Introduction
p. 325-329
Note de l’éditeur
Travail subventionné par l’Institut Culturel de Bretagne – 2001
Texte intégral
1Mon retour à Goulien s’est déroulé en trois séjours : deux séjours principaux d’un mois chacun, respectivement du 19 janvier au 20 février et du 22 mars au 22 avril 2000 ; puis une brève visite complémentaire de huit jours, du 25 juin au 5 juillet. Lors de chaque voyage en Bretagne je passais par Brest à l’aller comme au retour, afin de pouvoir prendre contact avec le Centre de Recherches Bretonnes et Celtiques de l’Université de Bretagne Occidentale et avec la Cinémathèque de Bretagne.
2C’est en effet au CRBC que j’ai déposé la majeure partie des archives de ma recherche des années 60 à Goulien (journal de terrain, retranscriptions d’interviews, notes d’enquêtes, documents divers et photos, le tout en partie non encore exploité), précédemment au CRA du Musée de l’Homme. Les documents restés en ma possession – ceux que j’utilise encore – et les archives de ma recherche de l’an 2000 y seront déposés également et rendus ainsi accessibles à tout chercheur dûment autorisé.
3À la Cinémathèque de Bretagne, j’avais déposé dès 1995 les films 8 mm couleur que j’avais tourné à Goulien entre 1962 et 1965. À l’occasion de la reprise de mes travaux, il a été décidé d’en faire un nouveau montage et d’en tirer une version vidéo de trois heures, intitulée : Travaux, fêtes et saisons dans le Cap Sizun : Goulien 1962-19641, à laquelle j’ai œuvré en parallèle à la rédaction du présent travail.
4Pour mes déplacements, j’ai dû louer à Brest une petite voiture sans laquelle, vu le manque de transports collectifs et la dispersion de l’habitat à Goulien, il ne m’aurait guère été possible de travailler. Sur place, j’occupais un petit logement attenant à l’unique restaurant du Bourg, ce qui assurait mon indépendance et m’offrant un lieu de travail où déposer mes documents et mon ordinateur. Dans la journée, je pouvais utiliser le téléphone du restaurant pour prendre mes rendez-vous et il m’était possible d'utiliser l’imprimante de la mairie.
5À chacun de mes séjours, l’accueil sympathique et l’aide apportée – dans le plein respect de ma liberté de chercheur – par le maire de Goulien, Henri Goardon, et par la secrétaire de mairie, Marguerite d’Agostino, ont été inappréciables. C’est grâce à cette aide qu’à pu être établie la liste des loyers permanents de la commune, avec leurs coordonnées, celle des résidences secondaires et de leurs occupants et celle des exploitants agricoles en activité. En comparant ces listes avec celle des foyers et des exploitations recensés en 1964, il a été possible de déterminer qui a succédé à qui, quelles maisons sont maintenant inoccupées, quelles nouvelles maisons ont été construites depuis 1964 et par qui, etc. J’ai également dépouillé les résultats des consultations électorales qui ont eu lieu depuis 1964 (élections municipales, cantonales, régionales, européennes, présidentielles et référendums). J’ai enfin obtenu de diverses personnes le prêt d’un certain nombre de documents, d’ouvrages et de coupures de journaux, sources d’information sur la vie locale ainsi que sur l’évolution récente et la situation présente de l’agriculture, ou pouvant aider à reconstituer l’histoire communale des 36 dernières années et à la resituer dans son contexte local et régional – entreprise pour laquelle la consultation, sur l’Internet, de divers sites bretons s’est avérée également fort précieuse.
6Sur le terrain proprement dit, mon programme de travail comportait la multiplication d’entretiens avec un large éventail de personnes des deux sexes, de différentes classes d’âges et de diverses situations socioprofessionnelles, engagées ou non dans des responsabilités collectives. Pour ce faire, j’ai entrepris d’interviewer :
les conseillers municipaux actuels ou anciens ainsi que le maire actuel et les trois anciens maires encore vivants, soit en tout 39 personnes ; seuls, deux anciens conseillers n’ont pas souhaité être interviewés ; un autre n’a pu me recevoir pour raisons de santé ; une autre enfin n’habite plus la commune et n’a pu être jointe ; je n’ai pas non plus réinterviewés ceux que j’avais interviewés en 1995 ;
les exploitants agricoles encore en activité soit en tout 21 personnes, y compris deux exploitants près de la retraite et un troisième ayant une autre activité professionnelle ; sur ce total, un seul n’a pas souhaité être interviewé, un autre s’est trouvé empêché ;
les personnes, appartenant aux classes d’âge des 78 à 80 ans, des 58 à 60 ans, des 38 à 40 ans et des 18 à 20 ans – parmi lesquelles je n’ai enregistré que quelques défections.
7Naturellement, ces diverses catégories se recoupent parfois, si bien que, toutes catégories confondues, j’ai réussi à interviewer 86 personnes, soit 23 % d’un total de 370 personnes de plus de 18 ans figurant sur mes listes – sans compter les conjoints (ou parfois aussi les « copains » ou « copines ») qui, souvent, assistaient aux entretiens et y participaient parfois activement.
8Mes entretiens avec ces divers interlocuteurs, pouvant durer d’une heure à parfois deux ou trois heures, portaient sur leur perception des changements survenus depuis les années 60, tant du point de vue proprement communal que du point de vue des rapports sociaux en général, des conditions de vie, des mentalités, de la culture et de la langue bretonne, etc. Je m’étais établi un guide d’enquête mais je l’ai utilisé assez librement, me contentant de lancer le dialogue dans ces divers domaines et laissant chacun réagir à sa façon sans interrompre les éventuelles digressions, ce qui nous a permis d’aborder de nombreux sujets intéressants, originellement non prévus.
9Auprès des agriculteurs j’ai aussi récolté, plus spécifiquement, des informations sur la situation actuelle de leurs exploitations et sur leur évolution au cours des dernières années (superficie, cheptel, bâtiments, matériel) et sur leurs productions (lait, viande bovine ou porcine) et sur leurs conditions de travail, et j’ai recueilli leurs remarques sur les problèmes économiques actuels et sur l’évolution de l’agriculture en général. Au cours de mon troisième séjour, j’ai aussi consacré trois journées à l'observation de la vie quotidienne dans les trois exploitations encore existantes sur les quatre que j’avais étudiées en 1962-1964.
10Avec la classe d’âge des 18-20 ans, les entretiens ont porté sur les différences qu’ils perçoivent entre leur génération et celles de leurs parents et de leurs grands-parents du point de vue des mentalités, des façons de vivre, des rapports sociaux et des comportements au sein de la famille ; et sur le fait de savoir comment, en dépit de ces différences, sont vécus les rapports entre générations. Nos conversations ont aussi porté sur la société en général, sur la pratique religieuse, sur les traditions, sur l’identité et la langue bretonne, et sur les problèmes par lesquels ils se sentent actuellement le plus concernés ; enfin je les ai questionnés sur leurs pronostics et leurs espérances pour l’avenir, tant en général qu’au niveau national, régional et local.
11J’ai eu par ailleurs, hors interviews, de nombreux contacts informels et amicaux et de nombreuses conversations à bâtons rompus, soit avec mes amis de longue date, soit avec des personnes que je ne connaissais pas auparavant, rencontrées en diverses circonstances de la vie quotidienne. De même j’ai reçu un certain nombre d’invitations à des repas ou à des « cafés améliorés », tant de la part d’amis anciens que de nouvelles connaissances. Ces occasions ont souvent donné lieu à des échanges très intéressants, sources parfois d’informations nouvelles, parfois d’éclairages nouveaux sur certains faits que je connaissais déjà.
12Enfin, je n’ai pas manqué d’assister à diverses activités collectives, régulières ou exceptionnelles telles l’inauguration suivie d’une conférence de presse de la toute nouvelle centrale éolienne (une des premières réalisées en France), deux réunions du Conseil Municipal, les messes dominicales, un match de football, une réunion du club du Troisième Âge (« Mouvement des Aînés Ruraux »), deux séances d’initiation à la danse bretonne, une fête musicale improvisée, etc.
13La dernière semaine de mon deuxième séjour en a été marquée par la venue sur le terrain de Philippe Choupeaux, le technicien de la Cinémathèque de Bretagne chargé de la réalisation technique de la version vidéo de mes films, accompagné d’un assistant. Notre travail a consisté à faire visionner le pré-montage de la cassette aux personnes filmées en 1962-1964 ou aux membres de leur famille proche si ces personnes ont disparu entretemps, afin d’enregistrer leurs commentaires sur les images (tournées à l’époque en version muette). On a aussi demandé à quelques autres personnes de commenter les séquences collectives. Des quelque 20 heures d’enregistrements ainsi réalisés, regroupant les commentaires de 17 personnes, ont été retenus les passages les plus pertinents, qui constituent l’essentiel de la bande sonore du film.
14Mon retour à Goulien n’est pas passé inaperçu de la presse et de la radio locales : plusieurs articles ont paru à ce sujet dans le Télégramme, Ouest-France et le Progrès de Cornouaille, et un journaliste de RBO Quimper est également venu m’interviewer.
15Peu après être revenu de mon deuxième séjour, le 15 mai 2000, j’ai présenté au Musée de l’Homme l’avancement de mes travaux, dans le cadre d’une communication devant la Société des Études Euro-asiatique2. J’avais invité à cette séance les personnes originaires de Goulien résidant en région parisienne dont j’avais pu me procurer les adresses ; huit d’entre elle ont pu être présentes et faire part à l’assistance de leurs propres commentaires.
16Certains passages d’une rédaction provisoire du présent texte ont été également soumis à plusieurs lecteurs de Goulien. J’assume cependant la pleine responsabilité des erreurs qui pourraient éventuellement subsister dans la version publiée – sans doute inévitables vu la durée limitée de mes séjours sur le terrain.
Premières impressions d’un retour à Goulien
17En ce début pluvieux de l’an 2000, pour qui arrivait à Goulien venant de Pont-Croix après une longue absence, au premier abord, peu de choses paraissaient avoir changé dans le paysage depuis les années 70 : les mêmes petites routes couraient entre haies et talus, couverts d’une végétation quelque peu dépouillée par l’hiver et bordant des prés restés encore verts et des champs aux mottes luisantes sous les averses ; on reconnaissait au passage les maisons de Kervoën, les tournants de St Laurent et de Bréharadec, l’ancien atelier de forge de Pont-Louis, la montée vers le Bourg (avec maintenant un carrefour aménagé) et le presbytère, maintenant déserté, derrière ses hautes murailles.
18Le Bourg lui-même avait subi peu de modifications, même si on notait en arrivant la construction d’une maison neuve près de la mairie, l’existence d’un éclairage public et la présence de panneaux de signalisation en breton au débouché de la route. La place autour de l’église était restée à peu près la même, bien que l’ancien garage de Pierre Kerloc’h ait été transformé en logement, et que l’ancienne épicerie d’Yvonne Kerloc’h et l’ancien café d’Aimé Kérisit aient cessé leur activité ; cependant, au tournant de la ruelle allant vers Leslannou, on remarquait un panonceau signalant l’existence à quelques pas de là d’un « P’tit Bar », bar-tabacs de création récente.
19En se portant plus loin vers le nord-est, le regard était alors attiré par un alignement de ce qui ressemblait à de grandes antennes blanches - en fait, les tours élancées de huit éoliennes en cours de construction. Aux sorties nord et sud du Bourg, on remarquait aussi l’existence de deux petits lotissements, signalant la présence de nouveaux habitants. Mais l’animation du Bourg n’était plus tout à fait celle qu’on avait connue autrefois. Il n’y avait plus ce tranquille mais continuel va-et-vient de troupeaux de vaches, de tracteurs allant aux champs et en revenant, de clients rendant visite à toute heure de la journée à l’un des cinq commerces (cafés et épiceries) du Bourg, en y comptant la boulangerie Quéré, maintenant fermée et l’ancienne épicerie de René Kérisit, maintenant tenue par un nouveau couple. C’est surtout le dimanche que le contraste était frappant : il n’y avait plus d’office dominical (célébré maintenant le samedi soir à 18h00), et donc plus d’entrées et de sorties de la « basse messe », de la « grande messe » et des vêpres, et par conséquent aussi plus d’« après-messe » – les visites des hommes aux cinq cafés du Bourg à la sortie des offices ; épicerie et café-restaurant demeuraient fermés et tout le monde restait chez soi. Le dimanche, en l’an 2000, en cette saison hivernale sans touristes, le Bourg paraissait aussi endormi que le palais de la Belle au Bois dormant.
20Quand on se déplaçait dans la campagne, si le paysage et les villages apparaissaient eux aussi au premier coup d’œil toujours semblables à eux-mêmes, on était frappé peu à peu par une absence singulière de vie visible : peu de circulation sur les routes, personne en vue autour des maisons, peu de mouvements dans les champs, plus guère de fumées s’élevant au-dessus des cheminées – sans pour autant qu’on ait une quelconque impression d’abandon : les vieilles maisons toujours maintenues en bon état voire rénovées, les maisons neuves qu’on remarquait ici et là, les abords soignés des unes et des autres donnaient une impression de relative aisance. Et les nombreux bâtiments récents – hangars, silos, stabulations ou porcheries – qu’on apercevait auprès de certaines fermes leur donnaient parfois des allures de petites fabriques.
21Ces images entrevues avant même que je ne reprenne mes enquêtes étaient en fait l’expression concrète de bien des faits que j’allais découvrir : baisse générale de la population mais non pas désertification, puisque le nombre des maisons occupées a augmenté et que de nombreuses maisons neuves ont été édifiées ; diminution de l’activité agricole qui continue cependant à marquer le paysage de son empreinte, mais qui se rapproche de plus en plus d’une activité de petite entreprise ; diminution des occasions de rencontre, les gens ayant tendance à rester de plus en plus chez soi ou entre soi ; et laïcisation de la vie de la commune, dont la vie n’est plus rythmée par les offices religieux hebdomadaires.
22C’est ce qu’on va voir plus en détail ci-après.
Notes de bas de page
1 La séance de lancement de cette « chronique en images » a eu lieu à Brest le 14 mars 2001. J’ai bénéficié pour mener à bien cette entreprise de l’aide inappréciable de Philippe Choupeaux, qui est venu à plusieurs reprises à Goulien procéder à des interviews et des prises de vue complémentaires, et qui a assuré la réalisation technique du montage et de la mise en forme de ce document vidéo. Je remercie André Colleu, ancien directeur de la Cinémathèque, qui a présidé à la mise en route de ce projet.
2 « Entre XIXe siècle et troisième millénaire : Goulien, commune du Sud-Finistère, dans les années 60 et en l’an 2000 », conférence présentée à la Société des Études euro-asiatiques le lundi 15 mai 2000, Musée de l’Homme, Paris.
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