Chapitre VII. Trouver une alternative à la corvée
p. 229-276
Texte intégral
1Originellement la corvée en travail s’était imposée comme une alternative à l’impôt. Du point de vue de la monarchie, elle présentait l’intérêt de limiter, la pression fiscale et de minimiser les risques de détournements des recettes de l’imposition. Elle correspondait aussi largement à l’état d’une économie faiblement ou du moins diversement monétarisée au début du XVIIIe siècle, à une société structurée par le privilège fiscal, à des contraintes fortes en termes de mobilisation de la main-d’œuvre, et à un usage largement répandu des prestations en nature dans le cadre de la milice ou des prélèvements seigneuriaux. Comment expliquer qu’après avoir promu la corvée en travail par refus de l’impôt dans le premier tiers du XVIIIe siècle, la monarchie renoue finalement avec celui-ci ?
2La suppression de la corvée en travail ordonnée par Turgot en 1776, sans que la contribution censée lui suppléer soit appliquée, ouvre une période d’incertitude et d’interrogation sur le financement des infrastructures routières. Entre l’échec de l’impôt territorial voulu par Turgot et la décision d’instaurer une contribution générale (1786-1787) se développe, en parallèle de la généralisation du rachat de la corvée en travail, une intense réflexion sur les moyens de pourvoir aux travaux routiers. Alors que l’audience des thèses physiocratiques décline après l’échec de la mise en œuvre de l’impôt voulu par la Secte1, fleurissent toute une série de projets alternatifs qui cherchent à évaluer les effets possibles de leurs propositions en termes de répartition, d’incidence fiscale et d’allocation de ressources. Cette séquence chronologique, marquée par une intense fermentation intellectuelle, une exigence de réforme et de fortes crispations politiques, fait intervenir des expertises diverses émanant des milieux parlementaires, administratifs et savants, et eut pour effet de stimuler la production de données chiffrées. L’appréhension de la corvée et des moyens d’y suppléer marque alors en outre un changement d’échelle. La mesure des besoins d’investissement qu’elle est censée couvrir et les enjeux qu’elle pose sont pensés de façon plus globale, à l’échelle de l’ensemble des pays d’élections ressortant du département des Ponts et Chaussées. C’est à partir de 1776 que les estimations globales du travail des corvées vont se multiplier en objectivant le coût des travaux à engager et les moyens disponibles pour y pourvoir.
3Cette évaluation des solutions de financement des routes intervient dans un contexte où la monarchie reconfigure plus largement l’architecture globale du financement des infrastructures de transport, en programmant la suppression des péages entre 1771-1779, en généralisant les ateliers de charité à compter des années 1770, et en affectant à compter de 1775 pour la navigation intérieure un fonds de 800 000 Lt fusionnant toutes les impositions locales existantes. La remise en cause de la corvée, si elle pose fondamentalement le problème de la capacité de l’État à répondre à des besoins de financement croissants pour achever les liaisons routières programmées et assurer l’entretien d’un réseau plus étoffé, participe d’un mouvement de réformes plus vaste de la fiscalité.
4C’est dans ce contexte qu’il importe de comprendre les enjeux et la portée de la décision politique de remplacer la corvée en travail par un impôt en argent. C’est en effet au moment où elle est discutée et décriée que se trouvent explicitées les raisons qui avait présidé à son choix, et que se pose le problème de son évaluation pour lui trouver une solution de remplacement. Toute une gamme des solutions de financement sont alors envisagées en remplacement de la corvée en travail, qui permettent de comprendre pourquoi et comment le choix de la contribution va finalement s’imposer par rapport à des options alternatives. Pour comprendre comment l’impôt est conçu pour répondre aux exigences d’équité et aux besoins d’efficacité du financement routier, il est nécessaire de repartir de la réforme de Turgot qui crée une situation irréversible. Après l’échec de l’impôt sur les propriétaires inspiré par les Physiocrates et désavoué au terme d’une crise politique avec les parlements, s’ouvre une séquence déterminante en ce qui concerne la réflexion sur les alternatives à trouver à la corvée. La contribution finalement adoptée en 1786 sanctionne la solution de l’impôt qui permettait de rompre avec l’inégalité d’une prise en charge par les seules communautés riveraines de la route et de faire supporter une partie du financement par les villes.
L’échec de l’imposition physiocratique
5Alors qu’il n’était encore qu’intendant du Limousin et qu’il mûrissait son projet de commutation, Turgot envisageait déjà l’extension de sa réforme à l’échelle du royaume2. L’action qu’il décide d’entreprendre après sa nomination au Contrôle général présente une évidente continuité avec son expérience en Limousin pendant près de treize ans. Comme dans cette généralité, Turgot avait conçu une suppression conjointe des corvées civiles et militaires3. Dans le mémoire que, fraîchement nommé au Contrôle général, il remit à Louis XVI le 24 août 1774 pour lui exposer son train de réformes, la suppression de la corvée en nature s’inscrit dans un plan plus général de recomposition du système d’imposition : à terme, les impôts existants devaient être remplacés par un impôt unique, la subvention territoriale, prélevée sur la rente foncière. Le 27 septembre suivant décision fut prise dans le secret du Conseil de supprimer la corvée4. Par une circulaire du 6 mai 1775 Turgot prescrivit alors aux intendants de faire suspendre les travaux, de différer la construction de nouveaux ouvrages et de pourvoir prioritairement à l’entretien des infrastructures routières, notamment grâce aux fonds de charité. Cette mesure intervient dans un contexte frumentaire difficile. C’est en effet la cherté des denrées liée à la mauvaise récolte de 1774 qui précipita une telle décision, la corvée étant jugée « impraticable dans les lieux et dans les temps où les peuples ont tant de peine à se procurer leur subsistance par leur travail5 ». La crise de subsistances conforte l’utilité d’une commutation de la corvée en un impôt, susceptible d’offrir aux plus pauvres la ressource d’un travail salarié dans le cadre des ateliers de charité. L’idée de Turgot était surtout, en décrétant la suspension des travaux de corvée, de rendre irréversible le projet de sa commutation. Cette manière de procéder posait toutefois le problème de l’agenda de la réforme et de la transition avec la commutation en argent.
6Deux mois après l’ordre de faire suspendre la corvée en travail, Turgot précisait son projet dans une seconde lettre circulaire qu’il adressa aux intendants le 28 juillet 1775. Il s’agissait de recueillir leurs avis sur la fiscalisation de la corvée et sur deux projets de déclaration à faire enregistrer respectivement au parlement, et à la cour des aides pour autoriser la perception de l’imposition supplétive à la corvée en travail6. L’un des six édits promulgués par Louis XVI le 6 février 1776, composé de onze articles et précédé d’un long préambule rédigé par Turgot7 et fortement inspiré par les thèses physiocratiques, décidait la suppression de la corvée en travail et son remplacement par une imposition indexée sur le vingtième des propriétaires fonciers8. Porté devant le parlement de Paris, ce texte fit l’objet de vives critiques. La fronde parlementaire menée par Joly de Fleury et l’opposition nobiliaire conduite par le prince de Conti étaient à la mesure de l’ampleur de la réforme proposée par Turgot. Au cours du lit de justice qui se tint au château de Versailles le 12 mars 1776, l’avocat général, au nom de la noblesse parlementaire, contesta le principe d’une imposition des propriétaires qui bafouait le privilège de la noblesse9. Avec une rhétorique rodée au fil des remontrances contre les mesures fiscales de la monarchie, le parlement de Paris dénonçait les faux-semblants d’une opération qui, en avivant un « combat des riches et des pauvres », portait atteinte aux privilèges nobiliaires et à l’ordre politique. Quatre autres parlements (Pau, Rouen, Toulouse et Metz) auxquels fut soumis l’édit refusèrent l’enregistrement10. L’hostilité du parlement de Paris conjuguée à la défiance de la noblesse de cour eurent raison des velléités réformatrices de Turgot qui fut contraint de démissionner en mai 1776. Trois mois plus tard la corvée était rétablie.
7Les péripéties politiques de cette réforme avortée ont été abondamment étudiées11. Il ne s’agit donc pas de reprendre un dossier historiographique déjà largement documenté, mais de déplacer le cadre d’analyse en montrant comment le projet de contribution foncière décidé par Turgot pose les termes du débat fiscal qui va se nouer sur la question du financement des infrastructures routières pendant près d’une décennie : à qui revient-il de les prendre en charge ? Quel est le montant de la dépense à prévoir en remplacement de la corvée ? Comment les choix possibles sont-ils susceptibles d’affecter la répartition des richesses ?
L’aspiration au légalisme
8Dans la critique de la corvée, la lacune de la loi avait souvent été pointée comme un vice intrinsèque du régime de réquisition en travail. Le contrôleur général Boullongne avouait lui-même qu’« il est assez singulier que cette charge se soit pour ainsi dire établie par l’usage, sans qu’il y ait jamais eu de loi générale qui l’ait autorisée12 ». De même, localement son application relevait d’une simple décision administrative prise sur ordonnance de l’intendant. Les remontrances parlementaires comme nombre d’écrits critiques sur la corvée dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ont déploré le défaut d’assise légale de la corvée, rappelant qu’elle ne fut pas instituée par une décision royale mais par une simple instruction ministérielle. La controverse que cristallise la corvée dans la seconde moitié du siècle confirme cette exigence de fondement juridique. L’auteur des Réflexions sur les corvées réclamait qu’une loi encadre la corvée13 ; selon Du Pont la corvée « n’a jamais été une imposition légale ; c’est-à-dire qu’elle n’a été autorisée que par des ordres particuliers14 ». Plaider pour une assise légale de la corvée revient à signifier la supériorité de la loi sur les règlements dans la hiérarchie des normes et à rappeler plus généralement l’importance de la dimension juridique dans l’établissement de l’ordre politique. L’édit de Turgot satisfaisait à cette exigence en même temps qu’il ramenait à l’unité des régimes divers. Dès lors c’est par la loi que devait se décider le financement des infrastructures routières.
9Des procédures administratives devaient prévenir tout risque de détournement et fournir un certain nombre de garanties sur la transparence de la gestion des recettes fiscales. La lettre circulaire insistait sur la nécessité de confectionner un état du roi pour la programmation des chantiers et un état de situation pour le suivi des travaux et de la dépense, deux pièces maîtresses du contrôle comptable déjà exercé par la Trésorerie générale des Ponts et Chaussées sur l’emploi des fonds alloués au financement de l’organisation administrative et des ouvrages d’art. L’état du roi devait par ailleurs être déposé chaque année au greffe des cours des aides chargées de veiller scrupuleusement à l’emploi de la nouvelle imposition. La stricte affectation des recettes fiscales aux dépenses routières était érigée en règle intangible pour contraindre la monarchie à engager les fonds collectés dans un cadre strictement défini15. Pour couper court au risque de détournement des ressources financières dégagées par la nouvelle contribution, Turgot entendait ainsi donner toute une série de gages par la mise en place de procédures et d’instruments de contrôle de gestion.
10Le projet de Turgot était également d’associer les cours souveraines au dispositif de financement des routes16. Dans l’idée de Turgot, ce contrôle financier était un moyen de déminer l’hostilité des cours des aides qui seraient garantes de l’affectation spécifique du produit de l’imposition. C’était dans une certaine mesure satisfaire à une revendication récurrente des cours souveraines, soucieuses d’établir un contrôle sur la dépense des impositions et d’exercer plus largement un droit de regard sur les comptes de la monarchie. Sur ce point, la défiance des intendants était quasiment unanime. Calonne, intendant de Metz, faisait en outre remarquer qu’il serait pour le moins étrange d’associer les cours souveraines à la levée de la contribution représentative de la corvée, alors même qu’elles n’avaient pas compétence sur les impositions exigées au titre des Ponts et Chaussées17. Trudaine de Montigny partageait le même scepticisme à l’égard du légalisme de Turgot.
Les routes : une « charge de propriété »
11Inspiré par les thèses physiocratiques, le projet de Turgot, considérant le financement des routes comme « une charge de propriété », prévoyait de taxer tous les biens fonds de la généralité et d’asseoir la nouvelle contribution sur le vingtième18. Cette initiative participe plus largement d’une tentative politique de réformer le système fiscal biaisé par les privilèges, en taxant le patrimoine foncier de la noblesse. Le clergé, malgré l’ampleur de ses possessions, n’était pas concerné par la réforme puisqu’il jouissait de l’exemption du vingtième. L’imposition des propriétaires devait, dans l’esprit de Turgot, être compensée par une augmentation des revenus fonciers. La fiscalisation de la corvée sur la base du vingtième signifie en tout cas la dissolution du lien intrinsèque qui jusqu’alors avait conditionné la corvée à la taille. Cette réforme rompt par ailleurs avec la solidarité communautaire et la responsabilité collective pour individualiser la contribution des contribuables.
12Ce choix était loin de faire l’unanimité au sein de l’administration monarchique. Dans les réponses des intendants à la lettre circulaire de Turgot du 28 juillet 1775, leur annonçant la suppression de la corvée en travail et son remplacement par une imposition sur les seuls propriétaires, le large consensus qui se dégage en faveur de la commutation ne parvient pas à dissimuler de sérieuses inquiétudes sur les difficultés pratiques à mettre en application la contribution voulue par Turgot (en raison de la rareté de la monnaie, de l’absence de cadastre qui aurait permis de proportionner la contribution à la valeur des terres19…) et ses conséquences à plus ou moins long terme (accroissement de la pression fiscale, réclamations des privilégiés, risque de détournement…). Une des questions centrales alors soulevée est de déterminer à qui profitent les infrastructures et à qui incombe leur financement. Revenait-il aux seuls propriétaires fonciers de prendre en charge les infrastructures routières ? Ne convenait-il pas d’établir la contribution sur l’assiette la plus large possible pour taxer les autres éléments constitutifs de la richesse, à savoir le commerce et le travail ? Se posait inévitablement le problème de l’imposition du clergé qui n’était redevable d’aucun impôt direct. Trudaine de Montigny s’était d’ailleurs inquiété de l’étroitesse d’une assiette fiscale indexée sur le seul vingtième : « Ce n’est cependant pas au marc la livre du vingtième qu’elle doit être répartie ; elle doit être payée par plusieurs propriétaires qui ne sont pas assujettis aux vingtièmes20. » Au fil des différentes consultations qui vont se succéder depuis la phase préparatoire de la réforme jusqu’à sa liquidation, les avis des intendants se révèlent souvent contradictoires mais discutent le principe d’une imposition sur les seuls propriétaires qui serait à la fois onéreuse et insuffisante.
13À cet égard les remontrances du parlement de Paris ne sauraient être considérées seulement comme un plaidoyer en faveur de la société d’ordres. Elles discutent plus largement des principes et des modalités du financement des infrastructures. Pourquoi serait-il à la seule charge des propriétaires, sans qu’y contribuent des intérêts du commerce et des acteurs comme les usagers des transports (voitures publiques, rouliers et voyageurs) ? Les parlementaires ne manquent pas par ailleurs de pointer le risque d’une double imposition pour les Ponts et Chaussées : « Le tribut exigible des propriétaires, à raison de l’utilité qu’ils retirent du transport plus facile des objets de consommation, est déjà rempli par la prestation des deniers qui s’imposent annuellement en sus de la taille, pour l’entretien des Ponts et Chaussées dans chaque généralité21. » Outre le risque de faire porter l’essentiel de la dépense des Ponts et Chaussées sur la contribution supplétive à la corvée en travail, instituer une contribution indexée sur le vingtième pour le financement des infrastructures de transport, qui requiert une solution nécessairement durable, entrait en contradiction avec la fiction d’un impôt temporaire. Par ailleurs aucune quotité n’étant spécifiée les parlements s’inquiétaient de l’indétermination du montant de l’imposition.
14Le projet de Turgot soulève de fait un problème essentiel en matière de financement des infrastructures routières : si la corvée en travail ou le rachat se révèlent fondamentalement injustes en faisant supporter la dépense des routes aux seules communautés riveraines, la faire prendre en charge par les propriétaires laïcs revenait à épargner la richesse mobilière. Dans les années qui suivent l’échec de sa réforme, l’édit de février 1776 et son préambule suscitent d’ailleurs de nombreux commentaires pour critiquer l’assiette d’une imposition qui, si elle épargnait les paysans sans propriété et permettait d’atteindre le patrimoine foncier de la noblesse, présentait aussi le risque de faire supporter une majoration fiscale à nombre de micro-propriétaires roturiers et taillables22.
Un montant suffisant ?
15L’établissement de la nouvelle contribution pose, comme pour toute réforme fiscale, la question du rendement escompté du nouvel impôt, dont l’objectif premier était de donner à l’État les moyens de mener sa politique routière. L’édit du 6 février 1776 plafonnait la nouvelle contribution des chemins à 10 millions de Lt pour l’ensemble des pays d’élections qui ressortaient du département des Ponts et Chaussées. Turgot ne faisait en cela que reprendre l’estimation avancée par Perronet, qui en 1774 sur la base de 6 000 lieues de routes aménagées, avait évalué la corvée en travail à 12 millions de Lt par an, et suggérait de fixer l’imposition supplétive à 10 millions23. Outre le gain escompté par une plus grande productivité du travail salarié, cette évaluation intègre des coûts différenciés selon les généralités (la dépense est ainsi d’un tiers plus importante dans la généralité de Paris en raison de la densité de chaussées pavées à pourvoir en matériaux et de l’entretien des routes empierrées qui font l’objet d’une intense circulation). La dépense annuelle de l’entretien est estimée à 2 650 000 Lt pour les pays d’élections. À cette somme s’ajoute 4 500 000 Lt à prévoir pour la construction d’une centaine de lieues. Avec les indemnités à verser aux propriétaires expropriés (500 000 Lt) et les frais d’encadrement des chantiers (268 000Lt), le financement des infrastructures routières réclame un montant incompressible de 8 millions de Lt. C’est donc en fonction de la dépense à prévoir et des investissements à programmer que la somme à collecter est calculée. Le montant proposé par Turgot reste toutefois inférieur à d’autres évaluations réalisées au même moment. L’ingénieur Lecreulx chiffrait aussi à 12-14 millions le financement annuel des infrastructures routières24. Si l’on reprend les résultats de l’enquête de 1777, l’évaluation des besoins se chiffre à plus de 18 millions. Selon Mahuet, « le travail personnel de la corvée, ou la valeur des contributions libres qui la remplaçoient » ont été évalués à 20 millions25 ». La variation de ces chiffrages révèle à elle seule la difficulté à évaluer globalement le montant des besoins en termes de financement routier.
16L’édit de février 1776 mentionne explicitement ce seuil de 10 millions de Lt que l’imposition ne saurait dépasser pour l’ensemble des pays d’élections. Même si Trudaine de Montigny considérait comme Turgot qu’il ne fallait pas fixer le montant annuel de l’imposition, il lui avait conseillé tout au moins d’indiquer une quotité maximale, légèrement majorée pour tenir compte de dégrèvements divers susceptibles de rogner le montant escompté de l’impôt. Pour s’assurer qu’une telle somme serait suffisante pour couvrir les dépenses routières, Trudaine de Montigny se procura le relevé de l’imposition des vingtièmes collectés dans les vingt généralités. Selon ses informations, la recette totale de l’imposition s’élevait à 34 millions, dont il fallait retrancher le produit de la ville de Paris qui finançait déjà le pavé (soit 3 millions). C’est donc sur la base de 31 millions qu’il convenait de déterminer la quotité de la nouvelle contribution. Trudaine de Montigny se livra alors à des simulations à partir de deux généralités en adoptant tantôt une quotité d’un cinquième, tantôt d’un quart.
17Quelle que soit la quote-part retenue, ces estimations se situent très en-dessous des besoins de financement et du montant fixé pour la contribution supplétive à la fin de l’Ancien Régime. Turgot se refusa toutefois à mentionner un taux d’imposition, considérant que la contribution ne devait « jamais être regardée comme une imposition ordinaire et fixe pour la quotité27 ». Le montant de la contribution et donc sa quotité devaient être déterminés chaque année en fonction des dépenses programmées dans les différentes généralités, et étaient susceptibles de varier d’un exercice à l’autre. La quantité de travaux à faire exécuter servant de base au calcul du montant à imposer, la totalité des sommes collectées devait en principe être dépensée dans le cadre de l’exercice comptable. Si toutefois la somme prélevée n’était pas entièrement dépensée, il était prévu de déduire le reliquat du montant de l’imposition de l’année suivante. Symétriquement, en cas de surcoûts inopinés, les avances consenties par les entrepreneurs seraient reportées sur le montant de la contribution à lever pour l’exercice suivant. Seul le premier cas de figure est évoqué dans l’édit de février 1776 soucieux de donner des gages politiques sur la rigueur comptable de la nouvelle contribution.
18La décision de fixer au plus juste l’assiette du prélèvement revenait à borner les travaux à engager. Cette mesure était une garantie politique donnée aux cours souveraines et avait pour objectif de lever les craintes, relayées notamment par le comte de Maurepas, que les intendants soient tentés avec les ressources financières de la corvée en argent de multiplier les chantiers, au risque d’entraîner une inexorable augmentation de l’imposition. Un tel plafonnement tendait toutefois à hypothéquer les investissements futurs pour étendre le réseau routier. À mesure qu’il devait s’étendre, le risque de distorsion entre le montant autorisé de l’imposition et l’évolution tendancielle des besoins de financement ne manquerait pas de se poser.
19Cette enveloppe fiscale, calculée sur la base des travaux routiers, devait devenir d’autant plus contraignante que la nouvelle contribution était censée financer également les indemnités dues aux propriétaires fonciers en contrepartie de leur participation au financement des infrastructures. Une somme de 500 000 Lt était à prévoir selon Perronet. Jusqu’alors la situation était pour le moins confuse, soit que l’administration n’ait pas disposé de fonds affectés à cet objet, soit que l’absence de règles uniformes en matière d’expertise ait suscité de nombreuses réclamations. Turgot ne faisait en somme que systématiser des initiatives éparses d’indemnisation (Guyenne, Caen, Alençon, Rouen…) en imputant sur la contribution représentative de la corvée l’indemnisation des propriétaires expropriés par l’alignement d’un nouveau tracé routier, ou concernés par l’extraction de matériaux.
20L’engagement de contenir la nouvelle contribution en-dessous du seuil de 10 millions de Lt va de pair avec une volonté de minimiser les coûts de construction et d’entretien. L’adjudication des nouveaux ouvrages et la conclusion des baux d’entretien, conjuguées à une modification des techniques routières, devaient contribuer à réduire les débours tout en améliorant la longévité des infrastructures. La méthode mise au point par l’ingénieur de la généralité de Limoges, Pierre Trésaguet, et exposée dans un Mémoire sur la construction des chemins de la généralité de Limoges (1775), avait été validée par l’assemblée des Ponts et Chaussées qui avait décidé d’en adresser une copie aux ingénieurs des différentes généralités. Trésaguet prétendait pouvoir réduire le coût de construction en diminuant de moitié la bande d’empierrement (9-10 pouces au lieu de 21, soit 24-27 cm)28. Plus économiques à la construction, ces routes réclamaient en revanche un entretien régulier. Symétriquement la réduction de la largeur des axes routiers devait permettre de diminuer à la fois les indemnités dues aux propriétaires expropriés et les dépenses d’entretien. Un arrêt, rendu le même jour que l’édit fiscalisant la réquisition en travail, réduisait de 60 pieds (19,5 m) à 42 pieds (13,6 m) la largeur des routes et modifiait le classement qui orientait la politique d’équipement.
Tableau 13. – La nouvelle nomenclature routière (1776)29.
Désignation de la route | Fonction dans le réseau | Largeur |
Routes de première classe | « qui traversent la totalité du royaume, ou qui conduisent de la capitale dans les principales villes, ports et entrepôts de commerce » | 42 pieds |
Routes de seconde classe | « par lesquelles les provinces et les principales villes du royaume communiquent entre elles, ou qui conduisent de Paris à des Villes considérables » | 36 pieds |
Routes de troisième classe | « qui ont pour objet la communication entre les villes principales d’une même province, ou de provinces voisines » | 30 pieds |
Routes de quatrième classe | « les chemins particuliers, destinés à la communication des petites villes ou bourgs » | 24 pieds |
Une déstabilisation du système de financement
21La décision arrêtée par Turgot en mai 1775 de supprimer la corvée et de suspendre le travail gratuit prit de court les autorités locales, en les obligeant à bousculer la planification des travaux et à revoir dans l’urgence les modalités de leur financement. À la fin de l’année 1774, les inspecteurs généraux des Ponts et Chaussées (Dubois, de Voglie, Hue et Trésaguet) réunis à l’initiative de Trudaine de Montigny, avaient suggéré, dans l’attente du recouvrement de la nouvelle imposition prévue pour septembre 1776, d’employer des fonds de charité, de rogner sur les dépenses à prévoir pour les ouvrages d’art, et de débloquer un secours extraordinaire de 322 000 Lt. Ce fonds était à répartir entre les généralités selon leur densité et l’importance de leurs liaisons routières, et en fonction du montant des fonds de charité dont elles étaient gratifiées30. Quand Turgot se résolut à supprimer la corvée en travail en 1775, les ingénieurs furent chargés, avant même de composer les devis qui devaient servir de base aux futures adjudications, de sérier les travaux en fonction de leur degré de priorité. La situation était d’autant plus confuse que la première saison de corvée était déjà engagée. Pour la route de Paris-Compiègne que le roi devait emprunter en juin 1775 pour se rendre à Reims à l’occasion de son sacre, il était trop tard pour faire procéder autrement que par corvée ; il était tout au plus possible de l’alléger en augmentant le nombre de paroisses réquisitionnées. Alors que les dépenses incompressibles d’entretien se chiffraient à 42 000 Lt, l’intendant estimait disposer d’une marge de manœuvre très limitée31. En échange d’une réduction drastique des dépenses, il obtint l’autorisation de reverser dans la caisse des Ponts et Chaussées la somme de 15 000 Lt correspondant aux fonds que le receveur général des finances destinait aux ateliers de charité. Tout en espérant achever par la corvée d’automne les ouvrages qui n’auraient pas pu être menés à bien faute de moyens suffisants, l’intendant se conforma à la décision du Contrôle général en graduant les exigences en fonction du niveau de fortune des corvéables32.
22Bien qu’elle ait été imposée par lit de justice, la contribution ne fut pas appliquée. Or, depuis mai 1775 près de deux saisons de corvée s’étaient écoulées au cours desquelles les chantiers routiers furent singulièrement ralentis, quand ils n’avaient pas été arrêtés. En juin 1776 Trudaine de Montigny se lamentait de l’abandon des travaux et de l’ampleur des dégradations depuis un an33. Au lendemain de la disgrâce de Turgot, le nouveau contrôleur général J.-E.-B. Clugny de Nuits, dans l’attente d’une solution de financement, se borna à accorder à l’administration des Ponts et Chaussées un crédit provisoire de 500 000 Lt, alors que Trudaine de Montigny estimait le coût des réparations à 1 500 000 Lt34. Par une lettre circulaire adressée le 16 juin 1776, le Contrôleur général informa les intendants qu’ils ne devaient compter que sur de maigres subsides, destinés prioritairement à l’approvisionnement des matériaux. Il leur fut demandé d’indiquer les ouvrages à faire à la saison d’automne et les moyens qu’ils comptaient y employer pour y pourvoir. Ils étaient en outre consultés sur les conditions d’application que l’édit de février de 1776 était susceptible d’avoir dans leur circonscription35. Finalement par la déclaration du 11 août 1776, la corvée en travail fut rétablie pour la saison d’automne36. Après plus d’un an d’interruption, depuis l’ordre donné aux intendants en mai 1775 de suspendre la réquisition, les intendants durent commander à nouveau les communautés corvéables qu’il ne fut pas toujours facile de remettre au travail37. Seules étaient concernées par cette décision les contrées où la corvée en travail était en vigueur avant 1775. Dans les généralités qui avaient opté soit pour le rachat (Caen, Alençon, Rouen…), soit pour l’imposition (Limoges), la situation restait inchangée38. Les fonds collectés devaient seulement être prioritairement investis dans l’entretien. Alors que la réforme de Turgot avait eu pour ambition de normaliser le système de financement des routes, son échec sanctionnait la disparité des arrangements locaux.
23L’instruction du 6 septembre 1776 laissa en fait aux communautés le choix d’opter pour la réalisation de leurs tâches en travail ou d’adjuger les travaux à leur frais moyennant une contribution proportionnelle à la taille39. Ce texte inaugurait un nouveau mode de répartition assignant à chaque communauté une tâche globale en raison du nombre d’habitants, qui devait ensuite être répartie au prorata de la cote d’imposition des taillables. Ce mode de répartition, qui a pour objectif de faire supporter l’essentiel de l’effort fiscal aux contribuables les plus fortement imposés et de soulager en proportion les plus modestes, ne semble toutefois pas avoir été appliqué.
24Plusieurs intendants se décidèrent alors pour le rachat optionnel (Amiens, Lyon, Bordeaux…), quitte parfois à braver l’hostilité des plus riches qui pouvaient avoir intérêt à ce qu’il n’y ait pas d’adjudication, quand le rachat est proportionnel aux facultés et non plus aux forces. Ce mouvement fut d’ailleurs loin d’être général et de s’imposer aisément : dans la généralité de Lyon, le rachat décidé en 1777, fut suspendu jusqu’en mai 1778 avant d’être finalement imposé en 1781. L’intendant de Soissons dut renoncer quant à lui à son projet de commutation.
25L’échec de la réforme de Turgot et les réactions qu’il suscita marquent donc en 1776 une césure majeure en ce qu’elle avive les prises de position sur la corvée, que ce soit pour en reconnaître la légitimité dans une société hiérarchique où le travail comme l’impôt revêtent un fort pouvoir d’assignation identitaire, ou pour souligner les difficultés concrètes à lui trouver un substitut. Cette séquence réformatrice pose plus largement la difficile question de la conciliation entre une exigence d’équité fiscale et l’efficacité d’un mode financement pour les voies existantes comme pour les liaisons routières qui restent à construire.
Les enjeux de la commutation
26L’échec de la contribution foncière ouvre une période d’incertitude dans le financement des infrastructures, alors même que les travaux d’entretien pressent. Solutions par défaut, le rétablissement de la corvée et l’extension du rachat optionnel vont susciter toute une série d’investigations menées concomitamment par le Contrôle général et par les parlements, et un ensemble de propositions émanant des cercles lettrés. Celles-ci se révèlent essentielles à étudier pour les intérêts et les intentions qu’elles révèlent, les représentations et les valeurs qu’elles déploient, et les critères d’évaluation qu’elles mettent en œuvre. La solution au problème du financement routier doit alors composer avec une exigence d’équité, des pressions politiques et des contraintes de coûts qui laissent une marge de manœuvre assez étroite.
L’enquête du Contrôle général en 1777 : la corvée en quête de mesure
27Au lendemain de l’échec de la réforme de Turgot l’enquête devient un mode privilégié pour recueillir des informations susceptibles de fournir à la monarchie des indications objectives sur la dépense à prévoir et les investissements à programmer, et pour éclairer les décisions politiques. En prenant en compte l’ensemble des pays d’élections, deux enquêtes, ordonnées par le Contrôle général en 1777 et 1781, confirment le changement du territoire de référence pour l’appréhension de la corvée. Elles obéissent toutefois à des logiques différentes mais complémentaires : la première a vocation à objectiver la quantité de travail et le coût de la corvée nécessaires pour assurer l’entretien des voies existantes et entreprendre les liaisons encore à ouvrir ; la seconde vise à dresser une cartographie des régimes de corvée et à faire un état des lieux des travaux routiers.
28L’enquête de 1777, tout en postulant le possible maintien de la corvée, propose pour la première fois un chiffrage détaillé. Quelques mois après sa nomination comme Directeur général des finances, Necker adressa le 8 septembre 1777 aux intendants un questionnaire comportant quatorze items40. Cette enquête a d’abord vocation à estimer le nombre de travailleurs nécessaires à la construction et à l’entretien des routes afin d’évaluer le coût de la dépense à engager41. La collecte des informations au niveau local échappe pour l’essentiel à l’investigation faute de sources, à l’exception notable de la généralité de Riom42. Cette enquête contribue surtout à rendre la corvée mesurable en décomposant des éléments qui participent à la formation de son coût, à savoir le nombre de manœuvres à prévoir, le volume de journées à planifier et le prix du travail. Ce décompte prospectif concernait non seulement les journaliers à employer sur les chantiers mais aussi les voitures à utiliser pour le transport des matériaux.
Tableau 14. – Évaluation prospective des besoins en main-d’œuvre43.
Généralités | Nombre d’habitants44 | Nombre de corvéables | % du nombre de corvéables par rapport au nombre d’habitants |
Alençon | 528 300 | 75 000 | 14,1 % |
Amiens | 533 000 | 65 000 | 12,1 % |
Auch | 813 000 | 82 552 | 10,1 % |
Bordeaux | 1 439 000 | 125 000 | 8,6 % |
Bourges | 512 500 | 42 800 | 8,3 % |
Châlons | 812 800 | 104 400 | 12,8 % |
Grenoble | 664 600 | 80 000 | 12 % |
La Rochelle | 479 700 | 33 500 | 6,9 % |
Limoges | 646 500 | 50 000 | 7,7 % |
Lyon | 633 600 | 127 500 | 20,1 % |
Metz | 349 300 | 44 520 | 12,7 % |
Moulins | 564 400 | 318 00 | 5,6 % |
Nancy | 834 600 | 160 000 | 19,1 % |
Orléans | 709 400 | 41 000 | 5,7 % |
Poitiers | 690 500 | 35 000 | 5 % |
Riom | 681 500 | 156 000 | 22,8 % |
Rouen | 740 700 | 37 000 | 4,9 % |
Soissons | 437 200 | 33 332 | 7,6 % |
Tours | 1 338 700 | 221 411 | 16,5 % |
Valenciennes | 265 200 | 11 578 | 4,3 % |
29Ces données évaluent le nombre de corvéables nécessaires chaque année à la réalisation des travaux routiers, même si quelques intendants ont indiqué le nombre effectif de corvéables employés sur les routes de leur généralité (Alençon, Poitiers, Grenoble).
30À partir des vingt généralités pour lesquelles on dispose de données chiffrées, c’est donc plus d’1,5 million de corvéables qui seraient nécessaires aux chantiers routiers. Cette estimation est très inférieure aux 2,6 millions de corvéables indiqués par Lecreulx45. Le pourcentage de corvéables n’est toutefois significatif qu’à condition d’être rapporté à la densité du réseau routier dans chacune de ces généralités.
Tableau 15. – Ratio entre le nombre de corvéables et la longueur de routes (à l’entretien, commencées ou en projet).
Généralités | Nombre de corvéables | Longueur du réseau routier (lieues)46 | Nombre de corvéables par km |
Alençon | 75 000 | 183 | 105 |
Auch | 82 552 | 1215 | 17 |
Bordeaux | 125 000 | 752 | 42 |
Châlons | 104 400 | 673 | 39 |
Grenoble | 80 000 | 297 | 69 |
Limoges | 50 000 | 299 | 43 |
Metz | 44 520 | 244 | 47 |
Nancy | 160 000 | 573 | 310 |
Orléans | 41 000 | 344 | 30 |
Riom | 156 000 | 223 | 179 |
Rouen | 37 000 | 116 | 82 |
Soissons | 33 332 | 257 | 33 |
Valenciennes | 11 578 | 73 | 40 |
31Malgré l’incertitude des évaluations proposées quant au nombre de corvéables, qui peuvent renvoyer tantôt à une réserve hypothétique de travailleurs tantôt à un comptage des effectifs réellement mobilisés, le calcul du nombre unitaire de corvéables par kilomètre suggère d’évidents déséquilibres selon les généralités. Celles de Nancy, de Riom et d’Alençon apparaissent relativement mieux pourvues en main-d’œuvre, ce qui ne préjuge toutefois pas de leur emploi à des travaux requérant un investissement en travail différencié.
32Cette quantification des besoins de main-d’œuvre présente surtout l’intérêt de proposer une ventilation en fonction des types d’ouvrages routiers. Les affectations qu’envisagent les intendants entre les tâches d’entretien et les ouvrages de construction font apparaître des choix très différents d’une généralité à l’autre (tableau 16).
33Une telle évaluation pose surtout le problème de déterminer un rapport entre ces deux emplois de la corvée qui ne sauraient être figés dans le temps.
34L’enquête de 1777 fait également du temps de corvée une catégorie commensurable pour estimer le coût d’une rémunération des journaliers, et a fortiori le montant prévisionnel de l’imposition. Ce n’est véritablement qu’à l’occasion de cette consultation que le décompte des jours devint explicitement un objet d’enquête47. L’objectif de l’enquête de 1777 est en effet de chiffrer le financement des travaux routiers. Le dénombrement des hommes préposés au travail des routes et l’évaluation des journées de travail sont destinés à estimer la dépense en pain ou le montant des rétributions en argent que la monarchie accorderait aux seuls journaliers affectés à l’entretien des routes. En l’espèce ce système de « secours » s’apparente aux ateliers de charité dont Necker voulait faire largement bénéficier les campagnes qui par l’impôt contribuaient à leur financement48.
35Si plusieurs intendants proposent de faire distribuer du pain aux manœuvres à l’issue de leur journée de travail, soit par l’intermédiaire des curés (Lyon) soit des syndics (Amiens et Soissons), nombre d’eux (Tours, Alençon, Auch, Besançon, Grenoble) considèrent qu’un tel dispositif ne saurait apporter une réponse à la pauvreté dans les campagnes, ni inciter à une plus grande ardeur au travail. Entre la provision de rations de pain et le versement de leur équivalent en argent, les intendants se prononcent majoritairement pour la seconde option. La proposition de Necker d’indemniser les seuls manœuvres, tandis que les voituriers, présumés plus riches seraient réquisitionnés gratuitement, suscite au nom de l’équité, de vives réclamations (Tours, Alençon, La Rochelle, Montauban, Riom, Moulins, Poitiers, Roussillon, Châlons, Bourges). Pour les mêmes raisons, il paraissait injuste (Châlons, La Rochelle et Soissons) et coûteux (Alençon, Auch, Limoges et Orléans) de ne payer que les ouvriers affectés à la remise en état et à la construction des routes.
36Structuré en deux rubriques successives – corvée en argent et corvée en nature –, le questionnaire débutait assez paradoxalement par la prestation monétaire. Cet ordre avait-il vocation à signifier la préférence de Necker, qui s’était déjà signalé par son hostilité à la corvée en travail, pour cette dernière solution50 ? La mise en balance des deux modes d’exigibilité de la corvée est plutôt à relier à son pragmatisme sur cette question :
« La France, composée de vingt-quatre millions d’habitants répandus sur des sols différents, et soumise à diverses coutumes, ne peut pas être assujettie au même genre d’impositions. Ici la rareté excessive du numéraire peut obliger à commander la corvée en nature ; ailleurs une multitude de circonstances invitent à la convertir en contribution pécuniaire51. »
37L’enquête avait précisément vocation à renseigner l’administration royale sur le régime de corvée le plus approprié à appliquer dans les différentes généralités. Les intendants étaient consultés sur l’opportunité qu’il y avait selon eux à conserver la corvée en travail, à la remplacer par une contribution en argent, ou à maintenir l’option du rachat en fonction des intérêts respectifs des propriétaires et des journaliers. Les réponses des intendants livrent des réactions très contrastées sur une consultation qui se révèle assez ouverte. L’absence d’unanimité dans les réponses des intendants ne fait que refléter la diversité de configurations locales qui rendait difficile sinon inapplicable une règle uniforme : dans certains cas, la corvée en travail était préférable en raison de la faible densité de population, de la disponibilité des matériaux de construction et de la préférence des communautés ; plusieurs intendants (Amiens, Bordeaux, Grenoble, Lyon, Metz et Soissons) aspiraient à adopter le rachat qui se pratiquait déjà dans quelques généralités. Certains reprenant le principe énoncé dans le questionnaire lui-même, d’une dissociation des modes de financement selon la nature des ouvrages, proposaient d’affecter la corvée en travail tantôt à la construction tantôt à l’entretien. L’intendant de Tours estimait ainsi que la réquisition serait préférable pour les ouvrages à construire, alors que les travaux d’entretien exigeaient une attention continue (cf. carte 3 du cahier couleur). Cette consultation donne lieu à une réflexion nourrie sur le risque de transfert induit par la contribution qui impliquerait une surcharge pénalisante pour les propriétaires par rapport aux journaliers (Orléans, Grenoble, Metz et Soissons). Pour les intendants favorables à la commutation, c’est une contribution indexée sur la taille qui est majoritairement envisagée selon des proportions variables.
38La quantification du travail corvéable devient donc un enjeu politique majeur au moment où la monarchie se préoccupe de prendre la mesure des besoins en main-d’œuvre et d’évaluer son coût pour financer les voies existantes et les liaisons routières encore à entreprendre.
Les procédures parlementaires contre le rachat
39Si le Contrôle général semble envisager le maintien de la corvée en travail ou en argent, l’opposition des cours souveraines se déchaîne localement contre le rachat. Les enquêtes diligentées par les parlements de Paris et de Bordeaux partagent une même exigence de connaissances mais pour envisager le coût de la corvée sous un angle différent. Ils se placent sur le terrain fiscal pour dénoncer le poids de la commutation et réaffirmer leur préférence pour la réquisition en travail.
40Les remontrances des parlements sur la corvée, dont la série débute avec celles de Toulouse en 1756 contre le vingtième pour culminer avec les protestations du parlement de Paris en 1776 contre le projet d’impôt territorial de Turgot, ont été abondamment étudiées pour la rhétorique politique qu’elles mobilisent, pour la contestation de l’autorité monarchique dont elles sont porteuses, et pour la crispation des privilégiés sur le dossier fiscal dont elles rendent compte. Si les cours souveraines se sont fortement mobilisées contre l’impôt territorial, elles ont aussi contesté le rachat de la corvée, alors même que les privilèges fiscaux de leurs membres n’étaient pas directement menacés, pour dénoncer l’alourdissement de la pression fiscale que dissimulerait cette forme de commutation. On a vu que déjà lors du conflit qui l’opposa à Fontette, le parlement de Rouen avait songé à engager une telle procédure d’enquête. Entre 1776 et 1783 les parlements de Paris et de Bordeaux diligentèrent à leur tour de nouvelles investigations pour dénoncer la contrainte fiscale que ne manquerait pas d’entraîner selon eux le rachat optionnel. Les communautés seraient fortement incitées à préférer la conversion de leur tâche, plutôt que de se charger elles-mêmes de l’exécution des travaux. L’option serait illusoire pour les communautés les plus éloignées de la route qui se verraient contraintes, sauf à perdre un temps précieux aux travaux agricoles, de préférer le rachat. Les réserves mises à la réception des ouvrages exécutés par les communautés seraient également un moyen de les dissuader d’exécuter elles-mêmes les travaux.
41Une première enquête fut lancée en 1776 par le parlement de Paris dans l’étendue de son ressort pour relever les principaux abus constatés par les substituts du procureur général de bailliage (collusion entre l’administration royale et les entrepreneurs, absentéisme des piqueurs, abonnements contraints et ruineux, éloignement des matériaux, répartition inégale des tâches…)52. Le 4 septembre 1777 le procureur général du parlement de Paris, Joly de Fleury, confia à ses substituts le soin de mener une seconde enquête sur le vingtième des biens-fonds et sur la corvée53. Les raisons de cette conjonction des deux questions au sein du même protocole d’enquête n’est d’ailleurs pas claire, alors que le projet de Turgot de substituer à la corvée en travail une contribution indexée sur le vingtième n’était plus d’actualité. Les réponses concernant spécifiquement la corvée rendent compte de la confusion qui règne au niveau local dans l’administration au lendemain de la réforme avortée de 1776.
42Tantôt les communautés s’étaient prononcées par délibération en faveur de l’adjudication des travaux ; tantôt les corvéables rachetaient individuellement les tâches qui leur étaient imposées ; à certains endroits une imposition avait remplacé la réquisition en travail54, tandis que la corvée en nature continuait d’être exigée aux communautés qui n’étaient pas en mesure de faire faire leur tâche à prix d’argent. Cette enquête dessine non seulement la géographie complexe des régimes de corvée, mais pointe également toute une série de vexations et de dysfonctionnements dans l’organisation des chantiers, qui expliquent que les travaux ne sont pas réalisés ou le sont partiellement. Cette procédure s’inscrit plus largement dans l’offensive engagée par le parlement de Paris pour dénoncer les initiatives gouvernementales et locales en faveur de la commutation. Par un projet de déclaration en 1778, il réclamait d’ailleurs le rétablissement de la corvée en travail sans possibilité de rachat55.
43C’est en dans la généralité de Bordeaux que s’engagea un véritable bras de fer entre le parlement et l’intendant, exacerbé par des raisons locales qui expliquent en partie la virulence du conflit56. Par une ordonnance du 16 novembre 1776, Dupré de Saint-Maur avait introduit le rachat pour couper court aux difficultés et aux contestations relatives à la réquisition57. Dans le courant du mois de janvier 1777, les subdélégués furent chargés de compiler, pour chacune des paroisses de leur ressort, les rôles de la taille dans les élections de Bordeaux, de Périgueux et de Sarlat et ceux de la capitation dans les ressorts de Condom et d’Agen. L’introduction du rachat optionnel plafonné au tiers de la taille suscita aussitôt de vives résistances, d’autant que la corvée n’était plus exigée dans la généralité depuis près de deux ans, après qu’une épizootie ait obligé les autorités à surseoir à la réquisition des bêtes58. L’intendant avait même dû se résoudre à annuler la corvée du printemps 177859. Autant que l’introduction du rachat, c’est la résolution de Dupré de Saint-Maur de faire adjuger les arriérés de tâches non réalisées qui déclencha les hostilités entre l’intendant et les cours souveraines. Le 2 juillet 1779 lors d’une réunion solennelle du parlement fut rendu un arrêt qui cassait les ordonnances prises jusqu’alors par Dupré de Saint-Maur, lui interdisait de faire lever aucune taxe à moins qu’elle n’ait fait l’objet d’un enregistrement, et réclamait le rétablissement de la corvée en nature. En réponse à une ordonnance de l’intendant qui étendait le rachat de la corvée aux redevables de la capitation dans les deux élections de taille réelle (Condom et Agen), le parlement ordonna en mars 1783 une vaste enquête pour évaluer l’augmentation des exigences fiscales et dénoncer le caractère forcé du rachat. Assignés par exploit d’huissier devant les lieutenants généraux des différentes sénéchaussées et pour celle de Bordeaux devant la Grande Chambre du parlement de Bordeaux, les 198 témoins auditionnés déposèrent sous serment. Parmi eux figurent des syndics, d’anciens collecteurs du rachat de la corvée, des jurats ou des consuls, des adjudicataires de travaux, mais aussi des voituriers, des juges, des médecins… Selon Dupré de Saint-Maur la sélection des témoins, parce qu’elle était sujette à caution, laissait augurer d’une procédure partiale60. Ces dépositions, parfois assorties de pièces justificatives généralement à charge contre l’adjudication des tâches de corvée, furent imprimées pour révéler la multitude d’abus causés par le rachat et démontrer l’alourdissement des exigences fiscales61.
44Comme Fontette avant lui, qui avait dû affronter en 1760 l’hostilité du Parlement de Rouen, Dupré de Saint-Maur entreprend de justifier ou de faire justifier son action en intervenant dans le débat public. La Lettre d’un subdélégué de la généralité de Guyenne à Monsieur le duc de ***, relativement aux corvées, publiée de façon anonyme en 1784, s’attache à démontrer la partialité du procès que le parlement de Bordeaux entend instruire contre la décision de l’intendant. Plaidoyer pour le rachat et libelle contre l’intransigeance partisane des magistrats, cette lettre est l’occasion, pour le commissaire départi ou un de ses subdélégués, d’exposer ses propres idées sur la corvée en travail. Si selon lui elle n’est pas adaptée à l’entretien des routes qui requiert l’intervention quotidienne de cantonniers, elle convient mieux à la construction des nouvelles infrastructures. La réforme idéale qu’il appelle de ses vœux consiste donc, de préférence au système de rachat optionnel, dans la levée d’une contribution en argent fixée à 1/15e ou à 1/12e des impositions (taille et capitation) de la généralité (les sommes collectées s’élèveraient respectivement selon le taux retenu à 416 514 Lt ou 520 642 Lt), et affectée au paiement des cantonniers. Cette dépense, qu’il évalue à la moitié de la valeur du travail fourni par les communautés, pourrait même être diminuée en conservant des corvées pour le transport des matériaux. Le second texte composé par Dupré de Saint-Maur en personne, intitulé Mémoire important sur l’administration des corvées dans la généralité de Guyenne et observations sur les remontrances du parlement de Bordeaux du 13 mai 1784, et publié en janvier 1785, se veut une réponse circonstanciée aux résultats de l’enquête qu’avait diligentée le parlement de Bordeaux. Sur les 135 pages que compte cet opuscule, 118 s’attachent à réfuter pied à pied les conclusions des magistrats dénonçant l’alourdissement fiscal que causerait le rachat. Dans son mémoire, Dupré de Saint-Maur reprend des extraits de la procédure parlementaire et cite précisément les lieux et les numéros des témoignages, avant de répondre en détail aux allégations et aux critiques. Là où le parlement feint de constater une forte progression entre le montant du rachat en 1777 et les sommes imposées au cours des années suivantes, Dupré de Saint-Maur rétorque que la contribution de 1777 ne correspondait en fait qu’à une saison de corvée. À partir d’un échantillon de treize paroisses pour montrer chiffres à l’appui l’économie que représente le rachat par rapport à la corvée en travail62. De façon plus générale, le mémoire de Dupré de Saint-Maur fourmille de données chiffrées (longueurs des tâches, prix du transport, nombre de paroisses par subdélégation, montant des adjudications…) pour répondre par des arguments factuels aux allégations du parlement et dénoncer les conclusions biaisées de ses investigations. À l’appui de son exposé, Dupré de Saint-Maur a beau jeu de dresser un état des travaux de corvée imposés en nature ou en argent dans dix subdélégations entre 1777 et 178363. Sur la base de cet échantillon, il apparaît que les sommes effectivement collectées au titre du rachat ne se montaient qu’à 26,7 % des recettes escomptées.
45L’opposition politique des parlements au rachat s’appuie donc sur de minutieuses investigations destinées à prendre la mesure du coût fiscal de cette forme de commutation. Ce faisant, après avoir récusé l’imposition des propriétaires fonciers, ils vont largement contribuer à hypothéquer cette autre alternative à la corvée en travail. Il reste dès lors une troisième option, à savoir une contribution générale telle que l’avait expérimentée Turgot comme intendant du Limousin.
Les propositions du monde savant
46À une époque où les concours académiques s’imposent comme des vecteurs privilégiés de mobilisation de l’opinion publique éclairée, la question de la corvée ne pouvait pas échapper à cette pratique intellectuelle. À l’occasion d’un concours organisé en 1776 par la société d’agriculture de Lyon sur l’entretien des chemins de traverse il avait déjà été question de la corvée. Après le succès du concours de 1777 sur les moyens de résorber la mendicité, l’Académie de Châlons-sur-Marne proposa l’année suivante un sujet qui présente d’évidentes résonances économiques et sociales avec le précédent. La question au concours – « Quels sont les moyens les moins onéreux aux peuples de construire et d’entretenir les grands chemins » – aurait inspiré selon Pommereul, un de ses participants, plus de quarante mémoires64. Seuls neuf d’entre eux sont connus à partir des rapports du jury. Ces mémoires obéissent à un canevas assez stéréotypé : leurs auteurs commencent par envisager tour à tour les ressources que pourraient offrir des modes alternatifs de financement, avant de faire valoir la solution qu’ils préconisent. Quand la corvée n’est pas le sujet même du concours, elle est présente en filigrane à travers la question de l’assistance au cœur du concours lancé par l’Académie de Châlons-sur-Marne en 1783 (« Sur les moyens d’améliorer en France la condition des laboureurs, des journaliers vivant à la campagne, celle de leurs femmes et de leurs enfants ») et remporté par Clicquot de Blervache65. À ces textes composés à l’occasion de ces concours vient s’ajouter une floraison d’ouvrages qui s’attachent au même moment à évaluer les divers choix possibles pour le financement des routes du royaume66. Rares sont les auteurs qui préconisent alors le maintien de la corvée en travail. C’est la position que défendait l’abbé de Vitry, secrétaire perpétuel de la société royale d’agriculture de Lyon, dans le mémoire qu’il composa pour le concours de 1776, à condition d’en dispenser les plus pauvres. Il rejetait l’idée d’une imposition qui n’interdisait pas le rétablissement éventuel de la corvée en travail67. Les autres propositions livrent un répertoire précieux d’arguments et d’évaluations servant à démontrer l’opportunité d’un choix de financement à moindre coût ou à meilleur coût par rapport à d’autres options possibles. La première question que posent ces différents écrits est de déterminer comment en lieu et place de la corvée pourvoir aux besoins de main-d’œuvre sur les chantiers routiers. L’autre dimension du problème est de trouver les moyens financiers pour subvenir à la dépense.
47L’idée d’employer les galériens n’est pas nouvelle, mais resurgit alors dans l’éventail des propositions qui fleurissent après l’échec de Turgot68. L’emploi sur les chantiers routiers de condamnés qui devraient être libérés de leurs entraves et qui seraient munis d’outils susceptibles d’être retournés comme des armes, n’était toutefois pas sans danger. En outre il pouvait être déshonorant pour d’honnêtes paysans de côtoyer des condamnés de droit commun69. Le coût de la surveillance de la main-d’œuvre, le risque de fuite et l’insuffisance des effectifs ne plaidaient guère pour cette solution70. Le recours à cette main-d’œuvre criminelle était d’ailleurs plutôt conçu comme un complément à l’emploi de travailleurs rémunérés. Composé sous la forme d’un dialogue, le mémoire no 29 soumis au concours de Châlons proposait de réduire la facture du financement routier à six millions, voire à trois en conjuguant la diminution de la largeur de la bande roulante et la création de « Milices nationales de pionniers » composées en partie de travailleurs équipés par les communautés villageoises et en partie de criminels condamnés aux galères, de déserteurs et de vagabonds.
48La réforme de la corvée réactive également l’idée de la dimension morale et rédemptrice du travail. Plusieurs voix évoquent ainsi la réquisition des mendiants qui par leur inutilité menacent l’ordre social. Cette proposition n’est en soi pas nouvelle71. Le mémoire numéroté 28, qui concourt pour le prix de l’Académie de Châlons-sur-Marne en 1778 proposait, par souci d’économie, d’employer 300 000 mendiants et vagabonds enfermés dans des « dépôts des corvées royales » établis toutes les six lieues le long des routes royales et des chemins de traverse. Le rapport sur ce mémoire pointait la difficulté à prévoir un effectif stable de travailleurs « attendu que la mendicité n’est pas un crime assez punissable pour être condamné aux travaux pour cette vie72 ». Comme dans le cas des galériens, le coût à prévoir pour la surveillance des chantiers rendait cette solution peu praticable73.
49La réquisition des soldats est également avancée comme un moyen de remplacer la corvée, d’autant que l’armée avait servi pour des travaux de canalisation. Cette alternative possible à l’emploi de la main-d’œuvre paysanne se retrouve aussi bien sous la plume des parlementaires mobilisés contre l’imposition foncière, que celle des Physiocrates qui en sont les plus ardents promoteurs, ou d’autres auteurs comme A.-N. Isnard ou le comte de Pawlet. Dans ses remontrances de 1776, le parlement de Paris avait suggéré d’affecter en temps de paix 100 000 hommes pour travailler aux routes pendant un mois au printemps et à l’automne74. Ces propositions s’intègrent plus largement dans une réflexion qui préconise une refonte de l’instrument militaire pour le mettre au service de la nation. Alors que l’on aurait pu s’attendre à voir resurgir l’idée de recourir à la troupe avec la fin de la guerre d’Amérique, elle semble paradoxalement s’effacer du débat savant. L’argument du coût est encore une fois rédhibitoire dans la mesure où il faudrait rémunérer ces soldats. Les avis divergent d’ailleurs sur le taux de rémunération de cette main-d’œuvre militaire affectée à des travaux civils. Fallait-il les salarier comme des ouvriers civils ou à un taux inférieur75 ? Quel que soit le mode de rémunération retenu, l’emploi de la troupe constituait une solution onéreuse, même si l’endurance des soldats conjuguée à la rigueur de la discipline militaire pouvait laisser augurer une productivité du travail supérieure et des ouvrages de meilleure qualité. À la question du coût, s’ajoutaient d’autres considérations telles que le caractère dégradant de ce genre d’occupation pour des soldats et le risque d’un abandon des chantiers routiers en cas de guerre.
50La solution qui recueillit le plus de suffrages fut celle qui consistait à rémunérer la main-d’œuvre réquisitionnée. Elle présentait l’avantage de tirer profit du sous-emploi et de pallier l’incertitude pesant sur la capacité des entrepreneurs de travaux publics à mobiliser la main-d’œuvre nécessaire76. C’est précisément l’option promue par les candidats dont les mémoires ont retenu l’attention du jury du concours de 1776 et a fortiori par le lauréat. Avec la préférence pour le travail salarié se pose la question des ressources financières à mobiliser pour payer les manœuvres employés sur les chantiers routiers.
51La tarification des infrastructures routières s’affirme après 1776 comme une alternative possible à la corvée en travail. Elle est présentée comme un mode de financement plus équitable que la corvée des taillables et même que l’imposition des propriétaires, dans la mesure où le péage fait supporter aux usagers le coût de construction et d’entretien des voies qu’ils empruntaient. Le péage n’est toutefois pas le seul moyen pour faire supporter le coût de construction et d’entretien aux usagers de la route. Le comte d’Elbée proposait de financer l’entretien des routes par une retenue sur le prix des places d’un service de voitures légères (14 515 200 Lt)77. Fenis de Saint-Victor suggérait de confier l’entretien des routes aux maîtres de postes dont l’activité était directement liée à l’état de la chaussée et qui disposaient de chevaux pour le transport des matériaux78. L’inspecteur des Ponts et Chaussées Courmont proposait quant à lui d’affermer le roulage à une compagnie, qui en contrepartie assurerait l’entretien de toutes les routes du royaume79. Au sein même de l’État, la tarification des infrastructures fut envisagée comme une alternative possible à la corvée. Le contrôleur général Bertin aurait été tenté de recourir aux péages à l’issue de la guerre de Sept ans80. Aux dires de Fer de la Nouerre, Turgot, alors qu’il était encore intendant du Limousin, aurait lui aussi songé un temps à remplacer la corvée par des péages : « Mais l’opinion à cette époque, était tellement tournée vers l’idée de la liberté indéfinie qu’on devait laisser au commerce, que les barrières furent également proscrites, même sans vouloir examiner les avantages excessifs que cette nature d’impôt avait sur les autres impôts81. » En 1771, un projet d’édit prévoyait d’instaurer un droit sur les voituriers tant par terre que par eau et une augmentation de 5 sous par cheval de poste82. Parmi les réponses à la lettre circulaire que Turgot leur avait adressée en août 1775, les intendants de Grenoble, de Châlons et de Roussillon) avaient proposé de taxer le commerce83. Après l’échec de Turgot à mettre en œuvre le projet fiscal des Physiocrates de substituer l’imposition des propriétaires à la corvée en travail, le péage devient une alternative envisageable.
52Les exemples étrangers ne manquent pas d’être convoqués pour montrer que la tarification des infrastructures routières pourrait opportunément suppléer à la corvée en travail. Dans le cadre de la réforme économique de grande ampleur qu’il projetait de mettre en œuvre dans le royaume de France, le comte des Forges se référait ainsi à l’Autriche et à la Moldavie où les péages permettaient de se dispenser de la corvée. À l’emploi de la réquisition pratiqué en France est aussi communément opposé le modèle anglais des turnpike tolls qui, depuis la fin du XVIIe siècle permettait largement de financer l’extension du réseau des dessertes routières. Sous la plume de l’abbé Coyer, la liberté associée au péage était préférable à la « servitude de la corvée84 ». Au cours de ses voyages en Hollande, en Angleterre et dans l’Empire, Fer de la Nouerre, capitaine d’artillerie devenu sous-ingénieur des Ponts et Chaussées, n’avait vu
« ni corvée en nature, ni imposition quelconque pour les chemins. Cependant, lorsqu’il s’agit de la construction d’une route neuve, ou d’une réparation considérable, le gouvernement commande les voitures pour le transport des matériaux ; et voilà, sans doute, une espèce de corvée ; mais cette corvée est payée85 ».
53Plutôt qu’une prestation en argent qu’il jugeait à la fois onéreuse et inique, il était partisan de coupler l’instauration de péages avec une stricte limitation des chargements des voitures, comme cela se pratiquait Outre-Manche. Bien que séduisant, le modèle anglais était-il transposable en France ? Guillaumot, réagissant à l’enthousiasme manifesté par M. Grosley pour le système anglais, doutait que les recettes des turnpikes suffisent à pourvoir, au-delà de l’entretien des voies existantes, à la construction de liaisons nouvelles86. D’autres voix estimaient que si la tarification des infrastructures pouvait fonctionner dans des pays tels que le Brabant et l’Angleterre, il n’était guère adapté à la situation française. En raison de l’importance du cabotage et de la navigation intérieure, les routes britanniques moins sollicitées par le roulage réclamaient notamment moins d’entretien. Les partisans de la tarification occultent par ailleurs les vives résistances qu’elle rencontra Outre-Manche87.
54L’idée de remplacer la corvée en travail par des péages ne faisait pas, loin s’en faut, consensus dans l’opinion éclairée et dans les milieux administratifs. Imposer des péages au moment où la monarchie s’efforçait de les supprimer pouvait apparaître comme paradoxal. Non seulement le renchérissement du coût de transports ne manquerait pas de se répercuter sur les prix à la consommation, mais la perception des droits imposait de mettre en place un dispositif dispendieux. Il fallait en outre compter avec le risque que les fonds collectés ne soient détournés de leur objet et affectés à des dépenses autres que celles auxquelles ils étaient originellement destinés88. En somme la levée d’argent au moyen de péages éveillait les mêmes craintes que celles suscitées par la voie d’une imposition. Plus encore que les conséquences économiques, le coût de la perception et la rigueur de la gestion, l’instauration de ces nouveaux péages posait des problèmes délicats de calculs prévisionnels capables, pour les constructions, d’apprécier la demande de transport et d’évaluer les projets d’investissement, et pour les routes existantes d’ajuster la tarification aux besoins réels d’entretien.
55Alors qu’en Angleterre la concession constituait un puissant levier d’emprunt pour les trusts, elle n’est quasiment jamais envisagée en France comme un mode de financement des routes. L’emprunt gagé sur les recettes d’un péage ou d’une imposition constitue pourtant un mécanisme plutôt bien adapté pour le financement d’infrastructures de transport présentant des coûts élevés de construction et une longévité certaine. Certains pays d’états eurent recours à ce mode de financement soumis à la nécessaire autorisation du roi. On a vu qu’en Languedoc les diocèses ont abondamment sollicité les ressources du crédit local. Cette solution présente le double intérêt de lever une imposition moins élevée que celle qu’il faudrait percevoir chaque année pour couvrir les dépenses courantes, et de spéculer sur le dynamisme commercial induit par une meilleure viabilité pour garantir les remboursements. Ce choix de financement, outre qu’il pose le problème de la capacité à drainer le crédit sur de tels placements, semblait pour le moins hasardeux alors qu’à partir de la fin des années 1770 les taux d’intérêt à long terme enregistre une augmentation très rapide.
56L’impôt reste donc l’alternative largement plébiscitée pour suppléer à la corvée en travail. Il existait à la fin du XVIIIe siècle plusieurs modèles de financement routier par l’impôt. Si l’exemple du Languedoc revient fréquemment sous la plume des partisans de l’impôt, il est aussi révélateur de ses possibles dérives. À partir des années 1760, le montant des impositions affectées au financement des infrastructures locales enregistre une progression exponentielle : il a plus que doublé pour atteindre dans les années 1780 plus d’1,5 million, soit un quart ou un cinquième des impositions générales de la province89. Même si le Languedoc reste le modèle incontesté du financement des infrastructures routières par l’impôt, d’autres exemples ont pu être invoqués. En 1785, Calonne avait ainsi consulté Claude-François Bertrand de Boucheporn, ancien intendant de Corse fraîchement affecté dans la généralité d’Auch et Bayonne, pour recueillir son avis sur le projet de M. Dastiguères d’adopter dans le comté de Foix la dîme provinciale telle qu’elle se pratiquait en Corse90. Les propositions du monde savant livrent aussi un répertoire d’innovations fiscales. En 1776, le vicomte Charles-Gaspard de Toustain-Richebourg, représentant de la noblesse à la commission intermédiaire des États de Bretagne, soumit à l’assemblée un projet de commutation de la corvée91. Opposé à une imposition sur la seule propriété foncière, il proposait d’établir une taxe sur les célibataires (les maîtres payant pour leurs domestiques non mariés), les veufs et veuves âgés de 34 à 46 ans sans enfants, et les nobles en dormance comme les anoblis. La réforme de la corvée en travail est ainsi conçue comme un outil au service de la croissance démographique et du conservatisme social.
57L’imposition est assurément la solution promue par l’académie de Châlons en 1777 comme l’indiquent les rapports des examinateurs. Plusieurs candidats soumirent des projets allant dans ce sens. Le mémoire no 41 suggérait par exemple de lever une contribution sur les consommateurs répartis en trois classes, dont la quote-part serait indexée sur le degré d’utilité que représentaient pour eux les chemins. Le montant de cette contribution, qui pour l’essentiel devait être supportée par les citadins, serait calculé en proportion du nombre de chevaux et de voitures, et de la taille du logement au motif que les matériaux de construction sont acheminés par route. Si ce mémoire ne fut pas retenu, cinq autres candidats furent admis à poursuivre le concours92. Parmi eux figure le mémoire no 24, qui est sans doute celui composé par F.-R.-J. de Pommereul, présenté comme capitaine au corps royal d’artillerie. Après avoir passé en revue différents moyens de pourvoir à la construction et à l’entretien des routes avant de les infirmer à cause du coût de leur mise en œuvre ou de l’insuffisance des effectifs escomptés, l’auteur proposait de rémunérer les corvéables grâce à une imposition levée sans considération de privilège. Celle-ci serait indexée sur les vingtièmes pour les propriétaires, la capitation pour les rentiers non propriétaires et le vingtième d’industrie pour les autres. À raison de 3 000 lieues de chaussées restant encore à construire à échéance de 40 ans, il estimait le montant annuel de l’imposition à 8 millions de Lt. Ce prélèvement serait nécessairement amené à décroître à mesure que les routes nouvellement construites ne réclameraient plus qu’un financement pour leur entretien. Une instance centrale appelée « cour des chemins » serait préposée au contrôle de l’emploi des fonds et au respect du calendrier des procédures administratives93. Malgré des remarques critiques pointant la sous-estimation de la dépense d’entretien et la complexité de l’organisation institutionnelle du dispositif, ce mémoire fut admis à concourir94. Candidat malheureux, F.-R.-J. de Pommereul publia toutefois son texte en 1781 et composa l’article « Chemin » de l’Encyclopédie méthodique. L’auteur du mémoire no 7 prétendait quant à lui « soumettre au calcul » les avantages respectifs de la corvée en travail et de l’imposition pour déterminer en toute objectivité la solution la moins onéreuse pour le peuple. L’auteur va réduire tous les coûts induits par la réquisition en travail à des unités de force pour chiffrer et choisir, de la corvée en travail ou de l’imposition, la solution la moins onéreuse pour l’État et pour le peuple. L’auteur conclut de ses calculs que l’État y gagne plus avec l’imposition et que « la corvée en travail est moins onéreuse au peuple95 ». La différence de coût, démontrée sans doute pour la première fois par le calcul, se chiffrerait à 14 % (tableau 18).
58Bien que le rapporteur ne soit pas convaincu que le maintien de la corvée en travail, que préconisait l’auteur du mémoire, permette de soulager les journaliers les plus pauvres, son auteur fut autorisé à poursuivre le concours. Un système mixte de financement combinant une imposition de 5 à 6 millions et un péage fut également proposé96. Quant à Lecreulx, lauréat du concours de Chalons, il était partisan d’une « taxe générale » sans considération de privilège puisqu’il prévoyait d’imposer les propriétaires à raison du dixième du vingtième, dont les recettes permettraient de financer l’emploi de soldats, la réquisition de corvéables pour des chantiers de construction nécessitant d’importants transports de matériaux et l’adjudication des travaux d’entretien97.
Tableau 18. – Comparaison du coût d’exécution des travaux par corvée ou par imposition (1786).
Postes de dépense | Corvée en travail (Lt) | Imposition (Lt) |
Ouvrage | 960 | 960 |
Temps de déplacement de la main-d’œuvre | 240 | |
Temps de répartition des tâches | 80 | |
Temps de mise au travail | 60 | |
Contraintes | 15 | |
Frais de conduite | 24 | 8 |
Augmentation des salaires | 96 | |
Bénéfices pour l’entrepreneur | 105 | |
Taxations pour les receveurs | 20 | |
A la charge de l’État | 1 364 | 1 169 |
A la charge du peuple | 1 340 | 1 161 |
59Au lendemain de l’échec politique de Turgot, la corvée fait donc l’objet jusqu’en 1786 d’une intense réflexion de la part du Contrôle général, des parlements et du monde savant. L’enjeu essentiel de ces réflexions fut de comparer les avantages respectifs des solutions alternatives eu égard à leur coût relatif, et à déterminer qui, des propriétaires, des contribuables ou des usagers, devait supporter le prix des infrastructures de transport. Fallait-il considérer les avantages que l’offre de transports apporte à la collectivité ou à des bénéficiaires indirects, ou tarifer l’utilisation de l’infrastructure ? Des différentes alternatives possibles à la corvée qui donnent lieu à des évaluations diverses en termes de coûts, largement déterminées par les choix des auteurs, une nette préférence se dégage pour l’imposition. Dans une société structurée par le privilège fiscal cette solution apparaît somme toute comme plus équitable que la corvée exigée des seules communautés riveraines.
La préférence pour une contribution générale (1786-1787)
60À l’occasion du concours de 1777, les rapporteurs avaient déjà privilégié la voie de l’imposition. La monarchie se rallie également à ce choix politique qui repose sur la conviction que la commutation est non seulement la solution la moins onéreuse pour les contribuables, par l’élargissement de l’assiette et la redistribution d’une partie des fonds collectés au profit de ceux qui s’emploieront comme manœuvres sur les chantiers, mais aussi le moyen le plus efficace de pourvoir aux travaux routiers. Il était toutefois impensable de réitérer l’imposition foncière conçue par Turgot. L’expérience menée dans les deux premières assemblées provinciales, avant que la fiscalisation soit étendue à l’ensemble des pays d’élections en 1786, engage un choix politique constamment rapporté au coût de la corvée en travail.
L’expérience des assemblées provinciales
61L’objectif de la réforme administrative mûrie tout au long du XVIIIe siècle et inaugurée par Necker en 1778 avait pour objectif de soulager les bureaux ministériels d’un engorgement administratif, et de réformer le système d’imposition de façon à améliorer le rendement fiscal grâce à une répartition plus équitable. Les Travaux publics se retrouvent à l’intersection de ces deux préoccupations. Ils font partie des attributions que le gouvernement souhaitait transférer partiellement aux deux assemblées provinciales mises en place par Necker en Berry (1778) et en Haute-Guyenne (1779). Symétriquement la commutation de la corvée était intrinsèquement liée à la nouvelle répartition de l’impôt qui devait y être appliquée. Plutôt que d’étudier successivement ces deux expériences, il apparaît plus pertinent de comparer les choix politiques opérés dans ces deux circonscriptions qui présentent des longueurs routières assez semblables98. Paradoxalement toutefois, chacune des deux assemblées semble assez peu attentive aux décisions adoptées par l’autre99.
62Jusqu’à l’instauration d’une contribution supplétive à la corvée, la situation était sensiblement différente dans ces deux circonscriptions. Le rachat optionnel était en vigueur dans la généralité de Montauban depuis 1770 avec plus ou moins de succès. L’adjudication quasiment générale des travaux routiers fut établie sur la base de devis approximatifs ou sous-évalués qu’il fallut augmenter en cours de contrat, si bien que nombre d’ouvrages étaient restés inachevés. Plus grave encore les arriérés dus aux entrepreneurs hypothèquaient les revenus du rachat jusqu’en 1780100. En Berry, malgré le rachat optionnel introduit par Dupré de Saint-Maur, les deux tiers de la généralité (519 paroisses sur 720) avaient préféré continuer à travailler sur les routes.
63Alors que la corvée y trouvait une application différente, les deux assemblées optèrent toutes les deux pour l’imposition. L’assemblée provinciale de Haute-Guyenne se prononça immédiatement en faveur de ce mode de financement qu’elle juge à la fois plus équitable et moins onéreux101. Pour apurer la situation financière de l’administration des Travaux Publics, il fut proposé dans un premier temps de doubler la contribution des routes. Alors que l’imposition s’élevait à 262 500 Lt, il fut envisagé de la porter à 500 000 Lt pendant quelques années, notamment grâce à une légère augmentation de la quotité (de 1/10e à 1/11e de la taille)102. Les deux ordres privilégiés, par la voix de leurs députés, consentirent une contribution pour couvrir les adjudications faites en 1780 et 1781, à hauteur d’1/15e en sus du vingtième pour la noblesse (17 500 Lt) et d’1/16e des décimes pour le clergé (13 500 Lt)103. Les sommes effectivement collectées, même grossies par la contribution des deux ordres privilégiés, ne dépassèrent pas les 320 000 Lt et se révélèrent insuffisantes pour entreprendre les travaux. Face aux difficultés, l’assemblée dut se résoudre en décembre 1784 à contracter un emprunt de 1,5 million sur cinq ans. Si la question fut assez rapidement tranchée en Haute-Guyenne, l’assemblée provinciale du Berry commença par soupeser les différents moyens de financer les routes et ne dissimulait pas ses préventions à l’encontre de l’instauration d’une imposition générale. Il fallut l’intervention en octobre 1780 de l’intendant Dufour de Villeneuve, venu faire part aux membres de l’assemblée de la volonté du roi, pour imposer le remplacement de la prestation en travail par une contribution proportionnelle à la taille. Pour en déterminer la quotité, l’assemblée provinciale s’appuya sur les estimations fournies respectivement par l’ingénieur en chef Montrocher et par deux notables locaux, le marquis de Bonneval et M. Desbeauxplains. Le 31 octobre 1780, l’imposition fut fixée entre un tiers et un quart de la taille pour les 517 paroisses anciennement corvéables, avec une modulation prévue en fonction du nombre d’habitants : les plus peuplées devaient être imposées à un taux maximum du tiers de la taille ; en dessous d’un certain seuil démographique, qui malheureusement n’est pas précisé, la quotité serait ramenée à un quart. Pour les 200 autres paroisses qui jusqu’alors n’étaient pas astreintes à la prestation en travail en raison de leur éloignement, la quotité fut réduite à un sixième de la taille. Une telle manière d’asseoir la répartition de la contribution conserve la trace de la rente de situation prêtée aux communautés situées à proximité des lignes de transport. Par arrêt du Conseil du 13 avril 1781 la nouvelle contribution d’un montant de 236 900 Lt fut adoptée pour une durée de dix ans104. Rapportée à l’évaluation monétaire de la corvée en travail (624 000 Lt)105, l’imposition supplétive réduite de près des deux tiers devait toutefois permettre de construire autant sinon davantage de routes. Le bureau de l’assemblée provinciale de Berry estimait qu’avec 240 000 Lt d’imposition, il était possible, non seulement d’assurer l’entretien de l’ensemble des voies déjà construites, mais aussi de faire construire annuellement 6 lieues de routes neuves106. L’avantage de l’imposition était manifeste dans la mesure où la corvée en travail permettait tout au plus d’édifier trois ou quatre lieues de routes par an.
64L’assemblée provinciale de Berry s’attacha également, à partir des rôles de l’année 1781, à prendre la mesure de l’augmentation fiscale par contribuable. C’était désormais 86 958 cotes qui se retrouvaient imposées au titre de la contribution des routes, tandis que les 3 089 feux les plus pauvres en étaient exemptés. Près du quart des contribuables les plus modestes, dont la cote d’imposition se situait entre 10 et 15 sols, y était assujettis. L’imposition moyenne par tête, obtenue en divisant le montant global de la contribution par le nombre de contribuables, était de 54 sols107. Si l’on se rapporte aux enquêtes de Terray et de Necker sur le montant moyen d’imposition par individu, qui se monte respectivement à 13Lt 8s et 15Lt 12s dans la généralité de Bourges, la contribution en remplacement de la corvée représente donc une augmentation de 18 à 20 %.
65Les bases de calcul définies par l’assemblée provinciale de Berry largement reprises et commentées108, servirent de base aux délibérations de la commission réunie par Calonne pour déterminer la quotité de la contribution109.
Une imposition, des taux différenciés
66À partir du laboratoire que furent ces deux assemblées provinciales, la monarchie va imposer le principe de l’imposition générale à tous les pays d’élections et à la Bourgogne à l’extrême fin de l’Ancien Régime. L’unification du mode de financement routier compose toutefois avec une modulation des taux selon les généralités pour s’adapter localement aux réalités fiscales et économiques.
67Au lendemain de l’échec de Turgot à imposer une réforme uniforme à l’échelle du royaume, la différenciation des régimes de corvée s’accéléra avec l’extension du rachat. Une telle complexité inspira à Forbonnais ce commentaire : « La variation des systèmes là-dessus depuis vingt ans seroit une relation curieuse. C’est la mandragore véritable110. » Cela ressort effectivement des résultats de l’enquête commandée en août 1781 par le Contrôle général pour connaître l’état des chemins et les régimes de corvée en vigueur111. Les réponses des intendants rendent compte de la diversité des formes que revêt alors la corvée à travers le royaume : exigée en travail, elle est tantôt proportionnelle aux cotes d’imposition (Tours et Orléans), tantôt calculée selon les forces, c’est-à-dire en fonction du nombre d’habitants (Châlons). Prestation gratuite dans l’immense majorité du royaume, elle fait l’objet d’une rémunération dans la généralité de Metz en raison de la difficulté à pourvoir aux besoins de main-d’œuvre. Alors que le rachat optionnel s’est largement substitué à la réquisition en travail à partir de 1776 (malgré un échec dans la généralité de Soissons), les quotités appliquées tantôt sur la taille (Amiens, Bordeaux, Poitiers, Auch et Lyon) tantôt sur la capitation (Grenoble) sont variables. La typologie des régimes de corvée que dresse Guillaume Grivel rend compte de cette complexité croissante des régimes de corvée112.
Tableau 19. – Typologie des régimes de corvée établie par Grivel.
Corvée en nature | Généralités d’Orléans, Châlons, Metz, Soissons, Clermont, Grenoble et Dijon (à l’exception de la Bresse et du Bugey) |
Rachat de la corvée au marc la livre | Caen, Alençon, Rouen, Tours, Poitiers, Bordeaux, Bayonne, Amiens, Moulins, Lyon, La Rochelle et Besançon |
Corvée proportionnelle au nombre des habitants et des têtes de bétail | Nancy, Perpignan et Auch |
Imposition | Limoges, Languedoc, Berry, Montauban, Flandres et Artois, Provence et Bresse, Bugey, comté de Gex et Dombes (qui font partie du duché de Bourgogne) |
Corvée de voitures seulement pour le transport des matériaux + fonds particuliers pour les ouvrages routiers | Paris et Valenciennes |
Corvée en nature au prorata | Bretagne |
68Les réponses reçues par le Contrôle général furent reprises dans le mémoire composé en mars 1782 par Chaumont de la Millière qui avait pris la tête du département des Ponts et Chaussées l’année précédente113. Il établit pour cela trois classes dans lesquelles il distribua les généralités en fonction du degré d’urgence de la réforme à y entreprendre. L’objectif de Chaumont de la Millière était de supprimer la corvée en travail dans les généralités où elle se pratiquait encore. Pour la contribution qui devait la remplacer, il s’attacha à déterminer la quotité qui permettrait de dégager des fonds suffisants pour assurer l’entretien des infrastructures locales et construire annuellement quelques lieues de routes nouvelles. Sur la base des fonds escomptés, il s’efforça également à déterminer l’horizon temporel d’achèvement du programme de construction.
69C’est précisément pour ramener le financement routier à un mode uniforme que Calonne, pourtant hostile à la suppression de la corvée quand il n’était qu’intendant de Metz, décida de réunir une commission composée de l’intendant des Ponts et Chaussées La Millière et des intendants d’Orléans, d’Amiens, de Rouen, de Limoges, de Paris, de Metz, de Caen et de Bretagne114. Le choix s’est porté sur des administrateurs en poste dans des circonscriptions où le régime de corvée était particulier, ou qui parce qu’ils avaient occupé des fonctions dans plusieurs généralités, étaient plus à même d’apprécier relativement les différentes solutions. La première séance qui se tint le 29 mars 1785, débuta par une allocution de La Galaizière qui préconisait le rachat par les communautés riveraines sur le modèle de la généralité de Caen. Dans les jours suivants, la commission eut à se prononcer sur trois questions. Le premier point à trancher était de déterminer s’il convenait de conserver la corvée en travail. À l’époque, il n’y avait guère plus que neuf généralités et intendances (Alsace, Bretagne, Châlons, Riom, Bourgogne – à l’exception de la Bresse et du Bugey –, Grenoble, Metz, Orléans et Soissons) où la corvée continuait d’être exigée en travail. Sur ce point, quatre intendants (de Pont, Berthier de Sauvigny, Cypierre et Esmangart) furent favorables au maintien de la réquisition en travail, invoquant le risque que l’impôt substitutif ne soit détourné de son affectation, et la rareté du numéraire. À la majorité les membres de la commission se prononcèrent donc en faveur de la commutation de la corvée. Il restait alors à décider si l’on optait pour l’impôt ou pour le rachat. Les arguments avancés contre le rachat furent repris dans la lettre circulaire que Calonne adressa le 5 avril 1785 aux intendants à l’issue des travaux de la commission. Ce système ne faisait que reproduire l’inégalité de la corvée en travail, puisque seules les communautés riveraines étaient assujetties à cette contribution. À l’iniquité fondamentale du mode de répartition venaient s’ajouter des difficultés dans l’organisation des chantiers éclatés entre plusieurs adjudicataires, ce qui « détruit l’espérance de voir se former des entrepreneurs, qui ne seront pas assurés qu’une certaine masse de travaux emploiera leurs talents et leurs fonds115 ». À cet égard, l’imposition générale, outre qu’elle présentait des gages d’équité fiscale, autorisait une meilleure rationalisation des travaux routiers. La fiscalisation de la corvée était aussi un moyen de faire contribuer les villes, qui extorquaient aux campagnes le surproduit de leur travail, dans un contexte de forte croissance de l’économie urbaine en partie redevable à l’essor routier.
Tableau 20. – Programmation de la réforme des régimes de corvée (1782).
1re classe | 2e classe | 3e classe |
Bourges | Lyon | |
Caen | Montauban | Moulins |
Rouen | Franche-Comté | La Rochelle |
Alençon | Paris | Orléans |
Tours | Soissons | |
Poitiers | Auch | |
Amiens | Valenciennes | |
Limoges | Bordeaux | |
Besançon | Lorraine | |
Champagne | ||
Metz | ||
Perpignan | ||
Montpellier | ||
Dijon | ||
Auvergne | ||
Grenoble |
70Une fois admis le principe de l’imposition, se posait la question de l’impôt de référence sur lequel l’asseoir. La taille, payée directement par les contribuables et supportée indirectement par les privilégiés qui font valoir leurs terres, présentait une solution acceptable. Les fermiers, comme dans le cas de la prestation en travail, ne manqueraient pas de déduire de leurs contrats le montant de la corvée versée par leurs soins en argent. Dans le vote final, six membres de la commission plébiscitèrent l’imposition indexée sur la taille. À l’issue des travaux de cette assemblée, Calonne rédigea un projet d’arrêt remplaçant la corvée en travail ou en rachat par une contribution générale. Ce courrier fut envoyé aux intendants en pays d’élections comme en pays d’états (MM. de la Tour, de Saint-Priest, Bertrand de Molleville et de la Guillaumie) pour les consulter sur l’application de la réforme116. Au prix de quelques ajustements pour tenir compte des avis des intendants, l’arrêt du 6 novembre 1786 remplaça la corvée à titre provisoire par une prestation en argent plafonnée à un sixième du principal de la taille et au trois cinquièmes de la capitation roturière pour les villes franches ou des pays de taille réelle117. La monarchie se donnait trois ans pour expérimenter ce nouveau dispositif. Pendant ce délai les communautés avaient tout loisir de se plaindre à l’intendant si elles estimaient que la contribution en argent leur était moins favorable que la prestation en travail. Le 23 février suivant, Calonne défendait sa décision devant l’assemblée des notables118, qui l’approuva au même titre que le transfert de compétences en faveur des assemblées provinciales en matière de financement des infrastructures. Sans attendre le délai de rigueur, la déclaration du 27 juin 1787 généralisa la fiscalisation de la corvée119.
71Les assemblées provinciales avaient alors toute liberté pour moduler la quotité de la contribution à la condition expresse de ne pas dépasser les quotités fixées par la loi. La préparation de la réforme avait suscité toute une série d’évaluations pour ajuster au mieux le barème de façon à concilier l’exigence d’un montant suffisant pour financer les travaux routiers, et le souci politique de ne pas opprimer fiscalement les contribuables. Selon les simulations effectuées par les intendants, l’application du taux d’imposition maximal d’un sixième de la taille pouvait entraîner soit une augmentation du financement à affecter aux travaux routiers (Poitiers, Riom, Tours, Rouen), soit inversement une réduction préjudiciable des fonds (Amiens, Lyon, Soissons, Dauphiné…). Finalement les taux fixés par les assemblées provinciales se situent généralement à un niveau très inférieur au plafond arrêté par la loi, en conformité avec les instructions de la monarchie. En Lyonnais la contribution est fixée au 1/10e de la taille ; en Poitou le règlement du 12 juillet 1787 prévoit un barème semblable mais l’assortit d’une modulation pour les paroisses éloignées de plus de trois lieues qui ne seront taxées qu’à raison de 1/9e ; en Haute-Normandie et en Touraine le taux est de 1/8e…
72La monarchie songea semble-t-il à réintroduire une modulation géographique en faisant porter l’essentiel de l’effort financier sur les communautés situées à proximité de la route et censées en retirer un intérêt direct. Une instruction du 3 novembre 1787 invitait en effet les autorités locales à considérer les routes « sous le rapport de l’intérêt plus ou moins direct qu’ont à ces routes les communautés, les élections ou les provinces qui doivent en supporter la dépense120 ». Le projet consistait à moduler le montant de la contribution en fonction de l’utilité directe ou indirecte d’une route121. La province ne finançait que les routes de première classe, tandis que les élections dont le territoire était traversé par une route de deuxième classe contribuaient à la dépense, et les communautés assumaient intégralement la prise en charge des chemins vicinaux. Ce processus d’évaluation et de pondération des intérêts – direct/indirect et général/local – devait être le gage d’une répartition équitable du financement des infrastructures routières modulée selon une hiérarchie des utilités. La définition de l’intérêt n’était toutefois pas sans poser un certain nombre de problèmes d’appréciation. Comment arbitrer entre l’avantage d’une route qui pourrait se traduire au niveau local par une valorisation des propriétés foncières situées de part et d’autre grâce à l’ouverture de nouveaux débouchés, et l’intérêt collectif d’une baisse générale des prix ? Il apparaissait en outre impossible de déterminer la balance des intérêts en amont de la construction d’une infrastructure. Ce projet suscita globalement la défiance des assemblées provinciales (du Poitou, de Lyon, d’Alençon…)122. Le gouvernement renonça finalement à l’appliquer. Seule la généralité de Tours semble avoir adopté un mode hybride, avec des taux dégressifs en fonction de la densité de population et de l’éloignement des communautés.
73Dans l’esprit de la réforme, l’abolition de la corvée en travail devait aussi s’étendre aux pays d’états comme le suggère la lettre que Calonne fit adresser en avril 1786 aux Élus de Bourgogne et aux États de Bretagne123. En Bourgogne, l’ingénieur en chef Thomas Dumorey procéda alors à une évaluation minutieuse du coût annuel de la corvée en travail pour chiffrer le prix de son remplacement : à la dépense pour les journées de travail sont additionnées les débours pour les outils (55 460 Lt), la fourniture des bêtes et des chevaux (44 155 Lt) et les frais de conduite et gages des directeurs (30 000 Lt). Il aboutit à une somme totale de 2 693 871 Lt. Si l’on reprend les bases de son calcul, il est évident que le coût a été volontairement surestimé : en plus des 82 039 corvéables, il comptabilise 5 410 manœuvres domiciliés dans des communautés non corvéables situées au-delà du périmètre de réquisition, et 5 000 habitants des villes qui font entretenir leurs chemins à prix d’argent. Au lieu de compter douze journées de corvée, il table sur vingt jours de façon à intégrer les routes qui restent à construire. Il préconise le rachat des journées de corvée sur la base de 6 sols pour un cheval et 3 sols 6 d pour un manœuvre, et le chiffre à 653 700 Lt. Un taux d’un sixième de la taille suffirait selon lui à financer l’entretien ; il propose en complément un emprunt sur dix ans d’un montant de 200 000 Lt gagé sur les recettes de l’imposition124. Les États vont toutefois temporiser avant de commuer la corvée en travail. Supprimée en juillet 1788 seulement, elle est remplacée par une contribution correspondant à 1/12e de la taille ou de la capitation125. La Bretagne fut elle aussi invitée à commuer la corvée qui y était exigée au prorata de la capitation à raison d’une toise à entretenir par livre d’imposition. Sur cette base, les ressources en travail se révélaient insuffisantes, ce qui contraignaient les états à prendre en charge les dépenses excédentaires. Après avoir écarté une contribution proportionnelle au fouage et au vingtième, les États décidèrent en 1787 de lever en sus de la corvée, une taxe de dix sols par pot d’eau-de-vie ou de liqueur vendu au détail126. Sur les 500 000 Lt que devait rapporter cette nouvelle taxe, 1/10e devait être affecté aux réparations coûteuses de la province, tandis que les diocèses se partageraient le reliquat en proportion de la longueur de leur réseau routier. Or les recettes fiscales se montaient en 1787 (pour les mois de mars à décembre) à 81 208 Lt et l’année suivante à 120 000 Lt.
Tableau 21. – Répartition du revenu de la taxe sur les eaux-de-vie et la liqueur en proportion des longueurs routières (1787-1789)127.
Évêché | Longueur de routes (lieues) | Fonds alloués (Lt) |
Rennes | 110 | 42584 |
Nantes | 168 | 65231 |
Dol | 26 | 10065 |
Saint-Malo | 110 | 42584 |
Vannes | 130 | 50326 |
Tréguier | 62 | 24195 |
Quimper | 121 | 46842 |
Léon | 61 | 23614 |
Saint-Brieuc | 67 | 25937 |
74À l’exception notable de la Bretagne, le financement des routes se fait donc à la veille de la Révolution par l’impôt. Ce choix motivé par un souci d’équité permet d’ajuster les exigences fiscales en fonction du montant des travaux à financer. Exigé non plus seulement des seuls riverains, l’impôt fait supporter la dépense de ses infrastructures routières à l’ensemble des contribuables roturiers et partiellement aux villes. L’absence de péréquation fait toutefois que les routes financées par des contributions locales profitent aussi très largement à des intérêts extérieurs au cadre territorial de leur assiette.
« La bonne affaire » ?
75La contribution foncière avait été accueillie en 1776 par une chanson populaire qui célébrait la suppression de la corvée en travail.
« Je n’irai plus au chemin
Comme à la galère,
Travailler soir et matin
Sans aucun salaire !
Le roi, je ne vous mens pas,
A mis la corvée à bas ;
Ah ! la bonne affaire, ô gué !
Ah ! la bonne affaire128 ! »
76En 1786, la fiscalisation de la corvée imputée aux seuls roturiers assujettis à la taille et à la capitation n’était plus une si « bonne affaire ». Il s’agit dès lors de mesurer la majoration fiscale que vont supporter les contribuables et l’efficacité redistributive prêtée à la commutation monétaire des prestations en travail.
77L’impôt était censé représenter une solution à la fois plus juste et moins onéreuse pour les corvéables. On a vu que l’avantage supposé de la contribution dépend en fait de la valorisation monétaire de la corvée en travail, qui consiste généralement à affecter aux journées de labeur le prix auquel elles auraient été négociées dans un cadre marchand. L’estimation de la contribution représentative établie « en évaluant au plus bas prix les journées de bras et de voiture » représenterait ainsi « à peine la moitié » des pertes induites par la corvée en travail « pour la même quantité d’ouvrages129 ». Cette proportion a surtout vocation à légitimer une décision politique en lui conférant une justification chiffrée. Plus réalistes sont les estimations établies sur la base de la tâche assignée à chaque paroisse à laquelle est appliquée un prix unitaire. C’est de cette manière que procède le tableau de comparaison réalisé en Bourgogne pour évaluer sur la base des deux saisons de corvée, le prix du quart de toise à 1,5 Lt pour travail de manœuvre et 2 Lt 10 s pour le transport de matériaux.
78Déjà en 1782, Chaumont de la Millière s’était employé à montrer sur un échantillon de généralités la diminution que la commutation en une imposition pouvait laisser augurer par rapport à la corvée en travail (voir graphique 12). Quelles que soient la superficie relative des généralités qui composent cet échantillon et la densité variable de leur réseau routier, l’avantage de la commutation semble évident dans la plupart des cas. La singularité de la généralité de Grenoble, où l’économie ne serait que de 12 %, reste difficile à expliquer. Si l’évaluation de la contribution est indexée sur la taille à raison d’un taux de 5 s pour livre, une des principales difficultés de ce calcul tient au fait que l’on ne sait pas sur quelles bases a été fixé l’équivalent monétaire de la corvée en nature. La Millière estimait que l’imposition rapporterait 13 millions si elle était appliquée dans tout le royaume (sans compter la Bretagne, la Bourgogne, l’Alsace et Corse)130. La compilation des indications dispersées concernant le montant de la contribution, dont la monarchie autorisa localement le prélèvement pour les trois dernières années de l’Ancien Régime, rend ce chiffre tout à fait vraisemblable. Pour les circonscriptions mentionnées dans le tableau ci-contre, les impositions agrégées se montent à près de 9 millions. Dans la plupart des cas, la contribution représentative correspond à peu près au montant de l’imposition avancé par Chaumont de la Millière dès 1782, sauf pour les généralités de Bordeaux, Châlons, Poitiers et Soissons où il est inférieur et pour les généralités de Riom et de Tours où il est supérieur. Dans plusieurs généralités (Amiens, Auch, Grenoble, Orléans, Riom et Perpignan), le montant de la nouvelle imposition excède toutefois les évaluations prospectives des besoins proposées dans le cadre de l’enquête de Necker en 1777 (ces cas sont signalés en gras dans le tableau ci-contre).
79Un premier élément d’appréciation de cet allègement promis par la commutation peut être recherché dans la perception qu’en eurent les contribuables eux-mêmes, qu’ils aient été astreints à la prestation en travail ou qu’ils se soient retrouvés assujettis à une nouvelle imposition. En Lorraine, l’assemblée provinciale se fait l’écho d’une certaine défiance :
« La loi qui a prononcé l’abolition de la corvée n’a pas été généralement applaudie dans cette province ; la plupart des contribuables ont paru regretter le régime antérieur et préférer les taux qu’ils faisaient à l’obligation de payer cette nouvelle imposition […] il serait inhumain et barbare de demander aux malheureux l’argent qu’ils n’ont pas, et de refuser leurs bras qu’ils offrent, et de ne pas leur accorder du moins dans le choix de leurs peines le frêle et misérable avantage de préférer du moins celle qui s’adoucit à leurs yeux142. »
80Si l’immense majorité des cahiers de doléances dénonce la corvée en travail comme une servitude inique, il ne s’en dégage pas pour autant une volonté unanime de la supprimer. Dans ceux qui mentionnaient la corvée (47,9 %), seulement 21 % réclamaient son abolition, tandis que 54 % demandaient sa réforme et l’imposition des privilégiés143. La contribution par laquelle les communautés rachètent le travail en nature depuis 1787 y est surtout dénoncée pour son inégale répartition. Plusieurs cahiers considèrent que la prestation en argent a contribué à alourdir les exigences de l’État. Certaines communautés en arrivent ainsi à regretter la corvée en nature qui s’allégeait quand la route n’était plus qu’à l’entretien et qui ne grevait pas les épargnes monétaires. À un premier niveau il importe d’abord de mesurer le surcoût que représentait la fiscalisation de la corvée pour les communautés. À partir d’un échantillon sommaire de communautés corvéables situées en Bourgogne, il est ainsi possible d’évaluer la majoration des impositions qu’elles auront à acquitter au titre de la contribution supplétive de la corvée en travail144.
Tableau 23. – La fiscalisation de la corvée dans l’augmentation des impositions locales.
Évaluation de la corvée en Lt | Total des impositions (taille et capitation) en Lt | % de majoration | |
Périgny | 491 | 1 173 | + 41 % |
Saint-Georges | 469 | 2040 | + 23 % |
Partie de la ville d’Auxerre | 951 | 24480 | + 3,8 % |
Quêne | 638 | 1232 | + 52 % |
Augy | 334 | 1300 | + 25,6 % |
Saint-Bris et Goy | 1 189 + 293 | 8 542 | + 17,3 % |
Bailly | 41 | 650 | + 6,3 % |
81Loin d’être négligeable, le surcoût qui en général oscille entre un quart et une moitié, se révèle bien plus lourd à supporter pour les communautés villageoises que pour les six paroisses de la ville d’Auxerre. La comparaison entre la quantité de travail exigée des communautés au titre de la corvée en travail avec le montant de la contribution qui lui est substituée montre qu’il n’existe pas de corrélation entre l’une et l’autre. Dans le cadre de l’élection d’Alençon, pour laquelle il est possible d’établir un tel rapport, seules 38 % des 132 communautés concernées par la contribution supplétive étaient assujetties à la corvée en travail en 1766145. Alors que les communautés de Ciral et de Livay étaient toutes les deux réquisitionnées pour le transport de 25 pavés pour la corvée de printemps, la première (taxée à hauteur de 600 Lt) va devoir s’acquitter d’une imposition cinq fois plus élevée que la seconde (165 Lt). Dans la mesure où cet état de répartition ne concerne qu’une saison, il est possible de supposer que la corvée d’automne ait pu contribuer à alourdir relativement la tâche de la communauté de Ciral. Il n’en reste pas moins que le changement de la base d’imposition qui ne se fonde plus sur le nombre de contribuables, mais sur la logique de répartition des impôts de référence induit de significatives redistributions fiscales.
82La mesure de la pression fiscale nécessite de se situer aussi du point de vue des contribuables pour calculer le supplément d’impôt que la fiscalisation de la corvée lui fait supporter. Pour ceux qui jusqu’alors rachetaient leur tâche la situation reste inchangée dans la mesure où les généralités converties au rachat conservent des taux d’imposition assez semblables. Pour les contribuables qui jusque-là n’étaient pas assujettis à la prestation en travail ou n’étaient pas concernés par le rachat, la nouvelle contribution représente un prélèvement supplémentaire. Toute la question est de déterminer dans quelle proportion elle fit augmenter leur cote d’imposition. En 1787 Pommereul estimait qu’une contribution pourrait entraîner une majoration de 10 sols par livre dans la généralité de La Rochelle et de 16 sols par livre dans celle de Bourges, ce qui représente l’équivalent d’une journée de travail supplémentaire pour payer l’impôt146. Rapporté au prélèvement moyen par habitant évalué par Necker, la majoration fiscale se situe entre 3 Lt dans la généralité de Lyon et 3 Lt 7s pour Rouen. L’alourdissement de la charge fiscale dans un contexte d’alourdissement séculaire de la fiscalité, est d’autant plus manifeste qu’il ne s’accompagne pas d’une diminution corrélative de la taille pour la dotation des Ponts et Chaussées, alors même que le coût d’administration de la corvée en travail diminue corrélativement147.
83Loin de se résumer à une alternative entre coercition du travail en nature et libération par un impôt, la commutation de la corvée ne fit en somme pour les corvéables que substituer une forme de contrainte à une autre. Pour les autres contribuables, elle devint une charge supplémentaire qui a pu contribuer à la politisation des campagnes au cours des trois dernières années de l’Ancien Régime.
84Parmi un éventail de solutions possibles, la contribution générale s’est donc finalement imposée comme le substitut à la corvée en travail ou à son rachat par les communautés riveraines. En vigueur dans la généralité de Limoges depuis 1763, elle a gagné les premières assemblées provinciales avant de s’étendre à la majeure partie du royaume à la veille de la Révolution. Au début du siècle, la monarchie avait pourtant fait le choix inverse, préférant la corvée à l’impôt. Comment expliquer un tel revirement en quelques décennies ? Les arguments avancés par Chaumont de la Millière, qui évoque la diminution de l’autorité des intendants, l’impact de l’édit de Turgot, et la disparition de Trudaine de Montigny en 1777 pour expliquer le triomphe de la contribution, sont pour le moins insuffisants148. Il est indéniable que la suppression décrétée unilatéralement par Turgot apparaît comme une étape décisive parce qu’elle rendait difficile son rétablissement intégral. Le choix de l’impôt, qui s’inscrit plus largement dans un faisceau de réformes concomitantes, est le fruit d’une longue réflexion, qui s’engage certes à partir des termes mêmes de la réforme proposée par Turgot, mais qui mobilise selon des formes diverses (enquêtes, remontrances, concours académiques et publications savantes) des intervenants tout aussi variés (intendants, parlementaires, esprits éclairés…). Pour envisager les décisions à prendre, la réflexion sur le financement routier a suscité et mobilisé une abondante connaissance chiffrée afin d’évaluer les besoins en capitaux, apprécier les coûts relatifs des solutions possibles et estimer leur portée. Dans les différentes suggestions avancées pour suppléer à la corvée en travail ou en argent se mêlent l’exigence d’un rendement suffisant pour subvenir aux besoins de financement d’un réseau routier, qui s’est considérablement étoffé et qui est appelé à s’étendre encore, et le principe d’une juste répartition de la dépense. Suppléer à la corvée supposait de déterminer quels étaient les intérêts qui profitaient du développement du réseau routier. L’équité réclamait que la confection et l’entretien des routes ne soient plus à la seule charge des taillables des communautés riveraines. Le choix de l’impôt traduit à cet égard une évolution dans la façon de concevoir le rôle des communications dans les dynamiques d’enrichissement et l’économie des territoires. De tous les substituts possibles, l’imposition apparut en fin de compte comme le mode de financement le plus juste, le moins coûteux et le plus neutre en termes d’incidence économique. Elle fut aussi un moyen de s’affranchir des limitations temporelles et spatiales de la corvée en travail. La fiscalisation de la corvée semble donc moins résulter des limites intrinsèques du système de réquisition que de considérations politiques dont il importe de mesurer les effets.
Notes de bas de page
1 Il n’y a guère que Jacques Lescène des Maisons pour continuer à propager le discours physiocratique dans son Essai sur les travaux publics (1786).
2 Lettre de Turgot à Trudaine (10 juillet 1762), in Œuvres, éd. G. Schelle, op. cit.., t. 2, p. 212-213.
3 Par un arrêt du Conseil du 29 août 1775 Turgot généralisa le système d’adjudications qui se pratiquait déjà en Languedoc et en Franche-Comté pour les transports militaires, et avait ordonné qu’une imposition annuelle de 1 114 497 Lt pour les pays d’élections et 85 503 Lt pour les pays conquis, soit levée pour financer les marchés passés avec des entrepreneurs pour les convois militaires. L’édit de février 1776 réserve toutefois au roi la possibilité de recourir à des corvées extraordinaires en période de guerre à condition que celles-ci soient payées (art. 1). Cf. Habault G., op. cit.., p. 78-81 et Biloghi D., op. cit.., p. 217-218.
4 B. N. F. Joly de Fleury 1464. F° 31-35. Observations sur les Corvées. « C’est encore un secret je crois cependant devoir vous en prévenir » (A.D. Calvados C3377. Lettre de M. Dubois à M. Lefevre [2 décembre 1774]). Lettre de P. Trudaine de Montigny à Turgot (29 décembre 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 111, p. 107.
5 Ibid., P.J. 105, p. 92-93. Un exemplaire de cette circulaire est aussi conservé aux A.D. de l’Aisne C 507, A.D. du Calvados C 3375 et A.D. des Pyrénées-Orientales (11193).
6 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 106. Un exemplaire original est conservé aux A.D. Aisne C 507.
7 Lettre de Trudaine de Montigny à Turgot (6 janvier 1776), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 116, p. 116.
8 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 122, p. 129-137. B. N. F. Joly de Fleury 598 fol. 314. Édit du roi par lequel S. M. supprime les corvées, et ordonne la confection des grandes routes à prix d’argent (février 1776).
9 B. N. F. Joly de Fleury 598, fol. 309-313. Extrait du Procès-verbal du lit de justice tenu par le roi au château de Versailles le mardi 12 mars 1776.
10 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 130, p. 161-162.
11 Ibid., p. 80-96. Maldidier D. et Robin R., op. cit.., p. 13-80.
12 A.D. Ain C 1066. Copie lettre de Jean de Boullongne contrôleur général à Jean-François Joly de Fleury intendant de Bourgogne (26 décembre 1758).
13 Pinot Duclos C. ( ?), Essai sur les ponts et chaussées…, op. cit.., p. 243 : « Il faut une Loi qui autorise les corvées. Id. (1762), p. 200 et 302.
14 Du Pont P.-S., De l’Administration des chemins … op. cit.., p. 72 et Du Pont P.-S., « Deuxième lettre à M. N***…, art. cit., p. 90.
15 Lettre circulaire de Turgot aux intendants (28 juillet 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 106, p. 95.
16 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 121-122, p. 128-p. 135.
17 Lettre de Calonne (21 octobre 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 107, p. 102.
18 Circulaire (28 juillet 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 106, p. 94.
19 Lettre de M. Taboureau (22 août 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 107, p. 101, et lettre de Trudaine de Montigny à Turgot (29 décembre 1775), ibid., P.J. 111, p. 108.
20 Lettre de Trudaine de Montigny à Turgot (4 janvier 1776), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 115, p. 115.
21 B. N. F. Joly de Fleury 598.
22 Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit.., p. 34-35, « Objections raisonnables contre l’édit de suppression des corvées ». S’il récuse les critiques relatives à la quotité de l’imposition définie en Conseil du roi et au risque de détournement des fonds collectés, il reproche à Turgot et plus généralement aux « Économistes » d’« avoir pêché par optimisme » (1781, p. 60). A.N. F14 182B. Mémoire sur les corvées (s. d.).
23 Mémoire sur la corvée des chemins et sur le moyen proposé pour la supprimer (31 octobre 1774), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 100, p. 87-89.
24 « Vers 1762, l’Auteur d’une brochure qui avoit pour titre, Lettre d’un Ingénieur, apprécioit à 5 à 6 millions la valeur annuelle de toutes les corvées du royaume à cette époque ; on ignore comment il a fait cette évaluation, s’il a été bien servi et sur quel principe il a calculé ; mais on a de fortes raisons pour assurer que depuis plusieurs années il se fait annuellement pour plus de 12 millions d’ouvrages à corvées dans le royaume sur les routes, on pourroit même les considérer sans erreur, comme un objet de 14 millions ; savoir, environ 10 millions en mains-d’œuvres de journaliers, et 4 millions en voitures de matériaux », Lecreulx F.-M. Mémoire sur la construction des chemins publics…, op. cit.., p. 64-66.
25 Mahuet, Mémoire sur l’entretien des routes commerciales du royaume, présenté à l’Assemblée nationale, Paris, 1790, p. 14.
26 Lettre de Trudaine de Montigny à Turgot (4 janvier 1776), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 115, p. 115.
27 Édit du 6 février 1776, Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 122, p. 134-135.
28 A.N. F14 155. Mémoire de P.-M.-J. Trésaguet, sur la construction et l’entretien des chemins, faits en rachat de corvée dans la généralité de Limoges, Paris, impr. de Fain (s. d./1775).
29 En 1780, les États de Bourgogne procédèrent également à la recomposition de la nomenclature routière de façon à alléger les dépenses à la charge de la province : « en classant les routes dans l’ordre ci-dessus on peut réduire en chemins finerots une multitude de routes de faveur sur lesquelles on entretient des communautés qui exécutant un travail inutile font elles seules plus de charrois que tout le commerce prétendu n’en fait dans l’année » (A.N. F14 182B. Mémoire sur les corvées).
30 Lettre de Trudaine de Montigny à Turgot, Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 120, p. 121-122.
31 A.D. Aisne C 507. Lettre de M. Le Pelletier de Mortfontaine intendant de Soissons à M. D’Advyné (12 mai 1775).
32 A.D. Aisne C 507. Projet de circulaire à M. les subdélégués (12 mai 1775). Lettre de Trudaine de Montigny à M. le pelletier (8 novembre 1775).
33 Lettre de Trudaine de Montigny à Turgot (29 décembre 1775), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 111, p. 107.
34 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, p. 97 et P.J. 131, p. 164-165. A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. État général de l’employ des fonds extraordinaires accordés pour la réparation des routes pendant l’année 1776 en remplacement des corvées.
35 E.-J.-M. Vignon ne retranscrit pas cette circulaire (op. cit.., t. 3, P.J. 132, p. 165). Un exemplaire est conservé aux A.D. Gironde C 1990 et aux A.D. de l’Orne (C 140).
36 B. N. F. Joly de Fleury 463, fol. 73-86. Déclaration du roi qui rétablit, par provision, l’ancien usage observé pour les réparations des grands chemins (11 août 1776).
37 L’exemple de la généralité de Riom donne la mesure de la difficulté à remettre les communautés au travail. Dans le département de Riom, pour la seule corvée de printemps de 1777, ce ne sont pas moins de 42 communautés (sur 194) qui font l’objet d’un décompte des défaillants : 1 607 manœuvres sont comptabilisés comme tels pour un reliquat de 76,9 % de journées non effectuées ; à cela s’ajoutent 543 laboureurs débiteurs au titre de la corvée de harnais pour 83,7 % de journées de bœuf non exécutées, 65,5 % pour le nombre de journées de vaches et 100 % pour le nombre de journées de chevaux (A.D. Puy-de-Dôme 1 C 6606). En 1782, Chaumont de la Millière estimait que la valeur du travail effectivement fourni ne représentait pour les généralités de Moulins et de Riom que 28 % et 14 % de l’évolution monétaire du travail à fournir.
38 Cette disposition est confirmée par la circulaire du 28 juillet suivant : « Sa Majesté n’entend pas sous le nom de corvée les impositions qui ont été faites dans plusieurs paroisses et même dans quelques généralités entières pour y suppléer, cette forme se rapprochant au contraire de celle qu’elle veut qui soit observée dans toute l’étendue du royaume » (Circulaire 28 juillet 1775, Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 106, p 93).
39 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 137, p. 170-174. Un exemplaire original est conservé aux A.D. de Haute-Vienne C 295.
40 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 148, p. 179-180. Des exemplaires de cette lettre sont conservés aux A.D. d’Indre et Loire (C 167), aux A.D. du Calvados (C 3375), d’Orne (C 141), de Seine-Maritime (C 902) et des Pyrénées-Orientales (1C1192), et à l’ENPC (Ms 2044). Gille B., op. cit.., p. 80.
41 Au lieu de proposer des évaluations spéculatives, certains intendants toutefois ont préféré indiquer le nombre effectif de corvéables employés sur les routes de leur généralité (Alençon, Poitiers, Grenoble).
42 A.D. Puy-de-Dôme 1 C 6600-6603. États des corvéables par collectes (1777).
43 Cf. Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 149, p. 180-199. L’originalité de cette enquête réside dans le fait qu’elle dénombre des individus en dehors de toute référence au cadre communautaire qui déterminait la logique de réquisition. Dans les réponses des intendants, il n’est d’ailleurs pas toujours facile de déterminer si les travailleurs comptabilisés pour les tâches d’entretien seraient les mêmes que ceux préposés à des ouvrages de construction.
44 Musée national des douanes (Bordeaux), Apperçu de la balance du commerce de la France, 1789.
45 Lecreulx F.-M., Mémoire sur la construction des chemins publics…, op. cit.., p. 132.
46 D’après les indications recueillies lors des enquêtes de 1777 et 1781.
47 Dans de l’administration des finances de la France, Necker fait état de 96 millions de journées de corvée et évalue un financement de 16,4 millions de livres tournois (1785, t. 2, p. 232). En procédant différemment, par extrapolation à partir des données de densité de population fournies par d’Expilly, Pommereul aboutit à une estimation de 36 millions de journées et chiffre le financement nécessaire à 18 millions de Lt (Des chemins et des moyens les moins onéreux de les construire en Fr., France, 1781, p. 33).
48 Lettre de Necker à Terray de Rozières (24 décembre 1778) citée par J.-L. Harrouel, op. cit.., p. 17.
49 Ce chiffre est assez proche de celui fourni par Necker pour le Berry à partir des procès-verbaux de l’Assemblée provinciale : 320 000 journées de manœuvres et 96 000 journées de voitures (Necker J., op. cit.., p. 230). Clicquot de Blervache s’appuie sur les mêmes données pour comptabiliser les journées de main-d’œuvre et y ajoute 192 000 journées de cheval ou paire de bœufs (Clicquot de Blervache S., op. cit.., p. 193)
50 Dans son compte-rendu au roi (1781), il recommande la suppression de la corvée : « Plus j’ai examiné cette importante discussion et plus je suis convaincu qu’il est à désirer que les moyens de supprimer la corvée soient favorisés. »
51 « Extrait du mémoire de M. Necker, présenté au roi en 1778, sur l’établissement des administrations provinciales », § 29, Objets proposés à l’Assemblée des notables par de zélés citoyens. Premier objet. Administrations provinciales, 1787.
52 B. N. F. Joly de Fleury 1464. A.N. H1 1658. Résumés des plaintes adressées au procureur général du roi sur les corvées (s. d.).
53 Lardé G., Une enquête sur les vingtièmes au temps de Necker, Paris, Libraire Letouzey et Ané, 1920, p. 25. Cette procédure est décidée à la fin du mois d’août, quand d’Aligre, le premier président, signale des abus commis dans la généralité de La Rochelle (A.N. X1a 8572 Délibérations du 22 (fol. 195-196) et du 29 août 1777 (fol. 286-287) relatives aux abus commis à l’occasion des adjudications dans la généralité de La Rochelle). C’est à travers les réponses adressées à Joly de Fleury que se dégagent les attendus de cette consultation : « faire part des renseignements et éclaircissement que je pourrais avoir sur la manière dont on exige le payement de l’imposition faite à l’occasion de la construction, entretien et réparation des chemins, les abonnements ou autres charges relatives à cet objet dans l’étendue du ressort de notre bailliage (A.N. H1 1467. Lettre de M. Lourdier ? [25 novembre 1777] et Lettre de M. Nupoux [14 novembre 1777]). Cette enquête a laissé des traces ténues concernant la corvée, son objet essentiel portant sur le vingtième.
54 A.N. H1 1657. Éclaircissement de M. Poullard procureur du roi au bailliage de Bellesme en réponse à l’arrêté de la cour du 22 août 1777 et lettre du 4 septembre (29 octobre 1777).
55 Mémoire sur les corvées par Chaumont de la Millière (mars 1782), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 163, p. 223.
56 Vasquez J., Nicolas Dupré de Saint-Maur ou le dernier grand intendant de Guyenne, Bordeaux, Fédération historique du Sud-Ouest, 2008, p. 303.
57 Selon N. Fer de la Nouerre (op. cit.., t. 2, p. 288), c’est Fontette qui aurait engagé Dupré de Saint-Maur à introduire le rachat dans la généralité de Bordeaux.
58 Les archives comptables attestent de la difficile transition avec le régime de la prestation en travail : alors que le rachat est effectif dans la subdélégation de Clairac dès l’année 1777, il faut attendre 1781 pour qu’il se mette en place dans celles de Condom et de Castillonnais. La plus grande confusion semble par ailleurs régner dans celle de Marmande.
59 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 155, p. 205-206.
60 « On n’allait chercher des témoins que parmi ceux qui pourraient être soupçonnés d’avoir quelque sujet de plainte de l’administration, parmi ceux contre lesquels elle avait employé des voyes de contraintes, enfin parmi tout ce qu’il y avait de plus vil et de plus décrédité dans une paroisse » (Lettre d’un subdélégué…, p. 26).
61 Les comptes rendus de ces auditions sont conservés pour les sénéchaussées de Libourne, de Dax, de Nérac (A.D. Gironde C 2007/1) ; de Mont de Marsan, Sarlat, Bergerac et Périgueux (2007/2) ; d’Agen, de Casteljaloux et de Tartas (C 2008/1) ; et de Bordeaux (2008/2). Enquêtes sur le fait des corvées dans la généralité de Guienne ordonnées par les arrêts des 17 mars et 28 avril 1784, rendus toutes les Chambres assemblées, lesdites Enquêtes imprimées en exécution de l’arrêté pris par toutes les Chambres assemblées le 14 janvier 1785, Bordeaux, Philipppot, 1785.
62 Dupré de Saint-Maur (1784), p. 50 et p. 55.
63 Ibid., p. 123. A priori aucune raison particulière ne semble expliquer le choix des dix subdélégations dans une généralité de Bordeaux qui en compte 29. L’absence de la subdélégation de Bordeaux retient toutefois l’attention. Il faut en fait croiser cette sélection avec les « états de situations du rachat de corvée » que Dupré de Saint-Maur a fait établir sur la même période dans chacune des subdélégations pour chercher un élément d’explication (A.D. Gironde C 2009). L’intendant semble avoir plutôt retenu les circonscriptions pour lesquelles les arriérés de corvée étaient les plus importants.
64 Daniel Roche (« La diffusion des Lumières. Un exemple : l’académie de Châlons-sur-Marne », Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, 1964, 19 (5), p. 899) évoque treize contributeurs. Le jury était composé de l’ingénieur Jean-Joseph Bochet de Coluel, Soleau (échevin de Châlons-sur-Marne), Bresmont, Gauthier et Bocquet d’Anthenay (Bibl. ENPC Ms 2483. Rapport à l’Académie sur les trois mémoires sur les corvées faisant le sujet du prix de 1778 lesquels m’ont été communiquées pour les examiner). Outre les rapports des mémoires no 30, 28 et 29, ont été conservées les expertises des textes no 7, 23, 24, 25 et no 41. Il n’est aucunement fait mention du nom de l’auteur. À défaut de disposer des mémoires originaux (à l’exception de ceux de Pommereul et de Lecreulx), il est possible d’en reconstituer l’argument à partir des observations et des avis consignés par les examinateurs. Lors de la séance publique du 25 août 1778, l’abbé François Ménard, curé de Sermaize, annonça que le prix proposé ne serait pas décerné et que la question était remise à l’année suivante avec un prix porté à 600 Lt. Quoique aux dires de Pommereul, cinq mémoires se soient distingués – dont le sien – les nouveaux candidats étaient invités à « s’occuper principalement des moyens, qui dans la confection et l’entretien des chemins, pouroient procurer du soulagement aux pauvres manouvriers, dans le cas où l’on adopterait la corvée » et à porter une attention particulière à la Champagne (Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit.., p. 3). Pommereul renonça alors à concourir en prétextant sa méconnaissance du contexte local et d’autres obligations de travail. Le prix fut finalement décerné en 1779 à l’ingénieur Lecreulx en poste en Lorraine depuis 1775 et membre de l’académie de Nancy, qui avait composé un mémoire intitulé Les Moyens les moins onéreux à l’État et aux peuples, de construire et d’entretenir les grands chemins (1789).
65 Une seconde édition de ce mémoire parut de façon posthume en 1789 sous le titre de L’Ami du cultivateur par référence à Mirabeau l’« Ami des hommes ».
66 Il ne nous a pas été possible de retrouver le mémoire de Joseph-Antoine Hedouin de Pons-Ludon, intitulé Lettre d’un rémois à un Parisien, sur ce qui doit payer les corvées en France, Liège, 1776.
67 Vitry, Abbé de, « Mémoire qui a remporté le prix pour l’année 1777 », Les Moyens de détruire la mendicité… op. cit.., p. 77. et p. 83. Ces dispositions sont reprises dans le projet final d’édit (p. 96-98).
68 Bibl. ENPC Ms 1835. Mémoire sur l’usage des déserteurs dont la peine de mort seroit commuée pour les occuper à des Travaux Publics (1774). Le Trosne, dans son Mémoire sur les vagabonds et les mendiants (Soissons, 1764, p. 56) avait suggéré d’employer les galériens aux travaux de canalisation et à la confection des chemins.
69 Cf. Mémoire et observations sur divers moyens de suppléer à la corvée, par M. Georgest, ingénieur à Saint-Flour puis employé dans la généralité de Limoges, 18 octobre 1780 (A.D. Haute-Vienne C 296.).
70 Lescène des Maisons (1786), p. 32-sq.
71 Bibl. ENPC Ms 1835. Mémoire sur la proposition d’employer les mendiants aux travaux des Ponts et Chaussées (1749).
72 Ibid. Examen du 29e mémoire.
73 Cf. Mémoire de Georgest, 1780 (A.D. Haute-Vienne C 296).
74 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 127, p. 159.
75 Thélis C.A. de, Idées proposées au gouvernement sur l’administration des chemins…, op. cit.., 1777, p. 25 et p. 27. Isnard A.-N., op. cit.., vol. 1, p. 130-131.
76 Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit.., p. 81. Bibl. ENPC Ms 2156. Mémoire et observations aux différents moyens de suppléer à la corvée, cahier in-4, sl. Comte des Forges, Des véritables intérêts de la patrie, Rotterdam, 1764, p. 164-165. Georget, ingénieur dans la généralité de Limoges, conçut un projet de milice civile. Chaque formation serait composée de 60 voitures avec attelage et conducteur, et de 318 manœuvres : 138 seraient fournis par les journaliers tandis que les 180 restants le seraient par les laboureurs en sus de la réquisition de leurs voitures. Il était également prévu que si le chantier réclamait peu de manutention, les laboureurs fourniraient « deux ouvriers et demy » pour chaque voiture. Le travail de ces manœuvres et la réquisition des voitures seraient financés par une contribution levée sur toutes les paroisses (A.D. Haute-Vienne C 296. Mémoire de Georgest, 1780).
77 Elbée comte d’, Moyen de tirer parti des grands chemins, de quoi les entretenir sans impôts ni corvées, Paris, Planche, 1789.
78 Goger J.-M., op. cit.., p. 1476.
79 A.N. F14 182A.
80 Cf. lettre de Trudaine (6 août 1762) et réponse le 7 septembre suivant, in Œuvres de Turgot, éd. G. Schelle, t. 2, p. 218-219.
81 Fer de la Nouerre N., op. cit.., t. 1, p. 135-136.
82 Bibl. ENPC Ms 1835.
83 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 107, p. 189 et p. 196.
84 Coyer Abbé G.-F., Nouvelles observations sur l’Angleterre par un voyageur, Yverdon, 1779, lettre V, p. 21.
85 Fer de la Nouerre n., op. cit.., t. 1, p. 84. La Rochefoucault-Liancourt F.-A.-F. de, Notes sur la législation anglaise des chemins, Paris, an IX, p. 20-21.
86 Guillaumot C.-A., op. cit.., p. 20-21 et p. 41.
87 Cf. Albert W., « Popular opposition to turnpike trusts and its significance », The Journal of Transport History, Feb. 1979, 5 (1), p. 1-17.
88 Forges (1764), p. 164-166. Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit.., p. 12.
89 Slonina J., op. cit.., annexe XXIV, p. 495-497.
90 L’exemple de la Corse est également avancé par Pommereul (Bibl. ENPC ms 2156. Examen du rapport no 24 et 1787, p. 36). Il s’agissait d’une subvention territoriale en nature et levée sans considération de privilèges, instaurée en 1779 pour pallier la rareté du numéraire, dont une partie était affectée au financement des chemins de l’île. Reprenant les calculs proposés par Dastiguières, de Boucheporn estimait qu’un tel système n’était guère transposable dans le comté de Foix (A.N. H1 720).
91 Toustain (1776), p. 55. Pommereul, natif de Bretagne également, rédigea un commentaire élogieux de ce texte (1781, p. 59).
92 Pommereul F.-R.-J. de, Des chemins…, op. cit.., p. 3.
93 Outre les affaires contentieuses, cette instance centraliserait les rôles d’imposition des communautés. On retrouve la même idée dans le mémoire de 1787 (p. 50).
94 Bibl. ENPC Ms 2483. Examen du mémoire, no 24.
95 Ibid. Examen du mémoire, no 7.
96 Les Moyens les moins onéreux… op. cit.., chap. 3-5.
97 Lecreulx F.-M., Mémoire sur la construction des chemins publics…, op. cit.., p. 162-163.
98 La Haute-Guyenne et le Berry comptent respectivement 86 et 92 lieues de route à l’entretien, pour 270 et 184 à construire ou perfectionner.
99 Seule l’assemblée de Berry s’inspire du tarif dégressif en fonction de la distance, établi par l’assemblée de Haute-Guyenne (Procès-verbal de l’assemblée provinciale de Berry, Bourges, 1787, p. 175-176).
100 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de Haute-Guyenne, Paris, 1780, p. 48-49.
101 Ibid., p. 60. Aux recettes de la contribution devaient s’ajouter les revenus d’une crue du sel perçue en Rouergue destinée à la construction de routes desservant les trois greniers à sel de Rodez, Villefranche et Millau.
102 Ibid., p. 48 et p. 61-62.
103 Après le refus de l’ordre de Malte de participer au financement des routes, il fut décidé en 1781 que la contribution du clergé prendrait la forme d’un don gratuit consenti pendant quatre ans sur tous les bénéfices ecclésiastiques, à l’exception des cures à portion congrue, du 1/15e des décimes.
104 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 161, p. 214-218.
105 Cette somme résulte de la multiplication du nombre de paroisses corvéables par le nombre de journées exigibles (8) est converti en monnaie sur la base de la valeur d’une journée du manœuvre (15 sols) et de celle de fourniture d’un attelage (4 Lt).
106 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale du Berri, tenue à Bourges dans les mois de septembre et d’octobre 1780, Bourges, 1781, p. 134.
107 Ibid., p. 56-57.
108 La Galaisière (1785) p. 28-32 et Lescène des Maisons (1786), p. 20-21. Necker loua aussi la simplicité de la méthode (De l’administration des finances de la France, 1785, t. 2, p. 202).
109 L’assemblée du Berry est d’ailleurs citée comme modèle dans la circulaire que Calonne adressa aux intendants en avril 1786.
110 A.D. Indre-et-Loire C 164. Lettre de M. de Forbonnais (5 juillet 1786).
111 Citée par E.-J.-M. Vignon, cette enquête a laissé peu de traces dans les archives départementales (3, P.J. 162, p. 218-222). Un exemplaire de la lettre que Joly de Fleury adressa à l’intendant de Tours le 14 août 1781 est conservé ainsi que la réponse de M. de Cluzel (28 août 1781) aux A.D. d’Indre-et-Loire C 167 et aux A.N. H2 2105. B. Lepetit (Chemins de terre et voies d’eau…, p. 40) signale par ailleurs les réponses des intendants de Montauban (A.D. Lot C 439), de Limoges (A.D. Haute-Vienne C 303 – que je n’ai pas trouvé) et de Caen (A.D. Calvados C 3448). E.-J.-M. Vignon publie les réponses pour les généralités suivantes : Tours, Caen, Alençon, Rouen, Grenoble, Bordeaux, Poitiers, Clermont, Soissons, Châlons, Perpignan, Valenciennes, Metz, Auch, Lyon, Orléans, Moulins, Besançon et Limoges.
112 Grivel G., « Corvée », art. cit., p. 713. Pommereul propose une typologie plus sommaire qui fait le départ entre les généralités où la corvée est « imposée selon les facultés ou les forces » et celles où elle se trouve « modifiée par rachat ou impôt » (1787, p. 26). Necker dans les notices qu’il consacre à chaque généralité indique souvent le régime de corvée en vigueur (op. cit.., t. 1 p. 178-231).
113 E.-J.-M. Vignon n’en publie que des extraits (Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 163, p. 222-227). Une copie manuscrite est conservée aux A.D. Haute-Vienne C 296. La généralité de Besançon que Vignon indique dans la première classe figure en fait sous le titre « Franche-Comté » dans la deuxième. De même, plusieurs généralités mentionnées par Vignon dans la deuxième classe figurent en fait dans la troisième classe.
114 A.N. H2 2105. Copie de la lettre du Contrôleur général à M. de la Galaizière (21 mars 1785).
115 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 179, p. 253. Un exemplaire de cette lettre est conservé aux A.D. Calvados C 3375.
116 Résumé des observations des intendants de toutes les généralités sur le projet d’arrêt pour le remplacement provisoire de la corvée par une contribution pécuniaire, en réponse à la circulaire accompagnant ce projet, (Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 182, p. 254-258).
117 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 183, p. 258-263. La quotité maximale finalement adoptée pour la capitation fut réduite par rapport aux réflexions préliminaires de la commission. Seules les généralités de Bourges et de Montauban étaient autorisées à conserver le système mis en place par leurs assemblées provinciales (art. 20).
118 Calonne C.-A., Collection des mémoires présentés à l’Assemblée nationale par M. Calonne, contrôleur général des finances, 1787, p. 35-38.
119 Déclaration (27 juin 1787), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 191, p. 270-272. La « prestation en argent » imposée par la loi se retrouve dans les documents administratifs sous des intitulés divers tels que « prestation des chemins » ou « imposition représentative de la contribution au travail des routes ».
120 A.N. ADI 1J. Rapport du bureau des Travaux Publics de la généralité de Soissons (22 décembre 1787).
121 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de l’Orléanais, Rapport du bureau des Ponts et Chaussées (15 décembre 1787), p. 343.
122 Procès-verbal des séances de l’assemblée provinciale de la moyenne Normandie et du Perche, Séance du 10 décembre 1787, p. 168-170.
123 A.D. Cote d’Or C3357 et A.D. Ille-et-Vilaine C 2407.
124 A.N. F14 149. Mémoire concernant les grands chemins du duché de Bourgogne (s. d.). M. Perrault de Montrevost, commissaire à la répartition de la capitation de la noblesse de Bourgogne, propose une évaluation de la dépense routière située elle aussi entre 500 000 et 600 000 Lt ; en complément d’une somme de 200 000 Lt que la province ponctionnerait sur le fonds des Ponts et Chaussées, il suggère pour sa part de répartir une imposition de 400 000 Lt sur les 1 217 communautés de la province (A.D. Cote d’Or C 3861. M. Perrault de Montrevost, Réponse abrégée aux notes critiques du projet sur l’entretien des chemins proposé aux États de 1787, Defay, 1789, p. 4 et 7).
125 A.D. Côte d’Or C 3862. Délibération concernant l’entretien annuel des grandes routes de la province (27 février 1789).
126 A.D. Ille-et-Vilaine C 2407. Lettre de l’intendant à Calonne (22 avril 1786). Letaconnoux J., Le Régime de la corvée… op. cit.., p. 503-505, et Rebillon Armand, Les État de Bretagne de 1661 à 1789, Rennes, impr. réunies, 1932, p. 434-435.
127 A.D. Ille-et-Vilaine C 4736.
128 Citée par G. Habault, op. cit.., p. 125.
129 Arrêt du 6 novembre 1786, Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 183, p. 259.
130 La Millière (1790), p. 12.
131 A.D. Haute-Vienne C 296. Chaumont de la Millière, Mémoire sur les corvées, 1782.
132 Arrêts du Conseil qui approuvent les devis faits pour travaux des routes dans diverses généralités et qui autorisent la perception des contributions (1786-1787), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 184, p. 263 et P.J. 188, p. 265.
133 Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 163 p. 225-227.
134 A.N. F14 130. Délibération de l’assemblée provinciale (17 décembre 1787), et Arrêt du Conseil (20 mars 1788) qui autorise la répartition et recouvrement en 1787 sur les villes et communautés de la généralité d’Alençon de leurs contributions représentatives.
135 A.D. Marne C 2850.
136 A.D. Nord C 9004-9005.
137 A.D. Meurthe-et-Moselle C 107. Seconde partie des travaux des routes (s. d./1788).
138 Procès verbal des séances de l’Assemblée provinciale de l’Orléanois (1787), p. 108 : Tableau général de toutes les impositions supportées par les douze élections de la généralité d’Orléans pendant l’année 1787.
139 A.D. Puy-de-Dôme 1C 6652. État des sommes que les élections doivent supporter pour les travaux des routes en 1787 et dont l’imposition est ordonnée par l’arrêt du Conseil du 11 janvier 1787. État général de ce que doivent payer les communautés de la généralité de Riom pendant l’année 1787 pour leur contribution aux travaux des routes.
140 Le montant de la contribution de 1787 fut reconduit pour l’année 1788 (Arrêt du Conseil du 4 mars 1788), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 197, p. 273.
141 A.D. Indre-et-Loire C 167.6388542.
142 Boye P., op. cit.., p. 72-73.
143 Cf. Shapiro G. and Markoff J., Revolutionary demands: A content analysis of the cahiers de doléances of 1789, Stanford, Stanford University Press, 1998, p. 397.
144 BnF ms FR8523. Tableau de comparaison du prix de la corvée, avec le montant de la taille et de la capitation. Année 1786.
145 A.D. Orne C 134. État des paroisses qui doivent travailler par corvée sur les routes et principaux chemins de ladite généralité à commencer des 21 et 28 avril et 5 mai 1766. A.D. Orne C 139. Carte des communautés de l’élection d’Alençon relativement à la confection et à l’entretien des routes avec leur contribution à raison du quart du principal de leur taille ordinaire.
146 Pommereul F.-R.-J. de, Des corvées…, op. cit.., p. 8.
147 Mathias P. et O’Brien P., « Taxation in Britain and France (1715-1810). A comparison of the social and economic incidence of taxes collected for the central governments », Journal of European Economic History, 1976, no 3 (5), p. 604 et p. 608.
148 Mémoire sur les corvées (1782), Vignon E.-J.-M., op. cit.., t. 3, P.J. 163, p. 224-225.
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