Provence médiévale », in Les sociétés urbaines en France méridionale et en Péninsule ibérique au Moyen-Âge, Paris, éd. CNRS, 1991, p. 320 sq. ; J. Theurot, « Une élite urbaine... », op. cit., P.C.E.E.B., 40, 2000, p. 15.
61 Jean Dablaing acheta par exemple, lors d’une vente par décret, un terrain, qui auparavant formait le jardin des canonniers de plaisance : la ville le dispensa des douze livres parisis dues, DD 116
62 Parmi les rentiers notables : Jean Dauby, le « premier » conseiller principal de la ville, Gilles, Robert et Thomas Dablaing ou Roland De Vendeville (A.D. du Nord, B 4651 fol. 17, B 4677 fol. 10 v-11, B 5519). Cf. M. Boone, J. Dumolyn, « Les officiers-créditeurs des ducs de Bourgogne dans l’ancien comté de Flandre : aspects financiers, politiques et sociaux », P.C.E.E.B, 39, 1999, p. 225-241 ; P. Cailleux, « Élites urbaines et financement public : les prêts des Rouennais au roi Charles V (1370-1372) », in La ville médiévale en deçà et au-delà de ses murs. Mélanges offerts à Pierre Leguay, Rouen, Presses universitaires de Rouen, 2000, p. 115-138 ; A. Vandenbulke, « Fonction publique et crédit au Prince (première moitié du xvie siècle) », P.C.E.E.B, 39, 1999, p. 261-270.
63 AMD. CC250 fol. 114-114 v°.
64 Nous retrouvons les deux stratégies cités par J. Tricard et les mêmes conclusions. J. Tricard « L’affrontement ou le mariage : stratégies de conquête du pouvoir à Limoges au xve siècle », in Construction, reproductions et représentation des patriciats urbains de l’Antiquité au xxe siècle, textes réunis et présentés par C. Petitfrere, Tours, Presses universitaires François Rabelais, 1999, p. 65-72.
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