Introduction
Pour une histoire sociale et culturelle de la bâtardise
p. 11-32
Texte intégral
1Appréhender l’écart à la norme en matière de filiation, la pluralité de ses définitions (canoniques, coutumières, culturelles), les incidences (sociales) de son établissement, les enjeux (politiques) de son contrôle et de sa régulation, tel est l’objectif de la présente étude sur la bâtardise. L’objet, déjà protéiforme, doit s’inscrire dans une temporalité normative précise, attentive à la pluralité des discours sur l’écart à la norme (d’abord légale puis sociale) comme à celle des langages de l’infraction, et dans une chronologie socio-politique fine. Sur ce point, il est nécessaire d’apprécier en détail, et dans leurs spécificités, les chronologies particulières à l’œuvre dans les territoires et les juridictions étudiés à l’échelle européenne. Les précédents collectifs consacrés à l’illégitimité et à la bâtardise n’ont pas manqué d’inscrire leurs analyses dans une comparable approche européenne. Ainsi le récent volume consacré à la bâtardise et à l’exercice du pouvoir dans l’Europe du Moyen Âge et de la Renaissance prolonge bien la réflexion historique engagée par les équipes de Peter Laslett ou de Ludwig Schmugge1. Dans ses conclusions, Éric Bousmar distingue ainsi l’Angleterre, de l’Europe centrale et de la partie occidentale du continent européen (Pays bourguignons, France, Brabant), et plus encore méditerranéen (Ferrare, Castille), en fonction de la capacité qu’ont eu les bâtards nobles, légitimés ou non, d’y faire carrière, de s’insérer dans les rouages de l’État, voire même de succéder aux branches légitimes, selon un gradient qui va de la fermeture presque totale à la plus grande efficacité des opportunités politiques2. À notre tour, nous souhaitons inscrire nos analyses à l’échelle européenne, tout en privilégiant le temps long du Moyen Âge et de l’époque moderne. Ces cadres géographiques et chronologiques permettent de mettre en valeur la pluralité des approches d’un statut intrinsèquement complexe, d’une réalité sociale irréductible à un modèle unique dont l’appréciation par l’Église, la société ou la parenté oscille entre exclusion et intégration, stigmatisation et réhabilitation.
2Filiation naturelle, filiation illégitime, bâtardise : ces trois notions renvoient à des déclinaisons normatives convergentes mais non systématiquement synonymes. Il convient en effet de mesurer la relativité de la définition de la filiation illégitime, par rapport à l’établissement de ce qui fonde la légitimité (en l’occurrence le mariage des géniteurs), comme la polysémie attachée à l’expression de la bâtardise et l’hybridation originelle qu’elle porte en elle3. Elle est tantôt simple synonyme de la filiation naturelle, tantôt marqueur d’un écart à la norme plus grand quand la filiation procède d’un damnatus coïtus, adultérin, incestueux ou sacrilège, mais sans pour autant sortir totalement du cadre des aménagements possibles des incapacités juridiques attachées à ce statut, ni extraire sans nuance de la parenté et du lignage. Il n’est donc pas une mais des bâtardises à appréhender : selon le degré d’infraction à l’égard de la norme matrimoniale ; en cas d’enfant adultérin, selon que l’adultère est imputable au mari ou à l’épouse ; selon l’échelle d’indignité où situer le bâtard plus ou moins éligible à la réhabilitation (juridique et/ou sociale4) ; selon le rang, la puissance, ou l’entregent de la famille à laquelle est apparenté (par son père) le bâtard5 ; selon les espaces politiques, les contextes socio-économiques, selon les référents culturels à l’œuvre ; mais aussi selon les destins particuliers, les profils de ces bâtards, anonymes qui échappent trop souvent à l’historien, ou illustres quand ils naissent dans un lignage où ils peuvent jouer leur partition politique (citons parmi tant d’autres Guillaume le Conquérant, les bâtards des ducs de Bourgogne, le comte de Dunois, « bâtard d’Orléans », les fils illégitimes des Farnèse, etc.) ou quand leur production personnelle permet aujourd’hui d’entendre l’écho de leur voix (Érasme, Montaigne, D’Alembert, etc.).
3Ce projet est donc né de la conviction, partagée par nombre des collaborateurs scientifiques de ce volume, que l’appréhension de la bâtardise dans toute sa complexité, précisément contextualisée, est une clef de lecture essentielle des sociétés occidentales dans leurs héritages médiévaux et modernes. Dans ce propos introductif, nous poserons donc les contours de l’étude, en esquissant les principales inflexions chronologiques, en précisant les premières déclinaisons du defectus natalium, et en mettant en perspective les principales problématiques à l’œuvre.
Jalons chronologiques
4L’histoire de la bâtardise s’inscrit dans une temporalité qui voit s’imposer la promotion du mariage romano-canonique, cadre légal exclusif à la sexualité des laïcs et à la génération de descendants légitimes, la prise en charge juridique, judiciaire, social (et donc politique) du contrôle de cette articulation précise entre mariage et filiation par des autorités aux compétences d’abord complémentaires et de plus en plus en tensions, à mesure qu’on progresse vers l’époque moderne, – le pouvoir pontifical, et les souverains séculiers.
5Les premières mesures d’exclusion des bâtards du clergé séculier et du périmètre de la famille apparaissent au XIe siècle. Nous sommes à une époque où l’Église renforce son pouvoir de juridiction canonique et impose son monopole sur la définition du mariage valide et légitime, institution permettant de distinguer le laïc du clerc. La réforme disciplinaire de l’Église menée par la papauté a en effet pour finalité la moralisation du clergé et donc la lutte contre une pratique réprouvée, l’incontinence des clercs majeurs. L’offensive grégorienne contre le nicolaïsme a suscité un durcissement de la législation contre les fils de prêtre qui rejaillit sur les fils illégitimes des laïcs6. L’article 8 du concile de Bourges de 1031 cible en effet d’abord les fils de prêtre et de clercs majeurs pour leur interdire l’accès à la cléricature et élargit son propos à « tous ceux qui ne sont pas nés d’un légitime mariage », et qui sont appelés « dans les Écritures, semence maudite » (semen maledictum) : ceux-là « ne peuvent pas hériter selon les lois séculières, ni être reçus comme témoins7 ». Vers 1185, dans le recueil de Renouf de Glanville, chef de la justice d’Henri II Plantagenêt, on lit aussi que « l’héritier légitime ne peut pas être le bâtard ni celui qui n’a pas été procréé d’un légitime mariage8 ». Ne pas être né ou procréé dans un mariage légitime, – la nuance ne semble pas encore signifiante juridiquement avant les relectures doctrinales du canoniste Henri de Suze (dit Hostiensis, au XIIIe siècle)9, voilà ce qui justifie l’exclusion des ordres sacrés, comme de l’héritage des parents. La bâtardise commence donc là, dans l’assimilation à une « semence maudite », et l’exclusion du périmètre juridique de la famille.
6Les XIe-XIIe siècles constituent une période charnière où plusieurs réalités normatives coexistent et où l’appréciation négative de la naissance hors mariage légitime n’a pas encore irrigué tous les discours10. Quelques exemples en témoignent. L’indécision des contours juridiques de l’union entre le duc normand Robert le Magnifique (1027-1035) et Herleva peut-être épousée more danico et assimilable à une frilla explique en partie le silence des chroniqueurs ecclésiastiques sur le statut de Guillaume et celui de sa mère. Cette union est encore empreinte sinon d’une pleine légitimité au regard des pratiques more franco du mariage chrétien, du moins d’une tolérance sociale ancestrale11. Il faut attendre les premières décennies du XIIe siècle et les compléments apportés par Ordéric Vital aux Gesta normannorum ducum de Guillaume de Jumièges et aux Gesta Willelmi ducis de Guillaume de Poitiers pour que le puissant duc normand soit expressément qualifié de « nothus » (bâtard) quand il s’agit de renvoyer au moment de son histoire où il n’a pas encore accompli la conquête de l’Angleterre, – conquête que l’angligena Ordéric ne goûte d’ailleurs guère12.
7Au tout début du XIIIe siècle encore, quand Lambert d’Ardres compose l’Historia comitum Ghisnensium et Ardensium dominorum, ce prêtre lui-même concubinaire ne manifeste aucune forme de désapprobation à l’égard des nombreux enfants naturels qu’il met en scène13. L’ouvrage s’ouvre même sur l’artifice narratif de céder la parole à un chevalier de l’entourage des sires d’Ardres, fils naturel de l’un d’eux. L’existence d’une descendance naturelle nourrit bien sûr des tensions au sein du lignage que l’auteur ne passe nullement sous silence ; mais les fils d’Arnoul Ier (v. 1060-v. 1094) et Arnoul II d’Ardres (v. 1094-v. 1138), comme ceux des comtes de Guînes, ne font l’objet d’aucune stigmatisation de la part de l’auteur qui « vante leurs mérites et s’intéresse à leur descendance de la même manière qu’il le fait pour la progéniture légitime de ses patrons », ainsi que le rappelle Jean-François Nieus14. Rappelons simplement que Siegfried, l’ancêtre fondateur du lignage des Guînes, s’illustre par son inconduite sexuelle. Le lignage de Guînes naît ainsi du fruit du viol perpétré par Siegfried contre Elftrude, fille du comte de Flandres Baudouin. Leur fils, vite orphelin de père, est ensuite porté sur les fonts baptismaux par Arnoul de Flandres, son cousin et seigneur, qui lui offre aussi son nom15. Voilà donc le bâtard, qui jamais n’en porte le nom ni la macule, intégré symboliquement dans un double lignage, et mis en situation de pouvoir « engendrer » (genere) des seigneurs à son tour.
8Même dans les corpus de chartes révélant les pratiques sociales de familles aux ambitions moins affirmées que celles des ducs de Normandie ou des comtes de Guînes et des seigneurs d’Ardres, quelques actes éclairent l’intégration à la parentèle des enfants naturels. Dans son étude sur l’Enfant et la parenté dans la France médiévale (Xe-XIIIe siècles), Roland Carron rapporte plusieurs exemples où des enfants illégitimes participent à des actes de vente ou de donation de membres de leur parenté16. Ainsi, dans le cartulaire de Marmoutier pour le Vermandois, avant 1042, trois frères vendent à une abbaye une terre commune. L’un d’eux est présenté comme « non matrimonialis frater ». En 1129, Guiburge, son fils Richard et les fils de ce dernier, dont ce « Robertus ex concubina », concèdent des terres à l’abbaye de Tiron. Notons toutefois que ces deux chartes spécifient bien que les enfants nés hors mariage y occupent une place particulière puisqu’on juge opportun d’évoquer (même allusivement) leur naissance « non matrimoniale », ou le statut de leur mère. Dans sa thèse sur la société aristocratique dans le Haut-Maine aux XIe et XIIe siècles, Bruno Lemesle confirme qu’il n’est « pas rare qu’au bas des actes figurent parmi les listes de témoins des personnages qualifiés de bâtards17 ». Ils sont donc intégrés à la procédure, tout en étant distingués des autres par un qualificatif qui se précise. Pour quatre de ces individus, il est possible de reconstituer leur parenté. Dans un acte de donation, on comprend que le bâtard n’est pas associé à la laudatio parentum, au contraire de ses deux autres frères légitimes ; mais l’auteur trouve aussi un cas où le bâtard est bien associé à ses frères légitimes pour confirmer une donation de biens paternels. Deux autres actes permettent de comprendre aussi que le bâtard a eu accès à une partie de l’héritage paternel (peut-être par donation entre vifs, comme c’est possible dans la coutume d’Anjou-Maine, connue dans des coutumiers privés de la fin du Moyen Âge)18.
9Anne Lefebvre-Teillard rappelle que dans le droit justinien « lorsque seule la Nature commandait […], il n’y avait aucune différence entre l’enfant naturel et l’enfant légitime. De même qu’ils naissaient tous libres, ils naissaient tous légitimes. Ce sont les lois civiles écrites qui ont introduit une différence entre enfants légitimes et illégitimes19 ». Les lois (de Rome comme de l’Église) convergent en effet pour promouvoir l’institution matrimoniale comme cadre exclusif d’établissement de la légitimité d’une filiation. Pater is quem nuptiae demonstrant : la proposition du jurisconsulte Paul dans le Digeste (II, 4, 5) s’impose dans la doctrine canonique dès l’époque d’Huguccio dans les dernières décennies du XIIe siècle, comme un adage juridique à même de signifier la promotion de l’institution matrimoniale (la favor matrimonii, ou la vis matrimonii), mais aussi la modération possible de la rigueur de cette même discipline matrimoniale en posant les bases d’une favor prolis que précise la décrétale Ex tenore (X, IV, 17, 14). La tendance des clercs à modérer certains dispositifs normatifs dans l’intérêt de la progéniture d’un couple procède aussi d’une ancienne tradition patristique : les pères de l’Église n’ont pas voulu faire supporter à l’enfant les conséquences de la faute des parents20. La redécouverte au XIIe siècle de la compilation justinienne, et notamment ces novelles qui se préoccupaient de permettre l’accès à la liberté pour le non-libre et à la légitimité pour l’enfant naturel, a contribué à renforcer cette inclination première21. En découle tout un système normatif qui favorise l’accès au statut de légitime (ou sa préservation) pour l’enfant dont au moins un des parents peut prouver sa bonne foi au moment de l’établissement d’un lien matrimonial in facie ecclesie qu’il convient toutefois d’annuler pour empêchement ; telle est la théorie du mariage putatif. En bénéficient aussi celui dont les parents se marient après sa naissance (Tanta, X, IV, 17, 6 et Conquestus, X, IV, 17, 1) et celui qui peut établir sa possession de filiation (par nomen, tractatus, fama)22. La force du mariage est telle que serait considéré comme fils légitime de l’époux de la mère l’enfant dont la mère jurerait pourtant sous serment qu’il est né d’un autre que son mari (Per tuas, en X, II, 19, 10).
10L’étude de la bâtardise et de ses modes de régularisation s’impose comme une déclinaison de l’histoire de l’Église et des régimes juridiques élaborés pour mieux imposer l’ordonnancement de la société sous son contrôle, mais aussi comme une facette de l’histoire des relations de pouvoir entre le sacerdotium et le regnum. Les tempéraments à l’exclusion de l’illégitime se manifestent en effet dans la canonisation de la légitimation par mariage subséquent, mais aussi la légitimation par rescrit telle qu’elle a été mise en œuvre par Innocent III (1198-1216) quoad temporalia sur le modèle impérial avant d’être reprise par les autorités royales européennes, à l’exception notable du droit anglais23. Dans l’Angleterre d’Henri II, des tensions se cristallisent sur les questions de répartition des compétences juridictionnelles jusqu’à singulariser le royaume insulaire au regard de l’ensemble des pratiques continentales. En 1178, la décrétale Causam que (Compilatio Ia, et X, IV, 17, 4) tire son origine d’un litige successoral que résume Anne Lefebvre-Teillard24 : un certain Robert avait été dépossédé par son grand-oncle de l’héritage qui lui revenait de son grand-père maternel, au motif que sa mère était adultérine et n’avait donc aucun droit elle-même à l’héritage. Le traitement de l’affaire par les légats pontificaux (évêques de Londres et de Winchester) déplaît au roi ainsi que l’ordre donné par le pape de restituer Robert dans ses biens jusqu’au prononcé de la sentence judiciaire ecclésiastique. Par la décrétale Conquestus, en 1177 déjà, Alexandre III avait tenté d’outrepasser ses droits puisque les légats avaient usé de censures ecclésiastiques pour protéger l’héritage d’une femme dont la légitimité devait être prononcée. En 1178, Alexandre III revenait toutefois sur sa décision, en reconnaissant que seul le juge laïc peut tirer des conséquences de la sentence d’illégitimité.
11À la fin du XIIe et au début du XIIIe siècle (au moment où s’impose le jus novum pontifical), la quasi-totalité des contestations en légitimité est fondée sur l’inexistence ou l’invalidité du mariage des parents. La promotion de la légitimation des enfants par le mariage subséquent des parents est également un principe juridique bien reçu dans les coutumiers nourris de droits savants, et ce dès le XIIIe siècle en France, mais aussi dans les statuts italiens (comme le Livre des coutumes de Milan, en 1216, qui admet même le principe en matière de fiefs), dans les Pays-Bas méridionaux25, ou en Espagne (et les Siete partidas, pars IV, tome 13, d’Alphonse le Sage). L’Angleterre des barons se singularise à nouveau en refusant par le statut de Merton de 1236 le principe de la rétroactivité posée par le droit canon, et par tant dénie aux bâtards le droit d’être légitimé par le mariage subséquent de leurs parents26. Les libri feudorum impériaux semblent aussi dénier la capacité du légitimé par mariage subséquent à succéder aux fiefs27. La légitimation par rescrit du pape est encore plus délicate à imposer en raison de l’empiètement possible du spirituel sur le temporel. Au début du XIIIe siècle, Innocent III est en effet le premier souverain pontife à réactiver l’antique pratique de la légitimation par rescrit impérial, en l’occurrence en faveur des enfants de Philippe II Auguste et d’Agnès de Méranie dont le rang d’épouse et reine avait été refusé par le pape qui ne voulait pas cautionner la répudiation de la reine Ingeborg, quels que fûrent les prétextes canoniques invoqués par le Capétien28. Jusqu’alors, le pape avait bien la potestas nécessaire pour promulguer quoad spiritualia des dispenses ex defectu natalium et permettre la suspension de l’irrégularité liée à la naissance illégitime afin de permettre l’accès au clergé séculier. Or, la légitimation de Marie et de Philippe n’est pas seulement présentée comme une dispense ad sacra, mais bien comme une légitimation29. En 1202, toutefois, dans la décrétale Per Venerabilem, Innocent III refuse de légitimer les enfants naturels du comte Guilhem de Montpellier. Ce dernier en avait fait la requête après avoir répudié son épouse légitime. Le pape renvoie le comte à son supérieur temporel, en l’occurrence le roi de France, et justifie la précédente légitimation accordée aux enfants de Philippe II par le fait que le roi de France n’ayant pas de supérieur temporel, il ne pouvait se tourner que vers le pape. La légitimation par rescrit accordée par un souverain temporel semble quant à elle remonter au XIIIe siècle, pour autant que les archives conservées permettent d’en attester : un rescrit de Jacques d’Aragon, légitimant son fils Alphonse en 1229, et dans le droit français, un rescrit de Louis VIII (1223-1226) légitimant à succéder les enfants de la comtesse de Ponthieu, « qui sunt minus legitime nati30 ». Cette prérogative royale (dignitas) est ensuite réactivée par Louis IX (1226-1270) qui confirme la légitimation accordée par son père, et réitère un tel acte en 1254 pour légitimer les enfants nés du premier mariage, clandestin, de Marguerite, future comtesse de Flandres, avec Buccard d’Avesne31. C’est toutefois avec Philippe IV le Bel (1285-1314) que s’impose le jus legitimandi du roi de France afin d’accroître les formes de sa souveraineté, dans un contexte de concurrence juridictionnelle avec le pape et l’empereur. La Grande Ordonnance de 1302 pour la Réformation du Royaume réserve au roi la légitimation, au titre des cas de ressort (comme le rappel de ban, la naturalité, l’anoblissement et les privilèges)32. On doit aussi à Philippe IV d’avoir transformé en droit royal le droit de bâtardise33. La légitimation par lettres royaux s’impose donc dans le droit français quoad temporalia en accordant (en théorie) aux légitimés les mêmes droits de succéder qu’aurait un légitime, le même accès aux charges et aux offices34.
12Plusieurs paradigmes changent à l’époque moderne, qu’ils soient culturels et religieux avec la Réforme, ou politiques et juridictionnels. Le durcissement de la condition juridique du bâtard s’impose alors comme une réalité historique qu’il convient de mettre en relation avec la volonté des États monarchiques de maintenir sous leur contrôle la sexualité et le mariage, et d’imposer à la cellule familiale une mise en ordre comparable à celle de la sphère publique. En France, l’édit d’Henri II de 1556 (1557, n. s.) entend spécialement endiguer les infanticides supposés d’enfants illégitimes, puisque l’obligation de déclarer chaque grossesse est présentée comme un remède à l’attitude « de femmes qui ayant conçu enfans par moyens déshonnêtes […] déguisent, occultent et cachent leur grossesses […] et avant le tems de leur part et délivrance de leur fruict, occultement s’en délivrent35 ». Cet édit institue l’aveu de grossesse par les femmes auprès du juge avec obligation conjointe de se faire assister d’une sagefemme. Ces déclarations sont conservées dans des registres de procédures criminelles. Une véritable police des accouchements illégitimes se met alors en place à la fin du XVIe siècle. Les matrones sont chargées par la communauté paroissiale d’informer les curés de la naissance d’enfants. L’illégitimité d’une naissance (que donne à craindre l’absence de déclaration préalable de grossesse) pose donc bien des problèmes d’ordre moral, d’inconduites sexuelles, mais aussi d’ordre social et économique. Au seigneur fondateur de la paroisse et aux habitants du fief incombe en effet le devoir de nourrir l’enfant abandonné ou sans paternité reconnue. C’est la raison pour laquelle certaines municipalités ou communautés d’habitants font leur possible pour retrouver la trace des pères36. La première moitié du XVIe siècle impose la clarification de la législation matrimoniale et réprime de plus en plus rigoureusement l’adultère féminin. Les options pour permettre le retour dans la norme de certains couples et donc de leurs enfants sont de plus en plus réduites avec l’invalidation progressive du mariage présumé (qui était la reconnaissance à l’époque médiévale comme vrai mariage de toutes promesses de mariage suivies de relations charnelles). Le concile de Trente avait ouvert la voie, l’édit de Blois de 1579 impose définitivement le mariage comme acte public et solennel. La déclaration de 1639 prive aussi de ses effets civils et de sa force légitimante le mariage contracté sans le consentement des parents et celui contracté in extremis. Pour des raisons politiques, l’Ancien droit renforce donc la dimension publique et solennelle du mariage (contrôlé par les familles) et resserre le lien entre mariage et procréation pour justifier une inégalité croissante entre enfants légitimes et enfants illégitimes. La rigification progressive du système à l’encontre des bâtards nobles est sensible dès les années 1350 en Brabant où les enfants illégitimes n’ont plus accès aux grands offices publics37, ou entre les années 1530-1550, en France, comme le rappelle Michel Nassiet, quand les compagnies d’ordonnances ne sont plus accessibles aux illégitimes38. L’évolution des cadres juridiques accompagne l’évolution du regard de la société sur l’écart à la norme en matière de filiation. Les facteurs qui ont pu contribuer autrefois à assurer une place aux fils (et aux filles) bâtard-e-s de la noblesse européenne (à l’exception des cas anglais) n’ont par ailleurs plus cours (conjoncture démographique favorable, crises et les besoins militaires liés à la guerre de Cent Ans, imperméabilité relative à la discipline romano-canonique dans toutes ses subtilités)39. L’heure est davantage à la limitation de la « tolérance sociale pour le fruit visible de l’activité sexuelle illégitime », comme le résume pour l’époque moderne Éric Bousmar40.
13Nous proposons de conduire l’analyse jusqu’aux Lumières, et la fin de l’Ancien Régime, au seuil des débats révolutionnaires pour la France du moins. Ceux-ci portent en germe les premières tentations de réécriture de la hiérarchie des filiations, dans un contexte de sécularisation du mariage, contrat volontaire entre égaux, toujours naturellement ordonné toutefois à la procréation et l’éducation des enfants. L’Assemblée constituante entend établir l’égalité entre les héritiers, insérant dans la parenté l’enfant naturel (né donc hors mariage de deux parents libres de tout lien)41 ; mais les lois révolutionnaires continuent de dénier à l’enfant adultérin le moindre accès à l’héritage et durcissent les procédures d’établissement de la paternité42. Le Code civil de 1804 revient sur cette égalisation des filiations défendue dans la loi du 12 brumaire an II qui avait été interprétée par nombre de contemporains comme une loi ayant finalement « aboli le mariage », en « assimilant les enfants naturels aux enfants légitimes », comme l’écrit le conseiller d’État Boulay43. L’histoire des heurs et malheurs de ce long processus d’égalisation des filiations, jusque dans la définitive reconnaissance de la condition d’héritiers aux enfants adultérins dans les toutes premières années du XXIe siècle44, est à replacer dans des contextes juridiques et sociaux d’une autre époque que ne pouvait embrasser la présente étude. Cela constitue toutefois un horizon normatif qu’alimentent les nombreux débats du XXe siècle autour de la « crise du mariage » (que révèlerait l’augmentation des naissances hors mariage), puis autour du PACS (loi no 99-944 du 15 novembre 1999) jusqu’à la récente ouverture du droit au mariage pour les couples de même sexe (la loi no 2013-404 du 17 mai 2013) et les prolongements attendus en matière d’établissement de la filiation. Juristes, anthropologues et sociologues n’ont pas manqué de se pencher sur la question de la crise contemporaine du mariage, de sa mise en concurrence par d’autres formes d’unions non conjugales, mais aussi des évolutions des formes de la conjugalité. Après le doyen Jean Carbonnier, Arnould Bethery de la Brosse rappelle dans l’introduction de sa thèse que « là où le mariage était institution (organisation juridiquement préétablie, formant un tout cohérent en vue d’une certaine finalité), il devient une idée, un idéal que l’on atteint essentiellement par une projection dans le futur. Un idéal pouvant être librement défini et construit par la volonté (ou la sensibilité) souveraine et autonome de chaque individu45 ». Le juriste poursuit en exposant la nécessité nouvelle dans laquelle ses pairs se trouvent d’user de la notion juridique de « couple » en lieu et place de celle de « lien conjugal » pour « appréhender juridiquement la venue d’enfants » dans les couples non mariés46. Si le couple conjugal semble céder le pas, sociologiquement parlant, face au couple parental, les débats autour du « mariage pour tous » donnent matière à penser que l’articulation consubstantielle entre filiation et mariage a encore de beaux jours devant elle47. La normalisation revendiquée de l’homoparentalité procède en effet en grande part de la légalisation du mariage homosexuel. Relevons toutefois une nuance par rapport à l’articulation première mariage/filiation légitime, puisqu’il semble que les protagonistes du débat contemporain défendent (ou combattent) la saisie par le droit de formes plurielles de la parentalité, et non plus d’abord de la filiation. L’enjeu n’est plus (seulement) de réfléchir aux contours normatifs et aux enjeux sociétaux d’une hiérarchisation des filiations mais de (re)penser la hiérarchie des formes contemporaines de parentalités. Ces nouveaux paradigmes juriques et sociologiques imposent de nouveaux questionnements que nous ne saurions engager ici.
Defectus natalium et maculle de geniture : cerner la bâtardise des naturales, spurius, mamzer et autres bastarts. Lexiques et corpus
14À compter de l’époque grégorienne, les différentes formalisations pontificales ou doctrinales ont donc conduit à hiérarchiser les filiations. Si tous les enfants naissent naturels, et s’il faut promouvoir la légitimation des illégitimes, tous n’y sont pas éligibles, puisque même la décrétale Tanta d’Alexandre III dénie aux enfants adultérins la légitimation par mariage subséquent des parents. Le vocabulaire de l’exclusion se polarise autour des termes de bastardus, mamzer, spurius ou nothus, les trois derniers renvoyant sans équivoque à une condition spécialement dégradée que le terme même de « bâtard » n’a pas toujours eu48.
15Du Moyen Âge à l’époque moderne, la bâtardise se décline plus qu’elle ne se définit et c’est une réalité que ne démentent pas non plus les pratiques de la canonistique contemporaine qui puise dans l’héritage médiéval49. Hostiensis décline dans son commentaire du titre 17 des Décrétales sept types de filiation en fonction de leur rapport à la Nature et à la Loi, tout en veillant à les replacer dans un système de parentés plurielles intégrant le charnel, le spirituel et le transcendant. Déclinaison, plus que hiérarchie, la lectura du canoniste présente donc les naturales et legitimi, « naturels et légitimes » qui se distinguent des legitimi tantum, comme sont les « adoptés » (adoptivi), des « légitimes et spirituels », entendons les « filleuls » (filioli), qui se distinguent eux-mêmes des « spirituels » (car « nous sommes tous les fils du pape »). Trois dernières catégories sont évoquées : celles des naturales, « naturels, mais nés d’un concubinage indu », des legitimi postfactum, « d’abord naturels, puis naturels et légitimes ex postfacto […] pour ainsi dire légitimés » puis les « spurii, manzeres et nothi » qui ne sont « ni naturels, ni légitimes », mais « nés d’un adultère, ou nés d’un inceste, ou nés d’une concubine50 ». La démarche taxinomique du canoniste s’impose comme l’héritière d’une tradition pluriséculaire de déclinaisons des types de filiations. Au VIIe siècle, Isidore de Séville distingue déjà dans ses Étymologies le naturales du nothus et du spurius51, et les regroupe tous dans la catégorie de ceux dont la naissance n’est pas conforme à l’honestas conjugii, – le vocabulaire du légitime et de l’illégitime n’étant pas mobilisé couramment avant l’époque grégorienne de clarification de la pensée juridique52. Le mamzer qu’ajoute Hostiensis renvoie à celui du Dt. XXIII, qui est rejeté de l’Église de Dieu. Il est associé chez le décrétaliste à ces fils marqués par une procréation transgressive, et révèle la tradition particulière de la notion dans les textes chrétiens. Il convient toutefefois de la distinguer des significations, usages et enjeux que revêt le terme dans la tradition hébraïque, de source talmudique. Le texte rabbinique de référence y est la mishna de kidouchin (3, 12) qui s’intéresse aux logiques de transmission de la judéité, et distingue schémas patrilinéaire et matrilinéaire. Le manzer définit l’identité de l’enfant né d’une « femme unie à un partenaire avec lequel elle ne peut établir une validité de mariage ». Entrent dans cette catégorie « ceux qui transgressent un interdit sexuel de la Torah », comme l’inceste ou l’adultère. La mishna de Yevamot (7, 5) établit aussi que « l’enfant d’une mère juive et d’un père non-juif ou esclave est mamzer ». Ce mamzer perd ensuite son statut d’israélite et ne pourra donc procréer qu’une descendance de mamzerim, exclue du cadre légal consubstantiel à la judéité, la seule union ayant force de loi (le kidouchin, donc) s’entendant entre juifs. Dans ce dispositif juridique, il n’est finalement de filiation que légale, et le mamzer ou la mamzeret, sans lignée d’origine, ne peut d’aucune manière prétendre à la procréation d’une descendance légitime à son tour, quel que soit le couple qu’il/elle voudrait former. Les spécialistes de la filiation et la parenté dans la tradition hébraïque rappellent le contexte très précis de formulation de ces règles, celui d’un IIIe siècle marqué par le besoin de déterminer qui est juif et qui ne l’est pas53. Shaye Cohen met aussi en garde contre la tentation de traduire le terme hébraïque par « bâtard » ou « enfant illégitime », dans la mesure où il relève d’un « système de loi foncièrement différent54 ». La détermination de la validité ou non du mariage n’est pas le critère déterminant à considérer, et cette même détermination sert essentiellement à discerner quel principe de la patrilinéarité ou la matrilinéarité s’impose dans l’établissement ou non de la judéité d’un individu. Le statut du mamzer n’est pas en soi le fruit d’une stratégie juridique de défense de l’institution matrimoniale, mais le résultat d’une construction des contours de la judéité55. À ce titre, la mobilisation du vocabulaire mamzer (ou manzer) relève dans les textes chrétiens de stratégies rhétoriques servant à signifier l’exclusion la plus rédhibitoire qui soit, sans que le bâtard-mamzer ne puisse être comparé à l’institution hébraïque.
16Car le bâtard n’est pas en soi exclu de la communauté des chrétiens ; son baptême l’intègre aux fidèles et lui donne accès au Salut à condition de se conformer aux règles et prescriptions de l’Église en la matière. Il peut d’ailleurs lui-même procréer une descendance légitime s’il la procrée dans le mariage légitime, contrairement à un homonyme hébraïque. Reste que la mobilisation de la rhétorique du mamzer pour un chrétien permet de signifier l’impensable régularisation de son statut par le mariage subséquent de ses parents, et renvoie en cela aussi, implicitement, aux catégories talmudiques des enfants nés d’un inceste ou d’un adultère. Et nous ajouterons d’un sacrilège, c’est-à-dire d’un couple dont au moins l’une des parties est liée par des vœux qui empêchent par nature tout projet matrimonial. La formalisation d’un régime juridique de la bâtardise, pris en charge canoniquement, procède de la démarche réformatrice grégorienne de mettre un terme à la perpétuation de dynastie de prêtres. Les premiers « fils » à se trouver qualifiés de semen maledictum, de « semence maudite » sont bien les « fils de prêtres, de diacre et de sous-diacre », comme le précise le canon du concile de Bourges de 1031, en adaptant la lettre de Sap. III, 16 (ab iniquo toro semen exterminabitur), ou du Dt. XXIII, 2 déjà évoqué56. La définition des incapacités personnelles et légales qui sanctionnent une bâtardise (qui ne dit pas encore son nom) a bien été prioritairement formalisée contre les enfants de nicolaïtes, exclus des ordres séculiers, avant d’être étendue et adaptée aux enfants nés hors du « mariage légitime » (non legitimo conjugio), et à qui l’on dénie la qualité d’héritier57. La rhétorique de l’exclusion a conduit à définir dans les textes coutumiers le bâtard comme celui qui est sans gens ni genus, puis à l’assimiler aux étrangers, voire aux serfs chez les juristes de l’époque moderne qui cherchaient à signifier et justifier le droit de bâtardise autorisant le seigneur haut-justicier puis le souverain à hériter du bâtard qui n’aurait procréé lui-même de descendance légitime58.
17Né d’un couple de géniteurs qui ne respectent ni l’honneur du mariage et son honestas, ni sa pleine et entière sacramentalité (quand la théologie et le droit la conceptualisent pleinement, à compter du XIIe siècle), et donc sa plus grande honorabilité encore, et se placent donc en dehors des cadres de la loi, le bâtard souffre de ce « défaut de naissance » qui se traduit par une tache, une macula que relaient les discours des juristes59. Les formules employées dans les suppliques enregistrées à la Pénitencerie apostolique renvoient toutes aux XVe et XVIe siècles au « defectu[s] natalium » dont souffre (« quem patitur ») celui qui est, cas le plus fréquent dans ces registres, né d’un prêtre et d’une femme célibataire (« de presbitero genitus et soluta ») mais aspire tout de même à accéder aux ordres sacrés et à posséder un bénéfice ecclésiastique, voire à obtenir un bénéfice avec cure60. Dans les lettres de légitimation enregistrées à la Chancellerie royale et versées au Trésor des Chartes aux côtes JJ, on constate pour la première moitié du XIVe siècle que dans ces actes rubriqués gratia specialis61, gratia seu dispensatio62, gratia63, abilitatio64 et majoritairement legitimatio (natalicie et bastardie65 ou nativitatis66 ou originis67), se mèlent les lexiques de la bâtardise (bastardia ou bastardus/-a, ou « bastart »68) et de la filiation naturelle pour qualifier l’identité de celui, filius/filia naturalis pour qui la grâce du roi est mise en œuvre afin de « légitimer », « dispenser » et/ou « habiliter ». Le lexique s’enrichit aussi de l’évocation du défaut de naissance dont les uns ou les autres souffrent : « deffaut », macula, defectus natalium69, qu’il s’agisse du fils ou de la fille né(e) d’un prêtre et d’une femme « solue » (de presbitero et soluta70 ou d’un diacre et d’une femme non mariée71), d’un célibataire et d’une moniale72, ou d’une relation adultère73, comme de deux célibataires (de soluto cum genitus et soluta74). Les lettres de légitimation émises par la chancellerie bourguignonne du XVe siècle semblent encore fonctionner selon les mêmes référents sémantiques, plus figés toutefois autour de formules évoquant le « deffault de nativité ou bastardise75 ». Au milieu du XVIe siècle, « default et maculle de géniture » sont encore au cœur des dispositifs rhétoriques, comme en témoignent notamment les lettres de légitimation accordées par Charles IX, comme ici en 1565 :
« Charles, par la grace de Dieu roy de France, a tous presens et advenir, salut. Comme aux parsonnes illegitimement engendrez, desquelles l’honnesteté de vie est decoree ne doibve estre reproché, ne impropre le vice de nature, mais les bonnes meurs supplient le default et maculle de geniture et soit ainsi que nostre cher et bien amé Bernard Galibert soit par illicite copulacion extraict yssu et procréé de Vincent Galibert son pere et de Marguerite Pasteur, lors solue et non mariée, touteffois les meurs et merites qui sont en luy doibvent supplier ceste maculle et suffire pour obtenir de nous la grace qu’il nous a fait supplier et requerir. Sçavoir faisons que nous, desirant intpartir noz graces audict Bernard Galibert pour ces causes et autres a ce nous monnans, avons de nostre grace special, plaine puissance et auctorité royal, legitimé et legitimons et de ce tiltre et honneur de legitimation decret et decretont par ces presentes76. »
18Ces actes gracieux éclairent des situations conjugales qui n’entament pas toutes la norme canonique du mariage dans les mêmes proportions mais qui peuvent toutes être qualifiées, comme c’est le cas dans les légitimations de Charles IX, d’« illicite copulation » ou d’« illégitime et non permise conjonction ». Les doutes sur la filiation et l’identité du père sont aussi des causes de bâtardise ; ainsi peut-on trouver dans les registres de baptême français du XVIe siècle, des mentions plus ou moins explicites comme « A été baptisé X, fils de Louise, à ce qu’on dit », « A été baptisé Y, bâtard de F. », ou « L., fille de une telle et un tel, malvivant à… » ou « fils de D., de père inconnu »77.
19L’époque moderne permet de mobiliser certaines sources spécifiques comme ces registres de baptême dont l’édit de Villers-Cotterêts de 1539 généralise l’usage ou bien ces déclarations de grossesse rendues obligatoires par l’édit de février 1556 « sur le recelé de grossesse78 ». Pour la période médiévale, nous manquons de corpus de cette nature pour nous renseigner sur l’éventuelle institutionnalisation des moyens de contrôle et de surveillance de la bâtardise au sein des communautés (tout spécialement paroissiales). Les recherches de Vincent Tabbagh ont confirmé que même les sources produites par les doyens ruraux du diocèse de Sens ne permettent pas d’identifier les naissances illégitimes de manière probante79. Certains statuts synodaux, notamment normands, imposent pourtant bien l’obtention de lettres de purification aux parturientes désireuses de pouvoir assister à nouveau à la messe. Elles portent le nom de lettres d’amessement dans le diocèse de Rouen. Cette pratique devait permettre aux curés d’identifier les naissances hors mariage ou douteuses80. Le dépouillement d’archives de la pratique judiciaire peut donner à voir les bâtards des milieux populaires, comme des milieux aristocratiques81, mais comme le rappelle Anne Lefebvre-Teillard, à partir du XIVe siècle, les tribunaux laïcs s’emploient à régler de plus en plus eux-mêmes les causes de filiation, tout en respectant les règles posées par le droit de l’Église. À côté des archives institutionnelles (droit et coutumes82, archives judiciaires prouvant la répression des conduites sexuelles irrégulières83, ou des archives produites par les institutions de l’assistance84), les archives du for privé (comme les livres de famille85) ou les testaments permettent aussi d’identifier certains enfants nés en dehors du mariage légitime mais intégrés à la maison du père plus ou moins de bonne grâce86, ou associés in extremis aux legs pieux du testateur. L’étude des testaments des pays de droit écrit a en effet permis à Roger Aubenas de constater que les bâtards « font l’objet de legs (parfois importants) mais aussi d’une “institution d’héritier à titre particulier” lorsqu’ils sont considérés comme légitimaires », c’est-à-dire légitimés87. Légataire et héritier n’ont toutefois pas le même statut88. En pays de droit écrit, l’héritier est comme le continuateur de la personnalité du défunt89. C’est une réalité juridique à laquelle le bâtard, a fortiori s’il n’est pas légitimé, ne peut prétendre. Mais les testaments témoignent aussi de stratégies des pères pour intégrer leur descendance naturelle (bâtards légitimés, bien sûr mais aussi ceux qui ne l’ont pas été) à leur héritage. Danielle Courtemanche fait état de 30 testaments de gens du roi de France au XVe siècle dans lesquels il est question de « bâtards », sur les 234 de son corpus, soit un ratio de 13 %90. C’est beaucoup plus que les 10 cas de filiation naturelle évoqués pour les 678 parlementaires étudiés par Françoise Autrand entre 1345 et 1454 (soit un ratio de 1,5 %)91. Marie-Thérèse Lorcin rappelle que « léguer à un bâtard, parler de lui dans le testament, sont des preuves d’affection que le testateur donne, sans y être tenu92 ». Les testaments nous renseignent donc sur certaines pratiques, même si les occurrences y sont modestes. Dans les testaments enregistrés devant la cour du Forez ou l’officialité de Lyon, Marie-Thérèse Lorcin constate qu’1 testament sur 17,6 évoque un « donné » (1 pour 6,9 pour les nobles, 1 pour 23 pour des clercs, 1 pour 35,6 pour des ruraux)93. Et encore dans ce corpus, les bâtards ne sont les descendants avoués du testateur que dans un nombre réduit de cas (1 pour 12 dans les testaments nobles, 1 pour 52 pour les testaments des ruraux). Les nobles ont moins de réticence (ou de scrupules) à évoquer leur bâtard, au contraire des paysans, bien moins enclins à évoquer leurs bâtards : « avouer un enfant illégitime ou même simplement léguer au bâtard d’autrui est un luxe nobiliaire ou clérical et c’est aussi un luxe de citadin », conclut Marie-Thérèse Lorcin94. Seul l’homme évoque ses propres bâtards dans ses testaments, les femmes léguant davantage des biens aux bâtards d’autrui.
20Même si le légitimé ou le bâtard trouve parfois matériellement ou symboliquement sa place dans la construction des familles, car son éducation et sa prise en charge quotidienne doivent être théoriquement réglées par les « aliments » du père (et/ou de la mère), de même qu’il peut aussi trouver sa place dans les ordres une fois levé l’empêchement induit par l’irrégularité de sa naissance, il n’en demeure pas moins que la macula primitive continue de peser de tout son poids de déshonneur95. Ainsi le lien entre illégitimité et abandons d’enfant, ou infanticides, a été régulièrement étudié par les historiens de l’assistance ou de la répression dont les travaux illustrent la réalité de cette pression sociale96. Pour Nicole Gonthier, quand elle recense les injures médiévales, le « bâtard » est étymologiquement le fils de l’adultère, celui-là même qu’un capitulaire de Louis le Pieux (au IXe siècle) condamne à la peine infamante d’être bâté et chevauché par le fruit de ses amours illicites97. L’enfant est alors désigné par les mots « bastier » ou « bastart », « fils de celui qui a porté le bât98 ». La question de la disgrâce juridique de la bâtardise implique en effet de réfléchir aussi au scandale qu’il peut représenter quand le statut social des pères ne permet pas d’alléger de fait la faute99. Comme Claude Gauvard l’a écrit dans Crime, État et société en France à la fin du Moyen Âge, il existe bien « dans la rémission des peines, le non-dit d’une insidieuse discrimination qui préfère le maître au valet, l’enfant légitime au bâtard100 ». Ne pas vivre en « loyal mariage » vous discrédite, comme de ne pas être né en « loyal mariage », même si la faute ne vous est pas directement imputable. L’injure sexuelle est bien considérée comme la plus infamante ; et celle qui met en cause la filiation légitime relève de cette catégorie. En plus de son honneur personnel, l’honneur de la mère est flétri quand on est traité de « fils de putain101 ». « Bâtard », « champis » sont des insultes graves, surtout dans les milieux populaires. La prise en compte des statuts sociaux est une clef de lecture essentielle : la « population ordinaire […] se réfugie dans la loyauté […] dès leur déclinaison d’identité », dans un souci évident « d’affirmer la légitimité des parents », rappelle encore Claude Gauvard. Dans le formulaire des lettres de légitimation bourguignonnes du début du XVe siècle étudiées par Alice Duda, le bâtard se dit toujours de « bonne vie et conversation102 », et c’est bien pour cela qu’il se trouve « morigéné » de cette « bastardie ». Dans les légitimations accordées par Charles IX en 1565, on lit bien aussi que « l’honnesteté de vie set décoree ne doibve estre reproché » et que les « bonnes mœurs supplient le default et maculle de geniture103 ». L’infamie du bâtard est une réalité juridique (qui a des conséquences judiciaires), l’honnêteté de sa « conversation » n’en est pas pour autant systématiquement remise en question ; et c’est d’ailleurs ce qui, dans la rhétorique de la grâce, justifie aussi sa légitimation (en plus de sa loyauté à l’égard du souverain).
21Quels « seuils de tolérance » à l’écart à la norme, réel ou supposé, peuvent donc être identifiés, et comment fonctionnent-ils ? Ce sont là des questionnements auxquels notre étude ne peut se dérober. Car le prisme des littératures européennes, médiévales et modernes, révèle aussi l’ambivalence de la figure du bâtard, entre indifférence, stigmatisation et valorisation. Dans son étude de l’enfance dans la littérature médiévale, Jens Faaborg écrit : « Si les textes semblent se désintéresser des bâtards, c’est le signe qu’en général elle n’est pas très différente de celle des enfants légitimes, que leur place dans la famille et dans la société ne donne pas lieu à des réflexions particulières104. » Pour Linda Paterson, au contraire, « le souci de la légitimité se trahit dans l’attitude envers le bâtard : seul le bâtard dans les textes narratifs est un scélérat (Girart, v. 6005)105 ». Plusieurs contributions du volume montrent toute l’ambiguïté de la figure du bâtard, et combien ces deux assertions, tout en conservant une part de vérité, méritent d’être nuancées en embrassant plus largement les corpus et en affinant la lecture106. Ces premiers constats illustrent combien le bâtard ne se révèle pas sans quelques efforts dans les représentations littéraires et combien les marqueurs de la bâtardise sont diversement connotés selon les configurations narratives. Jens Faaborg cite d’ailleurs lui-même les inévitables contre-exemples à ses premières conclusions. Le bâtard peut ainsi incarner la faute des parents au point de devoir être chassé de la cour dès la naissance, comme c’est le cas du futur Arthur dans le Merlin en prose du XIIIe siècle. Uter demande à Ygerne comment elle est devenue grosse, et lui commande de n’en rien dire, d’abandonner l’enfant, dès sa naissance puisqu’il ne pourra pas être reconnu légitime :
« Et li rois dist : “Demain au soir apriès la mienuit averés enfant a l’aide de Dieu. Et je vous pri et commant que si tost il sera nés que vous le faites baillier par une de vos privees femes au premier houme qu’elle trouvera a l’issue de la sale. Et commandés a toutees celes qui au naistre seront que nul ne dit que vous aieiés eu enfant, car grand honte serait à moi et a vous107.” »
22Au contraire, le bâtard peut aussi incarner le vaillant homme (du moins quand il est de sang noble), comme l’illustre cette chanson de geste du XIIIe siècle :
Qui fu donques li père qui moi a engendré ?
Car se je sui batarz, ne sui mie mauvés
Mieux vaut. i. bons bastaz que mauvais d’éposé108.
23Les implications socio-culturelles de la bâtardise ont profondément évolué au fil des siècles que nous avons choisi d’explorer, mais aussi varié selon les contextes de leurs énonciations, entre indifférence (relative), valorisation, instrumentalisation, stigmatisation. Le bâtard comme figure historique, politique ou fictionnelle, a su s’imposer aussi comme point de fixation rhétorique et discursive de tous les paradoxes, donc de tous les possibles109.
Problématisations
24Les questions relatives aux poids, aux causes et aux conséquences sociales des naissances hors mariage ont nourri de nombreux travaux en démographie historique, autour de l’école de Cambridge et les enquêtes de Peter Laslett110. En histoire politique et sociale, l’articulation entre bâtardise et pouvoir est riche de travaux et articles qui restent des références, depuis les articles fondateurs des médiévistes Mickaël Harsgor, Françoise Autrand pour la France, mais aussi de Myriam Carlier pour les Flandres111. Des études d’envergure ont été également initiées à partir des sources émanant de la Pénitencerie apostolique, dirigées notamment par Ludwig Schmugge et qu’introduisit en 1994 un colloque sur l’Illégitimité à la fin du Moyen Âge112. L’articulation des sources de la pratique (ici pontificale) à l’étude de la théorie, notamment canonique, enrichit donc les approches des historiens et des historiens du droit qui s’étaient initialement intéressés à la définition de la filiation, à l’étude de la condition juridique du bâtard et à l’étude des outils élaborés par l’Église, ou les pouvoirs politiques, pour légitimer les enfants naturels113. La bâtardise reste un attractif objet d’étude d’histoire sociale, comme en témoignent de nombreux collectifs récemment publiés, ou les mémoires et thèses en cours ou soutenus114. Reste à entreprendre une synthèse des histoires de l’illégitimité et de la légitimation, des monographies particulières de bâtards princiers et/ou royaux, des approches socio-historiques des relations de pouvoir entre bâtards, légitimés, et autorités royales, des histoires sociales de la noblesse.
25La disqualification légale mais aussi sociale et morale de la bâtardise doit être étudiée en tenant compte de nombreuses variables qu’il importe d’identifier, de questionner, et de hiérarchiser afin d’initier une histoire sociale et culturelle de la filiation hors norme. Il ne s’agit alors pas tant (ou, du moins, pas seulement) de rechercher les bâtards pour tenter d’évaluer le degré d’acceptation par les couples des normes sexuelles des sociétés médiévale et moderne, ou pour évaluer le degré d’immixtion des pouvoirs politiques (ecclésiastiques ou royaux) dans l’intimité des couples, mais bien de réfléchir à la façon dont fonctionne en pratique la filiation et la parenté, comment elles se vivent aussi dans le quotidien des rapports parents-enfants (à certains moments clefs ou symboliques de la vie : transmission d’un capital symbolique ou matériel, au moment du baptême, du mariage ou de l’héritage ; dans la construction des carrières ; dans le fonctionnement des fratries, entre indifférences, soutiens, rivalités), en s’efforçant d’identifier les seuils séparant l’exclusion de l’intégration. Comment se conceptualise la bâtardise, comment se dit-elle, comment se vit-elle115 ? Que nous dit-elle du rapport de l’individu, ou du groupe social mis en lumière par telle ou telle source, à la norme légale, à la norme sociale de promotion du « loyal mariage » ?
26La définition de la bâtardise comme « macule » ou « défaut » de naissance a donc d’abord été pensée pour empêcher les fils de prêtre à hériter d’un patrimoine bénéficial qui ne pouvait être le leur ; puis à contraindre tous les couples laïcs à mesurer l’incidence pour leurs enfants à naître de tout écart à une norme conjugale que canonistes et théologiens ont formalisée à partir des temps grégoriens. Les autorités compétentes pour dire le droit prennent en charge la définition de la norme, le contrôle de sa bonne application mais aussi la régulation des tensions inhérentes à la sanction d’une peine pour une faute commise par les géniteurs et non par le bâtard lui-même. La régulation est prise en charge au spirituel par les pouvoirs pontificaux par le biais de l’instrument de dispense et au temporel par les pouvoirs séculiers, par le biais de l’instrument de la légitimation. Ces deux outils, aux finalités distinctes (permettre l’accès aux ordres séculiers ou permettre aux légitimés de redevenir héritier de leurs parents), ont contribué à alimenter une rhétorique de la souveraineté, pontificale ou monarchique, et par tant à contribuer au renforcement de cette même souveraineté qui dit la norme, sanctionne l’écart et dispense des conséquences de l’irrégularité. L’époque de la Contre-Réforme est à ce titre révélatrice de ce que peut devenir formellement « bâtard » celui qui n’est pas forcément né hors mariage, d’un concubinage, d’un adultère, ou d’une relation sacrilège, mais, après la révocation de l’édit de Nantes, d’un couple d’époux protestants et non pas catholiques116. La stigmatisation sociale d’un tel fils et de ses parents ne saurait être comparable avec celle qui risquerait de peser sur une relation ancilaire ou adultérine, de ces amours coupables et souvent contraints, qui nourrissent abandons voire infanticides. Car la bâtardise ne se réduit pas au seul statut stigmatisé par des incapacités personnelles (juridiques, juridiciaires), résultat d’une naissance hors mariage légitime ; elle peut fonctionner aussi comme une macule en soi, déconnectée de son contenu normatif primitif, et donc matrimonial117. Il apparaît nécessaire d’identifier comment ces différentes disqualifications s’articulent et se hiérarchisent, en s’efforçant de rendre compte de grilles de lectures plus complexes que la seule alternative exclusion/inclusion. Il convient aussi d’articuler l’approche théorique de ce que le droit nous dit de la condition de l’enfant illégitime, d’un statut pensé comme outil de contrainte pour hiérarchiser les filiations, ce que l’on saisit des modalités et stratégies juridiques (canoniques, coutumières, ou royales) et judiciaires (ecclésiastiques ou séculières) pour protéger l’enfant à naître de l’infanticide qui risque de sanctionner la honte d’une naissance hors normes sociales, pour donner droit « aux aliments » à ces enfants qui, bien que théoriquement sans gens ni genus, n’en sont pas pour autant sans père tenu canoniquement de leur assurer subsistance et éducation, à celle, pratique, de profils ou de destins particuliers. À l’adage « Cum nec genus nec gentem habet » qui circule du XIVe au XVIIe siècle118, répond aussi « Qui fait l’enfant doit le nourrir », résumant les dispositifs canoniques élaborés dès le XIIe siècle pour permettre à l’enfant ne pas pâtir sans recours de la faute de ses géniteurs. Une parentalité particulière s’exprime ainsi selon que l’enfant est accueilli dans une fratrie, dans la maison de son père, ou abandonné aux institutions charitables qui se substituent au père charnel ; selon qu’il circule comme « donats », selon aussi que l’enfant naît ou non dans la noblesse qui, jusqu’au milieu du XVIe siècle lui offre des opportunités d’ascension sociale et peut voir dans l’adulte qu’il devient, homme ou femme, un membre du lignage à la partition bien précise à jouer119.
27L’étude isolée des corpus fait peser le risque d’une lecture biaisée et fragmentée des déclinaisons d’une norme qu’il importe de mettre en perspective avec des systèmes de représentation sémantiques, axiologiques, fictionnels, discursifs, rhétoriques et politiques pluriels. Cette mise en perspective, et parfois l’élucidation préliminaire des arrière-pensées de certains champs de recherche, permettent de reposer les contours de l’objet scientifique auquel nous aspirons, en prenant en considération les langages juridiques, politiques de la bâtardise, mais aussi les langages intra-familiaux de la construction des liens120, paternels, maternels, adelphiques, dans des configurations familiales de crise, de doute, de tensions121. La bâtardise s’impose en effet comme un observatoire privilégié de la parenté et des différentes expressions de la filiation et de l’affiliation, mais aussi de l’étude d’un écart à la norme, tel qu’il se formalise, se décline dans le langage ou se met en scène rhétoriquement. Les figures de bâtards, par leur hybridation, permettent tout spécialement de problématiser la société de leur temps, notamment dans le roman et le théâtre122.
28Nous proposons donc ici une histoire sur le temps long, enrichie des comparaisons entre la France, l’Italie, la péninsule Ibérique, les Pays-Bas, l’Empire et la Suisse, de l’écart à la norme en matière de filiation, des marqueurs de cet écart et des représentations induites par ces marqueurs. Pour ce faire, l’étude a été organisée en quatre grandes parties. Après un article préliminaire qui envisage la bâtardise au prisme d’une méthodologie particulière, celle à l’œuvre en démographie historique, la première partie présente les régimes juridiques de la bâtardise et leurs enjeux disciplinaires et politiques. La deuxième partie questionne la place des bâtards (dans la diversité de leurs statuts, anonymes ou illustres, roturiers ou nobles, naturels, adultérins ou sacrilèges) dans les sociétés d’Ancien Régime, entre stigmatisation, discrimination et intégration. La troisième partie décentre le regard de la seule modulation de la stigmatisation pour appréhender la bâtardise comme un observatoire de la parenté et des expressions plurielles de la filiation. La quatrième partie décline enfin les manières de penser, dire, et représenter l’écart à la norme. Nous avons autant que possible fait le choix de mettre en regard des contributions de chercheurs d’horizons disciplinaires différents (histoire, histoire du droit, langues et littératures, linguistique, démographie historique) afin d’apporter au propos qui nous réunit une pluralité d’éclairages dont nous espérons qu’elle convaincra le lecteur de sa fécondité.
Notes de bas de page
1 Laslett P., Oosterveen K. et Smith R. M. (dir.), Bastardy and Its Comparative History. Studies in the history of illegitimacy and marital non conformism in Britain, France, Germany, Sweden, North America, Jamaica and Japon, Londres, Edward Arnold, 1980; Schmugge L. (dir.), Illegitimät im Spätmittelalter, Münich, Oldenbourg, 1994; Schmugge L., Kirche, Kinder, Karrieren. Päpstliche Dispense von der unehelichen Geburt im Spätmittelalter, Zürich, 1995.
2 Bousmar É., « Les bâtards et l’exercice du pouvoir : modalités spécifiques ou fenêtre étroite d’opportunité », É. Bousmar, A. Marchandisse, C. Masson et B. Schnerb, La bâtardise et l’exercice du pouvoir en Europe du XIIIe au début du XVIe siècle, Revue du Nord, hors-série, no 31, coll. « Histoire », 2015, p. 479-493, ici p. 489-490.
3 C’est avec grand intérêt que nous relevons l’emploi des termes de « mulet » ou de « bardot » pour qualifier les bâtards des princes piémontais de la fin du Moyen Âge. Gentile L. C., « Les bâtards princiers piémontais et savoyards », ibid., p. 387-410, ici p. 387.
4 Cf. infra : Steinberg S.
5 L’essentiel des problématiques à l’œuvre autour du thème de la bâtardocratie développé par Mickaël Harsgor et plus récemment les contributeurs du colloque de Liège de 2008 (La bâtardise et l’exercice du pouvoir, op. cit.) en témoigne.
6 Sur la doctrine romano-canonique du mariage médiéval et la différence en droit canonique entre filiation légitime et filiation illégitime, voir tout spécialement Lefebvre-Teillard A., Introduction historique au droit des personnes et de la famille, Paris, PUF, 1996, chap. : « Le Moyen Âge : le mariage sous le contrôle de l’Église », p. 132-165, et « La filiation au Moyen Âge », p. 233-256.
7 « Ut filii presbytorum sive diaconum vel subdiaconorum in sacerdotio vel diaconatu vel subdiaconatu nati nullo modo ulterius ad clericatum suscipiantur, quia tales et omnes alii qui de non legitimo coniugio sunt nati semen maledictum in scripturis divinis appellantur nec apud seculares leges hereditare possunt nec in testimonium suscipi » (canon cité par Génestal R., Histoire de la légitimation des enfants naturels en droit canonique, Paris, Bibliothèque de l’École des hautes études, coll. « Sciences religieuses », 18, 1905 p. 11-13).
8 « Heres autem legitimus nullus bastardus nec aliquis qui ex legitimo matrimonio non esset procreatus esse potest » (Tractatus de legibus et consuetudinibus regni Anglie qui Glanvill vocatur, éd. G. D. G. Hall, Londres, 1965, p. 87). Le Regiam Majestatem écossais, paru vers 1320, en reprend le texte: « No bastard or other person not born in lawful wedlock can be an heir », « a personn begotten or born before his father subsequently marries his mather […] cannot under any circumstances be treated as an heir or allowed to claim inheritance »; « a bastard […] can have no heir except the heir of his body born in wedlock » (cité par Grant A., « Royal and Magnate Bastards in the Later Middle Ages: the View from Scotland », É. Bousmar, A. Marchandisse, C. Masson et B. Schnerb (dir.), La bâtardise et l’exercice du pouvoir en Europe du XIIIe au début du XVIe siècle, op. cit., p. 313-355.
9 Dans sa Lectura in quinque libros decretalium (sur X., IV, 17, 6), le décrétaliste du XIIIe siècle Hostiensis pousse la logique conjointe de la vis matrimonii et de la favor prolis jusqu’à considérer qu’est légitime tout enfant né dans le mariage, à défaut d’y avoir été toujours conçu. Lefebvre-Teillard A., « Tanta est vis matrimonii : remarques sur la légitimation par mariage subséquent de l’enfant adultérin », Autour de l’enfant. Du droit canonique et romain médiéval au Code civil de 1804, Leiden/Boston, Brill, 2008, p. 190.
10 Avignon C., « Les stratégies matrimoniales des premiers Capétiens à l’épreuve des prohibitions canoniques en matière de parenté (XIe-XIIe siècles) », M. Aurell (dir.), Les stratégies matrimoniales (IXe-XIIIe siècles), Turnhout, Brepols, 2013, p. 237-256, spécialement p. 248-255 : quelques réflexions sur la définition du spurius chez Yves de Chartres, et les stratégies mises en œuvre par l’évêque pour brandir la menace d’illégitimité quand l’union illicite n’est encore qu’un projet matrimonial, au regard de l’affaire des mariages de Philippe Ier.
11 Poppa et Rollon (911-928), Sprota et Guillaume Longue Épée (928-942) sont unis more danico. Voir Musset L., « Les apports scandinaves dans le plus ancien droit normand », Droit privé et institutions régionales. Études historiques offertes à Jean Yver, Paris, PUF, 1976, p. 561.
12 Boüard M. de, Guillaume le Conquérant, Paris, Fayard, 1984. Il consacre la première partie de sa biographie au « Bâtard » (p. 77-231), par opposition au « Conquérant », puis au « Roi » ; voir entre autres p. 170.
13 Il s’agit d’un ouvrage emblématique de la littérature généalogique. Duby. Duby G., « Structures de parenté et noblesse dans la France du Nord aux XIe et XIIe siècles », « Remarques sur la littérature généalogique en France aux XIe et XIIe siècles », La société chevaleresque. Hommes et structures du Moyen Âge (I), Paris, Flammarion, 1988, p. 143-166 et p. 167-180. Voir aussi Nieus J.-F., « Les conflits familiaux et leur traitement dans l’Historia comitum Ghisnensium de Lambert d’Ardres », M. Aurell (dir.), La parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2010, p. 343-358, ici p. 343-346.
14 Nieus J.-F., art. cit., p. 346.
15 Lambert d’Ardres, Historia Comitum Ghisnensium, MGH, Scriptores, t. 14, § 11-12, p. 568: § 11: « Quomodo Sifridus impregnavit Elstrudem et apud Ghisnas mortuus est » ; § 12 : « Quomodo Arnoldus, Balduini filius, curam egit amite sue Elstrudis et filii ejus et Sifridi, Arnolphi, et quomodo ei totam Bredenardam in filiolagium contulit ».
16 Carron R., Enfant et parenté dans la France médiévale, Xe-XIIIe siècles, Genève, Droz, 1989, p. 124-126.
17 Lemesle B., La société aristocratique dans le Haut-Maine, XIe-XIIe siècle, Rennes, PUR, 1999, p. 121-122.
18 Coutumes et institutions de l’Anjou et du Maine, éd. M. C.-J. Beautemps-Beaupré, Paris, Durand et Pédone-Lauriel, 1877-1893, § 850.
19 Lefebvre-Teillard A., « L’effet rétroactif de la légitimation en droit canonique médiéval », Autour de l’enfant, op. cit., p. 329 (novelle 74).
20 Lefebvre-Teillard A., « L’enfant naturel dans l’ancien droit français », ibid., p. 259.
21 Préface de la novelle 89, cité par Lefebvre-Teillard A, « L’effet rétroactif de la légitimation en droit canonique médiéval », ibid., p. 329, note 2.
22 Lefebvre-Teillard A., « Pater is quem nuptiae demonstrant : jalons pour une histoire de la présomption de paternité », ibid., p. 185-197, spécialement p. 191 ; Demoulin-Auzary F., Les actions d’état en droit romano-canonique. Mariage et filiation, XIIe-XVe siècle, Paris, LGDJ, 2004, chap : « La possession de filiation », p. 235-270
23 Sur l’histoire de la légitimation des enfants naturels, voir Génestal R., Histoire de la légitimation des enfants naturels en droit canonique, Paris, 1905, et sa lecture critique presque cent ans après sa publication, dans Lefebvre-Teillard A., « Histoire de la légitimation des enfants naturels en droit canonique : observations sur un ouvrage presque centenaire », Autour de l’enfant, op. cit., p. 277-286 ; sur le cas particulier de l’enfant adultérin condamné à rester spurius, ead., « Tanta est vis matrimonii : remarques sur la légitimation par mariage subséquent de l’enfant adultérin », ibid., p. 287-300.
24 Lefebvre-Teillard A., « Causa natalium ad forum ecclesiasticum spectat : un pouvoir redoutable et redouté », Autour de l’enfant, op. cit., p. 171-184.
25 Godding P., Le droit privé dans les Pays Bas méridionaux du XIIe au XVIIIe s., Académie royale de Belgique, Mémoires de la classe des lettres, 2e série, t. 14, Bruxelles, 1987, p. 114-115.
26 Helmholz R., « Bastardy litigation in Medieval England », The American Journal of Legal History, 13-4, octobre 1969, p. 360-383. Dans une publication récente, Michael Hicks reprend cet article fondateur ainsi que les travaux de Given-Wilson C. et Curteis A. (The Royal Bastards of Medieval England, Leyde/Boston/Melbourne, Henley, 1984) et propose une synthèse des spécificités du traitement des bâtards (royaux, en l’occurrence) en common law dans l’Angleterre médiévale : un statut plus dégradé que leurs homologues continentaux en raison de l’impossible accès à l’héritage paternel ainsi que l’impossible légitimation par mariage subséquent. Hicks M., « The Royal Bastards of Late Medieval England », La bâtardise et l’exercice du pouvoir, op. cit., p. 367-386. Dans ce même colloque, Alexander Grant précise quant à lui la situation juridique particulière des bâtards écossais qui pouvaient être légitimés, comme en droit français, mais bénéficiaient, comme en droit anglais, d’une filiation affirmée à leur père naturel. Grant A., « Royal and Magnate Bastards in the Later Middle Ages: the View from Scotland », art. cit., p. 313-355.
27 Pour préciser les termes des débats sur ces questions : Lefebvre-Teillard A., « Causa natalium », art. cit., p. 179.
28 Delbez L., De la légitimation par « lettres royaux ». Étude d’ancien droit français, Montpellier, 1923, p. 38-42.
29 « predictos puerum et puellam de speciali gratia legitimationis titulo ut nullus eis in naturalibus defectus obsistat » (cité ibid., p. 175-178 ; voir aussi Gaudemet J., « Le dossier canonique du mariage de Philippe Auguste et d’Ingeburge de Danemark (1193-1203) », RHDFE, 1984, p. 15 sq.).
30 Trésor des Chartes du Ponthieu. Exemples cités dans Delbez L., De la légitimation, op. cit., p. 42 et 43.
31 Ibid., p. 43.
32 Ibid., p. 46.
33 François Olivier-Martin rappelle toutefois la persistance de certaines limites pratiques. Il précise que la « légitimation par lettres du roi […] confère aux bâtards, vis-à-vis du roi, la qualité d’enfants légitimes. L’enfant légitimé viendra donc à une succession en déshérence qui aurait sans cela appartenu au roi. Mais il n’a aucun droit à côté ou à l’encontre des héritiers légitimes ». La situation juridique de la famille civile ne serait donc pas systématiquement et pleinement modifiée (Olivier-Martin F., Histoire de la coutume de la prévôté et vicomté de Paris, Paris, Éditions Cujas, 1925 [2e édition], p. 424 et p. 455). Renée Barbarin précise que « seul est admis à succéder, donc à faire partie de la famille, le bâtard légitimé par mariage subséquent ou par lettres royaux lorsque la famille a consenti à cette légitimation » (Barbarin R., La condition juridique du bâtard d’après la jurisprudence du Parlement de Paris, du Concile de Trente à la Révolution française, thèse pour le doctorat en droit, Paris, Floch, 1960, p. 118). Les mémoires de master 1 et master 2 de Romain Chevallier, soutenus en 2014 et 2015 à Lyon-3 sous la direction de Nicolas Carrier, présentent de substantiels éclairages sur les pratiques de la chancellerie de Charles VII en matière de légitimation (Chevalier R., Les lettres de légitimation émises par la chancellerie de Charles VII (1430-1461), mémoire de master 2, spécialité de master : histoire et archéologie comparées des sociétés médiévales [mondes chrétiens et musulmans], université Jean-Moulin Lyon-3, 2 vol., 2015). Sur les légitimations accordées par les ducs de Bourgogne, voir Duda A., « Les lettres de légitimation des ducs de Bourgogne (1384-1477), La bâtardise et l’exercice du pouvoir, op. cit., p. 139-167 et infra, Steinberg S.
34 Un exemple parmi d’autres : AN, JJ 65A, fo 81v : la légitimation accordée le 17 juin 1328 par Philippe VI à « Petrus de Palharcio natus de Petrona Morela et Galiarda de Palhiarco nata Raymunda Ganchiera ». Il s’agit de lui permettre de succéder à son père et sa mère : « Gratia facta Petro de Pailharcio et Raymunde ejus uxoris quod possint obtinere successionem patrem et matrem suorum […] prefati Petrus et Gailharda ad successiones parentum et quorumlibet aliorum et acquisitionis rerum et ad honores et omnia alia admittentur per inde ac si essent ex legitimo matrimonio procreati non obstante defectu natalium quem nos tenore presentium abolemus nec obstante usu jure consuetudine patrie contrarus quibuscumque. »
35 Recueil général des anciennes lois françaises : depuis l’an 420 jusqu’à la révolution de 1789…, éd. F.-A. Isambert, Decrusy et Armet, Paris, Belin-Leprieur, p. 471-473. Voir Phan M. C., « Les déclarations de grossesse en France (XVIe-XVIIIe siècles) », RHMC, 1975, p. 61 sq.
36 Sur les dispositifs mis en œuvre en Cambrésis, voir Demars-Sion V., Femmes séduites et abandonnées au XVIIIe siècle. L’exemple du Cambrésis, Lille, Espace juridique, Histoire judiciaire, 1991. Des comparaisons peuvent être initiées avec les Poor Laws anglaises dont les premières datent du règne d’Elisabeth (1558-1603) en 1576 (Statute 18 Eliz. Cap. 3) et sont régulièrement répétées et amendées (jusqu’à leur abrogation en 1834), notamment en 1609 sous Jacques Ier (1603-1625). Elles établissent que l’enfant illégitime est à la charge de la paroisse, mais que les parents identifiés doivent s’acquitter d’un dédommagement dont ils se dispensent bien souvent. Voir Pickering D., The Statutes at Large: from the Magna Charta, to the End of the Eleventh Parliament of Great Britain, t. 6 et t. 7, 1762. Nous remercions Éléonore Bonnaud d’avoir évoqué ces textes à l’occasion d’une de nos conférences.
37 Croenen G. « Bâtards et pouvoir dans le duché de Brabant, XIIe-XIVe siècles », Les bâtards et l’exercice du pouvoir, op. cit., p. 189-218.
38 Nassiet M., « Les bâtards dans l’Ouest au XVe et au début du XVIe siècle », ibid., p. 219-234.
39 Éric Bousmar parle de « l’effet combiné de la baisse démographique du milieu du XIVe siècle, la guerre affectant la mortalité et les carrières, et [d’]une certaine autonomie culturelle des élites par rapport au prescrit moralisateur en matière de sexualité » (Bousmar É., « Les bâtards et l’exercice du pouvoir : modalités spécifiques ou fenêtre étroite d’opportunité ? », ibid., p. 479-493, ici p. 492). Sur les spécificités du royaume d’Angleterre, voir Hicks M., art. cit.
40 Ibid.
41 Lefebvre-Teillard A., Introduction historique, op. cit., p. 239.
42 Ibid., p. 328.
43 Cité ibid., p. 339. Le mariage occidental a en effet d’abord été pensé comme une institution, essentiellement transcendante dans sa réalisation chrétienne. La tension entre contrat et sacrement est encore contenue à l’époque médiévale puisque le contrat est subordonné au sacrement et à l’irrévocabilité de l’engagement d’un homme et d’une femme, en vertu du signe (« sacrement ») de l’union du Christ et de l’Église. Réactivée au XVIe siècle, cette tension est à l’origine de l’inflexion fondamentale de la Réforme en matière de conception du mariage, ainsi que l’immixtion croissante des autorités politiques dans la régulation de la famille conjugale. Quand la Révolution française introduit le divorce, c’est une conséquence logique d’une vision purement contractuelle du mariage sécularisé ; quand le Code civil (1804) rétablit l’autorité parentale ainsi que celle de l’État, cela participe aussi de la définition d’un mariage laïcisé célébré publiquement devant un officier d’état civil.
44 Cf. infra : Peguera Poch M.
45 Béthery de la Brosse A., Entre amour et droit : le lien conjugal dans la pensée juridique moderne (XVIe-XVIIIe siècle), LGDJ, Paris, 2011, p. 4.
46 Ibid., p. 5.
47 Au point d’inviter à reconsidérer certains des postulats, forcément conjoncturels, du colloque de 2008 sur les Les états généraux du mariage, quand Virginie Larribau-Terneyre, directrice de l’Observatoire de la jurisprudence, écrivait que « c’est peut-être paradoxalement l’enfant qui détruira le mariage alors que le mariage fut jadis son berceau protecteur » : Larribau-Terneyre V., préface, Les états généraux du mariage. L’évolution de la conjugalité, C. Neirinck (dir.), actes du colloque de Toulouse organisé par le Centre de droit privé, 2008, Presses universitaires d’Aix-Marseille, p. 3.
48 Cf. infra: Lagorgette D; Steinberg S.; Coussemacker S.
49 Le dictionnaire de droit canonique propose du « bâtard » la définition suivante : « Terme servant à désigner tous ceux qui sont nés en dehors d’un légitime mariage. Sont réputés bâtards les enfants issus de personnes qui n’étaient pas mariés (ex soluto et soluta ; “solu[e] et non marié[e]”), mais qui auraient pu l’être l’un avec l’autre : ce sont les enfants naturels simples ; les enfants dont l’un des parents était marié avec une tierce personne au moment de la conception : ce sont les enfants adultérins ; les enfants issus de deux parents auxquels il était interdit de se marier à cause d’un lien de parenté ou d’affinité par lequel ils sont unis : ce sont les enfants incestueux. Cette dernière catégorie inclut également les enfants nés de personnes consacrées à Dieu par des vœux » (Bernard A., Dictionnaire de droit canonique, p. 252 sq.).
50 Henri de Suze dit Hostiensis, Summa aurea, IV, 17 (Qui filii sint legitimi), Quot sunt genera filiorum.
51 Isidore de Séville, Etymologiarum sive Originum Libri XX, éd. W. M. Lindsay, Oxford University Press, 1957. Étymologies, livre IX, éd., trad. et com. M. Reydellet, Paris, Les Belles Lettres, coll. « Auteurs Latins du Moyen Âge », 1984, p. 195-197.
52 Cf. infra : Santinelli-Folz E., Taviani-Carozzi H.
53 L’identité de l’enfant suit celle de son père quand le mariage n’est entaché d’aucune transgression ; au contraire, quand le mariage est certes valide mais comporte une transgression, l’identité de l’enfant suit celle du parent au statut déficient.
54 Cohen S., « Le fondement historique de la matrilinéarité juive (origine de la transmission de la judéité par la mère) », traduit de l’anglais par E. Kern, article en ligne à qui nous empruntons aussi les traductions des deux extraits talmudiques cités, ici note 4.
55 Le dossier du manzerout hébraïque est particulièrement complexe à présenter, même pour les spécialistes car ils éprouvent parfois certaines difficultés à mettre en cohérence l’ensemble des dispositifs talmudiques entre eux. Reste la nécessité de replacer toujours ces réflexions dans un contexte de pénalisation des mariages mixtes et de défense des contours de la judéité. Sur les controverses, voir Touati C., « Le Mamzer, le zona et le statut des enfants issus de mariage mixte en droit rabbinique », G. Dahan (dir.), Les juifs au regard de l’histoire. Mélanges en l’honneur de Bernhard Blumenkranz, Paris, Picard, p. 37-47, cité par Vâterjanu-Joubert M., « Filiation et doute dans le Talmud », P. Bonte, E. Porqueresi Gené et J. Wilgaux (dir.), L’argument de la filiation. Aux fondements des sociétés européennes et méditerranéennes, Paris, Éditions de la Maison des sciences de l’Homme, 2011, p. 187-198, et par Cohen S., art. cit. (dans une édition de 1990, au Cerf, Prophètes, Talmudistes, Philosophes).
56 Cf. infra : pour la période médiévale : Fossier A., Lusset É., Avignon C. ; pour l’époque moderne : Steinberg S.
57 Cf. infra les chapitres relatifs à l’accès au patrimoine et à l’héritage : Avignon C., Demars-Sion V., Peguera Poch M.
58 Sur la question de savoir si le bâtard est soumis au chevage, au formariage et si ses biens sont mainmortables, en relation avec la justification du droit de bâtardise par les seigneurs haut-justiciers ainsi que pour l’analyse critique des argumentaires proposés les juristes Loisel ou Boullenois, voir les dernières contributions de Steinberg S., dans la publication à paraître de son mémoire d’HDR, soutenu en 2012, et intitulé Genre, filiation, hiérarchie (France, Ancien Régime) ; et infra : Peguera Poch M.
59 Cf. infra : Steinberg S.
60 Pour des éditions de sources : Salonen K. et Schmugge L, A sip from the « Well of Grace ». Medieval Texts from the Apostolic Penitentiary, Washington DC, CUA Press, 2009, p. 126-136, spécialement p. 127 : « Conrad Fischer scolaris Constanciensis diocesis supplicat quatenus secum super deffectu [ sic] natalium, quem patitur de presbitero et soluta genitus, ut eo non obstante deffectu [ sic] ad omnes etiam sacros et presbiteratus ordines possit promoveri et beneficium ecclesiasticum obtinere, dispensari dignemini. Fiat de speciali, Philippus Sancti Laurencii in Lucina » (ASV Penitenzieria Ap., Reg. Matrim. Et div., vol. 7, fo 324v, Mantoue, 24 septembre 1449). Voir aussi Maillard-Luypaert M., Les suppliques de la Pénitenterie apostolique pour les diocèses de Cambrai, Liège, Thérouanne et Tournai (1410-1411), ASV, Penitenziera Ap., Reg. Matrim. et Div., 1, Bruxelles/Rome, Institut historique de Belgique, 2003, spécialement p. 39. 120 suppliques sur les 156 collectées pour ces quatre diocèses sont des demandes de dispenses super defectu natalium.
61 AN, JJ 41, fo 15r [lettre 19], Philippe IV.
62 AN, JJ 46, fo 132r [lettre 237], avril 1312, Philippe IV.
63 AN, JJ 65A, fo 81v [lettre 114], 1328, Philippe VI ; AN, JJ 68, fo 521 [lettre 420], 1328, Philippe VI. Même quand le vocabulaire de la grâce n’est pas spécifiquement convoqué dans la rubrique de la lettre, il est systématiquement mobilisé dans chaque lettre en appui de la justification de la légitimation (AN, JJ 66, fo 373v [lettre 911] 1331, Philippe VI : « de grace especial et de nostre autorité royal et de certaine science », dans une des rares lettres en langue vernaculaire, traduction fidèle des différentes formules latines par ailleurs transcrites, comme « inclinati de plenitudo et auctoritate regie potestatis ex certa scientia » ; AN, JJ 48, fo 76v, [lettre 125], 1312, Philippe IV) ; ou « de gratia speciali et ex certa scientia de et ex plenitudine et munificentia regie majestatis » (AN, JJ 62, f. 212, no 385, 1325, Charles IV) ; ou encore « volentes agere misericorditer […] super dicto deffectu natalium de nostre regie potestatis plenitudine tenore presentium de speciali gratia » (AN, JJ 66, fo 36v, [lettre 108], 1328, Philippe IV), etc.
64 AN, JJ 66, fo 109v [lettre 287], 1329, Philippe VI : « Abilitatio ad omnes successiones et dispensatio bastardie » ; AN, JJ 66, fo 292v [lettre 722], 1330, Philippe VI : « Quomodo dominus rex abilitavit Bernardum, Jacobum et Raymundum bastardos et fecit ydoneos ad succendum bonis ».
65 AN, JJ 48, fo 76v [lettre 125], 1312, Philippe IV ; AN, JJ 62, fo 212 [lettre 385], 1325, Charles IV ; AN, JJ 64, fo 64 [lettre 113] 1326, Charles VI : « Qualiter dominus rex de potestate sua regiali legitimavit Johannem et Guillermum naturales liberos non legitimos procreatis Peroneti Perelliperii burgensis Cluniancensis » ; AN, JJ 66, fo 36v [lettre 108], 1328, Philippe VI : « Legitimatio Petri de Caussada de bastardia sua videlicet quod possit succedere in bonis sui patris » ; AN, JJ 66, f. 373v, no 911, 1331 ; AN, JJ 66, f. 506, no 1183, 1333
66 AN, JJ 48, fo 93r [lettre 163], 1313, Philippe IV
67 AN, JJ 49, fo 45r [lettre 102] ; AN, JJ 49, fo 80 [lettre 182], 1313, Philippe IV.
68 AN, JJ 69, fo 17v [lettre 40] 1335, Philippe VI : « lesquiex trois enfanz sont bastart. »
69 AN, JJ 68, fo 490 [lettre 373] : une des rares lettres qui ne soient pas enregistrées en latin (stratégie d’enregistrement consciente dans la concurrence des pouvoirs qui se joue avec le souverain pontife surtout à l’époque de Philippe IV) précise que le 11 août 1349 ainsi : « avons legitimé et legitimons toute taiche […] qui a esté en sa generation procreation et neissence non ostant et tout le deffaut suppleons de notre auctorité et grace […] si que le deffaut que il seuffre de sa deja dicte engendrure […] ; ja ce qu’il ne soit pas neez ne procreez de loial mariage ».
70 AN, JJ 44, fo 27v [lettre 43], 1307, Philippe IV.
71 AN, JJ 68, fo 490 [lettre 373], 1349, Philippe VI.
72 AN, JJ 70, fo 171v, [lettre 310], 1337, Philippe VI : « de soluto et moniali genitus » (cas particulier d’une confirmation de légitimation pour accéder aux ordres mineurs : « dignaramur cum eo misericorditer dispensare quo ad minores ordines valeat »).
73 AN, JJ 65B, fo 47, [lettre 175], 1328, Philippe VI : « cum Guillermus Daissac de Tarnia se constante matrimonio inter ipsum et Clariam uxorem suam generasse in aliam uxorem quemdam filium qui vocatur Guillermus Daisac seque carere libris in matrimonio procuratur nobis humiliter supplicavit ut dignaremus dictum filium suum legitimare et habilitare […] bona nobilia et innobilia […] mobilia et immobilia ».
74 AN, JJ 46, fo 132 [lettre 237], 1312, Philippe IV.
75 Duda A., « Les lettres de légitimation des ducs de Bourgogne (1384-1477) », art. cit., p. 157.
76 Lettre de légitimation émise par la chancellerie de la cour de Charles IX, AN, JJ 263 B, fo 3r, janvier 1565, Narbonne.
77 Gernigon J., De l’origine des registres paroissiaux à l’établissement de l’état civil en Maine et en Anjou, s. l., 1961.
78 Aucun registre (même à vocation comptable) n’existe pour la période médiévale (puisque la célébration des baptêmes était rétribuée par des offrandes spontanées des parrains et marraines et par une taxe de casuel, comme les sépultures ou les mariages). Des statuts synodaux de la fin du XVe et du début du XVIe siècle (au Mans : 1488-1535 ; Angers : 1504) enjoignent toutefois aux curés de tenir un registres « des enfants à baptiser » (puerorum baptizandorum libri).
79 Tabbagh V., Diocèse de Sens, Fasti ecclesiae Gallicanae, Turnhout, Brepols, 2009.
80 Vincent Tabbagh précise dans sa thèse que les trois principales lettres que le scelleur de la chancellerie archiépiscopale de Rouen délivrent au XVe siècle, en nombre toujours croissant, sont les dispenses de publication de bans, mais aussi les lettres de purification (après un accouchement), et les lettres d’amessement qui leur sont liées, pour les femmes qui viennent d’accoucher. Id., Le clergé du diocèse de Rouen à la fin du Moyen Âge, 1359-1493, thèse pour le doctorat d’État, Lille-3, 1988, p. 94.
81 Helmholz R. H., « Bastardy litigation in Medieval England », The American Journal of Legal History, 13, 1969, p. 360-383 ; Demars-Sion V., Femmes séduites et abandonnées au XVIIIe siècle, Lille, 1991 ; et à partir des lettres de rémission : Gauvard C., De grace especial. Crime, État et société en France, à la fin du Moyen Âge ; Nassiet M., La violence. Une histoire sociale. France XVIe-XVIIIe siècles, op. cit.
82 Pour l’époque médiévale, cf. infra : Avignon C., Duda A., Musin A. et Coussemacker S. ; pour l’époque moderne, cf. infra : PegueraPoch M. et Demars-Sion V.
83 Cf. infra : pour l’époque médiévale : McDougall S., et pour l’époque moderne Saule K. et Nassiet M.
84 Cf. infra : pour l’époque médiévale : Laumonier L., pour l’époque moderne, Gourdon V. et Robin I. : Chappuis L.
85 Cf. infra : Certin A.-M.
86 Cf. infra : Avignon C. et Laumonier L.
87 Aubenas R., Cours d’histoire du droit privé, anciens pays de droit écrit, XIIIe-XVIe siècles, t. 3 : Testaments et successions, Aix-en-Provence, La Pensée universitaire, 1954, p. 94.
88 En droit contemporain, l’héritier est celui qui succède au défunt en vertu de la seule loi, par opposition au légataire qui est institué par testament.
89 Aubenas R., Cours d’histoire du droit privé, op. cit., p. 81.
90 Courtemanche D., Œuvrer pour la postérité. Les testaments des gens du roi du XVe siècle, Paris, L’Harmattan, 1997, p. 100 et p. 50, note 1 (X1a 9807, fo 144) : Jean La Personne « donne, veult et ordenne que un sien filz bastart nomme Tramet, joisse et posesse tantost apres la vie dudit vicomte, sa vie durant tant seulement de tous les usuffuiz, revenues et possessionss de l’ostel, terres et appendances de Freinnantel. Et ou cas que ledit bastart auroit hoirs de son corps nez en loyal mariage, ledit viconte veult et ordonne que Guy [désigné comme fils naturel et légitimé par ailleurs] filz dudit monseigneur le viconte, ne se hoirs, les en puissent de riens contraindre ne empeschier en aucune maniere a cause de ce, a ce que le bastart dessus nommé et se hoirs puisse ou doye avoir sa vie et estat convenablement, raisonnablement et honnorablement ».
91 Autrand F. « Naissance illégitime et service de l’État : les enfants naturels dans le milieu de robe parisien, XIVe- XVe siècles », Revue historique, 542, 1982, p. 289-303, ici p. 291.
92 Lorcin M.-T., Vivre et mourir en Lyonnais à la fin du Moyen Âge, Paris, CNRS, 1981, p. 97.
93 « Donné », ou donatus en latin, est l’expression qui désigne le bâtard dans nombre de ces testaments lyonnais.
94 Lorcin M.-T., Vivre et mourir, op. cit., p. 96
95 Cf. infra : Séguy I. ; Steinberg S.
96 Le Blevec D., « Sans famille. Orphelins et enfants abandonnés », Cahier de Fanjeaux, 43, 2008, p. 328-347 ; Brissaud J., « L’infanticide à la fin du Moyen Âge : ses motivations psychologiques et sa répression », RHDFE, 1972, p. 229-256. Enfance abandonnée et société en Europe du XIVe au XXe siècle, actes du colloque de Rome (janvier 1987), Rome, EFR, 1991. Bardet J., Rouen aux XVIIe et XVIIIe siècles. Les mutations d’un espace social, Paris, 1983 ; Boswell J., Au bon cœur des inconnus. Les enfants abandonnés de l’Antiquité à la Renaissance, Gallimard, coll. « Bibliothèque des Histoires », 1993. L’auteur fait de l’illégitimité une des hypothèses d’explication de l’abandon d’enfants, en recrudescence d’après lui à partir du XIIIe siècle. Il propose en outre un état de la bibliographie et des corpus de sources juridiques possibles sur la place des enfants illégitimes dans la société médiévale. On rappellera, après C. Gauvard ou M. Nassiet qui contestent notamment l’idée selon laquelle l’infanticide aurait été un moyen de contrôle des naissances, que certaines postures historiographiques des années 1970 (comme l’idée d’une indifférence des juges médiévaux face aux crimes des mères) sont aujourd’hui remises en question. Voir Bulter S., « A case of indifference ? Child murder in Later Medieval England », Journal of Women’s History, 19, 2007, p. 59-82, cité par Aurell M., « Rompre la concorde familiale : typologie, imaginaire, questionnements », M. Aurell (dir.), La parenté déchirée : les luttes intrafamiliales au Moyen Âge, Turnhout, Brepols, 2010, p. 9-59, ici p. 19. Cf. infra : pour l’époque médiévale, Pichot C. ; pour l’époque moderne, Chappuis L.
97 Sur le rite d’humiliation et ses prolongements, Hemming J., « Sellam gestare : Saddle-Bearing Punishments and the Case of Rhiannon », Viator, 28, 1997, p. 45-64.
98 Gonthier N., « Sanglant Coupaul ! » « Orde Ribaude ! » Les injures au Moyen Âge, Rennes, PUR, 2007, p. 42-43, citant Poly J.-P., le chemin des amours barbares. Genèse médiévale de la sexualité européenne, Paris, Perrin, 2003, p. 318-319. Les étymologies possibles du terme et la contextualisation des implications axiologiques négatives sont questionnées infra par la linguiste Dominique Lagorgette.
99 La promotion d’une véritable bâtardocratie est bien connue pour le XVe siècle français. Voir Harsgor M., « L’essor des bâtards nobles au XVe siècle », Revue historique, 253, 2, avril-juin 1975, p. 319-354. Cf. infra pour l’époque médiévale : Fieyre M.-L., Hablot L. et Johans E.
100 Gauvard C., De grace especial, op. cit., p. 3.
101 Cf. infra : Lagorgette D.
102 Duda A., art. cit., pièces justificatives 1, 3 (AD, Nord, 1420, 143 p. 153 ; p. 157).
103 AN, JJ 263B, fo 3r.
104 Faaborg J. N., Les enfants dans la littérature française du Moyen Âge, Copenhague, Museum Tusculanum Press, 1997, p. 62.
105 Paterson L., « L’enfant dans la littérature occitane avant 1230 », Cahiers de civilisation médiévale, 127, p. 240, cité par J. Faaborg.
106 Cf. infra, pour la période médiévale : Gîrbea C., Pinto-Mathieu É. et Coussemacker S. ; et pour l’époque moderne : Alonso Rey M.-D.
107 Merlin, roman en prose du XIIIe siècle, éd. G. Paris et J. Ulrich, 1886 (I, 124-5), cité dans Faaborg J., Les enfants, op. cit., 1997, p. 63.
108 Parise la duchesse, chanson de geste du XIIIe siècle, éd. May Plouzeau, Aix-en-Provence, 1986 (v. 1499-1501), cité ibid., p. 65
109 Cf. infra, en plus des références littéraires évoquées précédemment : pour la période moderne, Bianco J.-F. et Hermant H.
110 Cf. infra: Seguy I. Renvoyons aux travaux de Laslett P., « Long-term Trends in Bastardy in England. A Study of the Illegitimacy Figures in the Parish Registers and in the Reports of the Register Original, 1561-1960 », Population Studies: A Journal of Demography, 27, 2, 1973, dont rend compte notamment Flandrin J.-L., « Vie de famille et amours illicites en Angleterre. À propos d’un livre de Peter Laslett », Le Sexe et l’Occident. Évolution des attitudes et des comportements, Paris, Le Seuil, p. 303-321. Voir aussi Laslett P., Family Life and Illicit Love in Earlier Generations, Cambrigde, New York Université Press, 1977.
111 Harsgor M., « L’essor des bâtards nobles au XVe siècle », art. cit. ; Autrand F., « Naissance illégitime et service de l’État : les enfants naturels dans le milieu de robe parisien, XIVe-XVe s. », Revue historique, no 237, 1982, p. 289-303. Plus récemment, Carlier M. « La politique des autorités envers les bâtards dans les Pays-Bas bourguignons : le dilemme entre avantage financier et intérêt politique », M. Boone et W. Prevenier (dir.), Finances publiques et finances privées au bas moyen âge, acte du colloque tenu à Gand, Louvain-Appeldoorn, 1996, p. 203-218 ; ou ead., Kinderen van de Minne. Bastaarden in het vijftiende-eeuwes Vlaanderen, Bruxelles, 2001. Elle montre que la Flandre est propice à la promotion des bâtards, tout spécialement au sein de l’administration. La réputation de bâtardise n’y était un obstacle ni pour être réputé noble ni pour être bourgeois, comme le rappelle Jean-Baptiste Santamaria, « Les bâtards à la Chambre des comptes de Lille : autour du cas de Denis de Pacy », La bâtardise et l’exercice du pouvoir, op. cit., p. 113-138.
112 Schmugge L. (dir.), Illegitimät im Spätmittelalter, op. cit. ; Schmugge L., Kirche, Kinder, Karrieren. op. cit. À partir des fonds de la Pénitencerie apostolique, entre 1449 et 1533, il étudie le statut légal et social des enfants illégitimes. Parmi les 37 916 suppliques, il identifie des bénéficiaires allant des fils de pape à l’enfant trouvé, la majorité étant toutefois constituée par des enfants nés de clercs ayant enfreint leur vœu de célibat et de continence.
113 Génestal R., Histoire de la légitimation des enfants naturels, op. cit. ; Regnault H., La condition juridique du bâtard au Moyen Âge, thèse pour le doctorat de droit, Pont-Audemer, 1922 ; Barbarin R., La condition juridique du bâtard, op. cit. ; Delbez L., De la légitimation par « lettres royaux », op. cit. ; Lefebvre-Teillard A., Autour de l’enfant, op. cit. (notamment Lefebvre-Teillard A., Demoulin F. et Roumy F., « De la théologie au droit : naissance du concept médiéval de filiation », Grundlagen des Rechts. Festschrift für Peter Landau zum 65. Geburtstag, Paderborn, 2000, p. 421-438).
114 En plus du colloque de Liège de 2008 publié en 2015 et déjà mentionné (La bâtardise et l’exercice du pouvoir), citons (sans prétendre à l’exhaustivité) ces travaux universitaires et ces collectifs qui témoignent de l’intérêt de l’histoire sociale pour l’étude de la bâtardise : le mémoire d’habilitation à diriger les recherches de Sylvie Steinberg (en 2012 : Bâtards. Filiation et descendance, XVIe-XVIIe siècle) qui alimente par ailleurs les problématiques de son nouveau séminaire à l’EHESS aux côtés de Charles de Miramon, la thèse d’histoire du droit d’Amandine Duvillet (en 2011 : Du péché à l’ordre civil. Les unions hors mariage au regard du droit [XVIe-XXe siècles]), les thèses en cours d’Alice Duda (sur les liens entre le pouvoir et la bâtardise dans les pays bourguignons au XVe siècle, sous la direction de Bertrand Schnerb, à Lille-3), de Marie-Lise Fieyre sur les bâtards de Bourbons (à Paris-7, sous la direction de Didier Lett), le master 2 soutenu à Lyon-3 par Romain Chevalier sur les lettres de légitimations promulguées par la chancellerie de Charles VII, le Ph. D. d’Helen Matthews sur l’Angleterre médiévale, dirigé par David d’Avray (« Illegitimate children of the English nobility and gentry c. 1300-1500 », Royal Holloway, University of London). Parmi les collectifs de modernistes et de contemporainéistes, citons encore L’enfant illégitime et ses parents, Annales de démographie historique, no 127, paru en 2014 et dirigé par G. Brunet.
115 Cf. infra : Barral-Baron M.
116 Cf. infra : Boisson D.
117 Cf. infra : PegueraPoch M. ; Steinberg S.
118 Jean Bacquet, Traité du droit de bâtardise, Paris, 1664, p. 99 : « Cum nec genus nec gentem habeat. » Cet adage s’inspire, comme le rappelle Romain Chevalier, de coutumiers médiévaux : « En France par droict général les bastards sont réputez comme de la condition des estrangers, neque genus, neque gentem habent, et n’ont droict de lignage et de parenté » (Jean Bouteiller, Somme rural, ou Le grand coustumier général de practique civil et canon composée par M. Jean Bouteiller, […] reveu et corrigé par Louis Charondas le Caron […], Paris, 1613, chap. xcv, p. 544. Chevalier R., Les lettres de légitimation émises par la chancellerie de Charles VII (1430-1461), op. cit., note 1, p. 6]).
119 Cf. infra : Fieyre M. L., Hablot L., Johans E., Ricci G. et Hermant H.
120 Cf. infra : Musin A., Nassiet M. et Chappuis L.
121 Cf. infra : Laumonier L., Certin A.-M., Payan P., Maillet C. et Charageat M. ; Demars-Sion V. et Chappuis L.
122 Cf. infra : Hermant H., Gîrbea C., Coussemacker S., Pinto-Mathieu É. et Alonso-Rey M.-D.
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