L’emploi dans l’économie sociale et solidaire mieux appréhender la diversité du secteur : un enjeu de la production du chiffre
p. 27-45
Texte intégral
1L’emploi salarié est incontestablement le domaine dans lequel la connaissance statistique de l’économie sociale et solidaire (ESS) a connu les avancées les plus notables au cours de ces dernières années. Il est l’entrée privilégiée des données régionalisées mises en ligne sur le site de l’Insee dédié à ce secteur1, comme il l’est également dans les éditions successives du Panorama de l’économie sociale et solidaire en France et dans les régions que publie le Conseil national des chambres de l’économie sociale (CNCRES).
2Cette attention portée à l’emploi dans l’ESS est encouragée par des préoccupations de nature diverse. Les acteurs de l’économie sociale y voient un moyen de faire reconnaître leur importance économique. De leur côté, les pouvoirs publics sont incités à considérer le secteur comme un gisement d’emplois peu ou pas délocalisables et propices au développement des territoires. Dans un contexte de chômage de masse, l’intérêt ainsi manifesté s’explique aisément. Il a été clairement affiché en 2013 à l’occasion de l’élaboration du projet de loi sur l’ESS dont les dispositions ont pour objectif revendiqué de développer la capacité du secteur à créer de l’emploi. Mais pour compréhensible qu’elle soit, cette perception des enjeux conduit trop souvent à borner l’usage des chiffres sur l’emploi dans l’ESS à une approche très globale en termes d’effectifs (combien de salariés ?) ou/et de volume d’emploi en équivalent temps plein. Ce faisant, se trouvent reléguées à l’arrière-plan d’autres dimensions de l’emploi qui gagneraient à être mieux connues. Ainsi la qualité des emplois nécessite une attention plus soutenue, les travaux existants sur le sujet étant encore rares2. De même, la diversité des situations en matière d’emploi dans l’ESS gagnerait à être davantage soulignée en tant qu’elle traduit l’existence d’une pluralité de logiques productives, ce que tend à sous-estimer voire à occulter une appréhension du secteur à une échelle très globale.
3C’est à l’examen de deux aspects de cette diversité que la présente contribution est consacrée. La première section aborde un point largement aveugle de la recherche sur l’emploi dans l’ESS à savoir les situations de recours très limités et ponctuels à de la main-d’œuvre rémunérée qui concernent essentiellement les associations. Ce type d’usage du salariat échappe à l’analyse statistique telle qu’elle est réalisée par l’Insee et le CNCRES. La deuxième section se concentre sur l’emploi non occasionnel et traite de sa diversité dans l’ESS en examinant les différences entre les familles de ce secteur (associations, coopératives, mutuelles et fondations) ainsi qu’entre divers domaines d’activité.
Encadré 1. – Les déclarations annuelles de données sociales (DADS)
Les déclarations annuelles de données sociales (DADS) sont des formalités déclaratives que doivent remplir les employeurs pour le compte des administrations fiscales et sociales. L’Insee utilise les DADS pour produire des statistiques sur l’emploi et les salaires. Tous les salariés rentrent dans le champ des DADS sauf les agents des organismes de l’État, les salariés des services domestiques et des activités extraterritoriales. Toutefois, les fichiers de diffusion, appelés « DADS – Grand format » complètent les DADS à partir d’autres sources pour assurer une couverture exhaustive des salariés.
L’Insee permet aux chercheurs habilités par le Comité du secret statistique de travailler sur les DADS – Grand format par le biais du CASD (centre d’accès sécurisé aux données). Cependant certaines déclarations restent inaccessibles. Il s’agit de celles qui parviennent à l’Insee par le canal de la Direction générale des finances publiques (DGFIP), laquelle refuse qu’elles soient communiquées aux chercheurs. Leur part dans le total est limitée et ce problème n’affecte véritablement que certains domaines, notamment l’agriculture. Mais pour les préoccupations qui sont celles de la présente étude, cette situation a la fâcheuse conséquence de nous priver des informations sur l’essentiel des coopératives agricoles. Cette incomplétude des données est une limite de notre étude qu’il faut avoir présente à l’esprit.
L’unité d’observation des DADS est le poste. L’Insee considère qu’un poste correspond au cumul des périodes d’emploi que connaît un salarié dans un établissement (il peut en connaître plusieurs, en particulier dans le cas des emplois saisonniers). En revanche, un salarié ayant travaillé dans deux établissements figurera sur deux postes différents.
Les DADS renseignent sur certaines caractéristiques du poste, notamment : le type de contrat, l’existence d’un temps plein ou d’un temps partiel, le nombre annuel d’heures rémunérées, les salaires brut et net annuels, les durées des périodes d’emploi. Certaines caractéristiques des salariés occupant ces postes sont également renseignées, comme le sexe, l’âge, la catégorie socioprofessionnelle et la nationalité (la distinction se fait alors entre les nationaux, les étrangers résidents d’un pays de l’Union européenne et les étrangers hors UE). Enfin certaines variables se rapportent à l’entreprise ou à l’établissement (localisation géographique, taille, domaine d’activité).
4Pour les besoins de nos investigations, nous avons utilisé les DADS de l’année 2010 (encadré 1)3. L’exploitation de ces données a été réalisée à deux niveaux géographiques, celui de la France métropolitaine et celui de la région des Pays de la Loire4. Rappelons que la présence de l’ESS dans cette région est forte. Selon l’Insee, le poids de l’effectif salarié de ce secteur mesuré en équivalent temps plein y est de 12,2 % contre 9,7 % nationalement, ce qui situe les Pays de la Loire au premier rang des régions françaises avec la Bretagne et Poitou-Charentes.
La face cachée des statistiques sur l’emploi en ESS : les postes annexes
5Parmi les postes documentés par les DADS, l’Insee opère une distinction entre postes non annexes et postes annexes. Cette distinction est établie à partir de seuils définis en termes de rémunération, de volume horaire et de durée d’emploi. Plus précisément l’Insee commence par qualifier les périodes d’emploi. Une période d’emploi est non annexe si :
la durée d’emploi est supérieure à 30 jours, le nombre d’heures rémunérées supérieur à 120 et le rapport nombre d’heures sur durées supérieur à 1,5 ;
ou si le salaire net perçu est supérieur à 3 SMIC mensuels.
S’agissant du poste (qui est composé d’une ou de plusieurs périodes de travail), il sera dit non annexe :
si une au moins de ses périodes de travail est non annexe ;
ou si le nombre d’heures du poste est supérieur à 120, sa durée supérieure à 30 jours et le rapport nombre d’heures/durée supérieur à 1,5 ;
ou bien encore si le salaire net associé au poste est supérieur à 3 SMIC mensuels.
6Si ces critères ne sont pas satisfaits, le poste est dit annexe. Sur la base de cette distinction, l’Insee va, non sans raison, assimiler les « vrais emplois » aux postes non annexes. Les exploitations des DADS par l’Insee se concentrent donc sur ces derniers. Tel est notamment le cas pour les statistiques mises en ligne par cet institut dans sa rubrique consacrée à l’économie sociale5. Il en est de même dans les publications du CNCRES.
Des miettes d’emplois
7Lorsqu’il s’agit d’appréhender l’emploi sous l’angle de la force de travail globale mobilisée dans l’appareil productif, cette façon de procéder ne soulève guère d’objections. En effet, la part des postes annexes dans le volume total des heures rémunérées est très faible. Elle devient moins évidente quand l’attention se concentre sur l’ESS. Car cette part y apparaît supérieure à celles des autres secteurs (2,53 % dans l’ESS contre 1,60 % dans le secteur privé hors ESS et 1,01 % dans le secteur public au niveau national, et respectivement 2,42 %, 1,5 % et 0,95 % dans les Pays de la Loire)6. Il y a dans ce constat une présomption de singularité de l’ESS au regard de l’usage de ces postes annexes. Cette présomption se renforce lorsqu’est examinée la fréquence du recours à ces postes. Elle s’avère en effet assez nettement supérieure à celles du reste du secteur privé (hors particuliers employeurs7) et du secteur public. Le tableau 1 montre ainsi que la part de ces postes dans le total s’élève à 30,5 % dans l’ESS contre 23 % dans le privé lucratif (ou privé hors ESS) et 17,2 % dans le public (respectivement 29 %, 22,1 % et 17,7 % en Pays de la Loire). Mais ce tableau montre également que cette surreprésentation des postes annexes est limitée à la famille associative chez laquelle ils représentent un tiers du total contre 10,7 % dans les coopératives, 9,9 % dans les mutuelles et 18,8 % dans les fondations.
8Ces postes peuvent traduire l’existence de très faibles temps partiels mais ils sont aussi susceptibles de relever d’un appel occasionnel au salariat pour des événements ponctuels (Auriac et al., 2008). Ils peuvent avoir pour corollaire une précarité de la situation des salariés qui les occupent mais ils sont également dans certains cas le support d’activités secondaires pour des personnes ayant une activité professionnelle principale par ailleurs (comme ce peut être le cas d’un enseignant réalisant de courtes vacations dans une association culturelle ou sportive). Leur nature est composite : souvent « petits boulots » avec des salariés en moyenne plus jeunes que ceux des postes non annexes et une forte proportion d’ouvriers et d’employés (72,3 % au niveau national tous secteurs confondus, soit 10 points de plus que pour les postes non annexes), ils recouvrent aussi parfois des interventions à durée très courte de professionnels qualifiés (10,8 % des postes annexes sont occupés par des cadres, cette proportion étant nettement supérieure dans les associations, et certains salaires horaires peuvent être très élevés).
Tableau 1. – La part des postes annexes dans le total selon le type juridique de l’entreprise (en %)
France métropolitaine |
Pays de la Loire |
|
Secteur privé hors ESS |
23,0 |
22,1 |
Secteur public |
17,2 |
17,7 |
ESS dont : associations coopératives mutuelles fondations |
30,5 33,7 10,7 9,9 18,8 |
29,0 32,5 8,3 14,1 9,4 |
Total |
22,4 |
22,1 |
Champ : ensemble des employeurs à l’exclusion des particuliers
Source : DADS 2010-Insee. Calcul des auteurs.
9La place occupée par ces postes annexes est fort inégale d’un domaine d’activité à l’autre et leur répartition diffère sensiblement selon que l’on considère le secteur public, le secteur privé lucratif ou l’ESS. S’agissant du secteur public, plus de 85 % des postes annexes concernent les trois divisions de la nomenclature des activités françaises (NAF) de niveau 2 que sont l’administration publique, la défense, la sécurité sociale obligatoire (code 84 de la NAF), l’enseignement (code 85) et les activités pour la santé humaine (code 86). Dans le secteur privé hors ESS, ces postes sont en nombre élevé dans la division codée 78 (activités liées à l’emploi, c’est-à-dire le placement de main-d’œuvre et l’activité des agences de travail temporaires), et dans une moindre mesure dans le commerce de détail, la restauration et les services relatifs aux bâtiments et aménagements paysagers (respectivement codes 47, 56 et 81). Dans l’ESS, les domaines utilisant le plus de postes annexes sont, en ordre décroissant, les activités des organisations associatives8 (code 94), les activités créatives, artistiques et de spectacles (code 90), l’action sociale sans hébergement (code 88), l’enseignement (code 85), les activités sportives, récréatives et de loisirs (code 93), les activités liées à l’emploi (code 78) et l’hébergement social et médico-social (code 87). Les quatre premières divisions comptent pour près des deux tiers des postes annexes. La répartition de ces postes est très similaire dans les Pays de la Loire.
Des employeurs très épisodiques
Dans un nombre non négligeable de cas, l’unité de production n’a que des postes annexes et une fois encore, l’ESS se distingue puisque la part des établissements dans cette situation y est de 15,4 %, c’est-à-dire nettement plus que dans le secteur privé lucratif (6,4 %) ou dans le secteur public (5,6 %). De nouveau, ce sont les associations qui sont quasi exclusivement concernées. Ainsi, au niveau de la France métropolitaine et sur le champ étudié qui, rappelons-le, n’est pas entièrement exhaustif puisque certaines déclarations ne sont pas accessibles (voir l’encadré 1), près de 30 000 établissements associatifs n’ont eu recours qu’à des postes annexes en 2010. 52,8 % d’entre eux n’ont eu qu’un seul poste, 17,5 % en ont eu deux, 24,7 % de trois à dix et moins de 5 % en ont eu plus de dix. La répartition par domaine d’activité de ces employeurs associatifs épisodiques montre au niveau national que leur présence est plus particulièrement notable dans les activités suivantes :
le spectacle vivant (code « 9001Z » de la nomenclature NAF de niveau 5) avec 16,9 % de ces établissements ;
les « autres organisations fonctionnant par adhésion volontaire » (code « 9499Z » dont la nature est hétérogène – voir l’encadré 2) avec 30,3 % ;
les activités de clubs de sports (code « 9312Z ») avec 31 %.
10Les constats sont globalement similaires dans les Pays de la Loire. La part des deux derniers types d’activités est toutefois plus importante qu’au niveau national puisqu’ils regroupent près de 69 % des établissements associatifs sans aucun poste non annexe.
Encadré 2. – Les « autres organisations fonctionnant par adhésion volontaire » (code « 9499Z » de la NAF niveau 5)
L’Insee indique que sont classées sous ce libellé les activités des organisations (non affiliées directement à un parti politique) qui militent en faveur d’une cause ou d’une question d’intérêt public en sensibilisant l’opinion publique, en faisant pression sur les milieux politiques, en collectant des fonds, etc. On y trouve donc des associations militantes dans le domaine de l’environnement, dans les activités communautaires et éducatives, pour la défense des intérêts de certains groupes (minorités…). Y sont également classées les associations de consommateur, les associations patriotiques… Mais y figurent aussi celles spécialisées dans des occupations culturelles ou récréatives (autres que les clubs sportifs et les cercles de jeux) comme les cercles littéraires, les associations historiques, les clubs de jardinage, les ciné-clubs, etc.
Ce regroupement est donc très composite ce qui lui donne le caractère d’un fourre-tout qui justifierait un examen attentif de son contenu aux fins d’éventuels reclassements, d’autant que ses effectifs, tant en nombre d’établissements qu’en nombre de postes, ne sont pas négligeables. Au niveau national, il concerne en effet plus du quart des employeurs associatifs (un peu moins du quart dans les Pays de la Loire) et 14,5 % des postes en associations (12,5 % des postes non annexes et 19 % des postes annexes). Son poids dans le volume d’heures rémunérées est plus faible (11,9 % au niveau national et 9,4 % dans les Pays de la Loire) ce qui traduit la présence d’un nombre conséquent de petites associations, mais on y trouve également des employeurs plus importants (plus de 50 postes non annexes), en nombre limité il est vrai.
11Le nombre moyen annuel d’heures rémunérées par ces associations qui ne font appel à l’emploi salarié que de manière occasionnelle est de 187 heures, le nombre médian est de 110 heures, le premier quartile de 53 heures et le troisième quartile de 223 heures9. S’agissant des postes offerts par ces mêmes associations, ils ont une durée annuelle moyenne de 59 heures et une durée médiane de 36 heures, avec un premier quartile de 13 heures et un troisième de 78 heures (ces durées sont pour les Pays de la Loire respectivement de 68, 43, 19 et 94 heures).
12La prise en compte des seuls postes non annexes dans les traitements statistiques sur l’emploi a donc pour conséquence de faire disparaître ces employeurs épisodiques dont la présence est pourtant non négligeable en ESS. Cette occultation est problématique dès lors que les comportements d’emploi sont étudiés non pour calculer des agrégats nationaux ou régionaux mais sous l’angle des logiques de production qui sont sous-jacentes à ces comportements. La fréquence du recours à ces postes annexes dans les associations souligne la place en ESS d’un modèle économique assez spécifique, plus particulièrement (quoi que non exclusivement) présent dans certains domaines d’activité comme la culture, le sport et les loisirs. Faisant un appel limité et discontinu à la main-d’œuvre rémunérée, ce modèle repose sur la conjonction du salariat et du bénévolat, ce dernier ne se réduisant pas à la présence au conseil d’administration comme tel est le cas dans un certain nombre de grandes associations employeuses. La participation bénévole peut d’ailleurs elle aussi, au moins pour partie, avoir un caractère occasionnel (par exemple dans le cas du spectacle vivant ou le bénévolat est particulièrement sollicité à l’occasion des temps forts que sont les festivals). Ce segment associatif mérite de mobiliser plus de recherches que ce n’est le cas aujourd’hui car son importance en tant que prestataire de services de proximité et animateur de la vie locale est, à n’en pas douter, plus conséquente que ne le suggère son poids dans l’emploi. En conséquence, l’analyse de l’emploi en ESS ne saurait faire l’économie d’une prise en compte des postes annexes.
Le « noyau dur » de l’emploi
13La place des postes annexes dans les associations est une première expression de l’hétérogénéité des situations en matière d’emploi dans l’ESS. Il en est d’autres. Dans cette section nous illustrerons celles qui se manifestent au niveau du « noyau dur de l’emploi », c’est-à-dire dans le champ traditionnellement exploité par les statistiques. Nous les appréhenderons à partir d’une approche par famille de l’ESS mais aussi par domaine d’activités. Ces deux registres (familles et domaines) se recoupent partiellement dans la mesure où les familles ne sont pas uniformément réparties dans les domaines. Ainsi les associations, les mutuelles et les fondations sont-elles cantonnées dans les services tandis que les coopératives sont également présentes dans l’industrie et dans l’agriculture. Dans le domaine du crédit, l’économie sociale est représentée par des coopératives et le domaine des assurances est un terrain de prédilection des mutuelles.
14Cinq domaines font ici l’objet d’un examen plus particulier : la culture, les activités financières et d’assurance, les activités sportives, récréatives et de loisirs, le domaine social et médico-social et la santé. Le périmètre de la culture est celui qui est défini de manière harmonisée au niveau européen (Jauneau, 2013). Les services financiers et d’assurance réunissent les divisions 64 et 65 de la nomenclature des activités françaises (NAF) de niveau 2. Les activités sportives, récréatives et de loisirs sont celles de la division 93. Le domaine social et médico-social concerne les divisions 87 (hébergement médico-social et social) et 88 (action sociale sans hébergement). La santé correspond à la division 86.
15L’investigation statistique se limite aux postes non annexes des DADS et élimine donc les emplois occasionnels qui ont été évoqués dans la section précédente. Les salariés considérés sont ceux ayant de 16 à 65 ans. Deux caractéristiques des postes ont été retenues à savoir le type de contrat (durée indéterminée versus autres types) et la distinction postes à temps plein/postes à temps partiel. S’agissant des caractéristiques des salariés, ont été considérés le sexe, l’âge et la catégorie socioprofessionnelle. Un examen des salaires clôt ces développements. À des fins de comparaison, la situation du secteur privé lucratif est également présentée.
Des postes plus précaires dans les associations
16La part des postes à plein-temps est sensiblement plus faible dans l’ESS (58,9 %) que dans le reste du secteur privé (78,2 %), l’écart étant accentué au niveau régional (respectivement 55,5 % et 79,1 % – tableau 2). Mais cette situation est principalement attribuable aux associations dont seulement un peu plus de la moitié des postes sont à temps plein. La part de ces mêmes postes est beaucoup plus forte dans les coopératives où elle est même supérieure à celle du secteur privé lucratif10. Dans les Pays de la Loire, la situation est assez semblable si ce n’est que les postes à temps plein dans les mutuelles sont moins fréquents qu’ils ne le sont au niveau national. En ce qui concerne les domaines d’activité (tableau 3), la culture et les activités sportives et de loisirs se signalent par des écarts substantiels entre les deux secteurs. Dans le premier domaine la part des postes à temps plein est de 30 points de pourcentage inférieure dans l’ESS par rapport au reste du secteur privé et dans le deuxième cas de 25 points. Dans la santé, au niveau national l’écart est beaucoup plus faible puisque la part des postes à plein-temps est de moins de 5 points inférieure dans l’ESS. Au niveau régional il est plus conséquent (près de 20 points). En revanche dans les services financiers et les assurances comme dans le social et médico-social, les situations ne diffèrent guère à l’aune de cette caractéristique des postes.
17La part des postes en CDI est du même ordre en ESS que dans le reste du secteur privé. Mais elle est plus élevée dans les coopératives, les mutuelles et les fondations que dans les associations. L’ESS de la culture se distingue une nouvelle fois par une présence plus faible de ce type de postes comparativement au reste du secteur privé (et par rapport aux autres domaines d’activité).
Tableau 2. – Quelques caractéristiques des postes et des salariés selon les familles de l’ESS (en %) en France et dans les Pays de la Loire
Caractéristiques |
Privé hors ESS |
ESS |
Associations |
Coopératives |
Mutuelles |
Fondations |
Postes |
||||||
– Part des postes à temps plein |
78,2 (79,1) |
58,9 (55,5) |
54,5 (50,1) |
84,7 (85,3) |
72,4 (58,8) |
68,2 (70,2) |
– Part des postes en CDI |
73,8 (72,1) |
68,2 (70,6) |
66,6 (69,2) |
72,1 (75,2) |
82,1 (78,1) |
75,3 (82,6) |
Salariés |
||||||
– Sexe • Hommes • Femmes |
59,8 (60,6) 40,2 (39,4) |
33,0 (32,8) 67,0 (67,2) |
31,2 (28,6) 68,8 (71,4) |
52,9 (58,6) 47,1 (41,4) |
25,9 (21,4) 74,1 (78,6) |
27,3 (37,1) 72,7 (62,9) |
– Catégorie socioprofessionnelle • Cadres supérieurs • Professions intermédiaires • Employés • Ouvriers |
14,3 (9,2) 16,7 (15,8) 32,6 (29,6) 36,4 (45,4) |
14,9 (15,0) 32,3 (32,4) 40,0 (38,7) 12,8 (13,9) |
14,2 (14,9) 32,2 (32,6) 40,7 (40,1) 12,9 (12,4) |
18,6 (16,8) 35,2 (32,8) 26,5 (24,7) 19,7 (25,7) |
19,7 (12,0) 27,1 (26,5) 50,3 (58,2) 2,9 (3,3) |
14,7 (9,4) 35,9 (29,5) 43,5 (52,5) 5,9 (8,6) |
– Âge • Moins de 25 ans • 25-34 ans • 35-44 ans • 45-54 ans • 55 ans et plus |
17,4 (19,2) 27,7 (27,3) 25,1 (25,1) 20,6 (20,5) 9,2 (7,9) |
10,3 (11,0) 24,4 (24,1) 25,9 (26,7) 25,8 (26,0) 13,7 (12,2) |
10,1 (10,6) 24,1 (24,0) 26,1 (26,8) 25,9 (26,4) 13,8 (12,2) |
12,0 (13,8) 26,4 (24,4) 24,7 (25,6) 24,0 (23,8) 12,9 (12,4) |
8,8 (11,3) 24,6 (25,4) 25,8 (25,6) 26,6 (25,9) 14,2 (11,8) |
10,3 (6,3) 25,2 (24,7) 24,3 (34,6) 25,8 (25,6) 14,4 (8,8) |
Lecture : en caractères romains, les résultats pour la France métropolitaine. En italiques et entre parenthèses, les résultats pour les Pays de la Loire. Ainsi, au niveau de la métropole, 78,2 % des postes offerts par le secteur privé hors ESS sont des postes à temps plein. Cette proportion est de 79,1 % dans la région des Pays de la Loire.
Source : DADS 2010-Insee. Calcul des auteurs.
18Ce constat n’est certainement pas étranger à la place de l’intermittence dans les activités du spectacle vivant, lesquelles ont un poids beaucoup plus important dans l’ESS que dans le reste du secteur privé : au niveau national, la première rassemble 68 % des postes de ce type d’activité et le second 32 % (dans les Pays de la Loire ces parts sont respectivement de 80 % et de 20 %). Dans les services financiers et les assurances, les CDI sont également moins fréquents dans l’ESS. En revanche, les deux secteurs ne se distinguent guère dans la santé et le social/médico-social. Il en est de même dans les activités sportives et de loisirs au niveau national, mais au niveau régional, c’est l’ESS qui accorde une part plus importante aux CDI (59,6 % contre 42,3 % dans le reste du secteur privé – tableau 3).
Dans l’ESS, un salariat plus féminin mais aussi plus âgé
19S’agissant des caractéristiques des salariés, le fort degré de féminisation dans l’ESS a été maintes fois souligné. Les deux tiers des postes sont occupés par des femmes (tableau 2). Il s’agit là d’un effet de structure qui tient à la nature des activités (très principalement des services) dans lesquelles sont concentrées les entreprises d’économie sociale. Les coopératives, davantage présentes dans l’industrie, accorde de ce fait au salariat féminin une place moins importante. Dans le domaine culturel, les hommes sont légèrement majoritaires aussi bien dans l’ESS que dans le reste du secteur privé (tableau 3). Ils le sont plus fortement dans les activités sportives et de loisirs mais au niveau régional la part du salariat féminin dans les organismes d’ESS de ce domaine est substantiellement plus forte que la part correspondante dans le privé lucratif. Dans les autres domaines, la main-d’œuvre féminine est majoritaire aussi bien en économie sociale que dans le reste du secteur privé. C’est tout particulièrement le cas dans la santé et dans les activités sociales et médico-sociales. En ce qui concerne ces dernières, la part de la main-d’œuvre masculine dans l’ESS est supérieure à celle du secteur privé. Cela tient notamment à la présence majoritaire des hommes dans les activités d’aide par le travail dont l’économie sociale a le quasi-monopole (98,8 % des postes).
20Les professions intermédiaires et les employés sont plus fortement représentés dans l’ESS que dans le secteur privé lucratif. Les ouvriers le sont en revanche nettement moins. Une nouvelle fois cette situation traduit un effet de structure relatif aux types d’activités dans lesquels l’économie sociale est concentrée. Les coopératives affichent logiquement un poids plus important des ouvriers parmi leurs salariés puisqu’elles sont davantage présentes dans l’industrie et la construction. C’est aussi dans les coopératives mais également dans les mutuelles, du moins au niveau national, que la part des cadres supérieurs est la plus forte. Cette situation s’explique par le poids des activités bancaires et d’assurance dans ces deux composantes de l’économie sociale, activités dans lesquelles cette catégorie socioprofessionnelle est fortement représentée. Il reste que dans ce domaine des services financiers et d’assurance la part des cadres dans l’économie sociale est inférieure à celle du secteur privé lucratif. À l’inverse, dans la santé les cadres occupent une place plus importante dans l’ESS. Un constat similaire a été fait en ce qui concerne la région Île-de-France (Insee Île-de-France, 2010). Il s’explique probablement par la présence d’emplois très qualifiés dans des centres de recherche relevant de l’économie sociale (Bisault, 2012).
21L’ESS culturelle connaît également une surreprésentation des cadres comparativement au secteur privé lucratif, la différence étant particulièrement élevée dans les Pays de la Loire. Enfin observons que dans le domaine social et médico-social, la part des ouvriers dans l’ESS est supérieure à celle du reste du secteur privé, ce qui s’explique notamment par la présence dans ce domaine des associations d’aide par le travail où 62 % des postes sont occupés par cette catégorie socioprofessionnelle.
22Il a été souligné à plusieurs reprises ces dernières années que les salariés de l’ESS sont en moyenne plus âgés que ceux du secteur privé lucratif (observatoire national de l’ESS/CNCRES, 2011 ; Féniès-Dupont et al., 2011). Le tableau 2 confirme ce diagnostic : au niveau national environ 35 % des salariés de l’ESS ont moins de 35 ans et près de 40 % ont plus de 44 ans. Ces parts sont respectivement de 45 % et d’à peine 30 % dans le reste du secteur privé. Des résultats très proches sont observés dans les Pays de la Loire. La faible présence de l’apprentissage dans l’ESS contribue certainement à expliquer cette situation (Bollier et Jean, 2009) mais elle ne suffit pas à rendre compte des écarts observés11. Les différentes familles de l’économie sociale sont à cet égard dans une situation assez similaire. Tout juste peut-on remarquer que la part des moins de 35 ans est légèrement plus élevée dans les coopératives que dans les autres composantes de l’ESS. Cette différence dans la structure par âge est confirmée dans quatre des cinq domaines d’activités ici considérés, seul celui des services financiers échappant à la règle puisque la répartition des salariés par tranche d’âge est dans les deux secteurs (ESS et reste du privé) sensiblement la même.
Tableau 3. – Quelques caractéristiques des postes et des salariés selon les domaines d’activité (en %) en France et dans les Pays de la Loire. Comparaison ESS et secteur privé hors ESS
Caractéristiques |
Culture |
Services financiers et assurances |
Sport et Loisirs |
|||
Privé hors ESS |
ESS |
Privé hors ESS |
ESS |
Privé hors ESS |
ESS |
|
Postes |
||||||
– Part des postes à plein-temps |
64,0 (61,6) |
33,6 (32,3) |
83,8 (83,7) |
84,9 (83,6) |
68,4 (65,2) |
43,6 (41,9) |
– Part des postes en CDI |
59,5 (65,1) |
38,7 (38,2) |
88,9 (88,7) |
76,8 (72,0) |
56,4 (42,3) |
55,6 (59,6) |
Salariés |
||||||
– Sexe • Hommes • Femmes |
52,4 (51,7) 47,6 (48,3) |
50,3 (52,3) 49,7 (47,7) |
44,0 (42,9) 56,0 (57,1) |
37,6 (40,4) 62,4 (59,6) |
57,7 (63,0) 42,3 (37,0) |
59,0 (55,7) 41,0 (44,3) |
– Catégorie socioprofessionnelle • Cadres supérieurs • Professions intermédiaires • Employés • Ouvriers |
41,9 (28,2) 26,1 (27,0) 19,3 (27,3) 12,7 (17,5) |
51,0 (50,3) 23,2 (24,8) 17,3 (16,1) 8,5 (8,8) |
40,9 (33,5) 29,4 (30,0) 28,4 (35,1) 1,3 (1,4) |
23,9 (22,1) 38,9 (41,4) 36,5 (35,6) 0,7 (0,9) |
7,3 (8,0) 34,0 (35,3) 43,1 (40,7) 15,6 (16,0) |
5,2 (4,8) 67,2 (72,8) 21,6 (18,2) 6,0 (4,2) |
– Âge • Moins de 25 ans • 25-34 ans • 35-44 ans • 45-54 ans • 55 ans et plus |
10,4 (13,6) 32,9 (32,3) 27,8 (26,9) 19,4 (18,1) 9,5 (9,1) |
7,4 (8,7) 30,7 (33,3) 29,3 (30,4) 22,3 (19,7) 10,3 (7,9) |
9,6 (8,9) 28,3 (26,0) 24,4 (25,7) 22,9 (23,5) 14,8 (15,9) |
9,8 (12,6) 27,2 (25,5) 24,4 (22,4) 24,4 (23,9) 14,2 (15,6) |
33,8 (41,1) 32,4 (30,6) 18,4 (15,2) 10,9 (9,2) 4,5 (3,9) |
20,2 (20,2) 33,4 (36,2) 21,8 (21,7) 16,6 (14,9) 8,0 (7,0) |
Caractéristiques |
Social et médico-social |
Santé |
||
Privé hors ESS |
ESS |
Privé hors ESS |
ESS |
|
Postes |
||||
– Part des postes à plein-temps |
54,5 (45,7) |
53,5 (45,1) |
67,3 (65,0) |
62,6 (46,4) |
– Part des postes en CDI |
73,1 (73,9) |
68,1 (66,2) |
81,9 (82,8) |
80,2 (79,1) |
Salariés |
||||
– Sexe • Hommes • Femmes |
12,4 (15,2) 87,6 (84,8) |
25,8 (24,6) 74,2 (75,4) |
20,5 (17,8) 79,5 (82,8) |
20,5 (14,6) 79,5 (85,4) |
– Catégorie socioprofessionnelle • Cadres supérieurs • Professions intermédiaires • Employés • Ouvriers |
4,0 (3,4) 13,4 (11,5) 78,6 (76,4) 4,0 (8,7) |
3,8 (2,8) 28,6 (25,2) 51,1 (55,1) 16,5 (16,9) |
4,8 (4,1) 31,8 (30,9) 59,5 (61,1) 3,9 (3,9) |
15,8 (12,7) 36,2 (35,1) 44,9 (50,3) 3,1 (1,9) |
– Âge • Moins de 25 ans • 25-34 ans • 35-44 ans • 45-54 ans • 55 ans et plus |
17,6 (19,7) 25,4 (25,8) 24,0 (24,6) 23,1 (21,7) 9,9 (8,2) |
10,4 (11,9) 22,5 (22,7) 26,0 (26,3) 27,6 (27,2) 13,5 (11,9) |
9,8 (10,8) 27,3 (28,0) 24,9 (25,3) 25,3 (24,7) 12,7 (11,2) |
8,8 (7,9) 23,1 (22,7) 23,6 (25,0) 27,7 (29,6) 16,8 (14,8) |
Lecture : en caractères romains, les résultats pour la France métropolitaine. En italiques et entre parenthèses, les résultats pour les Pays de la Loire.
Source : DADS 2010-Insee. Calcul des auteurs.
Un salaire horaire inférieur dans les associations
23L’examen des rémunérations est mené en termes de salaires bruts horaires12. Au niveau national, le salaire horaire moyen dans l’ESS est inférieur à celui du secteur privé lucratif mais les salaires médians sont identiques (tableau 4). Dans les Pays de la Loire la situation diffère quelque peu puisque le salaire moyen et le salaire médian sont plus élevés dans l’ESS. L’examen du rapport interdécile conduit à conclure que l’échelle des salaires est plus étendue dans le secteur lucratif13. Mais une fois de plus la situation est disparate au sein de l’ESS. C’est dans les associations que le salaire horaire moyen est le plus faible. Si l’on devait considérer le revenu annuel (et non plus horaire) moyen des salariés associatifs, l’écart avec les autres composantes de l’ESS (du moins avec les coopératives et les mutuelles) et avec le secteur lucratif s’accentuerait encore puisque ces salariés occupent moins fréquemment des postes à temps plein (voir plus haut). C’est dans les associations et les fondations que l’échelle des salaires horaires est la moins étendue.
Tableau 4. – Salaires horaires dans l’ESS (selon ses composantes) et dans le secteur privé hors ESS (en euros) – France et Pays de la Loire
Secteur |
Salaire horaire moyen |
Salaire horaire médian |
Rapport interdécile |
Privé hors ESS |
16,57 (14,69) |
13,00 (12,44) |
2,90 (2,34) |
ESS dont : associations coopératives mutuelles fondations |
15,24 (14,80) 14,38 (13,95) 19,53 (19,00) 19,35 (16,69) 17,20 (14,41) |
13,00 (13,05) 12,44 (12,53) 17,17 (16,39) 16,12 (14,63) 14,50 (12,48) |
2,71 (2,53) 2,52 (2,35) 3,01 (2,79) 2,92 (2,29) 2,57 (2,02) |
Lecture : en caractères romains, les résultats pour la France métropolitaine. En italiques et entre parenthèses, les résultats pour les Pays de la Loire.
Source : DADS 2010-Insee. Calcul des auteurs.
24Les rémunérations horaires dans l’économie sociale diffèrent d’un domaine à l’autre comme diffèrent la nature et l’ampleur de l’écart entre ces rémunérations et celles du reste du secteur privé (tableau 5). Dans l’ESS, c’est dans les services financiers et les assurances que le salaire moyen est le plus élevé. Viennent ensuite par ordre décroissant la santé, la culture, les activités sportives et de loisirs et enfin le social/médico-social. Si dans le secteur privé lucratif les services financiers et les assurances constituent également le domaine à plus fort salaire, c’est désormais la culture qui arrive en second puis viennent les activités sportives et de loisirs, la santé et le social/médico-social.
Tableau 5. – Salaires horaires dans l’ESS et dans le secteur privé hors ESS selon divers domaines d’activité (en euros) – France et Pays de la Loire
Domaines |
Secteur |
Salaire moyen |
Salaire médian |
Rapport interdécile |
Culture |
Privé hors ESS ESS |
22,31 (16,69) 16,88 (15,95) |
18,69 (13,96) 14,57(13,70) |
3,66 (2,81) 2,96 (2,78) |
Services financiers et assurances |
Privé hors ESS ESS |
27,26 (22,32) 21,44 (20,89) |
21,56 (19,25) 19,03 (18,70) |
3,90 (3,08) 2,85 (2,66) |
Sport et loisirs |
Privé hors ESS ESS |
17,48 (15,74) 14,16 (14,04) |
11,45 (10,64) 11,90 (11,82) |
2,67 (2,45) 2,61 (2,39) |
Social et médico-social |
Privé hors ESS ESS |
12,74 (12,20) 12,61 (12,26) |
11,45 (11,23) 11,65 (11,62) |
1,92 (1,78) 3,17 (3,03) |
Santé |
Privé hors ESS ESS |
15,15 (14,61) 19,35 (18,27) |
13,20 (12,76) 15,67 (15,12) |
2,18 (2,00) 3,23 (2,74) |
Lecture : en caractères romains, les résultats pour la France métropolitaine. En italiques et entre parenthèses, les résultats pour les Pays de la Loire.
Source : DADS 2010-Insee. Calcul des auteurs.
25Au niveau national, l’écart salarial entre ESS et secteur privé lucratif est nettement au détriment de la première dans les services financiers et les assurances, dans la culture ainsi que dans les activités sportives et de loisirs. Il lui est encore légèrement défavorable dans le social et médico-social mais dans ce domaine le salaire moyen dans l’économie sociale est tiré vers le bas par la présence de l’aide par le travail. Sans celle-ci le salaire moyen du domaine passe à 13,31 euros et devient supérieur à celui du privé lucratif. Dans la santé, le différentiel de salaire horaire est en revanche franchement en faveur de l’ESS aussi bien nationalement que régionalement. Au niveau régional, les écarts salariaux sont de même nature (hormis dans le social et médico-social où il est désormais très légèrement en faveur de l’ESS) mais leur ampleur est moindre.
26Il reste qu’une comparaison des salaires horaires entre ESS et secteur privé lucratif, pour être convaincante, doit prendre en compte les différences de composition des salariats concernés. Par exemple, nous avons noté que l’ESS de la santé avait une part de cadres supérieurs plus élevée que celle du secteur privé lucratif. Cette surreprésentation des cadres dans l’ESS va logiquement contribuer à élever le salaire moyen dans le domaine d’activité. Pour mieux appréhender les comportements salariaux des deux secteurs et, au sein de l’économie sociale, de ses différentes composantes il est nécessaire de raisonner « toutes choses égales par ailleurs » et de recourir à l’analyse économétrique. Des équations de salaires ont donc été estimées au niveau agrégé (c’est-à-dire tous domaines confondus) pour la France entière et la région des Pays de la Loire. L’exercice a ensuite été reproduit dans chacun des domaines d’activité retenus. La variable dépendante est le logarithme du salaire horaire. Pour les investigations au niveau agrégé, une variable explicative a été introduite qui permet de distinguer le secteur privé lucratif ainsi que les différentes familles de l’économie sociale. Les variables de contrôle sont relatives à certaines caractéristiques des postes (type de contrat, plein temps ou temps partiel), des entreprises (taille, type d’activité, zone géographique d’implantation de l’établissement) et des salariés (sexe, âge, nationalité, catégorie socioprofessionnelle). Les DADS ne communiquant pas le diplôme des salariés, cette variable pourtant importante dans ce type d’exercice n’a pu être intégrée. Les conclusions auxquelles conduisent ces investigations sont présentées de manière très synthétique.
27Il apparaît ainsi qu’au niveau national, tous types d’activités confondus, le salaire horaire dans les associations est de près de 5 % inférieur à celui du secteur privé lucratif tandis que dans les coopératives il lui est supérieur d’un peu plus de 2 %. La différence entre secteur privé lucratif, mutuelles et fondations se révèle négligeable14. Dans les Pays de la Loire, en revanche, c’est l’écart entre le salaire des fondations et celui du secteur privé hors ESS qui est le plus important, au détriment du premier (– 7 %). Le salaire dans les associations est de 4,3 % inférieur à celui du privé lucratif et celui des coopératives de 5 % supérieur.
28En ce qui concerne les domaines d’activité, c’est dans les activités sportives et de loisirs ainsi que dans la culture que la différence de salaire horaire est la plus défavorable à l’économie sociale par rapport au privé lucratif. Elle est respectivement de – 17,8 % et – 13,3 %. L’écart salarial est nul ou négligeable dans le secteur des services financiers et dans le social et médico-social. Dans la santé, il est en faveur de l’ESS (+ 2,4 %). Au niveau des Pays de la Loire les conclusions sont de même nature. Les écarts dans le domaine du sport et des loisirs ainsi que dans la culture sont toutefois légèrement inférieurs et le gain différentiel dans la santé y est plus élevé (+ 4,3 %).
Conclusion
29La diversité des situations d’emploi n’est pas l’apanage de l’ESS. Mais cette contribution a voulu souligner le besoin d’approfondir la connaissance statistique de cette diversité dans ce secteur. Pour illustrer le propos, deux aspects ont été abordés. Tout d’abord, le cas des associations recourant uniquement à une main-d’œuvre occasionnelle a été évoqué. La pratique consistant à soustraire les postes annexes des données qui sont exploitées pour présenter un état chiffré de l’emploi conduit à laisser dans l’ombre ces réalités associatives. Si cette pratique n’affecte guère la mesure des agrégats de l’emploi (effectifs salariés, emplois en équivalent temps plein) eu égard au faible volume d’heures que représentent ces postes, elle est plus gênante lorsque l’on souhaite comprendre la pluralité des logiques qui sont au fondement du recours au salariat dans l’économie sociale. En effet elle conduit à occulter un (voire des) modèle(s) économique(s), reposant sur de l’emploi certes occasionnel et dont la présence en milieu associatif ne saurait être tenue pour marginale.
30La diversité de l’emploi au sein de l’économie sociale s’exprime également au niveau du « noyau dur » de l’emploi et peut être appréhendée tant à travers une approche par famille de l’ESS qu’au moyen d’un examen par domaine d’activité. Les facteurs de cette diversité appellent un effort d’analyse. Ils peuvent relever des types de régulation publique qui encadrent les activités, de la nature des « marchés » sur lesquels interviennent les producteurs (monopole de fait de l’ESS dans certains cas, concurrence entre organismes d’ESS et entre ESS et secteur privé lucratif dans d’autres cas). De ce point de vue, la différenciation des domaines d’activité requiert un niveau de désagrégation probablement plus fin que ce n’est le cas dans la plupart des études de ce type ainsi que dans la présente contribution.
31Comprendre les fondements de la diversité des situations d’emploi en ESS nécessite également de considérer les stratégies des acteurs eux-mêmes. Par exemple, il a été remarqué dans notre deuxième section que le salaire moyen dans les services financiers et les assurances est inférieur dans l’ESS à ce qu’il est dans le secteur privé lucratif. Cela n’est pas sans lien avec la part plus faible des cadres dans l’économie sociale de ce domaine. Comme le fait remarquer Bisault (2012), l’explication de cette situation peut résider, au moins en partie, dans la politique des banques coopératives consistant à filialiser « leurs activités les plus rentables et leurs emplois les plus qualifiés » dans des entreprises à caractère lucratif.
32En matière d’emploi et de salaires, la compréhension des disparités internes à l’ESS constitue un champ riche d’investigations pour les chercheurs qui s’intéressent à l’économie sociale. Mais les enjeux ne sont pas seulement de l’ordre de la connaissance pure. Ils concernent aussi l’action, notamment celle des pouvoirs publics, car cette compréhension est indispensable à la conception de dispositifs permettant une stimulation efficace des activités et de l’emploi dans l’ESS.
Contribution de Ressources Solidaires sur les questions relatives à l’emploi en ESS
33Grâce au travail de « fourmis » réalisé par les observatoires régionaux et l’observatoire national, l’économie sociale et solidaire a pu se compter ; en tout cas, en partie, avec les limites posées et expliquées dans le texte quant à l’analyse des DADS.
34La mise en place des observatoires a correspondu à la prise en compte de certaines entreprises, essentiellement sur le secteur marchand et (souvent très) concurrentiel, appartenant à un secteur appelé « économie sociale » (écartons volontairement le solidaire). Cette prise en compte est en fait une surcouche philosophique à ce qu’elle faisait déjà avant de s’y reconnaître… Plus clairement… Peut-on douter de l’appartenance de la Mutualité Française (en tant qu’interlocuteur de la protection sociale complémentaire, mais aussi en tant qu’acteur fédératif des mutuelles santé) à ce secteur de l’ESS ? Peut-on penser que Juratri, SCOP de tri et d’insertion, n’en fait pas partie ? Ignore-t-on que la sauvegarde de l’enfance qui protège et accompagne les enfants, les adolescents et les jeunes adultes en danger physique, moral ou psychologique, soit une association, donc à but non lucratif ?
35Pourtant, est ce que chacun de ses acteurs s’est toujours reconnu dans cette ESS ? A-t-il toujours communiqué comme tel ? Ou a-t-il avant tout communiqué sur ce qu’il est, un acteur de tel ou tel secteur, de tel ou tel domaine, de tel ou tel métier ? Probablement. Car la case « ESS » apparaît rarement sur les documents comptables ou sociaux. N’oublions pas que la grande ligne « assurance » de la comptabilité nationale (indicateur public) couvre les activités des assureurs capitalistes et mutualistes. Et que la crise (les crises successives) conduit à tenter de retrouver du sens dans les activités professionnelles, et donc à chercher le confort (de plus en plus supposé) de la fonction publique ou de l’associatif (dont on sait parfaitement, que l’argent n’est jamais un sujet abordé ! [Ironie]).
36On a donc trouvé un « artifice » : le statut juridique. Reposant sur des principes économiques de partage collectif et démocratique du pouvoir et des plus-values, ces entreprises différentes peuvent être classées par colonnes. Et dans ces colonnes, on trouvera les salariés par statut juridique de l’établissement employeur, puis, plus précisément, par secteurs d’activité. Si l’on définit l’ESS par un certain nombre de principes économiques et politiques (cf. plus haut), on exclut certains, on inclut d’autres. Mais au moins, c’est objectif. Et les chiffres aiment le cadre, l’objectif. Donc on sait qu’il y a 2,5 millions de salariés, 2 millions d’ETP pour 230 000 établissements.
37Sauf que… Les salariés ne sont pas des chiffres, ce sont des métiers, des pratiques, des savoirs, des savoir-être, des souhaits, des revendications, des envies… Comment trouver un point commun entre l’agent d’accueil de la maison de retraite associative et le directeur commercial de la mutuelle ? Entre le plombier de la SCOP de bâtiment et le comptable de la fédération de services à la personne ? Et d’ailleurs, tous, se sentent-ils plus appartenant à ce vaste secteur de l’ESS ou à leur domaine d’activité ? Voire leur métier ? Matthieu Hély, sociologue spécialisé dans le salariat associatif, l’a largement analysé et les résultats sont éloquents. Le sentiment d’appartenance des salariés de l’ESS est dilué, selon l’entreprise, le secteur, le degré hiérarchique, la proximité avec les bénévoles… Ressources Solidaires organise des ateliers pour les personnes cherchant du travail dans l’ESS : sur les 300 personnes que nous voyons par an, et avec 10 ans de recul, moins de 10 ont exprimé le souhait de travailler hors de l’associatif. « Travailler dans l’ESS », c’est travailler dans l’associatif ! Dans l’esprit.
38Les acteurs peuvent, et doivent, expliquer que l’ESS est plus large que l’associatif, au risque de s’enfermer et de ne pas apporter toutes les solutions alternatives que peuvent apporter des entreprises comme les coopératives d’activité et d’emploi (CAE) ou les mutuelles dédiées aux réalisations sanitaires et sociales (clinique mutualiste par exemple).
39Mais, il faut pouvoir s’identifier aux salariés de l’ESS quand on cherche sa voie, sa formation, son métier… La banque qui n’a pas d’actionnaires parle-t-elle des sociétaires sur les salons d’étudiants ? La coopérative agricole parle-t-elle des coopérateurs sur ces mêmes salons ? L’association de services à la personne parle-t-elle de la participation des adhérents aux décisions dans les formations ? Si vraiment l’ESS est un secteur attractif, on doit pouvoir repérer les salariés.
40La loi sur l’ESS de juillet 2014 va obliger les acteurs à poser leurs plus-values sociétales. On n’ira pas aussi loin que les coopératives (agrément) ou les associations du médico-social (évaluation externe), faute de moyens suffisants, mais malgré tout, on a mis en place un focus. On pourra de nouveau passer par la loi et pousser sur le code du travail pour des accords sur la qualité de vie au travail, améliorer les conventions collectives… Cela pose la question de la représentativité des employeurs de l’ESS pour pouvoir parler plus large que la branche d’activité. Et au-delà, quand environ 25 % des associations sont hors convention collective, comment intervenir ? Et quand l’énorme majorité des associations font moins de 5 salariés, c’est-à-dire bien loin des seuls minimaux pour les obligations sociales !
41Alors, pour sortir les salariés de la masse, pour les reconnaître comme des ressources au même titre que les bénévoles, pour les qualifier au-delà de les quantifier, nous pouvons proposer quelques pistes…
42Trouver une place aux salariés dans les organismes intermédiaires de l’ESS (comme les CRESS et autres représentations nationales) : par leurs représentants syndicaux ou non, irrégulièrement ou non, avec voix ou non, il ne m’appartient pas de le dire, mais je suppose une amélioration de la qualité des discussions et un apport de réflexions. Tout ceci dans le respect du code du travail et des prérogatives de chacun. Et peut-être réinventer ensemble d’autres relations sociales dans nos entreprises ? En tout cas, sans faire abstraction des 2,5 millions de salariés dans les instances qui pensent l’avenir du secteur…
43Instaurer une journée commune de formation aux salariés de l’ESS : apporter des éléments de mise à niveau historique et économique sur l’ESS. La discussion collective, l’échange de pratiques, le renforcement du sentiment d’appartenance seront de puissants leviers pour une meilleure qualité de vie au travail et une (probable) meilleure compréhension des enjeux.
44Prendre beaucoup plus de précautions oratoires quand on parle d’emploi dans l’ESS : la contribution l’éclaire magistralement ! Entre secteurs, entre statuts, on ne peut pas comparer. Trop de variables non applicables de façon générale… Le sujet de l’emploi, premier sujet de préoccupation des citoyens, est trop sensible pour donner des espoirs compliqués à mettre en œuvre.
45Guillaume Chocteau,
46délégué général de Ressources Solidaires.
Notes de bas de page
1 [http://www.insee.fr/fr/themes/detail.asp?ref_id=eco-sociale].
2 Voir notamment sur cette question de la qualité de l’emploi : Richez-Battesti N. et al. (2011) ; Bailly F. et al. (2012).
3 Ce travail a bénéficié d’une aide de l’État gérée par l’Agence nationale de la recherche au titre du programme Investissements d’avenir portant la référence ANR-10-EQPX-17 (Centre d’accès sécurisé aux données [CASD]).
4 Dans la suite des développements, les expressions « niveau régional » et « région » renvoient aux Pays de la Loire.
5 Plus précisément, le champ de l’exploitation est alors celui des postes de travail au 31 décembre hors postes annexes et intérimaires. L’exclusion des intérimaires s’explique par le fait qu’ils sont déclarés par leurs employeurs (les agences d’intérim) et non par les entreprises dans lesquelles ils travaillent.
6 Les postes offerts par les particuliers employeurs sont exclus du champ de l’étude.
7 Les postes annexes sont très nombreux parmi les salariés des particuliers employeurs (72 %).
8 Pour l’Insee : « Cette division comprend les activités des organisations qui représentent les intérêts de certains groupes ou qui promeuvent leurs idées auprès du grand public. »
9 En d’autres termes, la moitié de ces associations rémunèrent moins de 110 heures sur l’année, un quart moins de 53 heures et un quart plus de 223 heures.
10 Rappelons que les coopératives agricoles sont pour l’essentiel hors champ de cette étude (voir l’encadré 1).
11 97,5 % des contrats d’apprentissage concernent le secteur privé lucratif (au niveau national comme à celui de la région).
12 En sus du salaire proprement dit, y compris heures supplémentaires et primes, le salaire brut inclut l’intéressement, la participation et les congés payés ainsi que les avantages en nature imposables.
13 Le rapport interdécile est calculé en divisant le neuvième décile (valeur du salaire horaire telle que 10 % des salariés se situent au-dessus) et le premier décile (valeur du salaire horaire telle que 10 % des salariés se situent au dessous). Plus le rapport est élevé et plus la dispersion des salaires est forte.
14 Si le même exercice est réalisé sur les seuls postes en CDI et en CDD (donc en excluant les contrats d’apprentissage, les emplois aidés, les intérimaires et les contrats dont le type est inconnu), le salaire associatif devient alors inférieur de près de 8 % à celui du privé lucratif (6 % dans les Pays de Loire).
Auteurs
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Le développement solidaire des territoires
Expériences en Pays de la Loire
Emmanuel Bioteau et Karine Féniès-Dupont (dir.)
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Aide à domicile et services à la personne
Les associations dans la tourmente
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2012
L'économie sociale entre informel et formel
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Annie Dussuet et Jean-Marc Lauzanas (dir.)
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L'économie sociale et solidaire
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2010
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Pascal Glémain
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2007