Résumés/abstracts
p. 535-555
Texte intégral
1 Isabelle Séguy
2 Entre construction sociale et indicateur moral. L’illégitimité en France à l’époque moderne au prisme de la démographie historique
3L’illégitimité est un phénomène démographique marginal tout au long l’époque moderne, bien que de proportion très variable d’une région à une autre et fluctuant au cours de la période. C’est pourtant un objet d’étude majeur en histoire sociale car il croise les grandes thématiques de l’enfance, de la famille, du mariage, les études genrées, l’histoire du droit, etc. L’illégitimité est un thème plus fécond en sociologie, en droit, en économie, en histoire sociale et culturelle qu’en démographie quantitative. Longtemps étudiée à travers le prisme déformant de la rigueur morale hérité du XIXe siècle, l’illégitimité se révèle être un formidable indicateur des changements que subissent les populations de l’Ancien Régime. Sa progression, entre le début du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle, traduit sans doute moins l’essor des relations extraconjugales que la lente adaptation des populations françaises aux nouvelles règles de mariage, et donc de filiation, que l’Église comme l’État entreprennent d’imposer après le concile de Trente. Les variations du taux d’illégitimité sont corrélées aux mutations sociales et à l’évolution des mentalités, aux difficultés économiques qui retardent les unions, aux migrations et aux décès prématurés qui privent du promis, à la place faite aux femmes et aux plus vulnérables. Sa mesure à partir de l’état civil ancien ne peut être qu’incertaine, surestimée ici, sous-estimée là, car un grand nombre de facteurs influencent et nuancent l’intensité de ce phénomène.
4 Social Construction or Moral Indicator. An Historical Demographical Point of View on Illegitimate Births in France during Early Modern Period
5 Illegitimacy remains a marginal demographic phenomenon during all early modern period, although with high regional variations and chronological fluctuations in its intensity. Nevertheless, illegitimacy is a major research topic in social history which unites various themes, such as childhood, family, marriage, inheritance systems, gender, history of law, etc. Approaches to the subject draw more on sociology, law, and economic, social and cultural history than on quantitative demography. Studying illegitimacy freed from the social and moral background, inherited from the 19 th century, is still difficult; when illegitimacy mainly reflects changes affecting population lives during Ancient Regime. Its progression, between the beginning of 17 th and the end of 18 th century, is less correlated to the development of extramarital relations than to slow adaptations of French populations to new rules, in marriage legislation, and thus filiation, which Church as State imposed after Council of Trent. The variations of illegitimacy rate are correlated with social transformations and evolution of mentalities, with economic difficulties which delay marriages, with migrations and premature deaths which deprive of the promise, with women and most vulnerable social status. Its measure from parish registers is obviously uncertain, underestimated here, overestimated there, as so many factors influence and modify the intensity of this phenomenon.
6 Emmanuelle Santinelli-Foltz
7 Naître in ou extra legitimo matrimonio. Le témoignage des sources franques (VIe-XIe siècle)
8Présenter un état des lieux quant à la filiation illégitime pour les premiers siècles du Moyen Âge (VIe-XIe siècle) est complexe : outre le fait que la documentation l’évoque assez peu, tout le monde n’en donne pas la même définition et n’en tire pas les mêmes conclusions, sans compter que les situations, et donc les statuts, peuvent évoluer, notamment avec l’évolution du rapport de force en jeu. L’objectif de ce chapitre cherche ainsi à faire, dans le monde franc, un premier balayage – sans prétendre à l’exhaustivité – des différents types de sources (qui ne donnent qu’une vision partielle et partiale) pour y repérer, d’abord, les enfants susceptibles d’être nés (ou les naissances) en dehors d’un mariage légitime et en proposer une typologie et pour saisir ensuite de quelles manières ils retiennent l’attention, en soulignant notamment ce qui les distingue ou non des autres enfants issus d’une union légitime. Même si l’image de la filiation illégitime est d’un grand flou, la période semble marquée par une prise de conscience de plus en plus nette à partir de l’époque carolingienne, avec une intensification au tournant des Xe et XIe siècles, que les enfants n’ont pas les mêmes droits, notamment en matière d’héritage, selon qu’ils sont considérés comme légitimes ou illégitimes, ce qui ne les empêche pas d’être tous membres à part entière du groupe familial et de contribuer à en défendre les intérêts.
9 To Be born In or Extra Legitimo Matrimonio. The Testimony of the Frankish Sources (6th-11th century)
10 Present a state of the illegitimate filiation for the first centuries of the Middle Ages (6 th -11 th century) is complex: besides the fact that the documentation evokes it enough little, not everyone gives same definition of it and draws from it the same conclusions, not to mention that the situations, and thus the statuses, can evolve, in particular with the fluctuation of the balance of powers at work. The objective of this chapter thus consisted in making, in the frank world, a first scanning – without any claim in the exhaustiveness – of various types of documentations (which give only a biased and partial vision), to locate, at first, the children susceptible to have been born (or the births) outside a legitimate marriage and to propose a typology, and then to seize of which manner they hold attention, by underlining in particular what distinguished them or not, from others children, come from legitimate unions. Even if the image of the illegitimate filiation is of a big fuzziness, the period seems marked by a more and more clear awareness, from the Carolingian time, with an intensification in the turning point of the 10 th and 11 th centuries, that the children haven’t the same rights, in particular regarding inheritance, according to whether they are considered as legitimate or illegitimate, what does not prevent them from being every full members of the family group and contributing to defend its interests.
11 Huguette Taviani-Carozzi
12 La naissance illégitime dans la controverse antihérétique (XI e -XII e siècles)
13Cette étude s’appuie sur un ensemble de sources concernant les sectes hérétiques d’Occident, de l’An Mil jusqu’à la fin du XIIe siècle, période de la réforme grégorienne. La naissance illégitime y est abordée dans la controverse sur le mariage et le baptême, sacrements rejetés par les hérétiques, dont les unions et la progéniture encourent le discrédit et la calomnie des réformateurs, défenseurs de l’orthodoxie dogmatique et morale. Mais ceux-ci ont pour préoccupation essentielle l’hérésie nicolaïte, le mariage des prêtres et l’accession de leurs fils aux dignités ecclésiastiques. D’où leur rappel de la distinction des « états » (vierges, continents, mariés) au sein d’un ordre social envisagé dans une perspective eschatologique qui relève de l’ordre divin ou ordre de la nature. À l’argumentation juridique vient alors s’ajouter le débat théologique sur ce thème, ce qui permet une meilleure appréciation de la marginalisation des bâtards.
14 Controversy against Heretical Sects, and Illegitimate Birth (11 th -12 th centuries)
15 This study is founded on a set of sources about heretical groups in Western Christendom, from the early 11 th century, after the year 1000, to the latter years of the 12 th , that’s the Church’s Reform period. The question of illegitimate birth can be approached through controversy on marriage and baptism, both rejected by heretics who challenged Church’s authority, questioning the need of priests and sacraments alike. The refusal of legitimate unions induces defamation and vituperation against nefari homines, suspected of fornication, incest and sacrilegious crimes against their bastards. However, defenders of orthodoxy’ first preoccupation was priests’ marriage, and their sons’ demand of ecclesiastical honours and benefices. In all these cases of controversy, reformers, putting forward both arguments of divine ordination between virgines, continentes, coniugati, and of divine and natural law, give us a more complete appreciation of illegitimacy.
16 Didier Boisson
17 Bâtardise et confession religieuse. L’illégitimité des enfants de réformés en France au XVIII e siècle
18De la Révocation de l’édit de Nantes de 1685 à l’édit de tolérance de 1787, la France est théoriquement « toute catholique ». Parmi la minorité protestante, si beaucoup de réformés refusent une sépulture catholique, peu acceptent le mariage catholique. D’autant qu’à partir de 1715 et la réorganisation des Églises réformées, les synodes protestants condamnent les couples qui accepteraient le mariage catholique. Ce comportement fait apparaître une forme d’illégitimité particulière due à la loi. Cependant, dans les faits, l’enfant illégitime né de cette union est souvent considéré comme légitime car le couple est reconnu comme tel. Cette situation paradoxale est dénoncée surtout à partir des années 1750. Ce combat aboutit à la reconnaissance d’un état civil propre aux non catholiques en 1787.
19 Illegitimacy and Confession.
20 The Illegitimacy of Protestant Children in France (18 th century)
21 From 1685 and the Revocation of the Edict of Nantes to 1787 the Tolerance Edict in 1787, France is theoretically “every Catholic”. Among the Protestant minority, while many Protestants refuse a Catholic burial, some accept the Catholic marriage. Especially that from 1715 and the reorganization of Reformed Churches, Protestant synods condemn couples who accept the Catholic marriage. This behavior shows a particular form of illegitimacy due to the law. However, in practice, the illegitimate child born of this union is often considered legitimate because the couple is recognized as such. This paradoxical situation is denounced especially from the 1750s. This fight led to the recognition of civil status for non-Catholics in 1787.
22 Arnaud Fossier
23 À propos du defectus natalium.
24 Un cas paradigmatique du pouvoir pontifical de dispense (XI e -XV e siècle)
25Dans le droit canonique de la première moitié du XIIe siècle, interdiction est faite aux fils de prêtres ou de chanoines, d’accéder aux ordres majeurs, voire de succéder à leurs pères, mais il est admis que les « vices » de ces derniers peuvent être compensés par les « mérites » et « l’honnêteté de mœurs » des premiers. Aussi les dispenses et les concessions pontificales du droit de dispenser les bâtards super defectu natalium se multiplient-elles bien avant que Boniface VIII (1294-1303) ne résolve la question des compétences de chaque juridiction ecclésiastique en la matière. Les lettres et les formulaires de lettres de la Pénitencerie apostolique, un office né au début du XIIIe siècle, mandaté par le souverain pontife pour écouter les confessions des pèlerins venus à Rome et pour répondre aux suppliques qui lui sont adressées, nous éclairent sur la technique dispensatoire et sur le rôle décisif qu’elle a joué dans l’histoire de l’administration ecclésiastique. En suspendant la règle de droit qui proscrit l’accès aux ordres majeurs et en levant l’« empêchement » canonique (impedimentum), la dispense, certes, n’efface pas le « défaut de naissance » qui macule le bâtard, mais elle constitue l’un des instruments principaux de la juridiction du souverain pontife. La qualification de « défaut » et la technique de la « dispense » s’entretiennent dès lors dans un rapport de consolidation de la plénitude de puissance papale et de construction de la Curie comme centre névralgique de l’Église, voué à régler les conditions d’accès aux ordres et de collation des bénéfices ecclésiastiques.
26 About defectus natalium.
27 A paradigmatic case of the papal power of dispense (11 th -15 th century)
28 According to the canon law of the first half of the 12 th century, sons of priests and canons are not allowed to be promoted to sacred orders nor to succeed to their fathers. Yet the merita and the morum honestas of the sons can compensate for the vitia of the fathers. That explains that papal dispensations super defectu natalium are very common a long time before Boniface VIII (1295-1303) resolves the jurisdictional issue of who may grant a dispensation (pope, bishops or abbots) and for which cases (major or minor orders). Letters and letter formularies of the Apostolic Penitentiary – a papal office which arises at the beginning of the 13th century, answers to the supplications addressed to the pope, but also receives confessions from pilgrims and penitents – are very useful to understand the legal “technology” of the dispensation and its place in the Church administration. By suspending the legal rule which strictly forbidded bastards of priests to acceed to sacred orders and also by removing the canonical impediment (impedimentum), the dispensation did certainly not erase the defectus natalium of the bastard. But it was one of the major tools of the papal jurisdiction and it made the Roman Curia a real nerve center of the Church, devoted to set the terms of admission to sacred orders and of conferment of ecclesiastical benefices.
29 Élisabeth Lusset
30 Moines et moniales de naissance illégitime. Entrer dans les ordres réguliers et y faire carrière à la fin du Moyen Âge : entre droit général et ius proprium
31Le droit canonique interdit aux bâtards d’être promus aux ordres sacrés, sauf s’ils sont moines ou chanoines réguliers. Il défend par ailleurs à ces clercs réguliers de détenir des dignités ecclésiastiques. À ces dispositions générales s’ajoutent celles du droit particulier des monastères masculins et féminins qui appartiennent soit à un ordre (clunisien, cistercien, chartreux) soit à la nébuleuse moins définie des monastères bénédictins. À la fin du XIIIe siècle, le ius proprium fait de la bâtardise un obstacle à l’accession aux charges claustrales puis, au XIVe siècle, un obstacle à la profession religieuse. Les monastères ne sont toutefois pas hermétiquement fermés aux bâtards, qui peuvent obtenir une dispense pontificale auprès d’offices tels que la pénitencerie ou la chancellerie apostoliques. À partir du milieu du XIIIe siècle, les papes délèguent aux chapitres généraux des ordres religieux la faculté de délivrer ces dispenses super defectu natalium, permettant ainsi à ces derniers d’affirmer leur autorité comme instance suprême de l’ordre sur l’ensemble des religieux. Quant aux religieux illégitimes, l’obtention d’une dispense leur permet de faire carrière dans les ordres monastiques, mais ne les prémunit pas toujours contre la vindicte sociale.
32 Illegitimate Monks and Nuns in the Late Middle Ages.
33 Between Canon Law and Ius proprium
34 Canon law forbade illegitimate men from receiving holy orders, unless they were monks or regular canons. It also prevented these monks from holding ecclesiastical offices. Canon law was complemented by normative texts issued by religious houses of men and women, belonging either to orders such as the Cluniacs, Cistercians and Carthusians or to independent houses following the Rule of St Benedict. At the end of the 13 th century, the ius proprium made bastards ineligible for the promotion to administrative offices. From the 14th century onward, illegitimate birth became a defect that prevented them from becoming a monk. Religious houses, however, were not entirely inaccessible to bastards, who could turn to the Apostolic Penitentiary or to the Chancery to obtain a papal dispensation. From the mid-13th century onward, Carthusian and Cistercian general chapters received from the pontiffthe faculty to grant dispensations super defectu natalium and could, as the supreme authority in the order, reinforce their influence on their members. Nevertheless, if such dispensations allowed illegitimate monks or nuns to proceed further in their monastic careers, they didn’t always protect them against social infamy.
35 Carole Avignon
36 Sans gens ni genus ? Configurations coutumières, reconfigurations pratiques de la condition de l’enfant illégitime (XIIe-XVe siècle)
37En droit, le périmètre juridique d’une communauté familiale est déterminé par la capacité que l’on a d’y succéder. Ce droit est lié à la seule parenté légitime, fondée sur le mariage. Car la distinction entre « oirs loiaux » et « bastars » est bien fonction de l’état matrimonial des géniteurs. Le rapport du bâtard à l’héritage dont il ne peut théoriquement pas être dépositaire, mais aussi celui qu’il peut constituer pour ses propres descendants procréés en « loial mariage » est l’objet d’une première partie qui permet de questionner les configurations coutumières de l’insertion de l’illégitime dans une famille conjugale et dans sa parenté. Nous envisagerons aussi comment peut être reconfiguré le périmètre familial entre contraintes judiciaires et latitudes testamentaires. L’enfant illégitime, intégré dans le quotidien de la parenté vécue, peut avoir été « donné », ou être celui qui est « nourri ». Paradoxalement toutefois, il se distingue du reste de la fratrie par une forme de déni du lien charnel qui l’unirait à ses parents : déraciné par la coutume, sans gens ni genus, sans être toutefois sans filiation, ni sans père, l’enfant bâtard semble être aussi celui que les discours désincarnent.
38 Without gens nor genus ?
39 Customary and practical configurations of illegitimate condition (12 th -15 th century)
40 In the field of law, the legal scope of a family community is determined by the ability to inherit. This right is linked to the only legitimate relationship: marriage. The distinction between “oirs loiaux” and “bastard” is based on the parents’ marital status. First and foremost, the link between the bastard and his heritage that he theoretically cannot claim for, but also the link between this heritage and his own children born in “loial marriage” will be studied in order to analyze customary configurations when an illegitimate child is part of a family. Then, we will consider how the family can be reconfigured considering judicial constraints and testamentary opportunities. The illegitimate child is integrated into the daily life of his real parents. He may have been “given” or “fed”. However and paradoxically, it differs from the rest of the siblings by a form of denial of his carnal link with his parents. Uprooted by custom, without gens or genus, but without a lack of affiliation and without being fatherless, the bastard seems to be disembodied in most speeches.
41 Marta Peguera Poch
42 Filiation illégitime et mariage reprouvé en France à l’époque moderne (XVI e -XVIII e siècle)
43Dans la France moderne, le régime juridique du bâtard se caractérise essentiellement par son incapacité successorale. Lorsque le pouvoir monarchique commence à intervenir en matière matrimoniale, à partir de 1556, il n’entend pas changer les coutumes qui règlent le sort patrimonial du bâtard. Mais, pour sanctionner les enfants qui se marient sans le consentement de leurs parents, il les prive de droits successoraux, ce qui est la marque caractéristique du régime juridique du bâtard. Il prévoit la même sanction à l’encontre des enfants issus de mariages restés secrets. Ainsi, dans cette lutte contre les mariages clandestins et secrets, dangereux pour l’ordre social monarchique, les sanctions patrimoniales aboutissent à soumettre certains enfants, pourtant légitimes, au même régime successoral que les bâtards, preuve que le droit successoral est au cœur des problèmes soulevés par le mariage et la filiation à l’époque moderne.
44 Illegitimate Filiation and Condamned Marriage in France (16 th -18 th century)
45 In modern times in France, the legal regime of the bastard was essentially characterized by its succession incapacity. Since 1556 the monarchy began to intervene in matrimonial matters but it did not intend to change the customs which govern the heritage’s fate of bastard. But to punish children who get married without the consent of their parents, it deprives them of inheritance rights, which is the characteristic mark of the legal regime of the bastard. It provides the same punishment against children from marriages which remained secret. Thus, in this fight against clandestine and secret marriages, dangerous for the monarchical social order, the patrimonial sanctions lead to treat some legitimate children with the same rules of succession than the bastards. It proves the central place of succession’s rights in the issues raised by marriage and filiation in the modern era.
46 Véronique Demars-Sion
47 Naître hors mariage dans le ressort du Parlement de Flandre (1668-1790)
48Pour étudier la condition de l’enfant illégitime sous l’Ancien Régime il faut se tourner vers la pratique car en la matière les solutions sont avant tout jurisprudentielles. Le ressort du parlement de Flandre, créé en 1668 pour rendre la justice dans les territoires conquis sur les Pays-Bas espagnols, constitue un terrain d’investigation privilégié. La condition du bâtard se dégrade avec la consolidation de l’influence française. L’établissement de sa filiation est de plus en plus difficile en raison du rejet croissant dont il fait l’objet et du durcissement des règles de preuve. Ses droits ne cessent de diminuer : il peut réclamer des aliments mais en principe il ne peut pas hériter de ses parents et sa capacité de recevoir des libéralités est contestée. À la fin du XVIIe siècle, le parlement admet encore que ses parents disposent de tous les biens en sa faveur en l’absence d’enfant légitime mais cette jurisprudence libérale est remise en cause au milieu du XVIIIe siècle. La Cour, s’alignant sur les solutions françaises, n’autorise plus que des libéralités à titre particulier dont les juges restent toutefois libres d’arbitrer le montant.
49 To Be Born Out Wedlock in the Jurisdiction of the Parlement of Flanders (1668-1790)
50 Any research into the status of illegitimate children in old French law will have to take into account legal practice, because it is an area where case law provided most of the answers. The jurisdiction of the Parlement of Flanders (which had been created in 1668 in order to administer French royal justice in the territories conquered in the Spanish Netherlands) is in that respect of special interest. The legal status of illegitimate children was adversely affected by the growing influence of French policies and law. Establishing an individual’s illegitimate descent became gradually more difficult because it was increasingly rejected and because the rules of evidence became more strict. The illegitimate child’s rights were constantly curtailed: he or she could claim some support allowance, but as a rule, they could no longer inherit from their parents and their capacity to receive gifts was challenged. Towards the end of the 17 th century, The Flemish Parlement still allowed parents to leave all their property and estate to an illegitimate child, providing they had no legitimate child. However, such a more liberal approach was reversed towards the middle of the following century. By that time, the court, taking its cue from French law, only allowed gifts of specific property, and the judges had now discretionary powers to cap the amount or value of such gifts.
51 Alice Duda
52 La perception des bâtards au XV e siècle. L’exemple des pays bourguignons
53Cet article s’appuie sur des actes de la chancellerie bourguignonne (lettres de légitimation, lettres de rémission) ainsi que sur deux sources littéraires : Les Cent Nouvelles Nouvelles qui montrent que le thème de la bâtardise prête à rire et n’est pas tabou à la cour de Bourgogne, et la farce Jenin, fils de rien qui aborde la question de la filiation et de la recherche en paternité. Le croisement de ces sources permet d’abord de mieux comprendre la perception des bâtards dans une société où l’ordre établi est un ordre chrétien : les lettres de légitimation apportent alors un éclairage significatif sur la situation juridique des bâtards et sur le vocabulaire employé pour les qualifier et les typologies que peuvent dresser les historiens à partir de ces termes. La question de savoir si le bâtard est un enfant de l’amour et/ou une menace pour la famille est ensuite évoquée, en déclinant l’idée de menace sur plusieurs plans (aussi bien pour le conjoint que pour les enfants légitimes ou la parenté tout entière notamment quand des jeunes filles nobles commettent des infanticides afin de ne pas déshonorer leur famille). Enfin, le concept de bâtardocratie permet aussi de montrer que les bâtards de l’élite ne sont pas nécessairement perçus comme une menace mais qu’ils peuvent au contraire trouver leur place et être d’une réelle utilité sociale.
54 The Perception of Illegitimate Children in 15 th century. The Example of Burgundian Countries
55 This article is backep-up by Burgundian chancellery’s acts (legitimization letters and clemency letters) as well as by two literary sources : Les Cent Nouvelles Nouvelles which show that the theme of the illegitimacy is laughable and is not taboo at the Court of Burgundy, and the farce Jenin, fils de rien which approaches the question of filiation and the paternity search. At first, the combination of these sources does better understand the perception of the illegitimate children in a society where the established order is a Christian order. The legitimization letters does then give a significant perspective on the legal situation of illegitimate children, on the vocabulary used to qualify them and the typologies that historians can establish from these terms. The question whether the bastard is a love child and/or a threat for the family is then evocated, by developing the idea of threat on several plans (as well for the spouse as for the legitimate children or the parentage in particular when noble girls commit infanticides in order to not dishonor their family). Finally, the concept of bastardocracy also allows to show that the bastards of the elite are not inevitably perceived as a threat but rather can find their place and have a real social utility.
56 Charlotte Pichot
57 Le refus des naissances illégitimes dans le Centre et le Poitou (XIV e -XV e siècles)
58Au Moyen Âge, la sexualité n’est acceptée qu’au sein d’une union matrimoniale et dans le but de procréer. Dès lors, les naissances extraconjugales révèlent un adultère. À travers sa grossesse, la femme enceinte célibataire porte souvent seule la preuve du péché de chair. Or, l’honneur féminin est principalement conditionné par le critère de chasteté sinon par la fidélité de la femme envers son mari. Le refus de la naissance illégitime peut apparaître alors comme une condition de préservation de son honneur. Le présent chapitre est consacré à l’analyse du rejet du bâtard dans sa dimension criminelle, à travers les affaires d’avortement et d’infanticide recensées au sein des lettres de rémission enregistrées pour le Poitou et les pays de Loire moyenne. C’est en effet à travers l’étude des coupables, de leurs motivations, mais aussi des raisons de la grâce royale, qu’une meilleure appréhension de l’avortement et de l’infanticide à l’encontre des enfants illégitimes est possible.
59 The Rejection of Illegitimate Births in the Centre and the Poitou (12 th -15 th century)
60 In the Middle Ages, sexuality was only accepted as part of wedding contract and in order to procreate. Then, extramarital births were considered as revealing adultery. Through her pregnancy, the single mother often her owns carried the evidence of flesh sin. Nevertheless, the feminine honor mainly relied on chastity or fidelity to the husband. The rejection of illegitimate birth may have appeared as a condition to protect this honor. This article deals with the rejection of the bastard considered as a crime through the cases of abortion and infanticide recorded in the mercy letters of Poitou and Pays de Loire moyenne. The study of these sources allows a better understanding of these crimes against illegitimate children.
61 Sara McDougall
62 À la recherche des enfants illégitimes dans les archives de l’officialité de Troyes au XV e siècle. Un exemple atypique ?
63Ce chapitre étudie les enfants illégitimes des roturiers dans la France du Nord. Nous pourrions supposer que les femmes enceintes d’enfants illégitimes avaient souvent recours à l’avortement ou l’infanticide. Cependant, nous avons peu de preuves concernant ces pratiques. L’abandon des enfants illégitimes est certainement une autre possibilité qui peut se présenter, mais les sources du Nord de la France nous renseignent beaucoup moins sur le sujet que celles d’Italie. Ce chapitre interrogera ce que nous pouvons apprendre au sujet des enfants illégitimes de roturiers en étudiant la documentation laissée par l’officialité de Troyes au XVe siècle. Certaines mères gardaient leurs enfants illégitimes, ou les donnaient à leurs propres familles ou à la famille paternelle. Comment ces enfants étaient-ils traités par leurs parents et leurs communautés ?
64 Looking for Bastard in the Records of the Troyes Officiality (15 th century)
65 This chapter takes as its subject the illegitimate children of commoners in Northern France. It is assumed that women pregnant with illegitimate children often practiced abortion or infanticide. However, we have very little evidence of these practices. The abandonment of illegitimate children is certainly another possibility these women may have availed themselves of, but the sources for Northern France offer far less information for us than those from Italy. Some mothers kept their illegitimate children, or gave them to members of their family or to the father’s family. My chapter examines these parents and their children. How were these children treated by their parents and by their communities? This chapter investigates what we can learn on the subject of the illegitimate children of commoners by studying the documentation left by the officiality of Troyes in the 15 th century.
66 Kevin Saule
67 La bâtardise ecclésiastique au Grand Siècle.
68 Entre assimilation impossible et faible réprobation sociale
69La bâtardise ecclésiastique, comme meilleure illustration de la licence des prêtres, est un lieu commun des écrits littéraires du siècle des Lumières. Pourtant, au-delà des clichés véhiculés par les penseurs libertins du XVIIIe siècle, qu’en est-il vraiment ? L’étude des procès instruits au XVIIe siècle contre des curés par l’officialité de Beauvais doit permettre d’appréhender ce thème. La bâtardise ecclésiastique est-elle un véritable phénomène ou repose-t-elle au contraire sur quelques cas marginaux ? Quel traitement les prêtres réservent-ils à leur enfant ? Grâce à l’étude d’une quarantaine de cas survenus à Beauvais au XVIIe siècle, il est possible de constater que, sans être insignifiante, la bâtardise ecclésiastique ne constitue qu’une petite facette de l’éventail des désordres commis par le clergé. Pour autant, cette question fait figure de faute particulièrement grave aux yeux de l’institution judiciaire ecclésiastique. Le taux de condamnation des prêtres est très élevé et les lourdes peines qui sont prononcées au terme des procès démontrent que l’official place cette faute au sommet de la hiérarchie des scandales. De leur côté, les prêtres ont tous mis au point des stratagèmes afin de dissimuler leur enfant naturel. Ce dernier ne semble jamais désiré et il n’y a pas la moindre preuve d’amour à son endroit.
70 Illegitimate Children among Members of the Clergy in the 17 th century.
71 Between Impossible Assimilation and Slight Social Disapproval
72 Illegitimate childbirth sired by members of the clergy as best exemplifying priests’ licentiousness is a cliché in the literary works of the Age of Enlightenment. However, beyond the clichés conveyed by the 18 th century enlightened thinkers, what is the reality behind the situation? An examination of the trials conducted against clerics by the consistory of Beauvais should lead to a better understanding of this theme from the previous century. Are the illegitimate offspring of the clergy a real issue or, on the contrary, is it merely a question of a few marginal cases? What treatment did the priests have towards their children? Thanks to the study of some forty cases that occurred in Beauvais in the 17 th century, we’ll show that, without being insignificant, illegitimate children among members of the clergy are but a minor part of the range of offenses committed by the clergy. Despite this, the problem was seen as particularly serious in the eyes of the Church’s legal system. The rate of conviction among priests was very high and the harsh sentences handed down at the end of the trials show that judges considered this offense among the most serious of all transgressions. As far as they are concerned, priests all developed strategies in order to hide their illegitimate offspring. These children never seemed wanted and there is no evidence of love towards them.
73 Vincent Gourdon et Isabelle Robin
74 Le baptême des illégitimes, XVI e -XXI e siècle
75Si l’Église catholique considère que tous les enfants ont vocation à être baptisés en son sein, néanmoins la légitimité ou l’illégitimité de la naissance constitue à ses yeux une distinction essentielle dans la détermination de l’identité individuelle. À partir de sources variées des XVIe-XXIe siècles, aussi bien ecclésiastiques que laïques, cette étude examine le déroulement des cérémonies de baptême, l’enregistrement du sacrement et le parrainage des enfants illégitimes en France en s’interrogeant sur la discrimination éventuelle dont ils seraient les victimes. Il en ressort que l’Église a toujours tenu à enregistrer clairement l’illégitimité des enfants. Sur le plan cérémoniel, à chaque époque, elle tend à entériner les aspirations de ses fidèles : à l’époque moderne et au début du XIXe siècle, elle reconnaît les pratiques existantes de marginalisation et, à partir de la fin du XIXe siècle, elle s’oriente vers un traitement égalitaire des enfants baptisés.
76 The Baptism of illegitimate Children (16 th -21 th century)
77 For the Catholic Church, all the children must be baptized, but legitimacy or illegitimacy of birth is considered as a fundamental element of the individual identity. Using various sources from the 16 th -21 th century both ecclesiastical and lay, this chapter studies the proceedings of baptismal celebrations, sacramental registration, and the godparenthood of illegitimate children in France. We wonder in particular if those children were victims of discriminations. It’s clear that the Catholic Church always considered the registration of illegitimacy as compulsory. In regards to celebrations proceedings, the Church tended towards validation of laymen wishes: in the early modern period and the beginning of the 19 th century, the Church confirmed the existing practices of stigmatization, and, since the end of the 19 th century, it has followed the path towards equality among all the baptized children.
78 Marie-Lise Fieyre
79 Bâtardes alliances. Mariages et fratries chez les Bourbon à la fin du XV e siècle
80L’analyse proposée repose sur les mariages envisagés et/ou effectifs des enfants naturels et légitimes des ducs Charles Ier et Jean II de Bourbon, dans le contexte particulier d’une famille apanagiste du royaume de France au XVe siècle. Un corpus de sources lié aux alliances matrimoniales, composé principalement de contrats de mariage, permet de montrer comment les alliances sont pensées et motivées en fonction de la légitimité ou non de la personne ; de mettre en évidence les différences de niveau social et les répartitions des rôles entre les membres mariés de la fratrie en fonction de leur naissance et de leur sexe. Ces éléments mettent en lumière les aspirations sociales ou politiques du groupe familial à travers les alliances conclues.
81 Bastard Alliances. Weddings and Siblings in the Bourbon Dynasty during the Latter 15 th century
82 The following article will examine the considered and/or effective weddings of the natural and legitimate children of dukes Charles I and Jean II de Bourbon, in the particular context of an appanagist family of the French kingdom during the 15 th century. By analyzing a large body of documents, including mostly marriage contracts, we will demonstrate that weddings are thought up and motivated depending on the person’s status, whether it be legitimate or natural. The corpus reveals that married siblings have different social levels and allocation of roles, according to their birthright and gender. These elements highlight the social or politic aspirations of the family group through its alliance policy.
83 Laurent Hablot
84 L’héraldique au service de l’histoire.
85 Les armoiries des bâtards à la fin du Moyen Âge, études de cas
86À la fin du Moyen Âge, le blason théorique et pratique développe une héraldique spécifique pour distinguer les bâtards princiers. Ces signes, en invitant les enfants naturels à partager les armes du lignage mais aussi en les distinguant relativement clairement de la descendance légitime, au moyen du franc-quartier, des armoiries sur pièce ou de la barre, produisent un effet paradoxal qui reflète assez justement la situation de ces personnages à cette période : à la fois faire-valoir et parents pauvres de la dynastie. L’étude spécifique de quelques dossiers permet de mieux cerner les règles de fonctionnement et de hiérarchie de ce blason de la bâtardise et de soumettre à ce système les cas litigieux des armes de Thomas de la Marche et des frères « de Bourbon ».
87 Heraldry in the Service of History.
88 The Bastards’s Coats of Arms at the End of the Middle Ages, Case studies
89 At the end of the Middle Ages, both theory and practice develops a specific heraldic blazon to distinguish the royal bastards. These signs invite illegitimates children to share the lineage’s arms but also distinguishe them relatively clearly of the legitimate offspring, by the quarter, father’s arms on heraldic pieces or using the barre. This produces a paradoxical effect that reflects quite accurately the situation of these people at this time: both valued and sidelined by the dynasty. The specific study of some cases helps to identify the operating rules and hierarchy of this blazon of bastardy and allowes to submit to this system the contentious cases of Thomas de la Marche and brothers “Bourbon”’s coat of arms.
90 Emmanuel Johans
91 Jean de Lescun (v. 1405-1473).
92 Destinée politique d’un vrai bâtard, pseudo-Armagnac, au service du roi
93À la fin du Moyen Âge, les mentions de bâtards dans les familles princières se multiplient. Quand ils apparaissent dans les textes, c’est pour occuper un rôle auprès de leur père ou de sa descendance légitime. Dans la maison d’Armagnac, plusieurs fils illégitimes assurent une fonction militaire ou reçoivent un bénéfice ecclésiastique majeur. Dans les années 1430-1440, le bâtard d’Armagnac qui passe pour un demi-frère du comte Jean IV d’Armagnac est un de ses principaux capitaines de guerre. À l’occasion de la confiscation de la principauté par la monarchie, il devient le serviteur du Dauphin Louis. Dans les années 1450, il renoue les liens avec la famille comtale, d’autant que le futur Louis XI et Jean V d’Armagnac s’opposent tous deux à Charles VII. L’accès au trône de son protecteur permet au bâtard d’Armagnac d’obtenir du souverain de multiples faveurs qui en font un Grand du royaume : maréchalat, ordre de saint Michel, lieutenance générale en Guyenne, comté de Comminges… Or, l’acte de légitimation que lui octroie Louis XI atteste officiellement d’une filiation non pas d’un comte d’Armagnac mais d’un autre seigneur gascon, Arnaud-Guilhem de Lescun. Il semblerait donc que le titre de « bâtard d’Armagnac » puisse être attribué sans lien charnel direct. La maison d’Armagnac paraît ici se servir de ce titre pour associer à son service un homme initialement sans attache mais qui se révèle talentueux. Le parcours de Jean de Lescun montre combien la condition d’illégitime peut paradoxalement autoriser une ascension sociale dans la proximité du prince ou du roi.
94 Jean of Lescun (by 1405-1473). Political Fate of a Real Bastard, pseudo-Armagnac, in the Service of King
95 At the end of the Middle Ages, illegitimate children’s mentions in the noble families multiply. When they appear in texts, it’s to occupy a role with their father or with his legitimate descent. In the house of Armagnac, several illegitimate sons assure a military function or receive a major ecclesiastical office. In the years 1430-1440, the bastard of Armagnac who is thought of as a half brother of count Jean IV of Armagnac is one of his main war captains. On the occasion of the seizure of the principality by the monarchy, he becomes the servant of the Dauphin Louis. In the 1450s, he takes up again with the comtale family, especially as the future Louis XI and Jean V of Armagnac oppose both Charles VII. The access to the throne of his protector allows the bastard of Armagnac to obtain from the sovereign of several favors which make him a Great lord of the kingdom: rank of marshal, saint Michel’s order, general lieutenancy in Guyenne, county of Comminges… But the act of legitimization which Louis grants him gives evidence officially of a filiation not of a count of Armagnac but another gascon lord, Arnaud-Guilhem of Lescun. It would seem that the title of “bastard of Armagnac” can be awarded without direct blood tie. The house of Armagnac uses this title to associate with its service a man initially without tie but which shows himself talented. The career of Jean of Lescun shows how much the condition of illegitimate can paradoxically authorize an upward social mobility close to the prince or the king.
96 Giovanni Ricci
97 Bâtards princiers entre privilège et révolte.
98 Le fils d’un duc et le fils d’un doge dans l’Italie de la Renaissance
99Jules est un fils illégitime du duc de Ferrare, Hercule Ier Ludovic est un fils illégitime du doge de Venise, Andrea Gritti. En 1506, Jules complote contre l’héritier légitime, son demi-frère le duc Alphonse Ier ; condamné à la prison à vie, il n’en sort qu’en 1559. Toujours en 1506, Ludovic passe à Constantinople ; il y fait une brillante carrière politique au service du sultan, jusqu’à ce qu’il soit tué en 1534 en Hongrie dont il est gouverneur. Ce chapitre raconte leurs vies parallèles pour arriver ensuite à ce que Plutarque, maître inégalé du genre, appelait la synkrisis, la comparaison. Investie de faisceaux de lumière croisée, la condition des illégitimes révèle des traits destinés à rester dans l’ombre autrement ; elle démasque le fonctionnement considéré optimal des deux sociétés d’origine, une seigneurie et une république oligarchique.
100 The Illegitimate Sons of Princes in-between Privilege and Uprising.
101 The Son of a Duke and the Son of a Doge in Renaissance Italy
102 Jules is the illegitimate child of the Duke of Ferrara, Ercole I d’Este. Ludovic is the illegitimate child of the Doge of Venice, Andrea Gritti. In 1506 Jules plot against the legitimate heir, his half-brother, the Duke Alfonso I; condemned to life sentence, he was freed from jail only in 1559. In the same year 1506, Ludovic goes to Constantinople; there he conduct a great political career in service of the sultan, until when he is killed in 1534 in Hungary, where he is the governor. The paper describes their parallel lives and reach what Plutarch, master in this literary genre, called synkrisis, the comparison. Hit by crossed light beam, the condition of illegitimate sons reveals some traits that otherwise would remain in the shadow. It unmasks what is considered as the optimal functioning of the two societies of origin, a signoria and an oligarchic republic.
103 Héloïse Hermant
104A un tiempo rey y vasallo.
105 Les bâtards royaux des Habsbourg d’Espagne, des « monstres politiques » ?
106L’article revisite la question des bâtards royaux à partir du cas de Juan José de Austria. Accusé de vouloir s’emparer du pouvoir lors de la minorité de son demi-frère, ce fils illégitime de Philippe IV a nourri une violente polémique. Il apparaît tantôt comme le prolongement du défunt roi et l’incarnation de la dynastie, voire comme le double de son demi-frère, tantôt comme le digne rejeton de sa mère – une comédienne –, infâme et ambitieux. Les stratégies discursives et symboliques mises en place pour magnifier, annuler ou au contraire stigmatiser l’illégitimité, en puisant à un imaginaire du sang et de la transmission, s’accompagnent, chez les contemporains, d’une réflexion d’ordre ontologique de la bâtardise royale, pensée comme hybridation sociale et catégorie politique où ordre et désordre des familles et de la société marchent de pair. Facteurs d’instabilité de l’économie domestique et du corps monarchique, mais dotés de pouvoirs d’intermédiation en raison de leur double nature de roi et de sujet, les bâtards peuvent offrir lors des situations de crise une solution providentielle pour refonder les normes du jeu politique.
107A un tiempo rey y vasallo. The Bastards of the Spanish Habsburgs: “Political Monsters”?
108 This article reexamines the question of the royal bastards from the case of Juan José de Austria. Accused of attempting to seize power during the minority of his half-brother, this illegitimate Philip IV’s son triggered a violent polemic. He sometimes appears as the extension of the late king and the incarnation of the dynasty, or even as the double of his half-brother, sometimes as the true offspring of his mother – a comedian – ignominious and ambitious. The discursive and symbolic strategies edified to magnify, to blur or on the contrary to stigmatise the illegitimacy, resorting to the imagery of blood and transmission, come, among his contemporaries, with an ontological reflexion on royal bastardy, seen as social hybridity and political category where familial and social order and desorder go hand in hand. A factor of instability of the domestic economy and of the monarchy, but also endowed with powers of intermediation due to their combined nature as king and subject, royal bastards can offer a providential solution in order to rebuild the political norms in times of crisis.
109 Lucie Laumonier
110 Bâtards et enfants naturels à Montpellier (XIV e -XV e siècles).
111 De la caritas à une pleine paternité
112Les historiens médiévistes ont souligné que la place octroyée aux bâtards au Moyen Âge oscille entre intégration et rejet, en fonction des périodes et des catégories sociales étudiées. Cette ambivalence apparaît dans les sources de Montpellier : d’une part, l’on trouve des enfants abandonnés parfois qualifiés de « bâtards » dans la documentation consulaire et de l’autre se trouvent, dans les testaments, des bâtards recevant de fortes sommes d’argent de la part de leur père. Afin de dépasser ce constat, il convient plutôt de s’interroger sur les rôles sociaux et familiaux occupés par les enfants illégitimes, que ces derniers soient abandonnés ou reconnus par leur père.
113 Bastards and Natural Children in Montpellier (14 th -15 th centuries).
114 From Caritas to a Full Paternity
115 Medievalists underlined that the place granted to bastards during the Middle Ages varied between integration and rejection, according to the period of time and the social category under study. This ambivalence shows in the sources of Montpellier: in one hand, abandoned children were sometimes called “bastards” in the consulate’s archives but, in the other hand, some bastards received important amounts of money in their father’s wills. In order to go beyond this observation, we need to wonder which social and familial roles were filled by illegitimate children, either abandoned or acknowledged by their father.
116 Aude-Marie Certin
117 Paternité et filiation illégitime dans les villes de l’Empire (XV e -XVI e siècles)
118Cette étude porte sur la relation des pères à leurs enfants illégitimes dans les villes de l’Empire à la fin du Moyen Âge et au début de l’époque moderne. Elle se fonde sur l’étude des écrits personnels de trois marchands d’Augsbourg et de Cologne (Burkard Zink, Lucas Rem et Hermann von Weinsberg), ainsi que sur celle de quelques testaments du Sud de l’Allemagne ou des espaces suisses voisins. Le croisement de ces sources permet d’envisager l’articulation entre normes et pratiques, les comportements et les sentiments des pères à l’égard de leurs enfants illégitimes, de même que les solutions concrètes adoptées au sein des familles pour subvenir aux besoins de ces enfants et assurer leur éducation. Ces sources permettent enfin d’étudier la place faite à ces enfants illégitimes dans l’héritage et la succession de leur père, tant pour ce qui concerne les biens matériels que les biens symboliques.
119 Fathers and Illegitimate Children in the Cities of Empire (15 th -16 th centuries)
120 This research aims to study the relations that fathers have to their illegitimate children in the cities of the Empire at the end of the Middle Ages and the early modern period. It deals with the personal writings of three merchants of Augsburg and Cologne (Burkard Zink, Lucas Rem and Hermann von Weinsberg), and with some wills from southern Germany and from Switzerland. The investigation of those texts allows us to consider the link between the norm and the pratice, and also the behaviors and feelings of fathers towards their illegitimate children. Even more, it is a way to study the concrete solutions in the families to supply this children’s needs and to educate them. Thus we can understand the position of the illegitimate children in the material and symbolic inheritance of their father.
121 Loraine Chappuis
122 « La pomme de la discorde » ? L’intégration familiale des bâtards à Genève au XVIII e siècle
123Au XVIIIe siècle, la République de Genève réprime avec rigueur les couples coupables de « paillardises » (grossesses illégitimes) au travers de procès dont l’enjeu est d’assigner à l’un des parents la charge du bâtard. Cette attribution juridique de la filiation naturelle invite à interroger les incidences du procès sur l’intégration familiale de l’enfant illégitime. Les modalités de rejet ou d’accueil permettent d’en reconstituer trois seuils : le premier est celui du bâtard rejeté, que l’exclusion soit identitaire – par le refus de transmission du patronyme – ou physique – par l’abandon à l’Hôpital ou le mauvais traitement. Le deuxième est ensuite celui de l’enfant toléré dans le cercle familial, mais dont la place marginale ne résulte que d’une obligation juridique ou naturelle : aux côtés d’autres enfants légitimes, cette place est signifiée au bâtard par une inégalité de traitement. Le dernier seuil est enfin celui de l’enfant intégré pour lequel se développent des sentiments affectifs solides, bien que cette intégration fasse souvent suite à un mouvement initial de rejet qui semble structurer l’identité sociale des bâtards. La rigidité de ce modèle est toutefois nuancée par un dialogue engagé entre les parents et l’Hôpital Général, qui favorise en effet la création d’une place pour l’enfant naturel au sein de la famille.
124 “The Bone of Contention”? Integrating Bastards into their Family in 18 th century Geneva
125 In the 18 th century, the Republic of Geneva prosecutes the couples guilty of “paillardise” (illegitimate pregnancy) rigorously through criminal proceedings that aim at attributing the bastard’s care to one of the parents. This judicial attribution leads to question the impact of the proceeding upon the illegitimate child’s familial integration. The parents’ subsequent strategies for rejecting or welcoming the child enable to discern three levels of integration: the first one is that of rejection, be that a physical rejection – through child abandonment to the Hôpital Général or ill-treatment – or an identity exclusion – by refusing to pass on one’s name to the child. The second one is then that of the child, tolerated within the familial circle, whose place results from a judicial or a natural obligation: next to other legitimate children, his place is shown by the parents through inequality of treatment. The last level is eventually that of the integrated child towards whom strong feelings may be developed, even though the integration often follows an initial stage of parental rejection that seems to structure the bastards’ social identity. Nevertheless, the rigidity of this model is qualified by an exchange between the parents and the Hôpital Général, which fosters the creation of a place within the family for the illegitimate child.
126 Aude Musin
127 La place des bâtards dans le processus de vengeance et les guerres privées entre familles (Pays-Bas, XIV e -XVI e siècle)
128L’historiographie récente a démontré la survivance de violences vindicatoires et de guerres entre familles, voire de la reconnaissance d’un droit de vengeance dans les principautés septentrionales rassemblées au cours des XIVe-XVIe siècle sous l’autorité des ducs de Bourgogne. Ces violences sont certes encadrées mais demeurent tolérées par la justice locale encore au XVe siècle. Force est de constater que les bâtards ne sont pas exclus des actes de vengeance consécutifs aux atteintes portées aux membres du clan familial. Cette contribution se propose d’analyser la place qui leur est accordée par les familles et par la justice, au sein de ce processus : ont-ils le droit, voire le devoir, de venger l’agression d’un parent ? Quel rôle ont-ils à jouer dans la conduite de la guerre par rapport aux enfants légitimes ? Dans la mesure où le règlement des violences incombe encore largement aux familles, les bâtards interviennent-ils dans la résolution des conflits, que ce soit par la négociation de la fin des violences ou par la participation aux compensations versées dans le cadre de la conclusion d’une paix ? La réponse à ces questions permet de préciser la perception de la bâtardise dans le chef des autorités et de la population. Le droit reconnu ou dénié aux bâtards de participer au processus de vengeance inter-familiale et à son règlement témoigne de la place qui leur est dévolue dans les structures familiales et dans la société.
129 The Role of the Bastards in the Revenge Process and Feuds between Families (Low countries, 14 th -16 th century)
130 Recent historiography showed that in the northern principalities that were under the authority of the Dukes of Burgundy during the 14 th -16 th century, violences by revenge and feuds between families continued to exist and even that a right to vengeance was acknowledged. Admittedly, these violences were framed, but they seemed to be tolerated by local authorities in the 15 th century. Bastards were not excluded from the revenge actions that followed assaults perpetrated towards members of their family. This paper aims at analysing what kind of part they were allowed to play by families and by justice authorities in the process of revenge: did they have the right, or even the duty to exert revenge for an aggression on a relative? Could they lead a feud and to what extent were they entitled to do this in comparison with legitimate children? As families were still largely responsible for settling violence cases, did illegitimate children take part in negotiating the end of retaliations and in paying compensations to the victim? Answering these questions will provide a better understanding of the way authorities and populations perceived bastardy. The right granted or denied to bastards to take part in retaliations between families and their settlement testifies to their role in family organisation and in society.
131 Michel Nassiet
132 Bâtardise, violence et normes de comportement au XVI e siècle
133Les bâtards n’étaient plus nombreux au XVIe siècle : ils sont environ 1 % des criminels à avoir bénéficié du pardon royal, d’après les lettres de rémission. Outre des comportements qu’ils avaient en commun avec les légitimes masculins, trois sortes de violences étaient générées par leur statut : certains ne manquaient pas de réagir à l’insulte « fils de putain » ; d’autres étaient animés par une frustration à l’égard de leurs consanguins légitimes patrilatéraux, père, demi-frère, cousins ; quelques-uns purent commettre des méfaits comme s’ils étaient déliés des normes de l’honneur.
134 Bastards, Violence and Patterns of Behaviour in the 16 th century
135 There were no more many illegitimate people in France in the 16 th century: they are only 1% among the criminals who got a letter of remission from the king. Their violent behaviour was sometime the same as the noble legitimate younger brothers’ one. Their inferior status used to cause three kinds of specific violence. Some of them reacted to the insult “whore’s son”. Several kept a frustration alive towards their patrilateral relatives, father, half-brothers or cousins. A few commited misdemeanours as if they were not concerned by code of honour.
136 Paul Payan
137 Paternité de Joseph et filiation du Christ. Variations autour d’un cas-limite (XIV e -début XVI e siècle)
138Si le débat sur une bâtardise réelle du Christ est resté limité à l’époque patristique puis à la polémique anti-juive, la nature de la paternité de Joseph a fait l’objet de multiples discussions à la fin du Moyen Âge, dans le cadre d’une remise en valeur de ce personnage jusqu’alors un peu effacé. La pleine légitimité de cette paternité, fondée sur le lien matrimonial et sur les fonctions nourricières et protectrices, est affirmée avec beaucoup de force par Gerson au début du XVe siècle. Pourtant, les réticences restent fortes, et Joseph ne s’impose pas comme un modèle de paternité. L’épisode de ses doutes fait l’objet de nombreuses interprétations, dans les textes et les images, qui tentent d’atténuer sa ressemblance avec une scène de jalousie d’un mari trompé. L’émergence progressive du schéma de la Sainte Famille confirme la tendance à la valorisation d’une paternité légitime fondée sur l’union matrimoniale, au détriment de la bâtardise.
139 Joseph’s Fatherhood and Christ’s Filiation.
140 Variations about a Borderline Case (14 th -beginning of 16 th century)
141 The discussion about a real Christ’s illegitimacy has remained restricted to the patristic time, then to the antijudaic polemic. However, the nature of Joseph’s fatherhood was the subject of numerous discussions in the Late Middle Ages, in the context of new interests for this character who was remained until then in the shadow. In the beginning of 15 th century, Gerson forcefully asserted the complete legitimacy of this fatherhood, justified by the matrimonial bond and nutritive and protective functions. However, strong reticences have remained and Joseph did not stand out as a model of fatherhood. The story of his doubts was the subjet af various interpretations, in texts and images, which tried to relieve its similarity with a jeolousy scene of a deceived husband. Gradual emergence of the Holy Family theme confirms the tendency to enhance the value of a legal fatherhood defined by the matrimonial bond, to the detriment of illegitimacy
142 Chloé Maillet
143 La filiation spirituelle face à l’illégitimité.
144 Accusation de paternité et transgenres altimediévaux de la Légende dorée (XIIIe siècle)
145La parenté hagiographique n’est pas illégitime, mais elle ne saurait se plier aux règles du mariage et de la filiation légitime, qu’elle subsume et inverse. Les saints de la Légende dorée ne sont que très rarement mariés, encore moins souvent confrontés à la question de la bâtardise. Pourtant les quelques cas de recherche en paternité évoqués dans les sources hagiographiques, bien que sans suite, sont riches de sens, en ce qu’elles mettent en question la filiation spirituelle et hagiographique. Deux saints du Ve siècle, Brice de Tours et Germain d’Auxerre furent accusés à tort de paternité. Mais si Brice abandonne l’éducation de l’enfant, Germain prend au mot l’accusation et semblerait avoir assumé l’enfant qui lui était attribué, confirmant l’idée que les bâtards étaient faits pour être recueillis au monastère. Certaines saintes byzantines transgenres ont parfois été accusées du même méfait. Avoir subi cette injustice ne les a rendues que plus vertueuses. En même temps, elle les a rendues pères en permettant par exemple à Théodora les soins d’une adoption spirituelle.
146 Spiritual Filiation Facing Illegitimacy. Fatherhood Accusation and Transgenders during the High Middle Ages, in the Golden Legend (13th century)
147 Hagiographic kinship isn’t illegitimate, but it cannot follow the rules of marriage and legitimate filiation, which it subsumes and reverses. Saints from the Golden Legend are not often married, even less confronted to the question of bastardy. Yet, some cases of paternity investigation mentioned in hagiographical sources, even if not based on real paternity, are meaningful, because they are questioning spiritual and hagiographical filiation. Two saints from the 5th century, Brice of Tours and Germanus of Auxerre were falsely accused of paternity. But if Brice abandons the child’s education, Germain appears to have assumed the child, confirming the idea that bastards were meant to be welcomed in monasteries. Some Byzantine transgender saints have sometimes been accused of the same misdemeanor. Having suffered unwarranted charges of adultery made them even more virtuous. At the same time, it made some of them fathers allowing for instance Theodora a spiritual adoption.
148 Martine Charageat
149 Rupture du lien de filiation et statut des desafiliados en Aragon (XIIIe-XVIe siècle). Enfants abandonnés, orphelins ou bâtards ?
150Le desafillamiento est intimement lié en droit aragonais à l’absence de patria potestad et à la responsabilité des parents au pénal pour les crimes commis par leurs enfants, dans certaines conditions. Sorte de rupture volontaire du lien de filiation, elle s’associe sans se confondre avec l’exhérédation. Cette pratique frappe essentiellement les fils qui cessent d’être les enfants légitimes et naturels de leurs parents ; cela fait l’objet d’un acte rédigé devant notaire avant proclamation publique des effets coram populo. Les causes sont multiples mais la question demeure la même : quel est le statut de ces enfants une fois desafiliados aux yeux de la communauté ?
151 The break of the filiation link and desafiliados’ Status in Aragon (13th-16th century). Abandoned Children, Orphans or Bastards?
152 In the Aragonese law, the desafillamiento is interlocked to the absence of patria potestad and to the parents’ criminal responsibility for the crimes committed by their children, in certain circumstances. Kind of willful break of the filiations link, it associates, without merging, with disinheritance. In fact, this practice especially affects the sons: they are no longer considered as legitimate and natural children: that is the subject of a document drafted by a notary before the public declaration of the coram populo effects. The causes are multiple but the question remains the same: what is the status of these children once desafilados.
153 Dominique Lagorgette
154Bâtard et fils a putain : du titre à l’insulte.
155 Étude diachronique des insultes par ricochet sur la filiation illégitime (XI e -XVI e s.)
156À partir de l’étude d’un corpus diachronique de textes littéraires et non littéraires du Moyen Âge, nous dresserons un panorama des sens et usages de « bastard » ainsi que d’un terme qui lui est souvent associé (« fils a putain »). D’origine incertaine et polémique (et l’on appréciera la mise en abyme que crée la seule recherche étymologique), ce terme est loin d’avoir des emplois réguliers puisqu’il peut renvoyer soit à du dénigrement, soit au statut social de l’être auquel on réfère. Les usages littéraires, dans la mesure où ils renvoient à des représentations de groupes sociaux, nous paraissent être un miroir raisonnablement fiable pour éclaircir la manière dont ce mot peut parcourir l’ensemble de l’échelle axiologique, mais ils ne sont pas suffisants ; aussi sont aussi étudiés des textes juridiques et des récits historiques. Il apparaît en définitive que « bastard » n’a pas acquis sa valeur d’insulte avant le XIXe siècle : cette insulte par ricochet, insultant autrui mais blessant le récepteur, est tout à fait moderne et récente.
157Bastard and Fils a putain: Status Markers or Insults?
158 A Diachronic Study of Ricochet Insults about Illegitimate Birth
159 Based on the analysis of a diachronic corpus of literary and non literary medieval French texts, this study presents the various meanings and uses of the word “bastard” and its correlate, fils a putain. Its origin being yet uncertain, bastard is used in the corpus either as a term marking politeness and deference through the reference to an established social status (majority of the cases) or as an insult through the reference to the presumed illegitimate birth status of the child. Literary examples represent social groups in an artistic way, and even if they offer a rather good sample of social representations, they may not show the whole spectrum of the uses, so a further corpus of legal data (criminal registers, sentences) and historical testimonies (chroniques) is also examined. Eventually, it appears that bastard acquired its negative value as a ricochet insult (disparaging A in order to insult B) only recently.
160 Sylvie Steinberg
161 La tache de bâtardise en France sous l’Ancien Régime
162Sous l’Ancien Régime, les commentateurs et interprètes du droit canonique et civil (auteurs de dictionnaires, de recueils d’arrêts ou de manuels de jurisprudence) attribuent fréquemment aux enfants nés hors mariage une « tache » ou une « macule » de naissance voire une « note d’infamie ». À ces expressions figées dans le vocabulaire juridique sont associées un certain nombre de réflexions sur la nature, les origines, les contours de cette « indignité » mais aussi sur les moyens de réhabilitation qu’aménagent aussi bien les institutions ecclésiastiques que monarchiques, chacun dans leurs domaines de compétence respectifs (légitimation, dispense). Ces réflexions dessinent une échelle d’indignité parmi les enfants bâtards en fonction de leur éligibilité à la réhabilitation. Elles amènent à s’interroger plus largement sur la valeur et la force des statuts personnels liés à la filiation dans la société française d’Ancien Régime.
163 The bastard’s stigma in Old Regime France
164 The commentators and interpreters of civil and canon law during the Old Regime (authors in dictionaries, collections of legal decisions or juridical handbooks) frequently qualified children born outside of wedlock with a birth “stain” or “macula”, or even a “note of infamy”. These expressions within juridical vocabulary were frequently associated with a variety of reflections about the nature, the origin or the parameter of this “indignity” while at the same time describing how ecclesiastical or monarchical institutions might offer rehabilitation (through legitimation or dispensation). These reflections offer a scale of indignity for bastard children according to their eligibility for such rehabilitation. This article questions more generally what this expresses about the value and strength of personal statutes linked to filiation in French Old Regime society.
165 Marie Barral-Baron
166 La question de la bâtardise dans la pensée érasmienne
167Enfant illégitime, fils de prêtre, Érasme est un bâtard en son temps aux yeux de la société et du droit canon. Cette naissance irrégulière est la source de nombreuses angoisses chez l’humaniste. C’est à cause de ce défaut de naissance qu’il est devenu moine et qu’il n’a cessé ensuite de réclamer des dispenses aux papes afin de pouvoir fuir le cloître. Érasme a également toujours entretenu le mystère sur les conditions de sa venue au monde et a vécu dans la peur permanente que ses ennemis, de plus en plus nombreux dans le contexte de l’éclosion de la Réforme, ne découvrent sa bâtardise. Cette origine illégitime a enfin profondément irrigué sa réflexion religieuse. Érasme s’est en effet efforcé de déprécier ou de rejeter tout ce qui l’obligeait à se regarder lui-même comme un être infâme, accablé pour une faute qui n’était pas la sienne. De ce fait, il a toujours dévalué les commandements de l’Église, simples décrets humains de circonstances, et mis en avant le seul texte de l’Évangile qui proclame l’amour du Christ pour tous les enfants de Dieu sans distinction.
168 The Question of Illegitimacy in the Erasmian Thought
169 An illegitimate child, the son of a priest, in his time, Erasmus was a bastard in the eyes of society and Canon law. This irregular birth was, for the humanist, the source of many anxieties. That was the reason why he became a monk but never ceased seeking exemptions from the Popes, in order to be able to escape the cloister. Erasmus always maintained the mystery about the conditions of his birth and spent his life, in constant fear that his enemies, who were more and more numerous in the context of the outbreak of the Reformation, might discover his bastardy. This illegitimate origin finally deeply irrigated his religious reflection. Actually, Erasmus endeavoured to underrate or reject anything that compelled him to consider himself, a villain, crushed by a fault which was not his. Therefore, he kept discrediting the commandments of the Church, as mere human decrees made for the occasion, and instead, highlighted the only text of the Gospel, which proclaimed the love of Christ for all God’s children, without distinction.
170 Jean-François Bianco
171 L’enfant naturel dans Les Lettres à Sophie Volland de Diderot. Réalité, fiction, légitimation
172Au XVIIIe siècle, un enfant naturel a la plus grande probabilité de devenir un enfant perdu. Faut-il être dès lors absolument fou pour vouloir, sciemment et froidement, le « créer » ? C’est pourtant ce projet que présente Diderot dans les Lettres à Sophie Volland, en 1762. Il s’agit d’une « fille de trente-deux à trente-trois ans » qui revendique en toute conscience le droit d’être mère sans être mariée pour mener seule un projet d’éducation. Elle a besoin pour cela du concours momentané d’un homme. Audace féministe ? Coup de force philosophique ? Expérience morale ? On s’est interrogé sur les tenants et les aboutissants de ce cas de conscience qui provoque un débat à propos de la légitimité entre Diderot et Sophie. Cet exercice argumentatif permet de défendre les enfants naturels, qui doivent réussir par eux-mêmes, à l’instar du fameux géomètre d’Alembert, prototype de l’homme des Lumières. Mais le cas provocateur de cette fille-mère implique également une conception de la littérature. L’expérience privée et l’expérimentation philosophique s’unissent dans cette figure d’un enfant aussi virtuel que naturel. L’écriture de Diderot apparaît ainsi comme un processus de légitimation qui mêle la réalité et la fiction.
173 An illegitimate Child born in Diderot’s letters. Reality and Fiction?
174 Being an illegitimate child implies a real curse that leads commonly to perdition in the 18 th century. Therefore its really seems strange to create a so-called bastard. However, Diderot, in the Lettres à Sophie Volland, in 1762, submits the case of a young woman who wants to have a child outside marriage in order to achieve alone her own idea of education. Should a man be allowed to help her realize this project? The moral dilemma provokes a private argument between Diderot and Sophie. Nevertheless, it implies a broader philosophical issue. Diderot does argue defending illegitimate children in society against Sophie’s conservative opinion. He refers to the famous scientist d’Alembert, the epitome of the bastard of genius, who doesn’t need a father or a genealogical name to succeed in life. But the matter of conscience of this bold unmarried mother also involves Diderot’s conception of literature. The present article analyses the convergence of human experience, philosophical experiment and literary creation in that figure of a virtual child produced by Diderot’s letters. The art of writing actually appears as a means of legitimization mixing reality with fiction.
175 Catalina Gîrbea
176 Filiations diaboliques dans le roman médiéval du XIII e siècle
177À la différence d’autres genres littéraires, le roman médiéval du XIIIe siècle tend à valoriser l’enfant illégitime, qu’il s’agisse de bâtards adultérins ou de fils naturels, à l’exception des enfants issus d’unions incestueuses. La situation de Merlin dans les romans cycliques et sa réécriture par Baudouin Butor permet de dégager des mécanismes de plusieurs catégories qui expliquent cette mise en valeur. D’une part des coordonnées esthétiques et mythiques génèrent l’élaboration de récits romanesques hybrides, des « récits bâtards », où la naissance surnaturelle est exploitée d’un point de vue littéraire. D’autre part, la fiction romanesque fournit, dans ce cas comme dans d’autres, l’occasion de problématiser le fonctionnement de la société médiévale, des alliances matrimoniales essentiellement endogames, le conditionnement par le fief et la seigneurie. La réception du motif de la conception diabolique telle que l’iconographie des manuscrits la présente jusqu’à la fin du Moyen Âge témoigne d’une permanente oscillation du regard porté sur le bâtard.
178 Diabolic Filiations in the Medieval Romance of the 13 th century
179 Different from other literary genres, the medieval romance of the 13 th century aims to present a positive vision of the illegitimate child, adulterous bastard or simple natural child, with the exception of the Childs born from incestuous unions. The situation of Merlin in the cyclic romances and his rewriting by Baudouin Butor is showing several categories of mechanisms that explains this positive perspective on the illegitimate child. On the one hand, an aesthetic and mythical dimension is generating hybrid stories, “bastard romances”, where the supernatural conception is exploited from a literary point of view. On the other hand, the Arthurian fiction is offering, in this case like in others, the occasion to question the medieval social system, the matrimonial alliances mostly ruled by endogamy and the determinism of the fief. The reception of the theme of diabolic conception, like the iconography of the Arthurian manuscripts are presenting it until the end of the Middle Ages, is showing a constant oscillation of the medieval perspective on the bastard.
180 Élisabeth Pinto-Mathieu
181 Une bâtardise fictive. Le personnage de Ferrand dans Baudouin de Flandre
182L’article analyse les raisons pour lesquelles Baudouin de Flandre, roman en prose du XVe siècle, invente à son personnage de Philippe Auguste un fils bâtard, Ferrand de Portugal, créant ainsi un lien imaginaire entre deux des protagonistes de Bouvines. Le romancier rend en effet père et fils un roi Philippe, trop porté sur les femmes, et un Ferrand, aux origines douteuses. Tandis que les quatre fils légitimes – inventés – protègent le royaume, le fils bâtard le menace dans son existence même. L’article est en quête de l’histoire réelle qui affleure sous la fiction (Mathilde de Portugal, mère de Ferrand selon la rumeur ; bâtardise de Philippe Hurepel ; captivité de Renaud de Dammartin…). Le roman fait se confronter les méfaits de l’amour naturel à la légitimité sacrée du mariage monogamique. Ce dernier est incarné par un contre-modèle à Philippe Auguste, saint Louis, dont la fidélité conjugale est exaltée. Les fautes personnelles d’un roi rejaillissent sur la vie collective d’une nation et expliquent en l’occurrence les conflits franco-flamands.
183 A Fictitious Bastardy: Ferrand in the Character of Baldwin of Flanders
184 The article analyzes why Baldwin of Flanders, prose novel of the 15th century, invented the character of a bastard son Philippe Auguste, Ferrand of Portugal, creating an imaginary link between two of the protagonists of the battle of Bouvines. The novelist makes father and son indeed a king Philippe too focused on women and Ferrand, with dubious origins. While the four legitimate sons – invented – protect the kingdom, the bastard son threatens its very existence. The article is in search of real history which outcrops in the fiction (Mathilde of Portugal rumored mother of Ferrand, illegitimacy of Philippe Hurepel, captivity of Renaud of Dammartin…). The novel confronts the evils of the natural love with the sacred legitimacy of monogamous marriage. The latter is embodied by a model against Philippe Auguste, saint Louis, whose marital fidelity is exalted. Personal fouls of a king spill over the collective life of a nation and in this case explain the Franco-Flemish conflict.
185 Sophie Coussemacker
186 Mudarra, parcours littéraire d’un bâtard héroïque en Castille.
187 De l’acceptation à la réintégration, entre les XIII e et XIV e siècles
188Le personnage de Mudarra, ancêtre mythique de la puissante famille castillane des Lara, est le paradigme du bâtard, né des brèves amours entre un chevalier chrétien, prisonnier des Maures et marié par ailleurs, et sa geôlière, parente de l’émir ; élevé en prince musulman à Cordoue, le jeune adolescent est reconnu par son père, par l’épouse de celui-ci, et prend à sa charge la vengeance du lignage et de ses sept demi-frères assassinés traîtreusement. Le récit, bien que légendaire, apparaît dans deux chroniques castillanes et une chronique portugaise, datées respectivement du dernier quart du XIIIe siècle et de 1344. Le personnage du bâtard ne semble pas problématique dans les premières versions, de même que le cas de figure de l’enfant « naturel » ou « hijo de ganancia » (sa filiation, sa légitimation, son héritage) est envisagé sans a priori négatif dans le code de loi contemporain des Siete Partidas. En revanche, la réécriture de la légende au milieu du XIVe siècle témoigne d’un malaise croissant vis-à-vis de la double bâtardise, par la filiation et par la religion, du jeune héros.
189 Mudarra, literary journey of an heroic bastard in Castile : from acceptance to reinstatement, between the 13 th and the 14 th century
190 The figure of Mudarra, mythical ancestor of the powerful Castilian family of Lara, is the paradigm of the bastard, fruit of the love affair between a Christian knight, prisoner of the Moors, married in Castile, and his gaoler, a cousin or sister of the emir. Brought-up as a Muslim prince in Cordoba, the young boy is recognized by his father, by his wife, and takes charge of the lineage’s revenge, and avenges his seven half-brothers treacherously murdered. The tale, whether it’s purely legendary, appears in two Castilian chronicles from the final of the 13 th century, and in one Portuguese chronicle, from 1344. The figure of the bastard doesn’t seem to be problematical in the first versions, as long as the case of the natural child, or hijo de ganancia (his filiation, his legitimation, and its inheritance) is seen without negative a priori in the contemporary legal code of the Siete Partidas. On the other hand, the rewriting of the legend in the mid of the 14th century reveals a crescent uneasiness towards the double illegitimacy of the young hero, by filiation and by religion.
191 María Dolores Alonso Rey
192 Les figures du bâtard dans le théâtre de Lope de Vega
193Le bâtard dans le théâtre est ambivalent. Nous analyserons la représentation de la bâtardise dans le théâtre de Lope de Vega (1562-1635) en étudiant d’abord le bâtard en tant que héros positif dans les pièces historiques et ensuite en tant que facteur de destruction dans la tragédie El castigo sin venganza. Le bâtard est toujours associé à un ensemble de notions : élément perturbateur, porteur d’une tache, animalisé, cupide, luxurieux. Le bâtard vertueux, dont le modèle est Hercule, est sa contre figure. Malgré ce paradigme rigide, Lope parvient à présenter la bâtardise comme une souffrance liée à la quête d’identité.
194 The Bastard Figure in Lope de Vega’ Theatre
195 The character of the bastard in the theatre is ambivalent. We will analyze the representation of bastardry in Lope de Vega’s (1562-1635) theatre. We will first study the bastard as a positive hero in the historical plays and then as a destructive character in the tragedy El castigo sin venganza. The bastard is always associated with a series of concepts: troublesome, flawed, animalized, greedy and lustful. The virtuous bastard which model is Hercules, is his opposite. Despite this rigid paradigm, Lope succeeds in presenting bastardry as a suffering linked with the search of identity.
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