Le Parti communiste français de 1956 à 1967 : crise et renouveau
p. 115-123
Entrées d’index
Index géographique : France
Texte intégral
1Note portant sur l’auteur
2*
3L'histoire du PCF de 1956 à 1967, c'est d'abord l'histoire des efforts déployés par « le premier parti de France » pour reconstruire son influence gravement érodée par la crise finale de la IVe République. Des efforts en bonne partie couronnés de succès : fort de 350 000 adhérents en 1956, de 400 000 en 1967, il resta tout au long de la période la principale organisation partisane du pays, et le nombre des suffrages rassemblés en 1967, certes un peu moins important qu'en 1956, n'en manifesta pas moins un véritable renouveau électoral après le reflux des années 1958-1962. Sur la défensive depuis le début de la guerre froide, affaiblis par la crise internationale du communisme qu'avait déclenchée le XXe congrès du PCUS (Parti communiste de l'Union soviétique), ayant perdu des positions importantes dans les milieux intellectuels et dans la jeunesse après l'intervention des troupes du pacte de Varsovie en Hongrie à l'automne 1956, les communistes français se révélèrent incapables de peser véritablement sur le cours des événements de 1958. La Ve République s'installa à leurs dépends. Toutefois, ancrage partisan national (18 000 cellules ; encadrement multiforme du monde ouvrier ; « communisme municipal1 ») et fort enracinement d'une culture politique structurée depuis le Front populaire et la Résistance leur permirent de conserver de solides positions au début des années soixante puis, à partir de 1964 — année qui vit Waldeck-Rochet succéder à Maurice Thorez -d'amorcer quelques évolutions prometteuses pour leur avenir.
4Nous articulerons donc notre propos en trois temps : 1956-1958, le temps de l'impuissance ; 1958-1964, le temps de l'isolement ; 1964-1967, le temps du renouveau2.
1956-1958 : le « premier parti de France » sans prise sur les événements
5Les élections législatives du 2 janvier 1956 furent plutôt un succès pour le PCF. Il attira peu les nouveaux inscrits, pourtant nombreux, mais conserva la plupart de ses positions : 5,5 millions d'électeurs (avec 500 000 de plus qu'en 1951, c'était le retour à novembre 1946, apogée électoral du PCF), ce qui représentait 25,4 % des suffrages exprimés et 20,3 % des inscrits (respectivement 26,5 % et 20,4 % en 1951). Le système des apparentements, inventé en 1951 d'abord pour limiter son poids au Palais-Bourbon, fonctionna mal à cause de l'éclatement de l'ancienne « Troisième Force » entre « Front républicain » et coalition de centre-droit — « PMF » contre Antoine Pinay — et de l'irruption inattendue et massive des poujadistes3. Les communistes retrouvèrent ainsi 150 sièges à l'Assemblée nationale, soit le quart des députés.
6La formation du gouvernement de Guy Mollet, marquant le retour d'un socialiste à Matignon pour la première fois depuis 1947, fut saisie par la direction communiste comme l'occasion de se réinsérer dans le jeu politique national. Le PCF vota l'investiture du gouvernement de Front républicain puis les pouvoirs spéciaux dans les affaires algériennes en mars. En cette année de vingtième anniversaire de 1936, il développa avec persévérance son appel à un nouveau Front populaire. Sans succès cependant, pour deux raisons principales.
7Les choix faits par Guy Mollet face aux indépendantistes algériens après son voyage à Alger le 6 février 1956 (la « journée des tomates »), conduisirent dès le printemps 1956 le pays dans l'engrenage de la guerre générale. Le PCF, partisan de « la paix en Algérie », s'engagea plus avant dans la contestation d'une politique coloniale chaque jour plus répressive tandis que le Parti communiste algérien ralliait le combat du Front de libération nationale. Cette évolution aurait pu élargir l'audience communiste auprès des opposants à la guerre, qu'ils fussent « mendésistes » ou chrétiens. Il n'en fut rien car, au même moment, le PCF fut confronté aux conséquences du XXe congrès du PCUS. Le « rapport secret » dénonça les « crimes » de Staline et le « culte de la personnalité », appelant à un retour aux sources du léninisme. Nikita Khrouchtchev voulait sortir de la logique stalinienne de gouvernement, devenue intenable économiquement et socialement, en même temps qu'il souhaitait asseoir durablement son pouvoir à la tête de l'URSS face à ses concurrents. Contrairement à son homologue italien, sous l'impulsion de Palmiro Togliatti4, le Parti communiste français minimisa l'ampleur des mises en cause, des enjeux et des défis qui s'annonçaient en URSS et dans le mouvement communiste international : il dissimula longtemps l'existence du rapport secret5. L'écrasement du soulèvement populaire hongrois par les troupes du pacte de Varsovie en novembre 1956 — en même temps que les troupes franco-britanniques intervenaient à Suez en liaison avec l'armée israélienne — fut un moment décisif. Les dirigeants communistes français approuvèrent l'intervention. Les militants durent faire face aux nombreuses manifestations et agressions anticommunistes. Les défections de militants ne furent pas très nombreuses : la solidarité de groupe et les réflexes défensifs jouèrent à plein. En revanche, bien des « compagnons de route », ce puissant vecteur de l'influence sociale et politique du PCF depuis la Résistance qui lui avait permis de « tenir » dans la guerre froide, rompirent les liens avec le parti. Un ressort se brisa, qui ne fut jamais complètement réparé6.
8Même si son rôle fut à peu près nul dans les crises gouvernementales de 1957 — remplacement de Guy Mollet par Maurice Bourgès-Maunoury en juin puis de celui-ci par Félix Gaillard en novembre — et dans la conduite de la guerre d'Algérie, « l'effet Spoutnik », les luttes communes avec des fractions des gauches non communistes contre la torture et la censure, les résultats électoraux honorables, bien que surestimés, aux élections cantonales d'avril 1958 pouvaient laisser le PCF penser qu'il conservait les positions politiques acquises à la Libération. La crise du 13 mai révéla bientôt qu'il n'en était rien7.
1958-1964 : avènement de la Ve République et fort recul électoral communiste
9L'assaut donné au « GG » le soir du 13 mai 1958 par les tenants de l'Algérie française surprit le PCF au même titre que les autres partis. Les communistes, retrouvant les réflexes et les mots d'ordre des années trente, jouèrent immédiatement le jeu de la « défense républicaine ». Ils s'abstinrent lors du vote d'investiture de Pierre Pflimlin, président du MRP depuis 1956, puis soutinrent son gouvernement pendant ses quelques jours d'existence chaotique. Ils participèrent pleinement et massivement à la grande manifestation de défense de la République qui se déroula le 28 mai, aux côtés des mendésistes, des socialistes dissidents et d'un grand nombre de syndicalistes. Mais cela n'eut pas l'effet escompté. Au contraire, la crainte de voir le PCF revenir au centre du jeu politique accéléra les évolutions des partis encore indécis : à la fin du mois de mai, le MRP, les radicaux « valoisiens » et « moriciens », nombre de socialistes rejoignirent indépendants et gaullistes dans l'appel à Charles de Gaulle. Celui-ci fut investi président du Conseil le 1er juin 1958 à l'issue d'un vote moins unanime qu'il ne l'avait d'abord espéré. Une partie des gauches ne l'avait pas moins soutenu, à commencer par le secrétaire général de la SFIO, Guy Mollet, promu ministre d'État dans le nouveau gouvernement aux côtés de Louis Jacquinot (CNIP), de Pierre Pflimlin et de Félix Houphouët-Boigny (Rassemblement démocratique africain-UDSR).
10Cette impuissance du PCF à influer sur le cours des événements se traduisit par une série de défaites électorales retentissantes. Le 28 septembre 1958, le parti communiste fut la seule grande force politique qui appela à voter « non » au référendum sur la nouvelle constitution. Compte tenu des appels au « non » lancés par une fraction des gauches non communistes (le Parti socialiste autonome, Pierre Mendès France, François Mitterrand), on pouvait s'attendre à ce que 30 % des électeurs rejetassent le texte constitutionnel. Il n'y en eut que 20 %. Un quart des électeurs communistes au moins n'avaient donc pas suivi les consignes du parti. Surprise totale pour les dirigeants du PCF. Ils minimisèrent toutefois la gravité de la situation en expliquant que tous les « non » étaient communistes. Les élections législatives de novembre confirmèrent bientôt, sans doute possible, cette crise d'influence. Le PCF demeura certes la première force électorale mais d'extrême justesse devant la toute jeune UNR, beaucoup plus dynamique que prévu. Le recul par rapport au scrutin de janvier 1956 était très net : 3,9 millions de voix, soit 19,2 % des suffrages exprimés et 14,3 % des inscrits. Avec 1,6 million d'électeurs en moins — près de 30 % ! — il s'agissait bien d'un « échec historique », selon la formule alors en usage (interne). La nouvelle loi électorale — le scrutin majoritaire de circonscription à deux tours — accentua encore les conséquences de l'isolement communiste. Seuls 10 députés furent élus, dont un seul au premier tour8. En décembre 1958, l'élection de Charles de Gaulle par le collège des « grands électeurs » fut un triomphe (62 400 voix). Le candidat communiste, le sénateur Georges Marrane, ne rassembla que 10 300 suffrages, à peine plus qu'Albert Chatelet, doyen de la faculté des Sciences de Paris, présenté dans l'improvisation la plus totale par l'Union des forces démocratiques (6 700).
11Contraint à des économies drastiques de fonctionnement par la perte de son groupe parlementaire, le PCF traversa une période difficile. Une vingtaine de journaux cessèrent de paraître en 1959. Sous la direction de Maurice Thorez9, il se crispa dans une opposition au nouveau régime aussi totale qu'impuissante. Lors du XVe congrès du parti, tenu à Ivry en juin 195910, le secrétaire général attaqua violemment la Ve République, « régime présidentiel absolu », « pouvoir des grands monopoles » appuyé sur la « bureaucratie militaire », « orienté vers la dictature personnelle et ouvrant la voie au fascisme ». La réalité était bien sûr plus complexe. Le contexte social et économique était contrasté : tensions inflationnistes, incertitudes devant l'introduction du « nouveau franc » et le début d'ouverture des frontières dans la Communauté économique européenne, mais aussi chômage au plus bas11 et luttes sociales ralenties, sauf dans quelques secteurs d'activité ainsi que dans le Nord-Pas-de-Calais. La guerre d'Algérie était au premier plan des préoccupations. Or, à partir de septembre 1959, le président de la République ouvrit la voie de l'« autodétermination ». Le chemin tracé était très sinueux mais, peu à peu, les communistes furent contraints de reconnaître que le chef de l'État détenait la clef de « la paix en Algérie ». Ils qualifièrent d'abord le discours du 16 septembre de « manœuvre » puis, trois semaines plus tard, admirent l'idée qu'il s'agissait d'une « avancée » intéressante. Au référendum de janvier 1961, ils appelèrent encore à voter « non » au projet d'autodétermination mais ils soutinrent finalement les accords d'Évian lors du référendum d'avril 1962. Dans le même temps, la diplomatie française prenait ses distances par rapport aux États-Unis. En mars 1960, Nikita Khrouchtchev effectua un voyage officiel en France : une première pour un dirigeant soviétique depuis 1917.
12Tout cela expliquait les tensions et les doutes qui se faisaient jour au sein d'un parti malmené, au fil des jours, par la répression, la censure et, bientôt, les menaces de l'OAS. Depuis 1956 déjà, des critiques s'élevaient contre la ligne politique adoptée, émanant surtout des jeunes de l'Union des étudiants communistes12, ou des économistes de la revue Économie et politique, de plus en plus réticents face au thème répété à l'envi par Maurice Thorez de la « paupérisation absolue » de la classe ouvrière. Elles s'accrurent en 1959-1960 et débouchèrent sur une crise ouverte en 1961. En janvier, la direction annonça qu'existait un groupe fractionniste. Au comité central de février, Laurent Casanova et Marcel Servin, deux membres éminents de la direction, furent exclus du bureau politique : le premier avait été le secrétaire personnel de Maurice Thorez dans les années trente puis le responsable, depuis la Libération, des intellectuels et du suivi de l'UEC13 ; le second, cheminot et résistant, avait remplacé Auguste Lecœur au poste de secrétaire à l'organisation en 195414. Le XVIe congrès, en mai, ne les reconduisit pas au comité central15. Le secrétariat général n'acceptait pas qu'ils soutinssent, sur la nature du gaullisme, un point de vue plus nuancé que celui que formalisa cette même année, au nom de la direction, Henri Claude dans son ouvrage, célèbre sinon pertinent, Gaullisme et grand capital, paru aux Éditions sociales16.
13La situation en Algérie et la recrudescence des attentats de l'OAS en métropole finirent toutefois par modifier le contexte général. Le 8 février 1962, le PCF, avec le PSU et les principaux syndicats (CGT, CFTC, FEN et UNEF), manifesta contre l'OAS. La répression fut particulièrement brutale : 9 morts — tous communistes — à la station de métro « Charonne17 ». Immense émotion. Le 13 février, 500 000 personnes défilèrent dans Paris à l'occasion de l'enterrement des victimes. La SFIO se retrouva dans le même cortège que les communistes pour la première fois depuis les débuts de la guerre froide. Les choses s'accélérèrent brutalement. Les accords d'Évian furent signés un mois plus tard, amorçant la dernière phase du conflit. Après la tentative d'assassinat qui le visa au Petit-Clamart en août, Charles de Gaulle annonça ses projets constitutionnels. La marge de manœuvre du PCF s'en trouva, d'un coup, élargie.
14L'opposition à la réforme du mode de désignation du président de la République, prévue désormais au suffrage universel direct, vit les communistes et les forces du « Cartel des non » défendre des positions voisines. Charles de Gaulle, cependant, l'emporta dans le référendum d'octobre. La motion de censure contre le gouvernement de Georges Pompidou et la dissolution de l'Assemblée nationale qui suivit, débouchèrent sur des élections législatives anticipées en novembre. L'isolement des communistes se trouva soudain réduit : Guy Mollet, soucieux de conserver un groupe parlementaire socialiste, avança en effet l'idée de désistements réciproques au second tour. Sans avoir gagné plus de 100 000 voix par rapport à 1958 (4 millions de suffrages), le PCF retrouva une trentaine de sièges supplémentaires et put donc reconstituer un groupe parlementaire (41 députés). Puis la grève des mineurs (mars-avril 1963), par son ampleur comme par sa popularité, signifia le retour, après le temps de la guerre d'Algérie, des grands conflits sociaux : l'unité syndicale était à l'ordre du jour.
15Il fallut toutefois attendre le décès de Maurice Thorez et son remplacement par Waldeck-Rochet pour que des évolutions importantes pussent se concrétiser.
1964-1967 : renouveau communiste et reconquête électorale
16Secrétaire général adjoint depuis 1961 — il avait dans un premier temps soutenu Laurent Casanova et Marcel Servin puis il avait fait son « autocritique » et mené l'attaque contre les « fractionnistes » — Waldeck-Rochet incarna vite le renouveau communiste après la longue période thorézienne18. Au XVIIe congrès du parti, en mars 1964, le principe de l'élection des directions à bulletins secrets fut retenu pour la première fois. Le secrétaire général adjoint devint secrétaire général en titre tandis que Maurice Thorez prit le poste, créé spécialement pour lui, de président du parti. Il le conserva jusqu'au 11 juillet 1964, jour où une crise cardiaque l'emporta, sur le paquebot soviétique Litva à bord duquel il se rendait en URSS pour passer l'été. Le congrès mit l'accent de façon insistante sur la possibilité de « passage pacifique » au socialisme. Il y avait urgence à doter le parti d'une stratégie adaptée à la nouvelle situation qui se dessinait.
17La candidature de « Monsieur X », portée par L'Express depuis octobre 1963, inquiétait beaucoup le nouveau secrétaire général du PCF, très soucieux de maintenir l'héritage mais aussi de réaliser l'« aggiornamento » (reprenant un mot mis à la mode sous le pontificat de Jean XXIII) qu'il jugeait nécessaire. Gaston Defferre (le secret autour de « Monsieur X » ne dura pas longtemps), candidat à l'Élysée, comptait en effet bâtir son influence sur le nouveau scrutin au suffrage universel direct, en faisant abstraction du parti communiste. Celui-ci risquait donc de retourner à son isolement, à peine rompu depuis 1962 seulement.
18Le PCF avait bâti son enracinement dans les années trente sur l'adoption des principes républicains et le refus du « pouvoir personnel » : François Mitterrand, en présentant sa candidature le 9 septembre 1965 dans une tout autre optique que le député-maire de Marseille, permit aux communistes d'entrer dans le nouveau système politique qui naissait sans ruiner leur image ni renier leur passé. Le 23 septembre, le PCF apporta son soutien officiel au député de la Nièvre. Le succès fut au rendez-vous : 7,5 millions de voix au 1er tour (32 % des suffrages exprimés), 10,5 millions au second tour (45 %).
19Dès lors, la stratégie politique du PCF fut approfondie : il s'agissait d'obtenir un accord en bonne et due forme avec les gauches non communistes, récemment regroupées dans la FGDS, et concrétisé par un programme commun de gouvernement — le 11 janvier 1966, la direction communiste fit ses premières propositions en ce sens — assortie d'un accord de désistement réciproque aux prochaines élections législatives. Ce dernier fut signé en décembre 1966. Le différend entre François Mitterrand et le PCF — accord avec ou sans programme précis — évoluait donc dans un sens favorable aux communistes. En mars 1967, ceux-ci retirèrent d'ailleurs les bénéfices les plus importants de l'union : avec 5 millions de voix (22,5 % des suffrages exprimés ; 17,7 % des inscrits), ils compensaient une bonne partie du recul subi en 1958 et 1962. Les désistements entre candidats des gauches se firent bien et le groupe communiste compta désormais 73 députés.
20Cette reconquête électorale allait de pair avec un renouveau idéologique indéniable. Les analyses de l'évolution de la société renouèrent dès 1964 avec celles qui avaient eu cours autour de Laurent Casanova et Marcel Servin éliminés trois ans plus tôt. La section économique du comité central — section de référence parmi les sections de travail du PCF — était conduite par Henri Jourdain, ancien dirigeant syndical de l'industrie aéronautique, autodidacte très proche de l'économiste Paul Boccara19. Elle développa, à partir de la conférence nationale de Choisy-le-Roi en mai 1966, le concept de « capitalisme monopoliste d'État » comme moyen d'appréhender la réalité du système économique contemporain, dans une perspective fort différente de celle développée par Henri Claude auparavant20.
21La conférence nationale d'Argenteuil en mars 1966, entièrement consacrée aux intellectuels et à la culture, fut aussi un moment important de la réflexion communiste. Occasion d'un débat où tout n'était pas décidé à l'avance, alors que des analyses du marxisme divergentes prenaient forme21. Occasion aussi de prendre des distances avec le jdanovisme, en affirmant la liberté de création et de recherche22. Plus encore que le contenu de la conférence nationale, compta le fait qu'elle devint une sorte de référence obligée dans le discours communiste. Dans son rapport introductif au XVIIIe congrès, tenu à Levallois en janvier 1967, Waldeck-Rochet s'y référa maintes fois, évoquant la « diversité française » en matière culturelle et artistique, avec pour corollaire le pluralisme politique, et insistant sur la « démocratie avancée » comme première phase du socialisme.
22Quel bilan dresser de cette période contrastée de l'histoire communiste ? Celui d'une indéniable réussite, qu'il faut mettre au crédit de Waldeck-Rochet et de ses proches : retour largement amorcé à l'influence électorale conquise sous la IVe République, avec un enracinement fort dans le monde ouvrier (la moitié des électeurs communistes) ; inscription durable et incontournable du parti dans le jeu politique de la Ve République, après vingt années d'isolement plus ou moins absolu. Mais d'importants blocages demeuraient. Un blocage face à « la jeunesse » tout d'abord, dont les mutations et les aspirations, liées à l'urbanisation et à la scolarisation croissantes, n'étaient pas prises en compte. Même chose pour les analyses développées par le Mouvement du planning familial et, plus largement, par le féminisme naissant. Ensuite, crispation très forte sur la question de l'URSS, la façon de l'appréhender dans sa réalité intérieure et de se situer par rapport à elle. Aux yeux de la grande majorité des communistes, elle restait l'expérience révolutionnaire principale et incontournable. Waldeck-Rochet avait probablement l'intuition qu'il y avait là une limite qu'il faudrait dépasser. La conférence nationale d'Argenteuil s'était déroulée en même temps que le procès de Siniavski et Daniel à Moscou : Aragon avait été chargé d'émettre quelques timides réserves sur la démocratie en URSS. En juin, Charles de Gaulle s'était rendu en voyage officiel en « Russie » : de nombreux accords économiques, commerciaux, techniques et scientifiques avaient été signés, une commission mixte mise en place, chargée de surveiller leur application, et le principe de l'établissement d'une ligne téléphonique directe entre le Kremlin et l'Élysée avait été adopté. La direction du PCF savait en même temps qu'en décembre 1965, l'URSS avait soutenu la réélection de Charles de Gaulle contre François Mitterrand. Au bureau politique, Jeannette Vermeersch veillait à ce qu'aucune critique de fond ne fût adressée à la « patrie du socialisme ». L'analyse du phénomène stalinien n'avançait pas vite, stérilisant par là même les réflexions sur ce que pouvait être le socialisme dans un pays « développé ». Et la liquidation, en mars 1965, de la direction de l'UEC, au sein de laquelle les débats entre « guévaristes », « maoïstes » et « italiens » avaient été riches, n'aidait pas le PCF à accélérer le processus.
23Rapport à l'URSS et rapport à la jeunesse : tels étaient probablement les deux écueils principaux non surmontés en 1967, qui allaient se révéler soudain redoutables au printemps 1968. Pour l'heure, les communistes s'intégraient progressivement dans la vie politique nationale : leur choix, fait à l'automne 1965, de soutenir François Mitterrand, loin d'être une erreur politique majeure comme la direction du parti le dirait plus tard, s'avérait positif23.
Notes de bas de page
1 Annie Fourcaut, Banlieue rouge, 1920-1960, Autrement, 1992.
2 Quelques ouvrages de référence sur l'histoire du PCF : Philippe Robrieux, Histoire intérieure du parti communiste. Tome 2 : 1945-1972, de la Libération à l'avènement de Georges Marchais, Fayard, 1981 ; Jean-Jacques Becker, Le parti communiste veut-il prendre le pouvoir ?, Seuil, 1981 ; Jean-Paul Brunet, Histoire du PCF, PUF, coll. « Que sais-je ? », 1982 ; Bernard Pudal, Prendre parti. Pour une sociologie historique du PCF, Presses de la FNSP, 1989 ; Stéphane Courtois et Marc Lazar, Histoire du Parti communiste français, PUF, 1995 ; Michel Dreyfus et al. (dir.), Le siècle des communismes, Éditions de l'Atelier, 2000 ; Marc Lazar, Le communisme, une passion française, Perrin, 2002 ; Julian Mischi, Structuration et désagrégation du communisme français (1920-2002). Usages sociaux du parti et travail partisan en milieu populaire, thèse de doctorat de science politique, EHESS, 2002 ; Jean Vigreux et Serge Wolikow, Cultures comunistes au xxe siècle. Entre guerre et modernité, La Dispute, 2003.
3 Dans 10 départements seulement, contre 31 départements en 1951, un apparentement, surtout de centre-doit (CNIP-MRP-RGR), obtint la majorité absolue des suffrages et donc la totalité des sièges.
4 Marc Lazar, Maisons rouges. Les partis communistes français et italien de la Libération à nos jours, Aubier, 1992.
5 En URSS, il fallut attendre 1988 pour qu'il fût publié.
6 Janine Verdès-Leroux, Le réveil des somnambules. Le parti communiste, les intellectuels et la culture (1956-1985), Fayard/Minuit, 1987.
7 Dernière synthèse sur cet événement : Michel Winock, L'agonie de la IVe République. Le 13 mai 1958, Gallimard (Les journées qui ont fait la France), 2006.
8 François Billoux à Marseille.
9 Stéphane Sirot, Maurice Thorez, Presses de Sciences Po, 2000.
10 Après les élections municipales de mars 1959 où le PCF sauva l'essentiel de ses positions.
11 En décembre 1958 fut instauré le système d'indemnisation des chômeurs dans le cadre de l'UNEDIC (Union nationale interprofessionnelle pour l'emploi dans l'industrie et le commerce), fédération des ASSEDIC (Associations pour l'emploi dans l'industrie et le commerce).
12 La crise ne s'acheva qu'en mars 1965 avec l'éviction d'une bonne partie de la direction. Michel Dreyfus, PCF. Crises et dissidences, Bruxelles, Éditions Complexe, 1991.
13 Partisan de N. Khrouchtchev, il venait de recevoir le Prix Lénine de la paix (1960).
14 Il fut remplacé par Georges Marchais.
15 Lire le témoignage d'un des principaux exclus, outre les deux cités : Maurice Kriegel-Valrimont, Mémoires rebelles. Entretiens avec Olivier Biffaud, Odile Jacob, 1999.
16 Décalque des analyses de Dimitrov en 1935 sur le fascisme soutenu par les « couches les plus monopolistes » de la bourgeoisie.
17 Jean-Paul Brunet, Charonne : lumières sur une tragédie, Flammarion, 2003, et Alain Dewerpe, Charonne, 8 février 1962. Anthropologie historique d'un massacre d'État, Gallimard (Folio/Histoire), 2006.
18 Biographie de référence : Jean Vigreux, Waldeck-Rochet. Une biographie, La Dispute, 2000.
19 Henri Jourdain, Comprendre pour accomplir. Dialogues avec Claude Willard, Éditions sociales, 1982.
20 Une analyse pas totalement dégagée de l'histoire du mouvement communiste international puisqu'elle empruntait beaucoup à Boukharine et à Varga (le capitalisme d'État), très stigmatisés par Staline. Notons que la section économique du comité central ne se réclama pas de ces ancêtres mais présenta les choses comme une invention française.
21 Voir, par exemple, les livres de Roger Garaudy, Un réalisme sans rivage, paru en 1963 et de Louis Althusser, Pour Marx et Lire le capital, parus en 1965.
22 « Ne pas trancher de façon autoritaire des discussions non achevées entre spécialistes » disait la résolution finale.
23 Dès 1975, une partie des dirigeants communistes mit sur le compte du choix de soutenir François Mitterrand en 1965 les difficultés du parti. Voir Etienne Fajon, L'union est un combat, Éditions sociales, 1975.
Notes de fin
* Serge Wolikow a présenté la communication sur le PCF de 1956 à 1967 pendant le colloque. Mais il n’en a pas donné de version écrite. Ce texte, inspiré des notes prises par un doctorant, Fabrice Marzin, et de mon propre travail de lectures et de recherches, n’engage donc que moi-même.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Les partis et la République
Ce livre est cité par
- Bernard, Mathias. (2008) Histoire politique de la Ve République. DOI: 10.3917/arco.berna.2008.01.0321
- Audigier, François. (2018) Les Prétoriens du Général. DOI: 10.4000/books.pur.168098
Les partis et la République
Ce livre est diffusé en accès ouvert freemium. L’accès à la lecture en ligne est disponible. L’accès aux versions PDF et ePub est réservé aux bibliothèques l’ayant acquis. Vous pouvez vous connecter à votre bibliothèque à l’adresse suivante : https://0-freemium-openedition-org.catalogue.libraries.london.ac.uk/oebooks
Si vous avez des questions, vous pouvez nous écrire à access[at]openedition.org
Référence numérique du chapitre
Format
Référence numérique du livre
Format
1 / 3