Entre construction sociale et indicateur moral
L’illégitimité en France à l’époque moderne au prisme de la démographie historique
Social Construction or Moral Indicator
p. 35-53
Résumés
L’illégitimité est un phénomène démographique marginal tout au long l’époque moderne, bien que de proportion très variable d’une région à une autre et fluctuant au cours de la période. C’est pourtant un objet d’étude majeur en histoire sociale car il croise les grandes thématiques de l’enfance, de la famille, du mariage, les études genrées, l’histoire du droit, etc. L’illégitimité est un thème plus fécond en sociologie, en droit, en économie, en histoire sociale et culturelle qu’en démographie quantitative. Longtemps étudiée à travers le prisme déformant de la rigueur morale hérité du XIXe siècle, l’illégitimité se révèle être un formidable indicateur des changements que subissent les populations de l’Ancien Régime. Sa progression, entre le début du XVIIe et la fin du XVIIIe siècle, traduit sans doute moins l’essor des relations extraconjugales que la lente adaptation des populations françaises aux nouvelles règles de mariage, et donc de filiation, que l’Église comme l’État entreprennent d’imposer après le concile de Trente. Les variations du taux d’illégitimité sont corrélées aux mutations sociales et à l’évolution des mentalités, aux difficultés économiques qui retardent les unions, aux migrations et aux décès prématurés qui privent du promis, à la place faite aux femmes et aux plus vulnérables. Sa mesure à partir de l’état civil ancien ne peut être qu’incertaine, surestimée ici, sous-estimée là, car un grand nombre de facteurs influencent et nuancent l’intensité de ce phénomène.
Illegitimacy remains a marginal demographic phenomenon during all early modern period, although with high regional variations and chronological fluctuations in its intensity. Nevertheless, illegitimacy is a major research topic in social history which unites various themes, such as childhood, family, marriage, inheritance systems, gender, history of law, etc. Approaches to the subject draw more on sociology, law, and economic, social and cultural history than on quantitative demography. Studying illegitimacy freed from the social and moral background, inherited from the 19 th century, is still difficult; when illegitimacy mainly reflects changes affecting population lives during Ancient Regime. Its progression, between the beginning of 17 th and the end of 18 th century, is less correlated to the development of extramarital relations than to slow adaptations of French populations to new rules, in marriage legislation, and thus filiation, which Church as State imposed after Council of Trent. The variations of illegitimacy rate are correlated with social transformations and evolution of mentalities, with economic difficulties which delay marriages, with migrations and premature deaths which deprive of the promise, with women and most vulnerable social status. Its measure from parish registers is obviously uncertain, underestimated here, overestimated there, as so many factors influence and modify the intensity of this phenomenon.
Texte intégral
1La plupart des études sur l’illégitimité en France à l’époque moderne se sont focalisées, dans leurs débuts, sur sa mesure en tant qu’indicateur du respect des prescriptions religieuses et témoin de la sexualité des populations1, avant de considérer la condition des filles-mères2, la protection juridique et la prise en charge des enfants illégitimes3. Plus récemment, des travaux sur la construction sociale de la bâtardise et sur l’évolution de sa perception se sont fait jour4. L’objet de cette étude se situe à la charnière de ces différents thèmes car, derrière la marginalisation d’une fraction quantifiable de la population, transparaissent les difficultés des temps et les nécessaires adaptations d’une société en mutation. Plus étudiés que les naissances légitimes, les illégitimes ont suscité nombre de travaux en démographie historique, sans commune mesure avec la marginalité du phénomène au regard d’une analyse quantitative. Les chiffres bruts, issus d’innombrables monographies paroissiales, révèlent les variations statistiques de la fécondité illégitime, sans toujours en relativiser la portée. Le taux d’illégitimité5 est d’abord une mesure démographique, à laquelle on a longtemps prêté une signification morale, mais c’est aussi un formidable révélateur des tensions sociales, religieuses, économiques et politiques que concentre la période de l’Ancien Régime.
2L’objectif n’est donc pas ici d’analyser l’ampleur et les variations du taux d’illégitimité en France à l’époque moderne, telles qu’elles transparaissent à partir d’études locales et des enquêtes nationales de l’Ined6, mais d’examiner plutôt ce que mesure objectivement cet indicateur et ce que son intensité trahit, ou tait, compte tenu des contextes socio-économiques et des particularismes régionaux. Après une brève introduction sur la construction et l’utilisation de cet indicateur démographique, un rappel sera fait sur l’enregistrement de l’état civil ancien – source essentielle pour une approche statistique de l’illégitimité – et sur la législation matrimoniale, puisque de la forme d’union dépend le statut juridique de l’enfant. À une époque dominée par les disputes religieuses et où la mise en place d’un État centralisateur imposait un contrôle plus étroit des populations, y compris dans leur vie privée, la clarification des statuts matrimoniaux, que le droit médiéval avait parfois laissés dans le flou, s’imposait. Les législations ecclésiastique et étatique se sont aussi attachées à bien différencier les effets immédiats du mariage religieux, « seule source de légitimité de la famille7 », de ceux des autres formes d’union et à stigmatiser moins le concubinage que ses fruits, en marquant d’une infériorité juridique les enfants nés de ces unions8. Ces nouvelles normes institutionnelles ont donné à voir – et à comptabiliser – toute une frange de la population, restée longtemps invisible dès lors qu’aucun patrimoine significatif, titre de noblesse ou bénéfice ecclésiastique n’étaient en jeu. Le dernier point montrera que, si l’évolution des taux d’illégitimité suit la mise en place progressive du mariage, tel que voulu par l’Église autant que par l’État, elle reflète surtout les vicissitudes démographiques et socio-économiques qui affectent les populations françaises, du milieu du XVIe siècle à la veille de la Révolution.
Construction et utilisation de cet indicateur en démographie historique (XVIIIe-XXIe siècle)
3En démographie, la mesure de l’illégitimité repose sur des fondements anciens qui avaient, à l’origine, plus à voir avec des calculs de population qu’avec des velléités d’ordre moral. Elle a été introduite par les premiers arithméticiens politiques qui, à la fin du XVIIIe siècle, cherchaient à évaluer la fécondité, pour pouvoir ensuite estimer la population à partir du nombre annuel des naissances. Jusqu’aux travaux de Jean-Baptiste Moheau, les arithméticiens rapportaient le nombre de naissances annuelles à celui des mariages, ou à la population totale, obtenant ce qu’on appelle aujourd’hui le taux de natalité. Jean-Baptiste Moheau fut le premier à introduire, dans un ouvrage publié en 17789, différents calculs de la fécondité et à distinguer entre la fécondité générale (nombre de naissances rapporté au nombre de femmes, âgées de 15 à 49 ans) et la fécondité légitime (nombre de naissances rapporté au nombre de femmes mariées, âgées de 15 à 49 ans). Il lui était dès lors possible de calculer la proportion de naissances hors mariage (6,25 % du total des naissances en 1778), c’est-à-dire de mesurer la fécondité illégitime10. Ainsi furent posées pour plus de deux siècles, les bases de l’analyse statistique des comportements de reproduction11.
4Il est donc possible suivre l’évolution du taux d’illégitimité depuis la fin du XVIIIe siècle, à partir des données de l’état civil ou des tableaux statistiques que les préfets devaient réaliser chaque année ; et même antérieurement, si l’on s’appuie sur l’enregistrement ecclésiastique des actes de baptêmes. Ce phénomène démographique, au demeurant très marginal à l’époque moderne, a suscité l’engouement des historiens-démographes et la multiplication de travaux mesurant et discutant ses variations régionales ou chronologiques. À qui se demanderait bien pourquoi, il faudrait préciser qu’en France, la naissance et l’essor de la démographie historique sont intimement liés à la démographie proprement dite et aux préoccupations natalistes qui ont sous-tendu une large part de ses travaux depuis la fin du XIXe siècle. La mise en place de politiques de population natalistes, dès l’entre-deux-guerres, impliquait de connaître les paramètres de la fécondité et d’en esquisser les évolutions12, mais aussi de s’intéresser à ses déterminants biologiques et à la question de ses limites naturelles. C’est à cette tâche que Louis Henry, démographe à l’Ined, se consacre à partir des années 1950, utilisant les populations des XVIIe-XVIIIe siècles – qu’il supposait non-contraceptives13 – pour approcher la « fécondité naturelle », celle qu’auraient les populations en l’absence de tout contrôle des naissances. Fort d’un savoir-faire statistique et démographique incontestable, Louis Henry investit le champ neuf de la démographie historique14 et la modèle, pour plusieurs décennies, à l’aune de ses propres préoccupations15. En proposant à la communauté des historiens une méthode de dépouillement de l’état civil ancien et tout un ensemble d’analyses aisément réalisables, Louis Henry leur a aussi transmis le souci de distinguer les naissances légitimes des naissances hors mariage16.
5Ce qui n’avait, à l’origine, d’autre justification que de permettre une estimation des tendances démographiques et des projections de population, a pris une tout autre signification pour les historiens, désormais à même de quantifier la moralité des populations qu’ils étudiaient. De nombreuses voix s’étaient élevées, dès le début du XIXe siècle, pour dénoncer le recul de l’ordre moral et social, perceptible à travers le contrôle volontaire des naissances, les naissances hors mariage, les relations extra-conjugales et le divorce, que la laïcisation de l’état civil en 1792 avait rendu possibles. Les historiens allaient désormais pouvoir suivre la propagation des « funestes secrets », mesurer la libéralisation des mœurs, révéler les mutations sociales, familiales et religieuses des populations d’Ancien Régime. Le tableau est bien connu pour les XVIIe-XVIIIe siècles, car les registres paroissiaux distinguent les « enfants naturels et légitimes », nés d’une union officialisée par le sacrement du mariage, les « fils ou fille illégitime de » (les prénom et nom de la mère, plus rarement ceux des deux parents), et les enfants « trouvés, de parents inconnus17 ». Les très nombreuses monographies paroissiales produites sur le modèle préconisé par Louis Henry, ainsi que les enquêtes nationales et rétrospectives conduites par l’Ined entre 1958 et 1980, ont donné une image claire, bien que régionalement très contrastée, de l’illégitimité et de son évolution en France entre la fin du XVIIe siècle et le début du XIXe siècle (tableau 1)18.
Tableau 1. – Évolution du taux d’illégitimité en France de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle, d’après l’enquête de Louis Henry « Pour connaître la population de la France de Louis XIV à la Restauration ».
6Les époques antérieures sont toutefois moins renseignées car, d’une part, les travaux de démographie historique sont plus rares et plus complexes à mener ; d’autre part, l’enregistrement paroissial s’étant mis en place progressivement, tant dans l’ouverture des registres que dans le libellé des actes, les sources paroissiales sont souvent moins informatives19. Les tout premiers enregistrements de baptême, fin XVe-début XVIe siècle, à l’initiative des autorités diocésaines, ne comportaient généralement pas la filiation complète, ni le statut juridique du baptisé20. En revanche, ils devaient indiquer les noms des parrains et marraines, pour conserver trace de cette parenté spirituelle, importante dans le droit canon et obstacle à de futurs mariages. Dans quelques diocèses, notamment en Bretagne et dans les terres papales, le désir d’éviter les mariages consanguins ou incestueux a conduit à un enregistrement plus précoce des noms des père et mère. Les statuts synodaux de Paris (1515) assignent un objectif encore plus précis à la tenue de registres des baptêmes, qui doivent servir à « connaître la parenté spirituelle, et prouver l’âge véridique, la paternité et la filiation tant naturelle que spirituelle, ou la légitimité de l’enfant (legitima proles)21 ».
7Avec l’ordonnance royale de Villers-Cotterêts (août 1539), l’autorité civile intervient pour la première fois pour réglementer l’enregistrement des actes de baptêmes et de sépultures, qui doivent faire foi en justice22. Il ne s’agit ni d’établir la filiation naturelle ou spirituelle des enfants, ni de prouver leur légitimité, mais d’encadrer les bénéfices ecclésiastiques et de lutter contre les nombreuses dérives constatées. Les registres de baptêmes, où doivent figurer « le temps et l’heure de la nativité », ne sont que les moyens de contrôler l’âge (et de connaître la majorité ou la minorité des personnes), et ceux des sépultures, seulement pour « les personnes tenans bénéfice », doivent fournir « la preuve du temps de la mort ». Avec l’ordonnance dite de Blois (mai 1579), qui réglemente surtout les mariages (cf. infra), obligation est faite aux curés d’enregistrer les noms des parents et celui des parrains-marraines23. Sont également prévues l’obligation de dépôt des registres au greffe du tribunal et la délivrance d’extraits, car l’objectif est d’améliorer le cours de la justice en rendant plus fiable la preuve de l’âge, de l’état matrimonial et du décès des personnes24. Au siècle suivant, l’État n’exigera pas que l’état matrimonial des parents figure dans l’acte de baptême, considérant qu’une telle déclaration n’est point la substance de l’acte25.
8 A contrario, les autorités ecclésiastiques vont porter une grande attention au statut juridique des enfants, en application des décisions tridentines sur le mariage, bien que rien n’ait été formulé en ce sens à l’issue du concile de Trente. En effet, le décret de Tametsi (1563) demande à tous les curés de la chrétienté de tenir et de garder un registre des mariages (cf. infra) et un registre des baptêmes où ils devront inscrire le nom du baptisé et les noms des parrains-marraines, afin d’enregistrer la parenté spirituelle contractée et d’éviter les mariages incestueux26. Le premier texte de portée générale donnant des consignes très claires sur la manière d’enregistrer les baptêmes d’enfants illégitimes semble être le Rituel romain de 161327. Toutefois, dans certaines régions, existe un enregistrement plus précoce des naissances illégitimes, dont la décision d’ouverture, autant que la forme qu’il doit prendre, relèvent des autorités locales, ecclésiastiques ou laïques28. On peut s’accorder à dire que ce n’est qu’à partir de la toute fin du XVIe siècle, voire second quart du XVIIe siècle, et avec des décalages régionaux importants29, que les actes de baptême commencent à distinguer clairement les enfants légitimes des illégitimes, séparant de fait paternité biologique et paternité juridique30.
9Une telle dichotomie est inhérente au système patrilinéaire qui prévaut en Europe occidentale, dans lequel l’homme transmet son nom, ses biens et ses droits à ses enfants. Cependant, ce système d’héritage s’est longtemps heurté, dans son principe, à l’incertitude de la paternité biologique. Pour contourner cette difficulté, le droit romain avait fondé la paternité – en tant que notion juridique – sur le mariage, tandis que la maternité résultait de l’accouchement. C’est donc l’union des parents qui légitime les enfants et seule la fidélité de l’épouse garantit la parfaite adéquation entre paternité biologique et paternité juridique31. Paternité et filiation sont des phénomènes biologiques autant que sociaux et cette notion à double entrée explique qu’une naissance puisse être qualifiée d’« illégitime ». Ce que l’on trouve parfaitement illustré dans l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert32 : les « enfants naturels et légitimes » sont ceux des couples mariés devant un prêtre, ou qui ont été légitimés par mariage subséquent, et les « enfants naturels et illégitimes » sont ceux conçus et nés hors du mariage. On touche dès lors au cœur du problème : si la légitimité des enfants repose sur le mariage de leurs parents, de quel mariage s’agit-il ? Pour anodine qu’elle paraisse, cette question n’a pas toujours trouvé une réponse simple et unique.
Le mariage à l’époque moderne, compétence de l’Église ou de l’État ?
10Tout au long du Moyen Âge, l’Église a développé ses propres règles pour fixer le lien conjugal, proscrire le concubinage et le divorce, et a toujours revendiqué une compétence exclusive en matière de mariage. C’est donc elle qui détermine la filiation légitime, à travers la reconnaissance donnée à telle ou telle forme d’union. Le mariage ayant été l’un des points majeurs de la controverse entre l’Église romaine et la Réforme protestante, le concile de Trente (1542-1563) a largement débattu de cette question, et ses décisions auront un impact considérable sur la formation des couples. Trois dispositions modifient particulièrement la législation matrimoniale.
11D’une part, s’agissant de lutter contre les mariages clandestins33 – et les risques de mésalliances qui pouvaient en découler –, le concile de Trente abandonne la doctrine consensualiste du mariage et en fait un acte solennel. Les unions qui ne respectent pas les formes prescrites34 sont déclarées nulles et invalides ; les mariages par paroles de présent35, forme d’unions très répandue au XVIe siècle, sont désormais assimilés à des concubinages. Mais en cessant de reconnaitre la validité comme la légalité de ces mariages, l’Église « délégitime » les enfants nés de couples socialement reconnus (tableau 2). D’autre part, les fréquentations prénuptiales et la cohabitation des fiancés sont très vivement condamnées. Elles perdureront pourtant encore longtemps dans certaines régions de France, bien que les autorités ecclésiastiques les aient sévèrement réprimées à la fin du XVIIe siècle, sans réussir à les éradiquer totalement36. Enfin, pour pouvoir lutter contre les nombreux abus constatés, le décret Tametsi ordonne la tenue de registres de mariage, où doivent être consignés « le jour et le lieu auquel chaque mariage aura été fait, avec le nom des conjoints et des témoins37 ». Il s’agit par ce moyen de lutter contre la polygamie (notamment de la population mobile, comme les soldats, les marchands ambulants, les vagabonds) et les unions incestueuses (grâce aux registres de baptême, également prévus).
12L’État aussi s’intéresse de près à la formation des couples, car à travers le mariage ce sont des alliances entre familles, des réseaux de solidarité et de clientèle qui se nouent. Pour lui, il s’agit moins de lutter contre les relations hors mariage ou extra-conjugales, que contre les unions « clandestines » et d’éviter les mariages conclus sans le consentement des parents, qui font naître des petits-enfants – et surtout des héritiers et successeurs – non désirés. En matière de formation et de contrôle du mariage, l’État prend progressivement le pas sur l’Église, avec pour objectif de remédier aux mariages trop faciles à conclure et impossibles à dissoudre. C’est le sens de l’édit de Henri II (1556)38 et de l’ordonnance de Blois (1579)39. Le principe de consensualité, sur lequel le mariage se fondait, avant même l’exigence d’union charnelle, n’exigeait ni de publicité, ni autorisation des parents40. Deux libertés que les ordonnances royales combattront sans relâche, déclarant nuls les mariages qui n’auraient pas été célébrés publiquement (ordonnance de 1629, réitérée en 1639)41 et insistant sur le nécessaire consentement des parents pour les futurs époux mineurs42 et sur la sollicitation de leurs « avis et conseils » pour les majeurs43. Ces dispositions ont conduit certains couples à rester dans des relations hors mariage, voire adultères. Là où l’Église exige un acte solennel, l’État exige un acte solennel et public, privant d’effets civils certaines des unions reconnues par les autorités ecclésiastiques (tableau 2).
13Parallèlement à la législation fixant la formation du lien matrimonial, l’État intervient sur les moyens d’administration de la preuve, avec des conséquences importantes pour la légitimité des certains enfants. Le concile de Trente avait bien préconisé la tenue de registres de mariages, qui pourraient servir pour l’administration de la preuve, mais sans interdire les autres moyens tels que la preuve par témoins, par renommée, ou par la possession d’état. Avec le Code Louis de 166744, qui reprend et renforce les dispositions déjà prévues par les ordonnances précédentes de 1539 et 1579, la preuve juridique du mariage doit être donnée au moyen des registres paroissiaux (sauf en cas de perte ou d’absence de registres). À compter de la date d’application de cette ordonnance, variable d’une région à l’autre, les registres, cotés et paraphés par le juge royal, servent de preuve et la délivrance d’extraits devient désormais possible. Là où l’administration de la preuve par témoins ou par possession d’état prévalait, la production d’un certificat de mariage signé par le curé de la paroisse d’origine, et authentifié par son dépôt au greffe du tribunal, est désormais nécessaire45. Certains curés le demanderont, d’autres resteront plus « souples », car les prescriptions royales étaient bien souvent librement interprétées par les dépositaires de l’état civil ancien46. Cependant, l’évolution de la législation et de la jurisprudence laïques vont amener les curés à contrôler plus étroitement les déclarations de filiation (nom du père, statut matrimonial), notamment à l’égard des couples forains et des familles protestantes, privées d’état civil avec la Révocation de l’édit de Nantes en 168547.
14Ainsi, à compter de l’ordonnance de 1736, réitérant celle de 1667 qui n’avait pas été appliquée partout dans le Royaume avec le zèle attendu, la législation en matière de mariage et l’administration de sa preuve sont bien établies et dûment contrôlées par le pouvoir royal. Si l’Église conserve sa compétence en matière de validité du lien matrimonial ; l’État en garantit l’administration de la preuve et les règles qu’il a fixées privent d’effets civils certains mariages religieux (tableau 2), remettant en cause la légitimité de certains enfants48. Si les couples concubins ne sont généralement pas poursuivis pénalement en raison de leur situation, la sanction en est reportée sur leurs enfants auxquels ils ne peuvent transmettre leurs charges et leurs biens49 Dans les couches populaires, ces « inconvénients » étaient sans doute mineurs et expliquent le (re)développement du concubinage dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, voire son maintien tout au long de la période dans certaines régions (cf. infra). Il n’en était sans doute pas de même dans les régions fortement soumises au dogme de l’Église catholique et romaine, où la réprobation morale, tant familiale que communautaire, a entraîné bien des drames (émigration, célibat définitif, abandon ou décès prématuré de l’enfant).
Que mesure-t-on en démographie historique ?
15Dans le contexte de profondes mutations de religieuses, juridiques, politiques et sociales qui caractérise l’époque moderne, que mesure le taux d’illégitimité et que peuvent révéler les variations d’un indicateur nécessairement biaisé ? Le taux d’illégitimité, calculé à partir de l’état civil ancien, est en effet très dépendant de la qualité de l’enregistrement ecclésiastique. La mention d’une naissance illégitime est l’ultime aboutissement d’une série de choix, ou plutôt de non choix, de la conception à la naissance d’un enfant. Ainsi, la proportion d’enfants déclarés « illégitimes » n’est que la partie visible d’une succession de décisions prises – ou subies – au niveau individuel, familial et collectif (illustration 1). Pour un nouveau-né conçu et né hors mariage, combien de relations restées stériles (volontairement ou non) ? Combien d’avortons jetés « en des lieux secrets et immondes » (édit de 1556), dans les latrines et les fosses-dépotoirs, où l’archéologue les met parfois au jour50 ? Combien d’enfants décédés – naturellement ou non – avant d’être portés sur les fonts baptismaux ? Et combien d’autres, légitimés par le statut matrimonial de leur mère, des preuves par témoins ou, encore, l’indulgence du curé ?
Tableau 2. – Variété des formes d’union héritées du Moyen Âge qui existent à la fin du XVIe siècle, et qui disparaissent peu à peu (dans les textes législatifs tout au moins) durant le XVIIe siècle, sous la double action de l’Église et de l’État.
D’après l’Encyclopédie de Diderot et D’Alembert (1751-1772), article « Mariage » et article « Fiançailles » (écrits par Boucher d’Argis) ; et la législation religieuse et laïque.
16Et comment distinguer, à partir des registres paroissiaux, les enfants nés de couples concubins ou de relations éphémères, et ceux nés d’une relation adultère ou incestueuse. Cette distinction, opérée par la législation51, est rarement perceptible au travers des actes de baptême de l’époque moderne. Dans la plupart des cas, le nom du père ne figure pas dans l’acte de baptême et, aux yeux de l’historien-démographe, l’enfant illégitime semble être le fruit d’amours éphémères, et souvent ancillaires. Cependant, bien qu’il soit difficile de repérer, au travers de cette seule source, les couples durablement établis dans le concubinage, des fratries d’illégitimes pourraient en faire suspecter l’existence. Plus indétectables encore sont les enfants adultérins, dont bon nombre sont assimilés soit aux illégitimes, soit aux enfants « naturels et légitimes », selon le statut matrimonial de leurs mères. Il faut recourir à d’autres sources historiques, judiciaires par exemple, pour espérer les atteindre.
17Cependant, les études de démographie historique sont à même de révéler ce que l’état civil ancien ne pouvait pas enregistrer : les conceptions prénuptiales52, que l’on peut considérer comme autant de naissances illégitimes potentielles, légitimées par un mariage, parfois in extremis. Il faut cependant se garder d’interpréter systématiquement ces unions comme des mariages de réparation car dans de nombreuses provinces françaises, notamment le Sud-Ouest, la fréquentation des fiancés était chose courante, voire encouragée, afin de s’assurer de la fertilité du couple avant de s’engager dans les liens indissolubles du mariage53. Par ailleurs, cherchant à mesurer l’importance des relations hors mariage – tout au moins celles qui ont produit quelque fruit –, les historiens-démographes ont souvent eu la tentation de prendre en compte, en sus des naissances illégitimes et des conceptions prénuptiales, les enfants trouvés, faisant implicitement le lien entre abandon et naissance inavouable54. Cependant, une telle association ne va pas de soi, ni du point de vue du droit qui, dans le doute, statue sur le principe le plus favorable55, ni dans les faits car de nombreuses études pointent la très forte corrélation entre augmentation du prix des céréales et multiplication des abandons d’enfants56. Elle est sans doute plus acceptable quand la généralisation des « tours d’abandon » a permis aux filles-mères de déposer leurs nouveau-nés non désirés dans le plus grand anonymat57, augmentant ainsi significativement la part des enfants illégitimes dans les admissions des hôpitaux et institutions de charité. Toutefois, cette « facilité » étant essentiellement urbaine, inclure les enfants trouvés, dont on ignore le statut réel, dans le calcul de l’illégitimité conduit à la surestimer en zone urbaine et à la sous-estimer dans les campagnes (tableaux 1 et 3).
Tableau 3. – Évolution du taux d’illégitimité, en France de la fin du XVIIe au début du XIXe siècle, avec et sans les enfants trouvés, d’après les enquêtes nationales de l’Ined.
18La mesure de l’illégitimité à l’époque moderne à partir des registres paroissiaux est nécessairement imparfaite. Si elle permet une approche statistique globale du phénomène et une mise en parallèle avec d’autres observations sérielles, elle n’offre pas la richesse qualitative d’autres sources historiques, telles que les déclarations de grossesse, les procès en séduction, etc., généralement étudiées à une échelle locale.
19L’illégitimité et ses variations, de la fin du XVIe à la fin du XVIIIe siècle, ont été l’objet de diverses analyses interprétatives qu’il est nécessaire de reconsidérer ici à la lumière des apports récents de l’historiographie. Perçue, dans les années 1960-1980, comme un indicateur du comportement sexuel des populations anciennes et du respect qu’elles témoignaient aux préceptes religieux et moraux, dont la rigueur est allée crescendo, l’illégitimité apparaît aujourd’hui comme un phénomène plus complexe. Un faible taux d’illégitimité s’explique-t-il par des comportements individuels irréprochables au regard de la morale catholique et étatique ; par le renforcement de l’encadrement religieux et judiciaire des populations ; par une plus grande maîtrise des méthodes contraceptives (ou de l’infanticide) ; ou, à l’inverse, est-il le reflet de complicités familiales et communautaires tendant à légitimer les enfants nés de relations prénuptiales ou de concubinages acceptés ? A contrario, un taux d’illégitimité élevé est-il l’amorce d’une déchristianisation de la population ou témoigne-t-il d’une forte présence protestante dans certaines régions ; est-il le reflet de comportements individuels dépravés ou la preuve de violences faites aux femmes ; marque-t-il les progrès de la lutte contre l’avortement et l’infanticide ou, tout au contraire, l’acceptation collective de la pratique du concubinage ?
Fig. 1. – Les naissances illégitimes, partie visible des relations extra-conjugales.
20Sans prétendre à une revue exhaustive des explications possibles, il est possible d’en examiner quelques-unes ici.
L’illégitimité, témoin de progrès faits dans la lutte contre l’infanticide et l’avortement ?
21Stigmatisant d’un côté les enfants nés d’unions illicites, l’État et l’Église manifestent, de l’autre, le souci de les conserver. C’est le sens de l’édit d’Henri II de février 1556, contre « le recelé de grossesse et accouchement », qui enjoint aux filles non mariées et aux veuves de déclarer leur grossesse sous peine de mort, car elles sont suspectées par principe d’infanticide58. L’État, comme l’Église, ont intérêt à lutter contre les avortements et les infanticides qui les privent, l’un, de nouveaux sujets (alors qu’« il n’y a ni richesse ni force que d’hommes59 ») ; l’autre, de fidèles (sans oublier le problème crucial des enfants morts sans baptême que la doctrine catholique prive du salut éternel). Le recours à l’avortement et à l’infanticide était souvent jugé par les familles comme moins grave qu’une naissance illégitime, preuve manifeste des amours illicites et future charge financière60. L’édit d’Henri II a dû être réitéré à plusieurs reprises, en raison de la persistance de ces pratiques face à une grossesse non désirée61. Le durcissement de la législation à l’encontre des femmes tout au long du XVIIIe siècle pourrait expliquer, pour partie, l’élévation observée des taux d’illégitimité à compter de 1750. Car, au fur et mesure que la contrainte ecclésiastique, tout autant de judiciaire, se fait plus forte, l’opprobre est jeté sur les mères célibataires dont la situation se dégrade, notamment avec l’abandon des poursuites contre les séducteurs. Là où, aux XVIe-XVIIe siècles, la victime pouvait obtenir le mariage promis, elle n’a pas plus, au XVIIIe siècle, le secours de la justice62. De victimes, elles sont devenues coupables, et le silence des filles-mères, qui pourraient en nommant le géniteur prétendre à quelques subsides de sa part63, est à relier au durcissement de la loi et au discrédit jeté sur la parole des femmes (et peut-être aussi d’abus constatés à l’occasion des déclarations de grossesse). L’absence fréquente de mention du père dans les actes de baptême d’enfants illégitimes est à mettre en parallèle avec ce changement d’attitude ; de même, l’exigence de la signature du père à partir de 1667. Ce contexte fait aussi de nombreuses victimes parmi les enfants : si le recours à l’avortement ou à l’infanticide, moins dangereux pour la mère, semble bien reculer au XVIIIe siècle, les chances de survie des petits illégitimes se réduisent, elles, drastiquement. Leur mortalité dans les hôpitaux et chez les nourrices est très largement supérieure à celles des nourrissons légitimes.
L’illégitimité comme reflet d’une contraception hors mariage maîtrisée
22Les taux de naissances illégitimes observés entre 1670 et 1739, voire jusqu’à la Révolution, restent très faibles, trop faibles sans doute, eu égard d’une part au décalage entre l’âge de la puberté et l’âge moyen auxquels les jeunes adultes accédaient au mariage et d’autre part, à l’augmentation du taux de célibat (tableau 4). Considérant que les grossesses et les conceptions prénuptiales ne s’observent pas dans les populations où les jeunes filles sont mariées à peine pubères, les relations prénuptiales apparaissent plus corrélées à la maturité sexuelle plus qu’à une a-moralité. Peut-on réellement croire que, dans une société où l’âge moyen au premier mariage intervient près de 10 ans après l’âge de la puberté64, célibat prolongé ait rimé avec virginité ? Au contraire, la faiblesse de ces taux laisse à penser que les couples illégitimes devaient pratiquer la contraception avec une certaine efficacité (et en oubliaient l’usage une fois mariés65). Et, en cas d’échec, un mariage pouvait venir sauver la situation. L’augmentation de la proportion de conceptions prénuptiales, tout au long de la période, dénote la banalité des fréquentations prénuptiales, sans doute avec des connivences familiales. Pour les femmes dont les espoirs d’union se sont trouvés brisés un véto parental, le départ ou la trahison du promis, ces relations prénuptiales risquaient de déboucher sur la naissance d’un enfant illégitime. L’augmentation de l’illégitimité au XVIIIe siècle traduit aussi, pour partie, le fiasco d’unions programmées.
Tableau 4. – Évolution de l’âge moyen au premier mariage et du célibat définitif des femmes en France de la fin du XVIe au début du XIXe siècle66.
Âge moyen au premier mariage |
Fin XVI e |
Mi XVII e |
Début XVIII e campagnes |
Début XVIII e villes |
Fin XVIII e |
Filles |
19,1 |
23,4 |
24,5 |
26,4 |
27,1 |
Garçons |
26,6 |
29,1 |
29,6 |
||
Proportion de femmes célibataires à 50 ans |
6 |
9 |
12 |
14 |
L’illégitimité, conséquence de tensions économiques et démographiques
23« L’illégitimité n’est pas un phénomène isolé mais l’une des issues possibles des liaisons qui se nouent en vue du mariage67 » ; certaines se dénouent heureusement, d’autres échouent, temporairement ou définitivement. Des causes économiques et des facteurs démographiques particuliers peuvent amplifier le risque de naissances illégitimes. Ainsi, ces mariages tardifs, que Jacques Dupâquier68 considérait comme un frein contraceptif, apparaissent plutôt comme la conséquence des tensions économiques qui imposent aux futurs mariés un temps d’attente69. Filles et garçons doivent se placer quelques années durant, à la ville ou à la ferme, pour réunir le petit capital ou la dot qu’ils pouvaient naguère hériter de leurs parents (en raison de décès plus précoces, de cycles économiques plus favorables, de structures familiales plus solidaires). Ce mode de vie prémaritale touche plus particulièrement des jeunes gens issus de la campagne et des milieux urbains modestes et, à l’inconfort de la situation, s’ajoutent le stress de la migration et la solitude du déracinement. Les couches sociales les plus exposées aux relations prénuptiales sont bien les domestiques, les apprentis et les salariés agricoles70. Il semble logique d’y trouver aussi la plus forte proportion de filles-mères, non par ignorance des « funestes secrets » mais en raison de l’importance de cette catégorie de population soumise au risque de grossesse non désirée. Des taux d’illégitimité plus élevés à la ville qu’à la campagne (cf. tableau 1) ne signifient pas un plus grand relâchement des mœurs, sinon une plus forte concentration de célibataires et de veuves dans les centres urbains. Les études de démographie historique montrent qu’entre la moitié et les deux tiers des filles-mères sont originaires de zones rurales, qu’elles ont quittées pour travailler (cas les plus fréquents) ou pour accoucher à la ville.
24Leur fâcheuse situation est aussi rendue possible par la plus grande mobilité des hommes qui n’hésitent plus à partir, pour chercher du travail ailleurs ou fuir leurs responsabilités. Les difficultés de la période (guerres, famines, épidémies, faillites et banqueroutes) ont jeté sur les routes un très grand nombre d’hommes et de femmes, dont beaucoup sont attirés par la ville où ils espèrent une embauche, une assistance aux plus démunis, ou un plus grand anonymat71. Les exactions religieuses et les guerres incessantes ont aussi entraîné le départ de nombreux jeunes gens, réquisitionnés dans les armées ou la marine du Roi, et parfois leur mort prématurée. Ainsi, des causes économiques, comme les chertés alimentaires ; des facteurs démographiques, comme une augmentation de la mortalité adulte ou les migrations ; des facteurs politiques ou religieux, comme les guerres, conditionnent la conclusion ou non des mariages prévus et, par ricochet, jouent un rôle dans la variation du taux d’illégitimité72.
L’illégitimité comme marqueur de différentes pratiques coutumières ou religieuses
25L’appartenance à une communauté religieuse autre que l’Église catholique et romaine crée, en l’absence d’un état civil laïc, les conditions d’une non-reconnaissance de leur mariage et d’une assimilation des couples légitimes à de simples concubins. Ce phénomène échappe à l’historien-démographe qui s’attache à suivre l’illégitimité à travers les registres de catholicité73, exception faite de la population protestante qui, de 1685-1787, fait porter ses enfants sur les fonts baptismaux catholiques et dont les actes de baptême portent parfois, en marge, des signes discriminants.
26Dans certaines régions de France74, l’illégitimité ne revêt pas le caractère déshonorant que les pressions de l’Église et de l’État lui ont donné ailleurs. Cela tient soit à la persistance d’autres formes d’union, socialement reconnues et acceptées, soit à des modes de transmission très inégalitaires qui attribuent tout l’héritage à l’aîné (ou à l’enfant désigné), laissant les autres dans un état similaire à celui du bâtard qui ne peut pas hériter de ses parents75. Dès lors que la compétition pour l’héritage et la transmission des offices et des charges est réduite à néant par ces règles successorales, accueillir un ou plusieurs enfants illégitimes dans la famille ne pose pas plus de problèmes qu’accueillir des puînés, que l’on sait condamnés au célibat ou à la migration. Dans les régions aux pratiques successorales égalitaires, c’est une autre histoire : les héritiers légitimes n’ont que peu envie de voir leur part d’héritage un peu plus amputée, l’illégitimité y est alors largement déclarée et stigmatisée.
27Ainsi donc, l’illégitimité différentielle est-elle non seulement étroitement dépendante des formes d’unions localement admises, mais aussi des modes de transmission des patrimoines au sein des fratries76.
*
28Jean-Louis Flandrin expliquait l’augmentation du nombre de naissances illégitimes et de conceptions prénuptiales entre le XVIIe et le XVIIIe siècle par la conjonction de plusieurs facteurs : les transformations juridiques post-tridentines qui rendent beaucoup plus difficile pour une jeune fille enceinte la réparation par le mariage, l’élévation de l’âge au mariage et l’augmentation du nombre de célibataires, la suppression des anciennes libertés de fréquentation des fiancés, la fermeture des bordels municipaux et l’exode rural des jeunes filles77. De nombreux autres facteurs se sont faits jour, comme le durcissement des règles d’appréciation de l’état matrimonial des parents ou de déclaration de paternité, la suppression de la liberté de culte pour les protestants, les progrès de la lutte contre l’avortement et l’infanticide avec pour corollaire une augmentation des abandons d’enfants (quel que soit leur statut d’ailleurs), ou l’aggravation de la précarité et de l’insécurité qui jettent sur les routes une population toujours plus nombreuse, et qui, tous, créent les conditions d’une mention d’illégitimité. Certains facteurs démographiques, des tensions économiques et des oppositions familiales décisives sont venus contrecarrer des projets de mariage qui auraient dû ou pu légitimer le fruit de relations prénuptiales. Ici ou là, des systèmes d’héritage inégalitaires, ou la permanence de pratiques autorisant la cohabitation des fiancés, permettent d’accueillir les enfants illégitimes sans les stigmatiser. Ailleurs, mère et enfant sont confrontés à une discrimination sociale et légale plus rigoureuse que jamais, qui ne manque pas d’accroître la vulnérabilité de l’un et de l’autre. Entre considérations d’ordre religieux et considérations d’ordre social, la condition juridique faite au bâtard oscillera, trois siècles durant, entre deux tendances : la défense de la famille et la protection de l’enfant78.
29Il est intéressant de noter que cette catégorie sociale repose, non pas sur les caractéristiques des individus eux-mêmes, mais sur le statut matrimonial de leurs parents au moment de leur naissance, et qu’elle n’a véritablement de sens qu’au regard de règles juridiques qu’elle impose. Celles-ci tiennent, d’une part, à l’obligation de nourrir et d’éduquer l’enfant (responsabilité de tous les parents) et, d’autre part, aux modalités de transmission du patrimoine. À l’époque moderne, les problèmes de transmission d’héritage et de charges étaient l’apanage d’une frange très étroite de la population, et l’illégitimité aurait pu rester entre les mains des seuls juristes, si l’État et l’Église ne s’en étaient servis comme d’un tableau auquel contraster la famille idéale dont ils parachevaient l’élaboration.
30En ce sens, l’illégitimité est une construction sociale et morale79, et son étude peine encore à s’affranchir de cette représentation inconsciente. Cependant, la proportion de naissances illégitimes – ou du moins ce qu’on en perçoit aux XVIIe et XVIIIe siècles – est surtout un formidable indicateur des tendances passées et des mutations en cours. Loin de n’être que le reflet d’une transgression de l’ordre moral, elle témoigne au contraire de la lente transformation de la société, confrontée à nouvelles règles en matière de formation du lien matrimonial. L’acte solennel – et public – qu’est devenu le mariage post-tridentin a condamné à une disparition, plus ou moins rapide, les diverses formes d’union qui avaient cours jusqu’alors (cf. tableau 2). Le renforcement du contrôle parental et étatique sur la formation des couples – et par voie de conséquence sur la désignation des héritiers –, et sur le mode d’administration de la preuve a considérablement réduit les libertés individuelles, mais aussi les possibilités d’arrangement, voire de tromperie, dans l’enregistrement des actes paroissiaux. Le contrôle malaisé de l’état civil des migrants, le poids de la preuve par témoins ou par possession d’état plutôt qu’écrite, la persistance de certaines traditions locales auxquels les prêtres, enracinés dans les terroirs, ne manquaient pas d’être sensibles, suffisent sans doute à expliquer la faiblesse des taux d’illégitimité généralement constatés au XVIIe siècle. L’augmentation des naissances hors mariage tout au long du XVIIIe siècle pourrait traduire, elle, les difficultés que les jeunes gens rencontraient pour accéder au mariage, mais aussi, voire surtout, les progrès réalisés dans la tenue de l’état civil ancien.
Notes de bas de page
1 Voir par exemple Flandrin J.-L., « Contraception, mariage et relations amoureuses dans l’Occident chrétien », Annales économies, sociétés, civilisations, 1969, 24, 6, p. 1370-1390 ; id., « Enfants illégitimes et enfants trouvés à Paris au XVIIIe siècle », Annales de démographie historique, 1973 ; id., Le sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Le Seuil, 1981 ; Shorter E., « Illegitimacy, Sexual Revolution, and Social Change in Modern Europe », The Journal of Interdisciplinary History, 2, 2, 1971, p. 237-272 ; id., Naissance de la famille moderne : XVIIIe-XXe siècles, Paris, Le Seuil, 1977 ; Laslett P., Family Life and Illlicit Love in Earlier Generations, Cambridge, Cambridge University Press, 1977 ; Laslett P., Oosterveen K. et Smith R. M. (dir.), Bastardy and its comparative history : studies in the history of illegitimacy and marital nonconformism in Britain, France, Germany, Sweden, North America, Jamaica and Japan, Londres, E. Arnold, 1980 ; Goody J., L’évolution de la famille et du mariage en Europe, Paris, Colin, 1983 ; Teichman J., Illegitimacy : an examination of bastardy, Ithaca, New York, Cornell University Press, 1982.
2 Voir par exemple Phan M.-C., Les Amours illégitimes : histoires de séduction en Languedoc, 1676-1786, Paris, Éd. du Centre national de la recherche scientifique, 1986 ; Demars-Sion V., Femmes séduites et abandonnées au XVIIIe siècle : l’exemple du Cambrésis, Lille, Espace juridique, Histoire judiciaire, 1991.
3 Voir par exemple Phan M.-C., « Les déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) : essai institutionnel », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 22, 1, 1975, p. 61-88 ; Renaut M.-H., « Le droit et l’enfant adultérin », Revue historique, 602, 1997, p. 369-408 ; Tinkovà D., « Protéger ou punir ? Les voies de la décriminalisation de l’infanticide en France et dans le domaine des Habsbourg (XVIIIe-XIXe siècles) », Crime, Histoire & Sociétés, 9, 2, 2005, p. 43-72.
4 Voir par exemple Blaikie A., Illegitimacy, sex and society: Northeast Scotland, 1750-1900, Oxford, Clarendon Press, 1993; id., « Scottish Illegitimacy: Social adjustment or Moral Economy? », The Journal of Interdisciplinary History, 29, 2, 1998, p. 221-241; Reekie G., Measuring immorality. Social inquiry & the problem of illegitimacy, Cambridge, Cambridge University Press, 1998; Gerber M., Bastards: Politics, Family and Law in Early Modern France, Oxford, Oxford University Press, 2012.
5 Nombre de naissances illégitimes rapporté au total des naissances, généralement mesuré annuellement.
6 L’enquête rétrospective de Louis Henry « Pour connaître la population de la France de Louis XIV à la Restauration » permet de suivre l’évolution des taux de l’illégitimité, avec une portée qu’il souhaitait nationale. Les travaux d’Yves Blayo en ont révélé la courbe ascendante à compter de la seconde moitié du XVIIIe siècle (Blayo Y., « La proportion des naissances illégitimes en France de 1740 à 1829 », Population, numéro spécial : « Démographie historique », novembre 1975, p. 64-70 ; id., « Illegitimate births in France from 1740 to 1829 and in the 1960s. », P. Laslett, K. Oosterveen et R. M. Smith [dir.], Bastardy and its comparative history, op. cit., p. 278-283). L’analyse préparée par Jacques Houdaille, pour la période précédente (1670-1739), est restée inédite et fournit pour partie les données du tableau 1. On trouvera dans Burguière A. et Lebrun F., La famille et l’Occident du XVIe au XVIIIe siècle, Bruxelles, Éditions complexes, 2005, p. 76-78 et dans Minvielle S., La famille en France à l’époque moderne (XVIe-XVIIIe siècle), Paris, A. Colin, 2010, p. 124-125, un petit aperçu des taux d’illégitimité recensés dans les monographies paroissiales couvrant la période fin XVIIe-fin XVIIIe siècle.
7 P.-A. Merlin, Répertoire universel et raisonné de jurisprudence, t. 7, Paris, Chez Garnery, 3e édition, 1808, article « Légitimité », p. 191.
8 « On a reconnu que le frein le plus fort qu’on peut apporter aux conjonctions illicites étoit de flétrir, en quelque sorte, les enfants qui en étoient le fruit » (Antoine-Louis Séguier [1724-1792], avocat général au Parlement de Paris, 1779, cité par Duvillet A., Du péché à l’ordre civil, les unions hors mariage au regard du droit (XVIe-XXe siècle), thèse de doctorat d’histoire du droit, université de Bourgogne, 2011).
9 Jean-Baptiste Moheau (1745-1794) et Aguet de Monthyon, Recherches et considérations sur la population de la France. Paris, chez Moutard, 1778 (chap. x). Il rapporte le nombre des naissances au nombre total de femmes, quel que soit leur âge, comme l’avait fait Louis Messance (1734-1796), mais aussi au nombre de femmes mariées et au nombre de femmes en âge de procréer, qui correspond au mode de calcul actuel de l’indice de fécondité.
10 Behar C., « La mesure de la fécondité chez les premiers démographes », Annales de démographie historique, 1985, p. 173-196 ; id., « L’analyse de la fécondité et de la mortalité », Moheau Jean-Baptiste (1745-1794), Recherches et considérations sur la population de la France, 1778, rééd. annotée par E. Vilquin, avec les contributions de C.-L. Behar, P. Bourcier de Carbon, A.-M. Bourguet et al., Paris, Ined, 1994, p. 457-468.
11 La distinction entre fécondité légitime et fécondité illégitime sera maintenue dans les études de population jusqu’à la fin du XXe siècle, voire jusqu’au début du XXIe siècle puisqu’il faut attendre l’ordonnance du 5 juillet 2005, entrée en vigueur en juillet 2006, pour voir supprimées du code civil ces deux notions que l’égalité de droits des enfants nés hors mariage et des enfants nés de couples mariés rendait caduques.
12 Ce qu’il était aisé de faire à partir de la fécondité légitime car elle est étroitement corrélée au nombre de mariages et l’âge au mariage. En connaissant la proportion de personnes qui se marient et l’âge auquel elles se marient (l’intensité et le calendrier de la nuptialité), il est possible d’estimer le nombre des naissances à venir.
13 Supposer que les couples n’intervenaient pas de manière volontaire dans leur comportement reproductif, permettait à Louis Henry – et d’une manière générale, aux démographes – de réduire l’analyse du phénomène à trois variables (l’état matrimonial de la femme, son âge au mariage et son âge à la naissance de ses enfants) et d’en déduire que les variations de fécondité avec l’âge ne dépendaient que de facteurs biologiques. Ce faisant, tout aspect social et individuel était gommé dans la compréhension des intentions de fécondité, et la fécondité illégitime, qui aurait pu éclairer ces pans, a été considérée comme marginale jusqu’à la seconde moitié du XIXe siècle. Depuis, l’analyse de la fécondité s’est totalement renouvelée.
14 Les historiens, et notamment Pierre Goubert, avaient montré qu’on pouvait utiliser les registres paroissiaux à des fins démographiques.
15 Séguy I., « The French school of historical demography (1950-2000): strengths and weaknesses », A. Fauve-Chamoux, S. Sogner et I. Bolovan (dir.), An History of Historical Demography, Bern, Peter Lang, à paraître.
16 Fleury M. et Henry L., Manuel de dépouillement et d’exploitation de l’état civil ancien, Paris, Ined, 1967.
17 Selon la distinction proposée par l’abbé Antoine Lacroix pour les enfants baptisés à l’hôpital de Lyon : les légitimes, les illégitimes et les « exposés » (État des baptêmes, des mariages et des mortuaires de la ville et des faux bourgs de Lyon pour les années depuis 1766 et 1767 par un des Messieurs de l’Académie des sciences, belles lettres et arts de Lyon [M. l’abbé Lacroix], Lyon, imprimerie Aimé de la Roche, 1778, p. 39 ; sur une indication de Christine Théré que je remercie).
18 Depuis, les études longitudinales ont renouvelé l’approche de l’illégitimité aux XIXe-XXe siècles, mesurant les mariages régularisant une première naissance, identifiant les couples s’installant dans le concubinage à travers la répétition de ces naissances illégitimes, suivant le destin des fiancés, etc. (voir par exemple les travaux de Brunet G., Aux marges de la famille et de la société. Filles-mères et enfants assistés à Lyon au XIXe siècle, Paris, L’Harmattan, coll. « Villes, histoire, culture, société », 2008 ; Neven M. et Oris M., « Contrôle religieux, contrôle social : la fécondité dans l’Est de la Belgique dans la seconde moitié du XIXe siècle », ADH, 2, 2003, p. 5-32 ; Bavel J. van, « Family Control, Bridal Pregnancy, and Illegitimacy : An Event History Analysis in Leuven, Belgium, 1846-1856 », Social Science History, 25, 3, 2001, p. 449-479). Leurs méthodes ne sont cependant guère applicables aux populations des XVIe-XVIIIe siècles, en raison de l’incomplétude des sources, et leurs résultats ne sont pas transposables aux débuts de l’époque moderne, encore fortement marqués par les traditions médiévales. Elles incitent cependant à revisiter l’enquête de Louis Henry où les naissances illégitimes, relevées dans l’échantillon de « 40 villages » pour lesquels les familles ont été reconstituées sur près de deux siècles, n’ont jamais été exploitées et constituent peut-être une nouvelle « richesse en friche » (Henry L., « Une richesse démographique en friche : les registres paroissiaux », Population, 8, 2, 1953, p. 281-290).
19 Levron J., « Les registres paroissiaux en France », Archivum, 1959, p. 55-100 ; Le Mée R., « La réglementation des registres paroissiaux en France », Dénombrements, espaces et société : recueil d’articles, Paris, Société de démographie historique, 1999, p. 21-62 ; Delsalle P., Histoires de familles : les registres paroissiaux et d’état civil, du Moyen Âge à nos jours : démographie et généalogie, Besançon, Presses universitaires de Franche-Comté, 2009.
20 Exemple pris à Saint-Nicolas de Nantes (Loire-Atlantique) : « le 20me jour dudit mois [octobre 1467], fut baptisé un enfant masle a Jehan Duloroulx, nommé Jehan, et furent les parrains Jehan Basieve et Jean Guylloux et la marraine Yvonne, femme (de) Guillaume Le Masson » (AD, Loire-Atlantique, en ligne).
21 Voir la citation latine in Le Mée R., « La réglementation des registres paroissiaux », art. cit., p. 27.
22 Cette ordonnance, de portée nationale, enjoint aux curés de tenir des registres de baptêmes (« Aussi sera faict registres, en forme de preuve, des baptêmes, qui contiendront le temps et l’heure de la nativité, et par extrait dudict registre, se pourra prouver le temps de majorité ou de minorité, et sera pleine foy à ceste fin », art. 51) et de décès (pour les bénéficiaires, art. 50, 54 et 55), qu’ils doivent signer et qui sont contresignés par un notaire royal (art. 52) et déposés au greffe de la juridiction royale (art. 53), afin d’éviter toute fraude (mais ce dernier point n’a pratiquement jamais été respecté). Elle exige aussi que tous les actes devant servir de preuve en justice soient rédigés en français, et en particulier les actes de baptêmes et de sépultures (art. 111). (Recueil général des anciennes lois françaises : depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789, t. 12, éd. F.-A. Isambert, Decrusy, Armet, Paris, Belin-Leprieur, 1828, p. 610 et 622.)
23 « Pour éviter les preuves par témoins que l’on est souvent contraint faire en justice, touchant les naissances, mariages, morts et enterrements des personnes : enjoignons à nos greffiers en chef de poursuivre par chacun an tous curez, ou leurs vicaires, du ressort de leurs sièges d’apporter dedans deux mois, après la fin de chacune année, les registres des baptêmes, mariages et sépultures de leurs paroisses faits en icelle année. Lesquels registres lesdits curez en personne ou par procureur spécialement fondé, affirmeront judiciairement contenir vérité […] : et seront tenus lesdits greffiers de garder soigneusement lesdits registres pour y avoir recours, et en délivrer extraits aux parties qui le requèreront » (ordonnance de Blois de 1579, article 181. Recueil général, éd. F.-A. Isambert, op. cit., t. 14, p. 423).
24 Ce qu’on trouvera parfaitement exprimé dans l’article 7 de l’ordonnance de 1667 (titre 20) : « Les preuves de l’âge, du mariage et du temps du décès seront reçues par des registres en bonne forme qui feront foi et preuve en justice. »
25 Ni le Code Louis (1667, articles 8 à 18 du titre 20 « Des faits qui gisent en preuve vocale ou littérale »), ni l’ordonnance de 1736 « concernant la forme de tenir les registres des baptêmes, mariages, sépultures » ne mentionnent le statut juridique de l’enfant parmi les informations qui doivent figurées dans les actes de baptême. « Dans l’article des baptêmes, sera fait mention du jour de la naissance, et seront nommés l’enfant, le père, la mère, le parrain et la marraine. » Les signatures du « père, s’il est présent, des parrain et marraine » doivent authentifier l’acte (ordonnance de 1667, art. 9 et 10, Recueil général, éd. F.-A. Isambert, op. cit., t. 18, p. 137-140 ; ordonnance de 1736, art. 4, ibid., tome 21, 1830, p. 407-408). Ces deux ordonnances civiles légifèrent sur la forme des registres et sur le contenu des actes, afin d’en faire le premier moyen de la preuve juridique de l’état des personnes. La preuve par possession d’état, qui devait être reléguée au second plan, continuera cependant à jouer un grand rôle tout au long du XVIIIe siècle, d’une part, pour les protestants privés d’état civil ; d’autre part, pour pallier la perte ou l’absence de registres (compte tenu de l’inégale application des ordonnances dans les provinces du Royaume et du peu de soin apporté par certains curés à la tenue des registres. Voir le préambule de la déclaration de 1736). Ces deux ordonnances jouent également un rôle en matière d’administration de la preuve de la filiation. L’enregistrement des baptêmes avait pour but, d’un point de vue civil, d’établir sans contestation possible l’âge des personnes et, en général, les curés enregistraient, sans plus de formalité, le nom du père déclaré par la personne qui portait l’enfant au baptême (grand-mère, sage-femme ou mère), sauf s’il existait des directives locales contraires. À partir de 1667 et surtout de 1736, le nom du père ne peut plus figurer dans l’acte que s’il est présent au baptême ou sur présentation d’une sentence rendue par un juge. Les curés ont désormais interdiction d’inscrire le nom du père sur une simple déclaration féminine. Ces formes d’enregistrement présentent des imperfections qui n’ont pas échappé au législateur, c’est pourquoi l’acte de baptême n’avait pas, à lui seul, force de preuve de la filiation. Quand il comportait le nom de la mère et du père et, surtout lorsque ce dernier était présent et avait signé l’acte, l’acte acquérait une certaine force. Cependant, pour qu’une filiation soit inattaquable, il fallait qu’un extrait de mariage ou une possession d’état conforme viennent confirmer l’acte de baptême. Sur cette question complexe de la preuve de la filiation légitime, voir Lefebvre-Teillard A., Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996 ; « Causa natalium ad forum ecclesiasticum spectat : un pouvoir redoutable et redouté », CRMH, 7, 2000 ; article repris, entre autres, in ead., Autour de l’enfant : du droit canonique et romain médiéval au Code civil de 1804. Leyde/Boston (Mass.), Brill, 2008.
26 Voir la citation latine, Le Mée R, « La réglementation des registres paroissiaux », art. cit., p. 30.
27 « Si l’enfant n’est pas né de légitime mariage, on écrira au moins le nom de celui des parents que l’on connaît (en évitant toutefois tout risque de scandale) ; et si on ne connaît ni l’un ni l’autre, on inscrira ceci : J’ai baptisé un enfant dont on ignore les parents, né le […] etc., comme supra » (Rituel romain de Paris [1624], Le Mée R., « La réglementation des registres paroissiaux », art. cit., p. 33).
28 Par exemple, des paroisses nantaises (Croix A., Nantes et le pays nantais au XVIe siècle : étude démographique, Paris, Sevpen, 1974) ou bressanes (Turrel D., Bourg-en-Bresse au XVIe siècle : les hommes et la ville, Paris, Société de démographie historique, 1986) tiennent des registres particuliers pour les baptêmes d’enfants illégitimes dans la dernière décennie du XVIe siècle. Le contenu de leurs registres est aussi beaucoup plus riche : l’état matrimonial des parrains, leur profession, leur origine, la profession du père, sont consignés dès le milieu du XVIe siècle. Il faut sans doute chercher dans les législations religieuse et civile régionales, voire étrangères au Royaume de France, l’origine de ces dispositions précoces – législations qui sont pour l’heure moins étudiées et moins connues que les dispositions royales ou conciliaires.
29 Les différents statuts qui régissaient les régions qui composent l’actuel territoire national et l’inégale application de la réglementation royale expliquent ces décalages. Par ailleurs, l’écart entre les principes juridiques et la réalité pouvait être assez grand, de même que le risque de perte ou destruction des feuillets ou registres lorsque les naissances illégitimes étaient enregistrées séparément, ce qui ne manque pas de compliquer toute tentative de synthèse nationale.
30 À partir de la fin du XVIIe siècle, sous la pression de l’Église, la différence entre enfant naturel et enfant légitime s’accentuera et deviendra visible dans les registres paroissiaux (cf. supra, sur les consignes données au curé pour l’inscription du nom du père).
31 Gallus N., Le droit de la filiation. Rôle de la vérité socio-affective et de la volonté en droit belge, Bruxelles, Larcier, 2009.
32 Un « enfant naturel et legitime est celui qui est procréé d’un mariage légitime : les enfans légitimes sont ainsi appellés dans quelques provinces, pour les distinguer des enfans adoptifs qui sont mis au rang des enfans légitimes, & ne sont pas en même tems enfans naturels » (article « Enfant », rédigé par Boucher d’Argis, Encyclopédie ou Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers, par une société de gens de lettres, mis en ordre par M. Diderot […] et quant à la partie mathématique par M. D’Alembert, Paris, chez Briasson, Le Breton, David et Durand, 1751-1772, 17 vol.).
33 C’est-à-dire célébré devant un curé, autre que celui des conjoints, voire devant un notaire qui en délivre ensuite un extrait au curé.
34 Les mariages doivent se faire à la face de l’Église, en présence du curé de l’un des contractants et de deux ou trois témoins, après trois publications de bans dans la paroisse de chacun des fiancés. Le principe de consensualité est, et reste, la première cause efficiente du mariage. Les unions résultant d’un rapt sont interdites sous peine d’excommunication, et les autres formes d’unions sont désormais assimilées à des concubinages.
35 Le droit canon distinguait les fiançailles par paroles de présent, par lesquelles un homme et une femme déclaraient se prendre pour époux présentement, des fiançailles de futur par lesquelles de personnes de sexe différent promettent de se prendre, par la suite, comme mari et femme. La législation pré-tridentine reconnaissait aux fiançailles par paroles de présent, suivies d’une consommation charnelle, le statut de mariage, puisque reposant sur le consentement mutuel des époux. Assimilées à des mariages clandestins, elles furent déclarées nulles par le concile de Trente et l’ordonnance de Blois (art. 44) a défendu aux notaires d’en passer ou d’en recevoir, sous peine de punition corporelle (d’après Richard C.-L. [O. P.], Analyse des conciles généraux et particuliers, partie seconde : Contenant selon l’ordre alphabétique & rapprochées du droit nouveau de la France, Paris, chez Vincent, 1773, article « Fiançailles », p. 31). Les fiançailles par paroles de présent sont pourtant restées très longtemps en pratique : « Cependant, soit qu’on interprétât différemment cette ordonnance, ou que l’on eût peine à se soumettre à cette loi, on voyoit encore quelques mariages par paroles de présent. [ i. e. dans la seconde moitié du XVIIIe siècle] » (Encyclopédie, éd. Diderot et D’Alembert, art. « Mariage », § « Mariages par parole de présent »).
36 Selon les régions, cela a conduit à une augmentation très nette des naissances illégitimes, ou à leur disparation, un mariage celant les conceptions prénuptiales.
37 Le Mée R., « La réglementation des registres paroissiaux », art. cit., p. 30.
38 L’édit de février 1556 « contre les abus des mariages clandestins » est la première intervention de l’État dans un domaine jusqu’alors réservé à l’Église. En interdisant le mariage des mineurs contre la volonté de leurs parents sous peine d’exhérédation, l’édit durcit les conditions de validité définies par l’Église (Recueil général, éd. F.-A. Isambert, op. cit., t. 13, p. 469-471 ; Duvillet A., Du péché à l’ordre civil, op. cit., p. 49 sq.).
39 Ne pouvant recevoir les décrets tridentins qui placeraient les protestants sous l’autorité de l’Église de Rome, le Roi doit légiférer pour interdire les mariages contractés par paroles de présent qui restaient valables pour la justice séculière. L’ordonnance de Blois (1579) dispose ainsi que les mariages seront dorénavant contractés publiquement, après trois publications de bans et devant quatre témoins. Les curés sont tenus de s’enquérir de la qualité de ceux qui veulent se marier, et « s’ils sont de famille », ils doivent s’assurer du consentement de leurs père et mère ou tuteurs (art. 40-43). Ils ont aussi l’obligation d’ouvrir un registre paroissial pour y enregistrer les mariages, avec mention obligatoire du nom des conjoints et des témoins (art. 181). Dans le même temps, l’ordonnance interdit aux notaires de recevoir des promesses de mariage par paroles de présent (art. 44) et prévoit de sévères sanctions pour les auteurs et complices de rapt en vue d’un mariage (art. 281). (Voir Recueil général, éd. F.-A. Isambert, op. cit., t. 14, 1828, p. 391-392, 423 et 443.)
40 Si le concile de Trente avait statué en faveur d’une cérémonie publique, il n’avait pas fait du consentement des parents une condition essentielle du mariage, considérant que la publicité désormais exigée laissait le temps aux parents de manifester leur opposition au mariage.
41 Le code Michaud (1629), l’ordonnance de Saint-Germain (1639), l’édit de Versailles (1697), la déclaration de 1724 et celle de 1730 réitèrent les dispositions de l’ordonnance de Blois.
42 Rappelons que la majorité matrimoniale est à cette époque de 30 ans pour les garçons et de 25 ans pour les filles (alors que l’âge de nubilité fixé par l’Église est respectivement de 14 et 12 ans).
43 Édit de 1556 d’Henri II, confirmé par l’ordonnance de Blois de 1579 et repris par le décret de 1697.
44 Le code Louis (1667) prescrit une rédaction uniformisée des actes de baptême, mariage et sépulture qui sont désormais enregistrés dans l’ordre chronologique, sur un seul registre, et non plus sur trois registres séparés (art. 10). Une copie du registre doit être déposée au greffe du tribunal chaque année, mesure destinée à lutter contre les falsifications toujours possibles (art. 11). L’ordonnance rappelle aussi les informations qui doivent être enregistrées les actes de mariage : « noms et surnoms, âges, qualités et demeures de ceux qui se marient, s’ils sont enfants de famille, en tutelle, curatelle, ou en puissance d’autrui, et y assisteront quatre témoins qui déclareront sur le registre s’ils sont parens, de quel côté et de quel degré ». Les actes de mariage doivent être signés par « les personnes mariées et par quatre de ceux qui y auront assisté » (art. 9).
45 L’ensemble de ces procédures est à rapprocher du discrédit jeté sur la parole des femmes dans les procès en reconnaissance de paternité, à partir du XVIIe siècle (Demars-Sion V., Femmes séduites, op. cit.).
46 Ce qui peut expliquer l’augmentation constatée du nombre de naissances illégitimes au XVIIIe siècle, ainsi que les variations importantes du taux d’illégitimité d’une région à une autre.
47 Les registres de baptême, de mariage et de sépulture que tiennent les protestants depuis 1559 sont privés de valeur légale ; seuls les desservants de l’Église catholique sont dès lors habilités à enregistrer l’état civil ancien et notamment les baptêmes d’enfants de la Religion prétendument réformée.
48 Ainsi, l’illégitimité ne frappe pas seulement les enfants nés hors mariage, mais aussi ceux nés d’une union interdite par les ordonnances royales.
49 « Les bâtards en général ne sont d’aucune famille, & n’ont aucuns parens ; ils ne succedent dans la plus grande partie du royaume ni à leur pere ni à leur mere, & encore moins aux parens de l’un ou de l’autre, en exceptant le Dauphiné & quelques coûtumes particulieres, où ils succedent à leur mere » (article « Batard ou enfant naturel », rédigé par Boucher d’Argis, Encyclopédie, Diderot et D’Alembert, op. cit.).
50 Rodet-Belarbi I. et Séguy I., « Traités comme des chiens : les cadavres sans sépulture. Exemples archéologiques (périodes historiques, France) », H. Guy, A. Jeanjean et A. Richier (dir.), Le cadavre en procès, Techniques et Culture, 60, 2013, p. 60-73.
51 « Il y a de deux sortes de bâtards ; les uns simples, tels que ceux qui sont nés de deux personnes libres, c’est-à-dire non engagées dans le mariage, ou dans un état qui les oblige à la continence ; mais qui pouvoient contracter mariage ensemble : les autres sont ceux qui sont nés d’autres conjonctions plus criminelles, comme les bâtards adultérins & les incestueux. Les bâtards adultérins sont ceux dont le pere ou la mere, ou tous les deux étoient engagés dans le mariage. On appelle même adultérins les enfans des prêtres ou des religieuses. Les bâtards incestueux sont ceux dont le pere & la mere étoient parens à un degré auquel le mariage est prohibé par les canons » (article « Batard ou enfant naturel », Boucher d’Argis, Encyclopédie, Diderot et D’Alembert, op. cit.).
52 Les conceptions prénuptiales n’apparaissent pas dans les registres paroissiaux et ne peuvent être décelées qu’à partir de reconstitutions de famille et du calcul de l’intervalle protogénésique (laps de temps entre le mariage et la première naissance). Elles représentent 2,8 % des naissances rurales et près de 10 % des naissances urbaines au milieu du XVIIe siècle ; leur proportion passe respectivement à 12,5 % et plus de 30 % à la fin du siècle suivant (Blayo Y., « La proportion des naissances illégitimes », art. cit., p. 64-70).
53 Burguière A. et Lebrun F., La famille et l’Occident, op. cit.
54 Flandrin J.-L., « Enfants illégitimes », art. cit., 1973 ; Flandrin J.-L., Les amours paysannes, op. cit.
55 Ce que rappelle Boucher d’Argis dans l’article « Enfant exposé » dans l’Encyclopédie : « Enfant exposé, ou comme on l’appelle vulgairement, un enfant trouvé, est un enfant nouveau-né ou en très-bas âge & hors d’état de se conduire, que ses parens ont exposé hors de chez eux, soit pour ôter au public la connoissance qu’il leur appartient, soit pour se débarrasser de la nourriture, entretien & éducation de cet enfant. […] Les enfans exposés ne sont point réputés bâtards ; & comme il y en a souvent de légitimes qui sont ainsi exposés, témoin l’exemple de Moyse, on présume dans le doute pour ce qui est de plus favorable. » De même que Denisart : « Nous entendons par enfans exposés, des enfants que l’on trouve abandonnés, soit dans les villes, ou dans les bourgs ; soit dans la campagne, sans que les père et mère se fassent connoître. D’après cette définition, il sembleroit que ces enfans, par cela seul que leurs pères et mères sont inconnus, devroient être regardés comme batârds. Mais, comme il n’arrive que trop souvent que c’est la misère et l’impossibilité de les nourrir, qui force les époux légitimes à exposer leurs enfants, on présume plutôt la légitimité des enfans exposés, que leur batârdise. On aime mieux les supposer des fruits d’une union consacrée par la religion et les loix, que les effets du crime et de la débauche. Aussi sont-ils généralement réputés légitimes, conformément aux principes établis par les loix romaines » (Denisart J.-B., Bayard J.-B., Calenge L., Camus A.-G. et Meunier, Collection des Décisions nouvelles et de notions relatives à la jurisprudence actuelle…, t. 7, Paris, Chez la veuve Desaint, 1788, article « Enfants exposés », p. 604).
56 Voir par exemple Lachiver M., Les années de misère : la famine au temps du Grand Roi, Paris, Fayard, 1991.
57 Le principe des tours d’abandon, assez répandu au Moyen Âge, est « réactivé » en France au début du XVIIe siècle par saint Vincent de Paul, pour pallier le nombre toujours croissant d’enfants abandonnés. Au siècle suivant, les institutions accueillant des enfants abandonnés se sont généralisées. Leur ouverture était source de conflit entre ceux qui y voyaient le moyen de lutter contre l’infanticide et ceux qui les accusaient de favoriser l’immoralité, en permettant aux filles-mères de se débarrasser aisément d’un nouveau-né inopportun.
58 « Etant dûment averti d’un crime très énorme et exécrable, fréquent en notre royaume, qui est que plusieurs femmes ayant conçu enfants par moyens déshonnêtes ou autrement, persuadés par mauvais vouloir et conseil, déguisent, occultent et cachent leurs grossesse sans en rien découvrir et déclarer et advenant le temps de leur part et délivrance de leur fruit, occultement s’en déclinent, puis le suffoquent, meurtrissent et autrement suppriment sans leur avoir fait impartir le saint sacrement de baptême, ce fait, les jettent en lieux secrets et immondes ou enfouissent en terre profane, les privant par tels moyens de la sépulture coutumière des chrétiens. Avons, pour à ce obvier, dit, ordonné et statué que toute femme qui se trouvera dûment atteinte, et convaincue d’avoir celé, couvert et occulté tant sa grossesse que son enfantement, sans avoir déclaré l’un ou l’autre, soit tenue et réputée d’avoir homicidé son enfant et, pour réparation, punie de mort et dernier supplice » (édit d’Henri II de février 1556 [Recueil général, éd. F.-A. Isambert, op. cit., t. 13 p. 471-473]).
59 Jean Bodin, Les Six Livres de la République, Paris, Chez Jacques du Puys, 1576 (livre V, chap. ii).
60 « Les pere & mere doivent prendre soin de l’éducation de leurs enfans, soit naturels ou légitimes, & leur fournir des alimens, du moins jusqu’à ce qu’ils soient en état de gagner leur vie, ce que l’on fixe communément à l’âge de 7 ans » (Encyclopédie, Diderot et D’Alembert, article « Enfant-Jurisprudence »). Et que Ferrière précise ainsi : « Alimens sont dûs aux enfans naturels par leur père, s’ils n’ont un établissement certain. Ainsi les bâtards, jusqu’à ce qu’ils ayent appris un métier, & qu’ils aient été reçus maîtres, peuvent demander des alimens à leur père durant sa vie, & à ses héritiers après sa mort, s’il n’y a pas pourvu lui-même. La raison est, que l’obligation de fournir des alimens à ses enfans, est de droit naturel. Cette obligation naturelle ne regarde pas seulement les pères, mais aussi les mères, quoiqu’elles ne puissent pas être poursuivies en justice pour donner des alimens à leurs enfans bâtards, car enfin si elles sont en quelque sorte excusables de ne pas les connoître, pour sauver leur honneur, elles sont fort blâmables de ne pas leur donner des alimens, lorsqu’elles sont en état de leur faire du bien. […] C’est aussi la disposition du droit canonique que les alimens sont dûs aux bâtards » (Claude-Joseph de Ferrière, Dictionnaire de droit et de pratique contenant l’explication des termes de droit…, t. 1, Paris, Chez la veuve Brunet, 1769, article « Bastards », p. 173 sq. ; voir aussi article « Aliments », p. 72). L’abandon reste la meilleure solution alternative à ce principe d’entretien et d’éducation de l’enfant par ses géniteurs. L’enfant exposé est alors à la charge du seigneur haut justicier et, en cas de défaillance de sa part, l’ordonnance de Moulins (1566) précise qu’il sera à la charge de la paroisse où il aura été déposé. Cependant, pour bien des familles, mieux valait encore la charge d’un bâtard que la naissance de petits-enfants légitimes mais nés d’une union conclue contre leur gré (Zinck A., « La protection prénatale de l’enfant naturel au XVIIIe siècle », R. Gaghofer [dir.], Le droit de la famille en Europe. Son évolution depuis l’Antiquité jusqu’à nos jours. Actes des journées internationales d’histoire du droit, Strasbourg, Presses universitaires de Strasbourg, 1992, p. 705-715).
61 L’édit d’Henri III en 1585 et la déclaration du 26 février 1708 rappellent les prescriptions d’Henri II.
62 Demars-Sion V., Femmes séduites, op. cit.
63 Selon l’adage juridique d’Antoine Loysel (1536-1617) : « Qui fait l’enfant, doit le nourrir. »
64 Peter Laslett situe l’âge médian à la puberté des filles de l’époque moderne à 16 ans. (Laslett P. et al., Bastardy and its comparative history, op. cit., p. 297).
65 « Sous peine d’hérésie, la contraception ne pouvait être envisagée qu’hors du mariage et, sous peine de scandale, les relations illégitimes devaient être stériles » (Flandrin J.-L., « Contraception, mariage », art. cit., p. 1388).
66 D’après Dupâquier J., « Le mariage, rouage central du mécanisme autorégulateur », J. Dupâquier (dir.), Histoire de la population française, tome 2, Paris, PUF, 1988, p. 427-436 ; Houdaille J. et Henry L., « Célibat et âge au mariage aux XVIIIe et XIXe siècles en France », Population : première partie de l’article : « Célibat définitif », 1978, no 1, p. 43-84 ; deuxième partie : « Âge au premier mariage », 1979, no 2, p. 403-442.
67 Lastett et al., Bastardy and its comparative history, op. cit.
68 Dupâquier J. (dir.), Histoire de la population française, t. 2, Paris, PUF, 1988; Dupâquier J., Hélin É., Laslett P., Livi-Bacci M. et Sogner S. (dir.), Marriage and remarriage in populations of the past, Londres, Academic Press, 1981.
69 Flandrin J.-L., « Contraception, mariage », art. cit.
70 Antoinette Fauve-Chamoux estime que 10 % de la population des grandes villes, à la fin du XVIIe siècle, a un statut domestique, tant hommes que femmes (les premiers étant un peu moins nombreux), et que les deux tiers, voire trois quarts, d’entre eux ont entre 15 et 29 ans (Fauve-Chamoux A., « Servants in preindustrial Europe : Gender Differences », Historical Social Research, 23, 1-2, 1998, p. 112-129 ; ead., « European Illegitimacy Trends in Connection with Domestic Service and Family Systems (1545-2001) », Romanian Journal of Population Studies, 2011).
71 Il est frappant de remarquer que les premiers registres de baptêmes d’enfants illégitimes, ouverts à Bourg-en-Bresse et à Nantes, l’ont été à l’extrême fin du XVIe siècle, à une époque où ces villes connaissaient des désordres liés à la guerre et aux famines et devaient faire face à un afflux massif de populations rurales (Croix A., Nantes, op. cit. p. 94 ; Turrel D., Bourg-en-Bresse, op. cit., p. 233).
72 Blaikie A., Illegitimacy, op. cit.; Scott S. et Duncan C. J., « Interacting factors affecting illegitimacy in preindustrial northern England », Journal of biosocial science, 29, 2, avril 1997, p. 151-169.
73 Si la population française est majoritairement catholique, d’autres confessions sont cependant présentes sur le territoire français à cette époque (juifs et musulmans par exemple). Elles ne disposeront d’un état civil qu’avec l’édit de 1787.
74 L’opposition traditionnelle entre une France du Nord-Ouest/Sud-Ouest, plus indulgente, et une France de l’ouest et du Midi méditerranéen, plus rigoureuse, mérite d’être nuancée tant les particularismes locaux sont importants. En Corse, par exemple, la cohabitation des futurs époux dans la maison paternelle, avec l’accord des familles, précède le mariage. Ce genre de relations prénuptiales, à connotation probatoire, est aussi fréquent dans une grande partie de la France du Nord et dans les régions aquitaines (Pays basque et Saintonge, notamment). Sans aller jusqu’au mariage à l’essai, les futurs bénéficient aussi d’une grande liberté dans bien d’autres régions, telles que la Vendée, la Champagne, le Bourbonnais, ou la Savoie. Sur cette question, Flandrin J.-L., Les amours paysannes. Amour et sexualité dans les campagnes de l’ancienne France (XVIe-XIXe siècles), Paris, Gallimard, 1975 ; id., Le sexe et l’Occident, op. cit. ; id., Familles. Parenté, maison, sexualité dans l’ancienne société, Paris, Le Seuil, 1995 ; Burguière A. et Lebrun F., La famille et l’Occident, op. cit.
75 Luther-Viret J., Le sol et le sang, La famille et la reproduction sociale en France du Moyen Âge au XIXe siècle, Paris, CNRS éditions, 2014.
76 Demars-Sion V., Femmes séduites, op. cit. ; Renaut M.-H., « Le droit et l’enfant adultérin », art. cit.
77 Flandrin J.-L., « Contraception, mariage », art. cit. p. 293-295.
78 Renaut M.-H., « Le droit et l’enfant adultérin », art. cit., p. 381-382.
79 Voir par exemple Reekie G., Measuring immorality, op. cit.; Blaikie A., Illegitimacy, op. cit.
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