De l’espace proche au monde global
p. 441-460
Texte intégral
1Tout au long des siècles, la société villageoise de Goulien n’a jamais été vraiment isolée, mais en matière d’échanges matrimoniaux comme d’échanges économiques elle était restée largement autocentrée – les remous de la grande Histoire ne venant la troubler que de temps à autre – et longtemps en grande partie autosuffisante. Son univers habituel se résumait à son environnement le plus proche : les paroisses limitrophes du Cap Sizun, le marché et les autorités de Pont-Croix, un petit peu l’évêché de Quimper. Paris et le roi étaient bien loin et n’interféraient guère dans le quotidien.
2À partir de la Révolution et de l’Empire s’est amorcé un mouvement qui s’est poursuivi jusqu’au XXe siècle et qui a rendu l’État de plus en plus présent dans la vie villageoise, par l’intermédiaire de ses divers relais – administration, fisc, justice, école – tandis que la conscription militaire, les embarquements dans la marine et les guerres successives qui ont marqué les deux derniers siècles conduisaient l’ensemble des hommes mobilisables hors des frontières régionales ou nationales. Parallèlement, le développement des institutions démocratiques amenait les individus, de plus en plus informés de ce qui se passe à l’extérieur, à participer de façon active, par leurs votes, à la vie politique française, à ses différents niveaux, du local au national et maintenant au niveau européen.
3La société communale se trouve désormais placée au centre d’un emboîtement d’espaces concentriques qui, de proche en proche, la relient au monde environnant et qui exercent sur elle d’innombrables influences dont la maîtrise lui échappe et qui déterminent son devenir.
Le Cap Sizun
L’identité capiste
4Le Cap Sizun véritable, qu’on appelle aussi le « Cap profond » (ar C’hab don), se caractérisait autrefois par le fait que les femmes y arboraient la coiffe « capiste » (kapenn) ; mais les dernières femmes de Goulien à l’avoir portée régulièrement, nées avant la première guerre mondiale, sont pour la plupart décédées ; la toute dernière à l’avoir portée (Mme Griffon née Marie Dagorn), encore vivante mais ne pouvant plus la mettre, est née en 1910. Les jeunes filles qui n’ont plus voulu la porter – celles de la génération née vers 1915-1920 – étaient déjà plus que quadragénaires lors de mon séjour en 1962-65. Les gens de Goulien, Cléden, Plogoff, Primelin, Esquibien et Beuzec, jeunes compris, ont cependant toujours bien le sentiment de posséder tous un « esprit commun ». Cela n’a jamais empêché chaque commune d’afficher ses spécificités, ni de se regrouper selon leurs affinités. C’est ainsi que, de la même façon qu’on distinguait à Goulien une moitié « nord » et une moitié « sud », le Cap lui même avait sa moitié « nord », de caractère plutôt agricole, réunissant Cléden, Goulien et Beuzec, et dont le bourg de Pont-Croix constituait la prolongation, et sa moitié « sud », plutôt tournée vers la mer, réunissant Plogoff, Primelin et Esquibien, avec en prolongement le petit port d’Audierne et la commune de Plouhinec – commune de transition avant le pays bigouden.
Le Cap profond comme zone d’échanges matrimoniaux
5Jusqu’à une période très récente, ce triangle de terre serré entre deux mers constituait un espace spécifique, tissé d’échanges matrimoniaux réguliers qui formaient des réseaux complexes d’une commune à l’autre. Il est dommage que, faute de disposer de la totalité des états civils pour l’ensemble du Cap, Delroeux n’ait pas pu étudier de façon plus complète comment ces réseaux s’organisaient entre Goulien et ses communes limitrophes, Beuzec, Cléden, Esquibien et Primelin, même s’il a noté que le cercle dans lequel s’effectuait les circuits d’échanges matrimoniaux dépassait les limites de la commune pour s’étendre aux quatre communes voisines, avec des apports de femmes de Beuzec, Esquibien et Primelin, et des apports d’hommes de Cléden.
6Eopinion générale à Goulien, aujourd’hui comme dans les années 60, est effectivement que les hommes qui prennent femme hors de la commune vont les chercher surtout à Beuzec et très peu à Cléden, où au contraire seraient allées s’établir pas mal de femmes de Goulien. Les hommes de Beuzec « reprocheraient » d’ailleurs sur le mode plaisant à ceux de Goulien de « venir leur prendre leurs femmes ». Avec Esquibien et Primelin, les mariages auraient été peu nombreux et encore moins avec Plogoff, sauf parfois dans des familles de « petites gens » du quartier nord-ouest de Goulien (Nuoc, Kervriel, Porlodec). Un des premiers mariages entre une fille d’agriculteurs – et qui plus est, du Sud de la commune – et un garçon de Plogoff – et qui plus est, marin de profession – n’aurait eu lieu qu’en 1977.
7En réalité, le décompte que j’ai opéré sur la population de l’an 2000 montre qu’il y a à Goulien actuellement 15 femmes de Beuzec venues ici par mariage, contre 13 femmes de Cléden : la différence n’est donc pas si grande que l’on dit. Mais il y en a seulement deux d’Esquibien et deux de Primelin. En revanche, et c’est une nouveauté, j’ai dénombré quatre femmes de Plogoff mariées avec des hommes de Goulien. Et comme hommes originaires de ces communes voisines et mariés ou rivant en couple à Goulien avec des femmes de Goulien, on n’en compte que quatre venus par mariage de Beuzec, contre sept de Cléden, un d’Esquibien, un de Primelin et cinq de Plogoff.
8On aurait pu ne pas trop s’étonner du peu de mariages conclus avec Plogoff par comparaison avec les autres communes capistes, puisqu’il s’agissait d’une commune non limitrophe et de surcroît moins agricole. On ne saurait en dire autant avec Esquibien et Primelin. Cause ou conséquence ? Il n’y avait pas de routes entre Goulien et ces deux paroisses, tout juste de mauvais chemins qu’on n’empruntait, en dehors des relations pouvant exister entre fermes frontalières, que lorsqu’une procession conduisait les bannières de Goulien à leurs pardons respectifs. Le fait que les données que j’ai collectées récemment soient assez peu différentes de celles que j’avais relevées pour 1960, qui correspondent largement à ce qu’a noté Delroeux tendrait à montrer l’existence de constantes de longue durée dans les échanges matrimoniaux à l’intérieur du Cap, où jouaient d’autres facteurs que la proximité géographique. Elles mériteraient d’être étudiés plus précisément.
9Cependant, avec le nombre croissant d’habitants d’origine extérieurs au Cap, voire à la Bretagne, venus s’installer par suites de mariages avec des conjoints de Goulien ou non, ces constantes paraissent devoir s’effacer progressivement.
Les rapports entre habitants de Goulien et ceux des autres communes capistes
10Eintégration à Goulien des personnes originaires d’autres communes du Cap, hommes et femmes, se fait généralement bien, avec quelques nuances. Dans leur grande majorité, les femmes originaires de Beuzec que j’ai rencontrées se disent bien acceptées. Il y en a qui se sont mêmes particulièrement passionnées pour la vie politique locale. Une seule m’a dit ne s’être jamais sentie adoptée. Elle trouve que les gens de Goulien ne sont pas tolérants, qu’ils sont trop portés à la chicane – souvent pour des problèmes mineurs. Bref, il régnerait ici selon elle « une mauvaise mentalité, pire qu’à Beuzec ». « Goulien », dit-elle, approuvée par ses enfants qui se sentent eux-mêmes tenus à l’écart, « c’est la plus mauvaise commune du Cap ». D’autres femmes, originaires de Cléden ou de Primelin, et un homme d’Esquibien, m’ont dit n’avoir pas eu de difficultés à s’intégrer à Goulien et s’y sentir bien. Une femme d’Esquibien, venue s’installer à Goulien au moment de la retraite de son mari, militaire, après l’avoir accompagné dans de nombreux séjours à l’étranger, dit avoir été frappée par « l’accueil chaleureux » qu’elle a reçu ici, bien qu’elle y ait trouvé les gens plus renfennés aujourd’hui qu’ils ne l’étaient autrefois.
11Quant aux relations qu’entretiennent les gens de Goulien avec les communes voisines, elles continuent à se différencier l’une de l’autre.
12Entre Goulien et Cléden, on dit qu’on s’entendrait bien, et certains auraient bien vu un regroupement entre ces deux paroisses, mais c’est la seule combinaison qui n’ait pas encore été essayée. Bon nombre d’enfants de Goulien y ont été scolarisés, en maternelle et en primaire, à l’école confessionnelle St Joseph de Cléden (qui fonctionne en coordination avec l’école du Christ-Roi de Plogoff). Il y a aussi des jeunes de Goulien qui jouent dans l’équipe de football de Cléden.
13Entre Goulien et Beuzec, on dit aussi qu’on s’entend bien ; il y a d’ailleurs toujours eu quelques jeunes de Goulien au Cercle celtique des Bruyères, et la « Reine des Bruyères » a été, un temps, de Goulien. Un certain nombre d’enfants de Goulien sont ou ont été scolarisés à l’école primaire Notre-Dame de la Clarté de Beuzec. En matière de regroupement paroissial, les gens voyaient assez bien Goulien avec Beuzec, tout en trouvant parfois que cette dernière paroisse aurait peut-être plutôt été mieux avec Pont-Croix. Depuis un an, on le sait, Goulien, Beuzec et Pont-Croix se trouvent réunis dans un même ensemble paroissial et cela paraît assez bien fonctionner.
14Avec ceux d’Esquibien, paraît-il, on s’entend moins bien et lorsque les deux paroisses étaient regroupées, ça ne marchait pas tellement. « Esquibien, dit-on à Goulien, c’est déjà presque Audierne : les gens y sont fiers. Ils ont du mal à venir à Goulien : pour eux, c’est aller à la campagne ». Mais les jeunes disent qu’avec ceux de leur âge, il n’y a plus de problème. En revanche, lorsque le regroupement a été fait avec la paroisse de Primelin, ça marchait très bien.
15En football, c’est autre chose. Un jeune de 20 ans (IL) qui a joué au football dans l’équipe de Goulien me dit qu’entre Cléden et Goulien « c’était la guerre »1 ; avec Beuzec et d’autres équipes du Cap c’était plus amical ; un autre de 19 ans (TD) confirme : « les matches Goulien-Cléden, ce sont les plus chauds » – mais des joueurs de Goulien, après être restés plusieurs années à « Goulien-Sport », passent parfois dans l’équipe de Cléden (afin de « jouer plus haut » disent-ils).
16De son côté, un homme originaire de Plogoff dit que dans les matches de foot entre Plogoff et Cléden, c’était « comme la guerre » – des bagarres éclataient souvent entre les supporteurs. Selon lui, ça, c’est quand même calmé un peu ces dernières années. Il ajoute qu’il ne retournerait pas habiter à Plogoff maintenant qu’il est à Goulien. Il trouve que la mentalité de Plogoff est un peu comme celle de Douarnenez. « On veut toujours y faire mieux que son voisin ». Du point de vue politique, au contraire des autres communes du Cap, les gens de Plogoff ont toujours été majoritairement de gauche, sauf à Lescoff, village de droite dont les footballeurs jouaient dans l’équipe de Cléden. Sa femme trouve qu’effectivement les gens de Plogoff ont une « mentalité spéciale ». Dans sa belle-famille, un petit bout de terrain est partagé entre trois ! Ils n’ont pas fait de remembrement (« déjà qu’ici ça n’a pas été facile ! »). Elle ne s’est pas faite à cette mentalité.
17Un autre originaire de Plogoff dit qu’il se plaît bien à Goulien ; ce qu’il y aime bien c’est la campagne, sauf parfois l’hiver. Il y apprécie l’esprit d’entraide. Il trouve qu’ici on est plus « famille », plus simple. On fait moins de chichis. Même quand il y a un match entre Goulien et Plogoff, il soutient Goulien. Un autre est venu de Plogoff s’installer à Goulien justement parce qu’il était depuis longtemps impliqué avec « Goulien-Sports », et il trouve les supporteurs de Goulien moins chauvins que ceux de Plogoff et de Cléden.
Les Capistes et leurs voisins
18Comme toujours quand il s’agit d’affirmer des identités locales, c’est surtout par rapport à celle des plus proches voisins, Bigoudens et Douarnenistes, que s’est définie depuis longtemps l’identité capiste.
19On dit toujours qu’aucun Kaper (« Capiste ») ne s’arrangera avec un Bigoutar (« Bigouden »). Autrefois, les Bigoudens établis à Goulien, surtout les plus pauvres, étaient souvent tenus en marge. Certaines femmes d’origine bigoudène, appartenant à des familles de petits fermiers qui habitaient Goulien, n’osaient pas, m’a-t-on dit, arborer leur coiffe dans Goulien. Les Capistes se sentaient « d’une origine différente » des Bigoudens, que l’on dit pingres (on raconte sur ce thème de nombreuses plaisanteries du même genre que les « histoires écossaises »). En fait, les deux groupes ne se mélangeaient pas beaucoup. Les Capistes n’avaient pas grand chose à faire chez les Bigoudens, qu’ils ne côtoyaient guère qu’à la foire de Pont-Croix.
20Dans les années 60, il restait à Goulien assez peu de descendants de Bigoudens, à l’exception notable d’un agriculteur assez apprécié pour avoir été élu président de la section locale du syndicat agricole ; actuellement, son fils siège au Conseil municipal tandis que sa fille remplace à l’occasion la secrétaire de mairie. À ma connaissance, il y a actuellement à Goulien trois personnes (deux femmes et un homme) nées en pays bigouden et venues à la suite de leur mariage avec un conjoint d’ici – une dans les années 50, deux dans les années 70. L’une d’elles m’a dit qu’elle avait ressenti à son arrivée « un certain “ostracisme” » à son égard, mais que ça va mieux maintenant. On ne perçoit plus guère de différences malgré quelques particularités dialectales qui distinguent les Bigoudens des Capistes quand ils parlent breton.
21Chez les jeunes, « entre Capistes et Bigoudens, c’est plus affaire de plaisanteries que d’autre chose » m’a dit l’un ; « il y a encore quelques différences, mais pas énormes » dit un autre ; mais « dans les affrontements verbaux, m’a dit quelqu’un, ce sont toujours les Bigoudens qui commencent : ils disent que les Capistes viennent d’un coin de po’kêz (pauvres), loin de tout » dit une fille.
22Avec les Douarnenistes, la situation est différente. Douarnenez constitue l’un des pôles d’attraction des communes qui s’alignent le long de la « voie romaine » (Cléden, Goulien et Beuzec), dont les habitants viennent s’y faire prendre en charge par l’hôpital, y fréquenter collèges et lycées, y profiter de la piscine, y voir des films, y acheter des vêtements, et pour certains d’entre eux y travailler, qui dans une conserverie, qui dans un laboratoire d’analyses. Il y a donc là une multitude d’occasions de rencontres et d’interactions entre Capistes et Douamenistes, et il doit bien s’y lier quelques amitiés entre les uns et les autres. Reste qu’entre les ruraux du Nord du Cap, traditionnellement plutôt de droite, et les habitants d’une ville marquée par la mer et la pêche, traditionnellement plutôt de gauche, les différences de mentalité restent sensibles. « Les Douamenistes ont une drôle de mentalité », m’a-t-on dit à Goulien ; et on m’a parlé de bagarres au collège entre « Douamenistes » et « Capistes » – à vrai dire peut-être pas très différentes des bagarres que se livraient autrefois les gamins de la moitié « nord » de Goulien et ceux de la moitié « sud ».
23Un jeune m’a signalé aussi la persistance d’affrontements verbaux entre gens du Nord-Finistère (le Léon) et Capistes, non plus en tant que tels mais en tant qu’originaires du Sud-Finistère (la Cornouaille) : « Les “Nordistes” n’aiment pas trop les “Sudistes”, mais ce n’est pas réciproque ; je ne sais pas pourquoi. La mentalité n’est pas la même ; ici les gens sont plus sympas ; eux sont plus agressifs ».
24Ces survivances d’affrontements quasi rituels et qui, à vrai dire, ne prêtent guère à conséquences, pourraient paraître anecdotiques : on trouverait des cas similaires à travers toute la France des régions. En fait, ils sont révélateurs de la persistance à travers les âges, en dépit des changements de régimes politiques et de contextes économiques, d’une réalité qu’on croyait dépassée, celle des « pays ». Ce sont eux qui ressurgissent partout où se sont mises an place des « communautés de communes » – comme, justement, la communauté de communes du Cap Sizun.
Le Cap contemporain : canton et communauté de communes
25Le Cap Sizun ce n’est pas seulement une entité traditionnelle, c’est aussi, en effet, un « canton » et une « communauté de communes », qui ne sont plus seulement liées entre elles par des réseaux d’échanges matrimoniaux mais par la mise en commun de ressources et d’intérêts économiques dans un nouveau cadre d’exercice de la politique locale.
26Le canton de Pont-Croix, que j’appellerai le « grand Cap », couvre à la fois le « Cap profond » (auquel se rattache l’île de Sein) et une partie du « pays des Bruyères » (bro brug) dont dépendent la moitié est de Beuzec, Confort-Meilars et Mahalon. Là, les femmes, au lieu de la kapenn, portaient la coiffe pen sardin comme à Douarnenez. Pont-Croix, située entre les deux, avait encore une autre coiffe, la pomponne.
27Le canton comptait 18 443 habitants au recensement de 1990, ce qui le plaçait un peu au-dessus de la moyenne nationale (qui se situe autour de 14 000), mais il enregistre depuis 100 ans une décroissance démographique constante, qui n’a donc pas attendu le déclin de la pêche et la diminution du nombre des agriculteurs pour s’amorcer, même si l’enclavement économique du Cap n’arrange pas les choses. Il a surtout perdu l’importance qu’il avait au XIXe siècle, où c’était uniquement au chef-lieu de canton que se concentrait toute une société de notables – juge, notaire, médecin, vétérinaire, pharmacien, professeurs, etc. – qui dominaient la vie politique locale et faisaient la pluie et le beau temps dans les campagnes. Mais maintenant, le chef-lieu n’est plus qu’un bourg parmi d’autres et le canton n’a plus d’autre raison d’être que de constituer une circonscription électorale.
28À l’heure actuelle encore chef lieu de canton, Pont-Croix abrite toujours un certain nombre d’instances qui concernent les gens de Goulien à des degrés divers : une brigade de gendarmerie ; une caserne de pompiers ; le collège privé confessionnel Notre-Dame de Roscudon – où beaucoup d’adolescents de Goulien sont ou ont été scolarisés ; un centre de loisirs rayonnant sur tout le Cap (« Pont-Croix Animation ») fonctionnant comme « centre aéré » pour les enfants qu’il accueille tous les mercredis et pendant les vacances scolaires ; une Association d’Aides à domicile ; une maison de retraite ; et un centre d’information et de coordination des personnes âgées. C’est là que réside aussi le prêtre en charge de l’ensemble paroissial auquel est actuellement rattachée la paroisse de Goulien. Du point de vue commercial, on y trouve l’éventail de commerces habituel pour un bourg rural de 1762 habitants (en 1997), dont un supermarché. La « foire », qui a perdu son ancienne importance, ne s’y tient plus qu’un jeudi sur deux ; mais la ville semble avoir gardé de son passé de ville-marché plus d’attaches avec la partie rurale du Cap, et surtout avec sa moitié nord.
29Audierne, avec son port de pêche et de plaisance, sa plage, ses hôtels, ses restaurants et ses pizzerias bien fréquentés, apparaît comme une ville plus animée, surtout à la saison touristique. On n’y recensait pas plus de 2 470 habitants en 1999, mais elle forme un ensemble urbain plus important avec le quartier de Poulgoazec qui lui est limitrophe mais qui dépend de la commune de Plouhinec, et qui s’étend maintenant jusqu’au bourg de Plouhinec lui-même.
30C’est aussi une ville qui draine dans ses écoles et collèges, tant publics (laïques) que privés (catholiques) beaucoup d’élèves du primaire et du premier cycle secondaire, dont un bon nombre de jeunes de Goulien. Une animation s’adressant à l’ensemble du Cap est assurée par l’Association « Cap-accueil – Kalon ar C’hab » (« Le Coeur du Cap »), centrée à la fois sur Audierne et Plouhinec ; cette association organise un grand nombre d’activités : loisirs culturels, randonnées autour du Cap et de la région, activités manuelles et artistiques, cours de langues (allemand, anglais, breton) mais il ne semble pas qu’elle attire beaucoup de gens de Goulien, pas plus que les films du cinéma « Le Goyen » – à part quelques adolescents et quelques jeunes – qu’intéresse davantage la discothèque le « Tamaris » de Plouhinec.
31Les gens de Goulien vont aussi régulièrement à Audierne pour y faire leurs courses dans ses commerces diversifiés et dans les supermarchés installés à sa périphérie, pour y faire leur plein d’essence, pour y consulter le médecin et se procurer des médicaments à la pharmacie, pour s’adresser au notaire, pour passer à leur banque, pour se procurer des billets de chemin de fer à l’agence SNCF, etc.
32Bien que très fréquentée par les ruraux du Cap, y compris par les habitants des communes de sa moitié nord (dont Goulien) et malgré le relatif déclin de la pêche, Audierne est restée essentiellement une ville tournée vers la mer, et elle paraît aujourd’hui comme hier avoir gardé davantage de liens avec les communes plus maritimes de la moitié sud, île de Sein comprise. Depuis 1991, elle est cependant devenue la deuxième « capitale » du Cap, après que s’y soit établi le siège de la communauté de communes, une nouvelle entité qui comme partout en France actuellement, est en passe de supplanter le canton.
33Dans les années 60, la vie politique de proximité ne se jouait réellement qu’au niveau communal. Il y avait bien, certes, les élections « cantonales » ; mais les conseillers généraux qui en sortaient, s’ils étaient certes appelés à gérer les affaires au niveau départemental, et donc d’une certaine façon, local, constituaient surtout avec les maires des grandes villes un des premiers degrés de l’échelle politique qui, de degré en degré, après le Conseil général et le Conseil régional, permet parfois à certains d’accéder au niveau national (Assemblée nationale ou Sénat).
34C’est au contraire un véritable deuxième degré de la vie politique de proximité qui a été créé en 1992 avec l’institution des « communautés de communes », dont les compétences concernent l’aménagement de l’espace, le développement économique ainsi, optionnellement, que le logement, la protection et la mise en valeur de l’environnement, la voirie, la gestion d’équipements communautaires, et les établissements éducatifs, culturels et sportifs. Elle dispose d’une fiscalité propre et d’une dotation globale de fonctionnement et elle peut se substituer aux communes membres pour la perception de la taxe professionnelle.
35Cette possibilité de regroupement, mise à profit par l’ensemble des communes du Finistère, donne une dimension nouvelle à la politique locale. Il est intéressant de noter que les communautés qui se sont constituées redonnent vie aux anciens terroirs. La communauté de communes du Cap Sizun, créée le 17 décembre 1993, regroupe 11 municipalités du canton de Pont-Croix sur 12, soit : Audierne, Plouhinec, Pont-Croix, Mahalon, Confort-Meilars ; Beuzec, Goulien, Cléden, Plogoff, Primelin et Esquibien, à l’exception de l’île de Sein qui, n’ayant ni cadastre ni impôt local, dépend pour sa part d’une « Association des Îles ». Ainsi se trouve concrétisé, après, plus de deux cents ans, le vœu exprimé par les représentantes des paroisses capistes de l’ancien marquisat de Pont-Croix qui avaient souhaité en 1789 la constitution d’une « municipalité » du Cap.
36La communauté du Cap Sizun a repris en grande partie les fonctions de l’ancien Syndicat intercommunal à vocation multiple. Elle a son siège dans l’ancien bâtiment de l’EDF à Audierne, qui héberge aussi des permanences de la Caisse Régionale d’Assurance Maladie, les bureaux du conciliateur de justice les bureaux de l’ANPE2 et de la PAIO3. Elle gère les deux maisons de retraite de Plouhinec et de Cléden, ainsi que de l’abattoir et de la déchetterie intercommunaux situés à Pont-Croix. Elle s’occupe aussi des pompiers, du chantier d’insertion des RMIstes, a mis en place une halte garderie itinérante (« Ti-câlins »), etc.
37La communauté est administrée par un conseil où siègent 36 représentants des conseils municipaux des communes membres (dont trois pour Goulien) qui se réunissent une fois tous les deux mois. Elle emploie un secrétaire général, une secrétaire à mi-temps, un responsable des chantiers d’insertion, un commandant de l’unité de sapeurs-pompiers et un directeur des maisons de retraite. Elle est financée par une part des impôts locaux à quoi s’ajoute une dotation annuelle de l’État et elle a mis à l’étude en mars 2000 la mise en place de la « taxe professionnelle unique » (TPU) qui ferait bénéficier la communauté de la manne apportée par l’installation des éoliennes – ce qui inquiète un peu le conseil municipal de Goulien.
38S’il est vrai que cette structure exprime la pérennité d’une identité capiste, il n’en efface pas pour autant les diversités internes et les oppositions entre le « Nord » – plus rural – et le « Sud » – plus urbanisé et plus maritime, comme entre les gens du « Pays des Bruyères » à l’est et les gens du « Cap profond » à l’ouest. Et ce sont peut-être ces oppositions-là, tout autant que des affrontements proprement politiques au sens politicien, qui s’expriment lors des votes au conseil communautaire ou lors de l’élection du président de la communauté.
39Les présidents de communautés sont élus, en effet, non par suffrage direct de la population, mais par le vote indirect des 36 « conseillers communautaires », délégués au conseil de la communauté par les conseils municipaux des communes membres. C’est pourquoi, en 1995, dans un contexte de confrontations entre personnes au sein du conseil communautaire, le président de la communauté du Cap Sizun de l’époque et maire de Goulien Henri Goardon avait souhaité obtenir une plus grande légitimité en se présentant aux élections cantonales pour le siège du canton de Pont-Croix, estimant qu’il ne pouvait présider la communauté sans être élu par l’ensemble des électeurs de la circonscription. Cette initiative avait été diversement appréciée. Pour ses adversaires, il s’agissait d’une manifestation d’ambition personnelle ; pour ses partisans, d’un souci légitime de représentativité. Il fut finalement battu et démissionna de ses fonctions de président de communauté.
40Ce qui a joué dans sa non-élection fut peut-être, au moins partiellement, une réaction des « sudistes » du Cap à l’égard d’un « nordiste », et qui plus est maire de la plus petite commune du canton après l’île de Sein. Une autre raison lut peut-être aussi le fait que dans une élection cantonale ce ne sont qu’en partie les problèmes locaux qui sont déterminants, mais aussi des considérations politiciennes et qu’on a tout intérêt pour faire un bon score d’être soutenu par un parti politique bien implanté localement.
41Faut-il s’attendre dans le futur à une fusion des communes au sein de super-municipalités, en l’occurrence ici une municipalité du Cap Sizun, ou plus simplement à uns situation dans laquelle les communautés prendraient le pas sur les communes, les mairies actuelles devenant simplement des sortes d’antennes administratives de quartiers ? Certains redoutent cette éventualité, les uns craignant que les petites communes ne finissent par être « mangées » – de la même façon, disent-ils que Poulgoazec a été « mangée » par Plouhinec, d’autres craignant simplement que les communes du « sud » capiste ne prennent le pas sur celles du « nord ». Mais même sans entrer dans ces considérations, et si on veut que les citoyens continuent à se sentir concernés par les affaires publiques et à participer activement à la vie politique, il paraît souhaitable que continue à exister ce premier degré de gestion des citoyens par eux-mêmes que constituent les communes actuelles, fortes de leur histoire et de leurs spécificités.
L’implication dans la vie politique nationale
42Jusqu’aux années 60, le simple citoyen français n’avait à intervenir que dans trois sortes d’élections : municipales, cantonales et législatives ; et deux élus seulement avaient à ses yeux une importance réelle : au niveau communal, son maire et au niveau national, son député. En effet, au plan départemental, les conseils généraux avaient alors encore des prérogatives limitées par rapport au préfet, et le conseiller général était surtout un notable de chef-lieu de canton, ayant moins de pouvoir que d’influence (mais celle-ci souvent bien réelle dans les campagnes).
43Dans les quarante dernières années, de nouvelles dispositions ont radicalement modifié la donne de la participation politique : élection du Président de la République au suffrage universel (1962), création des Conseils régionaux (1969), création du Parlement européen et élection de ses membres au suffrage universel (1979), loi de décentralisation (1982), élection des conseillers régionaux au suffrage universel (1985), mise en place de l’intercommunalité (1992).
44Le citoyen est maintenant appelé à voter dans six élections différentes (et sans doute sera-t-il un jour appelé aussi à désigner directement le président de sa communauté de communes), et il se voit plus que jamais invité à participer à la gestion politique de son avenir. Comment il répond à cette invitation, voilà la question.
Population électorale et participation aux votes
45De 1965 à 1999, parallèlement à la diminution du nombre d’habitants recensés, on a enregistré à Goulien une baisse régulière du corps électoral de 535 à 390 inscrits. C’est pourquoi, pour établir ci-dessous des comparaisons valables tout au long de cette période, je m’exprimerai en pourcentage d’électeurs inscrits.
46Je commencerai par donner quelques indications générales sur les taux de participation aux différents types d’élections. On verra que les élections préférées (celles auxquelles la participation est la plus élevée) sont, dans l’ordre : les municipales, les présidentielles, puis les législatives, les régionales, les cantonales et enfin les européennes. On peut penser que, pour les électeurs, plus l’enjeu leur paraît important, plus leur participation est grande ; d’où une désaffection inattendue pour les élections cantonales, malgré la plus grande proximité des candidats, et guère étonnante pour les élections européennes, dont les élus paraissent avoir peu de pouvoirs et dont, pour ce qui concerne le Parlement européen, les enjeux restent mal perçus : vue de Goulien, l’Europe apparaît plus comme une machine dirigée par des technocrates que comme une entité politique gouvernée par le jeu d’institutions démocratiques.
Municipales
47Les élections municipales sont organisées tous les six ans. Dans les petites communes comme Goulien elles ont lieu au scrutin majoritaire plurinominal à deux tours. Pendant toute la période considérée, le nombre de conseillers à élire était de 154.
- La plus faible participation (70,62 % des inscrits) a été enregistrée aux élections de 1965, où la liste du maire sortant Daniel Goraguer se présentait pour la deuxième fois, sans liste concurrente ;
- les deux plus fortes participations (89,76 % des inscrits – record absolu de toutes les catégories d’élections pour la période – et 88,95 % des inscrits), se sont produites d’abord en 1977 lorsqu’une liste d’opposition menée par Yves Rozec s’est présentée contre la liste sortante du maire Coader et a obtenu 3 élus ; puis en 1983 lorsque l’opposition sortante a obtenu la majorité contre une nouvelle liste Coader et a choisi comme nouveau maire Henri Goardon.
Présidentielles
48Depuis 1962, la France vit sous un régime présidentiel et depuis les premières élections présidentielles au suffrage direct en 1965, ce sont elles qui sont à l’origine des dynamiques politiques à l’œuvre dans tout l’espace national. Jusqu’à la récente réforme constitutionnelle, elles avaient lieu tous les sept ans, au scrutin uninominal à deux tours.
- La plus faible participation a été 74,32 % de votants, soit 25,68 % d’abstentions pour les deux tours de 1969 (score à Goulien pour le 2e tour : Georges Pompidou 231 voix – soit 44,59 % des inscrits – contre Alain Poher : 135 voix – soit 26,05 % des inscrits) ;
- la plus forte proportion de suffrages non exprimés (29,24 % des inscrits) a été au 2e tour de cette même élection avec 133 abstentions et 19 votes blancs ou nuls ;
- la plus forte participation (87, 39 % de votants) a été au 2e tour de 1981 (Valéry Giscard d’Estaing : 253 voix soit 53,2 % des inscrits contre François Mitterrand : 142 voix, soit 21,9 % des. inscrits).
Législatives
49Les élections législatives, qui servent à désigner les députés à l’Assemblée Nationale, sont organisées tous les cinq ans au scrutin uninominal à deux tours.
- La plus faible participation (67,33 % des inscrits) a été enregistrée au 1er tour de 1997, où se présentaient Hugues Tupin pour les communistes (13 voix), Jacqueline Lazard (de Douarnenez) pour les socialistes (45 voix), Jannick Moriceau pour les Verts tendance Voynet (17 voix), Christophe Playon sans étiquette (5 voix), Ambroise Guellec, UDF, pour la droite unie (152 voix), Pierre Le Bris du « Mouvement pour la France », souverainistes (19 voix) et Marcel Saoutic (de Plogoff) pour le « Front National » – extrême-droite (11 voix).
- la plus forte participation (82,79 %) a été enregistrée au 1er tour de 1978 où se présentaient Marie Cherblanc pour « Lutte Ouvrière » – extrême-gauche (5 voix), Michel Mazéas pour les communistes (32 voix), Erwan Guéguen pour les socialistes (60 voix), Jean-Yves Moalic pour le « Parti Socialiste Unifié » (8 voix), Jean-Alain Le Goff, non identifié (1 voix), Pierre Stéphan, probablement pour une tendance de droite non identifiée (153 voix) et Guy Guermeur pour la droite libérale giscardienne (144 voix).
Régionales
50Les premières élections des conseillers régionaux au suffrage direct ont eu lieu en 1986. Elles sont organisées tous les 6 ans au scrutin uninominal à un seul tour.
- La plus faible participation (70,33 %) a été enregistrée aux élections de 1992, où se présentaient Sylvie Le Roux pour les communistes (6 voix), Louis Le Pensec pour les socialistes (51 voix), Bernard Uguen pour les Verts tendance Voynet (17 voix), Jeudig pour la liste « Union Centre Gauche pour la Protection de l’Emploi, Écologie, Solidarité » (5 voix), Delignières pour les écologistes tendance Lalonde (11 voix), Ambroise Guellec pour la droite unie (165 voix) et Morize pour le « Front National », extrême-droite (20 voix) ;
- la plus forte participation (80,20 %) a été enregistrée aux élections de 1998 où se présentaient Marie Cherblanc pour « Lutte Ouvrière », extrême-gauche (9 voix), Meurice pour les communistes (7 voix), Cuillandre pour les socialistes (53 voix), Borvon pour les Verts de gauche, tendance Voynet (15 voix), Leprohon pour « Solidarité Écologie » (7 voix), Bruillot pour les écologistes tendance Lalonde (2 voix), Ambroise Guellec pour la droite unie (161 voix) et Morize pour le « Front National » (14 voix).
Cantonales
51Les élections cantonales, destinées à désigner les conseillers généraux (au niveau du département) ont lieu au scrutin uninominal à deux tours tous les six ans. Sur les 12 élections cantonales de cette période, 9 sont restées au-dessous de 70 % de participation.
- La plus faible participation (54,42 % des inscrits) a été au 1er tour des élections de 1967, où les candidats étaient Marcel Youinou (de Plouhinec) pour les communistes (42 voix), Erwan Guéguen (de Meilars) pour les socialistes (35 voix), Bonthoneau, non identifié, probablement divers droite (59 voix) et Hervé Gloaguen pour les gaullistes (146 voix) ;
- la plus forte participation (80,71 %) a été enregistrée au 1er tour des élections de 1998, où le maire de Goulien Henri Goardon présentait sa candidature ; il avait obtenu 207 voix dans sa commune, mais pas suffisamment au niveau du canton pour être en mesure de se maintenir au 2e tour. Les 106 autres candidats exprimés avaient obtenu : Robert Fily, de Pont-Croix, 7 voix ; Paul Guéguen (socialiste), de Meilars 27 voix ; Isabelle Gourlaouen, de Beuzec (Verts), 11 voix ; Jean-Claude Hamon, de Plouhinec, 5 voix ; Bernard Le Gall, de Mahalon, 6 voix ; Henri Cogan, de Pont-Croix, 33 voix ; Jean-Pierre Coatmeur, d’Audierne, 16 voix ; et Marcel Saoutic (Front National), de Plogoff, 1 voix.
Européennes
52Les premières élections européennes ont été organisées en 1979. Elles ont lieu tous les cinq ans au scrutin majoritaire sur des listes nationales.
- La plus faible participation (52,81 %) a été enregistrée en 1989 ; étaient en présence la liste Laguiller – « Lutte Ouvrière », extrême-gauche (2 voix), la liste Gauquelin, extrême-gauche (2 voix), la liste Fabius, socialistes (41 voix), la liste Bertrand (5 voix), la liste Waechter, écologistes (25 voix), la liste Veil, UDF, centre-droit (27 voix), la liste Giscard d’Estaing, droite libérale (81 voix), la liste Chasse Nature Pêche et Tradition – droite protestataire (17 voix) et la liste Le Pen – « Front National », extrême-droite (14 voix) ;
- la plus forte participation (61,04 %) a été enregistrée en 1979 ; étaient en présence la liste Laguiller – « Lutte Ouvrière », extrême-gauche (4 voix), la liste Marchais, parti communiste (17 voix), la liste Servan-Schreiber, radicaux de gauche (5 voix), la liste Fernex (6 voix), la liste Malaud (4 voix), la liste Veil, centre-droit (144 voix), la liste Chirac, gaullistes (61 voix), la liste Chasse Nature Pêche et Tradition – droite protestataire (17 voix) et la liste Le Pen – « Front National », extrême-droite (14 voix).
Évolution des votes partisans de 1965 à 1999
Les deux droites dominantes et les « divers droite »
53À Goulien, on constate pour ce qui précède que les votes des électeurs de la droite classique se répartissent souvent, lorsque le choix leur en est offert, entre plusieurs nuances : centre-droit, démocratie chrétienne, droite libérale, divers droite, gaullistes – mais cela d’une façon peu constante, les voix enregistrées par chacune de ces nuances variant sensiblement d’un scrutin à l’autre. Tout au long de la période considérée, on note néanmoins que, sauf en cas d’union de la droite (un cas qui se produit en général pour des deuxièmes tours) il y a toujours deux tendances dominantes, l’une obtenant entre 1/4 et plus d’un 1/3 des voix et l’autre entre 1/6 et 1/4 des voix. Cependant, ce ne sont pas toujours les mêmes. C’est comme s’il y avait à Goulien deux camps votant l’une et l’autre à droite mais cherchant constamment à se distinguer l’un de l’autre en votant quand c’est possible pour des candidats différents.
54Par exemple, en ne s’en tenant qu’aux 1ers tours de présidentielles : en 1965, le général de Gaulle a attiré les voix de 37 % des électeurs et Jean Lecanuet (démocrate chrétien) 24 %5 ; en 1969, Georges Pompidou (gaulliste) a attiré 38 % des électeurs et Alain Poher (centre droit) 23 % ; puis les pourcentages respectifs ont été en 1974, de 14 % pour Jacques Chaban-Delmas (gaulliste) et de 42 % pour Valéry Giscard d’Estaing (droite libérale) ; en 1981, de 15 % pour Jacques Chirac (gaulliste) et de 31 % pour Valéry Giscard d’Estaing ; en 1988, de 22 % pour Raymond Barre (centre droit) et de 20 % pour Jacques Chirac ; et en 1995, de 23 % (à égalité) pour Jacques Chirac et Édouard Balladur (gaullistes l’un et l’autre).
55Au 2e tour, s’il est opposé à un candidat de gauche, le candidat de droite restant en lice rassemble les voix de toute la droite, y compris celles qui s’étaient portées sur des candidats secondaires, auxquelles s’ajoutent les voix de quelques abstentionnistes du 1er tour. C’est ainsi que le plus fort vote pour l’union de la droite dans un duel droite-gauche a été au 2e tour de 1974, avec 309 voix (64 % des inscrits) pour Valéry Giscard d’Estaing contre 106 voix (22 % des inscrits) à François Mitterrand. En revanche, quand s’affrontent un candidat de droite et un candidat du centre-droit, comme au 2e tour de 1969 qui avait vu un match Poher-Pompidou, ce dernier avait gagné 7 % de voix par rapport au 1er tour, tandis que Poher en gagnait 6 %.
56Les votes pour les élections législatives, régionales et cantonales donnent à la droite des scores assez comparables à ceux des présidentielles, avec des variations en rapport avec la plus ou moins grande popularité locale des candidats ou des têtes de liste en compétition. Un exemple en est le score de près de 53 % des inscrits réalisé par le maire de Goulien Henri Goardon aux cantonales de 1998, en tous points comparable à celui réalisé dans la commune par Valéry Giscard d’Estaing aux présidentielles de 1981.
L’extrême droite et la droite protestataire
57Eextrême droite a peu de succès auprès des électeurs de Goulien. Aux présidentielles de 1965, Jean-Louis Tixier-Vignancour, qui s’opposait au général de Gaulle surtout à cause de sa politique passée en Algérie, avait séduit ici moins de 2 % d’électeurs. On n’a plus entendu parler ensuite d’extrême droite à Goulien jusqu’à ce qu’en 1984 la liste « Front National » présentée par Jean-Marie Le Pen aux élections européennes y draine les voix de 4,5 % d’électeurs ; à partir de là, le « Front National » s’est trouvé représenté plus ou moins à tous les scrutins suivants (législatifs, régionaux, cantonaux et européens), et il a atteint une pointe de plus de 8 % aux présidentielles de 1988 ; après quoi ce vote a entamé une progressive descente, jusqu’au score de 1,5 % enregistré aux européennes de 1999 en additionnant les suffrages obtenus par le « Front National » de Jean-Marie Le Pen et le « Mouvement National Républicain » de Bruno Mégret.
58En réalité on peut se demander dans quelle mesure, à Goulien comme ailleurs en France, les votes précédents étaient émis par des électeurs qui partageaient ne fût-ce qu’en partie les idées de l’extrême droite, ou si tout simplement il ne s’agissait pas pour beaucoup d’une façon d’exprimer leur mécontentement sur un « mal vivre » dont les partis politiques institutionnels, de droite comme de gauche, étaient jugés de façon diffuse partiellement responsables. On notera en effet que l’apparition de votes pour le « Front National » s’est produite peu après que les votes pour le parti communiste (lequel servait aussi d’exutoire des mécontentements) aient entamé aux aussi leur courbe descendante, et que les votes FN ont eux-mêmes commencé à baisser au moment où sont apparus à leur tour ceux en faveur du nouveau parti « Chasse, Nature, Pêche et Tradition » (CNPT).
59Ce parti, que l’on peut classer dans la « droite protestataire » bien que son discours politique soit assez ambigu, semble en fait attirer tout aussi bien des chasseurs déçus par la droite comme par la gauche traditionnelle, que des électeurs opposés aux « technocrates de Bruxelles » ou des réfractaires à la mondialisation. Apparu dans le paysage électoral de Goulien aux européennes de 1989 en recueillant les voix de près de 4 % des inscrits, et resté à peu près au même niveau aux européennes suivantes (1994), il y a attiré à celles de 1999 près de 15 % des électeurs de Goulien – un record dans le Cap. Je sais que certains électeurs, non chasseurs, ont voté pour cette liste, soit parce qu’ils n’étaient favorables à aucun des autres candidats, soit pour exprimer leur rejet de l’immixtion des technocrates de Bruxelles, Paris, Rennes ou Quimper dans la vie locale.
60D’ailleurs, parallèlement, les listes « souverainistes » de Philippe de Villiers et de Charles Pasqua, au discours plus proche de celui de la droite traditionnelle mais également opposées au processus européen et à la mondialisation, réunissaient successivement à ces mêmes élections européennes de 1994 et de 1999 les suffrages de près de 11 %, puis de 9 % des électeurs inscrits.
Les Verts
61Des « Verts » (écologistes) se présentant comme apolitiques font leur apparition aux élections présidentielles de 1981, où leur candidat Brice Lalonde obtient à Goulien environ 3 % des voix des électeurs inscrits. Aux élections suivantes, leurs scores restent à peu près à ce niveau, jusque aux européennes de 1989 où la liste Waechter rassemble près de 6 % de voix à Goulien ; puis aux élections régionales de 1993, les voix cumulées de deux listes écologistes concurrentes approchent les 7 %. Ensuite, la baisse s’amorce et les scores enregistrés deviennent de plus en plus insignifiants (une voix pour la liste Waechter aux européennes de 2000 !).
62Mais entre-temps, la gauche écologiste a pris le relais avec un peu plus de 3 % de voix pour la candidature de Dominique Voynet aux présidentielles de 1995, et un peu plus de 4 % de voix pour la liste Cohn-Bendit aux européennes de 2000. Le score est certes très modeste, mais symbolique lorsqu’on pense à ce que le nom de Cohn-Bendit pouvait susciter comme rejet de la part des populations rurales qui, dans un sursaut contre le mouvement de mai 68 (perçu comme urbain et révolutionnaire) avaient voté massivement pour la droite aux élections du mois de juin suivant.
63C’est d’ailleurs toujours ce même type de rejet que les « Verts » d’aujourd’hui suscitent à Goulien de la part des électeurs, agriculteurs ou non, chasseurs ou non, aussi bien des diverses sensibilités de la droite traditionnelle que du CNPT ; ils sont perçus comme des intellectuels citadins, et catalogués comme « trop à gauche », voire comme « d’extrême gauche », disséminant des idées, comme le mariage des homosexuels, qui minent la société traditionnelle. On leur reproche aussi de préconiser pour protéger l’environnement des mesures qui ne tiennent pas compte des réalités concrètes de la faune, de la flore, des conditions climatiques et l’agriculture telle qu’elles sont vécues sur le terrain.
64Les membres da la municipalité actuelle, de sensibilité plutôt démocrate chrétienne, dont plusieurs membres ont été des opposants actifs au projet de centrale nucléaire à Plogoff font remarquer qu’« il n’y a pas besoin d’être de gauche pour être écologiste », et qu’ils l’ont montré en accueillant sur leur sol une des premières centrales éoliennes de Bretagne. Paradoxalement, ils expriment de la sorte à l’égard des « Verts » les mêmes réactions de méfiance, voire de rejet à l’égard d’interventions venues d’ailleurs et ne prenant pas en compte les sensibilités locales, qu’ils l’avaient fait autrefois à l’égard des promoteurs du projet de Plogoff.
Les diverses gauches
65Du début des années 60 jusqu’aux législatives de 1973, on a enregistré à Goulien un nombre presque constant de voix (41/42, soit environ 8 % des inscrits) en faveur du parti communiste. Ce chiffre a commencé à baisser à partir des cantonales de 1973, a marqué une légère remontée en 1986/88, puis a repris sa descente régulière jusqu’à son chiffre le plus bas – 6 voix aux élections européennes de 2000, ne représentant plus que 1,5 % des inscrits, exactement au même niveau que l’extrême droite.
66L’évolution du vote socialiste est plus complexe. Si on laisse de côté les élections auxquelles se présente un seul candidat de gauche et qui, réunissant les voix d’électeurs de plusieurs partis, on peut distinguer quatre périodes : la période allant de 1965 à 1973 où les voix socialistes se situaient autour de 7 à 8 % ; la période allant des législatives de 1973 jusqu’aux cantonales de 1979, pendant laquelle le vote socialiste a atteint puis dépassé les 12 % ; la période commençant aux présidentielles de 1981 (qui virent l’élection de François Mitterrand) et se terminant aux législatives de 1988, suivant la réélection de Mitterrand, où le vote socialiste a culminé à près de 23 % pour Mitterrand lui-même (mais un peu moins pour les candidats socialistes aux élections législatives, régionales ou cantonales) ; puis à partir de 1989, une période d’effritement, avec des résultats variables selon les candidats et les enjeux, le pourcentage le meilleur étant celui de Lionel Jospin aux présidentielles de 1995 (presque 12,5 %) le plus bas étant atteint aux européennes de 1999 par la liste Hollande avec juste un peu plus de 6 % des inscrits.
67À partir des élections présidentielles de 1974, au moment où le parti communiste entamait son déclin à Goulien le parti d’extrême gauche d’Arlette Laguiller, « Lutte Ouvrière », a été régulièrement représenté mais par des votes très faibles – le maximum jamais atteint étant un peu plus de 3 % aux élections présidentielles de 1995.
68Une particularité des votes de gauche à Goulien est le rassemblement des voix sur le candidat unique (qu’il s’agisse ou non d’un candidat d’union) avec, lorsqu’il y a un 2e tour, un score dépassant le total des voix obtenues au 1er tour par toutes les gauches. La baisse du taux d’abstention dans tous ces cas-là, semble indiquer une mobilisation de tous les électeurs appartenant sociologiquement à la gauche, même sans aucun espoir de victoire sur la droite. Cela a eu heu même lorsque le candidat maintenu au 2e tour était un communiste (sauf en 1967, où on a enregistré un certain déficit dans le report des voix socialistes). Dans une région comme le Cap Sizun, qui n’a pas une tradition de socialisme catholique, c’est là un indice fort de l’appartenance des électeurs socialistes à la fraction « laïque » de la population.
69Le plus fort vote à gauche dans un duel droite gauche a été au 2e tour de 1981 (142 voix) pour Mitterrand – soit 29,83 % des inscrits – contre 253 voix pour Giscard (53,13 % des inscrits) et 81 abstentions ou votes blancs et nuls (17,02 % des inscrits). Une opinion courante à Goulien est que « beaucoup » d’électeurs opposés au projet de centrale à Plogoff, et qui votaient d’habitude pour la droite, auraient voté pour Mitterrand à ces élections ; un pointage des voix montre qu’effectivement Mitterrand a obtenu 38 voix de plus que ce à quoi il aurait pu prétendre par rapport aux cantonales de 1979, mais la droite a obtenu le même nombre voix d’un scrutin à l’autre. En fait, même s’il est possible que certaines personnes aient voté différemment de ce qui était leur habitude, ce qui semble avoir fait la différence c’est surtout que les abstentions sont tombées de 28,75 % à 16,76 %.
Un absent : le vote breton
70On notera qu’il n’y a pas à Goulien de vote régionaliste breton, encore moins de vote autonomiste. Le vote des gens de Goulien est caractéristique d’un Ouest rural de tradition majoritairement catholique de droite ou de centre-droit, sans spécificité bretonne particulière. Cela n’est pas contradictoire avec la montée chez les jeunes d’une identité bretonne affirmée. Cette identité, même quand elle est placée en premier, n’est nullement exclusive d’une identité française, ni même d’une identité européenne. Il s’agit plutôt d’identités emboîtées les unes dans les autres, dans un ordre de préférence où le plus proche est le plus valorisé.
L’opinion des jeunes
Les choix politiques
71Parmi les jeunes de 18 à 20 ans que j’ai interrogés, seuls quatre étaient en âge d’avoir voté aux précédentes élections (les élections européennes). Trois d’entre eux m’ont dit sans que je le leur demande quel avait été leur choix, et une fille m’a fait part de son hésitation au moment de voter, sans préciser ce qu’elle avait fait finalement :
PS : « Moi j’ai voté “écolo” ; mais les jeunes de Goulien ne sont pas très politisés, comme le sont les étudiants de Brest ».
GL : « Moi j’ai voté pour le CNPT : c’est un parti qui ne fait pas que défendre la chasse ; il lutte aussi pour garder les traditions ».
IL : « Aux élections européennes, bien que n’étant pas chasseur, j’ai voté pour le CNPT : ils sont plus écolos que les écolos ».
RL : « Aux élections européennes, je ne savais pas trop pour qui voter L’Europe, ça me paraît loin ».
72De plus, un garçon de 19 ans a tenu à me dire qu’il voterait dès qu’il en aurait l’âge et qu’il savait déjà comment.
73La plupart des jeunes que j’ai interviewés ont volontiers développé leurs idées sur l’Europe et sur la mondialisation, peut-être parce que ce sont des sujets nouveaux que l’on peut aborder sans trop d’a priori politiciens.
L’Europe
74Sur l’Europe, j’ai enregistré un large éventail de réponses, qui vont de l’indifférence à des opinions plus ou moins favorables, mais assorties d’une certaine prudence.
– Indifférence ou méfiance
GN (un garçon de 18 ans) : « L’Europe ? Je suis de France, le reste je m’en fous ».
FQ (une fille de 18 ans) : « Pour moi, ce n’est pas un grand sujet de préoccupation ».
TD (un garçon de 19 ans) : « Je ne pense pas grand chose de l’Europe ; pour l’instant, ça n’a pas fait beaucoup de bien ».
– Perplexité
GL (une fille de 20 ans) : « Ce sera dur de passer à l’euro ; et aux élections européennes, je ne savais pas trop pour qui voter ».
– Opinions mitigées
HF (un garçon de 19 ans) : « Je ne me sens pas Européen – ou plutôt, ça vient en troisième, après mon identité bretonne et française. L’Europe, c’est surtout important du point de vue économique ; mais je suis contre l’idée d’un gouvernement commun à tous les pays d’Europe, qui ne tiendrait pas compte des spécificités nationales ». IL (un garçon de 20 ans) : « Ça rapproche les gens. Je ne suis pas contre, pourvu qu’il n’y ait pas de débordement : il ne faudrait pas que l’Europe impose trop de normes. Moi, j’aime bien les simples marchés de campagne, non réfrigérés. Et puis, je ne suis pas favorable à l’adhésion de la Turquie : elle n’a pas la même culture que les autres pays européens ».
RF (un garçon de 19 ans) : « Je m’en fous un peu ; mais le passage à l’euro, ça va être difficile. Ce que j’en espère ? Surtout une meilleure qualité de vie, que l’unification va peut-être améliorer. Je pense aussi qu’on va pouvoir mieux résister à la concurrence des États Unis ».
– Opinions positives
FH (une fille de 20 ans) : « J’ai l’impression que les pays d’Europe sont plus soudés maintenant ».
GH (une fille de 19 ans) : « L’Europe, c’est l’État de demain – et même d’aujourd’hui ».
PS (une fille de 20 ans) : « Je suis pour, ça va de soi ; on peut voyager sans frontières ».
EH (une fille de 19 ans) : « L’Europe, c’est bien ; dans mon école, on a rédigé un texte collectif sur le sujet. Je me sens proche des autres Européens ».
La mondialisation
75Sur la mondialisation, les avis des jeunes sont plus détachés ; ç’aurait peut-être été différent si je les avais interrogés en 2001, à la suite des manifestations organisées par les mouvements contestataires lors des réunions de l’Organisation du Commerce à Seattle et du « sommet » de Davos.
– Pas d’avis
GN (un garçon de 18 ans) : « Je n’ai pas d’opinion : c’est trop loin pour moi ».
RF (un garçon de 19 ans) : « Ça me passe un peu par-dessus la tête ».
VQ (un garçon de 19 ans) : « La mondialisation, ça ne m’intéresse pas ».
– Appréciation réaliste
GH (une fille de 19 ans) : « La mondialisation, c’est la domination mondiale des trois grands “États” : USA, Europe, Japon. Mais les originalités nationales et régionales subsisteront ».
IL (un garçon de 20 ans) : « Pour moi, ça se résume à un conflit USA/Europe ».
PS (une fille de 20 ans) : « Je ne suis pas très “branchée” Bové. La mondialisation, c’est assez inévitable ; ça n’empêche pas de garder quand même une certaine identité ».
– Appréciation positive
HF (un garçon de 19 ans) : « Je trouve que c’est important ; pour moi, c’est positif, mais ça augmente les inégalités entre pays du Nord et du Sud. Je me sens concerné par le sous-développement des pays du Sud ; s’ils restent dans cet état, ne parviendront pas à s’intégrer dans l’économie mondiale, alors qu’ils pourraient offrir de nouveaux marchés importants ».
Les jeunes de Goulien face à un monde en devenir
76Dès le début j’ai abordé mes travaux à Goulien en replaçant dans une perspective temporelle à plus long terme des changements vécus dans un présent par essence transitoire. J’avais commencé en interrogeant les anciens sur les souvenirs qu’ils gardaient de leur passé et sur ce qu’ils savaient du passé de leurs vieux parents, tel que ceux-ci le leur avaient rapporté. Je terminerai donc, comme en miroir, par les réponses des jeunes d’aujourd’hui à mes interrogations sur les changements auxquels eux-mêmes ont été sensibles depuis leur enfance, sur les questions qui leur paraissent importantes à ce tournant de millénaire, et sur la façon dont ils se représentent leur futur. Si un chercheur revient dans 35 ans à Goulien reprendre le fil de cette étude, il serait intéressant qu’il puisse demander ce qu’ils en pensent après coup aux quinquagénaires que ces jeunes seront devenus.
Les changements d’hier et l’arrivée de l’an 2000
IL (un garçon de 20 ans) : « Depuis 1990 – et déjà dans les années 80 – les choses ont évolué rapidement – toujours plus vite, toujours vouloir plus, moderniser et cela dans tous les domaines : habillement, habitudes de consommation, etc. Moi, je suis assez nostalgique des années 70 ».
PS (une fille de 20 ans) : « Je pensais qu’en l’an 2000 ce serait d’un niveau technologique incroyable ; j’étais bête : ça n’a pas été conforme à ce que j’imaginais ».
RL (une fille de 20 ans) : « Lan 2000, ça ne change rien, mais c’est bien qu’on ait fait la photo (la photo de groupe des habitants de Goulien) et c’est dommage que tout le monde ne soit pas venu se faire photographier ».
EH (une fille de 19 ans) : « J’ai été frappée par le développement des ordinateurs, l’apparition du téléphone portable, la sortie de nouvelles voitures. Lan 2000, je pensais que ce serait différent ; c’est arrivé, et je n’ai même pas vu passer les années ». RF (un garçon de 19 ans) : « Il y a eu des progrès dans beaucoup de domaines, spécialement en informatique ; pour les jeunes c’est devenu indispensable ».
HF (un garçon de 19 ans) : « Je pensais que l’an 2000 ne changerait rien et ça n’a rien changé.
GH (une fille de 19 ans) : « L’arrivée de l’an 2000, ça n’a rien changé – c’est une continuité ».
VQ (un garçon de 19 ans) : « L’an 2000, ça n’a rien changé ».
GN (un garçon de 18 ans) : « Les changements principaux que j’ai observés, c’est la modernisation dans les fermes, le développement des salles de traite, les tracteurs de plus en plus chers, l’informatique, les scanners pour scanner les images ».
FQ (une fille de 18 ans) : « J’ai été frappée par tous les progrès techniques qui se sont produits depuis que j’étais petite : les appareils remplacent le personnel, y compris en cuisine. En cuisine et restauration, j’ai vu arriver le lave-vaisselle, les plaques de cuisson à induction, les fours à micro-ondes ; l’informatisation du courrier, de la gestion des données, des plans de table, Internet ».
Les préoccupations d’aujourd’hui : protection de l’environnement, lutte contre la pollution, nucléaire
GH (une fille de 19 ans) : « L’écologie, c’est bien, beau est polluée – c’est grave. Il faut protéger l’environnement, savoir ce qu’on a dans son assiette, avoir des sources d’énergie propres, comme les éoliennes. La pollution, il y en a autant en ville qu’à la campagne. Ici, au moins, l’air est bon. Le nucléaire ? Si ça explose, on sera tous touchés ».
PS (une fille de 20 ans) : « Je me sens très concernée ; j’ai voté écolo. Le nucléaire, je suis très anti et j’ai eu des discussions très virulentes avec des copains d’Audierne qui sont pour ; mais on n’a plus peur d’une guerre nucléaire ».
HF (un garçon de 19 ans) : « Le nucléaire a été important au moment de la guerre froide. Ici, on est encore très marqués par Plogoff. Avec l’abandon de la centrale, on a beaucoup perdu au niveau des emplois ; mais inversement, la nature aurait été affectée ».
RF (un garçon de 19 ans) : « On est inquiets quand on voit l’état de Porz Kanapé6 aux grandes marées, par suite des dégazages sauvages des pétroliers au large des côtes. Le nucléaire, je suis complètement contre ; je ne comprends pas ces gens de Plogoff qui protestaient contre la centrale et qui vendaient leurs terres en catimini à EDF Vu ce qui s’est passé à Tchernobyl, je suis content que le projet n’ait pas abouti ; les éoliennes, c’est beaucoup mieux ».
VQ (un garçon de 19 ans) : « Les éoliennes, c’est un “plus” pour les jeunes de Goulien ; c’est une fierté locale ».
EH (une fille de 19 ans) : « Si chacun y mettait du sien, il y aurait moins de pollution. Les éoliennes, c’est bien, et c’est bien que ce soit à Goulien ».
GL (une fille de 20 ans) : « Je ne suis pas favorable aux écolos, et je suis contre le projet de réserve Natura 2000 ; mais je suis contre le nucléaire, pour les éoliennes – et je suis fière que Goulien les ait ».
IL (un garçon de 20 ans) : « Greenpeace, c’est bien, même s’ils vont parfois un peu trop loin. Je suis pour l’écologie, mais contre les Verts. Aux élections européennes, bien que n’étant pas chasseur, j’ai voté pour le CNPT : ils sont plus écolos que les écolos ; ils tuent bien un lapin de temps en temps, mais ils profitent de la nature, ils refont les chemins, etc. Le nucléaire, je n’aime pas ça et je voudrais qu’on l’arrête. Rétrospectivement, je pense que la centrale de Plogoff aurait détruit le Cap ».
FH (une fille de 20 ans) : « Le nucléaire, ça me fait peur ».
GN (un garçon de 18 ans) : « Le nucléaire, c’est nul. Heureusement qu’on n’a pas construit la centrale de Plogoff ; mais les éoliennes, ça ne sert à rien ; tout ça c’est du commerce ; ça n’est même pas pour nous ; il faudrait que ce soit seulement pour Goulien ».
VQ (un garçon de 19 ans) ; « Les éoliennes, ça me plaît ; mais je ne suis pas préoccupé par la pollution. Je ne suis pas pour le nucléaire : ça peut être dangereux ».
TD (un garçon de 19 ans) : « Les éoliennes, c’est une bonne chose ; c’est un premier pas ; c’est bien que ce soit à Goulien ».
RL (une fille de 20 ans) : « Les éoliennes ? C’est bien. On ne peut pas vivre sans le nucléaire, mais ça fait peur. La pollution ? On peut faire quelque chose pour améliorer la situation. Les gens n’ont pas assez conscience de l’environnement ; ils jettent tout n’importe comment. On ne sait pas la chance qu’on a ici. J’ai toujours été un passionné de nature. Dès 10 ans, j’ai accompagné mon père à la chasse ; on allait faire des cabanes au bois de Labignat (?) à la limite de Primelin, vers Kergonvan. À 10-12 ans je faisais à pied tout le tour de Goulien pour relever des empreintes et les mouler, des empreintes de chevreuils, de faisans, etc. Je vais aussi plonger sur la côte de Plogoff pour observer les rochers et les poissons – c’est magnifique quand il y a du soleil. J’aime bien chasser au fusil sous-marin, cueillir les araignées de mer. Quand je suis en ville, de plus en plus j’étouffe ».
Leurs aspirations
Un garçon de 18 ans : « J’espère travailler dans une entreprise où tout le monde s’entende bien ».
Une fille de 18 ans : « Je me vois fonder une famille, être mère avec trois enfants (j’aurais aimé avoir un grand frère), et plus tard grand-mère ».
Une fille de 19 ans : « J’aimerais rester ici, mais je pense que je ne pourrai le faire qu’en résidence secondaire. Je ne m’imagine pas grand-mère ».
Une fille de 19 ans : « Je ne m’imagine pas dans le futur : je n’aime pas imaginer ».
Un garçon de 19 ans : « Je me vois d’abord infirmier en hôpital à Douarnenez ou à Brest, puis infirmier libéral à Audierne avec une maison secondaire à Goulien ».
Un garçon de 19 ans : « Je me vois monter à deux ou trois, une entreprise commerciale par Internet, J’aimerais bien continuer à habiter ici ; je rêve d’une petite maison sur la côte et je m’imagine en père de famille avec deux ou trois enfants, et plus tard en grand-père ».
Un garçon de 19 ans : « Je me vois encore habiter la même maison dans quarante ans ; je ne m’y sens pas isolé. J’aime la nature, le calme ; je ne me vois pas vivre en ville ; Audierne, à la rigueur, ça irait encore ».
Un garçon de 19 ans : « Je me prépare à une profession agricole, dans l’élevage laitier. Si j’ai l’occasion de m’installer, je le ferai. Pour ce qui est de l’avenir, ça peut évoluer ; je termine d’abord mes études et ensuite on verra. L’avenir n’est pas quelque chose qui me tracasse. Je m’imagine dans 20-30 ans, à la tête d’une grosse exploitation agricole ».
Une fille de 20 ans : « Je pense que je n’irai pas travailler loin d’ici. J’aime bien bouger, mais je suis très attachée à ma maison et à mon village. Ma seule crainte serait de ne pas trouver de travail près d’ici. J’espère travailler d’abord dans un hôpital et seulement après comme infirmière libérale. J’aime être utile et j’ai l’impression que je serai plus utile comme ça ».
Une fille de 20 ans : « Je ne me vois pas vieillir ici, mais je resterai dans la région. J’habiterai en ville mais j’aurai une maison à la campagne. Je voyagerai plus que mes parents. Je ne me vois pas à la tête d’une famille ».
Un garçon de 20 ans : « Je suis prêt à aller travailler à Quimper ou à Rennes ; peu m’importe de me déplacer. Je sais qu’on cherche du monde en informatique. J’aimerais voyager en Amérique du Sud, puis habiter une île dans le Golfe du Morbihan et pouvoir revenir à Goulien aux week-ends et aux vacances ».
Un garçon de 20 ans : « Je ne souhaite pas m’éloigner de Goulien car j’ai besoin de voir la mer et de chasser, et ma copine aime bien venir ici. J’envisage de chercher dans les environs de Quimper un ancien corps de ferme et de le retaper ; pour le reste, je sais que je débrouillerai ; quand il m’est arrivé de changer d’école, j’ai eu vite fait de m’habituer à ma nouvelle vie. Je vis au jour le jour ».
Leur vision du futur, en général et à Goulien
FQ (une fille de 18 ans) : « L’avenir, on en discute parfois avec les copains. On se demande si on ne va pas être remplacés par les machines. Est-ce qu’on ne sera pas tous à la maison à ne rien faire. Moi, je m’ennuierais. Et ceux qui se préparent à une profession agricole et dont les parents ne sont pas agriculteurs se demandent comment ils vont faire pour d’installer ».
GN (un garçon de 18 ans) : « Je ne vois pas l’avenir ».
EH (une fille de 19 ans) : « Je souhaite qu’on fasse des progrès pour guérir les maladies mortelles, comme le Sida ».
GH (une fille de 19 ans) : « J’espère qu’on découvrira de nouveau vaccins : et que les gens communiqueront davantage. À Goulien, tous les jeunes vont partir ».
HF (un garçon de 19 ans) : « L’avenir ? Seul l’avenir nous le dira ».
RF (un garçon de 19 ans) : « Il y aura plus d’informatique et peut être des maisons avec des panneaux solaires sur le toit et des éoliennes dans le jardin, avec des puits à l’eau filtrée. J’espère qu’on pourra mieux profiter de la vie ; qu’on pourra faire quelque chose contre les marées noires et qu’on réglera la question des pesticides ; que ça changera pour les jeunes au niveau de la drogue. Je souhaite qu’il y ait du “boulot”, et qu’il soit rémunéré convenablement – pas comme maintenant où les maçons et plâtriers travaillent dur et sont peu rémunérés. À Goulien, il y aura moins de monde à la campagne, et plus d’étrangers occupant des résidences secondaires. Goulien et le reste du Cap vont continuer à se dépeupler ; il y aura de moins en moins de jeunes. La vie y restera telle quelle, mais les communes seront peut-être obligées de fusionner ».
TD (un garçon de 19 ans) : « Goulien revit ; le maire de Goulien fait tout pour ça ».
VQ (un garçon de 19 ans) : « Je n’ai ni attentes ni angoisses pour le futur. Mais personne ne restera à Goulien ; pour inciter les gens à rester, il faudrait qu’il y ait des commerces ; ça va continuer à se dépeupler ».
GL (une fille de 20 ans) : « Il ne faut pas qu’on change notre coin ».
RL (une fille de 20 ans) : « Je n’ai pas peur d’aller vers l’avenir, mais c’est l’inconnu. Goulien, comme le reste de la Bretagne, va être de plus en plus envahi par les touristes. Le problème c’est le manque de commerces ».
IL (un garçon de 20 ans) : « Les gens voudraient rester là, mais ils ne peuvent pas ; peut-être qu’ils ne vont plus tellement continuer à partir et que ça va rester comme ça ».
PS (une fille de 20 ans) : « Il y aura plus de technologie, plus d’informatique, plus d’Internet, mais à part ça, pas de changements énormes. J’espère qu’il y aura des progrès en médecine, et la baisse du chômage. La société va beaucoup changer. Goulien ne sera plus pareil. Il y aura beaucoup de maisons vendues, habitées par des gens qui ne sont pas d’ici. Je ne vis pas ça comme un drame : ça ne sera pas forcément plus mal ».
Notes de bas de page
1 Des expressions comme « c’était la guerre » doivent naturellement être prises avec un grain de sel. Parmi les jeunes qui jouent à Goulien, à Plogoff ou à Cléden beaucoup ont été formés ensemble à « l’école du foot » d’Esquibien et ils se retrouvent souvent pour sortir ensemble à Audieme ou ailleurs. « Le foot, me dit un jeune joueur de “Goulien-Sport”, c’est ce qui fait se réunir les jeunes du Cap ».
2 « Agence Nationale pour l’Emploi ».
3 « Permanence d’Accueil, d’information et d’Orientation » (= bureau d’insertion sociale des jeunes).
4 Le nombre d’électeurs inscrits étant tombé au-dessous de 500, à partir de 2001 le nombre de conseillers a été réduit à 11.
5 Comme il s’agit dans le présent chapitre d’indiquer le poids sociologique des votes dans la population de Goulien, les pourcentages (arrondis au nombre entier supérieur ou inférieur le plus proche) sont calculés par rapport au nombre des inscrits, et non par rapport au nombre de suffrages exprimés.
6 Une crique en contrebas des falaises sur la côte nord de Goulien.
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