Des innovations partagées ? Représentations et perceptions ambivalentes des acteurs de l’offre de microcrédit personnel en Pays de la Loire
p. 105-122
Texte intégral
1Lors du Grenelle de l’insertion en avril 2008 à Paris, les questions de la communication et de la visibilité de l’offre de microcrédit personnel ont été abordées du fait de son développement. En effet, de nombreuses organisations, associations, banques, collectivités territoriales ont saisi l’opportunité offerte d’un fonds garanti par la Caisse des dépôts limitant les risques de non-paiement encourus par les microcrédits. Cette démarche a été engagée en 2005 par le Fonds de cohésion sociale (FCS). Le rapport d’activité 2006 du FCS1 confirme une offre de microcrédit en réseau très différente selon les structures et les territoires.
2Dès la première année, six types d’organisations et de partenariats ont émergé sur le territoire français :
un schéma décentralisé mis en œuvre par la Confédération du Crédit Mutuel qui rassemble 18 fédérations régionales dont les deux plus importantes avec le Crédit Mutuel Centre Est Europe et celle de la Bretagne. Dans ce schéma, chaque fédération régionale est libre de se lancer dans l’activité de microcrédit social, et donc d’utiliser les moyens qu’elle souhaite pour communiquer ;
un schéma déconcentré vécu par le Crédit Coopératif et la Caisse solidaire du Crédit Mutuel Nord Europe. Dans cette configuration, la tête de réseau contrôle la diffusion du microcrédit sur l’ensemble du territoire au travers des antennes régionales qui jouent le rôle d’intermédiaire ;
la création d’un organisme d’accompagnement dédié qui diffuse le microcrédit du FCS au travers de structures telles que Parcours confiance (Caisse d’Épargne) ou Point passerelle (Crédit Agricole) ;
l’adoption d’une démarche commerciale ciblée comme l’ont fait CETELEM, LASER COFINOGA ou encore de COFIDIS ;
un déploiement territorial spécifique comme les Crédits Municipaux, entités juridiques distinctes les unes des autres qui exercent, quelquefois, sur un territoire plus large que celui couvert par leurs activités de base ;
et enfin un dispositif impulsé par des collectivités territoriales comme celui initié en Poitou-Charentes, « Microcrédit social universel régional (MICSUR) », qui allie le groupe Caisse d’Épargne Poitou-Charentes et le Conseil régional (Caire, 2008 cité dans FIMOSOL, 2010).
3Cette typologie fait apparaître que les principales banques de l’économie sociale et solidaire sont investies dans le microcrédit (Crédit Mutuel, Crédit Coopératif, Caisse d’Épargne, Crédit Agricole) mais également d’autres banques comme le Crédit Municipal et les groupes CETELEM, COFINOGA… Ainsi, il n’y a pas de monopole sur cette offre, même si la présence des structures de l’économie et solidaire est majoritaire, conduisant chacun à définir une stratégie de communication distinctive.
4Les contrats de recherche « Finances et monnaies solidaires » (Fimosol, 2010 et 2012) ont permis d’étudier les échanges d’information entre les partenaires du microcrédit social et la façon dont ils ont construit leur communication vers les bénéficiaires potentiels. Au-delà du caractère impératif de communiquer sur l’offre pour la faire connaître en interne et la développer en externe, des paradoxes sont apparus au cours de l’étude : d’un côté, les travailleurs sociaux émettent des réserves sur le microcrédit social et de l’autre, les bénéficiaires sont favorables à cette nouvelle offre. Ce constat nous a amenées à approfondir la perception, définie comme un processus permettant à l’individu de prendre conscience de son environnement et d’interpréter les informations qui en émanent (Filser, 1994), des parties prenantes du microcrédit, et à interroger les représentations pour expliquer l’ambivalence de perceptions du microcrédit des divers acteurs réunissant des univers bancaire et associatif pour un public démuni. Sonder la « vérité subjective » des représentations des acteurs donne les sources de leur perception. C’est pourquoi nous avons croisé les résultats de quatre années de travaux de l’équipe Fimosol pour prendre en compte les perceptions des accompagnateurs (l’amont) et celles des bénéficiaires (l’aval) du microcrédit, c’est-à-dire, les émetteurs et les récepteurs de l’offre du microcrédit en Pays de la Loire.
Représentations et perceptions des acteurs du microcrédit personnel garanti : les accompagnateurs et bénéficiaires
Les accompagnateurs du microcrédit social et leurs représentations du microcrédit
5Le rôle des représentations dans les comportements fait l’objet d’un consensus pluridisciplinaire. Si les économistes démontrent la nécessité de s’intéresser aux représentations qui se matérialisent dans nos paroles et dans nos actes car elles organisent notre comportement (Padilla, 1992), la recherche sur les représentations, issue des travaux fondateurs de Moscovici en 1961, est née en psychologie sociale. Les psychologues cognitivistes reconnaissent que les représentations ont une fonction de mémorisation de l’information mais permettent aussi à l’individu d’aborder des événements nouveaux, des objectifs à atteindre, des expériences inédites. Elles sont définies comme des produits cognitifs issus de l’interaction de l’individu avec le monde, qui peuvent être utilisés à court terme ou stockés en vue d’une utilisation différée selon Denis (1994). Considérées comme le fondement des processus cognitifs et de la structure cognitive, les représentations constituent donc un concept central en psychologie cognitive (Babbes et Morgan, 1997). Elles sont consignées dans la mémoire à long terme (Ladwein, 1994) et ne sont pas homogènes puisque le terme désigne à la fois l’activité qui produit l’entité et l’entité elle-même : l’acception du terme se réfère tantôt au processus, tantôt au produit de ce processus. Le produit du processus de représentation peut alors être un objet matériel existant dans le monde physique (une publicité, une photo par exemple) ou un produit cognitif non observable, réactualisable, résultant d’une prise de connaissance du monde par l’individu. On parle souvent de « représentations sociales », parce qu’elles portent sur des phénomènes sociaux (la politique, les groupes humains, etc.), d’une part, et parce qu’elles sont issues et héritées de la société, d’autre part (Dortier, 1999). Les psychosociologues soulignent quant à eux le rôle des représentations par le fait que la connaissance ne suffit pas à expliquer les comportements : « Ce n’est pas parce que les gens savent qu’ils font nécessairement. » Donc les représentations sociales forment un ensemble structuré d’éléments cognitifs intersubjectifs dont les représentations individuelles sont considérées comme des sous-ensembles et des points de vue (Lahlou, 1998).
6Les sciences sociales proposent trois entrées pour définir la méthode de représentation mentale que nous avons utilisée. En géographie, selon Guérin (1989) et Gumuchian (1991), la représentation est une « création sociale et individuelle de schémas pertinents du réel » à travers des photographies, des dessins, des cartes qui permettent de représenter ce qui est perçu comme important (Piaget, 1950). C’est ce qui engage à « penser le monde et son organisation » (Bailly, 1993). En sociologie, dans son acception philosophique (il est aussi une acception plus politique : le fait de représenter), la représentation est comprise comme ce qui permet à un élément « d’être réfléchi, et donc, d’être médiatisé pour parvenir à la conscience humaine ». Pour la psychologie sociale, enfin, c’est ce qui correspond à des images de la réalité collective suggérées fortement à l’individu par la société. La définition suivante correspond à l’orientation choisie dans ce travail :
« Une représentation est un phénomène mental qui correspond à un ensemble plus ou moins conscient, organisé et cohérent, d’éléments cognitifs, affectifs et du domaine des valeurs concernant un objet particulier. On y retrouve des éléments conceptuels, des attitudes, des valeurs, des images mentales, des connotations, des associations, etc. C’est un univers symbolique, culturellement déterminé, où se forgent les théories spontanées, les opinions, les préjugés, les décisions d’action, etc. » (Garnier et Sauvé, 1999, p. 66.)
7Plus généralement, l’objectif d’un travail sur les représentations consiste à saisir une « vérité subjective ». Celle-ci est distincte de la réalité (inatteignable). Du point de vue de l’expérience, elle est toutefois la réalité de l’exprimant ressentie à un moment donné et se construit à partir de perceptions.
8Afin de comprendre les représentations que se font les accompagnateurs du microcrédit, nous avons mené des entretiens ayant les thématiques suivantes : le dispositif du microcrédit, les partenariats en place et l’ancrage territorial. Nous exposons les divers éléments de leurs représentations sous diverses formes. Des cartes mentales, conçues et dessinées par les personnes enquêtées, illustrent la perception et mettent en avant de façon originale deux perceptions distinctes du microcrédit social.
Figures 1 et 2. – Cartes mentales : des perceptions distinctes du microcrédit social

Représentation d’un travailleur social CCAS novembre 2008, Représentation d’une des chargées de mission, Une famille un toit, avril 2009
9Ces premières cartes sont pour le moins originales et moins fréquentes dans ce genre d’exercice. La première représente un guichet automatique sur un trottoir dans lequel, en cas d’urgence, il est possible d’appuyer sur un bouton afin de bénéficier d’un « prêt social » (figure 1). Non loin de cette possibilité, une bouche d’égout dans laquelle il est facile de tomber si l’on n’est pas attentif. Dans cette « carte » ou plutôt ce dessin, le microcrédit social apparaît comme élément central, facile d’accès (en pleine rue, comme un guichet automatique) mais avec un risque évident tout près de lui. Le processus d’obtention du prêt n’est donc pas mis en exergue et encore moins les personnes qui le délivrent. Le travail effectué par le travailleur social semble se résumer à ce guichet automatique (un carré lui aussi avec une certaine profondeur pour ne pas être découvert) : l’accompagnement, le suivi n’apparaissent pas dans le dessin. Il semble à la fois humoristique mais également un peu sarcastique mettant en avant le côté périlleux et trop facile d’accès de l’outil.
10La seconde « vignette » (figure 2), réalisée par la chargée de mission et de la gestion locative de l’association Une famille un toit2, illustre le cas d’une famille qui trouve sur son chemin « la clé » qui lui permet d’élargir son horizon : prendre le train, avoir une maison, une voiture, prendre d’avion… Cette représentation, contrairement à la première, est totalement optimiste sur le fond, voir naïve sur la forme. Les deux « cartes » ou dessins se placent du côté du bénéficiaire mais ne proposent pas les mêmes alternatives.
Figures 3 et 4. – Cartes mentales. Où se situer soi-même dans le dispositif de microcrédit social ?

Représentation d’un travailleur social CCAS novembre 2008, Directeur du Crédit Municipal de Nantes octobre 2008
11Pour en venir à des représentations plus classiques, observons qu’un travailleur social (ST) n’a pas la même vision qu’un directeur de banque. Le travailleur social se situe en léger décalage du schéma qu’il trace à notre demande et fait figurer trois flèches convergeant vers lui (figure 3). C’est à partir de son intervention, schématisée dans un cadre et de façon carrée (rigueur, professionnalisme) que l’accompagnement peut se réaliser et cela, en fonction du statut du bénéficiaire : avec le RMI ou pas. Le microcrédit social n’apparaît donc pas. Le point de départ, dans la construction de ce schéma, a été l’usager avec son projet qui retient toute l’attention du travailleur social.
12Le responsable du Crédit Municipal (figure 4) inclut des partenaires politiques et financiers qui n’apparaissaient pas dans les autres schémas car il s’agit effectivement de la vision d’un directeur ayant une vision plus large : la ville de Nantes notamment, la Caisse des dépôts et consignations et le CCAS. Il introduit une flèche à double sens avec la ville, avec laquelle le Crédit Municipal de Nantes possède une convention, alors qu’avec le CCAS, il y propose juste une flèche descendante. Il situe la Caisse des dépôts et consignations au même niveau que le Crédit Municipal. Dans un second temps, il décline tous les CCAS avec lesquels travaille le Crédit Municipal.
13Les schémas réalisés par les techniciens du CCAS proposent une nouvelle vision du processus et de ses partenaires.
Figures 5 et 6. – Schématisations mentales. Aspects techniques : gestion du dispositif de microcrédit social

Chargé des suivis de dossiers du CCAS décembre 2008, Accueillante sociale de CCAS décembre 2008
14Le premier schéma (figure 5) possède un élément central, inscrit dans un carré, formulé par : MOI. Il s’agit de la personne chargée des suivis des dossiers de microcrédit au CCAS. C’est elle, parmi les techniciens, qui a la vision globale du processus. On voit, par ce schéma, qu’elle est au centre de différents interlocuteurs. Des flèches allant dans les deux sens, symbolisant des échanges, nomment les accueillants, le Crédit Municipal, les usagers, la responsable du service et les travailleurs sociaux. Ainsi, ce schéma synthétise les différents partenaires avec lesquels travaille cette personne. Elle présente les acteurs et non pas le processus qui sera analysé dans la deuxième section. C’est pourquoi, le mot microcrédit n’apparaît pas sur cette représentation.
15Le second schéma (figure 6) propose également un point central : l’accueillante sociale du CCAS mais dans une sphère. Il est important de noter que cette accueillante associe à son titre, le nom de sa structure. Six flèches à double sens partent également de cet élément central : l’usager en premier, l’assistante sociale, des associations d’insertion, le Crédit Municipal de Nantes, les foyers de jeunes travailleurs et les missions locales antennes jeunes. Pour terminer l’accueillante sociale insère à son schéma une flèche allant de l’usager au Crédit Municipal et vice versa. Ce schéma intègre principalement les structures qui participent au dispositif du microcrédit. Le prêt n’est pas représenté mais cette fois, le Crédit Municipal et le CCAS sont nommés ainsi que quatre autres partenaires. Il s’agit donc d’une vision globale sur le processus afin de proposer des solutions à l’usager, là encore, point de départ du dispositif.
16Enfin, certains introduisent dans leur vision une dimension territoriale en plus des partenaires mentionnés.
Figures 7 et 8. – Entre carte et schématisation mentales. Une vision territoriale du dispositif…

Accueillante sociale de CCAS décembre 2008, Chargée de mission à la Fnars mai 2009
17La figure 7, présentant, entre autres, l’association Une famille Un toit, propose deux blocs qui s’encastrent l’un dans l’autre en fonction des territoires ; entre Châteaubriant et Ancenis. Une légende stipule les secteurs d’interventions convenus avec Parcours confiance et précise les territoires. Les principaux acteurs du microcrédit social sont d’ailleurs présents, notamment la Caisse des dépôts à Paris. La carte mentale ne propose pas de lien direct avec la CDC mais dénote une préoccupation en termes de résultats puisque le nombre de dossiers obtenus est précisé pour chacune des deux conventions réalisées.
18Le schéma d’une représentante de la Fnars (figure 8) intègre aussi une dimension territoriale, notamment dans sa légende via les structures qui sont réparties sur le territoire : ainsi, la Fnars nationale et ses fédérations régionales sont mentionnées, la première englobant les secondes. Cependant, ce schéma met surtout en avant le cœur du partenariat composé de la Fnars Pays de la Loire et de Parcours confiance-Caisse d’Épargne. Ce centre irradie sur l’ensemble du territoire régional symbolisé par des flèches qui partent du centre vers l’extérieur.
19Ces différentes représentations montrent combien les relations ne sont pas appréhendées de la même façon et cela en fonction, bien souvent, de l’expérience quotidienne de chacun. Les accompagnateurs du microcrédit ne mettent pas du tout en avant les différents partenaires que suppose le microcrédit, tandis que les deux autres interviewés se placent au milieu de multiples échanges.
20Au fil de ces représentations, une large palette des partenaires intervenant sur le dispositif du microcrédit social se dessine. Cette approche montre donc que, de sa fenêtre, chacun ne voit qu’un morceau de l’horizon et qu’il est important de croiser ses points de vue pour les enrichir et avoir une vision globale. Certains acteurs n’en voient pas l’intérêt, d’autres savent que cette démarche fait avancer les projets et, dans le cas du microcrédit social, permet de proposer un meilleur service aux personnes en difficulté. Quelles perceptions les bénéficiaires ont-ils du dispositif ?
La perception des bénéficiaires sur le microcrédit
21La perception fait l’objet d’une longue tradition de recherche en psychologie, plus précisément dans le champ de la psychologie sociale. Ces recherches s’attachent à la question de la perception d’autrui et mettent en évidence des concepts fondateurs comme la dissonance cognitive ou la catégorisation (Bonnet, 1995). Bruner (1958) revendique l’importance dans la perception de facteurs top-down (aussi appelés descendants) liés au sujet tels que l’expérience antérieure, l’éducation, la personnalité, les émotions, les valeurs, et les mobiles. Ces facteurs top-down s’opposent aux facteurs bottom-up (ou ascendants) liés aux stimuli et à l’environnement qui, selon Bruner, ne suffisent pas à déterminer la perception. Il est d’usage de distinguer les approches dites cognitivistes qui s’intéressent aux processus bottom-up d’extraction d’information de l’environnement, utilisées dans une perspective de traitement de l’information, et ainsi centrées sur le stimulus, et les approches dites cognitives, dans laquelle nous nous inscrivons, qui étudient aussi les processus top-down liés aux connaissances antérieures du sujet : effets de mémoire, de contexte et de sens et ainsi centrées sur le sujet. Les facteurs top-down jouent un rôle décisif dans les situations où le stimulus est ambigu ou à peine perceptible.
22Nous retenons des travaux de Bruner la nécessité de prendre en compte les processus top-down tels que les effets de mémoire et de contexte dans notre étude résultant d’un deuxième contrat de l’équipe Fimosol de 2012. Ce dernier a permis, notamment, de prolonger le travail sur la représentation des accompagnateurs du microcrédit social en privilégiant celle des bénéficiaires à travers leur perception de l’offre du Crédit Municipal de Nantes (CMN). Présent à la fois sur Nantes et sur Angers, le CMN est investi dans le champ du microcrédit social appelé microcrédit personnel garanti à travers le « prêt stabilité », garanti par la ville de Nantes depuis 1999. Nous avons privilégié cette structure de prêts pour deux raisons : bien que n’ayant pas un statut de l’économie sociale et solidaire, le Crédit Municipal de Nantes (CMN) a pour but de répondre aux problèmes des « publics en instabilité financière », et vise « à renforcer l’insertion et la réinsertion sociale ». Par ailleurs, ce prêt est proposé à l’appui d’une convention entre les CCAS d’Angers et de Nantes et Saint-Herblain, acteurs relais prépondérants de ce dispositif.
23Notre recherche empirique sur la perception des bénéficiaires repose sur l’analyse des entretiens individuels qui constituent le cœur de notre étude exploratoire. La technique de l’entretien semi-directif a été privilégiée car nous souhaitions aborder un certain nombre de thèmes au cours des entretiens : la démarche adoptée, leur perception. Le résultat de notre analyse par occurrence statistique des entretiens via le logiciel Alceste (Benzécri, 1981 ; Reinert, 2002), fait apparaître deux classes que nous allons caractériser. Les résultats font ressortir une perception centrée sur la présence et l’influence décisive des acteurs sociaux en amont et en aval du dispositif résultant de la coopération inter-organisationnelle entre le CCAS et le Crédit Municipal de Nantes.
24La première classe rassemble le discours des individus bénéficiaires angevins et nantais qui exposent leur situation et leur démarche auprès des divers acteurs mobilisés dans le processus d’obtention du microcrédit. Elle se centre sur les évocations liées aux acteurs sociaux en amont du dispositif global. En effet, les individus relatent aisément l’information mémorisée et plus précisément l’ensemble du processus mis en place pour l’obtention du microcrédit :
« D’abord il faut aller au centre communal d’action sociale [CCAS] puis vous demandez l’assistante sociale qui peut vous aider, vous expliquez comment ça se passe puis après vous partez directement au Crédit Municipal de Nantes avec tous les papiers pour demander le crédit puis vous attendez la réponse s’il confirme ou s’il ne confirme pas par rapport à votre situation. Si la réponse est positive vous allez signer le papier. »
25Spontanément le dispositif social est évoqué en citant le CCAS qui a bien un rôle central dans l’accompagnement social en amont du processus global avec la mission de réaliser un diagnostic du besoin initial (par exemple l’achat d’un véhicule d’occasion) avant la constitution du dossier. Ce dernier est destiné ensuite à l’établissement bancaire partenaire de la ville : le Crédit Municipal de Nantes (« Grâce à l’assistante sociale qui nous a demandé de remplir des papiers qu’elle a envoyés au Crédit Municipal de Nantes »)situé en aval du processus global.
26Cependant, dans le cas nantais par exemple, les bénéficiaires ne semblent pas avoir mémorisé l’existence du conseiller solidaire qui a un rôle spécifique depuis la nouvelle politique publique 2008-2014 de la ville de Nantes. En effet, afin de lutter contre la précarité des ménages et l’exclusion bancaire, la nouvelle politique publique de la ville de Nantes s’est construite autour d’une politique de solidarité qui a pour vocation de répondre aux besoins sociaux de territoire. Dans ce contexte, le microcrédit social répond à un besoin social de territoire mais indépendant de l’action sociale. Au pilotage du microcrédit personnel, il y a bien une équipe de huit conseillers solidaires qui appartient au service conseil en finances personnelles, à distinguer des travailleurs sociaux (CCAS) qui accompagnent les personnes en très grande difficulté (type RSA, SDF)… Ces conseillers solidaires, employés de la ville de Nantes réalisent bien en amont un diagnostic global socio-budgétaire prenant en compte non seulement le problème d’exclusion bancaire mais plus largement le logement, le transport, etc., et le travail d’instruction du dossier de demande de microcrédit. Pour autant, leur travail n’est pas perçu par les bénéficiaires.
27Pour conclure sur cette classe, la perception des bénéficiaires interrogés sur le processus est globalement positive car il est qualifié de « plutôt rapide ». Le travail et l’accompagnement des travailleurs sociaux en amont sont valorisés par les bénéficiaires de la classe.
28La seconde classe résultant de l’analyse Alceste, présente l’intérêt de rassembler les bénéficiaires interrogés sur leur perception du microcrédit à partir de la technique d’association libre de mots mise en œuvre lors des entretiens. À la question : à quoi vous fait penser « microcrédit » ?, les individus interrogés associent spontanément au mot microcrédit des adjectifs ou des mots. L’analyse des résultats souligne que les bénéficiaires perçoivent bien que le microcrédit social est un prêt d’un montant limité en réponse à un besoin latent, un projet qualifié d’important comme l’achat de véhicule d’occasion afin d’être autonome
29La perception consciente est une représentation construite qui passe par une étape de codage sensoriel puis par une étape d’interprétation. Ils s’identifient à la cible du microcrédit personnel garanti, individus démunis face aux imprévus de la vie : « Pour les gens qui sont comme moi » et opèrent une catégorisation : « Pour les gens qui sont pauvres. » Percevoir revient à catégoriser (Bruner, 1958) et l’inférence sur la catégorie d’appartenance se fait à partir d’indices présents dans la stimulation. La perception implique bien une catégorisation. Les individus interrogés ont bien conscience qu’ils bénéficient d’un véritable accompagnement solidaire « accompagnement, aide, solidarité » aval, cité dans la première classe Le suivi est jugé personnalisé (« en plus ici on est suivi parce que là on a l’assistante sociale qui a le dossier ») et la personne interrogée a le sentiment d’être soutenue dans sa démarche. Du fait de cet accompagnement solidaire, l’obtention du microcrédit personnel garanti semble facile à obtenir : « Pour nous c’est la facilité d’avoir quelque chose » et moins compliqué que dans une banque classique, et destiné principalement aux individus exclus du système bancaire classique : « Pour les gens qui sont dans une situation comme moi, quand on va à la Poste, ils ne nous font pas de crédit. » Depuis 2012, le Crédit Municipal de Nantes a la volonté de développer cette offre pour véhiculer l’image d’une banque de proximité « solidaire ». Pour les bénéficiaires, le Crédit Municipal de Nantes est une banque solidaire : « Ce n’est pas comme une banque, une banque elle n’en a rien à faire, elle vous vend un produit », une banque différente d’une banque classique.
30Pour conclure sur cette seconde classe, la construction d’une représentation, celle du CMN résulte d’une interprétation de la situation et des connaissances accumulées et mémorisées par les bénéficiaires interrogés. Le dispositif d’accompagnement solidaire réalisé par les acteurs sociaux en aval a une incidence positive sur l’image du CMN considérée banque solidaire par les bénéficiaires du microcrédit personnel garanti.
31Notons que les classes 1 et 2 sont complémentaires. Du point de vue des bénéficiaires, le microcrédit personnel a des effets positifs. Cependant, la valorisation de la banque qui le propose passe par une étape aval auprès des personnes qui accompagnent (travailleurs sociaux et/ou bénévoles) qui sont moins favorables au milieu bancaire.
Ambivalence des perceptions sur l’offre de microcrédit
32L’intérêt de la démarche initiée par la Caisse des dépôts (CDC) en 2006 était de réussir à faire coopérer des banques avec des structures associatives (et vice versa) pour aider des personnes en situation de difficulté, c’est-à-dire faire travailler ensemble deux mondes complètement différents mais partageant un but commun3.
33La CDC a donc mis en place des partenariats avec des têtes de réseaux de structures qui, dans le dispositif du microcrédit social, ont pour rôle de repérer les éventuels bénéficiaires et de les accompagner dans les démarches à réaliser pour obtenir un prêt. L’engagement des banques repose sur un triple intérêt : justifier leur appartenance à l’économie sociale en utilisant des fonds dédiés pour le microcrédit social, développer ou renforcer une image « sociale » ou « solidaire » de la banque et capter de nouveaux clients, qui même fragiles, peuvent réintégrer le circuit bancaire.
34Une répartition des tâches et un équilibre entre l’engagement des partenaires ont été les facteurs clés de la mise en place du microcrédit social, chacun y trouvant des avantages. D’un côté, les banques n’ont pas à réaliser le travail d’accompagnement social qui prend du temps et donc qui coûte cher. De l’autre, les associations se chargent de l’accompagnement. Ces deux univers bancaires et associatifs, se complètent.
Les freins du point de vue des accompagnateurs du microcrédit
35Le rapport d’activité 2006 présenté par la Caisse des dépôts au Comité d’orientation et de suivi de l’emploi des fonds montrait déjà une répartition des rôles entre les structures bancaires et les structures « sociales ». Ces dernières peuvent être des centres communaux d’actions sociales (CCAS) dépendants de la mairie ou des associations comme le Secours Catholique, les Restos du cœur, la Fnars, etc. En effet, toutes ces structures, en lien direct avec les personnes en difficulté, donc susceptibles de pouvoir obtenir un microcrédit social, ont un rôle de « détection » de bénéficiaires potentiels et un rôle d’accompagnement. Le microcrédit social étant « un outil parmi d’autres » auprès des travailleurs sociaux ou des bénévoles qui s’en occupent, il faut donc que la situation financière de la personne en difficulté et son projet soient en adéquation avec les contraintes que le microcrédit génère (notamment celle de remboursement).
36Les bilans en 2010 sur le dispositif montrent que le nombre de microcrédits sociaux contractés n’a pas connu la croissance escomptée lors de son lancement. Nous avons identifié deux freins au développement du microcrédit : le premier concerne la détection de bénéficiaires potentiels et le second, une confusion sur l’étendue de l’offre. Sur la détection de bénéficiaires potentiels, des freins sont apparus quant à l’idée de proposer « du crédit » à des personnes en situation de fragilité financière.
37En effet, pour les travailleurs sociaux, il semble paradoxal « d’endetter » encore plus leurs interlocuteurs alors qu’ils ont déjà de graves problèmes financiers. Ils associent donc le microcrédit à un crédit quelconque. Leur perception demeure négative. Néanmoins certains professionnels du social mesurent le risque en proposant le microcrédit social comme ultime recours et après avoir vérifié les possibilités de remboursement. La détection de bénéficiaires potentiels est donc réalisée finement, avec des filtres qui ont pour effet des remboursements réguliers.
38Le second frein est lié à la confusion des bénéficiaires sur l’étendue de l’offre du microcrédit possible à l’époque (microcrédit social et microprofessionnel) et qui amène les travailleurs sociaux à expliciter plus clairement l’offre de microcrédit social.
39Prenons l’exemple d’un achat de véhicule qui pouvait, en effet, être financé tout aussi bien par un microcrédit professionnel que par un microcrédit social. Les travailleurs sociaux accompagnent leur interlocuteur dans leur projet personnel, ils l’aident à le définir, à évaluer son coût… ; ils ont un rôle majeur dans le montage du dossier de microcrédit social. Ce dossier étant très précis, les travailleurs sociaux sont ainsi amenés à « rentrer » dans la vie privée du bénéficiaire potentiel pour appréhender au mieux les possibilités du prêt et limiter les risques de défauts de remboursement. Plusieurs rencontres sont nécessaires car de nombreuses pièces justificatives (notamment les relevés bancaires) ne sont pas toujours fournies en une seule fois par le bénéficiaire fragilisé.
40S’agissant des banques, elles renseignent le travailleur social sur le fichage du demandeur, au besoin, elles acceptent ou refusent le prêt, le signent le cas échéant, surveillent les remboursements et préviennent les partenaires s’il y a un problème de remboursement. Les univers bancaires et associatifs sont complémentaires et fonctionnent différemment selon les conventions partenariales établies : le Crédit Mutuel, par exemple, téléphone facilement au bénéficiaire en cas de problème tandis que les CCAS envoient un courrier, et le Secours Catholique rappelle le bénéficiaire.
41Si le travail permet à deux univers, bancaire et associatif, de s’associer, il ne semble pas facile de les faire se rencontrer. En effet, les échanges téléphoniques et par courriel sont les plus fréquents quelle que soit la banque ou la structure partenaire. Les lieux de travail n’étant pas les mêmes, ce type de fonctionnement se retrouve dans toutes les entreprises et n’est pas propre à ce dispositif.
42Quels sont donc les moments où les partenaires se rencontrent physiquement ? Ils ne sont pas systématiques et dépendent des structures. La signature des conventions avec les bénéficiaires peut être un temps où les différents acteurs du dossier se retrouvent avec le bénéficiaire : c’est le cas avec Comptoir de Vie où la personne salariée est présente car elle fait également signer une convention d’engagement avec l’association. Une autre pratique illustre le fait que ces deux partenaires peuvent se rencontrer : la création d’une commission paritaire appelée « comité de crédit » permet au Parcours confiance des Caisses d’Épargne et au Secours Catholique de se rencontrer afin de valider les dossiers de demandes de microcrédit social tous les mois : « Lors du comité de crédit, on se met d’accord sur une position commune ; ça peut être un prêt, un mixage don et prêt (on peut engager du don et faire un prêt plus petit) ou un don (d’un montant bien inférieur)4. » Cette relation de confiance est spécifique au partenariat entre Caisse d’Épargne et Secours Catholique mais pas forcément si forte dans entre les autres structures.
Un double positionnement des acteurs vis-à-vis du microcrédit social
43Cette étude fait ressortir des mouvements contradictoires pour les accompagnateurs au microcrédit comme pour les bénéficiaires eux-mêmes. Si les travailleurs sociaux interviewés au CCAS, notamment, soutiennent les projets individuels des bénéficiaires (achat d’un véhicule ou les frais d’une sépulture, etc.), ils considèrent le microcrédit comme un endettement supplémentaire qui s’ajoute à une situation critique. Toutefois, ils ne s’y opposent pas.
« Je voyais qu’elle était un petit peu sur la réserve par rapport à ça, donc je n’ai pas trop creusé au niveau de la procédure comment ça se passait. Je lui ai simplement dit, voilà il faut savoir que ça existe. Ça pourrait vous permettre de combler votre découvert bancaire. Je lui ai dit, par exemple sur une somme de 700 euros, ça vous fera rembourser environ 23 euros par mois. Ça rééquilibrerait votre budget. Vous pourriez repartir à plat. Donc voilà, c’est dans ce type de situation que l’on peut éventuellement proposer le prêt social […]. Il y a des gens pour qui le mot prêt ou le mot crédit ça fait peur aussi. Du coup, c’est vrai qu’ils mettent une certaine distance par rapport à ça5. »
44En effet, les bénéficiaires potentiels sont eux-mêmes très réservés :
« Ils peuvent avoir l’information, mais refuser dur comme fer, de contracter un crédit. Le mot prêt ça leur fait peur. Pour certains, après c’est pareil, on a vraiment plusieurs cas de figure. On a aussi celui qui entend parler du prêt social et qui fonce direct au CCAS faire une demande avec des ressources importantes parce que le taux est intéressant. On a vraiment tous les cas. Donc, l’information sur le microcrédit est passée […]. À partir du moment où le microcrédit peut insuffler un petit plus, soulager les gens, c’est ça notre but. De réguler le budget et de les amener aussi à réaliser un projet, c’est aussi ça. Ils partent en se disant que toutes les portes ne sont pas fermées6. »
45Les structures associatives ont adhéré à l’offre du microcrédit social dès le lancement du dispositif en 2005 car il apparaît comme une « respiration » pour d’éventuels bénéficiaires :
« C’est vrai que c’est souvent le but d’acquérir… acheter une voiture permet d’étendre ses recherches de travail. J’ai eu le cas d’un monsieur, c’était pour repasser son permis de conduire. Ce monsieur-là, je ne le revois pas non plus. Il ne vient plus aux Restos du cœur, parce que c’était quelqu’un qui était bénéficiaire du RMI, mais qui faisait des petits boulots pour améliorer son quotidien. C’était une petite somme de 600 euros, il n’y a pas de problème de remboursement parce qu’il travaille à côté7. »
46D’autant que certains publics n’ayant pas accès aux prêts bancaires remboursent très bien leur emprunt :
« Les gens du voyage, par exemple, remboursent beaucoup mieux car la relation de confiance se tient dans le temps. Généralement c’est une population pour laquelle on réintervient souvent en prêt de développement parce qu’elle n’a pas accès au crédit bancaire et on a rarement des problèmes de remboursement ou des problèmes de comportement ou autres8… »
47Pour les associations, le dispositif de microcrédit est aussi une source de financement dont elles saisissent l’opportunité pour leur structure dans le but d’accompagner un public connu et démuni. Mais elles s’aperçoivent très vite que leur mission dépasse le temps et les moyens mis à disposition :
« On est déçus car on fait du curatif et pas du préventif. On aimerait faire pour les gens qui le souhaiteraient ou le nécessiteraient faire plus d’accompagnement budgétaire. Organiser des soirées budget. Taxer la pub sur les crédits revolvings pour financer l’accompagnement9. »
48Les limites du microcrédit sont pointées notamment avec la somme subsistante après le calcul du reste à vivre systématiquement demandé dans le processus d’obtention du microcrédit :
« Les travailleurs sociaux n’accompagnent que les bénéficiaires du RMI au CCAS d’Angers, aujourd’hui. Et on voit des gens avec des revenus très bas. Pour sortir un reste à vivre de 220 ou 230 euros sur 394 euros pour une personne seule, il ne faut pas avoir beaucoup de charges. Il ne faut pas avoir de voiture au départ10. »
49Toutefois, le microcrédit social, même s’il peut être considéré comme une innovation dans la microfinance (Meyer, Glémain et Billaudeau, 2010), reste un crédit comme les autres (Glémain et Moulévrier, 2011) dont la perception positive sur l’offre n’est pas franche.
Conclusion
50Nos études mettent en évidence les représentations et perceptions ambivalentes des acteurs impliqués dans le processus d’obtention du microcrédit : le travailleur social comme « plaque tournante » car il connaît les usagers et intervient au moment le plus opportun pour proposer le microcrédit social. Le banquier comme « fournisseur » car sans lui, il ne pourrait y avoir l’octroi du prêt. Ces relais incontournables favorisent une évolution de la « relation bancaire » non plus fondée sur le gain financier mais sur la réelle prise en compte de la situation financière de l’usager bénéficiaire.
51Il apparaît également une différence significative entre le dispositif porté par le Crédit Municipal, et celui animé par le Parcours confiance des Caisses d’Épargne. En effet, le premier s’inscrit dans le cadre d’une politique publique de la ville qui le conduit à n’intervenir qu’en milieu urbain, avec le CCAS. Le second est une association sous tutelle des Caisses d’Épargne, qui joue le rôle d’intermédiaire entre les prescripteurs de microcrédit social (associations sociales) et la banque, et qui agit autant en milieu urbain que rural. Par conséquent, à l’observation, nous constatons que la diffusion de l’offre en microcrédit dans le territoire ligérien repose sur l’ancrage territorial des partenaires de l’accompagnement, qui se construit au gré des réseaux constitués par ces mêmes partenaires. Nous pouvons formuler l’hypothèse de « dynamiques de proximité », dans le cadre de ces dispositifs locaux de microcrédit social (Glémain et al., 2014).
52Il est donc important de cibler les bons relais d’information pour qu’un dispositif, ou outil, puisse être connu sur un marché. Au lancement de l’offre, le choix de la Caisse des dépôts de faire relayer le microcrédit social par les structures qui sont au plus proche des publics en difficulté est stratégique. En effet, ces structures associatives ou publiques sont en contact avec des publics très variés qui correspondent aux cibles voulues. Par contre, ces structures possèdent elles-mêmes des relais aux statuts, aux origines et aux motivations différentes.
53Les relais incontournables sont toutes les personnes qui sont en contact direct avec les bénéficiaires potentiels, ces dernières ayant notamment des statuts différents dans le travail d’accompagnement.
Regard d’un acteur du microcrédit (en Maine-et-Loire) : difficultés de mise en œuvre et de coordination, intérêts du dispositif
54Le microcrédit en Maine-et-Loire s’est développé rapidement, mais marque le pas depuis plusieurs années dans son expansion. Pour donner quelques ordres d’idées, on parle de quelque 350 à 400 prêts décaissés par an sur le département, dont plus de la moitié l’est par le CCAS d’Angers. Familles rurales et le Secours Catholique sont les deux associations qui produisent le plus, avec un nombre égal de 30 à 50 dossiers par an. Les autres instructeurs, pour la plupart, ne font guère plus de 10 prêts par an. Plusieurs points expliquent à mon sens ce phénomène.
Le problème de l’identification du microcrédit
55Le microcrédit reste certainement à situer plus précisément dans le contexte d’intervention sociale, parmi l’ensemble des outils qui peuvent être mobilisés par une personne ou une famille en difficulté financière : aides alimentaires, accompagnements divers, crédits bancaires… Les acteurs de l’action sociale généraliste ou de proximité (conseil départemental, CAF, MSA) sont susceptibles de prescrire ou orienter des personnes ou familles vers le microcrédit, mais n’en ont pas la maîtrise. En effet, en dehors du CCAS d’Angers, qui a fait du microcrédit un élément structurant de sa politique de soutien aux publics en précarité, et de quelques autres CCAS, aucune institution n’a souhaité engager un effort de formation des travailleurs sociaux à ce sujet, ni leur confier un rôle d’instructeur. De plus, on doit souligner la « distance culturelle » qui sépare l’instruction du microcrédit, assis notamment sur la valorisation des extraits de compte, des pratiques des assistantes sociales, fondées sur les déclarations des personnes. On mesure également chez certains travailleurs sociaux une crainte du crédit, en tant qu’ouvrant accès au surendettement (il est à ce titre intéressant de comparer le montant moyen d’un dossier de surendettement en France [40 000 €], à celui d’un microcrédit [1 800 € en moyenne]). Bref, si l’on ajoute à cela le fait que les acteurs du microcrédit (acteurs bancaires et associations) ont dans les faits des pratiques assez différentes quant à la mesure de la prise de risque, de la réalité de la notion d’accompagnement, sans compter que beaucoup ont une production très faible, de l’ordre de quelques dossiers par an, ce qui ne permet pas de gagner en expertise sur un sujet relativement technique, on comprend qu’il y a une vraie difficulté d’orientation.
56De l’autre côté, les personnes qui pourraient obtenir un microcrédit se voient confronter à plusieurs difficultés notables. La première est que le microcrédit reste tout à fait confidentiel et inconnu du public. Les personnes potentiellement concernées ne connaissent la plupart du temps tout simplement pas son existence. La deuxième est que l’offre n’est pas visible. Aujourd’hui, nous n’avons pas en Maine-et-Loire une cartographie des acteurs, de leur implantation territoriale, de leur capacité. Par ailleurs, la communication sur le microcrédit demeure délicate (il ne s’agit pas d’une offre commerciale classique), et donc l’information est peu disponible. Enfin, nous savons qu’une partie des personnes qui pourraient accéder au microcrédit ne fréquente pas les dispositifs d’aide sociale, et qu’ils n’ont pas du coup accès à une orientation de proximité qui leur permettrait d’aller explorer cette ressource.
L’absence de pilotage et la non-coordination des acteurs
57Il est étonnant de constater que le microcrédit en Maine-et-Loire, dix ans après son lancement, par des associations, CCAS, acteurs bancaires, demeure orphelin de pilotage. Cela laisse les acteurs sans cohérence, sans perspective, sans schéma d’organisation ou de couverture territoriale.
58L’absence de vision politique sur le sujet se traduit par un vide en terme de projet, un manque de soutien, de concertation, et décourage certains acteurs, alors même que l’effort de mise en place (convention, formation des personnes qui instruisent le dossier) est très conséquent.
59Qui pourrait piloter un tel dispositif ?
En tant que chef de file de l’action sociale, il peut ressortir des attributions « naturelles » du conseil départemental de veiller sur la ressource locale en opérateurs de microcrédit (organismes sociaux et établissements bancaires), dans l’intérêt de ses administrés ;
ce peut être aussi une attribution du Conseil régional et/ou des communautés d’agglomération ou communauté urbaine, en considération de la composante économique du microcrédit ;
la Caisse des dépôts pourrait également apporter son soutien à cet effort nécessaire de cohésion ;
toute collectivité territoriale qui portera attention à cultiver la ressource en opérateurs de microcrédit fera œuvre utile.
Le problème du modèle économique
60Cette question reste le talon d’Achille du microcrédit. Aujourd’hui, si cet outil a montré sa pertinence pour permettre à des personnes en fragilité bancaire de financer un projet, son financement (en dehors du fonds de garantie) reste globalement impensé. Les acteurs bancaires, qui pratiquent des taux d’intérêt très bas, ont visiblement renoncé à financer le microcrédit par le taux, et perdent en fait de l’argent sur chaque prêt, ce qui n’incite pas particulièrement au déploiement du dispositif… Les associations s’appuient sur le bénévolat pour instruire les dossiers, mais ont besoin soit de garantir la maîtrise technique, soit d’animer le réseau des bénévoles, ce qui demande des ressources salariées. Celles qui ont cherché à développer le microcrédit par des acteurs salariés se sont heurtées au problème de financement, le montage de dossier étant très chronophage, et non financé (l’UDAF de Maine-et-Loire a ainsi arrêté de monter des dossiers il y a quelques années déjà). Dans ce contexte, il faut noter le succès du CCAS d’Angers, qui produit quelque 200 prêts par an, avec de véritables moyens humains consacrés pour assurer une instruction faite en interne.
61L’absence de réflexion sur le sujet rend sans doute frileux les candidats au pilotage, qui peuvent craindre que leur initiative ne soit suivie de demande de financement…
62En conclusion, on peut dire que curieusement, alors que le microcrédit a largement fait ses preuves et est un levier d’innovation social très fort en Maine-et-Loire (la création de Solidarauto 49 par le Secours Catholique en 2010 est en partie liée au microcrédit ; l’extension du microcrédit au rachat de dettes est aujourd’hui en débat, notamment grâce à une expérimentation remarquable sur le sujet dans le département11), les instances politiques ne s’en sont pas emparées, et continuent à regarder l’objet sans s’en saisir réellement, ni l’ancrer dans les pratiques du travail social. Gageons que la mise en place des Points Conseil Budgets, qui font l’objet d’une opération de préfiguration depuis 2013 avec l’ANSA (Agence nouvelle des solidarités actives), pourra permettre une impulsion forte des collectivités, des acteurs bancaires et des associations, afin d’apporter des réponses ajustées aux nombreux ménages en difficulté de maîtrise du compte et des produits bancaires.
63Damien Rouillier
délégué
départemental du Secours Catholique de Maine-et-Loire.
Notes de bas de page
1 Rapport d’activité 2006 présenté par la Caisse des dépôts au Comité d’orientation et de suivi de l’emploi des fonds, p. 25.
2 Association d’insertion par le logement qui se situe entre Châteaubriant et Ancenis, région Pays de la Loire.
3 « Les microcrédits sociaux, en proposant d’aider des personnes exclues du système bancaire à se rapprocher de l’emploi, ont pour ambition de combler une lacune de l’offre bancaire auquel ni la puissance publique ni le marché n’avaient su répondre. Or, ce secteur ou segment de clientèle ne répond pas à la même logique que le secteur standard : il se situe dans une sphère où les questions financières et sociales s’interpénètrent. La pérennité des projets entrepris ne résulte pas seulement de la mise à disposition des fonds nécessaires, mais requiert la mise en place d’un accompagnement adapté à la situation économique et sociale du bénéficiaire. Dans le couplage entre services financiers et accompagnement, dans l’effort porté sur son articulation et son suivi, réside l’une des clés pour une réelle efficacité du dispositif. » Caisse des dépôts, Rapport d’activité. Exercice 2007.
4 Entretien du 3 mars 2009 avec le délégué départemental du Secours Catholique du Maine-et-Loire.
5 Agent d’accueil, CCAS Angers, octobre 2008.
6 Idem.
7 Bénévoles des Restos du cœur, mai 2009.
8 Responsable de l’ADIE Pays de la Loire, mars 2007.
9 Salariés de l’UDAF, avril 2009.
10 Travailleur social du CCAS d’Angers, mars 2009.
11 Cette étude, financée en 2013 par le Crédit Municipal de Nantes, le CCAS d’Angers et la Fondation Caritas, a permis de comparer le microcrédit dit de stabilité (ou de rachat de dettes) au microcrédit traditionnel, tant au niveau statistique qu’au niveau qualitatif.
Auteurs
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