Dictionnaire pénal non amoureux du sexuel
p. 95-101
Texte intégral
1Il n’y a pas, dans notre dictionnaire ni violences faites aux femmes, ni infractions sexuelles, ni consentement, ni attouchement.
2Dans le Code pénal, il n’y a pas non plus de crimes ou de délits protégeant spécifiquement les femmes. Certes, l’expression violences sexuelles y est apparue au début du XXIe siècle ; mais c’est seulement dans deux textes bien particuliers dont nous reparlerons bientôt.
3Cette discordance entre le vocabulaire courant, voire le discours criminologique1, et le droit pénal, mais aussi l’évolution de cette branche du droit, sont deux données que nous allons rapidement aborder avant d’égrener les mots de notre dictionnaire.
4Deux parties, donc, dans notre présentation : des généralités sur le vocabulaire et la grammaire du droit pénal, puis la terminologie utile au livre que nous reprendrons par ordre alphabétique. Nous conclurons par un schéma récapitulatif de l’ensemble des infractions dont nous allons parler.
Généralités sur le vocabulaire et la grammaire du droit pénal
5Ces généralités vont nous permettre d’expliquer l’intitulé retenu : dictionnaire pénal, non amoureux, du sexuel. Et nous commencerons par la fin.
Du sexuel et non pas du sexué
6En effet, il faut tout de suite constater que le droit pénal distingue très peu entre les genres2, qu’il ne dit quasiment rien du masculin et du féminin et, par voie de conséquence, qu’il ne dit quasiment rien des cas particuliers – c’est l’une des hypothèses de ce livre – dans lesquels les victimes sont des femmes. En droit, auteurs et victimes sont généralement désignés par le mot personne, plus rarement par le mot individu.
7Cela dit en règle générale. Nous avons cependant relevé quatre exceptions dans lesquelles les textes se réfèrent au corps des femmes et les trois dernières, dans l’ordre dans lequel nous allons les citer, à leur corps violenté :
- l’article 225-1 du Code pénal punit sous la qualification de discrimination « toute distinction opérée entre des personnes à raison de leur origine, de leur sexe, de leur situation de famille, de leur grossesse… » (grossesse a été ajouté en 2006) ;
- bien avant cette date, l’état de grossesse – ce qui, jusqu’à plus ample informé, ne peut s’appliquer qu’à une femme – constituait et constitue encore une circonstance aggravante de l’ensemble des atteintes à l’intégrité corporelle (expression utilisée en droit pour désigner les violences physiques) ;
- une loi du 9 juillet 2010 intitulée « relative aux violences faites spécifiquement aux femmes et aux violences au sein du couple3 ». Mais l’expression violences faites spécifiquement aux femmes n’a été utilisée que dans le titre de la loi, pas dans les textes du Code où il y a simplement une aggravation des peines encourues (autrement dit une circonstance aggravante) lorsque les violences sont commises au sein du couple ; soit sur une femme, soit sur un homme ;
- en 2013 l’expression « mutilation sexuelle » apparaît dans l’article 227-24-1, non pas pour punir le geste technique lui-même (qui est, en droit français, clairement une atteinte à l’intégrité corporelle), mais l’incitation à commettre cette infraction sur un mineur ou l’incitation du mineur à s’y soumettre. Ce qui nous intéresse aujourd’hui, c’est que le texte dit « mineur4 », sans aucune distinction entre le garçon et la fille. Pourtant, il est clair que l’intention du législateur comme la mise en pratique par les juges sont bien dans le sens d’une protection spécifique aux femmes.
8En conclusion le droit pénal protège aujourd’hui, « surprotège » même, mais ne protège spécifiquement que les fillettes de l’excision, les femmes en couple, les femmes en général lorsqu’elles sont enceintes.
Dictionnaire non amoureux
9Il y a bien sûr, ici, un clin d’œil à la mode éditoriale des dictionnaires amoureux de ceci ou de cela. Mais pas seulement. Notre approche, bien sage, est de considérer qu’il y a réciprocité de cause et d’effet entre relation amoureuse et sexualité consentie. Cette hypothèse est ici retenue par commodité, pour aller vite, très vite et certainement trop vite, mais nous prendrons tout de même quelques précautions, C’est donc aux relations sexuelles non consenties que notre dictionnaire est applicable. La raison en est qu’au terme d’une évolution opérée à la fin du XX siècle, le droit pénal (français) laisse une très grande liberté à la sexualité consentie5, serait-elle violente, voire extrêmement violente (il y a, sur le sadomasochisme, un arrêt du 17 février 2005 KA/AO de la CEDH [Cour européenne des droits de l’homme]6) :
- il n’y a plus d’infraction d’adultère (depuis 1975) et plus d’infraction d’homosexualité (depuis 1982) ;
- il n’y a pas dans le Code pénal de dispositions sur les relations incestueuses, ni entre majeurs ni même entre mineurs, pourvu qu’elles soient consenties. Certes une loi du 18 février 2010 était ainsi intitulée : « loi tendant à inscrire dans le Code pénal l’inceste commis sur les mineurs et à améliorer la détection et la prise en charge des victimes d’actes incestueux ». Certes les expressions viol incestueux ou agressions sexuelles incestueuses étaient apparues dans le Code pénal. Mais cette loi n’a pas vécu deux ans. Elle a été annulée par le Conseil constitutionnel7 ;
- il n’y a jamais rien eu dans le Code pénal sur la relation prostitutionnelle, relation entre le client et la ou le prostitué(e), à supposer que l’on puisse ici parler de relation consentie et étant bien entendu qu’on ne peut certainement pas parler de relation amoureuse. Le Code ne réprime, depuis fort longtemps, que le proxénétisme, mais désormais depuis la loi promulguée le 13 avril 2016 le client est pénalisé.
10En conclusion, il n’existe aujourd’hui que deux limites à la liberté des relations sexuelles consenties : une infraction de bigamie, dans le but de protéger l’institution du mariage ; une infraction d’atteinte sexuelle commise par un adulte sur un mineur de 15 ans, le but étant alors la protection de l’enfance8.
11Puisqu’il est difficile d’admettre qu’il puisse véritablement y avoir consentement de la part d’un mineur de quinze ans, nous retrouverons cette dernière infraction dans notre dictionnaire.
Dictionnaire pénal
12C’est-à-dire une liste d’infractions, expression que l’on peut définir comme un comportement qualifié pénalement.
13Qualifier, c’est bien le thème de cette division du présent ouvrage.
14Qualification pénale a un double sens. Cette expression désigne des comportements incriminés et nommés. Comportements incriminés : c’est-à-dire définis, décrits, par la loi et interdits sous la menace d’une peine. La gravité de la peine affiche la gravité du comportement : crime si c’est très grave ; délit si c’est moins grave. Comportements nommés9 : viol, agression sexuelle, atteinte sexuelle, harcèlement sexuel, mutilation sexuelle, proxénétisme…
Terminologie utile au livre (par ordre alphabétique)
Atteinte sexuelle et Agression sexuelle
15Ces deux notions sont au cœur du dispositif. La plus large est celle des atteintes sexuelles qui sont énumérées aux articles 222 et suivants du Code pénal. Le Code distingue selon que les atteintes sexuelles sont commises sans ou avec consentement, mais sans utiliser ce mot dont les juristes se méfient. La distinction est ainsi formulée : atteinte sexuelle commise avec ou sans « violence, menace, contrainte ou surprise ». Avec : l’atteinte est alors toujours punissable sous la dénomination d’agression sexuelle, qui recouvre le viol mais pas seulement. Sans : l’atteinte n’est alors punissable que si elle est commise par un majeur sur un mineur.
16L’Agression sexuelle est un acte de nature sexuelle, quel qu’il soit (baiser, caresse, attouchement, pénétration…), impliquant un contact physique avec une personne, victime, non consentante.
17Toute agression sexuelle est une infraction. Le Code distingue le « viol », qui suppose une pénétration sexuelle imposée (art. 222-23 et suiv.), des « autres agressions sexuelles » (art. 222-27 et suiv.).
18Dans tous les cas, la répression est aggravée à raison de l’état de grossesse (apparent ou connu) de la victime ou lorsque l’acte est imposé au sein du couple (ou ex-couple).
19L’Atteinte sexuelle vise les mêmes actes impliquant un contact physique (baiser, caresse, attouchement, pénétration…) commis sans violence, menace, contrainte ou surprise, donc, selon le vocabulaire courant, avec consentement.
20Ces actes sont néanmoins réprimés dans deux cas protégeant les mineurs. La première infraction (art. 227-25) vise toute atteinte sexuelle commise par un majeur sur un mineur de moins de 15 ans. La seconde (art. 227-27) vise les atteintes sexuelles commises sur un mineur, donc jusqu’à 18 ans, par un ascendant (atteinte incestueuse) ou par une personne ayant autorité.
Harcèlement « sexuel »
21Nous avons retenu cette infraction même si elle n’implique pas de contact physique entre l’auteur et la victime. Les premiers mots de l’intitulé du colloque, « corps en lambeaux », nous conduisaient certes à l’écarter. Mais la suite, « violences sexuelles et violences sexuées faites aux femmes », au sens courant où ces mots sont ici utilisés, nous ont conduits à en faire état.
22Les textes (art. 222-23 et suiv. du Code pénal) visent des actes divers, de gravité intrinsèque variable, réprimés en fonction de leur intention ou de leur résultat.
23Dans une première hypothèse, il faut des actes répétés (paroles, gestes, envois de lettres…) à connotation sexuelle, qui soit portent atteinte à la dignité de la victime (gestes obscènes, propos grivois) soit créent une situation intimidante, hostile ou offensante (conditions de travail rendues insupportables…).
24Dans une seconde hypothèse, le comportement peut ne pas avoir été répété s’il constitue une pression morale grave (chantage à la réussite d’un examen, menace de licenciement…) commise dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle.
25Dans les deux hypothèses, la répression est aggravée à raison de l’état de grossesse (apparent ou connu) de la victime.
Provocation à une mutilation sexuelle
26Comme nous l’avons déjà souligné, il est clair qu’en droit français la mutilation elle-même est une atteinte à l’intégrité corporelle susceptible d’être réprimée comme telle. Mais il existe une infraction en amont prévue par l’article 227-24-1 du Code pénal. Ce texte réprime, d’une part, le fait d’inciter (promesses, dons, présents…) ou de contraindre un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle, d’autre part, le fait d’inciter autrui à commettre une mutilation sexuelle sur un mineur (incitation non suivie d’effet).
27La lettre du texte ne distingue pas mais l’esprit de la loi vise les mutilations envisagées sur les jeunes filles (excision).
Proxénétisme
28Ce délit, défini à l’article 225-5 du Code pénal, consiste dans l’un des faits suivants : aider, assister ou protéger la prostitution d’autrui ; tirer profit de la prostitution d’autrui ; embaucher ou détourner une personne en vue de sa prostitution ou exercer une pression grave pour qu’elle se prostitue.
29La répression est aggravée à raison de l’état de grossesse (apparent ou connu) de la victime.
Viol
30Tout acte de pénétration sexuelle (imposée), de quelque nature qu’il soit, sur la personne d’autrui est qualifié viol10 par l’article 222-23 du Code pénal. Le viol « entre époux » – ne devrait-on pas dire « par un époux » ? – a été reconnu par la jurisprudence en 1992 et explicitement consacré par la loi (art. 222-22, al. 2) en 2006.
31La répression est aggravée à raison de l’état de grossesse (apparent ou connu) de la victime et lorsque l’acte est imposé au sein du couple (ou ex-couple).
Violences sexuelles
32L’expression qui est dans l’intitulé du livre n’est apparue dans le Code pénal qu’au début du XXIe siècle et dans deux textes bien spécifiques.
33En 2004, c’est l’article 226-14 qui lève le secret médical du médecin lorsque celui-ci informe le procureur de la République de constatations « lui permettant de présumer que des violences physiques, sexuelles ou psychiques de toute nature ont été commises ». (Le médecin doit cependant avoir l’accord de la victime si celle-ci est majeure.)
34En 2010, c’est l’article 461-4 qui énonce parmi les crimes de guerre, ce qui suppose un contexte de guerre, le fait de forcer, de contraindre une personne à : se prostituer ; une grossesse non désirée ; une stérilisation contre sa volonté ; toute autre forme de violence sexuelle de gravité comparable (viol).
*
35En conclusion générale, voici une présentation schématique (fig. 1) de l’ensemble des qualifications pénales dont nous venons de parler.
36Cette présentation appelle deux remarques.
37D’abord sur le recoupement entre atteintes et agressions sexuelles et harcèlement sexuel, c’est l’occasion de redire que cette dernière infraction est à la limite de l’objet du livre puisqu’elle n’implique pas nécessairement de contact physique avec la victime. Mais, lorsque c’est le cas, on observe que les juges retiennent parfois la qualification de harcèlement plutôt que celle d’agression sexuelle.
38Ensuite sur les légendes qui apparaissent dans les rectangles, on remarque que les infractions retenues dans le dictionnaire écrit pour ce colloque11 peuvent être regroupées en quatre catégories. En tournant de droite à gauche :
- Des actes sexuels au sens le plus courant ;
- Des actes d’exploitation sexuelle d’autrui (proxénétisme) ;
- Des actes techniques que l’on pourrait presque dire médicaux ou chirurgicaux (stérilisation et mutilation sexuelle) ;
- Des actes à connotation ou à finalité sexuelles (harcèlement).
Notes de bas de page
1 Voir par exemple, X. Lameyre, La criminalité sexuelle, Paris, Flammarion, 2000 ; Archives de politique criminelle, 34 : « Violences sexuelles », Paris, Éditions A. Pédone, 2012.
2 Critiquant la théorie des genres en ce qu’elle conduirait à penser que les femmes sont victimes d’une violence structurelle, D. Godefridi, De la violence de genre à la négation du droit, Louvain-la-neuve, Texquis, 2013. En sens contraire, comment ne pas constater, par exemple en matière de lutte contre la prostitution, que sinon la rédaction du moins l’application du droit révèle l’omniprésence de l’homme hétérosexuel. Autre exemple en matière d’inceste, L. Le Caisne, Un inceste ordinaire. Et pourtant tout le monde savait, Paris, Belin, 2014.
3 L. Leturmy et M. Massé, « Contribution juridique », dans M.-J. Grihom et M. Grollier (dir.), Femmes victimes de violences conjugales, une approche clinique, Rennes, PUR, 2012.
4 Voir infra note 8.
5 J. Poumarède et J.-P. Royer (dir.), Droit, histoire et sexualité, Publications de l’espace juridique, 1987 ; D. Borillo et D. Lochak (dir.), La liberté sexuelle, Paris, PUF, 2005 ; F. Caballero, Le droit du sexe, Paris, LGDJ, 2010.
6 M. Fabre-Magnan, « Le sadisme n’est pas un droit de l’homme », Revue Dalloz, 2005, p. 2973.
7 L. Leturmy et M. Massé, « Inceste : incriminer le tabou », Archives de politique criminelle, op. cit.
8 F. X. Roux-Demare, « Liberté, sexe et droit : une confrontation terminologique conditionnée par la protection du mineur », Revue pénitentiaire et de droit pénal, 2013, p. 845.
9 X. Lameyre, « Des infractions sexuelles : les mots du droit français pour dire ces maux », Psychopathologie et traitements actuels des auteurs d’agressions sexuelles, Fédération française de psychiatrie, Montrouge, Éditions John Libbey/Eurotexte, 2011.
10 J.-Y. Lenaour et C. Valenti, Et le viol devint crime, Paris, Éditions Vandémière, 2014.
11 Pour une réflexion plus générale, A. Darsonville et J. Léonard, La loi pénale et le sexe, Nancy, PUN, 2015 ; G. Michaud, Le procès du loup. Suite imaginaire et judiciaire du Petit chaperon rouge de Charles Perrault, Châtellerault, Éditions Narratif, 2014. Et au-delà du droit pénal, N. Deffains et B. Py, Le sexe et la norme, Nancy, PUN, 2011, et C. Adam, D. de Fraene, Ph. Mary, C. Nagels, S. Smeets (dir.), Sexe et normes, Bruxelles, Bruylant, 2012.
Auteurs
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un constructeur de la France du xxe siècle
La Société Auxiliaire d'Entreprises (SAE) et la naissance de la grande entreprise française de bâtiment (1924-1974)
Pierre Jambard
2008
Ouvriers bretons
Conflits d'usines, conflits identitaires en Bretagne dans les années 1968
Vincent Porhel
2008
L'intrusion balnéaire
Les populations littorales bretonnes et vendéennes face au tourisme (1800-1945)
Johan Vincent
2008
L'individu dans la famille à Rome au ive siècle
D'après l'œuvre d'Ambroise de Milan
Dominique Lhuillier-Martinetti
2008
L'éveil politique de la Savoie
Conflits ordinaires et rivalités nouvelles (1848-1853)
Sylvain Milbach
2008
L'évangélisation des Indiens du Mexique
Impact et réalité de la conquête spirituelle (xvie siècle)
Éric Roulet
2008
Les miroirs du silence
L'éducation des jeunes sourds dans l'Ouest, 1800-1934
Patrick Bourgalais
2008