N° premier. Le Héraut de la Nation sous les auspices de la patrie
p. 103-106
Texte intégral
1POUR donner à nos Lecteurs un état de la position des choses en Bretagne, nous lui faisons part de notre correspondance, pendant ce mois, avec plusieurs Villes principales de cette Province.
Extrait d’une Lettre de Vannes, du 10 Décembre 1788
2Notre Ville, dans laquelle s’est tenue, il y a quatre mois, une Assemblée de six cens Gentilshommes pour s’opposer aux Loix du 8 Mai dernier, dont le Présidial s’était élevé contre les Loix qui, en rappelant ses égaux, Rennes, Nantes et Quimper, à la suprématie de Grands-Bailliages, le laissaient dans l’ordre des Présidiaux projetés, a long-temps refusé de se joindre aux autres Villes de Bretagne pour le redressement de leurs griefs : enfin le 6 de ce mois elle a signalé, par la délibération la plus patriotique, son adhésion aux Municipalités de la Capitale de la Normandie, de Rennes, Saint-Brieux, Lanterneau, Lannion, Auray, Quimperlé, Guerrande, Dinan, Montfort, Saint-Pol, Tréguier, Chateaubriant, la Guerche, les Nevers, et aux Arrêtés des Juges-Royaux de Quimperlé, Sarseau, et autres Corps, Communautés et corporations. M. le Menez de Kerdeleau a fait un Réquisitoire très-purement écrit, et la Communauté a ordonné en conséquence « que ses Députés se rendront en la Ville de Rennes dix jours avant les Etats, afin de concourir avec ceux des autres Villes à la rédaction et souscription des actes nécessaires à la défense du Tiers-Etat ; elle leur a interdit tout pouvoir de délibérer sur aucun impôt, aucune matière, aucune demande, aucune affaire particulière, jusqu’à ce que l’Ordre du Tiers n’ait préalablement obtenu des Etats justice sur la demande d’un Règlement qui assure la composition et la représentation plus parfaite dudit Ordre aux Etats, aux Commissions, ainsi que sur celle formée d’une contribution égale de tous impôts quelconques ; et qu’en événement de refus des Etats, les Députés de Vannes seront tenus d’en instruire leurs Commettans sur le champ, sans autre faculté que celle d’accorder le Don-gratuit, et de délibérer concernant les baux des fermes de la Province ; qu’ils seront tenus de solliciter l’abrogation du franc-fief. La Municipalité de Vannes a de plus arrêté de demander au Gouverneur de la Province quatre Adjoints à ses Députés, pour concourir au bien général du peuple Breton ».
3Mais ce qui doit désoler ceux qui répandent que les principaux du Tiers-Etat ne prennent la défense de leur Ordre que pour établir le Gouvernement démocratique et seconder leurs propres intérêts, c’est l’acte du 4 Décembre 1788, déposé à la maison de Ville, et signé de tous les principaux Notables, par lequel ils renoncent aux exemptions et priviléges que leur attribuent leurs offices ; charges et emplois en faveur et à la décharge de la classe la plus indigente du Peuple, pourvu que la fourniture aux milices ne puisse être exigée d’eux que par une contribution en argent.
4Les Papiers Publics font ordinairement mention des noms de ceux qui ont versé leur sang pour la Patrie. Le Chevalier d’Assas est vraiment digne de sa célébrité. Le Club croit que les noms et les qualités de ceux qui ont pris cette superbe délibération, malgré les oppositions que forment toujours la vanité et l’amour des distinctions, doivent être consacrés dans le registre de ses séances. Les signatures de l’acte renonciatif sont celles de MM. Ménés de Kerdeleau, Maire, Avocat du Roi du Présidial, Procureur du Roi de la Maréchaussée et Commissaire des Etats ; l’Abbé de Lyvois, Dignitaire de la Cathédrale ; Poussin, Lieutenant du Présidial et Procureur du Roi de l’Amirauté ; le Croisier, Recteur de Saint Patern ; Bourgerel Lucas, Doyen des Avocats, et Lieutenant du Siége Royal de la Maîtrise ; de la Chasse, Assesseur de la Maréchaussée, et Conseiller-Rapporteur du Point-d’Honneur ; du Foussé d’Auzon, ancien Recteur de Plaudrer, et Bourgeois de Vannes ; Rollin de la Farge, Avocat au Parlement, premier Professeur Royal de Mathématiques et de Physique expérimentale ; Raulin, Contrôleur-Général des Fermes de Bretagne ; Col de la Chapelle, Employé aux Fermes de Bretagne ; Laurens de Kercadio, Receveur des Fouages ; Malherbe l’aîné, Changeur du Roi ; Collibeau de la Mazure, Inspecteur-Général des Fermes ; Bachelot, ancien Capitaine de Milices ; de la Chenays ; Gajal, Receveur des Devoirs ; Doré, Trésorier des Invalides de la Marine ; Chalon, Receveur Général du Tabac ; le Maignen fils, Receveur des Insinuations Ecclésiastiques ; Hervieu, Correspondant et Miseur de la ville.
5Un Gentilhomme de Vannes, honteux de sa sensibilité pour un pareil trait, s’est essuyé les yeux en disant : Où le patriotisme va-t-il donc se nicher ? Nous laissons à nos Lecteurs le plaisir de la réflexion.
6De Saint-Brieux, 15 Décembre. Toutes les Paroisses de cette Sénéchaussée ont accédé, par délibérations séparées, à celle prise par la Municipalité de la ville du siége, malgré les manœuvres de quelques Nobles, et d’un petit homme noir, abhorré de tous ses Concitoyens, qui a cru que le moyen de paraître moins noir était de faire tous ses efforts pour répandre sur eux et sur son Ordre la bouteille à l’encre, dont son nom et sa figure sont l’étiquette : on finira par charger quelques laquais de la casser.
7Ce jour, quinze, notre Municipalité, assemblée sous la Présidence de M. Poullain de Corbion, Maire, a arrêté d’ajouter aux nouvelles Charges données à son Député le 24 Novembre dernier, les articles suivans :
81. Que le Tiers-Etat assiste aux Etats de la Province en nombre égal à celui des deux autres Ordres.
92. Que l’on n’y opine plus par Ordre, mais par tête.
103. De faire contribuer à la capitation tous les individus au service de la Noblesse, tant domestiques que serviteurs.
11Sur ces trois articles, la Municipalité a enjoint à ses Députés de se retirer, s’ils n’étaient accordés par les deux autres Ordres.
124. Que les Députés de Saint-Brieux se rendront à Rennes huit jours avant les Etats, pour former avec les autres Députés un plan général de réclamations.
13Lamballe, 16 Décembre. Notre ville a imité celle de la Rochebernard, 1 500 Gentils-hommes, qui nous assiégent, ont produit le même découragement dans notre Commune, que celui que le géant de la Rochebernard (M. le Comte de Boisgelin, haut Baron de la Province) a répandu dans la ville de sa Baronnie. Nous formons deux Paroisses à Lamballe ; et les Généraux de Notre-Dame et de Saint-Jean, grossis par la présence des notables habitans, ont adhéré à tous les arrêtés pris dans la majorité des villes de la Province. Vous y lirez avec plaisir... « Nous espérons que le meilleur des Rois va venir efficacement au secours de la portion la plus nombreuse de ses Sujets, gémissante sous le poids des impôts ; qu’il supprimera celui des franc-fiefs... Que les autres impôts qui subsisteront, notamment celui qui sera substitué à la corvée, seront supportés indistinctement par tous ses Sujets ; que le mérite et la vertu ne seront plus jugés indignes des places, dignités ou récompenses qui leur sont destinées en tout Etat bien gouverné ; qu’il fera cesser toutes distinctions qui ne tendent qu’à humilier ou avilir les Citoyens, comme toutes formalités qui ne sont que dispendieuses ; que l’inaliénabilité de ses domaines sera modifiée ; qu’il accordera à ses Sujets de nouvelles Loix civiles et criminelles, conformes au progrès de la raison ; qu’il supprimera les degrés inutiles de Juridictions, sauf les indemnités et déductions qui seront dues... Que les Loix relatives aux défrichemens et desséchemens seront interprétées et étendues ; qu’il sera aussi accordé des privilèges pour les plantations, le bois devenant d’une rareté inquiétante ; que le sort des enfans naturels sera amélioré ; que les débiteurs seront traités plus humainement par leurs créanciers ; enfin, que sous le règne de Louis-le-Bienfaisant, il sera rendu justice au genre-humain, particulièrement au Tiers-Etat en France, non seulement sur l’avenir, mais aussi sur les torts qu’il a jusqu’à présent soufferts ».
14Les Etats-Généraux peuvent-ils, en vérité, adresser au Roi une Pétition plus honorable et plus patriotique que celle des deux Généraux de Paroisses de la petite ville de Lamballe ? Leur Délibération finit par l’Arrêté de dire chaque jour, au sein de chaque famille, la prière Domine salvum fac Regem, pour la conservation des jours du Roi.
15Nantes, 18 Décembre. Nos Députés extraordinaires, au nombre de 14, à la tête desquels sont MM. Cottin, Chaillon et Baco, partent pour Rennes. Ils conviendront avec les Députés, tant ordinaires qu’extraordinaires qu’envoyent les Municipalités, d’un plan invariable de défense. Le vœu général est que le Règlement pour le Dauphiné soit rendu commun à la Bretagne. Si ce premier pas réussit, on pourra espérer n’avoir en France, sous peu d’années, qu’un Roi, une Loi, un impôt, un poids et une mesure.
16Aurai, 19 Décembre. Le Député de cette ville a, au soutien de la procuration de sa ville, celle de toutes les Paroisses de sa Sénéchaussée. M. Frogerai, Citoyen vertueux et éclairé, sera secondé dans ses vues bienfaisantes par les vœux de tous les habitans de son pays.
17Nantes, 23 Décembre. Notre Maire, le sieur Richard de la Prévenchère, après s’être longtemps balancé entre l’opinion noble et l’opinion citoyenne du Bureau de Monsieur, s’est décidé pour les honneurs de treizième Apôtre de cette opinion, et pour les quolibets de ce nombre proscrit depuis Judas. Il vient d’être fait Conseiller d’Etat à brevet ; mais ce titre ne lui produira pas à Nantes la plus légère considération. Notre Bureau de Ville a pris hier un Arrêté conforme à ceux des villes de la Province et du Royaume, que notre Maire Conseiller d’Etat a refusé de signer ; il est des gens qui ne font le bien qu’à l’instant où on ne doit plus leur en avoir obligation.
18Paris, 17 Décembre. Les Députés du Tiers-Etat de Bretagne à Versailles, ont envoyé aux 42 villes qui députent aux Etats de cette Province, les charges ci-après.
Charges à donner à MM. les Députés du Tiers à la prochaine Assemblée des Etats
191. Rendus dans la ville assignée aux fins des ordres du Roi, l’ouverture de l’Assemblée faite suivant l’usage, ils consentiront sans difficulté la demande du don gratuit. Immédiatement après, ils annonceront à l’Assemblée les propositions suivantes, qu’ils lui laisseront par écrit.
202. Que l’Ordre du Tiers soit désormais composé d’un nombre de Représentans égal à ceux réunis des deux autres Ordres ; de sorte que, pour parvenir à ce but, il est nécessaire que la Noblesse ne comparaisse que par Députés, qu'elle choisira dans la forme et le nombre qui lui paraîtra le plus convenable, mais qui restera irrévocablement fixé.
213. Que dans l’Ordre de l’Eglise, représenté insuffisamment pour l’intérêt du pays, tant par l’admission des sujets extra-provinciaires, que parce qu’il n’y est admis aucun Ecclésiastique du second Ordre, quoiqu’il soit constant qu’il est le seul vraiment instruit de l’état des campagnes, il soit fait un changement reconnu généralement avantageux, en y appelant un nombre d’Ecclésiastiques ayant dix ans de fonction sacerdotale, dans la proportion au moins égale de l’état actuel de l’Ordre de l’Eglise, ayant égard à la force respective des neuf Diocèses, pour le choix et le nombre des Elus par les Ecclésiastiques du second Ordre de chacun deux, qui seront tous roturiers.
224. Que le nombre de Représentans convenu par la Noblesse étant fixé comme celui du Clergé dans la proportion dite, l’Ordre du Tiers se choisira un nombre de Représentans égal à ceux réunis des deux autres Ordres.
235. Qu’à l’avenir, ses Représentans seront librement élus par lui, tant dans les villes actuellement députantes, que dans celles du troisième ordre, bourgs et paroisses, lesquels tous séparément et généralement, ainsi que le Président dudit Ordre, ne pourront être éligibles, s’ils étaient Nobles ou anoblis dans quelque degré que ce fût, Agens, Receveurs, Fermiers, ou dépendans de quelque Seigneur Noble, Laïc ou Ecclésiastique, Provinciaire ou extra-Provinciaire, ayant droit d’être élu Représentant pour l’Ordre de l’Eglise ou de la Noblesse, Receveurs des deniers de Sa Majesté ou des Fermes et revenus de cette Province.
246. Que les Ordres ainsi composés ayant à voter sur une demande ou une motion quelconque, les voix de l’Assemblée entière seront levées, et leur pluralité et majorité seule fera délibération, sans égard pour l’avis isolé d’un ou plusieurs Ordres, mais uniquement au plus grand nombre des suffrages approbatifs ou négatifs de l’objet proposé ; ce qui sera pratiqué pour toutes les matières indistinctement, et les Présidens des Ordres obligés de se faire accompagner d’un Commis-Greffier des Etats, pour annoter et recueillir l’avis de chaque Membre présent.
257. Que cette forme de délibérer ne pourra néanmoins priver aucun des Ordres du droit de demander les Chambres favorables à la discussion et instruction des affaires.
(La suite au No prochain).
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