1 « Souffrance et religions. Approches chrétiennes », numéro de la revue catholique Laennec. Médecine, santé, éthique, vol. 3-4, no 44, mars 1996. Cet article issu d’un colloque au Centre Thomas More a été complété ici de quelques notes et d’un passage nouveau sur la justification biblique de l’accouchement sans douleur. Deux raisons expliquent mon intrusion dans le XXe siècle : un intérêt ancien pour cette prose pontificale aussi importante à mes yeux que presque totalement oubliée et donc la volonté de montrer une autre facette de Pie XII ; et surtout l’intérêt de ma femme, Anne Langlois, qui participait au colloque, pour la bioéthique, objet de sa thèse de philosophie et de son enseignement à la faculté de médecine Henri Mondor. Au contact de ses recherches, menées dans le sillage d’Anne Fagot-Largeault et de François-André Isambert, j’eus la conviction que le corpus de Pie XII constituait un fondement négligé de ce courant de pensée venu d’Amérique.
2 Léonard Jacques, Archives du corps. La santé au XIXe siècle, Rennes, Ouest-France, 1986, p. 259-310.
3 Monsabré Jacques, o.p., lors du carême 1889 à Notre-Dame de Paris a cette rude formulation : « Il faut que le damné restitue par la souffrance la moindre parcelle de plaisir illicite qu’il a eu sur terre. » (Cité par Minois Georges, Histoire des enfers, Paris, Fayard, 1991, p. 344.)
4 Cuchet Guillaume, Le crépuscule du purgatoire, Paris, Armand Colin, 2005.
5 D’après les Lettres de carême des évêques de France (1861-1959), Strasbourg, Cerdic, 1981. Avec un pic fort compréhensif durant la guerre de 1914-1918.
6 Rey Roselyne, Histoire de la douleur, Paris, La Découverte, 1993, p. 175 et suiv.
7 Ibid.
8 Gen, 2,21.
9 Jouffroy d’Abbans Achille-François de, Dictionnaire des inventions et découvertes, 1853, article « éthérisation », largement emprunté à Louis Figuier. Notamment col. 1214-1215. Les propos sur Dieu « premier anesthésiste » sont de James Young Simpson, professeur d’obstétrique écossais, qui le premier en 1847 utilisa le chloroforme dans l’accouchement (Rey Roselyne, Histoire de la douleur, op. cit., p. 188).
10 100 titres, 170 grands in-quarto.
11 Langlois Claude et Laplanche François, La science catholique, l’« Encyclopédie théologique » de Migne (1844-1873) entre apologétique et vulgarisation, Paris, Éditions du Cerf, 1992.
12 Jéhan de Saint-Clavien Louis-François, Dictionnaire de chimie et de minéralogie, 1851, article « chloroforme ».
13 Œuvre divine, apaiser la douleur.
14 Gury Jean-Pierre, Compendium theologiæ moralis ad usum neoconfessariorum [jeunes confesseurs], Vals, lithographié, t. I, p. 66.
15 Gury Jean-Pierre, Compendium theologiæ moralis, Paris, J.-B. Pelagaud, 1857, t. I, p. 123.
16 Un jalon intéressant, l’usage de la morphine pour Thérèse de l’Enfant-Jésus, dans les derniers jours de sa vie (1897). Selon sa sœur Céline, qui fut aussi son infirmière durant ses derniers jours, « il fallait […] user de stratagème pour donner du sirop de morphine, mère Marie de Gonzague [la prieure] ayant pour théorie que de soulager ainsi une carmélite était honteux : jamais elle ne consentit à ce qu’on fasse des piqûres [de morphine] » (Procès apostolique, Rome, Teresianum, 1976, p. 298). Mais la commande de médicaments, pour les derniers mois de Thérèse, n’a pas été conservée dans les archives du carmel.
17 Le site en ligne du Centre catholique des médecins français recense 76 discours de Pie XII sur la santé de 1944 à 1958, dont 24 sur 76 (soit plus de 30 %) pour les deux années 1956-1957. Ils sont commodément consultables en ligne sur ce site.
18 Dans le discours du 29 octobre1951 aux sages-femmes, Pie XII reconnaît la méthode Ogino de continence périodique ; le 28 novembre suivant, dans le discours au Front de la famille, il parle pour la première fois de « régulation des naissances ». Cf. infra, p. 239-240.
19 Ladous Régis, Des Nobel au Vatican, Paris, éditions du Cerf, 1994, p. 153.
20 Discours du 12 novembre 1944 aux membres de l’Union médico-biologique Saint-Luc, Documentation catholique (désormais DC), 1947, col. 961-967 ; radio-message aux malades du 21 novembre 1949, DC, 1950, col. 227-230. Dieu, explique-t-il en 1944, n’a pas voulu placer dans le destin de l’homme la douleur et la mort, c’est le péché qui les a introduites : « Mais lui, le Père des miséricordes, les a pris dans ses mains, il les a fait passer par le corps, les veines, le cœur de son Fils bien-aimé, Dieu comme lui, fait homme pour être le Sauveur du monde. Ainsi la douleur et la mort sont devenues pour chaque homme qui ne repousse pas le Christ des moyens de rédemption et de sanctification. »
21 Le radio-message du 21 novembre 1949 a été adressé à l’occasion d’une « Journée de la souffrance, demandée aux catholiques du monde entier pour assurer le succès spirituel de l’Année Sainte » ; Pie XII s’adresse à tous les infirmes et malades « cloués sur la croix de vos douleurs » et plus particulièrement à tous ceux qui sont dans « les hôpitaux, dans les sanatoria, dans les cliniques, dans les maisons particulières ».
22 Et de détailler comment le malade peut s’identifier concrètement à Jésus souffrant : « Étendus peut-être sur une couche mal commode, vous tournant tantôt d’un côté, tantôt de l’autre, sans trouver jamais de repos, regardez-Le immobilisé par les clous qui le fixent sur le bois raboteux de la Croix nue. »
23 « Problèmes religieux et moraux de l’analgésie » (infra Analgésie), DC, 1957, col. 331.
24 Souligné par moi, ibid., col. 330.
25 Ibid., col. 332.
26 On remarquera une interprétation modérée du dominium accordé à l’homme sur la création, sujet présentement sensible. Voir la première encyclique sur l’écologie du pape François, Laudato si (2015).
27 L’accouchement sans douleur, DC, 1956, col. 95.
28 Boisson à laquelle on accordait un effet anesthésiant.
29 Analgésie, DC, 1957, col. 336.
30 Souligné par moi, ibid.
31 Ibid.
32 Ibid., col. 331.
33 Ibid.
34 Ibid., col. 332.
35 On a tendance présentement à ne s’intéresser qu’à ce passage dans la mesure où les problèmes de la fin de vie demeurent d’actualité.
36 Gen, 3,16.
37 Et à ce titre, les littératures profanes et religieuses fournissent des preuves des manières anciennes de considérer les douleurs de l’accouchement.
38 Il ajoute une considération qui mérite attention sur la manière dont on serait passé d’un état primitif où l’accouchement aurait été « entièrement indolore » à la phase postérieure. Il ne raisonne pas en terme de passage d’un état de nature à un état de péché mais cherche dans l’histoire les causes possibles de cette dolorisation ultérieure de l’accouchement : « (peut-être à la suite d’une interprétation erronée du jugement de Dieu), par le jeu de l’auto-et de l’hétérosuggestion, des associations arbitraires, des réflexes conditionnés et à cause des comportements fautifs des parturientes ». Surprenante exégèse, qui sur certains points recoupe des analyses clinique anciennes, par exemple celles d’Alfred Velpeau, dans son Traité complet de l’art des accouchements (1835), qui décrit les manières diverses d’anticiper les douleurs de l’accouchement. Voir Morel Marie-France, « Histoire de la douleur dans l’accouchement », Réalités en gynécologie obstétrique, no 67, janvier 2002, p. 31-34 et no 71, mai 2002, p. 42-46.
39 L’accouchement sans douleur, DC, 1956, col. 90 : « Les disciples du Russe Pavlov (physiologistes, psychologues, gynécologues), mettant à profit les recherches de leur maître sur les réflexes conditionnés, présentent en substance la question comme suit : l’accouchement n’a pas toujours été douloureux, mais il l’est devenu au cours des temps à cause des “réflexes conditionnés”. Ceux-ci ont pu avoir leur origine dans un premier accouchement douloureux. Peut-être l’hérédité y joue-t-elle aussi un rôle, mais ce ne sont là que des facteurs secondaires. »
40 Par exemple : « Si la nature a rendu l’accouchement indolore dans la réalité des faits, s’il est devenu douloureux par la suite à cause des réflexes conditionnés, s’il peut redevenir indolore, si tout cela n’est pas seulement affirmé, interprété, construit systématiquement, mais démontré réel[lement], il s’ensuit que les résultats scientifiques sont vrais. »
41 « L’idéologie d’un chercheur et d’un savant n’est pas en soi une preuve de la vérité et de la valeur de ce qu’il a trouvé et exposé […]. Les observations d’Hippocrate […], les découvertes de Pasteur, les lois de l’hérédité de Mendel, ne doivent pas la vérité de leur contenu aux idées morales et religieuses de leurs auteurs. Elles ne sont ni païennes, parce que Pythagore et Hippocrate étaient païens, ni chrétiennes, parce que Pasteur et Mendel étaient chrétiens. Ces acquisitions scientifiques sont vraies parce que et dans la mesure où elles répondent à la réalité objective. » (Ibid., 3, appréciations théologiques).
42 Ibid., col. 93.
43 Ibid., col. 93-94.
44 Analgésie, DC, 1957, col. 332. Formulation initiale de la même question : « La privation de la conscience et de l’usage des facultés supérieures provoquée par les narcotiques est-elle compatible avec l’esprit de l’Évangile ? »
45 « Dans les interventions importantes surtout, il n’est pas rare que l’anesthésie s’impose pour d’autres motifs [que le choix individuel de souffrir] et le chirurgien ou le patient ne pourraient s’en passer sans manquer à la prudence chrétienne. Il en va de même de l’analgésie pré et postopératoire. »
46 Ibid., col. 333.
47 Il serait intéressant de voir comment ce principe du droit concernant la propriété des biens, meubles et immeubles, a été transféré dans le rapport du Créateur à la créature, mais aussi le sens du rapport de l’homme à son corps comme extérieur à lui-même. Voir la position de Jean Carbonnier, célèbre juriste protestant, qui, dès 1947, attirait l’attention sur le danger, dans une société totalitaire, de voir l’État « réclamer un peu partout la succession de la divinité » (Arnoux Irma, Les droits de l’être humain sur son corps, Pessac, Presses universitaires de Bordeaux, 2003. p. 154). Visiblement, cette crainte tirée des expérimentations nazies n’a pas touché la vision optimiste de Pie XII sur les bienfaits de la science.
48 Ibid., col. 339-340. Voir l’article « Double effet », inCanto-Sperber Monique (dir.), Dictionnaire d’éthique et de philosophie morale, Paris, PUF, 1996.
49 À l’encontre de ce qui se passe pour une opération à l’hôpital.
50 Ibid., col. 338.
51 « Fins providentielles de la souffrance chrétienne », allocution de Jean XXIII du 18 mars 1959, DC, 1959, col. 457-460. Il est vrai que le pape parle aux malades du Centre des volontaires de la souffrance.
52 On voit que le retour à l’évangile dans la construction d’un discours éthique catholique n’est pas univoque et ne peut pas se limiter à une fonction critique qui ferait prévaloir les valeurs de l’évangile sur les contraintes de la morale naturelle.
53 Encyclique sur la « valeur et l’inviolabilité de la loi humaine ». S’il est habituel que les papes datent leurs encycliques d’une fête liturgique, le choix de l’Annonciation, célébrée le 25 mars, neuf mois avant Noël (25 décembre) pour la publication de cette encyclique, n’est en rien anodin. Ce choix rappelle, à partir de l’exemple même de la venue de Jésus sur terre, combien la vie commence à la conception. Il faut souligner l’importance sous-estimée de la liturgie sur certaines conceptions éthiques, ici notamment en matière d’avortement.
54 « Mais, dans l’ensemble du contexte culturel, ne manque pas non plus de peser une sorte d’attitude prométhéenne de l’homme qui croit pouvoir ainsi s’ériger en maître de la vie et de la mort, parce qu’il en décide, tandis qu’en réalité il est vaincu et écrasé par une mort irrémédiablement fermée à toute perspective de sens et à toute espérance. » (§ 16.) Pie XII, au sens large de la formule employée par Michel Lagrée, bénissait Prométhée en s’inscrivant largement dans un optimisme reposant sur le progrès de la science pourvu que celui-ci s’inscrive dans le cadre d’une certaine éthique. Il resterait à comprendre comment, indépendamment des hommes, l’on est passé d’une perspective à l’autre entre les années 1950 et les années 1990.