Censure et traduction au Royaume-Uni victorien (1837-1901)
Censorship and Translation in Victorian United Kingdom (1837-1901)
p. 57-70
Résumés
Les Britanniques ne peuvent se prévaloir d’un Premier amendement qui protège la liberté d’expression et doivent se plier davantage que les Américains aux contrôles de discours variés, dont la censure libérale dans le domaine public. Au XIXe siècle émerge un marché libéral de l’édition des traductions au Royaume-Uni, et les autorités comptent sur la censure libérale, ou sur le marché des idées, pour exclure l’altérité véhiculée par des traductions qui est considérée comme non convenable. En effet, la longue histoire de la construction de la nation britannique est marquée par plusieurs formes de contrôle de discours mises en pratique afin de promouvoir la cohésion sociale au moyen de la construction et de la consolidation d’une vision du monde qui, en apparence du moins, est choisie librement par tous les citoyens britanniques et partagée par eux. Cet article se propose de dresser le bilan de la censure des traductions au Royaume-Uni au XIXe siècle, tout en faisant quelques incursions au XXe siècle.
Britons do not have recourse to an equivalent of the First Amendment to protect their right to free speech and are subject more so than Americans to various controls of discourse, one of which is market censorship in the public arena. Evolving values, increased general literacy and growing industrialisation encouraged the development of a free market for translation publishing in XIXth -century Britain, and the authorities counted on market censorship, or the marketplace of ideas, to exclude unacceptable alterity transmitted by translations. In fact, the long history of the construction of the British nation has been marked by several forms of control of discourse implemented in order to promote social cohesion through the construction and consolidation of a world view that, in appearance at least, all British citizens have chosen freely and share. This article will take stock of the censorship of translations in the Victorian United Kingdom, while making some reference to the XXth-century.
Entrées d’index
Mots-clés : Royaume-Uni victorien, traduction, démocratie, liberté d’expression, réception, altérité socio-culturo-politique, censure libérale
Keywords : Victorian United Kingdom, translation, democracy, free speech, reception, socio-culturo-political alterity, market censorship
Texte intégral
«We would do well to remember that repression of free speech is not only a question of mobilizing the law and the bailiffs. In 19th century Britain – as well as in Denmark – a literary climate was created in which certain things simply were not expressed1…»
Préambule
1Le Royaume-Uni est considéré historiquement comme l’une des nations les plus à l’avant-garde en matière des libertés démocratiques, précisément en matière de la liberté d’expression, « traditionnellement présentée comme une valeur fondamentale2 ». La liberté d’expression est un droit négatif qui commande aux citoyens et à l’État « de ne pas accomplir des actions qui entraveraient l’exercice de [ce droit] par [ses] détenteurs. […] Respecter sa liberté : c’est ne pas l’entraver dans ses actes et ses choix3 ». Mais est-il possible, voire souhaitable, de prendre cette affirmation quelque peu catégorique au pied de la lettre ? Si le Premier amendement américain limite les entraves, historiquement le Royaume-Uni a posé des limites à la liberté d’expression, car le bien-être de la nation prime en cas de besoin sur cette liberté. Effectivement, le gouvernement britannique et des citoyens ont à des moments différents mis en œuvre des formes d’entrave à la liberté d’expression, et ce jusqu’à la censure, dans « un espace au sein duquel des négociations [ont été] menées entre des individus ou des groupes à propos de pratiques et de discours politiques, sociaux ou culturels4 ». Après avoir argumenté de façon convaincante que les Britanniques n’ont jamais joui d’une liberté d’expression absolue, Donald Thomas se demande dans son introduction à A Long Time Burning : « Sous quelle sorte de censure nous [les Britanniques] vivons-nous5 ? » Cet article se propose de dresser le bilan de la censure des traductions au Royaume-Uni au XIXe siècle, tout en faisant quelques incursions sur le XXe siècle.
2Les universitaires issus du domaine de la traduction tentent de « préciser les différentes formes revêtues par la censure, ainsi que les arguments sur lesquels elle s’appuie, et ses implications6 ». Dans cette étude sur l’objet censure au Royaume-Uni, le corpus est ainsi le texte traduit. Si les traductologues étudient la construction des nations (pensons à Translation and Nation : Towards a Cultural Politics of Englishness7) et la construction des cultures (Constructing Cultures8), c’est à la lumière de la rencontre des cultures, dans un espace qui dépasse les oppositions binaires de ce qui est permis ou réprimé, accueilli chaleureusement ou rejeté. Avec l’arrivée du tournant culturel qui influe sur les études traductologiques dans les années 1980, des contraintes, conventions et normes deviennent l’objet d’étude, l’intérêt pour la censure prenant de l’ampleur dans les années 1990. Mais ce n’est pas seulement dans le domaine de la traduction que la censure accroche, car l’intérêt ne se limite surtout pas à cette discipline, comme Beate Müller le montre :
« La censure est devenue un objet à la mode, non seulement en raison du matériau archivistique accessible depuis peu en Europe de l’Est et dans l’ancienne Union soviétique, mais aussi parce que cette “nouvelle censure” (une notion inspirée par les travaux de Foucault et de Bourdieu) a élargi le concept même de censure au-delà de ses limites traditionnelles [pour inclure] les processus de sélection culturelle (comme la formation du canon), les forces économiques, l’exclusion sociale, la marginalisation professionnelle, le silence imposé au moyen des discours spécialisés, les normes de communication et d’autres formes de contrôle et de régulation9. »
3La « nouvelle censure » inspirée par les travaux de Michel Foucault10 et ceux de Pierre Bourdieu11 exerce une influence également dans le domaine de la traductologie, où depuis une bonne vingtaine d’années des chercheurs se penchent sur la transformation censurante des textes étrangers par des gardiens de la culture d’arrivée12 que sont les traducteurs, la sélection des textes à traduire par rapport au blocage culturel13, la subversion de la censure14, la « market censorship15 » (« la censure du marché »), ainsi de suite. L’ère victorienne inspire des chercheurs et leur fournit des études de cas du moins en partie grâce au travail de défricheur de Foucault sur les liens entre sexualité, pouvoir et savoir. De plus, depuis la chute du Mur du Berlin, le discours sur la censure devient même plus complexe et nuancé. Par conséquent, des affirmations catégoriques qui jusqu’à récemment étaient considérées comme tout à fait évidentes sont remises en question, car considérées comme simplistes. On ne peut plus se contenter d’affirmer que le Rideau de fer sépare l’Est et ceux n’ayant pas accès à la liberté d’expression de l’Ouest et ceux ayant le droit inaliénable à la liberté d’expression16. Cette nouvelle subtilité découle d’un intérêt grandissant pour la politique et les questions de pouvoir et d’idéologie grâce à l’étude de la résistance et de l’engagement de la part des traducteurs17.
4Une question que les traductologues qui étudient la censure pourraient se poser est la suivante : Comment la culture d’accueil (ici le Royaume-Uni) reçoit-elle dans l’espace de rencontre qu’est la traduction l’étranger tel que véhiculé dans les écrits qui tentent de pénétrer à l’intérieur de son espace socio-culturo-politique ? Nous trouverons des éléments de réponse dans l’activité traduisante des XIXe et XXe siècles au Royaume-Uni.
Du XIVe au XVIIIe siècles
5La censure religieuse remonte à la fin du XIVe siècle quand Edward II interdit la traduction anglaise de la Bible produite par John Wycliffe du fait que sa diffusion n’était pas limitée à l’élite. On constate l’existence d’un système à deux vitesses il y a plus de sept siècles, car un groupe restreint de Britanniques privilégiés a déjà accès aux livres interdits à leurs compatriotes. La Licensing Act, qui exige l’obtention d’un permis avant de publier un livre (la censure préalable ou préventive), est en vigueur depuis l’introduction, en 1476, de la presse en Angleterre par le renommé William Caxton, imprimeur, par exemple, du Polycronicon de Ranulph Higden, tr. de John Trevisa (1482), et traducteur, par exemple, du Booke of the subtle storyes and fables of Aesop (1484), d’après le texte français de Julien Macho18. Si Caxton sait éviter les démêlés avec la censure, William Tyndale, né en 1494, ne connaîtra pas le même sort. Ce dernier est un protestant anglais connu comme le premier traducteur du Nouveau Testament depuis le texte grec dans une langue moderne, à savoir le moyen anglais, en 1525. Il sera martyrisé onze ans plus tard pour cause d’hérésie. Non seulement le blasphème est visé par la religion ou la loi, mais aussi l’obscénité et la sédition. Au XVIe siècle, quand la possession de certains livres est un crime passible de la peine capitale, des conseillers d’État sont néanmoins autorisés à importer des écrits séditieux et les évêques peuvent autoriser la lecture, par les demandeurs pré-approuvés, de livres interdits19. Au cours du siècle suivant, en 1643, le Parlement adopte une loi sur la censure qui « oblig[e] les auteurs à soumettre leur travail pour examen avant publication20 ». John Milton réplique un an plus tard et revendique la primauté de la liberté d’expression dans l’Areopagitica, a Speech for the Liberty of Unlicensed Printing, to the Parliament of England21. Toutefois, grâce à la cause de 1663 – devenue le précédent – du dramaturge Sedley (dont une pièce comprend des scènes de nudité et d’actes indécents), les juges anglais créent le délit d’obscénité, ainsi que les crimes liés à la dépravation des bonnes mœurs et à l’outrage aux bonnes mœurs22, ce qui est quand même conforme au courant de pensée, à savoir qu’« il est légitime et même souhaitable qu’une société démocratique […] impose des limites à ce qui peut être exprimé ou représenté23 ». La cour de la common law devient ainsi la gardienne de l’ordre public et des bonnes mœurs. L’an 1695 marque la fin de la censure préalable ; la Chambre des communes abolit la Licensing Act.
6Depuis lors, afin de protéger la moralité publique, le Parlement adopte et met en application des lois diverses qui interdisent le blasphème, la sédition et l’obscénité. Au début du XVIIIe siècle, on regroupe ces notions sous le terme « diffamation criminelle », les retombées sociales de la diffamation étant le critère clé pour le gouvernement. Un précédent est le Jugement Read de 1708, qui définit un livre obscène. En 1727, les juges créent les crimes d’obscénité et de diffamation criminelle.
Au XIXe siècle
7Dès 1792, il revient à un jury (la conscience du public) de déterminer la culpabilité d’un accusé. Le jury doit donc, au XIXe siècle, décider des questions de diffamation criminelle. La loi sur la diffamation criminelle assure le succès des poursuites judiciaires contre toute œuvre jugée obscène parce qu’elle traite de passion sexuelle, par exemple, et d’autant plus que le grand public (c’est-à-dire les femmes, les enfants, les « nouveaux lecteurs ») y a accès. Toutefois, la tâche de définir l’obscénité relève du tribunal. La Obscene Publications Act de 1857 va plus loin et autorise la police à soumettre les livres destinés au grand public aux juges locaux en vue de les faire confisquer puis détruire pour cause d’obscénité. En 1868, le premier président de la cour d’appel Cockburn dans la cause de R. V. Hicklin affirme que la preuve de l’obscénité se trouve dans la tendance à dépraver et à corrompre le lecteur ou la lectrice : « Je pense qu’il y a obscénité dès lors que l’ouvrage incriminé a tendance à dépraver et à corrompre ceux dont les esprits sont vulnérables à de telles influences immorales, et ceux dans les mains desquels une publication de cette sorte pourrait tomber24. » On croit que les nouveaux lecteurs provenant des classes défavorisées et ouvrières ont besoin d’une loi25 pour les protéger contre la littérature pernicieuse, par exemple les œuvres controversées de Zola, Flaubert et Maupassant en traduction26.
8La révolution française de 1789 – avec par surcroît les écrits de Thomas Paine – et celle de 1830, de concert avec l’alphabétisation des « classes inférieures », provoquent une censure plus sévère au cours du XIXe siècle. L’alphabétisation de ces classes résulte de l’Education Act de 1870 et des progrès techniques qui permettent une diffusion plus rapide et plus grande de la littérature destinée au marché de masse. L’instruction générale se voit accompagnée de la naissance des ligues de moralité, et des moralistes guidés par le « moralisme petit bourgeois27 » se donnent la responsabilité de protéger la classe ouvrière et la classe moyenne des « transgressions symboliques28 », qui règnent dans le domaine privé des sociétés littéraires et savantes secrètes. Les moralistes souvent issus de la petite bourgeoisie, souffrent d’une « tension vertuiste », pour reprendre la formule de Pierre Bourdieu, et d’une « insécurité profonde », ce qui les aurait encouragés « au phantasme de la “pornocratie” », sans compter que dans cette classe, « la disposition éthique subordonne[rait] l’art aux valeurs de l’art de vivre29 ». Le Parlement compte sur les moralistes pour poursuivre la littérature pernicieuse en justice, et ces derniers ne déçoivent pas. Le zèle des moralistes a coûté cher à Henry Vizetelly, l’éditeur des œuvres de Zola et de Flaubert en traduction, qui en a perdu sa maison d’édition.
9Selon M. J. D. Roberts30, les législateurs mettent de côté pendant les années 1860 et 1870 les inquiétudes sociales, car l’opinion libérale et progressiste les a convaincus de la nécessité de promouvoir l’alphabétisation généralisée comme préparation à l’entrée dans la nouvelle ère de la démocratie politique. Dès 1880, la police et l’instruction obligatoire remplacent les organismes religieux comme garants de la moralité publique. De surcroît, le Parlement et le système judiciaire s’attaquent aux problèmes sociaux que la police et l’instruction obligatoire ne réussissent pas à éliminer31. Comme preuve, le compte rendu des débats de la Chambre des communes sur les effets nocifs de la littérature pernicieuse sur la nation britannique du 8 mai 1888 rapporte que le député du Leicestershire se prononce en faveur de la censure de la littérature pernicieuse, dont bon nombre de traductions, car il croit qu’elle risque de fomenter les sentiments révolutionnaires auprès de la population vulnérable – les nouveaux lecteurs – dont les grondements commencent déjà à se faire entendre32. Il est permis d’affirmer que le Parlement veut protéger la stabilité morale et politique ainsi que l’intégrité de la nation, et n’hésite pas à faire appel à la censure.
10La vigilance du Parlement pendant les années 1880 s’explique de la façon suivante. À partir de 1865, la société victorienne se démocratise davantage ; par conséquent, la classe dominante est sur la défensive. Le taux d’analphabétisme passe de trente pour cent en 1861 à cinq pour cent en 1892, et les éditeurs novateurs, tel que Vizetelly qui s’affranchit du système censurant des cabinets de lecture (circulating librairies à la Mudie’s Circulating Library), publient des romans à sensation en traduction en un seul volume et à bon marché. Les nouveaux lecteurs peuvent désormais se payer des livres. Le 16 décembre 1884, James Davis écrit que, du fait que les écrivains n’ont qu’à mettre sur le marché à un prix abordable les livres que réclame le public, ils n’auront plus besoin de circulating libraries33, une institution qui écarte tout titre dont la teneur morale est suspecte. Si les écrivains veulent que les bibliothèques de prêt incluent leurs ouvrages dans leurs listes de livres à prêter, ils se voient obligés de se plier à leurs attentes, alors que les éditeurs novateurs, tel Vizetelly, les libèrent des contraintes imposées par les bibliothèques de prêt. Cette révolution du monde de l’édition provoque une réaction auprès des députés, responsables d’assurer l’ordre social, et des moralistes34. Toutefois, le Parlement préfère que les particuliers, dont les moralistes, poursuivent les auteurs dont l’œuvre est jugée obscène ou bien l’éditeur quand il s’agit d’une traduction. On constate l’émergence de la censure libérale35.
11Si on remonte au XVIIIe siècle, on note que David Hume a réécrit en 1777 la conclusion de la version finale de son essai où il critique la « unbounded liberty of the press36 » (« la liberté sans limites de la presse ») en Grande-Bretagne. Hume exprime ici la crainte de la foule, de la révolution et du républicanisme qu’il partage avec bon nombre de ses compatriotes « porte-paroles autorisés37 ». Un siècle plus tard, la réception victorienne de produits littéraires français, notamment, qui revendiquent la réforme sociale, l’anticléricalisme ou le républicanisme demeurent foncièrement problématique. En outre, le contenu scandaleux des articles publiés dans les « canards » pousse les députés à viser la presse. Dès 1870, environ 90 quotidiens sont publiés à la suite de la suppression du droit de timbre, du port des journaux et des taux du cautionnement38 ; c’est la presse qui attire d’abord des attaques virulentes des moralistes. Le 22 avril 1887, par exemple, le député Samuel Smith se prononce de la part des moralistes devant le Parlement contre les tabloïds et la presse à scandale. Il estime la tradition britannique qui valorise la liberté de la presse, mais craint que la presse à sensation n’incite le peuple à lire de la littérature obscène39. Cependant Smith ne limite pas ses attaques à la presse. Lors du même discours, il insiste sur la responsabilité des classes supérieures de se comporter en modèle à imiter jusqu’à dans leurs lectures40. Néanmoins, il faut se rappeler que la littérature obscène, précisément la pornographie, a toujours été à la disposition des membres des classes supérieures, un exemple par excellence du « third-person effect41 ». Ce qui vexe tant ces classes vers la fin du XIXe siècle est que, soudain, les classes inférieures qui auparavant n’y avaient pas accès peuvent dorénavant se la procurer ouvertement et à bas prix grâce à la presse à sensation. Afin de maintenir l’ordre traditionnel et d’assurer la place privilégiée de l’élite, tout comportement qui ne demeure pas dans les limites de la bienséance doit rester dans le domaine privé, d’où le problème de la presse qui a tendance à rendre le scandale public et sensationnel42.
12Toutefois, les institutions variées – les bibliothèques de prêt, le système juridique, le Parlement, les ligues de moralité – ne peuvent empêcher la diffusion de la littérature érotique, qui est florissante à cette époque43, quoique clandestine. Sir Richard Burton, traducteur des Mille et une nuits, est l’un de ces traducteurs qui savent se faufiler dans les systèmes juridique et littéraire. A Thousand Nights and a Night44, sa traduction orientaliste et teintée d’érotisme, fut publiée par une société savante inventée, The Kama Shastra Society of London and Benares, et vendue par souscription. En outre, le système socio-culturel tolère la libre diffusion de livres écrits en langue étrangère, car seules les personnes éduquées (celles qui détiennent le pouvoir politique) y ont accès. Par ailleurs, les autorités surveillent de beaucoup moins près les prétendus classiques de la littérature européenne même en traduction, situation qu’exploite à succès Henry George Bohn, éditeur victorien des classiques en traduction ayant eu beaucoup de succès à déjouer la censure, dans ses volumes « supplémentaires » (extra volumes)45. L’éditeur Henry Vizetelly a moins de succès à cet égard et est reconnu coupable à deux reprises (1887, 1888) de la publication de traductions obscènes (trois œuvres de Zola).
13Afin de donner une plus grande liberté d’expression à l’élite, un système d’édition à deux vitesses existe donc : l’un public et l’autre privé. Les éditeurs œuvrant dans le domaine public peuvent être accusés d’obscénité, alors que les éditeurs œuvrant dans le domaine privé (sociétés secrètes qui vendent leurs œuvres aux « membres » et aux abonnés) sont à l’abri de la loi. Grâce aux normes respectées et aux tabous non transgressés au XIXe siècle – du moins par la majorité de la population britannique –, l’autocensure prend souvent la relève de la censure dans la traduction de textes qui visent le grand public, comme par exemple dans Lady Burton’s Edition of her Husband’s Arabian Nights. Translated literally from the Arabic. Prepared for Household Reading by Justin Huntly McCarthy, M.P46.
Au XXe siècle
14Une défense contre l’accusation d’obscénité est enfin introduite par la Obscene Publications Act adoptée en 1959. La loi est appliquée lors du procès intenté contre Penguin Books qui a publié Lady Chatterley’s Lover de D. H. Lawrence en 1960. Si l’éditeur convainc le juge du mérite littéraire de cette œuvre, qui n’est pas une traduction, la défense du « mérite littéraire » ne garantit pas, toutefois, un verdict de non-culpabilité. C’est à partir de cette date qu’on commence lentement à publier de nouvelles traductions des œuvres de Zola, interdites au XIXe siècle.
15Or, la censure ne vise pas exclusivement les écrits destinés à la lecture. Au contraire, le théâtre et l’opéra47 sont assujettis à une censure légiférée depuis l’adoption de la Theatre Licensing Act en 1737, quand il faut obtenir l’autorisation du Grand Chambellan de la Maison royale pour monter une pièce dramatique à Londres, la seule ville où on a le droit de monter une pièce « sérieuse48 ». Le Grand Chambellan peut refuser de donner un permis, ou il peut exiger des coupures, des modifications ou une réécriture, et ce sans se justifier. Il peut en outre en retirer l’autorisation. La Theatre Regulation Act de 1843 étend le pouvoir du Grand Chambellan à toute pièce destinée au grand public au Royaume-Uni, mais le limite également, car seules les pièces qui ne sont pas conformes à la bienséance ou aux bonnes mœurs, ou qui perturbent la paix publique peuvent être interdites. À Londres, une façon de détourner la censure est de faire jouer une pièce en représentation privée. À titre d’exemple, A Doll’s House de Henrik Ibsen est interdite puisque le dramaturge aborde sur la scène le thème du féminisme. La pièce est traduite par la fille de Karl Marx, Eleanor, et se fait lire « en privé » en 1885 à Londres49. La pièce Salomé présente des personnages bibliques sur la scène, ce qui est défendu, comme le sait très bien Oscar Wilde, qui l’a écrite à Paris. Ensuite, la pièce auto-traduite est « jouée pour la première fois en 1905, en représentation privée – façon de détourner la censure –, par le New Stage Club, au Bijou Theatre de Bayswater50 », ainsi qu’en 1906 à la Literary Theatre Society de King’s Hall, Covent Garden. Si John Lane a réussi à faire publier la version anglaise de la pièce en 1892, Salomé ne sera pas jouée en Grande-Bretagne jusqu’en 1931 puisque l’interdiction du Grand Chambellan n’est pas levée pendant presque quarante ans. Salomé est produite en Angleterre pour la première fois au Savoy Theatre le 5 octobre 1931. La censure préalable ou préventive est en vigueur, et ce jusqu’en 1968 quand la loi est abrogée et remplacée par An Act to Abolish Censorship : Theatres Act.
16Or, la censure du marché peut être plus subtile que les sanctions imposées par le Grand Chambellan. Dans Censoring Translation, Michelle Woods étudie le cas du dramaturge Václav Havel, dont les pièces sont d’abord censurées sous le régime communiste tchécoslovaque avant d’être « censurées » à nouveau lors de la production de ces pièces, en traduction, dans le monde anglo-américain entre les années 1960 et 1990. Les intervenants du milieu théâtral en Angleterre exerçaient constamment des pressions pour que les traductions des textes de Havel soient retranchées ou adaptées, réduisant son œuvre théâtrale à un objet politique afin de vendre des billets de théâtre51.
17Les films sont également assujettis à la censure ; par exemple, le film d’horreur italo-colombien de Ruggero Deodate Cannibal Holocaust (1980) est interdit au Royaume-Uni à cause de sa teneur obscène. De plus, le doublage et le sous-titrage permettent de manipuler et de transformer le contenu des films étrangers.
En guise de conclusion
18À la suite de l’adoption de Lord Campbell’s Obscene Publications Act en 1857, une série de procès – ceux de Hicklin (1868), de Bradlaugh et Besant (1877) et de Vizetelly (1888 et 1889) font état de la marge réduite des éditeurs qui travaillent dans le domaine public et fournissent des précédents dont l’influence allait se faire sentir jusqu’à la deuxième moitié du XXe siècle52.
19Alors que la censure est généralement considérée comme une manifestation violente du contrôle du discours, que ce soit par le contrôle ou la réduction au silence53 puisqu’accompagnée de l’imposition d’une vision du monde (par exemple, les procès intentés contre H. Vizetelly), la censure peut être beaucoup plus subtile tout en étant efficace. La sociologie de Pierre Bourdieu aide à déceler en Grande-Bretagne victorienne une censure structurale54, qui, pour maintenir l’ordre social par le moyen du discours, compte sur la disposition des lecteurs et sur une hiérarchie paternaliste qui reproduit le système politique démocratique. En d’autres mots, la censure est aussi un processus complexe réalisé par des agents censoriaux divers55. En effet, un système d’édition à deux vitesses est une manifestation de la censure structurale qui reproduit globalement la structure sociale (les privilégiés et les autres)56. Le système d’édition publique est assaini afin de fournir des modèles d’expression autorisés en vue de conditionner les lecteurs, alors que le système privé ne l’est pas. Les œuvres expurgées ayant une vocation didactique sont destinées aux femmes, aux enfants (par exemple, les contes de Hans Christian Anderson57) et aux classes inférieures. Elles sont publiées dans la sphère publique, alors que les œuvres controversées (telles les traductions orientalistes de Sir Richard Burton) et destinées aux lecteurs masculins coûtent cher et sont publiées en privé. On constate, toutefois, un relâchement de la pré- et de la post-censure de même que de la censure structurale depuis la fin des années 1960.
20De plus en plus, des traductologues étudient les agents et leur rôle dans l’admission et le rejet des discours étrangers dans des contextes démocratiques et non répressifs tels que celui du Royaume-Uni58. En outre, si l’effet du contrôle politique sur la traduction a été beaucoup examiné, la recherche récente étudie l’effet de la traduction sur le contrôle politique59. Les cadres théoriques fournis par Bourdieu (censure structurale inévitable voire nécessaire) ou Helen Freshwater60 (modèle constitutif) se révèlent souvent productifs. Ce dernier modèle veut que plusieurs discours luttent pour la domination dans une culture donnée et qu’un discours dominant invite inévitablement un contre-discours, autrement dit que la répression invite la subversion. L’Angleterre victorienne nous en fournit bon nombre d’exemples que ce bilan ne permet malheureusement pas d’explorer en détail.
21Les Britanniques ne peuvent se prévaloir d’un Premier amendement qui protège la liberté d’expression et doivent se plier davantage que leurs cousins d’outre-Atlantique aux contrôles de discours variés, dont la censure libérale dans le domaine public61. Au XIXe siècle émerge un marché libéral de l’édition des traductions au Royaume-Uni, et les autorités comptent sur la censure libérale, ou sur le marché des idées, pour exclure ce qui est considéré comme non convenable. Les moralistes n’ont pas tardé à s’y rallier. En effet, la longue histoire de la construction de la nation britannique est marquée par plusieurs formes de contrôle de discours mises en pratique afin de promouvoir la cohésion sociale au moyen de la construction et de la consolidation d’une vision du monde qui, en apparence du moins, est choisie librement par tous les citoyens britanniques et partagée par eux.
Bibliographie
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Notes de bas de page
1 V. HjørnagerPedersen, « Self-censorship in Victorian Translations of Hans Christian Anderson », in T. Seruya et M. L. Moniz (dir.), Translation and Censorship in Different Times and Landscapes, Newcastle, Cambridge Scholars Publishing, 2008, p. 317.
2 N. Cloarec et É. Dardenne, « Censorship v. Freedom of Speech in English-Speaking Countries. Cultural, Political and Historical Perspectives », Revue LISA/LISA e-journal, vol. XI, no 1, 2013, [en ligne], [https://lisa.revues.org/5171], page consultée le 4 juillet 2014.
3 J. Laberge, « Notes de cours 9 : le libertarisme de Robert Nozick », [en ligne], [http://www.cvm.qc.ca/jlaberge/jxx/Notes_de_cours/Cours9_Nozick.pdf], page consultée le 3 juillet 2014.
4 N. Cloarec et É. Dardenne, « Censorship v. Freedom of Speech in English-Speaking Countries. Cultural, Political and Historical Perspectives », op. cit.
5 « Under what sort of censorship do we now live ? », D. Thomas, A Long Time Burning : The History of Literary Censorship in England, London, Routledge et Kegan Paul Ltd., 1969, p. 7. Toutes les traductions de cet article ont été assurées par L. Martin et D. Merkle.
6 N. Cloarec et É. Dardenne, « Censorship v. Freedom of Speech in English-Speaking Countries. Cultural, Political and Historical Perspectives », op. cit.
7 R. Ellis et L. Oakley-Brown (dir.), Translation and Nation : Towards a Cultural Politics of Englishness, Clevedon, Buffalo, Toronto, Sydney, Multilingual Matters Ltd., 2001.
8 S. Bassnett et A. Lefevere (dir.), Constructing Cultures. Essays on Literary Translation, Clevedon, Philadelphia, Toronto, Sydney et Johannesburg, Multilingual Matters, 1998.
9 « “Censorship” has become a fashionable topic, not only because of newly available archival material from Eastern Europe and the former Soviet Union, but also because the “new censorship” (inspired by the works of Foucault and Bourdieu) has widened the very concept of censorship beyond its conventional boundaries [to include] cultural selection processes (such as canon formation), economic forces, social exclusion, professional marginalization, silencing through specialized discourses, communicative norms, and other forms of control and regulation », B. Müller (dir.), Censorship & Cultural Regulation in the Modern Age, Amsterdam et New York, NY, 2004, quatrième de couverture.
10 Voir, à titre d’exemple, M. Foucault, « L’Occident et la vérité du sexe », Le Monde, no 9885, 5 novembre 1976, p. 24 [en ligne], [http://1libertaire.free.fr/MFoucault218.html], page consultée le 4 juillet 2014. « On touche là à un problème plus général qu’il faudra bien traiter en contrepoint de cette histoire de la sexualité, le problème du pouvoir. D’une façon spontanée, quand on parle du pouvoir, on le conçoit comme loi, comme interdit, comme prohibition et répression ; et on est bien désarmé quand il s’agit de le suivre dans ses mécanismes et ses effets positifs. Un certain modèle juridique pèse sur les analyses du pouvoir, donnant un privilège absolu à la forme de la loi. Il faudrait écrire une histoire de la sexualité qui ne serait pas ordonnée à l’idée d’un pouvoir-répression, d’un pouvoir-censure, mais à l’idée d’un pouvoir-incitation, d’un pouvoir-savoir ; il faudrait essayer de dégager le régime de coercition, de plaisir et de discours qui est non pas inhibiteur, mais constitutif de ce domaine complexe qu’est la sexualité. »
11 Voir P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, Paris, Librairie Arthème Fayard, 1982, et, du même auteur, Le sens pratique, Paris, Éditions de Minuit, 1980.
12 Voir, par exemple, A. Lefevere, « Translations and Other Ways in Which One Literature Refracts Another », Symposium, vol. 38, no 2, 1984, p. 127-142.
13 M. Wolf, « Censorship as Cultural Blockage : Banned Literature in the Late Habsburg Monarchy », TTR, vol. 15, no 2, 2002, p. 45-62. La notion de « blocage culturel » conçue par Stephen Greenblatt est exploitée par Michaela Wolf, selon laquelle les éditeurs, les traducteurs, les institutions choisissent de ne pas traduire certaines œuvres, ce qui revient à les exclure. Quand les produits culturels d’un pays (par exemple la France) sont visés par la culture d’accueil (par exemple le Royaume-Uni), on peut parler de « blocage culturel ».
14 Voir, à titre d’exemples, T. Tomaszkiewicz, « La traduction des textes déjà censurés », TTR, vol. 15, no 2, 2002, p. 171-189 ; A. Rǎdulescu, « Entre censure et autocensure littéraire en Roumanie : l’odyssée d’un journal intime à l’époque communiste », TTR, vol. 23, no 2, 2010, p. 23-52, et B. Baer, « Literary Translation in the Age of the Decembrists : The Birth of Productive Censorship in Russia », D. Merkle, C. O’Sullivan, L. van Doorslaer et M. Wolf (dir.), The Power of the Pen : Translation and Censorship in Nineteenth-century Europe, Wien et Münster, Lit Verlag, 2010, p. 213-239.
15 Voir, par exemple, M. Woods, Censoring Translation : Censorship, Theatre, and the Politics of Translation, London et New York, Continuum, 2012.
16 P. Kuhiwczak, «Translation Studies Forum: Translation and censorship», Translation Studies, vol. 4, no 3, 2011, p. 358-373.
17 Voir, par exemple, S. Simon (dir.), Numéro thématique: « Traduction engagée/Translation and Social Activism », TTR, vol. 18, no 2, 2005; M. Tymoczko (dir.), Translation, Resistance, Activism, Amherst, MA, University of Massachusetts Press, 2010, et M. Tymoczko et E. Gentzler (dir.), Translation and Power, Amherst et Boston, University of Massachusetts Press, 2002.
18 D. Thomas, A Long Time Burning: The History of Literary Censorship in England, op. cit., p. 6.
19 Ibid., p. 5.
20 N. Cloarec et É. Dardenne, « Censorship v. Freedom of Speech in English-Speaking Countries. Cultural, Political and Historical Perspectives », op. cit.
21 J. Milton, « Areopagitica, a Speech for the Liberty of Unlicensed Printing, to the Parliament of England [1644] », in J. L. Black et H. F. Nelson (dir.), The Broadview Anthology of Seventeenth-Century Verse and Prose, Peterborough, Broadview, 2000, p. 563.
22 G. Robertson, Freedom, the Individual and the Law, London, Penguin, 1989, p. 179-180.
23 N. Cloarec et É. Dardenne, « Censorship v. Freedom of Speech in English-Speaking Countries. Cultural, Political and Historical Perspectives », op. cit.
24 « I think the test of obscenity is this, whether the tendency of the matter charged as obscenity is to deprave and corrupt those whose minds are open to such immoral influences, and into whose hands a publication of this sort may fall », Cockburn cité par G. Robertson, Freedom, the Individual and the Law, op. cit., p. 180.
25 Ibid., p. 180-181.
26 D. Merkle, « Émile Zola devant la censure britannique », TTR, vol. 7, no 1, 1994, p. 77-91.
27 P. Bourdieu, La distinction, Paris, Éditions de Minuit, 1979, p. 49.
28 Ibid.
29 Ibid., p. 50.
30 M. J. D. Roberts, « Blasphemy, Obscenity and the Courts : Contours of Tolerance in Nineteenth-century England », in P. Hyland et N. Sammells (dir.), Writing and Censorship in Britain, London, Routledge, 1992, p. 141-153.
31 Ibid., p. 142.
32 (The) National Vigilance Association (NVA), Pernicious Literature. Debate in the House of Commons. Trial and Conviction for Sale of Zola’s Novels. With Opinions of the Press, Strand, London, The National Vigilance Association, 1889, p. 11.
33 P. Coustillas (dir. et intro.), Literature at Nurse, or Circulating Morals : A Polemic on Victorian Censorship, Sussex, The Harvester Press Limited, 1976, p. 48.
34 D. Merkle, « Vizetelly & Company as (Ex) Change Agent : Towards the Modernization of the British Publishing Industry », in J. Milton et P. Bandia (dir.), Agents of Translation, Amsterdam et Philadelphia, John Benjamins, 2009, p. 85-106.
35 M. McNaught, « Free-Market Censorship », Revue LISA/LISA e-journal, vol. XI, no 1, 2013, [en ligne], [http://lisa.revues.org/5246], page consultée le 3 juillet 2014.
36 D. Thomas, A Long Time Burning: The History of Literary Censorship in England, op. cit., p. 2.
37 P. Bourdieu, Ce que parler veut dire, op. cit., p. 69.
38 R. J. Goldstein, « A Land of Relative Freedom : Censorship of the Press and the Arts in the Nineteenth Century (1815-1914) », in P. Hyland et N. Sammells (dir.), Writing and Censorship in Britain, London, Routledge, 1992, p. 131-132.
39 (The) NationalVigilanceAssociation (NVA), op. cit., p. 31.
40 Ibid., p. 31.
41 C. O’sullivan, « Margin and the Third-person Effect in Bohn’s Extra Volumes », in D. Merkle, C. O’Sullivan, L. van Doorslaer et M. Wolf (dir.), The Power of the Pen : Translation and Censorship in Nineteenth-century Europe, Wien et Münster, Lit Verlag, 2010, p. 119-142.
42 Voir, à titre d’exemple, D. Merkle, « É. Zola devant la censure », op. cit.
43 C. Colligan, « Obscenity and Empire : England’s Obscene Print Culture in the Nineteenth Century » (thèse inédite), Kingston (ON), Queen’s University, 2002.
44 D. Merkle, « Towards a Sociology of Censorship : Translation in the Late-Victorian Publishing Field », in M. Wolf (dir.), Übersetzen – Translating – Traduire : Towards a « Social Turn » ?, Wien et Münster, Lit Verlag, 2006, p. 35-44.
45 C. O’Sullivan, «Margin and the Third-person Effect in Bohn’s Extra Volumes», op. cit.
46 D. Merkle, «Towards a Sociology of Censorship…», op. cit.
47 Voir, par exemple, R. MontemorraMarvin, citée par C. O’Sullivan, « Margin and the Third-person Effect in Bohn’s Extra Volumes », op. cit., p. 119.
48 K. Krebs, « Anticipating Blue Lines. Translational Choices as Sites of (Self)-Censorship. Translating for the British Stage under the Lord Chamberlain », in F. Billiani (dir.), Modes of Censorship and Translation, Manchester (U. K.) et Kinderhook (NY), St. Jerome, 2007, p. 167-168. Pour savoir plus sur la censure théâtrale au XIXe siècle, voir également J. M. Walton, « Good Manners, Decorum and the Public Peace. Greek Drama and the Censor », in F. Billiani (dir.), Modes of Censorship and Translation, Manchester, op. cit., p. 143-166. Voir également S. Nicholson dans ce volume.
49 D. Merkle, «Intertextuality in Eleanor Marx-Aveling’s A Doll’s House and Madame Bovary», Babel, vol. 50, no 2, 2004, p. 97-113.
50 M.-C. Pasquier, « Salomé : Notice et notes », in Oscar Wilde Œuvres, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1966, p. 1837-1838.
51 M. Woods, Censoring Translation, op. cit., p. 131.
52 « You can, in theory, say anything you want, any way you want. In practice, though, if you want to be listened to at all, you will have to say it within a certain margin, and that margin, which grows wide or narrower in history, is drawn by those I would call patrons, […] all powers that (happen to) be and that are able to commission, foster, encourage, hinder, censor, burn the production of texts, original or translated. These powers, churches, political parties, publishers and their editors, radio and television programmers, draw the margin and they are also able to make it stick, more or less completely in totalitarian societies, less so in non-totalitarian ones. The margin does, of course, coincide with the patrons’world view, and they are able to draw and enforce it because they can dispense to writers, to a certain extent, both economic subsistence and a certain social niche, more or less prestigious, or withhold both from them », C. O’Sullivan, « Margin and the third-person effect », op. cit., p. 120. Reprise à bon escient par O’Sullivan, la notion de « margin » est d’abord conçue par A. Lefevere, « Translations and Other Ways in Which One Literature Refracts Another », op. cit., p. 128.
53 H. Freshwater, « Towards a Redefinition of Censorship », in B. Müller (dir.), Censorship & Cultural Regulation in the Modern Age, Amsterdam et New York, Rodopi, 2004, p. 225.
54 P. Bourdieu, Le sens pratique, op. cit., p. 224.
55 H. Freshwater, «Towards a Redefinition of Censorship», op. cit.
56 Voir D. Merkle, « Towards a Sociology of Censorship… », op. cit.
57 V. HjørnagerPedersen, «Self-censorship in Victorian Translations of Hans Christian Anderson», op. cit.
58 Voir les bibliographies dans F. Billiani (dir.), Modes of Censorship and Translation, Manchester (U. K.) et Kinderhook (NY), St. Jerome, 2007 et E. NíChuilleanáin, C. Ó Cuilleanáin et D. Parris (dir.), Translation and Censorship. Patterns of communication and interference, Dublin, Four Courts Press, 2009.
59 C. Rundle et K. Sturge (dir.), Translation under Fascism, Basingstoke (U.K.) et New York, Palgrave Macmillan, 2010.
60 K. Krebs, « Anticipating Blue Lines. Translational Choices as Sites of (Self)-Censorship. Translating for the British Stage under the Lord Chamberlain », op. cit., et H. Freshwater, « Towards a Redefinition of Censorship », op. cit., Cette dernière s’inspire des travaux de Annette Kuhn, de Sue Curry Jansen, de Michael Holquist, de Richard Burt, et bien sûr, de Michel Foucault pour élaborer son modèle de « censure constitutive » (constitutive censorship), p. 226-230.
61 M. McNaught, «Free-Market Censorship», op. cit.
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