Le baptême des illégitimes, xvie-xxie siècle
The Baptism of illegitimate Children (16th-21th century)
p. 225-241
Résumés
Si l’Église catholique considère que tous les enfants ont vocation à être baptisés en son sein, néanmoins la légitimité ou l’illégitimité de la naissance constitue à ses yeux une distinction essentielle dans la détermination de l’identité individuelle. À partir de sources variées des XVIe-XXIe siècles, aussi bien ecclésiastiques que laïques, cette étude examine le déroulement des cérémonies de baptême, l’enregistrement du sacrement et le parrainage des enfants illégitimes en France en s’interrogeant sur la discrimination éventuelle dont ils seraient les victimes. Il en ressort que l’Église a toujours tenu à enregistrer clairement l’illégitimité des enfants. Sur le plan cérémoniel, à chaque époque, elle tend à entériner les aspirations de ses fidèles : à l’époque moderne et au début du XIXe siècle, elle reconnaît les pratiques existantes de marginalisation et, à partir de la fin du XIXe siècle, elle s’oriente vers un traitement égalitaire des enfants baptisés.
For the Catholic Church, all the children must be baptized, but legitimacy or illegitimacy of birth is considered as a fundamental element of the individual identity. Using various sources from the 16 th -21 th century both ecclesiastical and lay, this chapter studies the proceedings of baptismal celebrations, sacramental registration, and the godparenthood of illegitimate children in France. We wonder in particular if those children were victims of discriminations. It’s clear that the Catholic Church always considered the registration of illegitimacy as compulsory. In regards to celebrations proceedings, the Church tended towards validation of laymen wishes: in the early modern period and the beginning of the 19 th century, the Church confirmed the existing practices of stigmatization, and, since the end of the 19 th century, it has followed the path towards equality among all the baptized children.
Texte intégral
1Le 12 janvier 2014, jour de la fête du baptême du Seigneur, le pape François a baptisé trente-deux enfants, dont celui d’une mère célibataire et celui d’un couple non marié religieusement, en déclarant que tous ces bébés étaient les maillons d’une chaîne et que leurs parents, quelle que soit leur situation, devaient leur léguer la foi1. Dès 2012, alors qu’il n’était qu’archevêque de Buenos Aires, le même avait qualifié d’« hypocrites » les prêtres qui refusaient de procéder au baptême d’enfants nés hors du mariage chrétien estimant que ce genre de comportement éloignait « le peuple du salut2 ». Ce discours rappelle la fragile position des enfants nés hors mariage dans les sociétés chrétiennes. Dans le cadre d’une réflexion sur les bâtards et la bâtardise dans l’Europe ancienne, il invite à s’interroger sur le baptême des enfants illégitimes, un sujet auquel les historiens n’ont accordé que peu d’attention. Dans la veine de la démographie historique et de l’histoire sociale, leur intérêt s’est porté tout d’abord, dans les grandes enquêtes, sur la part des naissances illégitimes3, ensuite sur les mères, les filles séduites et abandonnées qui ont été étudiées grâce aux déclarations de grossesse4, enfin sur les abandonnés parmi lesquels les bâtards étaient nombreux5. Dans tous ces travaux, le baptême ne constitue jamais le cœur de la recherche. Les cérémonies, le parrainage, l’inscription dans les registres sont des aspects négligés ou bien très marginaux qui font l’objet de détails rapidement exposés. Nous nous proposons donc de rassembler les informations déjà connues, mais dispersées dans de nombreuses études publiées, mais aussi de retourner aux sources afin de mieux connaître ce baptême des illégitimes. Ici, seul le cas français et catholique sera présenté. Nous signalerons en contrepoint de rares travaux italiens. La comparaison avec les protestants mériterait certainement un travail particulier et plus approfondi6.
2Notre enquête a réuni des sources assez variées, rituels et statuts synodaux, archives hospitalières, registres paroissiaux d’Ancien Régime et registres de catholicité contemporains, enfin textes de folkloristes, portant sur la France, sauf de rares exceptions, du XVIe siècle au XXe siècle. Seule une approche sur la longue durée peut rendre compte de mutations des comportements et des représentations depuis le concile de Trente jusqu’à l’aube de Vatican II. Dans une société chrétienne qui réprouve les naissances hors mariage, le baptême n’est-il pas un premier moment où a pu se marquer le rejet voire la discrimination envers les enfants concernés ? En ce cas, quelles formes cela a-t-il pu revêtir selon les époques ? Tous les enfants, bâtards ou non, reçoivent le baptême ; néanmoins, pour les illégitimes, les modalités d’inscription dans le registre paroissial signalent leur statut de plusieurs façons qui seront examinées en premier lieu. Puis les détails particuliers de la cérémonie du premier sacrement tout comme les choix des parrains et marraines montreront les différences faites entre nouveau-nés. Enfin, nous verrons comment, aux XIXe et XXe siècles, la société française a pu évoluer au point de perturber l’Église dans ses catégorisations et ses pratiques.
Le bâtard, le baptême et le registre
Des enfants à baptiser
3Faut-il baptiser les illégitimes ? La question ne se pose pas, au regard de l’Église, tous les enfants doivent être lavés du péché originel et donc recevoir le sacrement. Pourtant, des réticences voire des refus de baptême apparaissent çà et là. Ainsi en 1755, l’enfant d’une fille accouchée dans un village près de Courtrai est récusé au moment du baptême par le curé du lieu. La mère envoie alors son fils à Lille « pour le faire baptiser sur le refus qu’en a fait le curé dudit Law. Ledit rapport se faisant seulement pour que ledit enfant ne mourût point sans baptême7 ». Eut-elle été native du village, la cérémonie n’aurait posé aucun gros problème, mais étrangère et de passage, elle est mise à l’écart et son fils aussi. Non loin de là mais aux Pays-Bas espagnols, à Malines, on a tenté au début du XVIIe siècle de refuser le baptême aux illégitimes et aux indigents à moins qu’un généreux parrain ne s’engage à assurer l’alimentation de l’enfant8. En 1609, le deuxième Concile de Malines prescrit aux curés de ne pas tenir compte de ces réglementations des autorités civiles qui contreviennent à la théologie.
4Si on ne refuse pas le sacrement, on se doit, dans le cas des naissances hors mariage, de s’informer de l’identité du père. Les sages-femmes sont tenues d’interroger les filles qu’elles assistent dans leurs couches, tout comme les prêtres au moment d’officier s’enquièrent du nom du père9. La pression peut se faire très insistante de la part des autorités civiles et ecclésiastiques10. À Lille, au début du XVIIIe siècle, le Magistrat demande aux sages-femmes de déclarer les identités des filles accouchées et des pères pour éviter de devoir prendre en charge des abandonnés nés de mères étrangères venues se cacher en ville pour donner naissance à leur enfant. La municipalité redoute également que les filles des campagnes ne tentent de faire baptiser en ville des bâtards comme s’ils étaient légitimes pour ensuite les abandonner au bon cœur des Lillois11. À chaque fois, le statut d’illégitime n’est pas directement en cause, mais toujours le soupçon de mensonge de la mère ou de dissimulation du nom du père, la crainte de devoir accueillir plus d’enfants abandonnés expliquent l’attitude des autorités ecclésiastiques mais surtout civiles, taraudées par la question du contrôle des populations pauvres et la charge financière que représentent les enfants abandonnés.
L’inscription dans les registres
5L’acte de baptême, grâce aux informations qu’il contient, fait fonction de preuve de légitimité sous l’Ancien Régime12. La légitimité ou l’illégitimité de l’enfant ne peut être passée sous silence dans l’enregistrement des actes tel qu’il est défini par les autorités de l’Église. Toutefois le statut de bâtard ne s’inscrit pas nécessairement en toutes lettres dans les registres anciens ; l’information se repère à la mention des parents et au silence sur l’effectivité d’une union légitime13. Le Rituel Romain, dans sa traduction française de 1623, explique la « Manière d’inscrire les baptisés dans le premier livre » (i. e. le « livre des baptisés ») : « Si l’enfant n’est pas né de mariage légitime, on écrira du moins le nom de celui des parents que l’on connaît (en évitant toutefois tout risque de scandale) ; et si on ne connaît ni l’un, ni l’autre, on inscrira ceci : j’ai baptisé un enfant, dont on ignore les parents, né le […] etc.14. » Quand le roi légifère sur la tenue des registres dans les paroisses, il en va de même, l’inscription des identités des père et mère suffit15 car il est bien évident que toute union légitime est indiquée par une mention telle que « né(e) en légitime mariage de… », tandis que l’absence de l’identité du père informe le lecteur sur l’illégitimité du bébé.
6Dans les registres, chaque curé procède différemment. Entre le XVIe et le XVIIe siècle, le nom du père est, à notre connaissance, le plus souvent placé en début d’acte, avant celui de la mère, quitte à rajouter une mention d’illégitimité si besoin, plus loin. Par exemple à Aubervilliers, le prêtre inscrit « illégitime » entre les lignes des actes baptismaux de deux jumeaux en 1583, ou « extra matrimonium » en 1584 ou bien encore « non est matrimonium » en 158816. Au XVIIIe siècle, pour ses successeurs lointains, les enfants sont déclarés fils ou fille « naturel(le)s » et s’ils ou elles ne sont pas de père inconnu, les précisions sur les pères obtenues soit par le truchement de la sage-femme, des parrains ou bien encore par les hommes venus se déclarer, sont insérées plus loin dans l’acte :
« L’an mil sept cent six Jean Alexis a esté baptisé le septième de janvier né le même iour fils naturel de Catherine Lezier laquelle a avoué que c’estoit du fait de Jean Varenne de la paroisse de la Courtneuve, le parain Jean Bourdon la marainne Charlotte Lamarche tous de cette paroisse la marainne a déclaré ne scavoir signer.
L’an 1706 le 19 juin a été baptizée Reine née le jour précédent, fille de Perette Auvril veuve de défunt Claude Saussai, et d’un père inconnu. Le parein Jean Monet boulanger, la mareine Reine Boudier femme de Pierre Bailleul boucher, laquelle a déclaré ne savoir signer, tous de cette paroisse17. »
7À Aubervilliers, le mot « illégitime » employé aux XVIe-XVIIe siècles tend à disparaître des actes au XVIIIe siècle, un usage rédactionnel que l’on retrouve dans bien d’autres paroisses comme celles de l’île de Ré ou de Charleville18. Quant à l’expression d’« enfant naturel », plus fréquente au XVIIIe siècle, elle peut être accolée à « légitime » et « illégitime » et n’avoir en conséquence aucune signification propre, mais si elle est employée seule, elle marque bien que l’on parle d’un enfant né hors mariage19.
8Ayant accès au baptême, dûment enregistrés à partir de la fin du XVIe siècle, les illégitimes n’en sont pas pour autant toujours inscrits au milieu des autres enfants dans la suite chronologique des actes. Quelques exemples suffisent à montrer la variété des solutions élaborées par les curés et leurs autorités sous l’Ancien Régime. Il arrive que les bâtards soient rejetés en fin de registre20 ou bien que le curé prenne son cahier à l’envers pour rédiger leurs actes, comme le signale François Lebrun en Bretagne21. Un registre particulier leur est parfois réservé. Alain Croix a trouvé un cas de ce type – qu’il pense exceptionnel en Bretagne – à Saint-Similien de Nantes à la fin du XVIe siècle22. À peu près à la même époque, à Bourg-en-Bresse, un curé en a également tenu un, en plus de son registre habituel des baptêmes23. Autre exemple, plus tardif, le vicaire général de Tournai dont dépendait la cité de Lille recommandait jusqu’en 1737 un enregistrement séparé des enfants nés hors des liens du mariage24. Quand des prêtres préfèrent à cet enregistrement séparé glisser ces naissances, après tout peu nombreuses, dans la suite chronologique des actes, une marque peut les désigner. Ainsi en 1601, lors de sa visite épiscopale dans la paroisse de Bouvron, l’évêque exige l’apposition d’un « nota » marginal en face des actes de baptême d’enfants illégitimes25. D’une manière ou d’une autre, il existe bien des façons de signaler ces naissances hors normes dans les registres.
9Au XIXe siècle, les registres dits de catholicité n’ont plus de fonction officielle légale puisque les naissances sont enregistrées par l’état-civil et que le choix d’administrer le baptême est laissé aux parents, ce que la très grande majorité souhaite encore. Progressivement, les prêtres utilisent des registres pré-imprimés dans lesquels aucune case spécifique n’est réservée à la mention du statut légitime ou non du baptisé. Pourtant l’illégitimité se lit dans l’apposition du patronyme maternel aux prénoms donnés à l’enfant, la déclaration « de père inconnu » ou une absence totale de référence à un père. Sous le régime du Code civil, qui proscrit la recherche de paternité, et sous la pression sociale défavorable à la dénonciation des séducteurs par les filles-mères, les curés en viennent à exclure toute information sur l’identité paternelle jugée peu utile et gênante, à moins que l’homme ait spontanément déclaré être le père au prêtre26. Dans les registres de catholicité des hôpitaux de Paris, cela se traduit par des actes où le père du bébé baptisé est à la fois « non dénommé » et déclaré. Jean Dunand-Tournier, baptisé le 23 février 1843 à l’Hôtel-Dieu est né d’une mère de 28 ans, « allumeuse » de profession. Le père est « non dénommé », mais l’acte précise aussi que Jean-Baptiste Tournier, 24 ans, né à Autray (Haute-Saône) et porteur aux Halles « déclare être le père de l’enfant ». À l’Hôtel-Dieu cette année-là, 5,8 % des baptêmes comportent une telle déclaration volontaire du père alors que l’enfant ne porte pas forcément son nom27.
10Il est bien difficile de dépasser l’exposé pointilliste pour dresser un état des lieux complet sur l’inscription différenciée des illégitimes dans les registres. Des variations subtiles dans les termes et les usages apparaissent à chaque époque, dans chaque lieu et on pourrait le croire aussi selon chaque prêtre en charge des baptêmes et rédacteur des actes. Parce que les naissances illégitimes sont finalement peu nombreuses (environ 1 à 2 % au XVIIe siècle dans les campagnes et l’augmentation des XVIIIe et XIXe siècles jusqu’à 20 % dans certaines villes ne modifie pas ce caractère minoritaire), la collecte des informations les concernant dans les registres de paroisse s’avère une tâche ardue et coûteuse en énergie. À moins d’envisager une grande enquête sérielle sur les illégitimes, on ne peut éviter la collection d’exemples28.
Discrimination dans la cérémonie
11Le repérage des différences dans les cérémonies pose problème. Les sources des XIXe et XXe siècles évoquent ces discriminations, alors que pour l’Ancien Régime, on en est réduit à extrapoler à partir des folkloristes de la période contemporaine. Au XVIIe siècle, Jean-Baptiste Thiers, grand pourfendeur de croyances et pratiques déviantes, ne dit mot sur des cérémonies particulières et ne dénonce aucune superstition concernant les bâtards29. Les statuts synodaux des XVIe-XVIIIe siècles n’abordent jamais la question de façon explicite30. En revanche, aux XIXe-XXe siècles, les mêmes textes normatifs entrent dans des précisions étonnantes pour signaler des interdits. Que peut-on en dire ?
Une discrimination de la mère et de l’enfant
12Traditionnellement, après la souillure des couches et une certaine période de repos, les mères ne réintègrent la communauté chrétienne et ses manifestations de dévotion qu’après avoir reçu la bénédiction des relevailles. À Rome, la Congrégation du concile exclut formellement de cette cérémonie les jeunes mères non mariées religieusement et par conséquent les filles-mères31. Les statuts synodaux de divers diocèses tout au long du XIXe et de la première moitié du XXe siècle en France reprennent cet interdit. Ainsi à Angers en 1859, à Poitiers en 1875, mais encore au Mans en 1946, à Dol et Saint-Malo en 195832. Précisément à Angers, à la suite de l’article 36 qui détaille que cette faveur sera refusée aux femmes non mariées religieusement, adultères ou ayant conçu l’enfant avant de convoler, l’article 37 associe leurs enfants dans la même réprobation : « Certains honneurs en usage au Baptême, comme le carillon et le son des cloches, seront refusés aux baptêmes des enfants, dont les mères, d’après le Statut précédent, ne pourront être admises à la cérémonie dite des relevailles33. » La faute de la mère rejaillit sur l’enfant qui lors de son baptême n’a pas droit aux mêmes démonstrations de publicité de l’événement.
Le silence des cloches
13Il est d’usage de sonner pour les baptêmes « pour marque de joye de ce que l’enfans, d’enfans du démon, devient enfans de Jésus-Christ » comme le signale un monitoire d’Angers en 169934, mais du point de vue de l’Église, les sonneries à cette occasion sont loin d’être une obligation. Elles sont même combattues comme un abus35. Ne pouvant les interdire, les autorités épiscopales tentent de les contrôler, par exemple en en limitant la durée ou en réservant l’accès aux cloches aux marguilliers, excluant ainsi les parrains et marraines ou la famille des baptisés. Pour autant, la communauté villageoise est très attachée à l’accueil sonore du nouveau-né qu’elle refuse en revanche aux illégitimes. De nombreux témoignages rapportent l’absence ou l’interdit de sonnerie de cloches pour les baptêmes d’illégitimes aux XIXe et XXe siècles. Tout en étant très ambigu du point de vue théologique, ce détail de la cérémonie serait le signe le plus évident d’une discrimination36. La pratique est attestée en Languedoc, en Berry, en Périgord, en Anjou à l’époque contemporaine37. En Lorraine, ces enfants sont même surnommés « sansonnets » : en effet « après la cérémonie, les cloches sonnent en volée, quelquefois même on carillonne. On ne sonne pas au baptême d’enfants naturels qu’on qualifie de sansonnets (sans sonnés)38 ». Pour les nouveau-nés de naissance illégitime, le rite d’intégration à la paroisse perd ainsi toute publicité et se transforme en une sorte de rite de marginalisation et d’occultation. Certains parents s’en désolent. L’abbé Georges Rocal rapporte qu’en Périgord, dans les années 1920, si la sonnerie est omise, on craint que l’enfant ne devienne sourd : « Or les bâtards et les enfants âgés de plus de quinze jours n’ont pas droit aux honneurs des sonneries. Vif émoi, on a de la peine à se persuader que le poupon entendra normalement sans cela. On s’efforce à tourner la loi. Un couple uni civilement régularise à Saint-Saud sa situation devant l’Église pour que son enfant bénéficie des cloches célébrant le mariage religieux des parents39. » On remarquera au passage que les enfants dont les parents repoussent le sacrement de baptême sont aisément assimilés aux illégitimes et peuvent essuyer les mêmes refus de sonnerie, du moins en théorie. Sous la Troisième République, des auteurs convertis aux orientations hygiénistes s’inquiètent alors du fait que les parents soient prêts à conduire leurs bébés à peine nés à l’église paroissiale par les plus grands froids pour éviter qu’ils ne soient traités comme des bâtards lors de la cérémonie40.
14Il est très regrettable que les sources à notre disposition pour l’Ancien Régime ne nous renseignent pas de la même façon sur l’usage ou non des cloches pour les illégitimes. Néanmoins, comme pour d’autres croyances et coutumes relatives à la naissance, à la mort ou bien au mariage, on est en droit de penser que les pratiques des XIXe et XXe siècles s’ancrent dans un passé plus lointain où les hommes partageaient les mêmes craintes et les mêmes réprobations.
15Hormis l’interdit des cloches imposé par la communauté et repris par le clergé, les autres indices d’un baptême différent pour les enfants illégitimes tiennent au temps choisi pour le faire célébrer : l’heure, le jour et le délai écoulé entre la naissance et le sacrement.
L’heure du baptême
16À Metz, « Les enfants naturels sont baptisés sans apparat soit le matin, soit le soir, et on les prive de la sonnerie des cloches41 », en Anjou ; l’enfant de père inconnu est baptisé « à la nuit tombante » ou « après le coucher du soleil », nous disent nos témoins42. Tout comme le silence des cloches, tout indique donc la marginalisation et surtout la volonté de discrétion qui entoure les cérémonies dispensées pour les enfants naturels à l’époque contemporaine, un fait que l’on peut concevoir aussi pour les siècles précédents.
Délais et jour de baptême
17Après les textes normatifs du clergé et les récits des folkloristes, il est possible de revenir aux registres de paroisse qui, indirectement, nous en apprennent un peu plus sur les particularités des baptêmes d’illégitimes. En effet, l’examen comparé des délais de baptême des enfants légitimes et des enfants naturels montre encore une fois leur singularité. Pour l’époque moderne, le baptême immédiat est de règle – imposé par l’ensemble des statuts synodaux post-tridentins43 puis la Déclaration royale de 1698, il se pratique le plus souvent dans les 24 heures et n’introduit donc aucune variante selon le statut de l’enfant. En revanche au XIXe siècle, les parents prennent plus de libertés pour choisir la date du premier sacrement. Ils ont tendance à repousser la cérémonie pour diverses raisons dont celles de la publicité et de l’organisation d’une fête sociale et familiale44.
18Dans les paroisses, comme à Paris par exemple, on observe ainsi des comportements nettement différenciés selon le statut du nouveau-né. Ceux qui sont nés hors mariage continuent de recevoir, en majorité, le sacrement dans les délais prescrits, tandis que pour les autres la règle est de plus en plus souvent oubliée. Le contraste est ainsi très marqué à Saint-Germain-l’Auxerrois en 1850-185245, où le baptême le jour de la naissance ou bien le lendemain concerne un illégitime sur deux mais seulement un légitime sur cinq. Encore en 1881, dans la paroisse Saint-Thomas-d’Aquin de Paris, sur les dix enfants de pères inconnus, sept sont portés sur les fonts au plus tard le lendemain de leur naissance, ce qui est exceptionnel dans la capitale à cette date46.
Tableau 1. – Délais de baptême à Saint-Germain-L’Auxerrois (Paris) selon le statut de l’enfant au XIXe siècle.
Sources : Archives de Paris, D6J 2206 à 2210 et D6J 2227 à 2229.
19Au refus de la publicité de ces baptêmes, déjà souligné plus haut, s’ajoute à l’évidence l’absence de tout projet d’une fête familiale. Il n’est pas nécessaire d’attendre l’arrivée des futurs parrains et marraines ou d’autres parents vivant hors de Paris pour célébrer ces naissances. L’enjeu social et familial écarté, rien n’empêche de se conformer à la règle religieuse, d’ailleurs un projet d’abandon du bébé peut aussi inciter à régler cette question du baptême au plus vite.
20L’observation des enfants nés dans les hôpitaux, et pour la plupart issus de couples non mariés confirme notre observation. À Vernon en 1863, le registre paroissial de la ville compte douze enfants nés ou déposés à l’hospice. Tous ont été baptisés dans les deux jours suivant la naissance (dont dix le jour même)47. À Paris, où un certain nombre d’hôpitaux possèdent leurs propres livres baptismaux, la lecture des actes indique un niveau d’empressement qui tranche avec le retard des sacrements conférés dans les paroisses environnantes.
Tableau 2. – Âge des enfants baptisés dans trois hôpitaux parisiens au XIXe siècle (en %).
Sources : Archives de Paris, D6J 3848 (Hôtel-Dieu, 1843), D6J 5326 (Hôtel-Dieu, 1879), D6J 6809 (Port-Royal, 1879), D6J 5385 (Hôpital Tenon, 1879).
21En l’absence d’enjeu particulier, le calendrier hebdomadaire des baptêmes des illégitimes peut aussi en venir à diverger de celui des légitimes. Dans la petite ville de Trouville-sur-Mer, vingt-sept baptêmes d’enfants illégitimes sont enregistrés parmi les quatre cent soixante et onze actes des années 1843, 1853, 1863 et 1873. Alors que le jour privilégié par les parents légitimement mariés est le dimanche (environ 40 % des choix), seuls trois nourrissons sur les vingt-sept sont baptisés un dimanche (11,1 %) ce qui place ce jour au même niveau que le mardi ou le mercredi. On en compte en revanche six un jeudi (22,2 %), cinq le samedi ou le lundi. Seul le vendredi fait moins bien que le dimanche, avec deux baptêmes48.
Le parrainage des illégitimes
22Le baptême est l’occasion de mobiliser auprès de l’enfant et de sa famille un certain nombre d’acteurs et de rendre manifeste un réseau social. Les premiers visés sont le parrain et la marraine, dont la mission théorique est d’éduquer religieusement, et plus largement, d’encadrer et protéger leur filleul. Des travaux italiens ont suggéré qu’en la matière aussi, l’illégitimité constituait un critère discriminant. En Italie du Nord par exemple, Guido Alfani a constaté qu’avant le concile de Trente, quand se pratiquait encore le multiparrainage, les baptisés illégitimes possédaient en moyenne moins de parents spirituels que les autres ; en outre, ces derniers étaient d’une qualité sociale moindre. Ainsi, les enfants abandonnés recueillis à l’hôpital de Mirandola, dans la plaine padane, étaient parrainés par de simples membres du personnel de cet établissement, souvent eux-mêmes d’anciens enfants exposés49. De même, Margherita Pelaja a constaté qu’à Rome au milieu du XIXe siècle, il était moins fréquent pour un enfant naturel d’être baptisé par un couple « parrain/marraine » que pour les enfants légitimes. On se contentait très souvent d’une unique marraine, majoritairement la sage-femme qui avait porté l’enfant à l’église de la paroisse. Moins d’une marraine sur cinq (18 %) appartenait à la famille de l’enfant, contre la moitié (51 %) lorsque le baptisé était de naissance légitime50.
La mobilisation de la sage-femme
23Qu’en était-il en France ? Il convient ici de distinguer le cas des baptêmes effectués en paroisse et ceux qui ont lieu dans le cadre hospitalier. Pour les baptisés en paroisse, il est difficile de repérer des différences en termes de nombre de parents spirituels. Ainsi à Aubervilliers dans les années 1550-1630, les enfants illégitimes reçoivent bien trois parents spirituels quand le parrainage ternaire continue de dominer dans les usages locaux, puis deux quand les normes tridentines sont adoptées au début du XVIIe siècle. Le modèle « parrain/marraine » devient ensuite hégémonique dans les paroisses françaises, et ce jusqu’à nos jours, et aucun corpus, à notre connaissance, n’indique de différences pour le cas des enfants illégitimes.
24En revanche, l’appel privilégié aux sages-femmes est localement attesté. Ainsi à Aubervilliers, au moins un quart des dix-neuf enfants repérés comme illégitimes dans notre période d’étude ont une marraine sage-femme, alors que c’est exceptionnel pour les baptisés légitimes51. Même constat dans un corpus de quatre-vingt-trois baptisés de 1821-1822 de la paroisse parisienne de Saint-Germain-l’Auxerrois : parmi les neuf marraines d’enfants naturels, deux au minimum sont sages-femmes52. Parfois la mobilisation s’étend aux proches de la matrone. On en trouve un bon exemple dans la ville de Charleville à la fin du XVIIIe siècle. Entre 1782 et 1791, la sage-femme Marie-Élisabeth Fievet, épouse de Jean-Baptiste Bougrel, apporte huit nouveau-nés illégitimes à Saint-Rémi, l’unique paroisse de la ville, pour les faire baptiser : elle n’en est pas elle-même la marraine, mais dans dix cas sur seize, les parents spirituels sont son mari ou ses enfants, dont certains ont à peine sept ans (tableau 3). Il semble clair qu’en règle générale, ce type de choix s’opère par défaut, c’est-à-dire parce qu’aucune autre personne n’est présente à l’église lorsque l’enfant y est apporté ou parce que la sage-femme se retrouve seule à se préoccuper de trouver les personnes requises pour le parrainage.
Tableau 3. – Enfants illégitimes parrainés par les Bougrel à Charleville fin XVIIIe siècle.
Année |
Enfant baptisé |
Parrain |
Marraine |
1783 |
Hubert Joseph Labiousse |
Hubert Bougrel |
Anne Joseph Bougrel |
1783 |
Hubert Pinchart |
Hubert Bougrel |
Marie Nicole Nagniot |
1784 |
Marie Joseph Pauline Linet |
Jean Baptiste Bougrel |
Marie Joseph Marée |
1785 |
Pierre Simon Coliquon |
Jean Simon Hoclet |
Marie Pauline Bougrel |
1786 |
Catherine Joseph Hubertine Sequin |
Hubert Bougrel |
Jeanne Joseph Marée |
1788 |
Charles Joseph Mornant |
Charles Sébastien Prunier |
Anne Joseph Bougrel |
1788 |
Françoise Adelaïde Pauline Filleur |
Pierre Prunier |
Marie Pauline Bougrel |
1790 |
Jean Baptiste Lefort |
Jean Baptiste Bougrel |
Pauline Bougrel |
Source : Alexandre C., Parrainer, op. cit.
La faiblesse du réseau familial
25De telles pratiques suggèrent aussi qu’aucun des acteurs concernés (parturiente, parenté, clergé) ne souhaitait donner de publicité à la cérémonie par le biais du parrainage. La réprobation à l’égard des filles-mères poussait même à solliciter des parents spirituels en dehors des logiques préférentielles du temps. Ainsi les membres de la famille maternelle, et a fortiori ceux de la branche paternelle, étaient sous-représentés à la fin du XVIIIe et au XIXe siècle parmi les parrains et marraines, dans une période où le parrainage intra-familial était devenu dominant en France. Dans un échantillon de vingt-cinq baptêmes d’enfants illégitimes de Charleville de la décennie 1782-1791, 18 % seulement des parrains et marraines portent le même patronyme que le père ou la mère du nouveau-né53, alors que cette proportion monte à 35 % dans l’ensemble des baptisés de la ville dans la même période. Certes, au XIXe siècle, le calcul du niveau de l’homonymie patronymique entre parents spirituels et parents charnels en fonction du statut de l’enfant est biaisé par l’absence de mention du père naturel dans les actes baptismaux. On dispose cependant d’échantillons, par exemple dans la paroisse parisienne de Saint-Germain-l’Auxerrois (tableau 4), où les différences de pourcentages sont suffisamment tranchées pour s’assurer que la faiblesse de la mobilisation familiale lors du parrainage des illégitimes découle bien d’un comportement spécifique et non d’un artefact statistique.
26Les illégitimes les plus discriminés sont bien entendu ceux qui ont été abandonnés. Une étude sur cent-quarante-neuf enfants exposés et baptisés dans l’église paroissiale de La Trinité d’Angers entre 1660 et 1765 signale ainsi que leurs parents spirituels sont choisis de préférence parmi les domestiques de l’abbaye de Ronceray, détentrice de la seigneurie dont dépend la paroisse, ou parmi quelques employés et résidents des hôpitaux voisins. Signe du peu d’importance donnée en l’occurrence à la relation entre filleuls et parrains, certains enfants exceptionnellement ne reçoivent qu’un parent spirituel54.
Tableau 4. – Parrainages à Saint-Germain-l’Auxerrois (Paris) selon le statut de l’enfant au XIXe siècle.
* Dans trois cas, le parent spirituel, sans être homonyme du père ou de la mère, est le conjoint d’une personne qui porte leur patronyme.
Sources : Archives de Paris, D6J 2206 à 2210 et D6J 2227 à 2229.
Un parrainage administratif en milieu hospitalier
27Dans le cas des baptêmes d’hôpitaux, qui rassemblent essentiellement des enfants illégitimes jusqu’au XIXe siècle, la pratique d’un parrainage de seconde zone est peut-être plus flagrante encore que dans les paroisses. La grande masse des illégitimes ne bénéficie en réalité que d’une forme de « parrainage administratif », qui mobilise prioritairement voire exclusivement les différents personnels attachés à ces institutions55. À l’hôpital Saint-Charles d’Amiens, le règlement de juillet 1785 précise que ceux des enfants nouveau-nés recueillis par la religieuse de garde « qui n’auront aucun signe qui manifeste qu’ils ont été baptisés, le seront sous conditions » et que dans ce cas on choisira parrains et marraines parmi le personnel de l’établissement ou encore parmi ses pensionnaires56.
28De tels usages perdurent au XIXe siècle, par exemple dans les hôpitaux parisiens au sein desquels opèrent des aumôniers dédiés. Leurs registres indiquent à leur tour un appel massif au personnel soignant, à des assistants du prêtre, voire à des malades présents dans les dortoirs (tableau 5). Compte tenu du grand nombre de naissances annuelles, certaines des personnes sollicitées en viennent à accumuler au fil des ans des dizaines ou des centaines de filleuls. Dans la seule année 1843, à l’Hôtel-Dieu, un enfant de chœur, Jean-Baptiste Faure, parraine treize enfants, tandis qu’Armand Lobréaux, sacristain, compte cent-quarante-sept filleuls et l’infirmière Claire Toussaint, cent vingt-six. En 1879 dans le même hôpital, le sacristain Sébastien Magrée parraine quatre-vingt-huit des cent enfants baptisés.
Tableau 5. – Parrains et marraines de circonstance dans les registres de baptême des hôpitaux parisiens au XIXe siècle.
Sources : Archives de Paris, D6J 3848 (Hôtel-Dieu, 1843), D6J 5326 (Hôtel-Dieu, 1879), D6J 5385 (Hôpital Tenon, 1879).
N.B. Quelques actes en 1843 ne signalent pas la présence d’un parrain et d’une marraine. Les pourcentages sont calculés sur le total des parrains et marraines mentionnés dans les actes.
29Au total, qu’il s’agisse de baptêmes paroissiaux ou hospitaliers, tout indique que les enfants illégitimes, destinés ou non à l’abandon, ont rarement droit à des parents spirituels avec lesquels une relation durable et singulière puisse s’établir. Il est donc peu probable que la parenté spirituelle joue comme une sorte de compensation protectrice pour la mère célibataire et/ou son enfant, qui bénéficient nécessairement d’un soutien familial moins étendu que les autres.
Une mutation des sensibilités à partir du XIXe siècle ?
Le débat sur l’égalité des sonneries sous la Troisième République
30La réaction de la société vis-à-vis des discriminations religieuses concernant les illégitimes semble faible avant le XIXe siècle. Selon Alain Corbin, qui s’est intéressé spécialement aux sonneries de cloches, les hiérarchies qu’elles exprimaient au plan sonore étaient largement admises et la population en avait une connaissance aigüe57. Mais un certain nombre de témoignages attestent d’une évolution progressive des mentalités dans la seconde moitié du XIXe siècle et au début du XXe siècle concernant les illégitimes.
31Cette évolution, disons-le, n’est pas sans ambiguïté. Une première attitude de refus des restrictions religieuses s’appuie en effet sur une vision traditionnelle et réprobatrice de l’illégitimité. À cette date, l’Église tend en effet à mêler dans une même condamnation les enfants de filles-mères et ceux issus de couples légitimes mariés uniquement au plan civil, et qui, pour elle, ne sont pas véritablement unis. Le silence des cloches assimile donc ces derniers à des bâtards, ce qui est vécu comme une humiliation sociale et communautaire ainsi qu’une injustice.
32Dans d’autres cas, cependant, c’est l’idée même d’opérer des distinctions entre les enfants qui est bel et bien rejetée. La sensibilité romantique qui a fait de tout enfant un être pur et « innocent » et a tendu à marginaliser le discours traditionnel de l’Église sur le péché originel, s’accommode mal des hiérarchies dont sont porteuses les discriminations cérémonielles des statuts synodaux et les catégories religieuses qui les sous-tendent. Elle en appelle à une vision miséricordieuse et égalitaire de la figure de Dieu, qui s’oppose à celle d’un Dieu punitif et justicier58 dont serait porteur le clergé paroissial. Dans cette version nouvelle du discours chrétien, Dieu aime d’un même amour toutes les créatures et c’est le cléricalisme honni qui, trahissant le message divin, crée des inégalités arbitraires. Le journaliste Jean de Bonnefon, ami d’Aristide Briand, est un bon exemple de ce discours. Dans son livre Cas de conscience modernes (1904), il s’offusque d’une décision de la Congrégation romaine du Concile qui a refusé les solennités extérieures du baptême aux enfants illégitimes : « Pharisiens, tous ces prélats simoniaques qui oublient les lois de Dieu pour marquer d’une honte le berceau de l’innocence59. »
33L’instance vers laquelle se tournent les familles qui s’estiment déshonorées par le refus des cloches, c’est la mairie. Depuis le début du XIXe siècle, il est théoriquement prévu que le droit de sonner les cloches dépend d’un règlement établi entre l’évêque et le préfet du département60. Dans les faits, peu de règlements ont été établis61, et l’accès aux cloches est l’enjeu d’un conflit récurrent entre le clergé et la municipalité, qui tous deux revendiquent le monopole du contrôle sur l’espace sonore communautaire. La loi municipale de 1884 est censée avoir fixé les attributions propres à chaque instance, mais en réalité les tensions sont permanentes62. Bien des élus locaux, surtout parmi les radicaux et les libres-penseurs, estiment à la fin du XIXe siècle qu’ils sont en droit de faire sonner les cloches pour le service de leurs administrés. Ainsi, dans les Pyrénées-Orientales, de nombreux maires passent outre le règlement des sonneries établi entre l’évêque et le préfet le 13 juin 1885, règlement qui considère comme illégales les annonces par cloche des rituels civils. À Joch, en 1898, le maire proclame qu’il a « le droit de faire sonner les cloches quand il voudra et autant qu’il voudra » et le dossier dressé par l’évêché rapporte qu’il les « fait sonner aux baptêmes, aux mariages et même aux enterrements civils63 ».
34En agissant ainsi, les édiles ne font pas qu’affirmer la prééminence du pouvoir municipal, ils répondent explicitement à la montée d’un sentiment d’égalité entre tous les citoyens et leurs enfants, qui conduit de plus en plus de personnes à rejeter les distinctions religieuses. Toujours dans les Pyrénées-Orientales, des maires acceptent de célébrer des baptêmes civils lorsque le curé a refusé à des parents mariés civilement de faire sonner les cloches au baptême religieux64. Dans d’autres cas, la pression des fidèles est si forte sur les desservants que ceux-ci reculent et permettent de faire sonner les cloches aux baptêmes d’enfants illégitimes. Il en est ainsi à Fillols au début des années 1880, comme le découvre en 1888 le nouveau titulaire de la cure, qui se met à dos la population et la municipalité lorsqu’il prétend en revenir aux règles ecclésiastiques65. Les maires anticléricaux sont encouragés par la faiblesse des sanctions préfectorales, qui ne dépassent pas le blâme, oral ou écrit.
35Paradoxalement, c’est avec la fin du Concordat en 1905 que le clergé reprend l’avantage en la matière. En effet, alors que se déploie en 1908 une campagne des libres-penseurs en faveur de l’égalité des sonneries pour tous les citoyens66, l’Église catholique obtient le soutien ferme du Conseil d’État et parvient à maintenir sa logique de distinction67. Peut-on dire que l’Église s’est montrée imperméable au changement ?
L’ambivalence de la réponse de l’Église : entre discrétion et maintien de la distinction
36Dans le contexte de réflexion sur la réforme liturgique et la mise en place d’une nouvelle pastorale adaptée aux paroisses populaires des milieux urbains, les évêques français font un pas dans le sens d’une reconnaissance du droit au respect des baptisés illégitimes. En avril 1954, l’assemblée plénière de l’épiscopat français adopte de nouvelles règles au sein du Directoire pour les actes administratifs des sacrements à l’usage du clergé (D.A.A.S.)68, qui oriente les normes adoptées par les statuts synodaux publiés dans les années suivantes. Ces règles nouvelles mettent en exergue deux points : le premier porte sur la tenue des registres de catholicité, le second, sur la diffusion des informations contenues dans les actes. Dans les deux cas, il s’agit de ménager la réputation des enfants concernés, voire de leurs parents. Concernant la rédaction de l’acte de baptême, on recommande le maintien de l’inscription de l’origine illégitime des enfants, tout en insistant sur la nécessaire neutralité de l’information. En 1960, l’ordonnance synodale de Mgr Georges Debray, évêque de Meaux, prescrit ainsi dans l’article 210 :
« En pleine conformité avec la doctrine chrétienne du mariage, la légitimité ou l’illégitimité de la naissance doit être notée, de façon délicate mais précise, aux actes de l’état religieux et spécialement dans le corps de l’acte original du baptême. La filiation réelle du baptisé par lien de consanguinité doit y apparaître dans toute la mesure où elle est publiquement certaine et reconnue, sous la réserve toutefois que soit proscrite toute annotation explicite de caractère infamant et susceptible de causer un tort immérité à la réputation de l’enfant et des parents (D.A.A.S., no 94)69. »
37Quant à la diffusion des informations, on tente de la limiter aux cas où elles sont jugées indispensables au bon fonctionnement interne de l’Église. À Meaux en 1960, l’article 212 est particulièrement précis :
« Pour la rédaction des certificats ou d’extraits de baptême des enfants illégitimes ou légitimés, on tiendra compte des points suivants :
- Afin de ménager la délicatesse de ces enfants, on délivre pour eux de simples certificats de baptême toutes les fois qu’une copie complète n’est pas requise. Ces certificats ne devant indiquer, ni directement, ni indirectement, l’illégitimité du baptisé, on y omet la mention “fils (fille) de”, les noms des père et mère, ceux des parrains et marraine, ainsi que, le cas échéant, la mention marginale de légitimation.
- En vue du mariage, de l’entrée au séminaire ou en religion, l’extrait ou copie complète de l’acte original est requis. L’illégitimité du baptisé y est indiquée conformément à la teneur initiale de l’acte, dont aucun terme ne doit être omis. La mention marginale de légitimation y est reportée le cas échéant.
L’extrait de baptême ne tait donc pas la vérité. Afin d’éviter cependant toute divulgation fâcheuse, il sera envoyé directement au Curé du mariage, au Supérieur du Séminaire ou au Supérieur religieux (D.A.A.S. no 100)70. »
*
38Au terme de ce tour d’horizon, il apparaît que la discrimination des enfants illégitimes dans les cérémonies de baptême émane autant si ce n’est plus de la demande des fidèles, voire des autorités civiles, que de celle de l’Église, même si cette dernière n’est pas indifférente à la question et ne manque pas d’enregistrer avec soin les origines de tous les enfants. Elle en vient au XIXe siècle à intégrer plus nettement les différences au plan cérémoniel, par exemple dans les statuts synodaux, avant de revenir finalement au milieu du XXe siècle à une plus grande discrétion dans l’intérêt de l’enfant. Notre information provient d’abord des autorités civiles et religieuses et des communautés telles que les folkloristes les ont décrites. Nous saisissons les normes et les pratiques en vigueur, mais cette approche ne permet pas d’appréhender le vécu des personnes concernées, mères et enfants, très certainement marquées par la douleur de la stigmatisation. Parmi les rares paroles qui en attestent, on signalera les mots qu’une mère a écrits en 1990 dans le livre d’or de la maison maternelle du nord-ouest de la France où elle avait accouché en 1962 : « Mon fils a été baptisé là, un vendredi et sans cloches, en signe de pénitence. » Comme le signale Catherine Le Grand-Sébille, qui rapporte cet exemple éclairant, cette « archive précieuse du chagrin » rend compte à la fois de la persistance de la discrimination même dans un établissement public et de « l’humiliation inoubliable » ressentie par cette femme71.
Notes de bas de page
1 www.Lexpress.fr, 12 janvier 2014, « Le pape François a baptisé l’enfant d’une mère célibataire ».
2 www.la-croix.com, 13 janvier 2014, Houdaille C., « Le baptême n’est pas soumis à la situation matrimoniale des parents ».
3 Pour l’enquête Henry, voir Blayo Y., « La proportion des naissances illégitimes en France de 1740 à 1829 », Population, 1975, no spécial, p. 65-70.
4 Par exemple, Phan M.-C., Les amours illégitimes. Histoires de séduction en Languedoc 1676-1786, Paris, CNRS Éditions, 1986.
5 Enfance abandonnée et société en Europe, XIVe-XXe siècle, Rome, École française de Rome, 1991 ; Delasselle C., « Les enfants abandonnés à Paris au XVIIIe siècle », Annales ESC, 1, 1975, p. 187-218.
6 La question du baptême et du parrainage chez les protestants français est justement un sujet historiographique en train d’émerger, comme le montre la thèse en cours de Margreet Dieleman, sous la direction de Didier Boisson, à l’université d’Angers.
7 Lottin A., « Naissances illégitimes et filles mères à Lille au XVIIIe siècle », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1970, p. 320.
8 Corblet Abbé J., Histoire dogmatique, liturgique et archéologique du sacrement de baptême, t. 1, Paris, V. Palmé, 1881-1882, p. 392.
9 Ferté J., La vie religieuse dans les campagnes parisiennes (1622-1695), Paris, Vrin, 1962. Pour déclarer le père au curé, la sage-femme interroge la mère jusque dans les douleurs de l’accouchement. D’ailleurs en 1672 l’archidiacre de l’archevêque de Paris rappelle que les sages-femmes ne peuvent accoucher des femmes « sans aveu » de l’identité du père (cité p. 299, notes 33 et 36).
10 Corblet J., Histoire dogmatique, op. cit., t. 2, p. 491. L’auteur indique, sans donner de véritables informations localisées et datées, que le refus de sacrement est une menace pratiquée pour obtenir le nom du père. « On devine tous les inconvénients de cette inquisition qui pouvait amener de fausses déclarations ; aussi la plupart des théologiens disent qu’en ce cas, la mère n’est pas obligée et même ne doit pas révéler le nom du père et que le prêtre ne doit pas l’inscrire sur les registres. »
11 Voir l’ordonnance de la ville du 14 août 1726, citée par Lottin A., « Naissances illégitimes », art. cit., p. 320.
12 Peronnet M., « Du baptême à la naissance », Naissance, enfance et éducation dans la France méridionale du XVIe au XXe siècle, Montpellier, Presses universitaires de Montpellier-3, 1999, p. 99-120. « L’acte de naissance de légitime mariage […] ouvre tous les droits civils, notamment les droits successoraux au baptisé. Dans cette optique de droit civil, l’exacte tenue des registres est indispensable » (p. 109).
13 Le Mée R., « La réglementation des registres paroissiaux en France », p. 21-62, Dénombrements, espaces et société, Paris, S.D.H., 1999, p. 25-26 ; voir par exemple les statuts de Lisieux en 1505, d’Avignon en 1509, de Paris en 1515 (p. 25-28).
14 Paul V, Lutetiae parisiorum, 1623, p. 471-478, cité par Le Mée R., art. cit., p. 33.
15 Voir l’Ordonnance de 1667 ou la déclaration de 1736 (ibid., p. 39 et 45).
16 Aubervilliers, AM, registres paroissiaux 1 E1 et 1 E2.
17 Aubervilliers, AM, registre paroissial 1 E8.
18 Tardy P., « Les mœurs des Rétais », Cahiers de la Mémoire. Revue d’art et traditions populaires, d’archéologie et d’histoire, 1994, no 56 ; Alexandre C., Parrainer à Charleville aux XVIIIe et XIXe siècles, mémoire de master I, université Paris-Sorbonne, 2013 ; Berteau C., Baptême et parrainage à Aubervilliers. Formation de réseaux et renouveau religieux post-tridentin (XVIe-XVIIIe siècles), mémoire de master 2, université Paris-Sorbonne, 2010.
19 Ce constat se retrouve à l’île de Ré.
20 Corblet J., Histoire dogmatique, op. cit., t. 2, p. 491.
21 Lebrun F., La vie conjugale sous l’Ancien Régime, Paris, Armand Colin, 1975, p. 97.
22 Croix A., Nantes et le pays nantais au XVIe siècle. Étude démographique, Paris, Sevpen, 1974, p. 29.
23 Turrel D., Bourg-en-Bresse au XVIe siècle, les hommes et la ville, 3e cahier des Annales de démographie historique, Paris, S. D. H., 1986, p. 431. Il contenait 68 actes célébrés entre 1596 et 1601, soit 6,5 % des naissances de la ville.
24 Lottin A., « Naissances illégitimes », art. cit.
25 Croix A., Nantes et le pays nantais, op. cit., p. 19.
26 Corblet J., Histoire dogmatique, op. cit., t. 2, p. 491. Rappelons qu’à l’époque il est interdit d’indiquer le nom du père présumé dans les actes civils de naissance, voir Halperin J.-L., L’impossible Code civil, Paris, PUF, 1992, p. 275.
27 Archives de Paris, D6J 3848, registre de baptêmes de l’Hôtel-Dieu, 1843.
28 Concernant le XIXe siècle, il est regrettable que les registres de catholicité, malgré leur richesse, aient été peu sollicités par les chercheurs, ceux-ci ayant préféré recourir aux archives de l’état-civil dans leurs études d’histoire démographique et sociale.
29 Jean-Baptiste Thiers (1636-1703) est un curé de campagne du pays chartrain et un érudit, auteur d’une trentaine de titres dont le plus fameux est le Traité des superstitions selon l’Écriture sainte, les conciles, les Pères de l’Église et les théologiens paru en 1679, réédité de nombreuses fois aux XVIIe et XVIIIe siècles.
30 Statuts et ordonnances synodales de l’église métropolitaine de Lyon, primatiale des Gaules…, Lyon, J. Stratius, 1577 ; Ancienne et nouvelle discipline du diocèse de Troyes, de 1785 à 1843. Statuts et règlements, éd. abbé C. Lalore, Troyes, au secrétariat de l’évêché, 1882-1883, vol. III (statuts du 4 juin 1647, 3 septembre 1652, 4 juin 1680, 1er juin 1688, 18 mai 1706, 17 juin 1722, 1787) ; Statuts synodaux du diocèse d’Amiens, Amiens, chez la veuve Hubault, 1662 ; Statuts synodaux du diocèse d’Amiens, Amiens, chez Nicolas Caron Hubault, 1696 ; Statuts synodaux du diocèse de Sens revûs, augmentés, & publiés dans le synode général tenu à Sens le 24 de septembre 1692…, Sens, chez Claude Auguste Prussurot & Laurent Ravene, 1693 ; Ordonnances synodales du diocèse d’Auxerre publiées dans le Synode tenu à Auxerre le 5 may 1683…, Auxerre, chez François Garier, 1683 ; Statuts et ordonnances du diocèse d’Évreux…, Évreux, chez Jacques Rossignol, 1664 ; Statuts synodaux pour les diocèses d’Avranches…, Caen, chez Jean Cavelier, 1693 ; Ordonnance de Monseigneur l’illustrissime et réverendissime Leonor de Matignon evesque de Lisieux, Lisieux, chez Rémi Le Boullenger, 1696 ; Ordonnances synodales imprimées par ordre de Monseigneur illustrissime et révérendissime Messire Jean Baptiste de Verthamon, évêque et seigneur de Pamiers, Toulouse, chez la veuve de J.-J. Boude, 1702.
31 Corblet J., Histoire dogmatique, op. cit., t. 2, p. 501.
32 Statuts synodaux donnés au clergé du diocèse d’Angers… après le Synode tenu les 27, 28, 29 septembre 1859, Angers, Impr. E. Barassé, 1862, 1re partie, p. 15 ; Statuta Dioecesana seu Constitutiones synodales ab illustrissimo ac reverendissimo dd. Ludovico-Edoardo Pie, Episcopo Pictaviensi edita, Poitiers, Impr. Oudin frères, 1875, p. 66 ; Statuts synodaux publiés à la suite du synode de 1946…, Le Mans, Imprimerie Ch. Monnoyer, 1947, p. 64 ; Statuts synodaux du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo…, Rennes, Imprimerie Bahon-Rault, 1958, p. 68, art. 195.
33 Statuts synodaux donnés au clergé du diocèse d’Angers, op. cit., p. 15.
34 Cité par Gutton J.-P., Bruits et sons dans notre histoire, Paris, PUF, 2000, p. 35.
35 Pour des exemples en région parisienne au début du XVIIe siècle, voir Ferté J., op. cit., p. 304-305.
36 Un autre signe particulier des baptêmes d’illégitimes serait l’interdiction de l’entrée par la grande porte de l’église. Mais notre information tient à trop peu de choses, soit un court passage d’A. van Gennep (Le Folklore français, vol. 1, Paris, Robert Laffont, 1998) repris par Gélis J. dans L’arbre et le fruit, la naissance dans l’Occident moderne, XVIe-XIXe siècle, Paris, Fayard, 1984, p. 533.
37 Seignolle C., Le folklore du Languedoc (Gard-Hérault-Lozère), cérémonies familiales, sorcellerie et médecine populaire, folklore de la nature, Paris, Maisonneuve et Larose, 1960, p. 35 ; Laisnel De La Salle, Souvenir du vieux temps. Le Berry, mœurs et coutumes, Paris, Maisonneuve, 1902, p. 60 ; Rocal Abbé G., Le vieux Périgord, Paris, Occitania, 1927, p. 51 ; Launay G. de, « Traditions et superstitions de l’Anjou », Revue des Traditions populaires, t. 8, no 2, 1893, p. 93-97 ; Verrier A.-J. et Onillon R., Glossaire étymologique et historique des patois et parlers de l’Anjou…, t. 2, Angers, Germain et Grassin, 1908, p. 423.
38 Labourasse H., Anciens us, coutumes, superstitions, préjugés, etc. du département de la Meuse, Bar-le-Duc, Imprimerie Contant-Laguerre, 1903, p. 25.
39 Rocal Abbé G., Le vieux Périgord, op. cit., p. 51.
40 Bonnefon J. de, Les cas de conscience modernes, 4e édition, Paris, Ambert, 1904, p. 154-155.
41 Westphalen Dr R. de, Petit dictionnaire des traditions populaires messines, Metz, chez l’auteur, 1934, col. 35.
42 Launay G. de, « Traditions », art. cit., p. 96 ; Verrier A.-J. et Onillon R., Glossaire étymologique, op. cit., p. 423.
43 Pour des exemples de la France méridionale, voir Vénard M., « Les délais de baptême dans une paroisse de l’Uzège au XVIIIe siècle » (p. 279-288), J.-P. Poussou et I. Robin-Romero (dir.), Histoire des familles, de la démographie et des comportements, Paris, PUPS, 2007, p. 282-283.
44 Gourdon V., « Les évolutions du baptême en France au XIXe siècle », M.-F. Morel (dir.), Accueillir le nouveau-né, d’hier à aujourd’hui, Toulouse, Éres, 2013, p. 257-285.
45 Archives de Paris, D6J 2227 à 2229.
46 Archives de Paris, D6J 6083.
47 AD, Eure, 6JP 2141, Vernon, baptêmes 1863-1868. On compte au total 140 naissances en 1863.
48 Gautier G., Parrains, marraines et témoins de mariage au Pays d’Auge. La paroisse de Trouville-sur-Mer aux XVIIIe et XIXe siècles, maîtrise d’histoire, sous la direction de J.-P. Bardet, université Paris-4, 2002, annexes, p. 29 et 37.
49 Alfani G., Padri, padrini, patroni. La parentela spirituale nella storia, Venise, Marsilio, 2006, p. 172-181.
50 Pelaja M., Matrimonio e sessualità a Roma nell’Ottocento, Bari, Laterza, 1994, p. 102-104.
51 Berteau C., Baptême, op. cit.
52 Aucune sage-femme marraine n’est mentionnée pour les soixante-quatorze enfants légitimes (Archives de Paris, D6J 2206-2207).
53 Cette homonymie patronymique entre les parents spirituels et le père et la mère du baptisé est un indicateur fiable de l’existence d’une relation de parenté. Elle ne fournit néanmoins qu’une approximation minimale de la place du parrainage familial, puisque de nombreux membres de la parentèle (notamment parmi les alliés) ne sont pas homonymes des parents de l’enfant (Berteau C., Gourdon V. et Robin I., « Familles et parrainage : l’exemple d’Aubervilliers entre XVIe et XVIIe siècle », XVIIe siècle, 249, no 4, 2010, p. 21-45).
54 Danet V., L’exposition angevine (1660-1765). Causes et conséquences d’un comportement social urbain dans une ville moyenne de l’époque moderne, maîtrise d’histoire, université d’Angers, 2003. Il manque dans les actes 13 % des 298 parents spirituels a priori attendus pour le baptême de 149 enfants : il ne s’agit pas d’un pur oubli des rédacteurs car ces derniers signalent explicitement qu’il n’a été donné qu’un parent spirituel.
55 À l’Hôtel-Dieu de Nevers, en 1777-1786, 85 % des parrains connus appartiennent à l’hôpital – 55 % sont des enfants, 22 % des domestiques, 8 % des chirurgiens – ainsi, le parrainage est « vidé, sciemment, de tout contenu spirituel » selon Florenty G., Une capitale provinciale et sa population : Nevers au XVIIIe siècle, Nevers, 1991, p. 195.
56 Beauvalet S. et Trévisi M., « Les prénoms des enfants abandonnés à Amiens pendant la Révolution », Noms et destins des Sans Famille, Paris, PUPS, 2007, p. 122. Même constat à l’Hôpital général de Dijon en 1789 (Morlot S., Enfants et enfances dans le Dijon révolutionnaire et consulaire, thèse d’histoire, université de Dijon, 2006, p. 393-397).
57 Corbin A., Les cloches de la terre. Paysage sonore et culture sensible dans les campagnes au XIXe siècle, Paris, Albin Michel, 1994, notamment p. 150-152.
58 Sur ce passage d’un Dieu bon parce que justicier à un Dieu bon parce que miséricordieux, voir Cholvy G., « Du Dieu terrible au Dieu d’amour : une évolution dans la sensibilité religieuse au XIXe siècle », Transmettre la foi XVIe-XXe siècles, t. 1, Paris, CTHS, 1984, p. 141-154, et Cuchet G., « Une révolution théologique oubliée. Le triomphe de la thèse du grand nombre des élus dans le discours catholique au XIXe siècle », Revue d’histoire du XIXe siècle, 2010, 2, p. 131-148.
59 Bonnefon J. de, Les cas de conscience, op. cit., p. 154-155.
60 C’est l’article 48 des Articles organiques qui appelle en matière de cloches à une conciliation entre l’évêque et le préfet, et prévoit la nécessaire autorisation de la police locale pour les sonneries.
61 D’après Alain Corbin (Les cloches de la terre, op. cit., p. 47), il n’est au début du XIXe siècle que quatre départements (Manche, Sarthe, Seine-et-Oise, Loir-et-Cher) où l’on peut retrouver un règlement signé par le préfet et l’évêque qui autorise les desservants à sonner les baptêmes.
62 L’article 100 de la loi de 1884 réitère l’idée d’un règlement concerté entre évêque et préfet sur les sonneries religieuses, c’est-à-dire liées aux « cérémonies du culte », et les sonneries civiles, nécessaires par exemple « dans les cas de péril commun qui exigent un prompt secours ». Quant à l’article 101, s’il confie logiquement une clé du clocher à l’ecclésiastique de la localité, il ordonne que le maire en ait également un exemplaire à sa disposition. Le texte de loi prévoit que ce dernier ne puisse en faire usage que dans « les circonstances prévues par les lois et règlements » (La nouvelle loi municipale promulguée le 5 avril 1884, Bourg, Imprimerie typographique du « Progrès de l’Ain », 1884, p. 26-27), mais il s’avère que cette apparente restriction n’empêche pas une flambée de petits conflits locaux entre élus et clergés paroissiaux pour la maîtrise du clocher et de l’espace sonore.
63 Ramonéda J., La République concordataire et ses curés dans les Pyrénées-Orientales (1870-1905), Perpignan, Presses universitaires de Perpignan, 2011, p. 69-71.
64 En 1894, à Elne, deux parents mariés civilement qui se tournent vers leur curé pour le baptême de leur fille se voient proposer deux options : soit ils procèdent au préalable à une régularisation religieuse de leur union, soit ils n’auront droit qu’à un baptême nocturne et sans cloche, cérémonie tronquée qui rappellerait l’infamie des baptêmes d’enfants illégitimes. Les parents refusent l’alternative et organisent avec la municipalité un baptême civil en plein jour, sur la place communale, avec tambour et clairon (ibid., p. 78-79).
65 Ibid., p. 71.
66 Une motion votée au Congrès de l’Association nationale des libres-penseurs de France en novembre 1908 dénonce le fait que l’interdiction de sonnerie pour les baptêmes, les mariages et les enterrements civils « fait des libres penseurs de véritables parias ». Deux mois plus tard, la Ligue française pour la défense des droits de l’homme et du citoyen transmet au ministre de l’Intérieur le vœu de la section de Saint-Pierre-de-Chandieu (Rhône) qui réclame l’égalité « des honneurs de la sonnerie des cloches » (Corbin A., Les cloches de la terre, op. cit., p. 244 et 163).
67 Ibid., p. 247.
68 Directoire pour les actes administratifs des sacrements à l’usage du clergé, Paris, Bonne Presse/Éditions Fleurus, 1956.
69 Diocèse de Meaux, Statuts synodaux promulgués dans le synode de 1960…, Meaux, Imprimerie André-Pouyé, 1961, p. 58. Voir aussi Statuts synodaux du diocèse de Rennes, Dol et Saint-Malo…, op. cit., art. 190 : « Dans le corps de l’acte de Baptême doit être notée de façon délicate mais précise la légitimité ou l’illégitimité de la naissance. Pour ces annotations, on se conformera au D.A.A.S., no 89-95 (formulaire 22). »
70 Diocèse de Meaux, op. cit., p. 59.
71 Le Grand-Sébille C., « Naissances en maisons maternelles », M.-F. Morel (dir.), Accueillir le nouveau-né, d’hier à aujourd’hui, Toulouse, Éres, 2013, p. 307-320, p. 311.
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