« Entre-nous » et « Chez-nous » dans le Rwanda post-génocide : au centre de la spirale de reconstruction des mères rescapées et leurs enfants-adolescents
p. 227-239
Texte intégral
1« Pourquoi la guerre ? », demandait Albert Einstein à Sigmund Freud (1932). Les situations rencontrées dans la pratique clinique du chercheur-clinicien qui œuvre sur le terrain glissant où les personnes sont sous l’emprise de la violence intentionnelle de l’homme sur l’homme soulèvent la même question. Comment se reconstruire ? Il faut du temps, des lieux et des moyens, mais, après un génocide, il est fort complexe de nouer ces éléments pour reconstituer une histoire fragmentée par le mystère génocidaire. Que dire à la mère brutalisée, salie à jamais et couverte de honte par les viols sexuels et l’infection par le VIH infligé intentionnellement ? Quelles seraient les voies possibles pour la transmission à la nouvelle génération qui n’arrête pas de poser des questions sans réponse ? Seules les valeurs d’avant, semble-t-il, peuvent contribuer à cette transmission1.
2Dans le Rwanda post-génocide, les questions que l’on peut entendre sont de cet ordre :
— « Qu’est-ce que le génocide ? » (un enfant de 8 ans) ;
— « C’est quoi les conséquences du génocide ? » (une enfant de 12 ans) ;
— « Ce génocide, jusqu’où puis-je le maudire, et par quelle direction puis-je l’expulser ? » (une mère de 60 ans) ;
— « La seule chose dont j’ai besoin est que toutes ces questions… puissent trouver réponse un jour, par l’un ou l’autre parmi vous qui étiez adultes à ce moment » (Peace, 19 ans) ;
— Pas de récit, pas de mots, seulement des cris, des hoquets, des soupirs et des gémissements (Nancy).
3Ces pensées relatent l’expérience de personnes de différentes générations, face à l’indicible du génocide. Ces pensées viennent appuyer les propos de M.-O. Godard : « Ce n’est pas la fin d’un génocide qui achève un génocide2. » Cette assertion interroge aussi, d’une façon générale, les professionnels de tous secteurs, en l’occurrence les professionnels en santé mentale, quant aux outils à mettre en œuvre pour tenter la reconstruction psychique, dans le contexte de la violence de l’homme sur l’homme. Le projet « Élaboration de modèles et de modes d’intervention et de formation en santé mentale appropriés au Rwanda », auquel notre recherche participe, a voulu contribuer à apporter des réponses à cette question. La présente intervention provient des travaux de terrain pour le projet de recherche conçu dans ce cadre. Ainsi, depuis septembre 2010, je me suis intéressée à la création d’espaces de réparation psychique pour des personnes qui, en plus de l’expérience traumatique liée au génocide perpétré contre les Tutsis au Rwanda, sont aussi infectées et/ou affectées par le VIH, ce qu’elles ont appris après-coup. Mon propos va se focaliser sur les espaces Entre-nous et Chez-nous. Après une brève présentation du contexte, nous verrons comment ces deux espaces ont émergé sur mon terrain de recherche, ce qu’ils détiennent de vivifiant dans le cadre de la reconstruction psychique des mères survivantes et de leurs enfants ou adolescents. Quel sens recèle ces concepts, par rapport au contexte dans lequel ils sont énoncés ? Je m’appuie sur les théories qui m’inspirent, notamment la psychanalyse et l’anthropologie clinique. Le regard que J.-C. Quentel porte sur l’enfant, l’adolescent, le parent et la responsabilité m’a servi d’appui pour approcher certaines réalités liées à l’enfant dans l’après génocide, pour qui ces espaces ont été conçus.
Au lendemain du génocide
4Dès 1994, année-repère, le Rwanda devient tristement « un cas intéressant » pour les chercheurs, pour les organisations dites « humanitaires », etc. « Allons pour voir… » « C’est intéressant, sur le double plan scientifique et humain. » Les tenants de ces discours sont médusés par plusieurs constats, notamment l’intensité et la férocité du génocide, ainsi que sa préparation minutieuse qui a conduit à un effarant taux de réussite : hommes, femmes, enfants, personne n’est épargné. Le viol des femmes est l’une des armes du génocide et la transmission intentionnelle du VIH constitue une sorte de transmission de l’identité meurtrière ; l’infection au VIH tue à feu doux, d’où le terme de « slow genocide » dans le langage courant. Tout a été donc planifié et systématisé. Le génocide collectif s’est poursuivi par un génocide individuel qui se théâtralise dans le corps de la mère3, se manifestant par des souffrances psychiques polymorphes. En outre, les statistiques actuelles témoignent que plus de la moitié de la population a moins de 18 ans (4 223 526 sur 8 128 553 habitants4). Et une étude réalisée à l’échelle nationale5 montre que sur 1 000 personnes la prévalence des réactions de stress post-traumatique (PTSD) s’élève à 28,7 %. L’après génocide nécessite donc une reconstruction continuelle du pays, et notamment, tâche très complexe, la reconstruction psychique du sujet survivant, d’autant qu’aucun outil d’intervention n’avait jamais été conçu pour soulager des souffrances psychiques inattendues6. Celles-ci, qui persistent 20 ans après, montrent clairement l’inouï du génocide qui questionne sans arrêt la clinique des traumatismes psychiques consécutifs aux violences intentionnelles de l’homme sur l’homme.
5Si la mère de 60 ans maudit ce génocide perpétré contre les Tutsis du Rwanda, c’est qu’elle a dû remonter le temps, à chaque nœud de la spirale de la violence (1959, 1963, 1973, etc.) jusqu’au temps apocalyptique des 100 jours, du 7 avril au 4 juillet 1994, qui, dans l’après – génocide, impose une autre spirale, celle de la reconstruction que doit mettre en place la société : mémoire pour tous, groupe solidaire Ingando, à l’exemple du dispositif de l’association Uyisenga N’Manzi, juridictions Gacaca, travaux communautaires, travaux d’intérêt général et cela dans la cohabitation quotidienne des victimes et des bourreaux. Tous ces espaces de reconstruction requièrent du survivant de pouvoir être seul au milieu des autres7. En outre les enfants interrogent les adultes, principalement les mères, les amenant à révéler des secrets pesants par rapport à l’horreur qu’elles ont subi pendant le génocide, non seulement le viol sexuel, mais aussi la transmission préméditée du virus du sida qui sera plus tard transmis aux descendants, pour prolonger génétiquement la chaîne de la violence, comme dans une sorte de « slow genocide ». « Les praticiens se sentent impuissants devant ces ravages8 », tandis que l’individu, de son côté, se bat pour survivre. À ce sujet, citons Munyandamutsa : « Le projet d’extermination de l’autre, du distinct, place le survivant dans une situation d’impasse où, en même temps, il tente de survivre seul, ou alors il butte sur l’impératif de s’appuyer sur l’autre, sans pouvoir être sûr du langage qu’il convient d’emprunter afin de pouvoir être9. »
6Chacun repart à la quête du sens de la vie, mais pour les mères et les enfants infectés et/ou affectés par le VIH, cette tâche est lourde. Les premières doivent porter ce fardeau seules et discrètement. « Les secrets pèsent lourdement », « les questions que posent les enfants, autour du génocide et de ses conséquences, cassent la tête ». Les questions sont ressenties « comme un marteau sur la tête », « la neutralisation de tous les efforts ». Aussi les mères se sentent-elles dans « l’incapacité, voire dans l’invalidité, paralysées dans leur être », comme le disent certaines d’entre elles. Le reste du temps, elles s’interrogent sur leur devenir et sur celui de leurs enfants. L’individu va-t-il pouvoir renaître des cendres du génocide ? Comment renaître si la matrice, la source, le berceau et le noyau de la vie est anéanti jusqu’au fond de soi ? Comment tenir debout, si l’enfant, « le pilier inébranlable de la survivance », pour reprendre les propos de l’une des mères encore jeune, est aussi habité par le même « corps étranger » que celui qui habite sa génitrice ? Cela ne peut être possible que si l’on parvient à se dire et à dire à l’autre que l’« on ne meurt qu’une et une seule fois », comme disent les sages rwandais, plutôt que de se voir et se sentir « mourir progressivement », comme le conçoivent la plupart des mères vivant avec le VIH infligé dans le contexte génocidaire.
7Le chemin pour y arriver est long et glissant, surtout qu’au niveau de la conception comme de celui de la gestion, tout apparaît nouveau. Les outils existant auxquels les Rwandais avaient recours pour soulager, guérir et prévenir les problèmes mentaux étaient d’ordre culturel. Or, le génocide, qui est anti-culturel par nature, comme l’a rappelé le Dr Naasson Munyandamutsa, lors de l’interview à la RTBF à l’occasion des préparatifs pour la commémoration du 20e anniversaire du génocide, les a aussi détruits ou placés hors d’usage, en détruisant tous les tabous. Les services humanitaires occidentaux étaient venus en grand nombre avec leurs propres outils, dont la plupart faisaient appel à la verbalisation de l’horreur. Mais à ce moment la mise en mots n’était pas encore possible, pour des raisons multiples. En plus, le pouvoir curatif de la parole, – « seulement la parole ? les mots seulement ? », disaient certaines personnes au cours des settings thérapeutiques – pour effacer l’imprescriptible était la plus contestée parmi ces nouvelles approches pour les Rwandais. Dans son témoignage en rapport avec son désir de devenir thérapeute, Mujawayo dit qu’il était lié au sentiment de révolte face à la situation chaotique de l’après-génocide et en particulier à l’insuffisance de l’aide occidentale, affirmant que le pays devenait un champ d’expérience pour une bande d’aventuriers10.
Entre-nous, Chez-nous : émergence et évolution
8En septembre 2010, j’ai débuté l’élaboration de mon projet de recherche-action portant sur l’aménagement d’espaces d’intervention pour la reconstruction psychique des sujets. La population concernée étant celle des survivants qui, outre le calvaire génocidaire, avaient été infectés intentionnellement par le VIH. Une année après, j’ai entrepris une démarche exploratoire sur le terrain pour tenter la mise en place d’actions de reconstruction. Un dispositif groupal a été initié sur deux sites différents au sein de l’Association des Veuves du génocide AVEGA Agahozo, respectivement à Kigali et à Rwamagana (11 et 15 membres). Pour ne pas permettre que l’individuel se dissolve dans le collectif, l’écoute individuelle en cas de besoin était aussi offerte. Le groupe était en principe facilité par deux personnes, la psychologue clinicienne de ladite association et moi-même, sauf en situations exceptionnelles qui interpellaient tout psychologue de l’AVEGA, comme l’ont dit M.-O Godard, N. Munyandamutsa, et A. Mutarabayire-Schafer11. Conventionnellement, la durée de la séance était de 90 minutes. Le travail sur le terrain a duré trois ans, ma présence étant seulement de huit mois chaque année, de septembre jusqu’au mois d’avril.
9Dès le premier temps de terrain (septembre 2011-avril 2012) la personne fut placée au centre de notre recherche-action. Elle a toujours été considérée comme « sujet agissant, instituant, capable en même temps de conscience et de transformation12 ». Notre propos développera deux concepts qui se dégagent de cette recherche-action encore inachevée. Chaque fois que le besoin se faisait sentir, nous devions, avec les collègues de terrain, agir en conséquence. Ainsi, dès les premiers mois, s’est manifesté un besoin ardent issu des propos des mères : celui de faire la même chose (de créer un même dispositif) pour leurs enfants. Je cite :
— « Le seul fardeau que nous avons, ce sont nos enfants. Les trois sont sous traitement, à l’insu des autres. Eux-mêmes ne savent pas pourquoi ils prennent ces médicaments de tous les jours. Quand ils commencent à me poser des questions, je leur dis simplement que ce sont les conséquences du génocide. Quand ils insistent, tous les démons de l’enfer se coalisent contre moi. […]. Je me dis que, tôt ou tard, je vais devenir folle » (mère de 5 enfants) ;
— « Si tout ce que vous faites pour nous pouvait aussi se faire pour les enfants » (mère de 2 enfants).
10Avec le début du deuxième temps de terrain (septembre 2012-avril 2013), un espace pour enfants a été aussi initié à Kigali, à la demande de leurs mères. Vers la fin de ce même deuxième temps, un autre espace pour enfants a également été ouvert sur le site de Rwamagana. Sur chaque site, 10 jeunes se rassemblent, « pour échanger des idées ». Ainsi, le cadre de travail est constitué d’un seul dispositif qui comporte deux espaces, l’espace-mère pour le groupe des mères et l’espace-enfant pour le groupe des enfants. Nous parlons d’enfant pour respecter le langage local, mais en réalité il s’agit d’adolescents et de jeunes adultes. Tout le regard que J.-C. Quentel porte sur l’enfant, le parent et la responsabilité trouve ici sa place. Il ne s’agit donc pas nécessairement des enfants biologiques, il y a aussi ceux de tout le monde, les enfants de partout et de nulle part que le génocide a engendrés au Rwanda13.
11Lors des séances de psychothérapie groupale à visée de recherche et d’intervention, ces deux espaces sont évoqués d’une façon revendicative, au point que nous avons voulu leur accorder la place réclamée : celle située au centre de gravité de notre recherche-action. Du côté des mères, les idées issues des propos de chacune d’entre elles soulignent la déchirure d’un « entre nous » et la nécessité de le recréer et cette idée nous a poursuivi tout au long des travaux de terrain. Voici quelques propos illustratifs à titre d’exemple :
— « Avant, on pouvait se rendre chez soi, parlé à sa mère, à sa sœur, sinon à la tante. Elles ont toutes été emportées par le vent Serwakira [métaphore signifiant le génocide] ! […] Ici, entre nous, c’est comme en famille, j’y ai trouvé des sœurs et un frère [seul thérapeute masculin], des enfants : garçons et filles » ;
— « Moi, j’affirme que le génocide n’a pas seulement consumé les biens et les humains. Il a aussi détruit l’entre nous de ceux qui restent. Disons simplement que les humains sont partis avec l’humanité […]. Ce n’est qu’à travers ces dialogues, ici entre nous, que peut-être il sera possible de réapprendre qu’il y a encore certains êtres humains qui pourront nous aider à recréer un entre nous où chacun se sent écouté et protégé. […]. Cela n’est plus une affaire de consanguinité, le fait de se rencontrer ici entre nous va faire de nous des gens de même sang, comme c’était avant. »
12Du côté des enfants, le concept de « chez nous » s’impose. Ce concept a été longtemps évoqué par les mères, lors des préparatifs d’initiation des groupes d’enfants, ou lorsqu’elles racontent leur vie d’enfance : « Laissez tous les enfants venir discuter entre eux ; les plus âgés vont se charger des petits. N’en a-t-il pas toujours été ainsi, chez nous, en famille ? » Ici également, nous avons estimé, avec J.-L. Brackelaire, que les propos autour de ce « chez nous » n’étaient pas anodins et ils ont résonné en nous. Progressivement, nous en avons saisi le sens, quand il a été émis par les enfants.
— « Comme chez nous, en famille, les parents discutent les choses des adultes, travaillent de leur côté, pendant que les enfants jouent ou font autre chose dehors ensemble. […] Chez nous, il arrive même que l’on demande au plus âgé de trancher des différends entre les plus jeunes que lui. […] C’est comme ça chez nous » (jeune de 17 ans) ;
— « C’est une bonne idée de nous réunir ici chez nous. Mais moi, je trouve qu’il vaut mieux procéder réellement comme chez nous, à la maison. Normalement, chez nous en famille, il y a des moments où les enfants sont à part, et les parents à part. […] Pour que je puisse me sentir chez nous, j’aimerais être avec des enfants, mes grands/petits frères et sœurs, et discuter à l’aise comme ça se fait chez nous à la maison » (jeune de 19 ans).
13Ces deux expressions – entre nous et chez nous – deviennent alors pour nous des concepts – Entre-nous et Chez-nous – et ils s’imposent comme leviers dans notre travail de recherche et d’intervention. C’est en usant de ma propre subjectivité et en privilégiant celle de chaque actrice de terrain, source première d’accès au réel, que ces deux concepts ont pris une place centrale au cœur de toutes les actions de terrain. Ainsi, le concept d’Entre-nous fut attribué à l’espace mère, en tant qu’espace de construction de liens entre adultes, tandis que celui de Chez-nous se réfère à l’espace enfant, lieu de construction de liens entre enfants et entre enfants et adultes. Comme il est pratiquement impossible de parler de la mère sans évoquer l’enfant et les responsabilités de l’une sur l’autre, il est compréhensible que l’on ne puisse pas ignorer l’existence du point d’intersection de ces deux espaces.
14Cette structure a évolué au cours du temps, mettant en évidence trois dimensions porteuses de sens : d’abord un lieu géographique bien connu qui se structure en une famille ; ensuite un espace invisible traduisant le processus de construction de liens tissés dans ce lieu ; enfin un processus de construction de stratégies méthodologiques définissant le cadre de collecte des données pour une population particulière dans un contexte particulier.
AVEGA, terrain en structure familiale
15Les concepts d’Entre-nous et de Chez-nous émergent sur le terrain de l’Association des Veuves du Génocide (AVEGA). Comme ces expressions existent dans le langage courant, pour considérer le sens que je leur confère conceptuellement, je leur ai attribué une majuscule pour en faire des noms propres et un trait d’union pour désigner le lien. L’Entre-nous et le Chez-nous se définissent comme un lieu géographique bien connu. C’est une particularité rencontrée au sein de l’AVEGA. Là-bas, dans cette institution, se trouvent des personnes de générations différentes. À la génération des personnes âgées, les jeunes disent « maman », « tante » ou « tonton ». Les collègues de travail sont des « frères » et « sœurs », des « cousins » et des « cousines ». Une personne peut occuper différentes positions, selon les circonstances. La même personne peut être maman pour tel, tante pour l’autre, etc. Les patients et les soignants ne font pas d’exception. Cela pour vivifier l’objet le plus vital que personne n’accepterait de perdre : la famille.
16Dans le Rwanda d’« avant », l’Entre-nous pouvait être considéré comme l’espace où se réglaient des conflits. Il jouait un rôle aussi bien préventif que curatif pour les souffrances psychologiques14. Il prenait ses assises dans le cercle familial, « Chez-nous », donc à la maison, le lieu où prennent naissance l’essence, le principe de cohérence de toute la société, comme le souligne D. Byanafashe15. Dans le contexte de mes travaux de recherche, ce modèle familial s’impose aussi comme cadre méthodologique de collecte des données en même temps qu’un modèle stratégique d’intervention auprès de la personne diabolisée, brutalisée et blessée jusqu’au fond de son intimité.
La dimension méthodologique
17Entre-nous et Chez-nous sont deux notions liées à la population qui fait l’objet de mon étude. La mère a d’abord ouvert la porte d’entrée dans la famille, puis elle a permis que j’aille à la rencontre de son enfant au sens de J.-C. Quentel16 et X. Renders17. En temps normal, une mère ne méritait que la place de respect, de dignité, pour avoir donné la vie à l’enfant. Pendant le temps de « l’anormalité », cette époque troublée, « bénie pour les uns, maudite pour les autres, indifférente à aucun18 », la mère fut déshabillée, insultée, cela sur plusieurs générations. Violée au grand jour, infectée d’une maladie qui la condamne au silence et qui pousse l’autre à l’isoler, fatiguée de rester toujours silencieuse devant les pourquoi, les quand et les comment de ses enfants, alors qu’elle leur doit la vérité, la mère persévère dans le silence de crainte de transmettre l’intransmissible. Comment l’amener à accéder à un autre langage plus compréhensible que le silence ? Comment collecter les données sans l’anéantir de nouveau ? Garder la place du chercheur en tant qu’observateur externe, passager, qui n’est là que pour collecter les données liées à sa thématique, satisfaire seulement la curiosité scientifique, n’est pas possible. « Rester neutre, comme le prescrivent les méthodologies classiques serait inhumain », souligne A. Masson à l’occasion de nos échanges autour de cette approche.
18Il fallait tenter d’entrouvrir un espace entre moi, chercheur, et toi, acteur, dans cette dynamique, le premier étant celui qui ne sait pas, prêt à s’asseoir à côté de l’autre pour apprendre le langage de la souffrance et le traduire. Cette situation exigeait du chercheur de transgresser les règles empiriques, voire théoriques, pour rétablir les règles culturelles transgressées lors du génocide, ligne de démarcation entre l’« Avant » et l’« Après ». Comme le quotidien d’« Avant » n’opère plus efficacement, le saut qualitatif appelle une rupture méthodologique, voire épistémologique. Le temps d’« Après » exige du chercheur de procéder autrement. Le groupe a réclamé ce dont il avait besoin : un « Entre-nous » pour la mère et un « Chez-nous » pour l’enfant, tous en famille, en contexte familier : être chez-soi, avec les siens. Un tel cadre méthodologique demande au chercheur de s’éloigner du caractère neutre des méthodologies classiques pour s’approcher du sujet, afin de collecter les données dans leur état brut, mais aussi de créer avec le sujet les moyens de survivre, de trouver du sens au non-sens. C’est là que réside la dimension d’intervention.
Modèle stratégique d’intervention
19Comme je l’ai soulevé dans la partie introductive, le génocide a détruit tous les repères et toutes les références culturelles, gardiens de l’équilibre psychique du peuple rwandais. L’impératif est de procéder autrement et suppose un cadre en continuel aménagement et réaménagement19. Coupler la recherche et l’intervention, avec des frontières flexibles, considérant le familier comme le pivot de tout changement, paraît incontournable comme stratégie d’intervention. Tout un travail s’opère déjà entre le sujet et les facilitateurs des groupes, dont fait partie le chercheur qui a mis de côté sa curiosité scientifique pour mieux l’assouvir, offrant à la mère et à l’enfant un espace où il est permis de faire ce qui a été interdit pendant un certain temps. La mère peut pleurer, être triste, gémir, prendre la parole ou garder silence. Garder silence pour le cri de son corps, celui des siens que le reste de l’humanité a ignoré20. Sinon, oser maudire ce qui mérite la malédiction ou critiquer ce qui mérite des critiques, qu’elle ne saurait faire nulle part ailleurs. Pour l’enfant, l’espace lui permet de poser des questions du genre : « Pourquoi ? », « Qui ? », « Quoi ? », « Quand ? » et « Comment ? » Le nœud du travail thérapeutique se trouve dans cette convention : « Certes, des réponses ne sont pas toutes disponibles, ni accessibles et personne ne les connaît mieux que l’autre, rassemblons-nous, questionnons-nous les uns les autres, questionnons l’autre, et surtout, pensons ensemble pour trouver le sens ensemble. »
20Le travail d’élaboration, de création et de symbolisation s’articulait tout au long de ce cheminement à la recherche du sens de ce que l’on vit et de ce que l’on ne parvient pas à se représenter. Ce travail était fonction de la dynamique du groupe, qui aussi dépendait du contexte particulier du sujet, par rapport au contexte du pays. Celui-ci replonge le sujet dans un passé hyper présent, particulièrement pendant le cycle des commémorations réglementées. La présente recherche-action suggère les séances pré-commémoratives et celles de ressourcement pour aider le sujet à faire face à un tel passé. L’agir en cette spirale s’est donc imposé, pour contrecarrer l’autre spirale, celle de la violence, qui prolonge encore le venin du génocide dans le corps de la mère, de sa descendance, de génération en génération. Le constat en filigrane est que les acteurs de terrain ont pu se recréer des espaces à format culturel bien protégés, capables de produire des effets positifs quant à la relativisation de l’impact traumatique et la reconstruction psychique de soi et de l’autre. Ainsi, chacun peut y puiser l’énergie qui lui permettra de pouvoir être seul au milieu des aléas du dehors. D. W. Winnicott (1958) trouve là un des signes les plus importants de la maturité du développement affectif. Les mères parviendront à traduire en mots et en représentations verbales partageables les images et les émois ressentis pour leur donner un sens communicable21. Je pense que c’est dans un tel contexte qu’il sera possible aux mères d’organiser un tri pour définir ce qu’il faut dire à l’enfant, quand et comment.
21Avant d’arriver à la fin de cette présentation, je voudrais commenter le sens de l’Entre-nous et celui du Chez-nous tel qu’il se dégage de leur description plus détaillée.
Facultés reconstructrices
Entre-nous
22L’Entre-nous ne se limite pas à espace géographique qui indique le lieu de rencontre tel que je l’ai décrit plus haut, il est aussi cet autre espace subjectif toujours présent, que ce soit pendant la séance groupale ou après. La confidentialité, le soutien, les liens qui se créent dans le lieu de rencontre entre adultes, liens qui se maintiennent même après pour permettre la continuité de leur efficacité créatrice, en sont les caractéristiques les plus nettes. Paradoxalement, l’Entre-nous est vaste et en même temps restreint. Il est assez vaste pour accueillir et contenir toutes les personnes qui s’y dirigent, une fois qu’elles se montrent fidèles aux normes qui se sont élaborées elles-mêmes avec l’objectif primordial de panser la cruauté subie. Son caractère restreint, quant à lui, réside dans l’établissement et dans le durcissement des frontières à l’encontre de tout élément perturbateur de la sérénité qui s’est construite d’elle-même entre les membres du groupe. Ceux-ci en effet se prêtent mutuellement la force de dire : « Je vis » et « Je vivrai ».
23Avant d’en arriver à cette formule apparemment miraculeuse, permettant de passer de l’anéantissement à la survie, puis à la vie, pour pouvoir dire « JE », l’Entre-nous, dans le vocable de la mère rwandaise, est aussi un appel à l’autre, à la sociabilité, pour tirer la mère de la solitude et favoriser la solidarité. L’Entre-nous permet à l’enfant que la mère était et qu’elle est redevenue ou qu’elle devient de temps en temps suite au génocide et à ses conséquences de ré-émerger encore et reprendre ses responsabilités L’Entre-nous est donc le lieu où l’on peut mobiliser l’enfance pour occuper le chez soi22.
Chez-nous
24« Chez » vient du latin casa, signifiant « maison ». Chez-nous, c’est chez moi, c’est aussi chez toi, et chez lui/elle. Et chacun se sent chez-soi. En Kinyarwanda, « chez nous » se dit Iwacu. Le préfixe (i) indique le lieu, le radical (wacu) renvoie à l’appartenance, la propriété privée mais partagée, la demeure. Ainsi, le contexte qui régit ce terme impose une vision beaucoup plus large qui va au-delà du lieu, mais aussi qui implique le processus interactionnel entre moi et l’autre. Au Rwanda, la salutation est suivie de la quête des nouvelles de tous ceux qui occupent cet espace partagé : la maison. « Iwanyu ni amahoro ? La paix règne-t-elle chez vous ? » Ici, la maison est à considérer à la fois dans son unicité et dans sa complexité23. Quand les enfants ou les mères évoquaient cette notion d’une façon récurrente, c’était pour pouvoir se rassembler dans leur maison. Cela implique la dialectique du dedans et du dehors, en ce sens qu’elle souligne la délimitation de l’espace en termes d’intériorité et d’extériorité24. Qu’importe le lieu, pourvu que ce soit un espace délimité, et bien protégé, qui permet à chacun de se sentir chez soi et d’agir comme étant chez-soi. « Chez nous » est donc à comprendre comme un espace partagé : c’est chez moi, chez toi, chez elle/lui, c’est à nous tous. La perte du chez-soi est un déracinement qui impose à la personne de rester dehors dans l’errance. Le « Chez-nous », dans le vocable de l’enfant rwandais, fait référence à un certain nombre de valeurs : ambiance, stabilité, sécurité, demeure, vérité, appartenance, filiation et l’affiliation…
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25Les espaces Entre-nous et Chez-nous forment un seul dispositif de reconstruction psychique qui met en jeu la question de la structure. Ils engagent d’une part la structuration en matière de liens qui se tissent dans des lieux bien définis, créant ainsi de nouvelles familles par alliance. D’autre part, ils tentent de restaurer la structure entre générations, qui met en relief la transmission et la responsabilité de l’adulte d’hier vis-à-vis de l’adulte de demain qu’est l’enfant aujourd’hui et de sauvegarder et/ou de recréer la filiation. Il s’agit de favoriser la résilience pour rebondir devant le gouffre génocidaire, destructeur permanent des relations. Il s’agit d’offrir à chacun, adulte et enfant, la possibilité de jouer son rôle et d’assumer ses responsabilités dans l’après-génocide.
26Tous ces processus ne sont pas à attribuer à l’ensemble du groupe en tant qu’entité, ni aux sujets, chacun individuellement. Entre-nous et Chez-nous sont plutôt des processus constructeurs et restaurateurs du sujet et du groupe, du psychisme et de la socialité. Ils sont intimement liés au « Je », au « Tu », au « Nous », au moi et à l’autre. Dans ce dispositif, les potentialités reconstructrices s’organisent à travers ce qu’il offre comme liens, jeu et fantaisie. Des phénomènes de changement, de transformation s’opèrent. Dans ledit dispositif, l’objet passe d’un état à un autre, d’un statut à un autre25 pour qu’il soit possible de le réutiliser. Autrement dit, la souffrance, le trauma du sujet est soumise à la puissance imaginaire créatrice, inventive de chaque sujet Entre-nous et Chez-nous. Une fois l’objet soumis à la disponibilité de chaque sujet pour en faire usage transformateur, il est clair qu’il est détruit, par la mise en confrontation avec la réalité interne du sujet. Le sujet porteur d’un premier format parvient petit à petit à s’en désinvestir pour entamer le processus de réinvestissement du nouveau format. Cette tâche n’est pas simple car elle consiste en l’interprétation progressive de chaque format de l’objet qui fait mal, sans sens, jusqu’au format moins menaçant doté de sens.
27Le facilitateur du groupe Entre-nous et Chez-nous se laisse dominer, fait silence pour laisser se manifester les surprises du sujet, acteur principal de son changement. Le facilitateur accepte « sa destruction » mais, avec la possibilité de survivre, dans sa façon d’être présent, de « se situer entre la réalité psychique interne et le monde externe26 », tel qu’il est appréhendé par chaque personne. Le rôle du facilitateur, qu’il faut comprendre comme le thérapeute de groupe, n’est donc pas de mettre de l’ordre dans le chaos, il doit retravailler progressivement sa position pour qu’elle ne prime pas étant donné que « personne ne sait plus que l’autre », il doit faire en sorte que chaque membre occupe une position contenante, non seulement du matériel mais aussi du sujet qui le dépose.
28Les espaces Entre-nous et Chez-nous renvoient à un espace incorporé dans un groupe de soutien qui permet de bâtir son lieu propre, de se donner des liens et des fondements, de faire œuvre de culture27. Il est un espace dans lequel chaque membre est invité à devenir constructeur de lieux communs, générateur de nouvelles formes et de nouveaux systèmes de relations et créateur d’une culture, rassemblant les solitudes pour créer la solidarité.
Notes de bas de page
1 J. Uwineza et J.-L. Brackelaire, « Après le génocide, régénérer l’“entre générations” pour naître à soi. À partir d’une recherche-action avec des mères rescapées et leurs enfants adolescents au Rwanda », Cahiers de Psychologie Clinique, 43, 2014/2, p. 143-171.
2 M.-O. Godard, « Face au génocide, crime sans fin, quelles “constructions psychiques” », dans J.-L. Brackelaire, M. Cornejo et J. Kinable (dir.), Violence Politique et traumatisme. Processus d’élaboration et de création, Louvain-la-Neuve, Academia/L’Harmattan, 2013, p. 349-357.
3 P. Bessoles, Viol et identité. Un génocide individuel, Paris, MJW Fédition, 2008.
4 Ministère des Finances et de la Planification économique, Commission nationale de recensement, 2005, p. 101.
5 N. Munyandamutsa et Mugisha, 2009. Prévalence de l’État de stress post traumatique dans la population Rwandaise : Diversité des figures cliniques, abus de drogues et autres co-morbidités. Inédit.
6 M.-O. Godard, art. cit., p. 349-357.
7 D. W. Winnicott, De la pédiatrie à la psychanalyse, Paris, Payot, 1958 (1992).
8 M.-O. Godard, N. Munyandamutsa, A. Mutarabayire-Schafer et E. Rutembesa, « Violence de la parole, quinze ans après le génocide des Tutsi au Rwanda. Des groupes de soutien psychologique dans le processus Gacaca », dans Y. Mouchenik, T. Baubet et M.-R. Moro (dir.), Manuel des psychotraumatismes. Cliniques et recherches contemporaines, Grenoble, Pensée Sauvage, 2012, p. 127.
9 N. Munuandamutsa, « Création du moi, Création de toi, dans le sillage du trauma dévastateur », dans J.-L. Brackelaire, M. Cornejo et J. Kinable (dir.), Violence politique et traumatisme. Processus d’élaboration et de création, op. cit., p. 359-366.
10 E. Mujawayo, S. Belhaddad, SurVivantes. Rwanda - histoire d’un génocide, La Tour-d’Aigues, Éditions de l’Aube, 2004.
11 M.-O. Godard, N. Munyandamutsa, A. Mutarabayire-Schafer et E. Rutembesa, « Violence de la parole, quinze ans après le génocide des Tutsi au Rwanda. Des groupes de soutien psychologique dans le processus Gacaca », op. cit.
12 Pierre Paillé, cité par L. Mucchielli, L’invention de la violence. Des peurs, des chiffres, des faits, Paris, Fayard, 2011, p. 4.
13 J. Uwineza et J.-L. Brackelaire, 2014, op. cit.
14 J. Uwineza et J.-L. Brackelaire, « L’“Entre-nous” : espace de réparation psychique pour les personnes traumatisées dans le Rwanda post-génocide », sous presse.
15 D. Byanafashe, « La famille comme principe de cohérence de la société rwandaise traditionnelle », Cahiers Lumière et Société, Histoire, 2, 6, 1997, p. 3-26.
16 J.-C. Quentel, L’enfant. Problèmes de génèse et d’histoire, Bruxelles, De Boeck, 1993 (1997).
17 X. Renders, « L’enfant en quête, de Winnicott. Un mode de penser les paradoxes, périls et horreurs de la relation adulte-enfant », Anthropo-logiques, 4, 1992, p. 121-134.
18 Je m’approprie l’expression de Maurice Dayan, préfacier de P. Aulagnier, Un interprète en quête de sens, Paris, Éditions Lamsy, 1986.
19 D. Gishoma, Crises traumatiques collectives d’Ihahamuka lors des commémorations du génocide des Tutsis. Aspects cliniques et perspectives thérapeutiques, thèse de doctorat en sciences pyschologiques et de l’éducation, sous la direction de J.-L. Brackelaire et N. Munyandamutsa, université catholique de Louvain, 2014.
20 S. Ricci, Avant de tuer les femmes, il faut les violer ! Rwanda : Rapports de sexe et génocide des Tutsi, Paris, Syllepse, 2014.
21 B. Cyrulnik, Parler d’amour au bord du gouffre, Paris, Odile Jacob, 2004.
22 J.-L. Brackelaire, La personne et la société. Principes et changements de l’identité, Bruxelles, De Boeck, 1995 ; J.-C. Quentel, « L’enfant dans son rapport à l’altérité », Anthropo-logiques, 4, 1992, p. 135-155 ; J.-C. Quentel, L’enfant. Problèmes de genèse et d’histoire, op. cit. ; J.-C. Quentel, Le parent. Responsabilité et culpabilité en question, Bruxelles, De Boeck, 2001 (2008) ; J.-C. Quentel, « L’adolescence et ses fondements anthropologiques », Comprendre, 5 « Les jeunes », 2004, p. 25-41.
23 J.-L. Galabert, Les enfants d’Imana, Miélan, Izuba, 2012.
24 D. Anzieu, Le Moi-Peau, Paris, Dunod, 1995.
25 X. Renders, Le jeu de la demande. Une histoire de la psychanalyse d’enfants, Bruxelles, De Boeck, 1991.
26 D. W. Winnicott, Jeu et réalité. Espace Potentiel, Paris, Gallimard, 1975 (1971), p. 90.
27 J.-L. Brackelaire, « Exilés, orphelins et seuls survivants de nos cultures d’origine. Conséquences culturelles et subjectives de la modernité pour les occidentaux et pour les autres », Cahiers de psychologie clinique, 23, 2004/2, p. 119-223.
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