Chapitre VIII. Le choix de l’impôt : une solution plus efficace ?
p. 277-307
Texte intégral
1Quelle fut la portée du choix de l’impôt en matière de financement routier ? Elle peut être envisagée non seulement sur le plan fiscal, mais aussi économique (avec l’émergence d’un nouveau secteur d’emploi ou son rapport avec la pénétration de l’économie de marché dans les campagnes), et politique (dans le cadre d’une décentralisation de la gestion des travaux publics déléguée aux intendants puis aux assemblées provinciales, ou à travers la réactivation des oppositions parlementaires). La fiscalisation de la réforme est avant tout à rapporter aux objectifs qui l’ont motivée et qui lui ont été assignés, à savoir une répartition plus équitable de la prise en charge du financement routier et une meilleure allocation des ressources par l’adjudication des tâches exécutées jusqu’alors par corvée. « On doit présumer que les chemins seront mieux entretenus, mieux nivelés, plus régulièrement et plus solidement construits par entreprise que par corvée1 » : c’est ainsi que l’ingénieur des États de Bourgogne, comme nombre d’artisans de la réforme de la corvée avec lui, estimait que le choix de la systématisation du travail salarié, qu’il soit financé sur les fonds de rachat ou sur les recettes de la contribution générale, présente une solution plus efficiente que la corvée en travail pour assurer la prise en charge du réseau routier. Le recours au travail salarié usuellement pratiqué pour les ouvrages d’art (à savoir les chaussées pavées et les ponts) s’est-il effectivement traduit pour le financement des routes par une meilleure allocation des ressources et une maîtrise des dépenses grâce à une diminution des coûts, l’accélération des travaux et une qualité supérieure des ouvrages ?
2Poser la question des effets de la commutation de la corvée, qui introduit une dissociation entre le versement d’un impôt et la réalisation du travail, conduit nécessairement à interroger l’impact qu’elle a pu avoir sur l’économie des chantiers. Cela implique de juger sur pièces la portée d’un choix de financement à partir des archives comptables qui se sont multipliées avec l’extension du rachat après 1776, et des procès-verbaux des bureaux intermédiaires des assemblées provinciales ; il importe en outre se dégager autant que possible des discours justificateurs qui valorisent a priori l’efficience de l’adjudication et soulignent a contrario les défaillances de la corvée en travail. Tenter d’apprécier la portée de la commutation, c’est aussi éclairer a posteriori les logiques et l’efficacité de la corvée en travail. La mise en œuvre de la commutation se heurte-t-elle effectivement aux difficultés que redoutaient par anticipation les partisans de la corvée en travail, et qui avaient justement fait préférer la réquisition à l’impôt au début du siècle ? Le royaume comptait-il suffisamment d’entrepreneurs pour prendre en charge les travaux routiers ? Seraient-ils en mesure de mobiliser la main-d’œuvre nécessaire pour pourvoir aux chantiers ? Quelles garanties adopter pour éviter que les fonds collectés ne soient détournés de leur affectation ? La mise en œuvre de la contribution au cours des trois dernières années de l’Ancien Régime offre malheureusement une faible profondeur chronologique pour mesurer les effets de la fiscalisation, la Révolution française venant brutalement interrompre un processus à peine engagé par les assemblées provinciales. Il semble en effet difficile d’évaluer une réforme sur la base d’un seul exercice un tant soit peu normal, celui de 1788, dans une période de rodage. C’est la raison pour laquelle la systématisation de l’adjudication des travaux routiers financée sur les recettes de la contribution est à resituer plus largement dans la continuité des contrats passés avec des entrepreneurs et gagés sur les fonds du rachat. La comparaison avec les résultats obtenus dans le cadre des deux pays d’états qui conservent la réquisition en travail, jusqu’en 1788 pour la Bourgogne, ou jusqu’à l’extinction de l’Ancien Régime dans le cas de la Bretagne, peut en outre permettre de mesurer les performances relatives de la réquisition et de l’adjudication.
3La commutation de la corvée a induit toute une série de changements, en termes d’organisation du travail, pour brider la dépense grâce à une meilleure allocation des ressources. On verra que les difficultés de la mise en œuvre de la réforme, brutalement interrompue par la Révolution, tiennent surtout au désordre du prélèvement.
Une nouvelle organisation
4Le rachat de la corvée dans plusieurs généralités après 1776, puis la fiscalisation imposée à tous les pays d’élections en 1786, induisent toute une série de changements dans les modalités de mobilisation du travail et la gestion de la main-d’œuvre. Alors que l’entretien des routes devient une catégorie d’intervention avec une organisation spécifique, le perfectionnement dans la programmation des investissements est censé ménager des fonds pour les ouvrages qui restent à construire.
La généralisation de l’entreprise et du travail salarié
5On a vu que la corvée, loin d’être une forme de travail antinomique de l’entreprise, en constitue un dispositif complémentaire, et que la réquisition pouvait se concilier avec des formes de travail salarié. Le rachat puis la fiscalisation de la corvée vont toutefois singulièrement modifier les formes de mobilisation de la main-d’œuvre et les relations de travail. La commutation sanctionne ainsi le passage d’une forme de coordination non marchande, en partie liée à la défaillance du marché, ou du moins à l’absence des conditions permettant à un marché de se mettre spontanément en place pour pourvoir suffisamment les chantiers routiers en main-d’œuvre, à une coordination par les prix. La transition entre l’un et l’autre systèmes se révèle malheureusement difficile à suivre, faute d’archives laissées par les entrepreneurs qui prennent désormais en charge les travaux routiers.
6Le rachat avait laissé perdurer un système mixte qui combinait l’exécution en travail à la charge des communautés qui par délibération refusaient l’abonnement, et l’adjudication (en fait une simple convention de gré à gré le plus souvent) des tâches de celles qui optaient pour la commutation et qui payaient un entrepreneur chargé de réaliser les travaux. C’est la raison pour laquelle les documents administratifs mentionnent à la fois le nombre de forces corvéables (hommes et bêtes) et le montant du rachat. Avec le régime optionnel, les communautés qui choisissaient de s’acquitter de leur tâche en travail, étaient affectées à des ateliers différents de ceux qui étaient dévolus aux entrepreneurs travaillant pour le compte des communautés adjudicataires. La fiscalisation de la corvée décidée en 1786 fit disparaître le régime optionnel que ménageait le système du rachat dans plusieurs généralités. L’entreprise et le travail salarié s’imposaient désormais comme la seule norme d’exécution des travaux routiers. Il n’appartenait plus à l’État de pourvoir à moindre coût en main-d’œuvre les entrepreneurs qui étaient sous contrat dans le cadre de baux d’entretien ou d’adjudications au rabais. Ils devaient désormais réaliser l’ouvrage, en assurant eux-mêmes l’embauche et la surveillance des ouvriers, les salarier et pourvoir par leurs propres moyens au transport des matériaux. Ce changement d’organisation impliqua une révision des contrats des entrepreneurs qui jusqu’alors pouvaient compter sur les ressources de la corvée en travail pour exécuter une partie de leurs obligations. Les assemblées provinciales firent ainsi procéder à la résiliation des contrats en cours2. En 1786 de nouveaux baux d’entretien furent adjugés pour une durée de trois ans, correspondant à la période d’expérimentation de la réforme, allongée de quelques mois pour permettre la réception des travaux.
Une autonomisation du travail d’entretien
7Un des objectifs explicites de la fiscalisation était de substituer à une dilapidation dispendieuse des ressources en travail une meilleure allocation des fonds de façon à assurer l’entretien d’un réseau qui s’était notablement étoffé au cours des décennies écoulées, tout en se donnant les moyens de poursuivre le programme de construction redéfini à l’occasion de l’enquête diligentée par le Contrôle général en 1781. Le bilan routier à l’échelle du royaume à la veille de la fiscalisation généralisée suffit à prouver le rôle actif qu’a eu la corvée en travail. Même si les avis divergent sur l’ampleur des réalisations, la longueur du réseau routier semble se situer dans la décennie 1780 autour de 12 000 lieues (soit 52 800 km)3. Selon Le Scène Desmaisons, « quelqu’injustes qu’ayent été les corvées, elles ont produit au royaume environ 10 000 lieues de routes qui établissent près des deux tiers des communications nécessaires4 ». Les grandes radiales au départ de Paris ont été achevées en priorité, de même que presque toutes les transversales reliant les métropoles provinciales.
8À mesure que le réseau routier s’étendait, l’entretien courant devenait une catégorie d’intervention de plus en plus dispendieuse, qui commandait une organisation spécifique susceptible de réduire les coûts. La discontinuité du travail inscrite dans l’organisation même de la corvée, s’accordait mal aux interventions continuelles que réclame la maintenance des infrastructures routières. Avec l’annualisation de l’entretien se mettent en place de nouvelles formes d’organisation du travail. On a vu que le système des cantonniers, encore appelés pionniers ou stationnaires à l’époque5, est intrinsèquement lié à la fiscalisation de la corvée comme le montre l’exemple de la généralité de Limoges. Trésaguet avait conçu une chaussée plus mince et plus économique à la construction, mais qui requérait un entretien constant et minutieux. Or l’organisation de la corvée en deux saisons de travail se prêtait mal à la maintenance de ces routes plus fragiles. C’est une des raisons qui avait motivé Turgot à commuer la corvée en un impôt général et à employer des cantonniers. Recrutés dans les villages voisins, ils étaient principalement chargés de combler les ornières au fur et à mesure qu’elles se formaient, et de curer les fossés pour l’écoulement des eaux pluviales. Alors qu’il était encore en poste dans la généralité de Montauban, Meulan d’Ablois proposa de généraliser ce système en établissant toutes les 3 000 toises (5,8 km) une guérite assortie d’un petit jardin potager susceptible de loger une famille équipée d’un cheval et d’un tombereau, pour lui permettre de transporter les matériaux. Outre une rétribution annuelle de 500 Lt et la possibilité de tenir un cabaret pour compléter ce revenu, chaque ménage pourrait se voir confier un enfant trouvé destiné à devenir cantonnier6. Les critiques de Perronet eurent raison de ce projet conçu pour s’appliquer à l’échelle du royaume. En fait les cantonniers ne furent établis que dans quelques circonscriptions ou expérimentés sur certains axes. Dans la généralité de Limoges, Meulan d’Ablois perfectionna le système mis en place par Turgot quelques années auparavant : il fit construire des maisons pour les cantonniers, et les affubla d’un bonnet en cuir avec une fleur de lys en cuivre7. Après un premier essai tenté en 1778 sur les routes des États particuliers du Mâconnais et jugé concluant, le dispositif fut institué en 1785 sur les routes de poste de Bourgogne, avant d’être étendu quelques mois plus tard aux Dombes8. Au cours des années 1780 des cantonniers furent également préposés à l’entretien des routes de Touraine9.
9Le système fut généralisé par les assemblées provinciales. Deux modèles s’offraient à elles. En Mâconnais, les cantonniers étaient recrutés et stipendiés par l’administration, tandis que l’approvisionnement en matériaux était adjugé à un entrepreneur qui s’obligeait moyennant un prix convenu à fournir, transporter et mettre en tas à intervalles réguliers une quantité prédéterminée de gravier le long de la route. C’est ce même dispositif que vont également expérimenter à compter de février 1786 les États du Languedoc, qui pourtant n’utilisaient pas la corvée, d’abord dans certains diocèses du Haut-Languedoc (Toulouse, Bas-Montauban et Carcassonne) puis dans la sénéchaussée de Toulouse10. Ce système présentait l’inconvénient d’une double surveillance, celle des stationnaires et celle des entrepreneurs. L’autre modèle s’inspirait de ce qui se pratiquait en Limousin, où les adjudicataires étaient eux-mêmes tenus de salarier des cantonniers. C’est l’option finalement retenue par plusieurs assemblées provinciales (Orléans, Lyon…) en obligeant les entrepreneurs à communiquer les noms et adresses de leurs employés. Aucune compétence particulière n’était requise pour ces agents qui étaient préposés à l’entretien et à la surveillance d’un tronçon routier. Tout au plus était-il exigé parfois qu’ils résident à proximité et qu’ils soient âgés d’une trentaine d’années.
10La commutation sanctionne une évolution amorcée dans le cadre même de la corvée qui est la mise en œuvre de moyens différenciés selon qu’il s’agit d’ouvrages d’entretien et de construction. Elle s’inscrit également dans une programmation et un contrôle des investissements routiers qui mobilise de nouveaux outils administratifs.
La gestion des investissements routiers
11L’administration elle-même a dû se familiariser avec de nouveaux usages. Avec l’extension du rachat au lendemain de la réforme avortée de Turgot, le recours aux outils de gestion gagne de nouvelles généralités pour planifier et contrôler les ouvrages routiers11. Quand en 1786 la monarchie se décide à imposer une contribution générale, cette réforme induit la systématisation de nouveaux instruments administratifs. Chaque année devaient être adressés au Contrôle général les états des contributions de chaque communauté et l’état de programmation des travaux à faire. L’instruction adressée aux intendants pour préciser les conditions d’application de la nouvelle contribution des routes contient ainsi en annexe toute une série d’états modèles auxquels les administrateurs sont priés de se conformer12. Au moment de leur prise de fonction, les assemblées provinciales, firent réaliser par ailleurs un inventaire des infrastructures routières. À la fin de l’année 1786 un état général des routes faites et en état d’entretien parfait, de celles qui sont à réparer, de celles qui ne sont que projetées ou à projeter fut en outre confectionné dans plusieurs généralités13. De semblables inventaires furent réalisés en 1787 pour les généralités de Caen, Limoges, Soissons, la Bresse et Lyon14. Réalisés par l’ingénieur en chef avant d’être visés par l’intendant, ces documents ont vocation à mesurer le degré d’avancement des travaux afin de hiérarchiser les ouvrages selon un ordre de priorité, d’échelonner les opérations en fonction de l’utilité des axes définie par leur classement hiérarchique, et d’envisager un délai raisonnable pour l’achèvement des chantiers. Les différents tronçons de route sont distribués en trois classes présentées par ordre décroissant ; à l’intérieur de chacune de ces catégories, l’ingénieur doit par ailleurs renseigner pour chacune des routes les « motifs de l’utilité ». Parmi les critères retenus pour justifier l’attention à porter aux routes de première classe sont mentionnés le dynamisme commercial, la présence d’une liaison de messagerie ou encore l’importance stratégique en cas de conflit. En principe les fonds de corvée ne pouvaient être employés que pour les routes de première et de deuxième classes15.
12L’affectation des fonds suppose au préalable une évaluation globale du coût des travaux à engager. Ces états sont ainsi organisés en deux rubriques, « l’entretien » et « les parties à faire ou à réparer ». Pour chacun des axes sont indiqués la longueur et le prix de la toise courante de façon à calculer la dépense respective des deux catégories d’intervention. À la fin de l’état, après l’évaluation récapitulative des sommes à programmer pour chacune d’elles, sont calculés « les moyens pour l’exécution ». Le montant de la contribution, évalué au prorata de la recette de la taille, est d’abord affecté aux dépenses d’entretien, le reliquat étant disponible pour les travaux de construction. La priorité est ainsi clairement donnée à l’entretien du réseau. Les arrêts du Conseil qui pour chaque généralité fixent le montant annuel de la contribution, comme les documents comptables, confirment d’ailleurs cette logique d’affectation des fonds. En 1787, les dépenses d’entretien et de réparations grèvent dans la généralité de Riom les deux tiers du montant de la contribution16. L’objectif explicite était donc de miser sur l’entretien régulier des infrastructures routières de façon à diminuer en conséquence les dépenses de réparation, et à pouvoir dégager un fonds substantiel pour la construction de nouvelles liaisons.
13Ce n’est qu’une fois les dépenses d’entretien satisfaites, que les autorités locales sont habilitées à affecter le surplus des fonds à la continuation d’ouvrages et éventuellement à la construction de quelques ouvrages neufs, selon une partition bien définie. Ainsi en 1788 dans la généralité de Lyon, ce sont « 2) les deux cinquièmes du surplus, ledit entretien prélevé, aux réparations urgentes qui pourroient nécessiter des événements imprévus, et à maintenir lesdites routes praticables dans toute leur étendue ; 3) les trois autres cinquièmes en perfection sur lesdites routes, pour en mettre la plus grande étendue possible à l’entretien parfait17 ». Le volume relatif des crédits à affecter respectivement à l’entretien et à l’investissement se trouve ainsi explicité18. L’objectif est aussi de chiffrer, au-delà des besoins croissants en matière d’entretien, le plan d’action pluriannuel des constructions à achever et son échelonnement sur plusieurs exercices. La balance entre le montant des travaux à engager (déduction faite de l’entretien courant) et la recette annuelle de la contribution permet de déterminer l’échéance à laquelle le programme routier pourrait être achevé. Le changement du mode de financement est en effet à envisager à l’aune du vaste parc routier désormais à entretenir, mais aussi au regard du programme de construction qui reste encore à entreprendre, et que certains auteurs estiment à 6 000 lieues19. Comme l’ont montré G. Arbellot et J.-M. Goger, ces investissements vont concerner principalement les routes de deuxième (qui sont quasiment achevées) et troisième classes.
14Si la systématisation des outils administratifs concerne prioritairement les pays d’élections engagés dans la commutation de la corvée, la Bourgogne et la Bretagne, où la réquisition en travail reste en vigueur, connaissent un mouvement semblable de rationalisation instrumentale au cours des dernières années de l’Ancien Régime. Les pays d’états invités par la monarchie à commuer eux aussi la corvée en travail en une contribution en argent, firent procéder de la même façon à un état des lieux de leurs infrastructures routières. Les États établirent ainsi un nouveau bilan des travaux routiers pour les années 1787 et 178820. Il en fut de même quand les États de Bourgogne furent sommés en 1786 par le Contrôle général d’adopter la contribution en remplacement de la corvée en travail21.
15La commutation qui concerne désormais tous les pays d’élections sanctionne donc des changements majeurs pour le financement des routes. L’engagement libre et le travail salarié se substituent à la réquisition. L’entretien des routes assuré par des cantonniers, devient une catégorie d’intervention avec une organisation spécifique. Quant à la gestion des ressources de la contribution, elle engage la systématisation des modes d’écriture administrative et comptable inaugurés dans le cadre des procédures de rachat.
Une diminution des coûts
16La commutation de la corvée en travail est présentée comme un moyen de réaliser les travaux à moins frais. Les Physiocrates avaient parié sur une réduction du coût des ouvrages routiers, grâce à la productivité accrue d’une main-d’œuvre salariée et à l’intérêt des entrepreneurs à respecter les clauses de leur contrat avec économie. Les parlementaires, dans leur réquisitoire contre la fiscalisation de la corvée, tenaient un tout autre discours. La disponibilité de fonds se traduirait selon eux par une propension à dépenser de façon moins maîtrisée22. L’adjudication des travaux routiers, outre qu’elle pouvait être une incitation à la dépense somptuaire, présentait un risque de renchérissement du fait de collusions possibles entre les entrepreneurs. À qui la mise en œuvre de la commutation donne-t-elle finalement raison ? G. Habault affirmait qu’avec la diffusion du rachat impulsée après l’échec de Turgot, il « résulta une économie considérable dans les frais pour la construction et l’entretien des chemins23 ». Un tel argument n’est toutefois recevable qu’à condition d’être corroboré par l’examen des pièces comptables qui sous-tendent la commutation. Le recours à l’entreprise en lieu et place des ouvrages assurés jusque-là par corvée a-t-il permis d’augmenter la productivité du travail et de réduire significativement les coûts unitaires, en dépit de la hausse du prix des matériaux et de la dépense en salaires, comme l’escomptaient les promoteurs de la réforme ? Alors que l’organisation saisonnière de la corvée en travail est dénoncée comme une raison fondamentale de son inefficacité, l’annualisation de l’entretien induit-elle une diminution des coûts dans les généralités qui ont opté pour le rachat après 1776 et dans les pays d’élections après 1786 grâce au travail continu des cantonniers ? L’adjudication qui rendait les entrepreneurs responsables de la solidité des constructions et du suivi de l’entretien devait également œuvrer à une réduction des coûts. Cette efficacité économique prêtée à l’entreprise suppose toutefois que le marché offre des substituts à la réquisition en travail, à savoir des entrepreneurs et de la main-d’œuvre.
La mise en concurrence des adjudicataires
17L’adjudication des travaux réalisés jusqu’alors par corvée présente de fait l’avantage de décharger la monarchie de la dépense des outils, et du coût d’encadrement des chantiers et de la discipline au travail. L’assemblée provinciale d’Orléans supprima ainsi les piqueurs et ne conserva qu’un conducteur pour chacune des douze élections24. Cette économie est d’autant plus importante qu’en vertu de l’arrêt de 1786 les assemblées provinciales géraient désormais les fonds levés en vertu du brevet de taille pour financer, outre les ouvrages d’art, les salaires des personnels des Ponts et Chaussées. Faire supporter désormais aux entrepreneurs le recrutement des manouvres et le transport des matériaux est conçu également comme un moyen de diminuer les coûts de construction et d’entretien des ouvrages routiers. À l’inverse, les partisans de la corvée en travail entrevoyaient dans ce système plusieurs risques de surcoûts. Toute la question est de savoir si l’adjudication des tâches exécutées jusqu’alors par corvée a répondu effectivement aux attentes de la monarchie soucieuse de réduire la dépense des travaux.
18L’adjudication des ouvrages réalisés jusqu’alors par corvée pose le problème du dimensionnement des contrats de façon à réaliser les travaux à l’économie. La question était en effet de déterminer la taille des ateliers et donc du montant des contrats à adjuger. Convenait-il de morceler les adjudications pour aiguillonner la concurrence entre les entrepreneurs ou de grouper les ateliers pour obtenir des rabais conséquents ? Pommereul était d’avis de consentir des baux d’entretien d’une longueur de 3 à 4 lieues (11,6-15,5 km), et de limiter à deux le nombre d’ateliers par entrepreneur de façon à obtenir par le jeu de la concurrence de substantiels rabais25. A contrario l’ingénieur de la province de Bourgogne estimait « qu’il est préférable de faire des grandes adjudications, plutôt que des baux de quelques années par petites parties. En effet, ce qui est le plus important pour la province, c’est d’avoir des entrepreneurs fidèles, solvables et en état de faire les avances nécessaires ; les ouvrages seront mieux faits, les ouvriers payés à jours fixes, et la province auroit des assurances solides26 ».
19La question de la taille adéquate des ateliers à adjuger s’était déjà posée dans le cadre du rachat. Le choix avait été de morceler les adjudications en petits ateliers de façon à les rendre accessibles à de modestes entrepreneurs. Dans la généralité de Châlons, il avait été décidé que les adjudications portent sur une « étendue d’une lieu [e] seulement. Elles seroient plus à portée d’un plus grand nombre d’entrepreneurs, qui la plupart placés sur les lieux, pourroient faire la majeure partie de leurs ouvrages par eux-mêmes, ce qui diminueroit d’autant le prix des adjudications27 ». Dans la généralité de Lyon, on avait préféré au contraire faire délibérer les communautés avant la rédaction des devis, de façon à pouvoir grouper les tâches en une même adjudication : c’était un moyen non seulement d’obtenir des rabais plus considérables, mais aussi de « fixer à cet état des entrepreneurs qui en fassent leur profession, en s’attachant pendant toute la campagne à l’exécution de travaux importans et de longue haleine28 ». De fait, les ateliers adjugés (sans que la nature des ouvrages soit précisée) sur la grande route de Paris à Lyon en 1781-1782 présentaient une longueur moyenne de 12,3 lieues (soit 48,3 km)29. La question de la taille des baux se posa dans les mêmes termes avec la fiscalisation de la corvée en 1786. De manière générale, les assemblées provinciales plaidaient pour un morcellement des adjudications de façon à aiguiser la concurrence et à faire diminuer le prix en permettant aux habitants de participer aux enchères. Et de fait dans la généralité de Lyon par exemple les adjudications passent de 28 en 1787 à 115 en 178830. Outre l’intérêt d’ouvrir les enchères au plus grand nombre de candidats, l’adjudication de sections réduites permet de garantir une meilleure surveillance des travaux. Les assemblées provinciales recommandaient donc de calibrer des contrats sur une longueur de 1 à 3 lieues (3,8-11,6 km)31. C’est le cas dans le département de Roanne (généralité de Lyon), où la longueur des sept ateliers adjugés oscille entre 1 348 et 3 430 toises, pour une moyenne qui se situe à 2 585 toises (4,8km)32. Dans la généralité de Riom en revanche, la longueur de la plupart des ateliers d’entretien outrepasse allégrement ce seuil de 3 000 toises (5,8km).
Tableau 24. – Longueur des ateliers d’entretien adjugés ou à adjuger dans la généralité de Riom en 178733.
Longueur (en toises) | Nombre d’ateliers |
500-3 000 | 2 |
3 000-5 000 | 14 |
5 00-10 000 | 17 |
10 000-15 000 | 5 |
20L’adjudication de vastes sections routières présente l’inconvénient de diminuer le nombre de soumissionnaires potentiels, et contraint la monarchie à traiter avec quelques entrepreneurs en quasi-situation de monopole en raison de l’importance des avances financières à consentir. Si l’on retient non plus le critère de la longueur de route qui est l’objet du contrat, mais son prix, qui intègre un investissement en travail variable selon la largeur de l’infrastructure, le type de revêtement et la fréquentation de l’infrastructure, le montant moyen est hors de portée pour nombre d’enchérisseurs. Dans la généralité de Caen, les adjudications sont ainsi calibrées pour un montant d’environ 15 000 Lt34. Sur les 28 adjudications conclues en 1787 dans la généralité de Lyon, 86 % sont d’un montant supérieur à 1 000 Lt.
Tableau 25. – Montant des adjudications dans la généralité de Lyon (1787)35.
Montant (en Lt) | Nombre d’adjudications |
500-1000 | 4 |
1 000-10 000 | 6 |
10 000-15 000 | 8 |
15 000-20 000 | 6 |
> 20 000 | 4 |
21Peu d’entrepreneurs étaient capables de consentir de telles avances, sauf à s’associer. C’est encore pour ménager une concurrence susceptible de faire baisser le montant des contrats, que l’instruction de novembre 1786, comme les ordonnances de rachat avant elle, n’envisageait qu’à titre exceptionnel la possibilité qu’un même adjudicataire cumulait plusieurs ateliers36. Sur le terrain son application révèle des situations assez contrastées. Dans la généralité de Riom, en 1787, Antoine Desprats (9 ateliers d’entretien) et Jean-Baptiste Lagaume (4) se partageaient les ateliers sur les quatre routes du département d’Aurillac37. Dans la généralité de Lyon en revanche, seuls quatre des 21 adjudicataires réunirent plusieurs contrats en 1787. Parmi eux figurent deux entrepreneurs sous contrat depuis plusieurs années pour des ouvrages à prix d’argent (ponts, escarpements de rocher, entretien de chaussées pavées) : Jean-François Pommet pour trois ateliers à la sortie de Lyon sur la route en direction du Languedoc et François-Joseph Riondel pour deux ateliers sur la route de Bourgogne38. L’interdiction de cumul comme la préférence affichée pour le fractionnement des contrats répond à la volonté politique de stimuler l’émergence d’entreprises de travaux publics.
22De fait, pour trouver des candidats, encore fallait-il que le royaume compte assez d’entrepreneurs susceptibles de prendre en charge les travaux routiers. C’était là d’ailleurs une des craintes exprimées par les tenants de la corvée en travail, et un des arguments avancés pour récuser l’extension de la commutation à la Bretagne39. Pour les baux d’entretien, la commission intermédiaire en Champagne présumait « qu’il se présentera des anciens conducteurs, des maîtres de poste et des arpenteurs ou autres gens de l’art qui établiront une concurrence suffisante à la délivrance de ces adjudications40 ». Si certaines de ces adjudications donnèrent lieu à des enchères publiques, un grand nombre de contrats semblent avoir été négociés de gré à gré, notamment dans le cadre du rachat. Si les adjudications au rabais ont pu attirer plusieurs soumissionnaires, les assemblées provinciales ont été parfois confrontées à des difficultés pour trouver des entrepreneurs. En Berry, au 1er octobre 1783 il restait encore pour 38 172 Lt d’ouvrages à adjuger pour l’exercice de 1781 et 49 455 Lt en 178241. La situation semble similaire en Auvergne où plusieurs ateliers ne trouvèrent pas de preneurs42. Pour l’année 1787, 92 % des ateliers ont fait l’objet d’une adjudication ; deux ateliers d’entretien et six de réparation sont restés en déshérence dans le département de Saint-Flour43. Les obligations faites aux entrepreneurs de fournir un nombre déterminé d’ouvriers pouvait constituer un frein à la mise en adjudication des travaux, même si les pénalités financières appliquées en cas de manquement restent toutefois très rares. Les procédures administratives de l’adjudication expliquent aussi ce déséquilibre entre l’offre de contrats et le nombre de candidats. Alors même que la publicité par voie d’affichage est censée attirer le plus de concurrents possible et permettre à l’administration d’espérer de conséquents rabais, les délais relativement courts pour consulter les pièces techniques (devis et clauses des baux) présentent un effet dissuasif. Les conditions de compétence et de solvabilité mises à l’adjudication contribuent également à limiter le nombre de candidats : « Les entrepreneurs seront invités par l’affiche à se trouver la veille du jour de l’adjudication chez le subdélégué pour faire connoitre par des certificats d’ingénieur et de notables, tant leur capacité que leur solvabilité et celle de leurs cautions44. » Seuls les entrepreneurs présentant ces garanties et reconnus capables et solvables par la commission intermédiaire étaient en général autorisés à concourir aux enchères. De fait, les procès-verbaux d’adjudication précisent, outre le nom et le domicile des entrepreneurs, les coordonnées de leurs cautions. Cette procédure était destinée à sélectionner les prétendants les plus sérieux et à éliminer ceux qui n’auraient pas donné toute satisfaction lors d’un précédent contrat. Si de telles dispositions furent appliquées dans la généralité d’Alençon dans le cadre du rachat, ce ne fut toutefois pas le cas en Lorraine en 1788.
23Le rôle dévolu aux ingénieurs des Ponts et Chaussées pour apprécier la capacité technique et la solvabilité financière des entrepreneurs ne pouvait qu’éveiller des soupçons de collusion et de prévarication. Le parlement de Paris dénonçait ainsi les ententes coupables entre l’administration des Ponts et Chaussées et les candidats potentiels aux adjudications qui excluaient de modestes entrepreneurs. Pour prévenir de telles connivences, il est demandé que
« l’adjudication ne puisse rouler qu’entre des habitants du lieu ou des compagnies d’ouvriers connus sous le nom d’Auvergnats qui travaillent bien, qui forment souvent des bandes, qui reviennent volontiers chaque année dans chaque territoire ; leur concurrence pour les adjudications peut en baisser le prix ; mais on croiroit toutes choses égales la préférence due aux habitans, afin que s’il y a quelques bénéfices, il ne tourne pas au bénéfice d’entrepreneurs étrangers45 ».
24Sans qu’il y ait nécessairement d’ententes coupables avec l’administration, les règles d’accès aux adjudications favorisent de fait les entrepreneurs notoirement reconnus pour leurs compétences professionnelles et leur solidité financière. Ces « arrangements relationnels » éprouvés par le temps au fil de contrats successifs, étaient un moyen pour l’administration des Ponts et Chaussées de s’assurer un travail de qualité, et de pouvoir supporter des retards dans le règlement des travaux. Symétriquement les entrepreneurs étaient d’autant plus dissuadés d’adopter un comportement trop opportuniste à court terme, qu’ils cherchaient à maintenir la relation de confiance en vue de contrats nouveaux ou renouvelés. Dans le Nivernais, un employé des Ponts et Chaussées avait été préféré à un maître de poste qui avait pourtant consenti un rabais plus important ; en fait, Nicolas avait été écarté en raison de la défectuosité des empierrements qu’il avait réalisés et du retard avec lequel il avait honoré son précédent contrat. Rares toutefois sont les communautés qui vont jusqu’à réclamer la cassation de l’adjudication, comme ce fut le cas à Saint-Pierre-le-Moûtier46.
25La mise en concurrence dans le cadre de l’adjudication au rabais avait pour objectif de comprimer la dépense des travaux routiers à la charge des contribuables, tout en assurant aux entrepreneurs un bénéfice de 10 %. Ces rabais, qui étaient d’ailleurs intégrés dans les calculs prévisionnels des ingénieurs des Ponts et Chaussées, pouvaient être tout à fait substantiels. L’exemple de l’adjudication de l’atelier entre Decize et Moulins, disputée par quatre enchérisseurs, révèle l’ampleur du montant des rabais consentis : c’est finalement à une diminution de 17,5 % sur le prix initialement fixé (120 000 Lt) qu’aboutit l’adjudication47. La concurrence, si elle était susceptible de faire obtenir à la monarchie d’importants rabais, présentait aussi le risque que des entrepreneurs consentent à de telles réductions pour emporter le contrat, qu’ils se révèlent finalement incapables d’honorer leurs engagements. C’est le constat que dressait Lefebvre, l’ingénieur en chef de la généralité de Caen en décembre 1787 :
« Pour favoriser la concurrence dans les rabais on a admis aux adjudications des personnes peu fortunées qui n’ont pas été en état de fournir à toutes les avances que le retard qu’ils ont éprouvé dans le payement des premiers à compte les forçait continuellement de faire pour l’avancement de leurs ouvrages48. »
26Les adjudicataires sont fréquemment confrontés à des difficultés qui conduisent à un renchérissement des travaux, d’autant plus que les ingénieurs sont enclins à sous-évaluer les devis dans l’espoir que l’entrepreneur soit économe. En Lorraine, il fallut ainsi accorder un délai supplémentaire au-delà des trois ans prévus par le contrat aux entrepreneurs qui avaient consenti des rabais trop considérables49. Pour prévenir les défaillances, il était recommandé en Nivernais de n’adjuger qu’un rabais d’1/40e sur l’estimation établie par l’ingénieur50.
Le coût du travail
27L’avantage comparatif de l’adjudication peut paraître au premier abord assez paradoxal dans la mesure où le travail exécuté en général gratuitement par les corvéables devient désormais salarié. On a vu que le coût de la main-d’œuvre fait l’objet d’une réflexion nourrie dans le cadre de l’évaluation prévisionnelle de la commutation. Ces simulations reposent sur des salaires de référence dont il est difficile de déterminer dans quelle mesure ils correspondent effectivement aux rémunérations en vigueur sur les marchés locaux du travail. Il semble en tout cas qu’il n’y ait pas eu de volonté de tarifer les salaires, comme dans le cas des ateliers de charité où les travailleurs recevaient une paie inférieure aux salaires courants : les prestations distribuées devaient être moindres que les rémunérations du travail de façon à limiter l’afflux des travailleurs et les inciter à rejoindre le marché du travail.
28Alors que la réquisition en travail assurait un volet pérenne de main-d’œuvre, les entrepreneurs adjudicataires des travaux routiers seraient-ils à même de recruter la main-d’œuvre nécessaire et au meilleur coût ? Les corvéables libérés des contraintes de la réquisition se reporteraient-ils sur les ressources salariées offertes sur les chantiers routiers ? Le risque de pénurie de main-d’œuvre est un argument couramment avancé pour justifier le maintien de la corvée en travail. Plusieurs ingénieurs, à l’instar de François Bertrand, redoutaient qu’avec sa suppression, les entrepreneurs ne trouvent pas de travailleurs en nombre suffisant pour assurer le gros œuvre sur les chantiers routiers : « S’il s’agit d’ouvrages considérables et de les conduire avec célérité, un entrepreneur pourra-t-il rassembler un nombre d’ouvriers assez considérable pour les exécuter51 ? » Pommereul estime à 30 000 le nombre de manœuvres disponibles alors qu’il en faudrait près du double. Pour parer à cette éventualité, d’aucuns vont jusqu’à proposer de construire les routes en hiver à cause de la « facilité que l’on a d’avoir des ouvriers étrangers52 ».
29La pénurie de bras risquait d’exercer une pression sur les salaires et donc de peser sur le coût des chantiers : « Cette concurrence fatale, causée par le besoin absolu d’ouvriers dont la classe seroit trop peu nombreuse en raison du travail, seroit la source de mouvements extraordinaires dans le prix des choses de première nécessité53. » En décidant de rémunérer le travail des corvéables, il fallait donc éviter que cette demande en main-d’œuvre ne concurrence les activités agricoles et n’entraîne une tension sur les salaires :
« Haussez, dira-t-on, le prix de vos journées, et vos ateliers seront bientôt complets ; je veux le croire, mais qu’en résultera-t-il ? L’ouvrage des chemins se fera chèrement, et tout l’ouvrage de main-d’œuvre cessera de se faire. De quelle quantité, d’ailleurs, augmentera-t-on le prix de la journée des travailleurs aux chemins pour completter leurs ateliers ? Sera-ce d’un tiers ? Alors l’espace de chemin qui auroit couté 6 00 000 en coûtera 8, ou si l’on ne peut dépenser par an que ces 6 00 000 de liv. on sera un tiers moins de chemin, et ceux qui auroient dû être achevés dans 40 ans, ne le seront que dans 5354. »
30Les administrateurs se montrent de fait attentifs à la conjoncture des salaires, qu’elle soit liée à la demande pressante de main-d’œuvre ou qu’elle soit imputable à la concurrence que se livrent les entrepreneurs tentés pour certains de débaucher des ouvriers en leur offrant des rémunérations plus intéressantes.
31Ces craintes exprimées quant à l’impact de la généralisation du travail salarié sur les conditions d’emploi, se sont-elles été confirmées avec la commutation de la corvée ? La réponse à cette question croise le débat historiographique sur la « révolution industrieuse » conceptualisée par Jan de Vries il y a une vingtaine d’années et dont les causes ont depuis fait l’objet d’âpres discussions parmi les historiens de l’économie. La faible augmentation des revenus issus de l’agriculture pour une masse croissante de ruraux, conjuguées à la stagnation voire au recul du salaire réel des travailleurs peu qualifiés dans un contexte de croissance démographique, sont en effet des facteurs incitatifs à l’intensification du travail dans les campagnes du XVIIIe siècle. L’offre d’emploi sur les chantiers routiers gagée sur les ressources de la commutation de la corvée aurait-elle été en mesure de participer à la réallocation du temps de travail de certaines catégories paysannes, qu’elle soit motivée par une propension à consommer davantage ou par la nécessité de maintenir leur niveau de vie ? Si la question ne peut être éludée, il apparaît en l’état très difficile d’y répondre. Les archives d’entrepreneurs qui seraient susceptibles de nous renseigner sur le nombre d’ouvriers employés et le montant de leur salaire journalier, font largement défaut. Par ailleurs, les stratégies des paysans sur le marché de l’emploi restent très difficiles à saisir. Dans l’ensemble toutefois, le faible nombre de plaintes de la part des entrepreneurs tendrait à laisser penser qu’ils n’ont pas rencontré de difficultés particulières pour recruter de la main-d’œuvre. Les faits sembleraient donc plutôt donner raison à l’ingénieur Lecreulx qui estimait que le fait de trouver 70 000-75 000 hommes sur une réserve potentielle de main-d’œuvre disponible d’environ trois millions, ne poserait pas de difficultés majeures. Les chantiers routiers restent tout au plus soumis aux fortes variations saisonnières de l’emploi et à la pression des travaux agricoles.
32Le coût du travail se trouve intégré dans le montant de l’adjudication sans qu’il soit possible de l’évaluer précisément. Il est toutefois possible d’avancer une estimation de la masse salariale des cantonniers, en procédant à une extrapolation du calcul proposé par Pommereul, sur la base d’un stationnaire par lieue pour une longueur totale de 4 000 lieues de routes empierrées. Cette dépense est susceptible de varier selon la distribution géographique qui est faite des cantonniers, et donc de la longueur des sections routières dont ils étaient responsables55. La somme de 438 000 Lt à laquelle Pommereul aboutit est toutefois largement sous-estimée par rapport à la dépense vraisemblable pour le travail d’entretien car il se fonde sur un salaire journalier très faible de 6 sols56. Le taux réel de la rémunération des cantonniers rapporté à la journée se révèle bien supérieur au prix de la journée qui a servi de base à Pommereul pour évaluer un équivalent monétaire à la corvée d’entretien57. Dans la généralité d’Alençon, 89 % des cantonniers touchaient 300 Lt par an, les autres étant rémunérés à hauteur de 276 Lt58, soit un salaire journalier moyen de 16 sols. De tels indices de rémunération se confirment dans la généralité de Châlons59. Si l’on reprend sur cette base la méthode de calcul de Pommereul, le coût d’entretien des routes du royaume pourrait se chiffrer à près de 1 168 000 Lt. Rapporté au montant agrégé de la contribution, c’est une dépense d’environ 6 %.
Les progrès des ouvrages routiers
33Le coût du travail salarié a-t-il été compensé par une augmentation de la productivité comme le promettaient les Physiocrates ? Chaumont de la Millière avançait une économie des deux tiers de la dépense60. Les gains d’efficience du travail salarié par rapport au régime à la corvée en nature restent toutefois difficiles à apprécier. Autant qu’on puisse en juger, la substitution de l’entreprise à la réquisition de main-d’œuvre ne s’est pas nécessairement traduite par une accélération significative des travaux routiers et par une amélioration de la qualité des ouvrages.
34Un consensus assez général semble tout au moins s’établir sur les avantages de l’adjudication telle qu’elle se pratique dans les généralités qui ont précocement opté pour le rachat des tâches de corvée. Dans la généralité de Lyon, à partir du moment où Jacques de Flesselles parvint à imposer le rachat, il constata qu’il se faisait « quatre ou cinq fois plus d’ouvrage » que les années précédentes61. A contrario les communautés qui avaient préféré exécuter par elles-mêmes l’ouvrage qui leur était assigné avaient semble-t-il des difficultés à honorer leurs engagements : sur les 138 paroisses qui en 1786 avaient pris le parti de refuser le rachat, 30 seulement avaient achevé leur tâche sans encourir une adjudication forcée62. Il n’en reste pas moins difficile de juger objectivement des performances relatives de la corvée et du travail salarié. Une première voie consiste à utiliser les résultats de l’enquête de Joly de Fleury en août 1781 qui renseigne sur l’état des chemins et le mode d’exécution des travaux63. À la lecture des réponses des intendants, on s’aperçoit que le rachat de corvée n’entraîne pas nécessairement une amélioration des dessertes routières. Soucieux d’évaluer sur le long terme l’impact de la politique de rachat, l’ingénieur en chef Boesnier, en poste dans la généralité d’Alençon, dressa un état comparatif des travaux en 1766, date à laquelle ils étaient encore réalisés par réquisition, et 1784, soit quinze ans après l’introduction du rachat. Malheureusement à cette date les travaux réalisés par les communautés restées attachées à la corvée sont impossibles à distinguer de ceux financés sur les fonds de rachat. Une difficulté supplémentaire pour la compilation des données tient à l’incertitude relative aux formes d’objectivation administrative de l’avancement des travaux.
Tableau 26. – Progression des travaux routiers dans la généralité d’Alençon (1766-1784)64.
Degré d’avancement des travaux réalisés en 1766 par rapport à la longueur totale | Avancement des travaux entre 1766 et 1784 | |
Grande route de Paris à Rennes | à 50 % perfectionné | + 10 % |
Grande route de Paris au Mans | à 71 % fini | + 14,2 % |
Grande route de Paris à Lisieux | à 64 % fini | + 23,5 % |
Grande route de Caen en Touraine | à 65,8 % perfectionné | + 30,5 % |
Grande route de Paris en Basse-Bretagne | à 51,2 % fini | + 41 % |
35Alors que la corvée en travail avait donné des résultats tout à fait honorables jusqu’en 1766, les cinq routes de première classe qui traversaient la généralité sont quasiment achevées en deux décennies de rachat. La généralité de Tours, convertie elle aussi au régime optionnel au lendemain de la réforme de Turgot, se prête également à une évaluation des performances du rachat entre les années 1780 et 1786, même si l’on doit prendre quelques précautions dans le traitement des données chiffrées. Les informations contenues dans ces états de situation intègrent en effet le « pavé » respectivement à la charge du roi et des villes.
Tableau 27. – Avancement des travaux dans la généralité de Tours (1780 et 1786)65.
Routes | Longueur de routes travaillées en 1780 (lieues) | % par rapport aux travaux programmés | Longueur de routes travaillées en 1786 (lieues) | % par rapport aux travaux programmés |
Ouvertes | 473 | 81 % | 599 | 86 % |
Restant à ouvrir | 108 | 19 % | 96 | 14 % |
Routes | % des travaux réalisés en 1780 | % des travaux réalisés en 1786 |
Perfectionnées et données à l’entretien | 21 % | 20 % |
Perfectionnées et non données à l’entretien | 34 % | 48 % |
Ébauchées et à moitié faites | 8 % | 4 % |
En terrain naturel | 37 % | 28 % |
36Alors même que la longueur des routes mises en chantier s’est accrue de 24 % (en comprenant les nouvelles routes du Mans à Orléans, et de Blois à Le Blanc), les fonds de rachat permirent d’entreprendre une masse tout à fait importante de travaux.
37S’il était reproché à la corvée de travail sa lenteur dans la réalisation des ouvrages, le financement par le rachat ou l’impôt se traduit-il par une accélération des travaux ? Les acomptes versés au fur et à mesure de la réalisation des ouvrages au vu d’un certificat délivré par le corps des Ponts et Chaussées, permettent d’apporter quelques éléments de réponse66. Dans la généralité de Lyon les contrats prévoient ainsi à partir de 1786 trois paiements pour les adjudications les plus importantes : deux cinquièmes après l’exécution de la moitié de la tâche, deux autres cinquièmes après l’achèvement des travaux, le dernier cinquième étant versé à la réception des ouvrages. Pour les chantiers plus modestes, sans toutefois qu’il en soit précisé le montant, il était prévu que l’entrepreneur ne serait payé qu’en une fois à l’achèvement des travaux. Les dispositifs de gestion des travaux routiers intègrent cette dimension temporelle introduite par la logique de l’adjudication avec des rubriques telles que « en partie » et « en entier », « au quart fait67 » ou selon des proportions encore plus précises (« deux tiers » et « trois quarts »)68. Il est indéniable qu’avec ce système, les entrepreneurs étaient incités, s’ils voulaient rentrer dans leurs fonds, à respecter les délais de livraison des ouvrages. Les performances relatives du rachat et de la corvée en travail peuvent ainsi être évaluées dans le cas de la généralité voisine de Riom, où la plupart des communautés sont abonnées.
38Au terme de la première saison de corvée ce n’est qu’un peu plus du tiers des ouvrages programmés pour l’année qui sont achevés. Or, sur les 115 communautés qui ne sont pas abonnées, 80 % ont exécuté intégralement leur tâche. Pour les ouvrages adjugés, les entrepreneurs sont loin de donner satisfaction : sur la route de Clermont à Montbrison (ateliers d’Ambert à Saint-Amant et Saint-Dier-[d’Auvergne] à Billom) la plupart n’ont rien fait ou tout au plus un tiers de l’entretien. En 1787, dans la généralité voisine de Lyon, sur les 22 entrepreneurs adjudicataires des ateliers routiers, aucun n’a achevé en fin d’année l’ouvrage qui lui a été adjugé ; 14 ont réalisé la moitié des tranches de travaux.
39À en croire les Physiocrates le travail par entreprise devait garantir une meilleure efficacité assortie d’une qualité supérieure des ouvrages routiers. Du Pont affirmait que les chemins seraient « au moins quadruples en solidité71 ». De même selon Grivel, l’adjudication des travaux routiers permettrait non seulement de les réaliser à moindre coût mais aussi de garantir, grâce aux clauses contractuelles engageant la responsabilité des entrepreneurs, la solidité des constructions et le suivi de l’entretien :
« L’entretien est aussi soigné et aussi peu coûteux que la construction a été superbe et économique. L’entrepreneur est obligé, par son marché, de garnir de petits tas de pierre le bord du chemin ; et, pour 15 sols par jour, un seul homme est chargé de l’entretien d’environ deux lieues. Il se promène chaque jour, d’un bout de sa tâche à l’autre, avec une hotte et une pelle ; s’il voit un commencement d’ornière, il y met une pellée de cailloux qu’il étale avec soin ; l’ornière n’a jamais le temps de se former. Si l’on en trouvoit une, on puniroit la négligence du manœuvre, dont le devoir étoit de la prévenir, par la perte de ses appointemens de deux semaines ; à la seconde fois, on lui retrancheroit la paye d’un mois ; à la troisième il seroit destitué. Jamais on n’a été obligé de prononcer ces peines, et d’un bout de la province à l’autre, les chemins sont aussi beaux que les allées de nos jardins72. »
40Les partisans de la corvée en travail partagent quant à eux une commune défiance à l’égard des entrepreneurs enclins à rogner sur la qualité des matériaux et à ne pas respecter les clauses du devis censées garantir la solidité et la conformité des ouvrages. Il reste toutefois difficile d’apprécier si la qualité des ouvrages réalisés par entreprise par rapport à ceux qui l’étaient par corvée. Les procès-verbaux qui comme le prévoit la procédure devaient être dressés lors de la réception de travaux font défaut dans les archives. Les malfaçons signalées dans la correspondance administrative tendent plutôt à montrer que le recours à l’entreprise n’était pas forcément la garantie d’ouvrages mieux réalisés que ceux qui l’étaient pas corvée73.
41Pour prendre la mesure que l’impact de la commutation de la corvée a pu avoir sur les chantiers routiers, il importe d’évaluer symétriquement l’efficacité relative de la prestation en travail dans les pays d’états où elle continue de s’appliquer. La série quasi complète des états de corvée confectionnés en Bretagne pour les années 1787-1788 (il manque seulement celui du département de Quimper en 1788) permet de mesurer la quantité de travail fourni par les corvéables, dans une province où les résistances sont alimentées par les rumeurs spéculant sur la suppression prochaine de la réquisition. Si pour certains départements l’indication des longueurs empierrées à la charge des communautés corvéables est stable pour les deux années (Pontivy et Vannes), dans les autres cas les totaux posent un certain nombre de problèmes d’interprétation, notamment les données communiquées par l’ingénieur David pour la circonscription de Quimper.
42Ce tableau montre que les ouvrages d’empierrement réalisés au cours du siècle sont quasiment achevés. Quant aux travaux de réparation à la charge des communautés, si les résultats se révèlent aussi contrastés selon les départements, c’est principalement parce que tous les tronçons routiers ne requièrent pas forcément d’intervention. La rubrique « état de situation de la tâche », quand elle est renseignée par l’ingénieur, permet de constater que globalement les communautés réquisitionnées s’acquittent plutôt bien de leur tâche. Pour ne prendre que l’exemple du département de Rennes en 1787, les tâches sont très majoritairement jugées satisfaisantes pour les routes de première classe comme pour les axes subsidiaires (1787)75
43Les ouvrages confiés à l’entreprise présentent donc des résultats assez contrastés au regard desquels les travaux réalisés par réquisition ne déméritent pas.
Une baisse des coûts unitaires d’entretien et de construction
44L’adjudication est présentée comme une solution plus économique en raison de l’intérêt de l’entrepreneur à réaliser les travaux de façon moins onéreuse. Il est bien évident que la structure de ces coûts se révèle très différente selon qu’il s’agit de construction ou d’entretien. Les partisans de la commutation s’accordent ainsi à reconnaître que l’adjudication des travaux routiers permettrait d’effectuer plus avantageusement l’entretien qu’avec l’emploi de la corvée en travail. D’après Meublan d’Ablois,
« que l’on consulte tous M. les intendants et tous les ingénieurs des Ponts et Chaussées du royaume, ils conviendront que dans les généralités où les travaux se font par corvées, l’entretien de la lieue de 2 400 toises revient à près de 2 000 Lt et que dans les provinces où l’entretien se fait à prix d’argent, il coûte en Languedoc 1 200 Lt sans compter les approvisionnements, et de 1 200 Lt à 800 Lt au moins dans les autres généralités y compris les approvisionnements76 ».
45Celui-ci ambitionnait, grâce à la généralisation de stationnaires, de réduire de moitié le coût d’entretien de la lieue. Ingénieurs et administrateurs s’accordent à considérer que le coût de l’entretien ne peut que diminuer grâce à la vigilance continue des cantonniers à prévenir des réparations coûteuses77. À cause de l’intermittence de la corvée en travail, il n’était pas rare que d’une saison à l’autre la route ait subi des dommages tels que les tâches imposées aux communautés riveraines ne suffisent pas à la remettre en état. L’emploi de stationnaires rémunérés pour arpenter la section de route dont ils étaient responsables devait permettre de parer au plus vite aux dégradations et éviter ainsi qu’en s’aggravant elles ne requièrent une intervention plus coûteuse.
46À en croire les contemporains, cet objectif de réduction du coût de financement aurait été atteint. Le recours à l’adjudication aurait permis de faire diminuer le prix unitaire de la lieue à construire ou à entretenir. Mahuet estimait ainsi que l’économie réalisée se montait à environ 2/5e sur la dépense consentie pour les routes78. D’après Fer de la Nouerre la commutation de la corvée a effectivement entraîné une diminution de moitié du prix de construction des chemins de Berry : « Le prix commun de chaque lieue de route, qui, suivant les devis des ingénieurs, devoit revenir à 40 000 Lt, s’est trouvé réduit par la forme qu’a adoptée l’Assemblée provinciale à 24 945 L 16 s 8 d79. » Pour l’entretien, l’économie réalisée se monte à 600 livres par lieue80. Raisonner à partir du coût moyen de la lieue à l’entretien est une commodité de calcul. Il est évident qu’un cantonnier n’entretient pas la lieue sur l’intégralité de sa longueur, mais seulement sur les zones qui en ont immédiatement besoin. Le coût unitaire varie également en fonction de paramètres locaux qui tiennent à la nature du terrain, à l’éloignement des matériaux, à la disponibilité en main-d’œuvre et au niveau des salaires. Malgré les limites que présente cet indicateur, l’examen des pièces comptables semble corroborer une diminution tendancielle des coûts d’entretien. En Lorraine, alors que la lieue revient en 1787 à 1 250 Lt, elle est adjugée sur la base de 711 Lt en 178881. Dans la généralité de Caen, le montant des sommes allouées à l’entretien diminue alors même que la longueur des routes mises à l’entretien augmente. Avant les baux adjugés en 1787, le coût de la lieue d’entretien s’élevait à 1 785 Lt. À l’issue du premier exercice de la réforme, « la lieue rendue dans un état de perfection jusqu’à présent inconnu dans la généralité avec des approvisionnements pour au moins six mois au-delà des baux » revient à 1 357 Lt82.
47Il reste à expliquer la réduction de ce poste de dépense. Elle ne peut guère être imputée à la police du roulage qui visait à prévenir une usure accélérée des revêtements routiers. Aux mesures prises tout au long du siècle par la monarchie pour réduire le poids des chargements des voitures par une limitation de la force de l’attelage, les arrêts du Conseil du 20 avril et du 28 décembre 1783 ajoutent des dispositions en faveur de l’adoption de jantes plus larges. Il semble que les effets dissuasifs de cette réglementation soit restée assez limités, à cause des difficultés à la mettre en œuvre et de la crainte d’une augmentation des prix de transport. Alors que la régulation des usages a semble-t-il trouvé une application assez restreinte, la diminution du coût unitaire d’entretien s’explique-t-elle alors par un changement dans les techniques routières ? La méthode mise au point par Trésaguet et formalisée dans son mémoire de 1775, dont Chaumont de la Millière recommanda la diffusion à tous les ingénieurs des Ponts et Chaussées, a connu une application limitée. Les nouvelles techniques routières, quand elles furent introduites au cours des années 1770 dans la généralité de Châlons, auraient même eu tendance à renchérir la dépense d’entretien :
« Les procédés nouvellement imaginés qui ont augmenté considérablement le prix de la main-d’œuvre […] Les pierres que depuis quelques années seulement l’on faisoit casser de 2 à 3 pouces cubes avec des masses, l’ont été cette année sur des enclumes de pierres avec des petits marteaux, et de la grosseur d’un pouce carré. Enfin l’on a exigé nombre d’autres manœuvres longues, pénibles et coûteuses qui ont absorbé la majeure partie du prix des adjudications83. »
48Au coût de la main-d’œuvre vient s’ajouter le prix plus élevé des matériaux, en raison de la qualité des pierres recherchées qui oblige à les tirer de carrières plus éloignées et à des profondeurs plus importantes. Ce renchérissement n’était même pas compensé par une plus grande solidité des revêtements, les pierres cassées plus menues résistant moins bien au roulement et aux intempéries. C’est aussi pour réduire le coût de l’entretien et le faire supporter non plus sur les fonds alloués aux ouvrages à prix d’argent, mais l’imputer sur les fonds de la contribution, que l’administration des Ponts et Chaussées va promouvoir, quand le terrain s’y prête, le remplacement des pavés par des revêtements en pierres ou en cailloutis. La conversion de routes pavées en chaussées empierrées est présentée comme un moyen de réduire l’entretien routier. Il semble toutefois que ces projets n’aient guère été suivis d’effets.
49Dans ces conditions, à quoi attribuer la diminution du coût de l’entretien, alors même qu’il intègre désormais le coût de la masse salariale et l’usage d’accorder un dixième de bénéfice à l’entrepreneur ? Cette réduction peut s’expliquer d’abord par l’annualisation du travail des cantonniers, qui grâce à une attention continue anticipent ou remédient aux dégradations qui peuvent survenir : « 365 journées de stationnaires employés à une réparation quotidienne, avoit été plus utile, et avoit produit plus d’effet que le travail de mille corvéables84. » La diminution du coût de l’entretien tient aussi à celle de la quantité de matériaux consommés. C’est du moins un des arguments avancés par Fer de la Nouerre : « La quantité de matériaux qui étoient consommés, chaque année, pour l’entretien de 25 470 toises de longueur que contient la partie de route de Lyon, qui traverse cette province, a été diminuée d’un tiers85. » L’adjudication séparée de la fourniture des matériaux permet de réduire un des postes de dépense les plus onéreux dans le travail routier, qui avait justifié l’intérêt de la corvée de harnais. Cette diminution est aussi explicitement recherchée par la dissociation de l’approvisionnement en matériaux et de la réalisation des ouvrages routiers. Une telle pratique est avérée en Lorraine86. En procédant à une telle fragmentation des marchés en vertu d’une délibération du 27 février 1789, les États de Bourgogne entendaient aussi se donner les moyens de mesurer l’économie possible sur les dépenses d’entretien87. Fer de la Nouerre n’estimait-il pas, en se fondant sur l’exemple du Berry, que l’adjudication au rabais de l’extraction des matériaux permettrait de réaliser une économie de près de 25 % ?
50Il semble donc avéré que l’adjudication permit de réduire le coût du financement routier. Rien ne préjuge en revanche d’une plus grande productivité du travail et d’une meilleure qualité des ouvrages, que promettaient les tenants de la commutation.
Les désordres du financement par l’impôt
51Un des arguments avancés au début du XVIIIe siècle pour justifier le choix de la corvée en travail avait été qu’une prestation en travail était moins susceptible d’être distraite de son affectation. Or avec la commutation, le financement des ouvrages routiers semble avoir pâti, non pas tant du détournement des recettes fiscales que redoutaient les tenants de la corvée en travail que des désordres dans la levée des fonds.
Une stricte affectation des fonds aux dépenses routières
52Parmi les préventions à l’égard de l’impôt en argent, il y avait le risque que les sommes collectées ne soient finalement détournées de leur objet pour couvrir des dépenses autres que le financement des infrastructures routières. Dans le cadre du rachat, les fonds collectés à l’échelle de la paroisse servaient à rémunérer directement l’entrepreneur auquel les travaux avaient été adjugés. Toute une série de garanties furent prises en 1786 pour déjouer des distractions au profit d’autres priorités budgétaires. Les recettes de la contribution ne pouvaient être dépensées que dans la circonscription où elle aurait été levée. Les sommes collectées ne devaient servir qu’à rembourser les avances consenties par le receveur sur sa caisse pour payer les entrepreneurs. Cette précaution était un moyen de conditionner la levée de l’imposition à la réalisation des travaux.
53Avec la fiscalisation, le principe de l’affectation des ressources financières de la contribution à un atelier s’imposa comme une règle intangible. Dans la généralité de Riom, le montant de la contribution imposée à chaque paroisse est mise en regard de la quantité de travail qu’il est censé financer en travail pour les routes « à l’entretien journalier », « à réparer pour perfection d’ouvrage », « en continuation d’ouvrages neufs » ou « en ouvrages neufs88 ». Cette affectation groupée des fonds versés par plusieurs communautés au financement d’un atelier déterminé était une pratique déjà en vigueur dans plusieurs généralités qui avaient précocement opté pour le rachat. Pour chaque adjudicataire sont listées par ordre alphabétique les communautés qui participent au financement de son contrat. Cette allocation des fonds de rachat à des ateliers routiers était un moyen de gager la dépense des travaux routiers sur des recettes affectées. Les devis précisaient également de manière scrupuleuse la désignation de l’atelier ou des ateliers compris dans le contrat, et les communautés qui devaient contribuer au financement des travaux. Le fait d’asseoir le contrat d’adjudication sur ces recettes fiscales était aussi un moyen de donner des garanties financières aux entrepreneurs. Dans la généralité d’Alençon, les procès-verbaux d’adjudication listaient par exemple les noms des « plus hauts taux chargés de faire les avances89 ».
54Les précautions prises pour empêcher les détournements que redoutaient les détracteurs de la commutation se sont-elles révélées suffisantes ? Rien n’est moins sûr. Le principe de stricte affectation des ressources de l’impôt aux travaux locaux connut quelques entorses. Dans la généralité de Caen par exemple, il semble que des transferts de fonds aient eu lieu entre élections, les unes empruntant à d’autres90. Dans quelques généralités, des fonds de rachat de la corvée ont pu servir à financer des ateliers de charité, alors qu’ils n’auraient dû être affectés qu’aux routes principales91. La tentation fut grande aussi d’utiliser les ressources de la contribution des routes pour couvrir des dépenses ressortant de la dotation budgétaire allouée par l’administration des Ponts et Chaussées. Les députés de la commission intermédiaire de Lyon sollicitèrent ainsi en 1789 l’autorisation d’utiliser les fonds de la contribution, pour pallier l’insuffisance de fonds des Ponts et Chaussées destinés au financement des appointements du personnel et des ouvrages d’art, tout en reconnaissant un risque de confusion entre deux caisses en principe distinctes92. Sur décision de la commission intermédiaire, une somme de 7 000 Lt fut avancée par le receveur de la contribution représentative de la corvée au trésorier particulier des Ponts et Chaussées pour payer les salaires des ingénieurs et conducteurs93. Afin de simplifier l’établissement des devis, le bureau des Travaux publics de l’Assemblée provinciale d’Alençon suggéra également que les fonds des Ponts et Chaussées soient réunis à ceux de rachat de corvée pour ne former qu’une « masse sujette à la même comptabilité94 ». Cette requête est restée sans écho.
Les difficultés du recouvrement
55Le caractère local de la prestation s’explique par le souci d’éviter de possibles détournements dans le cas d’une centralisation des fonds. Or la principale difficulté fut de les lever. La corvée en travail avait été justifiée entre autres arguments par la faible monétarisation des campagnes et la facilité pour un certain nombre de paysans de donner du temps plutôt que de l’argent. L’accroissement de la masse monétaire, que M. Morineau évalue à 22 % au cours du XVIIIe siècle, suffit-il pour autant à expliquer la commutation de la corvée ? C’est là une hypothèse certes séduisante mais assurément réductrice, étant donné qu’une économie monétarisée ne signifie pas loin s’en faut la disparition des paiements en nature. Par ailleurs, alors que la monétarisation des campagnes s’était accélérée au cours du XVIIIe siècle, la commutation de la corvée, outre les lenteurs administratives de sa mise en œuvre, provoqua des résistances qui se révélèrent tout aussi sinon plus fortes que le refus de travailler.
56L’application de la contribution qui devait désormais concerner tous les contribuables roturiers indistinctement, impliquait de composer de nouveaux rôles d’imposition. La prestation en argent à indexer sur les impôts existants, devait en effet être levée à partir d’un rôle séparé, vérifié et rendu exécutoire par l’intendant. Cette procédure prit du retard dans de nombreuses généralités. Aux lenteurs administratives vinrent s’ajouter les difficultés de recouvrement lui-même. On a vu que l’introduction du rachat, dont les recettes étaient en principe cautionnées sur les principaux contributeurs de la communauté, s’était heurtée à la résistance passive des corvéables devenus contribuables. La généralité de Bordeaux en fournit un exemple saisissant95. Dans le contexte troublé des dernières années de l’Ancien Régime, l’imposition d’une prestation supplémentaire à des contribuables qui jusqu’alors avaient échappé à la corvée ne pouvait que susciter la désobéissance fiscale.
57Dans le cadre du rachat, plusieurs contentieux avaient opposé des communautés à des entrepreneurs qui ne parvenaient pas à être payés. Avec les difficultés du recouvrement de la contribution en argent, le financement des routes eut encore plus à pâtir de l’insuffisance des fonds. Dans la généralité de Lyon, plusieurs mandats ne purent être payés pour régler les acomptes dus aux entrepreneurs au fur et à mesure de l’avancement des chantiers96. Sur les 67 336 Lt à prélever dans le département de Montbrison, 75 % de la somme seulement fut perçue et les salaires des stationnaires absorbèrent la quasi-totalité des sommes recouvrées97. Dans la généralité de Caen, le retard pris dans le recouvrement obligea la commission intermédiaire en 1788 à renvoyer les cantonniers et à suspendre les contrats passés avec les entrepreneurs faute de fonds disponibles98. La situation était tout aussi difficile dans la généralité de Châlons pour payer les adjudicataires et les cantonniers : au mois de septembre, la moitié du montant de la contribution prévue pour l’année 1788 avait été levée99. En Lorraine, l’administration des Domaines fut sollicitée en mai 1788 pour avancer en deux versements la moitié des fonds de la prestation représentative100. Ces retards de paiement contribuèrent en retour à éloigner les entrepreneurs potentiels des adjudications d’ouvrages routiers. Et avec la baisse du nombre d’enchérisseurs, le montant des rabais tendit symétriquement à diminuer.
58Tenter d’évaluer l’impact du financement routier par l’impôt en lieu et place de la corvée en travail, c’est chercher à apprécier l’efficacité d’un choix politique en comparant ses résultats observables ou mesurables aux objectifs assignés et aux moyens mis en œuvre. La commutation de la corvée avait vocation à répartir plus équitablement le financement des routes, en introduisant une exigence de proportionnalité en fonction de la richesse des contribuables. Le financement à moindre coût d’un réseau routier étendu en grande partie grâce au travail des corvéables et amené à s’étoffer encore, constituait également un objectif essentiel de la monarchie. La commutation de la corvée pose la délicate question de la conciliation de ces deux objectifs. Elle repose sur le pari que les coûts induits par la corvée en travail sont potentiellement plus élevés que ceux de l’entreprise, déjà en vigueur pour une partie des ouvrages routiers. Il n’est pas sûr que les conditions qui avaient déterminé le recours à la corvée en travail aient si fondamentalement changé. La systématisation de l’entreprise ne constituait-elle pas un pari risqué au vu de l’état du marché du travail et du tissu d’entrepreneurs. Quoi qu’il en soit, il s’opère, avec le rachat et la contribution, une transition vers une régulation par les prix, qui s’inscrit dans une logique concurrentielle, même imparfaite. L’exécution des ouvrages routiers devient dès lors, avec l’adjudication de toutes les composantes du travail, tributaire de la configuration des marchés de l’emploi (nombre d’entrepreneurs, disponibilité de la main-d’œuvre, conjoncture des salaires…). Le recours au travail salarié est présenté comme le seul moyen capable d’aiguillonner le zèle des manœuvres, de réaliser des gains de productivité et de garantir des ouvrages durables. Là réside cependant une ambiguïté profonde du discours des détracteurs de la corvée en nature qui a motivé sa conversion par un impôt : ce sont pour une large part ces mêmes paysans considérés comme inaptes à la confection des routes, et dont l’incompétence avait été soulignée pour justifier le recours à l’impôt, qui se retrouvent salariés par les chantiers. Il est vrai toutefois que le recours à l’entreprise épargnait au moins à l’État une administration lourde et contraignante pour mobiliser la main-d’œuvre et les moyens de transports ; ce choix lui permettait aussi par des retenues financières, de sanctionner les adjudicataires qui ne rempliraient pas leur cahier des charges et dont les ouvrages seraient jugés défectueux. L’efficacité de la réforme engagée en 1786 reste toutefois difficile à apprécier globalement dans la mesure où la Révolution interrompit brutalement ce système de financement.
Notes de bas de page
1 A.N. F14 149. Mémoire concernant les grands chemins du duché de Bourgogne.
2 En Alsace, le Conseil souverain dut procéder à l’annulation de 27 baux d’entretien et à l’indemnisation des entrepreneurs. Chacun d’eux envoya à l’Assemblée provinciale un mémoire détaillant la longueur de routes travaillées, le nombre de journées employées, les provisions de gravier qu’ils avaient faites, la valeur des outils acquis pour les travaux et des débours annexes. Dans la majorité des cas, l’administration et les entrepreneurs parvinrent à une conciliation pour un montant total de 66 329 Lt (Werner R., Les Ponts et Chaussées d’Alsace, op. cit., p. 117-119). A.D. Rhône 1 C 39-41. Résiliation de différents baux relatifs aux chemins (1788). Ces huit contrats avaient été passés entre 1777 et 1786.
3 En 1779 l’ingénieur Lecreulx estimait que sur les 7 750 lieues de liaisons interurbaines programmées, les trois quarts étaient réalisées (soit 6 000 lieues).
4 Le Scène des Maisons J., op. cit., p. 8.
5 C’est sans doute par analogie aux soldats assignés à une fonction de surveillance dans l’Empire romain que les cantonniers ont été également désignés comme « stationnaires ».
6 A.N. F14 182B. Un autre exemplaire est conservé aux AD Haute-Vienne C 295. Meulan d’Ablois avait semble-t-il déjà composé deux mémoires sur le sujet : un Mémoire sur la manière de faire des routes et de les entretenir dans le royaume de France (1781) et un Précis sur l’administration des Ponts et Chaussées (mentionné par Ducourtieux (1918), p. 346).
7 A.D. Haute-Vienne C 301 et C 314. État de distribution des bonnets. Y sont indiqués le nombre de cantonniers et les sections de route auxquelles ils étaient affectés.
8 En 1785 Perrault de Montrevost préconise le recrutement de 1100 stationnaires mais les Élus se contentent d’en établir 25 sur la route de Poste de Dijon au Mâconnais. BnF F 21774 (83). Délibération de MM. Les Élus-généraux des États de Bourgogne portant, qu’à compter du 1er mai prochain, il sera établi des manœuvres-stationnaires sur la grande route de poste de Dijon à la limite du Mâconnais, et successivement sur les routes de poste les plus fatiguées de la province (6 avril 1785). A.N. F14 149. Règlement pour l’établissement des manœuvres stationnaires. A.D. Ain C 1077. Ordonnance de M. l’intendant de Bourgogne et Bresse, contenant règlement pour l’établissement des manœuvres stationnaires sur les routes de postes de Bresse et Dombes (25 juillet 1785).
9 A.D. Indre-et-Loire C 167. Lettre de Du Cluzel à Joly de Fleury (22 août 1781).
10 Slonina J., op. cit. p. 180-181.
11 A.D. Rhône 1 C 143. Inventaire des imprimés relatifs à la nouvelle méthode des corvées mise en usage dans la généralité de Lyon. A.N. H2 2105.
12 A.D. Calvados C 3375. Instruction (1786).
13 B. Lepetit avait déjà signalé cet « ensemble uniforme de documents élaborés dans le cadre des généralités, et tous datés de la fin de l’année 1786 et de 1787 » comme « témoignage du premier effort systématique destiné à la connaissance générale quantifiée du réseau routier du royaume » (Les Villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988, p. 282). Outre les cotes qu’il signalait, Chemins de terre et voies d’eau…, p. 40 (A.D. Aisne C 510, A.D. Dijon C 3881, A.D. Rhône C 117), il existe de semblables états conservés aux A.N. H2 2105 (pour la généralité de Paris), A.D. Orne C 153, A.D. Rhône C 124, A.D. Indre-et-Loire C 175 et A.D. Nord 9005.
14 A.D. Calvados C 3119. A.D. Haute-Vienne C 302. A.D. Aisne C 586. Généralité de Soissons. Grandes routes et chemins de grande communication. État général des routes faites à l’entretien parfait, de celles à réparer pour être mises à l’entretien, de celles ébauchées et à finir, et enfin de celles qui ne sont que projetées. Année 1787. A.D. Ain C 1079. Tableau de tous les ouvrages qui s’exécutent en Bresse et Dombes en 1787 tant pour la construction que l’entretien des routes. Le plus souvent les informations ont été compilées dans des formulaires pré-imprimés ; dans la généralité de Lyon, où l’inventaire est manuscrit, la distribution des rubriques présente quelques variantes par rapport au canevas normalisé (A.D. Rhône C 124. Généralité de Lyon. Grandes routes et chemins de grande communication. État général des routes, 1786).
15 A.D. Indre-et-Loire C 168. État des différentes routes de la troisième classe sur lesquelles il ne peut être porté de fonds de corvée en 1787.
16 A.D. Puy-de-Dôme 1 C 6652. Généralité de Riom. Travaux des grandes routes (1787). Relevé du travail projeté en remplacement de la corvée pour l’année 1787 indiquant la contribution des collectes, le montant des adjudications et leurs différences. 1 C 6651. Généralité de Riom. Distribution des travaux à faire pendant l’année 1787 sur les routes de la généralité d’après la contribution des différentes collectes (18 décembre 1786).
17 A.D. Rhône C 41. Arrêt du Conseil (10 mai 1788) qui ordonne l’imposition de la somme de 320 266 livres 10 sols sur les contribuables aux tailles de la généralité de Lyon, pour leur contribution aux dépenses nécessaires à la confection et entretien des grandes routes de la généralité de Lyon pendant l’année 1788.
18 Lecreulx indiquait une proportion de 1 à 4 entre les travaux d’argent et ceux de simple construction (Les moyens les moins onéreux…, op. cit., p. 148).
19 Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit., p. 41. Fer de la Nouerre N., op. cit., t. 1, p. 14.
20 A.D. Ille-et-Vilaine C 4883. États de situation des travaux de corvée exécutés pendant les années 1787-1788 sur diverses routes classées par départements. On a vu qu’en Bretagne des dispositifs de gestion avaient été précocement mis en place dans le département de Rennes, pour administrer la prestation en travail calculée sur la base de la capitation (C 4738). États des routes qui composent le département de Rennes (1765-1780). États des routes du deuxième département de Rennes (1766-1773 et 1777-1782). Il existe par ailleurs un État général des travaux de corvée faits dans la province de Bretagne […] pour la construction, entretien et perfection des routes, dressé par l’ingénieur en chef des Ponts et Chaussées pour les années 1778-1780 (C 4881).
21 Les ouvrages neufs furent ainsi répertoriés en quatre catégories selon leur degré d’urgence : « ouvrages très pressés », « ouvrages moins pressés », « ouvrages peu pressés », « ouvrages très peu pressés » (A.N. F14 149. Mémoire sur la suppression de la corvée en Bourgogne, 1789).
22 B. N. F. Joly de Fleury 605. fol. 292-293. Observations générales sur le plan de convertir tous les devoirs de la corvée en une contribution par communautés (27 juin 1785).
23 Habault G., op. cit., p. 86-87.
24 Fromont (H.), op. cit., p. 324.
25 Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit., p. 53. En 1781, il envisageait des sections de 3 à 6 lieues (p. 84).
26 A.N. F14 149. Mémoire concernant les grands chemins du duché de Bourgogne (s. d.).
27 A.D. Aube C 1095.
28 A.D. Rhône 1 C 143. Mémoire sur l’ancienne et la nouvelle administration des corvées dans la généralité de Lyon (1784).
29 Ibid. Département de M. Bertin. État des paroisses commandées à corvées (1781).
30 A.D. Rhône 9 C 40. Copie de la lettre de Chaumont de la Millière à M. de Varaigne (29 mars 1789).
31 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de Haute-Guyenne, 1780, p. 65. Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de la généralité de Lyon (1787-1790), Trévoux, impr. de J. Jeannin, 1898, p. 361.
32 A.D. Rhône 9 C 40. Généralité de Lyon. Département de Roanne. Travaux des grandes routes pour 1788 depuis Roanne jusqu’aux limites d’Auvergne. Résultat des différents ouvrages faits par les adjudicataires à compte de leur entreprise.
33 A.D. Puy-de-Dôme C 6652. Généralité de Riom. Travaux des grandes routes (1787). Relevé du travail projeté en remplacement de la corvée pour l’année 1787 indiquant la contribution des collectes, le montant des adjudications et leurs différences.
34 A.D. Calvados C 3375. Instruction à suivre en exécution de l’Arrêt du Conseil du […] qui ordonne l’essai pendant trois ans de la conversion de la corvée en une prestation en argent (art. 5).
35 A.D. Rhône 9 C 40. Ponts et Chaussées. Situation des entrepreneurs et des ouvrages par eux exécutés au 31 décembre 1787 en vertu des différentes adjudications à eux ci-devant passées.
36 A.D. Calvados C 3375. Instruction à suivre en exécution de l’Arrêt du Conseil du […] qui ordonne l’essai pendant trois ans de la conversion de la corvée en une prestation en argent (art. 5). L’ordonnance de l’intendant de Jean Depont introduisant le rachat dans la généralité de Moulins prévoyait qu’un entrepreneur ne puisse exécuter les tâches de plusieurs communautés que si, cumulées, elles n’excédaient pas la somme de 20 000 Lt (B. N. F. Joly de Fleury 598).
37 A.D. Riom C 6652. Généralité de Riom. Travaux des grandes routes (1787). Relevé du travail projeté en remplacement de la corvée pour l’année 1787 indiquant la contribution des collectes, le montant des adjudications et leurs différences.
38 A.D. Rhône 9 C 40. Ponts et Chaussées. Situation des entrepreneurs et des ouvrages par eux exécutés au 31 décembre 1787 en vertu des différentes adjudications à eux ci-devant passées. En Nivernais, ce sont aussi les « entrepreneurs des ouvrages du roi » listés à partir de 1783 dans l’Almanach nouveau de la ville de Nevers, qui participent aux adjudications des travaux d’empierrement (Blin L., « Les adjudications des Travaux publics en Nivernais… », op. cit, p. 31).
39 AD Ille-et-Vilaine C 2407. Lettre à Calonne (22 avril 1786).
40 A.D. Aube C 1095. Lettre des députés de la commission intermédiaire de la province de Champagne (16 février 1788).
41 Procès-verbal de l’assemblée provinciale de Berry (1783), p. 61.
42 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale d’Auvergne (1787), p. 157.
43 A.D. Puy-de-Dôme C 6652. Généralité de Riom. Travaux des grandes routes (1787). Relevé du travail projeté en remplacement de la corvée pour l’année 1787 indiquant la contribution des collectes, le montant des adjudications et leurs différences.
44 A.D. Calvados C 3375.
45 B. N. F. Joly de Fleury 598.
46 Blin L., « Les adjudications des Travaux publics en Nivernais… », op. cit., p. 45.
47 Ibid., p. 32.
48 A.D. Calvados C 3388. Compte général (1787).
49 A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. Seconde partie des travaux des routes (s. d./1788).
50 Blin L., « Les adjudications des Travaux publics en Nivernais… », op. cit., p. 43.
51 Mémoire sur les corvées (1775), Vignon E.-J.-M., op. cit., t. 3, P.J. 103, p. 90.
52 A.N. F14 149. Mémoire sur la suppression de la corvée en Bourgogne.
53 Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit., p. 62.
54 Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit, p. 61.
55 N. de Fer de la Nouerre estimait « qu’un seul manœuvre pouvoit suffire à l’entretien de 3 000 toises de longueur de pareilles routes » (t. 2, p. 312). En Alsace, la longueur du canton est pour les routes de première classe de 1 500 toises et de 1 800 toises pour celles de deuxième classe (Werner R., op. cit., p. 109).
56 Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit., p. 54.
57 Ce calcul est possible dans la mesure où les cantonniers devaient travailler tous les jours de l’année à l’exception des dimanches et des jours de fêtes. Dans la généralité d’Alençon, ils étaient même obligés en cas de maladie de se faire remplacer à leur frais.
58 Procès-verbal de l’assemblée provinciale de la moyenne Normandie et du Perche, généralité d’Alençon, 22e séance (24 décembre 1787), p. 215.
59 A.D. Aube C 1090. Dans les contrats d’embauche des pionniers, leurs appointements sont fixés à 20 Lt par mois, soit 240 Lt par an, sans compter une éventuelle gratification de 36 Lt. Il est prévu une retenue journalière de 3 Lt sur la rétribution des chefs stationnaires pour chaque cantonnier absent.
60 Mémoire sur les corvées par Chaumont de la Millière (mars 1782), Vignon E.-J.-M., op. cit., t. 3, P.J. 163, p. 224.
61 A.D. Rhône C 103. Lettre de M. de Flesselles au Contrôleur général (novembre 1782).
62 Châtelard, Abbé L., art. cit., p. 183.
63 Vignon E.-J.-M., op. cit., t. 3, P.J. 162, p. 218-222. Cette enquête a laissé peu de traces dans les archives départementales. Un exemplaire de la lettre que Joly de Fleury adressa à l’intendant de Tours le 14 août 1781 est conservé ainsi que la réponse de M. de Cluzel (28 août 1781) aux A.D. d’Indre-et-Loire C 167 et aux A.N. H2 2105. B. Lepetit (Chemins de terre et voies d’eau…, p. 40) signale par ailleurs les réponses des intendants de Montauban (A.D. Lot C 439) et de Caen (A.D. Calvados C 3448).
64 A.D. Orne C 151. Tableau succint de l’état des routes royales de la généralité d’Alençon au dernier décembre 1766 et des travaux qui s’y sont faits depuis par corvée ou par rachat d’icelle jusqu’au 1er janvier 1785 (de l’ingénieur en chef Boesnier).
65 A.D. Haute-Vienne C 682. Récapitulation générale des ouvrages faits par corvée dans la généralité de Tours en 1779. A.D. Indre C 164. Idem en 1786.
66 Les archives de la Gironde conservent plusieurs spécimens de ces certificats délivrées par l’ingénieur et contresignés par le subdélégué, indiquant l’état d’avancement des travaux ou attestant de leur achèvement (A.D. Gironde C 4662).
67 A.D. Orne C 142. Généralité d’Alençon. État général des travaux à faire par rachat de corvées en 1778 sur les 5 sols pour livre du gros de la taille.
68 A.D. Puy-de-Dôme 1 C 6616.
69 Ibid. Généralité de Riom. Situation des ouvrages des corvées au 20 mai 1783, et Situation des ouvrages des corvées sur les différentes routes de la généralité au 30 juillet 1783.
70 A.D. Rhône C 40. État (13 février 1788).
71 Du Pont P.-S., De l’Administration des chemins … op. cit., p. 64.
72 Art. « Corvée », Encyclopédie méthodique, 1784, p. 702.
73 De nouvelles routes situées dans le diocèse de Saint-Malo ont ajoutées entre-temps au département de M. Piou.
74 A.D. Ille-et-Vilaine C 4883. États de situation des travaux de corvée exécutés pendant les années 1787-1788 sur diverses routes classées par départements.
75 A.D. Ille-et-Vilaine C 4883. Les réponses des ingénieurs rendent compte parfois d’une hésitation dans les critères d’appréciation entre la qualité du travail, sa difficulté et l’état de la route.
76 A.D. Haute-Vienne C 295. Projet économique pour le plus parfait entretien de toutes les routes du royaume (s. d.).
77 Fer de la Nouerre estimait que la généralisation du système des cantonniers à l’ensemble du royaume permettrait une « diminution de 6 à 7 millions sur le prix de leur entretien (Fer de la Nouerre (1786), t. 2, p. 312). Quant à Pommereul, il espérait même avec la systématisation des stationnaires sur les routes non pavées du royaume ramener la dépense d’entretien pour une lieue à des sommes situées entre 109 Lt et 54 Lt (Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit., p. 54).
78 Mahuet, op. cit., p. 9.
79 Fer de la Nouerre N., op. cit., t. 2, p. 264.
80 Un ingénieur des Lumières. Emiliand-Marie Gauthey, Paris, Presses de l’ENPC, 1994, p. 80.
81 A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. Seconde partie des travaux des routes (s. d./1788).
82 A.D. Calvados C 3388. Compte général (1787).
83 A.D. Aube C 1094. Comparaison des travaux de corvées qui ont été exécutés en 1786 sur les chaussées royales qui communiquent 1°/ de Mezières à Launois 2°/ de celle de Sedan audit Mezières 3°/ de cette dernière ville au moulin à poudre de St-Pouce près de la Francheville avec les travaux qui ont été fait sur ces mêmes routes en 1787, à laquelle on joint la différence qui existe entre l’estimation du prix de ces travaux en 1786 et celuy de leurs adjudications en 1787.
84 Mahuet, op. cit., p. 9.
85 Fer de la Nouerre N., op. cit., t. 2, p. 312.
86 A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. Seconde partie des travaux des routes (s. d./1788).
87 A.D. Cote d’Or C 3862. Délibération concernant l’entretien annuel des grandes routes de la province (27 février 1789), p. 22.
88 A.D. Puy-de-Dôme 1 C 6651. Généralité de Riom. Distribution des travaux à faire pendant l’année 1787 sur les routes de la généralité d’après la contribution des différentes collectes (18 décembre 1786).
89 A.D. Orne C 153. Procès-verbaux d’adjudication des ouvrages de corvée, 1786.
90 A.D. Calvados C 3117. Tableau de comparaison des ouvrages adjugés pour la confection des chemins dans les différentes élections de la généralité de Caen pendant les années 1776, 1777 et 1778 et des fonds faits dans les mêmes années dans l’étendue de chemins desdites élections.
91 A.N. H2 2106-2107. Généralité de Paris. Travaux de charité (1770-1780).
92 A.D. Rhône C 124. Lettre des députés de la commission intermédiaire à l’intendant (14 juillet 1789).
93 A.D. Rhône 9 C 41. Situation des fonds de l’exercice 1787 au 8 juin 1790.
94 Procès-verbaux de l’assemblée provinciale d’Alençon, 10e séance (29 novembre 1787), p. 92 : lecture d’un mémoire sur « les moyen que l’on pourroit prendre, pour mettre de l’ordre dans la comptabilité des fonds représentatifs de la corvée », et 14e séance (4 décembre 1787), p. 115.
95 Voir chapitre 7.
96 A.D. Rhône 9 C 41. Lettre des députés du bureau intermédiaire de Montbrison (16 octobre 1789). Montant des mandats non payés (1789).
97 Ibid. État de situation sur l’imposition des corvées de l’année 1788 dans l’élection de Montbrison (1790).
98 A.D. Caen C 8342. Lettre de Necker (10 décembre 1788).
99 A.D. Aube C 1095. Imposition pour la corvée de 1788. État de la recette faite jusqu’au 1er octobre 1788. A.D. Aube (C 1090). A.D. Rhône C 41. Lettre des députés du bureau intermédiaire (6 juillet 1789).
100 A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. Seconde partie des travaux des routes (s. d./1788).
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