Conclusion
p. 295-298
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1En définissant pour ce colloque une chronologie large afin d'étudier les causes et les retombées de la crise de 1958, nous voulions sortir du cadre chronologique étroit afin de réfléchir à une interprétation de la crise de 1958 qui ne soit pas uniquement centrée sur « la part du contingent1 » mais prenne en compte des processus multiples. Il s'agissait de replacer la crise dans une histoire politique plus globale afin de comprendre l'impact durable ou non de cette crise et des changements institutionnels qu'elle a entraînés sur les forces politiques et sociales.
2La crise de mai-juin 1958 (G. Richard) resterait incompréhensible si on l'isolait de son contexte. L'étude du système partisan2, objet de notre colloque, doit aider à mieux montrer les ressorts et les enjeux de l'événement : une victoire générale des droites ; une victoire d'autant plus durable que les gaullistes surent faire de l'UNR, créée dans l'improvisation en octobre 1958, un grand parti structuré et fédérateur ; une victoire qui poussa finalement les gauches à repenser de fond en comble leur propre structuration et à développer une stratégie d'union.
3Les partis sont au cœur de cette recomposition comme acteurs ou victimes de la bipolarisation politique. En 1956, tous les partis de droite, quelle que soit leur sensibilité, étaient des partis de cadres. Dans un contexte institutionnel et social profondément modifié, il leur fallait se transformer en parti de militants. C'est bien l'opération qu'a réussie l'UNR en devenant un parti moderne et rajeuni... en 1967 (J. Pozzi). Il n'en est pas de même pour les droites modérées (M. Bernard), ni pour les droites nationales (O. Dard). Les premières avaient connu leur apogée en 1958 et tentent de se restructurer. Cette restructuration reste inachevée en 1967 en raison d'une incapacité à prendre en compte la nouvelle donne institutionnelle, ce qui laisse un espace politique occupé peu après par Valéry Giscard d'Estaing. En revanche, l'histoire des droites nationales de 1956 à 1967 est celle d'un échec profond, d'une succession de défaites, moins par inadaptation aux nouvelles institutions comme le montre la candidature de Tixier-Vignancour que de son échec et du fait des divisions nées de la guerre d'Algérie (différences de stratégies et intégration plus ou moins grande de leur composante algérienne).
4Les partis centristes (S. Guillaume), quant à eux, n'ont pas pu s'imposer échouant dans leur stratégie de pouvoir autonome dans le cadre d'institutions qui ne le permettaient pas. Cela n'exclut nullement une réelle influence du centrisme à droite comme à gauche en raison de ses réflexions sur la démocratie, le progrès social ou les enjeux européens qui témoignent d'une certaine modernité. Cette notion d'influence, peu traduite en terme d'adhérents ou d'élus, se retrouve avec les gaullistes de gauche (B. Lachaise) ; à la différence des centristes, ils choisissent d'être liés à un parti dominant mais entendent influer sur celui-ci pour donner une coloration plus sociale. C'est la fin de la période qui voit leur apogée, non sans qu'ils aient connu nombre de restructurations.
5Les gauches pendant ces années traversent une double crise : adaptation aux nouvelles institutions et crise d'image. Chez les parlementaires socialistes (N. Castagnez et G. Morin), le changement institutionnel ne provoque pas un renouvellement en profondeur : ils s'adaptent à la personnalisation du régime tandis que leur anticommunisme s'atténue, favorisant à terme l'union à gauche. D'autre part, malgré leur opposition à l'élection du président de la République au suffrage universel, les gauches présentent un candidat en 1965, François Mitterrand. Signe de l'intégration d'une culture d'opposition et d'une acceptation de la nouvelle république, la création d'un « contre-gouvernement » en 1966 (B. Verrier) qui souligne le poids de la SFIO et le rôle clé des grands élus socialistes. Le PCF (G. Richard), symbole de la guerre froide et de l'opposition au général de Gaulle, représente en 1956 et en 1967 la même force électorale mais non sans de fortes secousses entre ces dates. La crise de 1956 en fait pèse peu sur les événements de 1958 mais le parti subi un important reflux jusqu'en 1964. Ce temps de l'isolement est suivi d'un renouveau grâce à l'action du secrétaire général Waldeck-Rochet ; il a su inscrire le PCF dans le jeu politique de la nouvelle République mais il reste des blocages vis-à-vis de la jeunesse dont il ne perçoit pas les aspirations et dans son rapport à l'URSS qui reste pour lui la référence socialiste et révolutionnaire.
6Signe aussi d'une transformation de la vie politique est l'évolution des rapports entre adversaires : violents verbalement et physiquement jusqu'à la fin de la guerre d'Algérie, modérés, évitant tout face à face verbal ou physique à la fin de la période, au point que les services d'ordre sont « policés » (F. Audigier).
7Les études nationales montrent des forces politiques capables de se « refonder » à des rythmes différents. Dans les régions, l'implantation des forces politiques ne se modifie que lentement. Plus encore que sur le plan national, l'analyse régionale montre qu'il faut distinguer entre le vote présidentiel ou référendaire, et le vote aux élections législatives ou locales. Dans le premier cas, quelles que soient les régions étudiées ici, l'on note une adhésion « présidentielle » ; dans le second, les partis « traditionnels » sont certes amoindris mais « résistent ».
8Dans toutes les régions, 1956 voit un système partisan éclaté avec une bonne douzaine de listes par département, mais partout l'on assiste à une recomposition et simplification des forces politiques. Ainsi le paysage politique du grand Ouest armoricain (J. Sainclivier) se reconfigure avec l'enracinement du mouvement gaulliste, très tôt en Basse-Normandie alors que la Bretagne, terre démocrate-chrétienne, est plus difficile à convertir aux scrutins législatifs. Moins visible mais bien réel, le travail de restructuration des forces de gauche non communiste qui reconquièrent ses territoires perdus en 1967. Comme dans l'Ouest, la crise du système partisan est visible dans la Seine (P. Nivet) ; l'UNR se développe au détriment de la droite indépendante tandis que le rapprochement des forces de gauche y est plus précoce qu'ailleurs, même si en 1967, les succès électoraux sont encore limités. L'Aquitaine (J. Puyaubert) n'a pas les mêmes bases politiques que les deux précédentes régions (rôle du radicalisme peu à peu remplacé par les socialistes, poids des indépendants). La décennie est marquée par un mariage de raison avec le gaullisme, mais localement ce sont les forces traditionnelles qui l'emportent. L'Aquitaine se distingue aussi par une dichotomie entre les votes nationaux et locaux et d'une façon plus marquée qu'ailleurs. Le Nord (B. Béthouart), terre de contrastes, est un lieu d'affrontement entre les principales forces politiques de la IVe et de la Ve République avec une forte présence des communistes et des socialistes (dont Guy Mollet), du MRP et une tradition bonapartiste sans oublier un de Gaulle originaire de Lille. La nouvelle république y est perçue comme fiable et stable, mais l'absence d'une personnalité forte dans la région et issue de celle-ci pèse contre les gaullistes lors des élections locales. L'analyse régionale confirme que le gaullisme présidentiel et le gaullisme partisan ne se superposent pas. L'implantation du parti gaulliste n'a pas été immédiate, les partis de gauche subissent certes un reflux mais savent se réorganiser, s'adapter à la nouvelle donne. Si les centristes résistent plutôt bien dans un premier temps, ils ne réussissent pas à trouver leur place dans le cadre d'une bipolarisation croissante.
9La recomposition du système partisan n'affecte pas que la métropole mais a aussi des incidences sur l'Union française. En effet, l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle ne peut qu'avoir des répercussions sur « les événements d'Algérie », ne serait-ce que parce que le lieu de pouvoir est désormais l'Élysée et que le nouveau président de la République entend directement prendre en main le dossier, dès lors les prises de position des activistes d'Alger, les relations entretenues avec les partis politiques ne jouent plus le même rôle que sous la IVe République ; c'est la volonté politique du président qui est déterminante (G. Pervillé). À partir du cas de l'AOF (V. Joly), on peut appréhender l'impact du changement institutionnel sur l'Afrique coloniale. Toutefois, il est à relativiser car les partis politiques africains ont un mode d'action et d'organisation fort différent de ceux de la métropole, pour des raisons tout à la fois juridiques et culturelles. D'autre part, la place et le rôle des partis africains doivent s'apprécier en fonction de leur dépendance vis-à-vis des formations métropolitaines et de leur volonté de s'en détacher. En fait, si le changement de constitution a des répercussions avec le passage de l'Union française à la Communauté, peu de temps après la loi-cadre de 1956, l'évolution des partis politiques africains suit une trajectoire qui leur est propre et qui doit conduire à l'autonomie puis à l'indépendance. Transition entre politique étrangère et modification du rapport des forces sociales, la communication de G. Noël est révélatrice des interactions entre la construction européenne, la place des partis et les champs professionnels ; dans le monde agricole, s'établit, non sans crises, une relation directe entre la politique européenne menée sous la présidence de Charles de Gaulle et les syndicats professionnels agricoles dans un contexte de modernisation économique et sociale. La FNSEA (D. Bensoussan) revoit son comportement face à la recomposition du système partisan. L'adaptation se fait parfois avec violence (E. Lynch), toujours avec de fortes tensions mais de nouvelles équipes dirigeantes émergent tandis qu'après l'élection présidentielle de 1965, une concertation très étroite se met en place entre la FNSEA et le gouvernement.
10Après 1945, les forces économiques et sociales prennent une place plus importante par leur engagement dans la sphère politique. La période 1956-1967 correspond pour les catholiques (C. Toupin-Guyot) au passage de l'Église tridentine à celle de Vatican II ; les catholiques s'engagent et leur action politique devient autonome de la hiérarchie. Dans le même temps, la « question scolaire » (F. Ayadi), jamais résolue, est au cœur des divergences entre partis ; paradoxalement, le vote de la loi Debré en 1959 loin de régler la question contribue à redynamiser la gauche laïque. Enfin, la fondation du Conseil économique et social (A. Chatriot) avait été un élément important de la réforme de l'État après 1945. Enjeu symbolique, il traverse les changements constitutionnels tout en maintenant un équilibre difficile dû entre autres aux conditions de nomination de ces membres.
11C'est ainsi toute la vie politique et sociale qui est affectée par le changement de constitution et si les partis politiques et les syndicats réussissent à s'adapter, la mutation n'est pas toujours achevée en 1967
Notes de bas de page
1 Titre d'un des paragraphes, p. 13, de René Rémond, Le retour de De Gaulle, Bruxelles, Complexe (1958/Mémoire du siècle), 1983.
2 . Sur cette notion, lire par exemple Jean Charlot, « Les mutations du système de partis français » dans le n° 49 de la revue Pouvoirs, 1989, consacré à La Ve République. 30 ans.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les partis et la République
Ce livre est cité par
- Bernard, Mathias. (2008) Histoire politique de la Ve République. DOI: 10.3917/arco.berna.2008.01.0321
- Audigier, François. (2018) Les Prétoriens du Général. DOI: 10.4000/books.pur.168098
Les partis et la République
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3