1 « Les mémoires fluctuantes d’une institution religieuse : l’Église catholique et la régulation de la sexualité conjugale (vers 1815-1968) », Schweizerische Zeitschrift für Religions und Kulturgeschichte/Revue Suisse d’histoire religieuse et culturelle, no 100, 2006, p. 245-257. Cet article est paru dans le numéro spécial de la revue suisse d’histoire du catholicisme qui célébrait son centième anniversaire. J’avais proposé de revenir sur un sujet que je venais de traiter en 2005 dans mon Crime d’Onan. J’ai retenu ici cet article, parmi plusieurs autres sur le même sujet, dans la mesure où, répondant à la perspective de ce centenaire, je pouvais traiter de manière plus explicite le rapport de l’histoire à la mémoire dans le cadre de l’institution religieuse. Le texte initial a été légèrement remanié et s’est enrichi de quelques notes.
2 1 Cor., 11, 24.
3 Boutry Philippe, « Tradition et écriture. Une construction théologique », Enquête, no 2 : « Usages de la tradition », 1995, p. 39-57.
4 Sur cet important dossier, voir un document longuement élaboré de la Commission théologique internationale, dépendant de la congrégation de la doctrine de la foi, Mémoire et réconciliation : l’Église et les fautes du passé (2000), qui fournit le cadre réflexif de l’initiative de Jean-Paul II.
5 On connaît le critère fameux de Vincent de Lérins pour définir une « vérité catholique » (Commonitorium, 438).
6 Les traités classiques de théologie morale commencent invariablement par de longs dévelop pements sur ces deux notions. Voir mon ouvrage de référence, Le crime d’Onan. Le discours catholique sur la limitation des naissances (1816-1930), Paris, Belles Lettres, 2005 (désormais CO).
7 Casti connubii, no 57. La pratique de la limitation des naissances « offense la loi de Dieu et la loi naturelle ».
8 Si l’on écarte une allusion à « la conscience constante des peuples » qui renvoie plutôt à la loi naturelle (II, 4), un seul passage de l’encyclique évoque la conscience individuelle, à l’occasion des rapports entre légalité et moralité : « Ils ne sont pas rares, en effet, ceux qui pensent que la loi morale autorise ce que les lois de l’État permettent […] ou qui, même à l’encontre de leur conscience, usent de toutes les libertés consenties par la loi. » (III, La collaboration de l’Église et de l’État.)
9 Dans Humanæ vitæ, la conscience est convoquée dès la première ligne comme une donnée immédiate : en tout temps, « le très grave devoir de transmettre la vie humaine […] a posé à la conscience des époux de sérieux problèmes ». De manière symptomatique, le père Martelet, jésuite chargé en France de défendre l’encyclique, fait, en août 1968, trois papiers dans La Croix, dont le premier pour réfuter l’accusation selon laquelle l’encyclique allait à l’encontre de la liberté de conscience et, d’une certaine manière, en expliquant que la pratique contraceptive incriminée pouvait être considérée comme un « moindre mal », faisait ainsi sa part à la conscience du couple (Sevegrand Martine, L’affaire Humanæ vitæ. L’Église catholique et la contraception, Paris, Karthala, 2008, p. 108-109).
10 Sévegrand Martine, Les enfants du bon Dieu. Les catholiques français et la procréation au XXe siècle, Paris, Albin Michel, 1995, p. 338 et suiv.
11 C’est la position de la théorie scolastique du développement telle qu’elle est définie en 1870 par Jean-Baptiste Franzelin (Laplanche François, « Une Église immobile, une époque en mouvement », in Loisy Alfred, La crise de la foi dans le temps présent, Turnhout, Brepols, 2010, p. 543).
12 On oublie la véhémence de la condamnation portée contre des confesseurs qui, refusant d’interroger les couples, sont qualifiés d’aveugles conduisant des aveugles selon Math, 15,14, Casti conubii, no 58.
13 Voir notamment Vismara Paola, Oltre l’usura. La chiesa moderna e il prestito a interesse, Soveria Mannelli, Rubbettino, 2004.
14 CO, p. 353.
15 Harvard University Press, 1966. Traduction française, Contraception et mariage. Évolution ou contradiction dans la pensée chrétienne, Paris, éditions du Cerf, 1969.
16 La première partie consacrée à la formation de la doctrine commence par un chapitre de mise en contexte (la contraception dans l’Empire romain), avant de détailler au chapitre suivant les sources scripturaires et externes (stoïcisme, héritage juif) de la doctrine.
17 Il est appelé comme expert à Rome dans les consultations qui en 1965-1966 ont précédé la laborieuse prise de décision de Paul VI. Noonan laisse entrevoir sa position en faveur du changement, quand il évoque dans son introduction « les éléments doctrinaux périmés, les facteurs favorables à un nouveau progrès » (p. 14) et, dans sa conclusion, parlant du mur qu’il faut démolir et qui, de rempart, était devenu prison (p. 674).
18 CO, p. 131.
19 Si la première édition de son Essay on principle of population date de 1798, les spécialistes de Malthus donnent l’édition de 1803 comme la première où l’argumentation l’emporte sur la polémique. Ses éditions de 1809 et de 1823 serviront de base aux traductions françaises.
20 Dissertatio in sextum decalogii præceptum et Supplementum ad tractatum de matrimonio, 18e édition, Paris, 1864 [Le Mans, 1827]. Voir notamment les éditions de 1843, 1849 et 1852.
21 CO, p. 103-143.
22 Ibid., p. 177-219.
23 CO, p. 221-247.
24 CO, p. 359-360.
25 L’ouverture des archives Pies XI apporte un éclairage nouveau sur cette encyclique. Sur le fond, on se rapportera aux articles de Lucia Pozzi, notamment : « La Casti connubii, il magistero e la legge naturale : note sulla storia della genesi del documento pontificio », Cristianesimo nella storia, no 3, 2013, p. 799-822 ; « La Chiesa cattolica e la sessualità coniugale : l’enciclica Casti connubii », Contemporanea. Rivista di storia dell’800 e del’900, no 3, 2014, p. 387-412. Sur la réception de l’encyclique, Cuchet Guillaume, « Quelques données concernant l’encyclique Casti connubii », in Prévotat Jacques (dir.), Pie XI et la France : l’apport des archives du pontificat de Pie XI à la connaissance des rapports entre le Saint-Siège et la France, Rome, École française de Rome, 2010, p. 347-367.
26 Dans les années 1850, il y a plutôt coïncidence : si Bouvier est mis en cause pour son ecclésiologie gallicane, ses positions sur la limitation des naissances ne sont pas contestées par Rome.
27 En 1930, l’enjeu ecclésiologique est marqué par la compétition du catholicisme avec l’anglicanisme.
28 Sevegrand Martine, Les enfants du bon Dieu…, op. cit., p. 338 et suiv.
29 CO, p. 117.
30 Au sujet des gnostiques origéniens hostiles au mariage, il dit qu’ils « perpétuent le crime d’Onan », CO, p. 130.
31 « Ille sciens non sibi nasci filios, introiens ad uxorem fratris sui, semen fundebat in terram, ne liberi fratris nomine nascerentur. Et idcirco percussit eum Dominus, quod rem detestabilem faceret. » En romain, les modifications introduites par Jérôme. Chouraqui traduit ainsi les passages litigieux : « Et c’est quand il vient vers la femme de son frère, il détruit à terre, pour ne pas donner de semence à son frère. Ce qu’il a fait est mal aux yeux de IHVH. IHVH le met à mort. »
32 Noonan John T., op. cit., p. 135-136.
33 Ibid., p. 180-181. On notera la date de la traduction (1937) par Combès de ces textes moraux d’Augustin, au lendemain de Casti connubii.
34 Noonan John T., op. cit., p. 460.
35 Dictionnaire philosophique, article « Onan, Onanisme » : « Or il reste à savoir si c’était dans la copulation avec sa femme qu’il trompait ainsi la nature, ou si c’était au moyen de la masturbation qu’il éludait le devoir conjugal ; la Genèse ne nous apprend point cette particularité. Mais aujourd’hui ce qu’on appelle communément le péché d’Onan, c’est l’abus de soi-même avec le secours de la main, vice assez commun aux jeunes garçons et même aux jeunes filles qui ont trop de tempérament. »
36 Samuel-Auguste Tissot publie en 1760 une dénonciation de la masturbation juvénile intitulée L’Onanisme, qui a visiblement inspiré Voltaire.
37 CO, p. 44 et suiv. Voir Laqueur Thomas, Le sexe en solitaire. Contribution à l’histoire culturelle de la sexualité, Paris, Gallimard, 2005 ; et du même, plus largement, La fabrique du sexe, Essai sur le corps et le genre en Occident, Paris, Gallimard, 2013.
38 CO, p. 233.
39 Et, continue-t-il de la même encre, Dieu « fit consigner d’avance dans l’Écriture la terrible sentence qui doit interdire à tous ses imitateurs, l’entrée du royaume des cieux » (CO, p. 425).
40 On célèbre, la même année, le 1 500e anniversaire de la mort d’Augustin (430).
41 CO, p. 400.
42 « Aussi ne faut-il pas s’étonner de voir les Saintes Écritures attester que la divine Majesté déteste au plus haut point ce forfait abominable, et qu’elle l’a parfois puni de mort, comme le rappelle saint Augustin : “Même avec la femme légitime, l’acte conjugal devient illicite et honteux dès lors que la conception de l’enfant y est évitée. C’est ce que faisait Onan, fils de Judas, ce pourquoi Dieu l’a mis à mort.” » La référence donnée [note 46] mérite attention : « S. August., De coniug. adult., I II, no 12 ; cf. Gen., XXXVIII, 8-10, decr. S. Pœnitent. 3 avril, 3 juin 1916 ». La citation biblique est enserrée entre le texte d’Augustin et deux récents décrets de la Sacrée Pénitencerie (CO, p. 385-387).
43 La Sainte Bible traduite en français sous la direction de l’École biblique de Jérusalem, Paris, éditions du Cerf, 1956, note d, p. 46.
44 2e édition revue et corrigée (première en 1959), Spes.
45 Ibid., p. 125-129. Exit donc Onan, advient Tobie dont le ménage est « le type de l’institution conjugale proposée à la piété d’Israël » et à celle des catholiques (p. 128). Le père de Lestapis sera présent dès le début (1964) dans les commissions romaines où il fait partie de la minorité, favorable au statu quo.
46 Ibid., p. 146.
47 « La pratique de la contraception n’a pas été le motif de la mort d’Onan » (op. cit., p. 50).
48 Denzinger Heinrich, Enchiridion symbolorum et definitionum quæ de rebus fidei et morum a conciliis œcumenicis et summis pontificis emanaverunt, 32e édition, 1963. CO, p. 434 et suiv.
49 Habitude aussi de moraliste qui doit identifier les objets qu’il traite. Ainsi, pour ne prendre qu’un exemple français, Martin Ange, dans la 3e édition de cas de consciences (Le mariage. Précis théologique et canonique, Rennes, Imprimerie Riou-Reuzé, 1937), regroupe dans son index terminal les cas ayant trait à la limitation des naissances sous le titre, clair pour ses lecteurs, d’onanisme (p. 253).
50 Humanæ vitæ, no 4.
51 On trouvera encore une curieuse et tardive référence à Onan dans une « Note concernant le livre de C. Grémion, H. Touzard, et al. : L’Église et la contraception : l’urgence d’un changement, Paris, Bayard, (Questions en débat), 2006, 183 p. » de la Commission théologique de l’épiscopat français (sous la direction de Mgr Brugès). Les auteurs de l’ouvrage mis en cause, qui demandaient imprudemment à Rome de revoir sa position sur la contraception, s’étaient notamment interrogés sur la façon dont pendant longtemps l’église avait associé le nom d’Onan à la condamnation de la limitation des naissances. Réponse de la commission : « L’usage de l’épisode d’Onan […] ferait assez bien la preuve du défaut général de méthode théologique en ce livre : puisqu’on imagine [ sic] que la Tradition trouvait en lui l’argument biblique décisif contre la contraception, on le retourne maintenant en argument favorable, ayant cru [ sic] démontrer l’absence dans le récit de cet interdit circonscrit. » Commentaire étrange, où l’ignorance le dispute à la mauvaise foi.
52 CO, p. 418-419.
53 Droulers Paul, Action pastorale et problèmes religieux sous la monarchie de Juillet chez Mgr d’Astros, Paris, Vrin, 1954, p. 260-261.
54 La légitimité de la masturbation d’une femme mariée.
55 CO, p. 383.
56 Ibid., p. 421
57 Cette publication coïncide avec la condamnation de la contraception par l’épiscopat français, le 7 mai 1919.
58 CO, p. 422-428.
59 CO, p. 429-434.
60 Paul VI a d’abord convoqué experts et théologiens dont la majorité était favorable au changement. Ce sont cependant les arguments de la minorité qui l’emporteront.
61 CO, p. 440. Ottaviani inclut, pour arriver à dix-neuf, le document de 1679, ajouté par Batzill.
62 Ibid., p. 178-179. Bouvier prend à son compte la position des couples catholiques.
63 Quantin Jean-Louis, Le rigorisme chrétien, Paris, éditions du Cerf, 2001.
64 CO, p. 430. Il ne faut pas négliger la nécessaire symétrie. Maintenant que Pie XI clôturait la liste des positions sur le sujet, il était nécessaire qu’un autre pape l’inaugure.
65 Et Bouvier récidive dans sa deuxième question : « Si actus habendus sit ut per se mortaliter malus. » Si l’acte mauvais doit être considéré comme de soi mortel, est-ce au moins que les époux qui n’ont pas conscience de cette faute ne peuvent pas être considérés comme de bonne foi ?
66 Pour les théologiens, faute grave et péché mortel s’équivalent.
67 Dans ce type de document c’est la manière de poser la question qui appelle la réponse, positive ou négative.
68 CO, p. 380-395.
69 Allusions seulement dans quelques notes.
70 Cette encyclique ne fait pas référence à d’autres prises de position pontificales, mais restitue comme origine de l’histoire la substitution par l’Église constantinienne d’un modèle matrimonial moderne, égalitaire et indissoluble, aux pratiques romaines antérieures, condamnables par le sort déplorable fait aux femmes dans la législation du mariage.
71 L’encyclique Quadragesimo anno est publiée le 15 mai 1931 ; Casti connubii, le 31 décembre 1930.
72 Grootaers Jan et Jans Jan, La régulation des naissances à Vatican II : une semaine de crise, Leuven/Paris, Peeters Publishers, 2002.
73 Sevegrand Martine, Les enfants du bon Dieu…, op. cit., p. 251. Le rapport de la minorité se terminait ainsi : si l’Église changeait d’avis, « on serait contraint à penser sérieusement que l’assistance du Saint-Esprit lui aurait fait défaut ».
74 Discours devant l’Association catholique italienne des sages-femmes, 29 octobre 1951.
75 D’où sa longue absence dans le Denzinger.
76 Demande de l’abbé Lecomte, CO, p. 311-339.
77 La nouveauté de 1951 réside d’abord dans le progrès scientifique (la justesse du diagnostic d’Ogino) et dans le fait que Pie XII intervient directement là où auparavant avaient prévalu deux avis de la Sacrée Pénitencerie d’autant plus aisément oubliés que le moment de l’infécondité féminine demeurait aussi mal apprécié en 1880 qu’en 1853. Voir, sur 1880, Alfieri Fernanda, « Conception de la femme dans la Compagnie de Jésus au XIXe siècle : physiologie, morale et théologie », in Mostaccio Silvia et al., Échelles de pouvoir, rapports de genre. Femmes, jésuites et modèle ignatien dans le long XIXe siècle, Louvain, Presses universitaires de Louvain, 2014, p. 47-62.
78 Le qualificatif d’archéologique se justifie à la fois parce que Bouvier avait évolué et parce qu’il convenait de repérer les éditions successives de son manuel comme autant de sédiments de sa propre pensée qui se recouvrent l’un l’autre.