Entrepreneuriat en économie sociale et solidaire : quelles voies théoriques de dépassement pour comprendre cet « entreprendre autrement »
p. 99-123
Texte intégral
Introduction
1La littérature sur l’entrepreneuriat dans l’économie sociale et solidaire (noté ESS dans le texte) s’adresse davantage aux praticiens (Allemand et Seghers, 2007) et encore peu de travaux ont été publiés dans une perspective de théorisation (Demoustier, 2001 ; Valéau et alii, 2004 ; Boncler et Hladly-Rispal, 2003, 2004). Toutefois, les travaux de Young (1983, 1986), de Powell (1987 ; James, 1987 ; Dees, 1998 ; Bilodeau, Slivinski 1998), ainsi que des publications récentes (Glaeser & Shleifer 2001, Frank 2006, Hervieux, 2008 ; Hervieux et alii, 2007, Zahra et alii, 2006) nous invitent à ouvrir le débat – sous un angle pluridisciplinaire – des voies d’articulation théorique entre les champs de l’entrepreneuriat et de l’économie sociale et solidaire.
2Dans ce chapitre, sont étudiés les questionnements puis les voies de dépassement envisageables pour aborder ces processus entrepreneuriaux menant à un « entreprendre autrement ».
Les questionnements
3Dans l’univers francophone, la prise en compte des spécificités des projets de l’ESS dans leur phase d’émergence organisationnelle demeure encore bien imparfaite malgré des travaux francophones récents (Valéau et alii, 2004 ; Boncler et Hlady-Rispal, 2003, 2004).
4Sur le plan théorique, les auteurs francophones en entrepreneuriat s’accordent pour étudier les dynamiques entrepreneuriales à partir de la dialogique Création de valeur/Individu (Bruyat, 1993, 1994 ; Bruyat et Julien, 2001) : d’une part il s’agit d’étudier l’objet du processus soit l’innovation ou tout au moins la création de valeur nouvelle et, d’autre part, de s’intéresser au rôle essentiel de l’individu dans ce processus entrepreneurial.
5Dans le secteur non marchand et dans l’univers de l’économie sociale et solidaire, on observe des formes entrepreneuriales où des acteurs, multiples et animés de logiques d’action différentes, collaborent ensemble à la construction et à la mise en œuvre du projet. Ces dynamiques soulèvent des questionnements que nous avons cherchés à récapituler avant d’envisager de possibles voies de dépassement.
La question de la création de valeur1
6Pour circonscrire la notion de création de valeur, la vision prédominante est celle de l’économie néoclassique selon laquelle la valeur s’exprime à travers l’échange et donc à travers le prix qui s’établit sur le marché, restreignant le champ de l’entrepreneuriat au secteur marchand, c’est-à-dire le secteur privé, mais aussi les organismes à but non lucratif et les coopératives qui agissent dans le secteur privé, ainsi que la partie du secteur public dont les activités sont concernées pour leur part principale par la vente de produits ou de services sur le marché (Bruyat et Julien, 2001). Cette vision de la valeur, en tant que valeur marchande, laisse peu de place à d’autres dimensions de la valeur ; or, précisément, l’activité des organisations de l’ESS repose sur la production d’une utilité sociale (valeur sociale et/ou sociétale), revendiquée dès l’émergence des projets entrepreneuriaux. Comment analyser, par exemple, la création des nouvelles sociétés coopératives d’intérêt collectif (SCIC) (cf. le chapitre sur les SCIC de S. Emin et G. Guibert dans cet ouvrage) ? Plus globalement, les acteurs de l’économie sociale et solidaire mettent en cause la valeur en tant que réalité donnée (par le marché, l’environnement ou la société), refusant de s’affranchir de considérations éthico-politiques dans la construction de leurs projets.
7Élargir la notion de valeur pour tenir compte des spécificités des projets de l’ESS nécessite d’apporter une réponse à deux questions essentielles : une création de valeur nouvelle pour « qui » ? Une création de valeur pour « quoi » ? En effet, l’importance de ces deux dimensions est soulignée dans les définitions du champ proposées. Pour A. Ben-Ner et T. Van Hoomissen (1993), une organisation de l’économie sociale (OES) est « Une coalition d’individus qui s’associent afin de s’offrir et de fournir à d’autres des biens ou des services qui ne sont offerts de façon adéquate ni par les organisations lucratives ni par les organisations publiques ». Selon l’AVISE2, « un entrepreneur social est porteur d’un projet économique au service d’un intérêt collectif et/ou d’une finalité sociale. Ce type de projet est fortement ancré dans son territoire et généralement inscrit dans le champ de l’économie sociale et solidaire ». Pour J. Boncler (2002), « l’entrepreneuriat en économie solidaire se caractérise, d’une part par la recherche d’une plus-value sociale […], d’autre part cet entrepreneuriat agit, la plupart du temps, dans l’intérêt de la collectivité ».
8Des auteurs francophones se sont déjà intéressés à l’élargissement de la notion de création de valeur afin de laisser une place à des phénomènes entrepreneuriaux initialement mal pris en compte, soit en considérant la cible de la valeur créée (Paturel, 2005) soit en recourant à la notion de stakeholders ou parties prenantes (Verstraete, 2002, 2003). Dans cette perspective, la valeur se relativise à la partie prenante à laquelle l’entrepreneur et son organisation doivent apporter satisfaction, donc de la valeur. Le « qui » correspond alors à la (les) partie(s) prenante(s) dont l’intérêt est satisfait. Traditionnellement, les travaux sur l’économie sociale et solidaire distinguent un continuum « régulation par le marché versus régulation par l’administration ». Le marché est dynamisé par l’intérêt particulier, la liberté des particuliers, alors que le politico-administratif repose sur l’intérêt public, général et sur la contrainte. Dans les projets d’ESS, l’intérêt est défini comme étant « collectif » (Rose-Ackermann, 1997). Si l’intérêt général renvoie au bien de tous et l’intérêt privé à celui de l’individu, le « collectif » – concept intermédiaire – désignerait l’intérêt d’un groupe plus ou moins large d’acteurs, d’un territoire local plutôt que national. Il reste à identifier ce groupe bénéficiaire des actions sociales. Sur ce point, B. Lévesque (2002) distingue ce qu’il nomme une « entreprise collective » (où la valeur est tournée vers le collectif – les membres) et ce qu’il appelle une « entreprise sociale » (où la valeur est tournée vers la communauté – proximité)3. G. Neyret (2006) précise que le secrétariat d’État à l’économie solidaire (circulaire de 2000) identifie quatre champs de solidarité : solidarité entre proches ou entre semblables (ou l’on retrouve la notion d’action en faveur des membres) ; solidarité altruiste vis à vis des plus démunis ; solidarité entre territoires et solidarité entre générations. Ainsi, le champ d’action des « entreprises sociales » peut-être diversifié de la relation de proximité envers des publics en difficulté (insertion, aide aux personnes âgées, etc.) à la relation nord/sud caractérisée par exemple par les organismes de commerce équitable. Les travaux du LERFAS (2003) apportent une autre distinction. Ils proposent de tenir compte de trois orientations d’action : « vers soi », « vers autrui » et « vers tous ». Ainsi, le destinataire de l’action n’est pas une constante entrant dans la définition de l’économie sociale et solidaire, mais plutôt un facteur de différenciation. Cinq niveaux au moins sont à distinguer : le projet servant un intérêt individuel (ex : entrepreneuriat individuel capitaliste), le projet collectif tourné vers l’intérêt de ses membres (les projets du type autocentré – « celui du pour soi ou entre soi » – dans lesquels l’action est dirigée vers les membres du groupe), le projet collectif tourné vers la communauté (l’action est dirigée vers les autres dans une logique altruiste, ancrée sur un territoire local dans une relation de proximité ou encore menée au niveau international pour favoriser le développement local), le projet collectif tourné « vers tous » dans lesquels l’action n’a pas de public prédéfini (ex : les entreprises solidaires exerçant leur activité sur le marché) et le projet d’intérêt général (entreprise ou organisme nationalisé).
9Cette question de la valeur créée ne doit pas se limiter au « qui » (avec la (les) cible(s) ou partie(s) prenante(s) visée(s)), mais doit aussi intégrer une réflexion sur le « quoi » (le type de valeur créée). Cette deuxième question, complexe, est au cœur de nombreuses recherches menées en économie sociale ; elle est abordée sous l’angle de l’utilité sociale4, par la question des spécificités méritoires (Bloch-Lainé, 1991) ou encore à travers la thématique du bilan sociétal. Elle permet de distinguer, en se fondant sur la classification opérée par J. Gadrey (2004), des projets tournés vers le profit financier, des projets sociaux à forte composante économique, des projets porteurs de lien social et des projets porteurs d’innovation sociale5. Ce dernier élément permet de rejoindre le thème de l’innovation cher aux chercheurs en entrepreneuriat en l’élargissant à son versant social. Une telle posture requiert une analyse très contextualisée et territorialisée de chaque projet pour mieux cerner le caractère pluridimensionnel de l’utilité sociale du projet mais aussi son caractère évolutif.
La question de l’individu – entrepreneur
10Concernant l’entrepreneur, la majorité des recherches en entrepreneuriat ont privilégié l’initiative socio-économique – à partir de l’acteur individuel. Or, s’il arrive parfois d’identifier des personnalités charismatiques, porteur de projet à titre individuel, le terrain de l’économie sociale et solidaire nous invite à chercher à comprendre les processus sur une base plus collective en tenant compte de la diversité des parties prenantes impliquées dans le projet mais aussi des interactions de chaque acteur avec ces mêmes parties prenantes et leur univers d’action respectif. En effet, de nombreux projets entrepreneuriaux de l’économie sociale et solidaire sont collectifs par nature, résultant d’un partenariat, d’une collaboration entre les créateurs, les élus, les services de l’État, les milieux socio-économiques, les citoyens et les usagers. Ils sont supposés être d’emblée issus d’un entrepreneuriat collectif, c’est-à-dire créés par l’action d’un groupement de personnes (Boncler et Hlady Rispal, 2004), sans qu’il s’agisse spécifiquement d’une équipe de fondateurs6. Dit autrement, « l’entrepreneur » doit ici se comprendre en termes d’acteur collectif en lien avec la question des réseaux mobilisés et de l’ancrage territorial. Comme le souligne le chapitre sur l’émergence entrepreneuriale (Charles-Pauvers et alii), si certains projets démarrent avec un « collectif » déjà constitué, pour beaucoup d’autres, la dimension collective s’établit au fil de l’avancement du projet, des difficultés ou opportunités rencontrées, selon une dynamique spécifique. Si pour certains projets, la phase d’émergence permet la « cristallisation » de réseaux du (des) initiateurs en un véritable collectif, on observe également la formation de projets à partir d’une chaîne d’acteurs (futurs usagers/bénéficiaires, des fournisseurs, des clients, des agents de l’État ou des collectivités locales ou d’autres associations ou organisations) s’engageant dans de nouvelles relations et collaborations par lesquelles le projet prend forme ; ils participent ainsi à la création d’une nouvelle organisation.
11Toutefois, cette dynamique se révèle d’autant plus difficile à saisir que le paradigme de l’individualisme méthodologique (en économie) exerce une influence prégnante sur le champ de l’entrepreneuriat. Pour Ben Hafaiedh (2006 : 47), la recherche actuelle tend à reproduire au sujet de l’entrepreneuriat en équipe les mêmes erreurs que la recherche en entrepreneuriat à ses débuts. En effet, le problème reste envisagé sous l’angle de l’individu, qu’il s’agisse d’un individu isolé7 ou d’une équipe entrepreneuriale8. Pour éviter cette focalisation, il faut appréhender le phénomène dans sa globalité.
12Une voie de dépassement, proposée par Ben Hafaiedh (2006) dans la lignée des travaux de J.-P. Bréchet et A. Desreumaux (cf. bibliographie), serait de « lier la réflexion sur le quoi (le substantif, qui ne saurait exclure le pourquoi) et le comment (le procédural) de l’action collective pour fonder une théorisation propre à notre discipline [les sciences de gestion] ». En effet, lors de la phase d’émergence organisationnelle, parler d’entrepreneur semble prématuré, il nous semble plus pertinent d’introduire une distinction entre les initiateurs du projet (public/privé – individu/collectif), les porteurs du projet, effectivement engagés dans l’action, et les parties prenantes très impliquées (par exemple par leurs actes) pour aider la réalisation du projet ou encore les organisations « porteuses » permettant l’incubation du projet. Derrière cette distinction, il importe de chercher à comprendre comment ce collectif se forme, comment ces acteurs aux intérêts divergents parviennent à s’organiser, à se coordonner et à décider ensemble des modalités de mise en œuvre du projet.
13Ces propositions nous incitent à rechercher de nouveaux cadres d’analyse pour mieux appréhender la question de l’articulation d’actions indépendantes contribuant à une forme d’activité collective. On sait depuis les travaux de M. Olson, qu’il ne suffit pas que les individus aient un intérêt commun pour qu’ils agissent ensemble pour l’atteindre. La question des règles qui fondent le collectif se pose (Reynaud, 1989). On peut alors avancer l’hypothèse d’une pluralité de combinaisons socio-économiques possibles autour de triptyques Projet(s)/Acteur(s)/Contexte(s), combinaisons qui se construisent à partir de compromis entre acteurs (Boltanski et Thévenot, 1991).
14Une telle posture conforte l’approche par le projet, que tant de travaux en entrepreneuriat évoquent de manière quasi tautologique, (par le recours aux expressions de « porteurs de projet », « de nature du projet », de « structure d’émergence du projet »), sans pour autant veiller à clarifier conceptuellement ces acceptions qui sont mobilisés de manière un peu floue. En effet, ces questionnements relatifs à l’émergence organisationnelle dans l’économie sociale et solidaire, au développement d’activités ou encore à la capacité des organisations à but non lucratif à révéler ou à satisfaire des besoins, convergent toutes vers la notion de projet, et plus particulièrement du projet d’entreprendre9 (Bréchet, 1994). Le projet se définit comme processus de rationalisation de l’action (Hatchuel et Weil, 1992 ; Hatchuel, 2000) ou, dit autrement et plus précisément, comme effort d’intelligibilité et de construction de l’action fondé sur l’anticipation (Bréchet et Desreumaux, 2006). En tant qu’effort d’intelligibilité, le projet requiert un travail sur les savoirs à caractère plus ou moins collectif ou partagé ; en tant qu’effort de construction de l’action, il suppose un travail de prescription des savoirs et donc de contrôle des comportements, à caractère aussi plus ou moins collectif ou partagé.
15Dans cette perspective théorique qui « consacre » le projet comme objet de recherche, notamment en entrepreneuriat (Lindgren et Packendorf, 2003, 2007), la question du porteur du projet se trouve posée en des termes bien différents puisqu’elle s’intéresse avant tout aux fonctionnalités du porteur, appréhendées sur le double plan de la construction des savoirs et des relations engagés dans l’action collective. Dès lors, les débats relatifs à la caractérisation de la figure du porteur se trouvent délaissés au profit de questions plus processuelles qui sont en phase avec notre problématique sur l’émergence organisationnelle : à savoir, quels sont les savoirs déployés et les relations engagées, par qui, auprès de qui, sur quelle durée et de quelle manière mais aussi à quel coût. Dans cette perspective, on peut alors mieux appréhender cette figure du porteur à « géométrie variable », les processus de genèse et de morphogenèse des systèmes d’acteurs, tels qu’on peut les repérer dans l’univers de l’ESS et dont les fonctionnalités sont encore méconnues (Nyssens, 2000).
16L’histoire de l’ESS (Anhier et Sebel, 1990) nous révèle l’existence d’individus, initiateurs de projets plus ou moins nouveaux, créateurs de valeur économique et sociale. Dans le portage du projet, ils sont confrontés à de réelles difficultés pour concevoir leur action, structurer leur démarche dans des contextes d’acteurs et de facteurs plus ou moins favorables. Ces actes d’entreprendre comportent et/ou manifestent une dimension technique mais aussi une dimension éthico-politique, où calcul d’intérêts, solidarité et altruisme sont étroitement mêlés dans l’action. De tels constats nous incitent à analyser le projet à partir de trois dimensions : les dimensions technico-économiques qui expriment le modèle de création de valeur ; les dimensions éthico-politiques mises en œuvre dans l’action, à travers le bien commun dont l’action collective est porteuse ; et enfin les dimensions structurelles et d’animation déployées dans le temps, qui permettent d’aborder l’articulation avec les parties prenantes (tels les pouvoirs publics, les usagers, les salariés, les bénévoles).
Pour une problématique élargie susceptible d’aborder le phénomène entrepreneurial en économie sociale et solidaire
17Nous allons ici largement reprendre des développements proposés par J.-P. Bréchet et A. Desreumaux et qui ont fait l’objet de publications de synthèses (cf. bibliographie). Le phénomène entrepreneurial trouve sa place dans une théorie plus large de l’action collective.
À la recherche d’une épistémologie du processus entrepreneurial
18L’action collective (l’entreprise, l’association, l’hôpital…) ne va jamais de soi, ni son émergence à travers une impulsion initiale et des conditions constituantes, ni son existence à travers son maintien ou son renouvellement, ni sa construction elle-même. Ce constat renvoie à la nature artefactuelle de l’organisation mise en exergue par H. Simon ; c’est donc bien elle, l’action collective qu’il faut appréhender (déconstruire et construire) et critiquer. Derrière ce questionnement, c’est une épistémologie de l’action qui est en jeu.
19Sur ces points les insuffisances des théories de l’entreprise dominantes dans le champ des sciences sociales, dites parfois voire souvent théories de la firme (révélant ainsi leur origine économique et le statut de l’entreprise comme firme-point ou boîte noire), d’inspiration contractualiste ou évolutionniste, ont été soulignées. Leur dépassement appelle à une théorie de l’action collective fondée sur le projet dans le cadre artificialiste proposé par H. Simon (Bréchet, 1994 ; Bréchet et Desreumaux, 2004 a et b ; Desreumaux et Bréchet, 1998, 2009).
20Quel serait le cadre commun nécessaire aux regards pluriels qu’appelle l’étude du phénomène entrepreneurial, dans le contexte de l’ESS ? Dans l’esprit des travaux sur les théories de l’entreprise que nous mobilisons, il peut être désigné à travers un certain nombre de propositions, certaines à caractère théorique général, d’autres plus spécifiques à l’entrepreneuriat en général, et à l’entrepreneuriat dans l’ESS en particulier. Ce sont ces propositions que nous allons ici formuler dans des propos de synthèse :
L’objet d’étude est moins l’entreprise en tant qu’unité dans des visions entitaires et morphologiques que le processus d’émergence de l’action collective dans une approche à caractère processuel ou développemental.
L’action collective se comprend comme le fruit de processus de rationalisation de l’action définis comme effort de construction des savoirs et de mise en relation des acteurs. Elle met toujours en jeu des sujets connaissants (une construction et une dynamique de savoirs) et un système de relations (connaissables et constitutifs des sujets) (Hatchuel, 2000, 2005). Observons ici avec A. Hatchuel que l’économie privilégie la question des savoirs quand la sociologie privilégie celle des relations.
L’émergence et la transformation des organisations se comprennent comme un processus de co-construction historiquement et spatialement situé de l’acteur-entrepreneur, de l’acteur-organisation et du contexte socio-économique.
Les processus de co-construction des acteurs, des organisations et des contextes mettent en jeu une rationalisation de l’action fondée sur un projet d’action collective à finalité productive.
Le projet d’action collective se comprend comme effort d’intelligibilité et de construction de l’action fondé sur l’anticipation. Il recouvre des dimensions éthico-politiques, technico-économiques et socio-organisationnelles.
L’émergence et le maintien de l’action collective sont toujours problématiques : une incertitude d’engagement des personnes, une incertitude de coordination de l’action et une incertitude de régulation à caractère systémique (à l’échelle de l’organisation elle-même et des régulations englobantes) demeurent irrémédiablement en jeu dans l’action collective en univers concurrencé sur les ressources et les débouchés.
L’ESS est la mise en avant d’invariants de l’action tels que le don de soi, le souci de l’autre, le respect de la nature, l’esprit de soin, la logique de l’adhésion…, comme limite des modalités de construction de l’action collective, comme limite à l’économie et au management, comme limite au façonnement conjoint des acteurs et des contextes. De ce point de vue, le modèle de l’entreprise ne saurait être le modèle de bonne gestion « car l’entreprise se constitue à partir d’un processus auto-fondateur et auto-définitionnel qui serait dangereux et inacceptable pour la plupart des autres « institutions ». Dit autrement, une entreprise de par sa nature artefactuelle « totale » peut changer (certes avec difficultés) de nom, de propriétaire, d’activité sans crise de légitimité majeure. En revanche, nous dit Hatchuel (2007) : « Imagine-t-on un syndicat, un hôpital, une organisation caritative, changer aussi radicalement sans crise identitaire majeure ? ». Dit autrement encore, chaque institution relève d’une épistémologie de l’action particulière.
21Tentons maintenant d’avancer dans cet effort de problématisation. Dans un premier temps, nous allons revenir sur les insuffisances des lectures économiques et sociologiques, en n’évitant malheureusement pas la simplification et parfois la caricature tant leur diversité et leur richesse sont grandes comme nous l’avons évoqué. Nous suggérerons ensuite comment l’approche par le projet permet d’émettre un certain nombre de propositions et de pistes de recherche.
Deux modèles contrastés et réducteurs de l’action coordonnée
22Ayant à l’esprit que nous réfléchissons à l’élaboration d’une théorisation de l’action collective à même de problématiser l’émergence organisationnelle et le phénomène entrepreneurial en ESS, se pose la question centrale du passage de l’individuel au collectif. Ce passage, qui suppose une définition de l’individuel et du collectif d’une part, des mécanismes d’articulation de l’autre, se trouve au coeur de toute théorisation de l’action coordonnée.
23L. Thévenot (2006), à la suite de nombreux auteurs et de nombreux débats sur ces questions (cf. par exemple Boudon 1977 ; Elster 1989 ; Van Parijs 1990), oppose deux schémas contrastés. Il parle de tentatives symétriques de réduction indiquant en cela que des auteurs portent ces débats et visent l’extension des sphères d’influence des axiomatiques fondatrices, même si cette opposition ne saurait rendre compte de nombre de développements sociologiques ou économiques actuels. Ces schémas rendent compte différemment de l’ordre social et de la coordination, comme l’indique le tableau 1 ci-dessous.
Tableau 1 – Deux modèles contrastés de l’action et du collectif
Eléments clés des modèles de société coordonnée1 |
Rationalité intéressée et équilibre |
Norme sociale et ordre |
Modèle de l’action |
Conduite gouvernée par le choix rationnel individuel |
Conduite gouvernée par la norme d’un groupe social |
Figure d’intégration |
Équilibre concurrentiel |
Ordre ou structure sociale |
1. Si l’on évoque la coordination à propos d’économie ou de sociologie sans plus de précision, il faut retenir une acception extrêmement large de l’idée de coordination, sans préjuger d’intentions ou de plans communs, ni de règles, habitudes ou dispositifs disciplinaires (Thévenot 2006, 62).
Source : Thévenot (2006), p. 82
24L’économie traditionnelle, fondant ses raisonnements sur l’hypothèse d’une rationalité instrumentale, comprend l’intégration comme un équilibre (théorie de l’équilibre général) résultant de l’ajustement de choix rationnels et calculés (théorie de la décision10). Le phénomène entrepreneurial ne peut y trouver qu’une place pour le moins secondaire11. Du côté du réductionnisme sociologique, l’action perçue traditionnellement comme le résultat du poids des normes sociales conduit à penser l’intégration d’actes comme un ordre régissant les pratiques sociales. Équilibre constaté ex-post et fruit d’ajustements autour de la circulation de l’information, à travers les prix notamment, étant donné nombre d’hypothèses restrictives (nomenclature des biens et des états du monde, stabilité des préférences notamment) qui autorisent à manier de tels raisonnements pour les premiers12, ordre social ex-ante lourd d’une inertie déjà là pour les seconds. Ces deux modèles ont ceci en commun, toutefois, que de s’inscrire dans la perspective d’une physique sociale reposant sur des lois à l’image des sciences de la nature : couple norme-ordre d’un côté et rationalité-équilibre de l’autre et finalement peu de place pour l’acteur et à une réelle problématique de l’action en situation.
25Ce qui suggère immédiatement que le support d’un effort de théorisation devra se centrer sur la construction de l’action elle-même et l’articulation des niveaux d’analyse via la prise en compte des interactions entre acteurs. Cet effort est déjà engagé. La sociologie et l’économie ont porté leur attention vers les structures d’interaction et les aspects interprétatifs et cognitifs en jeu dans les situations et les relations entre acteurs. Les jugements des acteurs ne peuvent plus se comprendre comme l’application d’une norme ou d’un choix dans un environnement objectif donné a priori. Les ajustements de l’action à la situation et aux autres ne sont plus ignorés. On n’évoquera pas ici la variété de courants et d’auteurs qui se sont saisis de ces aspects (cf. Orléan 1994, 2004 ; Thévenot 2006).
L’entrée par l’action collective
26Par rapport au tableau précédent apparaît une 3e colonne, au centre, dont on peut dire qu’elle se fonde sur la reconnaissance de l’action collective (émergence, maintien…). L’action collective et ses incertitudes se présentent alors comme le phénomène problématique dont il s’agit de se saisir.
Tableau 2 – Les modèles de la coordination
Éléments clés des modèles de société coordonnée |
Rationalité intéressée et équilibre (l’économisme) |
La relation et le réseau (le relationnisme) |
Norme sociale et ordre (le sociologisme) |
Modèle de l’action |
Conduite gouvernée par le choix rationnel individuel |
La relation (et le savoir) problématique comme point d’entrée |
Conduite gouvernée par la norme d’un groupe social |
Figure d’intégration |
Équilibre concurrentiel, l’ajustement constaté ex-post |
Les acteurs et leurs projets, les régulations |
Ordre ou structure sociale, le poids du contexte |
Situation problématique |
Le choix et les questions d’allocation |
L’incertitude d’engagement et de coordination de l’action |
L’anomie et la perte des repères |
Entrée dans la problématisation |
L’acteur autonome, rationnel et informé (et ses limites) |
Le façonnement conjoint de l’acteur et de la situation ; les émergences organisationnelles et les régulations |
Le contexte et les contraintes |
Noyau dur de la posture paradigmatique |
L’auto-organisation, le contexte comme décor ou paramétrage de l’action |
L’auto-éco- organisation, les émergences organisationnelles, la construction des régulations |
L’éco-organisation, les dépendances |
Statut de l’environnement et du futur |
Futur comme ensemble d’états accessibles en connaissance et à choisir |
Futur à construire |
Futur hors de portée de l’acteur |
Éléments clés des modèles de société coordonnée |
Rationalité intéressée et équilibre (l’économisme) |
La relation et le réseau (le relationnisme) |
Norme sociale et ordre (le sociologisme) |
Statut de l’action |
Choix et décision, Problématique d’allocation Paradigme allocatif |
L’action comme artefact La rationalisation et la régulation Paradigme artificialiste, les sciences de la conception |
L’action comme socialisation Paradigme structuro-fonctionnaliste |
Modèle de l’agir et de la rationalité |
Agir rationnel, rationalité instrumentale et allocative |
Agir créatif, rationalité projective, instrumentale et cognitive |
Agir déterminé, rationalité axiologique |
Critère de performance |
Efficience allocative |
La convenance, la pertinence, l’adaptation |
Sans objet ou respect de la norme |
27Ce qui est fondamentalement en jeu, c’est ce que L. Thévenot appelle aussi l’incertitude de coordination et, comme c’est la question de l’engagement même dans l’action, a fortiori dans l’action collective qui nous intéresse, c’est bien l’incertitude de l’engagement et de la coordination. L. Thévenot fonde d’ailleurs sa démonstration sur la reconnaissance de régimes d’engagement dans l’action13. C’est aussi l’incertitude de l’émergence organisationnelle, émergence qui bien entendu n’a jamais rien de naturel et suppose un acteur, individuel ou collectif, porteur d’un projet et, pour cet acteur, le déploiement d’un effort de transformation d’une intention privée de faire quelque chose en une action publique impliquant d’autres personnes. Cet aspect d’effort, on peut le comprendre avec Hatchuel et Weil (1992) comme effort de rationalisation de l’action, mais l’acte entrepreneurial qui met en jeu une énergie de changement appelle sans doute un regard spécifique.
28Selon B. Latour (2006), les sources d’incertitude d’engagement et de coordination tiennent à cinq incertitudes : la première met en jeu la question même des contours du phénomène et de l’acteur, la deuxième a trait à l’action elle-même observable dans une écologie complexe (cf. l’écologie de l’action chez Morin, 1977, 1980), la troisième porte sur les actions et les objets engagés dans l’action. La quatrième et la cinquième reconnaissent que l’accès aux faits disputés ou controversés est un « sac d’embrouilles » et que la restitution en est tout aussi compliquée.
29Mais souligner l’importance d’une figure de porteur de projet comme initiateur d’une dynamique de constitution de savoirs et/ou de relations ne doit pas conduire à considérer que l’on entre uniquement par l’acteur dans la problématique de construction de l’action. L’action collective qui se construit se comprend comme façonnement conjoint de l’acteur et du système. C’est une auto-éco-organisation au sens d’E. Morin. Le futur est à construire, l’action est un construit et le paradigme de rattachement est bien le paradigme artificialiste qu’appelait H. Simon de ses vœux dès la fin des années 1960. Il reste toutefois à clarifier la question de la rationalité que l’on reconnaît aux acteurs, même si nous en sommes bien d’accord pour retenir que c’est plus la rationalisation de l’action qu’il convient d’instruire et de construire que la rationalité qu’il convient de poser sur un mode exogène aux pratiques. Simplement, l’importance de la question de la rationalité, dont témoignerait aisément la multiplicité des écrits sur le sujet, appelle malgré tout qu’elle ne soit pas complètement délaissée. Non pour s’en saisir comme d’un déterminant de l’action sur un mode calculatoire ou axiologique. Mais bien plutôt pour qualifier un modèle comportemental générique, une rationalité englobante à même d’accueillir la variété des comportements. Ce qui est en jeu pour nous ici c’est une double question : celle de la reconnaissance d’un agir projectif et celle de la prise en compte de l’ordre des finalités dans l’action. Il ne s’agit pas de la seule rationalité procédurale sans pour autant perdre de vue son importance pour fonder la rationalité des comportements en dehors de la rationalité synoptique et substantive comme l’a bien montré H. Simon (1969).
La nécessité d’introduire un agir projectif
30Si l’on retient les termes contrastés initiaux de ce débat, on mesure immédiatement que le projet ne trouve nullement sa place en tant qu’il serait à l’origine de la construction de l’action et de la coordination. Le projet importe pour l’économisme mais s’inscrit dans une problématique allocative et calculatoire. L’équilibre ex-post comme figure d’intégration ne laisse aucune place aux desseins et aux projets des hommes, tout au contraire les exclut fondamentalement. La question du projet, du sens de l’action, n’intervient pas dans la construction théorique, ne fait pas sens. L’idée d’ordre n’est guère compatible avec l’idée de projet non plus, on le comprend, à la réserve près, malgré tout, qu’il faudrait tenir compte des différentes façons d’envisager l’ordre, notamment si l’on fait une place à la construction de la norme elle-même (Thévenot, 2006, 64).
31Homo economicus, peu caricaturé, serait un homme d’arbitrage et d’allocation de ressources considérées comme déjà là, charge au marché d’assurer sélection et régulation. Homo sociologicus, figure caricaturale du réductionnisme sociologique serait, quant à lui, peu maître de son destin et peu à même d’être à l’origine d’une construction volontaire et authentique du monde.
32Il faut d’emblée observer que nombre de travaux économiques et sociologiques ne portent pas sur l’organisation productive (entreprise ou organisation au sens plus large) en tant que telle mais s’intéressent aux comportements individuels de façon large (notamment pour l’économie) et à des contextes d’action tout autres (famille par exemple). Il faudrait donc garder à l’esprit le souci de spécifier le propos au contexte des organisations productives de façon large. Cette remarque engage aussi à rappeler que, plus que l’action individuelle c’est l’action collective qui nous intéresse. Nous retenons néanmoins que toute perspective d’individualisme complexe nécessite qu’il n’y ait pas de rupture paradigmatique lors du passage de l’individu au collectif.
33Dans leurs travaux, J.-P. Bréchet et A. Desreumaux14 attribuent aux acteurs un agir projectif, à la fois créatif et d’anticipation. Ils prennent appui sur la reconnaissance de la créativité de l’agir qu’avance H. Joas (1999). La théorie de l’action avancée par cet auteur met en jeu le dépassement du dualisme acteur-système qui se trouve au fondement de la colonne centrale du tableau 2 : il s’agit de reconnaître pleinement un acteur agissant sans être agi par des logiques identitaires dont il serait le véhicule ou des logiques extérieures qui détermineraient ses comportements ; cet acteur n’est pas non plus libre de toute contrainte. Nombre d’auteurs admettent cette zone limitée d’autonomie, ce sans quoi les forces de mouvement de la société ne s’expliqueraient pas comme le retient A. Touraine dans la préface du livre de H. Joas (1999).
34Mais cette quête de l’acteur, d’un point de vue autant ontologique que méthodologique, ne doit pas se limiter à une quête d’une des facettes de l’acteur, sauf à opérer une restriction pour des questions de méthode et de confrontation au terrain (acteur stratège de la sociologie des organisations par exemple) ou de nature théorique (acteur communiquant de J. Habermas par exemple). Et A. Touraine de retenir avec Joas que l’acteur défend son individualité qui, avant d’être économique ou sociale, est tout d’abord un rapport à soi à la fois corporel et moral. L’acteur se définit par son ontologie plurielle, par ses dimensions biologiques, anthropologiques et sociétales. Ce qu’affirme aussi depuis longtemps E. Morin quand il définit l’homme par le triptyque individu-société-espèce.
35Le caractère créatif de l’agir humain sur lequel insiste H. Joas nourrit un modèle de l’action qui se situe dans une position englobante par rapport aux modèles dominants de l’action rationnelle et de l’action à visée normative. L’agir créatif n’est pas un troisième agir qui viendrait s’ajouter aux deux autres. Comme le dit H. Joas, il ne s’agit pas de signaler un nouveau type d’action jusqu’à présent négligé, mais de mettre à jour dans tout agir humain une dimension créative insuffisamment prise en compte, et qui permet de penser l’articulation des rationalités.
Le projet dans l’action collective
36Pour conclure sur la place du projet dans l’action collective, reprenons quelques propositions de synthèse pour mieux préciser le concept de projet (Bréchet et Desreumaux, 2006 notamment15), particulièrement en ce qu’il est au fondement du collectif, propositions susceptibles de nous aider à aborder l’entrepreneuriat en ESS.
37Le projet organisationnel ou collectif revêt une dimension existentielle et une dimension opératoire. Pour aborder ce premier aspect, on part d’une catégorisation des projets sur la base d’une distinction entre les dimensions instrumentale et existentielle du projet d’un côté et le caractère individuel ou collectif de l’autre (cf. tableau 3).
Tableau 3 – La diversité des figures du projet
Caractère existentiel |
Caractère technique |
|
Projet individuel |
Le projet de vie |
Le projet artisanal |
Projet collectif |
Le projet d’entreprise |
Le management de projet |
38Source : à partir de Boutinet (1993a, b)
39Pour ce qui nous intéresse, à savoir l’action collective, l’opposition entre le caractère individuel ou collectif se montre réductrice. En effet, tout projet se développe dans un collectif englobant, dans un contexte d’interaction avec d’autres acteurs sans lesquels il ne pourrait s’actualiser. Tout projet s’appuie aussi inévitablement sur des personnes ou des groupes de personnes qui joueront un rôle déterminant dans son élaboration et son déploiement. Les dimensions individuelle et collective, loin de s’exclure, traversent les projets personnels et collectifs. Mais il reste néanmoins intéressant de conserver l’idée que certains projets concernent plus directement un individu quand d’autres impliquent fondamentalement un collectif.
40Le caractère existentiel exprime qu’un acteur, individuel ou collectif, se donne pour lui-même des perspectives d’action en lien avec une recherche de sens et de légitimité à ses actes. Le projet existentiel valorise la démarche qui n’aura de fin qu’avec la disparition de l’acteur qui se produit à travers elle. Le projet s’inscrit dans un temps rassemblé, interrogation sur un présent et une histoire pour envisager un futur possible. Sans exclure qu’il s’agisse parfois moins de préparer l’avenir que de le solliciter pour se réapproprier un présent problématique (Boutinet, 2004).
41Le projet technique, tel qu’un projet industriel ou de nouveau produit, vise un objet à élaborer, éventuellement idéalisé dans un premier temps mais qui deviendra, une fois réalisé, indépendant de son auteur.
42On mesure immédiatement que le projet collectif ou organisationnel qui nous intéresse revêt certes une dimension existentielle mais recouvre aussi une dimension opératoire ou pragmatique. Si l’on mobilise la notion de projet c’est donc pour marquer une pronominalisation (le projet exprime la singularité d’une organisation), une opérativité (le projet vise à faire advenir l’organisation elle-même), dans un contexte d’incertitude sur l’environnement et les actions à mener (le projet se justifie dans l’incertitude et la complexité analysée par E. Morin).
43Nous devons toutefois observer que la nécessité de disposer de la notion de projet en théorie ne signifie pas la permanence de sa manifestation évidente et immédiate dans l’action. L’action peut s’inscrire dans une certaine continuité, ce qui ne doit pas conduire à conclure qu’elle ne soit pas la manifestation d’un projet plus ou moins fort ou plus ou moins ancien. Elle dit ensuite que l’absence d’un projet porté sera sans doute comprise comme une forme d’adhésion à la reconduction de l’existant, donc d’acceptation des régulations en cours, ce qui peut aussi passer pour une forme d’assujettissement inacceptable. À cet égard, bien des situations d’action collective nous montrent que l’absence de projet est interprétée dans ces termes, ce qui pose parfois la question du sens ou de la légitimité des actions menées. L’absence de projet peut alors s’interpréter comme une forme de projet.
44Le concept de projet articule l’ordre des fins et l’ordre des moyens. Le projet est mobilisé pour réaliser et faire advenir (l’opérativité) ce qui nous conduit à préciser que le projet cognitif ou mental qui joue un rôle de construction des représentations (d’exploration et d’anticipation notamment) et des intentions (de mobilisation de l’acteur qui le porte), est appelé à devenir un projet en acte. Le projet cognitif est un projet d’action qui ne peut se comprendre que par le contenu d’action qui participe de sa définition. Dit autrement, le projet substantif (le contenu de fins) ne se comprend que par le projet procédural (les voies et les moyens de l’action). Et tout projet pose implicitement que sa conception sera suivie d’une phase d’exécution capable de le faire passer dans les faits. Les liens unissant projet et action sont très étroits, anticipation et réalisation apparaissant dans l’ordre de la réflexion humaine comme inséparables : le projet ne tient que par l’anticipation de son exécution16. Ce qui veut dire qu’un projet ambitieux dans ses fins, mais peu réaliste dans ses moyens, ne peut revêtir qu’un caractère incantatoire. A contrario, le projet ne peut s’épuiser dans l’instrumental et se réduire à un catalogue d’actions sans liens avec des intentions et des buts. Quand on dit d’un collectif ou d’un individu qu’il n’a pas de projet, on n’entend pas seulement qu’il n’a pas de programme d’actions mais aussi qu’il n’affirme aucune perspective qui fasse sens.
45Le projet est anticipation mais il n’est pas planification. Les figures repérables de l’anticipation sont plurielles (Boutinet 1993 a, b). Certaines en restent au plan cognitif, que ce soit dans un référentiel occulte, religieux ou imaginaire (divination, destinée, science fiction, utopie…), ou plus rationnel ou scientifique (futurologie, prévision…). Certaines autres revêtent un caractère opératoire : elles visent à faire advenir un futur désiré et engagent plus que les autres le devenir de l’acteur qui les forme. On retrouve en management nombre de termes qui relèvent de cette catégorie à des degrés divers car la part des contenus cognitifs et opératoires est le plus souvent variable (mission, vision, intention dite parfois stratégique, etc.). Les concepts de but, objectif, plan, stratégie, politique et donc de projet, mieux établis, appartiennent à cette catégorie des anticipations à caractère opératoire parmi lesquelles il nous faut alors opérer une nouvelle distinction selon le caractère plus ou moins déterministe. Le projet se range du côté des anticipations de type non déterministe ou flou, ce qui l’oppose en cela aux anticipations de type déterministe (l’objectif, le but ou le plan). Son caractère flou ou partiellement déterminé nous dit aussi qu’il n’est jamais totalement réalisé, toujours à reprendre, cherchant continuellement à polariser l’action vers les perspectives envisagées. Dans l’univers des organisations à finalité de production de biens et de services nous proposons de retenir l’expression de projet productif pour indiquer la nature des finalités poursuivies. Les pratiques de politique générale, de gouvernance ou de management stratégique manifestent sous des formes différentes au cours du temps les pratiques projectives.
46Le projet met en jeu une adaptation mais il n’est pas ballottement erratique. La question de la nature de l’agir projectif se pose en rapport avec l’idée d’adaptation. On sait ce qui est en jeu dans l’idée d’adaptation dans le monde du vivant : c’est plus une capacité intelligente à s’adapter à des conditions évolutives qu’une adaptation qui se réduirait à une conformation à des caractéristiques d’un milieu donné. Cette dernière acception relève d’une figure pauvre de l’idée riche d’adaptation, et dangereuse en ce qu’elle serait dépendance. La capacité d’adaptation est à la fois le fruit d’une adaptation et d’une autonomie (Morin 1977, 1980). Ces propos peuvent être complétés en retenant que l’autonomie c’est à la fois une capacité à mobiliser des moyens et à affirmer une identité. Sur la première dimension, on peut repérer la capacité réalisatrice de l’individu actif ou passif. Dans le cas d’une organisation, actif signifie que celle-ci définit un projet qu’elle sera capable de réaliser pour l’essentiel, quels que soient les obstacles rencontrés. Le caractère passif indique une incapacité à porter des projets autres que ceux voulus par l’environnement. Quant à la capacité à posséder une identité propre, on ne peut pas dire d’un être changeant au gré des influences qu’il possède un haut degré d’autonomie, voire d’authenticité. Serait donc ici en jeu une certaine idée de perméabilité aux influences extérieures.
47Conclusion : le projet dans la construction de l’action
48Le projet en tant qu’il est au fondement de l’action collective articule rationalisation et régulation de l’action17. Il peut constituer un cadre de dépassement pour aborder l’entrepreneuriat en économie sociale et solidaire.
Le projet processus de rationalisation
49Une meilleure compréhension du projet en tant que dispositif de rationalisation passe par la compréhension de ce qu’il recouvre en tant que pratique. En distinguant l’élaboration et la réalisation18, le projet-contenu (pour simplifier le projet à travers son expression écrite ou orale) et le projet-processus (le projet en tant que pratique organisationnelle), on aboutit à quatre acceptions de la notion (tableau 4) :
Tableau 4 – Le projet processus de rationalisation
Élaboration |
Mise en œuvre |
|
Contenu |
La rationalisation ex-ante Entre intention et planification |
La règle Entre règle ouverte et décision déjà prise |
Processus |
La démarche d’élaboration Entre consultation et imposition |
La régulation Entre émergence et centralisation |
50Le projet-contenu est une rationalisation ex-ante, un mixte d’éléments de diagnostic, d’intentions, de règles de décisions et de décisions déjà retenues, un discours de légitimation ou de justification des fins et des moyens envisagés. Durant la phase d’élaboration c’est un contenu à faire advenir, durant la phase de mise en œuvre c’est un référent dans l’action.
51Le projet-contenu recouvre un projet externe en ce sens qu’il est un ensemble d’hypothèses et de choix opérés sur l’environnement (choix des relations et des modalités relationnelles externes). Le projet contenu représente aussi un projet interne en ce qu’il est émission d’hypothèses de l’acteur collectif sur ses propres capacités et sur les modalités relationnelles par lesquelles il envisage de se constituer.
52La dimension cognitive du projet est à souligner : tout projet est d’abord projet cognitif, projet cognitif interne, projet cognitif externe19. Comme le dit A.-C. Martinet, il est nécessaire d’introduire d’emblée, et non comme des biais, le fait que l’entreprise n’est, ex-ante, que projets, images, préférences, visions que s’en forgent des acteurs multiples, diversement engagés et impliqués dans des actions communes, que ces représentations sont nécessairement différentes, façonnées par les coordonnées sociales des acteurs, leur trajectoire passée et supputée dans et hors de l’organisation, leur niveau d’aspiration et leur énergie de changement (cf. Martinet, 1984).
53Le projet-processus renvoie à la complexité des pratiques organisationnelles. C’est un savoir en constitution inséparable d’une dynamique des relations entre acteurs20, et ce qui est en jeu c’est la régulation des collectifs. L’élaboration confronte aux difficultés d’articuler le consultatif et le politique dans la plupart des grandes organisations, dès lors notamment que les démarches se veulent participatives. Le déploiement, entre émergence et centralisation, ne peut s’interpréter autrement qu’en posant la problématique de la régulation d’ensemble du collectif.
Le projet processus de régulation
54Le projet représente l’expression des règles qu’un acteur élabore et qui serviront, si elles sont mobilisées, de repère dans l’action. Le projet fonde des choix, s’actualise dans un ensemble de décisions, filtre et canalise des décisions à venir. Mais le projet ne saurait se comprendre comme un ensemble de règles que l’on respecte. Il participe de la construction d’une régulation. On passe de la rationalisation à la régulation par le jeu bien identifié de la régulation mixte (Crozier et Friedberg 1977 ; Friedberg 1993) ou conjointe (Reynaud 1988, 1989/1997) et par le fait que les règles que recouvre le projet apparaissent dans un univers de règles plus ou moins remis en cause.
55Le projet fonde le collectif, participe par là même de son autonomisation dans le jeu des régulations dans lequel il s’inscrit (cf. Tabatoni et Jarniou (1975)21 et Reynaud (tableau 5 ci-dessous)). La question de l’autonomie (versus hétéronomie) est essentielle comme nous l’avons précédemment évoqué. L’autonomie se comprend comme l’expression d’une capacité à s’extraire des règles englobantes en se reconnaissant des règles singulières. On retrouve la problématique du désencastrement ou du découplage. Le projet permet d’articuler rationalisation et régulation à plusieurs niveaux d’analyse emboîtés (l’association, les réseaux, les filières, etc.).
Tableau 5 – Le projet, la règle, la régulation selon J.-D. Reynaud
J.-D. Reynaud (1989/1997, p. 80) nous donne une synthèse de sa lecture de l’action collective en trois propositions : 1/. Les règles n’ont de sens que rapportées aux fins d’une action commune (pour simplifier, quelle que soit la variété de ces fins : à un projet). C’est parce qu’elles sont liées à ce projet qu’elles sont obligatoires. En ce sens elles sont toujours instrumentales. 2/. Un ensemble de règles est lié à la constitution d’un groupe social. En tenant compte de la proposition précédente, nous dirons : d’un acteur collectif. Elles constituent son identité. Elles fixent aussi ses frontières. Elles déterminent qui appartient, mais aussi qui est exclu. Leur champ de validité est dépendant des frontières de l’acteur et de son environnement et les détermine. 3/. Sauf dans les cas très rares où un groupe social est isolé ou dans le cas, qui mérite étude particulière, de l’ensemble le plus englobant (la société globale, l’État-nation), un ensemble de règles est lié à la position d’un acteur collectif dans un ensemble plus vaste. Il s’élabore donc dans un rapport social ou plutôt dans des rapports sociaux (d’alliance, d’opposition, de hiérarchie) |
56Il faut insister avec J.-D. Reynaud (1997) sur le fait que la contribution à l’existence, à la formation et la transformation des règles, à la régulation, n’est pas une conséquence secondaire de l’action sociale ; elle le fruit direct des comportements des acteurs car toute action a prétention à s’affirmer comme une règle, à être reconnue comme légitime si ce n’est généralisable.
57Le projet participe de la régulation du collectif de deux manières irréductibles l’une à l’autre : il joue sur la qualité de la coopération et de la coordination à travers l’engagement qu’il favorise s’il y a adhésion au projet ; il met en jeu la compréhension du sens de l’action, sans qu’il y ait forcément adhésion aux valeurs. On a sans doute trop tendance à ne retenir du projet, de l’accord fondateur au fondement du collectif ou du principe central surplombant les lois d’efficience, une lecture culturaliste22, sans qu’il s’agisse de l’exclure pour autant. Mais il y a en jeu simultanément une dimension cognitive, une dimension de compréhension du sens et des modalités de l’action. Observons qu’un auteur comme R. Boudon n’oppose pas rationalité axiologique et rationalité cognitive mais les considère plutôt sur un continuum, les valeurs n’étant pas pour lui étrangères à la raison (Boudon, 2003, 2006).
58Ainsi, tout projet, toute action humaine, met en jeu des dimensions politiques, des légitimités et des valeurs. J.-D. Reynaud considère d’ailleurs que la légitimité économique fait partie de celles-ci. Elle joue dans l’univers marchand un rôle essentiel. Mais les débats qu’occasionnent les moments forts de la vie de l’entreprise (restructurations, conflits sociaux, critiques sociétales…) révèlent suffisamment, sans qu’il soit besoin d’y revenir longuement, la présence de l’éthico-politique dans la vie organisationnelle. Certains mondes d’organisations font sans doute une part plus grande à ces aspects. Ainsi, le monde associatif, d’autant plus qu’il repose sur le bénévolat, donne à voir des engagements qui reposent sur des adhésions à des valeurs. Mais ce monde ne se résume pas à cette dimension d’engagement pas plus que le monde des autres entreprises l’exclurait. Dès lors que l’on retient que le marché ne dit pas la valeur (Bréchet et Desreumaux, 2001), la construction sociopolitique du projet par ses acteurs met en jeu ce qu’avec L. Thévenot (2006) nous pourrions appeler des régimes d’engagement pluriels. De ce point de vue le régime du projet combinerait le régime du plan et de l’action justifiée.
59Il faut aussi insister sur le fait que les valeurs ne sont pas des données exogènes aux pratiques en deux sens : d’une part, elles ne se comprennent qu’à travers leurs manifestations dans l’action et, d’autre part, elles apparaissent, en tant qu’elles sont associées à un projet, qu’elles participent de sa caractérisation, dans un univers préexistant de représentations et de valeurs. Sur ce dernier point, ce qui est en jeu ce n’est pas seulement l’adhésion à des grands principes, sans nier son importance, mais la dynamique des savoirs et des relations par laquelle des accords et des compromis23 sont en jeu autour de la compréhension et de l’actualisation du projet.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 Cette partie emprunte à l’article de Emin et Schieb-Bienfait (2007).
2 Agence pour la valorisation de l’initiative socioéconomique. Pour plus de précisions, cf. le site www.avise.org.
3 Si sur le plan de la valeur sa distinction est intéressante, le champ est à revoir. En effet, Lévesque intègre dans les entreprises collectives, les coopératives et les mutuelles. En France, par exemple, les SCIC sont des coopératives dont la rationalité est communautaire. En effet, la SCIC a un objet d’utilité sociale (vocation à produire des effets sociétaux au-delà des intérêts de ses membres), Art 19, loi de 2001. Elle se distingue sur ce point de la coopérative « classique » qui sert l’intérêt collectif de ses membres (finalité de satisfaction des besoins autocentrés de ses membres).
4 Se reporter aux travaux récents sur la valeur sociétale et/ou l’utilité sociale (Lipietz, 2001 ; Bouchard et alii, 2000 ; Fraisse et alii, 2001 ; Demoustier, 2002 ; Gadrey, 2002, 2004).
5 Une définition de l’innovation sociale semble faire consensus : « toute nouvelle approche, pratique ou intervention ou encore tout nouveau produit mis au point pour améliorer une situation ou solutionner un problème social et ayant trouvé preneur au niveau des institutions, des organisations, des communautés ». Contribution à une politique de l’immatériel. Recherche en sciences humaines et sociales et innovations sociales, Marie Bouchard et le groupe de travail sur l’innovation sociale, Conseil québécois de la recherche sociale en 1999.
6 Bruyat (1993 : 60) parle d’équipe entrepreneuriale (EE) lorsque rien n’aurait pu arriver si un seul des membres de l’équipe avait fait défaut, ou lorsque toute défection est assimilée à une disparition ou à une modification profonde de la dialogique individu/création de valeur.
7 Nous parlons d’entrepreneur « isolé » par opposition à l’équipe entrepreneuriale. Nous faisons néanmoins nôtres les considérations des travaux du courant de la socioéconomie sur les réseaux de l’entrepreneur et les théories de l’encastrement de Granovetter, signifiant que l’entrepreneuriat « isolé » n’est qu’un mythe, l’entrepreneur étant forcément réticulé, intégré dans des réseaux.
8 L’équipe, tout comme l’individu, est entendue au sens de « corps organisé vivant d’une existence propre et qui ne saurait être divisé sans être détruit ». De ce fait, il devient possible d’étudier l’équipe du point de vue individuel sans avoir à recourir à d’autres corpus théorique que celui de l’individualisme méthodologique.
9 Le projet est en tension entre pensée et action (ou dit autrement entre conception et exécution). Tout projet d’entreprendre suppose l’anticipation de son exécution : c’est-à-dire choisir de concevoir, organiser ou transformer la réalité en fonction de capacités et de degrés de liberté d’action, existants ou prévisibles. (d’après Boutinet, 1993a).
10 Eymard-Duvernay et al. (2006) font remarquer que les questions de la décision (théorie de décision rationnelle) et de la coordination (théorie de l’équilibre général) ont été axiomatisées séparément, laissant de côté la question de la place des valeurs et des biens communs (et nous rajoutons que c’est en renvoyant fondamentalement sur le marché instance suprême d’arbitrage le traitement « catallactique » de ces questions).
11 Certes, certains économistes ont par leurs travaux tenté d’ouvrir des brèches, mais leur position demeure encore marginale dans la discipline (cf. Baumol, 1968 ; Blaug, 1998).
12 On sait par ailleurs que ce sont ces hypothèses interrogées qui fondent l’entreprise de dénaturalisation de l’économie que mène le courant conventionnaliste comme le rappelle dans une synthèse récente A. Orléan (2004).
13 Il identifie 3 régimes : le régime de l’engagement justifiable, le régime de l’engagement en plan et le régime d’engagement en familiarité.
14 Notamment dans les contributions récentes : Desreumaux et Bréchet (2009) par exemple.
15 Référence à laquelle nous reprenons intégralement certains passages.
16 Cf. sur ces points les travaux très poussés de L. Poirier (1987) à propos de la structure praxéologique de l’action.
17 En empruntant toujours directement à Bréchet et Desreumaux (2006).
18 Sans pour autant accepter l’idée que conception et mise en œuvre soient fondamentalement dissociables et en observant que l’aspect d’évaluation est ici délaissé.
19 Cf. Favereau (1989) qui retient aussi que l’organisation est d’abord projet cognitif interne et externe.
20 Cf. Hatchuel et Weil (1992) et Hatchuel (2000, 2005) sur cette lecture de l’action en termes de dynamiques des savoirs et des relations.
21 Qui parlent de stratégie plus que de projet.
22 Cf. Friedberg, 1993, p. 275, pour des éléments de débat à ce sujet.
23 Par exemple au sens de Boltanski et Thévenot (1991).
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