Les conditions concrètes de la vie quotidienne
p. 153-201
Texte intégral
La maison
La construction
Données d’ensemble
1Si on demande à un paysan de Goulien son opinion sur la vitalité et les perspectives d’avenir de sa commune, il se montre généralement assez pessimiste et l’un des arguments qu’il avance le plus fréquemment pour appuyer son diagnostic est qu’on n’a presque pas construit de maisons nouvelles dans ces vingt dernières années.
2Inversement, tout le monde se montre très fier à Goulien de la beauté et de la solidité des habitations anciennes, qui sont pourtant des facteurs probables de cette absence de renouvellement de l’habitat.
3Ces deux traits témoignent de l’importance que l’opinion accorde à la construction comme indice de prestige et de prospérité. Il est assez significatif que, lors de l’enquête réalisée par le Centre d’Économie Rurale du Finistère, en 1969, 42 des agriculteurs interrogés à la question : « si vous aviez de l’argent devant vous, que feriez-vous en premier lieu ? », aient répondu « réparer ou construire une maison », (et 23 % seulement « acheter du matériel ou du bétail »), alors que seulement 24 % d’entre eux estimaient que l’amélioration de leur habitation était la première à réaliser (Centre d’Économie Rurale du Finistère, § 24). Et ce n’est probablement pas un hasard si, en Bretagne, le Cap Sizun est célèbre pour ses maçons.
4La stagnation de la construction est effectivement un fait patent. Un inventaire portant sur 117 maisons de Goulien nous montre que la moitié des maisons des agriculteurs ont été construites avant 1857, et que parmi celles qui l’ont été au XIXe siècle, un tiers seulement ont subi des améliorations ou des aménagements ultérieurs. La situation est sensiblement différente pour les autres professions, chez qui on ne compte que 7 % de maisons antérieures à cette même date de 1857, tandis que la moitié d’entre elles sont postérieures à 1911. Quant à celles qui ont été construites au XIXe siècle, elles ont été améliorées par la suite à 50 %.
5Cette différence ne se traduit pas dans les faits par une vétusté plus grande des maisons de fermes : la plupart sont au contraire encore très solides et bien entretenues, sinon 153 adaptées aux besoins modernes ; elle marque simplement l’existence de deux séries de types de construction.
6Le plus ancien type est celui des maisons de ferme construites au XVIIe siècle ; mais on ne peut l’observer dans toute sa pureté que dans des maisons devenues inhabitées, car les autres ont toutes subi des transformations qui ont rendu méconnaissable leur forme originelle. Quant aux maisons d’artisans ou de journaliers, il n’en subsiste aucune de cette époque, et il faut se reporter aux documents écrits pour avoir des informations à leur sujet.
7Le type précédent a évolué en un nouveau type de maison qui s’est conservé à peu près inchangé de la fin du XVIIIe siècle au début du XXe, et qui est celui qu’on retrouve dans la majorité des fermes du Cap. Les petites maisons d’artisans, de journaliers ou de petits fermiers (penn ti) paraissent en être un type dérivé.
8Des types transitoires sont apparus ensuite, à partir de 1910 pour les fermes, de 1920 pour les penn ti, qui ont été suivis jusqu’en 1940, et qui apportaient des modifications plus ou moins notables aux types traditionnels.
9Les constructions qui se sont élevées depuis 1950 correspondent maintenant à des types nouveaux qui, tout en gardant un caractère régional assez marqué, rompent cependant sensiblement avec la tradition locale.
10Tout au long de cette évolution, les changements sont apparus d’abord dans les maisons des agriculteurs, puis avec un décalage sensible, dans les penn ti. La raison en est sans doute que les agriculteurs disposaient de moyens bien plus importants que les autres. Aujourd’hui, la situation est inversée. Ce sont les non-agriculteurs qui construisent des maisons neuves, les agriculteurs commencent à peine à suivre. La raison est la même, à la différence cette fois que ce sont les agriculteurs qui manquent des fonds nécessaires.
Maisons du XVIIe siècle
11Il n’existe à Goulien aucune maison antérieure au XVIIe siècle à l’exception du manoir de Lézoualc’h, qui ne peut évidemment être pris comme type de maison campagnarde. Quant à celles qui subsistent de ce siècle, elles étaient probablement les plus belles et les plus solides, et l’on ne doit pas imaginer que celles qui ont disparu leur étaient toutes semblables. Mais ce sont sans doute elles qui ont servi de modèle aux constructions ultérieures, et qui, par des modifications progressives, ont été à l’origine du type traditionnel tel que nous le connaissons aujourd’hui.
12Le matériau de construction consistait en pierres de granit plus ou moins soigneusement appareillées. Le toit, à deux pans, était couvert, soit de chaume, soit déjà assez souvent d’ardoises (Bernard, 1952 p. 164). Une cheminée surmontait le sommet de chacun des murs pignons. Les ouvertures, qui se trouvaient uniquement sur la façade Sud, consistaient en une porte, dont le linteau en assemblage appareillé formait un arc en accolade au-dessus duquel se trouvait gravée la date de construction ou le nom du propriétaire ; et deux petites fenêtres, sans volets, souvent grillées de barres de fer verticales, et de forme rectangulaire. Il n’y avait pas d’étage, mais on voyait souvent sous le rebord du toit de petites lucarnes destinées à donner air et lumière aux soupentes, signe probable qu’elles étaient habitées.
13Les maisons des plus pauvres devaient être de dimensions plus réduites et construites de façon beaucoup moins solide, de pierres non taillées noyées dans un mortier friable : seules les ouvertures étaient encadrées de pierres de taille. Le toit était uniquement recouvert de paille ou de roseaux, parfois mêlés de jonc ou iris des marais (Bernard, 1952, p. 163), Même si ces deux sortes de maisons avaient une apparence différente, leur structure était fondamentalement la même.
Maisons du XIXe siècle
14Le type de maison de ferme qui a succédé au précédent n’en diffère pas non plus profondément. Mais ses dimensions se sont accrues. Elle comporte maintenant toujours un étage, avec quatre ou cinq fenêtres, plus rarement trois. Les ouvertures se sont généralement agrandies, mais pas beaucoup. Le linteau de la porte est fait d’un seul tenant, et droit. Les murs de pignon sont relativement plus larges, et la pente du toit un peu moins accentuée.
15Si la maison a été entièrement construite en pierre de taille, on laisse les murs tels quels, en soulignant parfois l’appareillage d’un trait de chaux ; sinon, et c’est le cas le plus fréquent, elle est crépite et entièrement blanchie, à l’exception des pierres de taille qui encadrent les ouvertures, et de celles qui forment une sorte de bandeau entre le rez-de-chaussée et le premier étage.
16L’un des éléments ornementaux les plus caractéristiques consiste dans les inscriptions qui sont gravées au-dessus des ouvertures du rez-de-chaussée. Le linteau de la porte est toujours réservé au nom de ceux qui ont fait construire la maison, mari et femme, celle-ci étant désignée par son nom de jeune fille. Si la date de construction n’est pas donnée à la suite, elle est gravée au-dessus de la fenêtre de la salle commune. L’autre fenêtre porte souvent un motif religieux.
17Malgré d’assez nombreuses petites variantes, l’uniformité des maisons de ce type est frappante. Il faut beaucoup d’attention, par exemple, pour distinguer sur une photographie telle maison de telle autre.
18Quant au penn ti, c’est en quelque sorte une version réduite du type précédent, restée assez proche quant à ses caractéristiques générales de sa devancière du XVIIe siècle : pas d’étage mais parfois des lucarnes de soupente ; un toit de chaume, que l’ardoise ne remplacera que vers 1910 ; une maçonnerie faite de matériaux peu solides, que le crépi dissimule. Les belles inscriptions sur les linteaux des portes et fenêtres sont rares. Mais des maisons les plus riches au plus humbles, on trouve la même unité de ton.
Types transitoires
19Il est difficile de dire avec certitude pourquoi le type précédent, qui s’était perpétué sans modifications notables pendant plus d’un siècle, cessa brusquement d’être suivi. Mais ce qui est certain, c’est qu’à partir d’une date qui peut être fixée avec assez de précision autour de 1910-1911, les maisons que les agriculteurs faisaient construire prirent une apparence nouvelle : beaucoup moins longues, plus hautes, sans toutefois avoir plus d’un étage, avec des fenêtres nettement plus grandes, qui n’étaient plus toujours cantonnées sur la seule façade méridionale, parfois légèrement surélevées au-dessus du sol, de telle sorte qu’on n’y entrât plus de plain-pied, mais en gravissant une ou deux marches, parfois même un petit perron. Les belles inscriptions traditionnelles, qui déjà, depuis une vingtaine d’années ne se détachaient plus en relief sur la pierre de taille, mais étaient simplement gravées en creux, avaient maintenant complètement disparu. Toutefois les grandes caractéristiques traditionnelles subsistaient. Les modifications apportées au type ancien, pour importantes qu’elles fussent, n’étaient que des modifications de forme, et non de structure.
20Chez les non-agriculteurs, le changement de style mit plus de temps à s’amorcer, et ne fut effectif qu’après la guerre. Mais là, il fut souvent plus marqué. Beaucoup d’anciens penn ti furent transformés, soit qu’ils fussent dotés d’un étage, soit plus simplement d’une mansarde, mais aussi, on se mit à construire des maisons neuves qui différaient quelque peu des nouvelles maisons de ferme ; aux approches de la guerre de 1939, on commença à voir apparaître des maisons de type « villa », qui rompaient complètement avec la tradition locale, tant par leur architecture (une maison à terrasse par exemple) que par la couleur dont on peignait les murs (jaune, ocre brun) et qui témoignait d’un assez mauvais goût1. Le caractère plus radical de ces changements paraît correspondre au désintérêt souvent affiché par la partie non agricole de la population (masculine surtout) pour tout ce qui touche les traditions culturelles locales (traduit par exemple par leur affectation de considérer le breton comme un vulgaire patois qui devrait disparaître), et à leur désir de se rapprocher le plus possible des conditions de vie que connaissent les citadins.
Types nouveaux
21La dernière guerre paraît avoir créé une cassure dans la ligne de l’évolution précédente. Pendant plus de dix ans, la construction s’est arrêtée. Quand elle a repris, ce fut sur des bases assez différentes.
22L’évolution qui paraissait s’amorcer vers une architecture de type banlieusard a été heureusement stoppée. Mais si les nouvelles constructions gardent un caractère régional assez marqué, celui-ci n’est plus propre au Cap en particulier : les maisons neuves construites à Goulien pourraient aussi bien se trouver à Bénodet ou à Morlaix. Il s’agit d’un type « finistérien », dont les grandes lignes se retrouvent partout, mais qui est susceptible de nombreuses variantes individuelles.
23On a construit très peu de nouvelles maisons de ferme. Mais si on l’a fait, c’est conformément au modèle qui vient d’être défini et qui est largement répandu dans le département par les plans-types que diffuse le Génie Rural. La différence que j’ai établie jusqu’ici entre les habitations des agriculteurs et celles des non-agriculteurs devient donc caduque.
24En fait, si on voit dans le Cap une maison neuve, il y a toutes probabilités pour qu’elle n’appartienne pas à un paysan. Nous avons vu, en étudiant les revenus agricoles, que ceux-ci étaient trop réduits pour permettre les investissements de ce genre. À Goulien, les deux seules maisons que des paysans aient pu construire depuis 1940 l’ont été à l’aide de ressources d’origine non agricole.
25Les maisons de construction récente ont généralement gardé le toit d’ardoises à deux pans et les deux murs pignons surmontés de cheminées, aujourd’hui souvent factices. Mais ce qui les caractérise, c’est leur plan, presque carré, leur croissance en hauteur, accrue par le fait qu’elles comportent parfois un sous-sol, qui peut servir de garage ; les dimensions de leurs fenêtres, considérablement plus larges que jadis, jusqu’à être parfois de véritables baies, et munies de volets, le fait qu’aucune de leurs façades n’est plus entièrement aveugle, et celui que leurs murs extérieurs ne présentent plus aucune saillie, pas même celle du toit qui, dans le type traditionnel, formait une légère corniche : ils sont uniformément crépis d’une couche de ciment lisse, rarement peint, qui s’étend sans aucune discontinuité du haut en bas de la muraille, ne découvrant la pierre nulle part, pas même autour des ouvertures.
L’aménagement interne
26À l’opposé de ce qui s’est passé pour l’architecture extérieure des maisons d’habitation, leur aménagement intérieur n’avait guère changé depuis le XVIIe siècle jusqu’aux années qui précéderont immédiatement la dernière guerre. On ne notait même aucune différence d’importance entre les maisons des agriculteurs et les autres, sauf du moins dans l’aménagement de l’étage, puisqu’il manquait généralement à celles-ci.
27Dans ce type d’aménagement traditionnel, la porte d’entrée donne sur un couloir de quelques mètres, au bout duquel s’ouvrent trois portes, parfois quatre : au fond, c’est celle de l’escalier du grenier ou de l’étage ; à côté de celle-ci s’en trouve éventuellement une autre qui donne dans le « cabinet noir », c’est-à-dire le réduit, situé sous la cage d’escalier, où l’on place habituellement le « charnier », la jarre de terre cuite où l’on conserve le porc salé ; à droite ou à gauche, indifféremment2, c’est l’entrée de la salle commune ; la porte d’en face donne dans une petite chambre qui sert aussi, souvent, de débarras. Dans les maisons comportant un étage, si tout le monde peut trouver place dans les chambres du haut, c’est là qu’on installe la « salle à manger » qui ne servira qu’aux grandes occasions : baptêmes, premières communions, enterrements et pardons.
28L’étage comporte, selon l’importance des maisons, deux ou trois grandes chambres, ainsi qu’un « cabinet », petite chambre située au-dessus du couloir. Dans les maisons qui ne possèdent pas d’étage, le grenier, même non mansardé, est souvent utilisé comme chambre supplémentaire.
29Dans quelques penn ti très pauvres, il n’y avait autrefois qu’une seule pièce, soit que le couloir d’entrée fût situé à l’une des extrémités de la maison, soit qu’il fût inexistant et qu’on entrât directement au milieu de la pièce unique, ou bien, l’escalier au fond du couloir était remplacé par une simple échelle. Mais ce sont là des variantes somme toute assez limitées.
30Autrefois, le sol du rez-de-chaussée était partout en terre battue. Aujourd’hui, c’est le ciment qui est le plus répandu (dans 70 % des cas environ), surtout dans les maisons de fermes de type traditionnel. Ensuite vient la terre battue (19 %) et le carrelage (10 %). Il n’y a qu’un nombre infime de maisons anciennes à posséder du plancher au rez-de-chaussée. Dans les maisons récentes, au contraire, on a surtout du plancher, sauf dans les cuisines, qui sont carrelées. Quant aux sols en terre battue qui subsistent encore, ils se trouvent surtout chez quelques familles peu fortunées ou qui ne sont pas propriétaires de leur habitation, et parfois seulement dans la cuisine, la chambre du bas ayant un plancher ou un sol cimenté.
31Les murs intérieurs sont plus ou moins bien crépis selon le degré de richesse des habitants. Dans certains penn ti, et sans doute autrefois dans plus d’une ferme, on laisse à nu les murs qui seront cachés par des meubles. Puis on les blanchit à la chaux, ou dans les maisons les plus récentes, on les peint de couleurs unies. On n’emploie jamais de papiers peints – d’ailleurs, ils se décolleraient sans doute à l’humidité.
32Dans les maisons traditionnelles, les cloisons qui séparent les pièces du rez-de-chaussée du couloir, sont en planches dressées côte à côte, et simplement maintenues en haut et en bas. On les peint généralement de deux couleurs, par exemple en brun-rouge jusqu’à 80 cm de hauteur, en bleu outremer au-dessus ; de même les portes.
33Le plafond est habituellement constitué par le plancher de l’étage ou du grenier et par les poutres qui le soutiennent.
34Il est difficile de donner une description comparable à ce qui précède pour les maisons modernes, car elles ne procèdent pas d’un modèle unique. On peut dire cependant que, dans l’ensemble, le couloir a été réduit à une simple entrée, de laquelle part directement l’escalier montant à l’étage ; le nombre des pièces du rez-de-chaussée est le plus souvent de quatre, ou de trois si cet étage comporte aussi salle d’eau et W-C. On aura noté que ces deux pièces étaient absolument inconnues dans les habitations antérieures à la dernière guerre, tandis qu’on les trouve dans toutes celles qui ont été construites depuis – soit au rez-de-chaussée, soit à l’étage. Naturellement, la finition intérieure est incomparablement meilleure que jadis : les normes de la construction ne diffèrent plus guère de ce qu’elles sont en ville.
L’intérieur
L’agencement traditionnel
35L’évolution de l’ameublement et de l’agencement des différentes pièces est partiellement liée à celle de l’aménagement intérieur des habitations, mais n’en dépend pas directement. Elle l’a au contraire souvent précédé.
36Les premières modifications à l’ameublement traditionnel semblent s’être fait sentir dès la fin du siècle dernier, et avoir concerné d’abord les chambres de l’étage, puis celle du rez-de-chaussée ; c’est la salle commune qui fut la dernière touchée. Le processus fut plus ou moins lent selon les familles ; chez certaines d’entre elles, des éléments modernes y apparurent dès après la première guerre mondiale, alors qu’ailleurs le mobilier traditionnel subsiste à peu près intégralement.
37L’agencement traditionnel de la salle commune obéissait à un schéma immuable, remontant au moins au XVIIIe siècle (Bernard, 1952, p. 164-5), et était valable aussi bien chez les paysans que dans la population non agricole.
La salle (ar gègin), orientée sensiblement d’est en ouest, ne comportait d’ouvertures sur l’extérieur qu’au sud (fig. XXXIX) ; la porte d’entrée, donnant dans le couloir, se trouvait à l’une des extrémités ; à l’opposé, le mur était occupé par une vaste cheminée ; parfois, une porte donnant sur l’écurie, s’ouvrait dans le coin entre la cheminée et le mur du sud. En entrant dans la salle, on trouvait tout d’abord un lit-clos (gwele kloz) disposé le long de la cloison du couloir, entre la porte et le mur du sud. Devant ce lit se trouvait un banc, qui servait à la fois de marche-pied pour entrer dans le lit et de siège pour s’asseoir à table. Celle-ci (an dol) était disposée parallèlement au lit-clos, dans le prolongement de la fenêtre. De l’autre côté de la table se trouvait un autre banc (bank drustilh), dont le dossier, montant jusqu’au plafond, formait cloison entre ce coin « salle à manger » et le coin « cuisine » de la salle.
Le réduit (ar stal) formé par le renfoncement de la cheminée et le drustilh était éclairé par une petite lucarne d’environ 40 cm de côté. Contre le dos du drustilh était appuyé un banc assez haut (bank skotachou) sur lequel on faisait habituellement la vaisselle ; au-dessus était accroché un petit vaisselier (ar veselier, an astejerenn vian) où étaient placés divers ustensiles courants. À côté, les casseroles, peu nombreuses, pendaient à des clous ; les chaudrons et faitouts étaient posés à terre, sous le banc. Parfois, il y avait aussi contre le mur, au-dessous de la lucarne, une sorte d’auge de pierre où on déversait les eaux sales, et qu’on vidait une fois par semaine, le samedi, à l’aide d’une casserole et de seaux, car elle ne possédait pas de bonde.
L’âtre (an oald) occupait la moitié du mur opposé à la porte d’entrée. Il était limité de part et d’autres par deux murs droits. Son sol, de grosses dalles, était surélevé d’une trentaine de centimètres au-dessus de celui de la salle ; une petite niche était pratiquée devant, dans laquelle on balayait les poussières de la salle, et où le chien de la maison pouvait aller se coucher au chaud. Une autre niche (fornigell) était pratiquée à la base du mur au fond de l’âtre. C’est là que l’on repoussait les cendres de la veille pour rallumer le feu du matin ; on la vidait chaque samedi. D’autres niches (toullou lakaad halen) pratiquées à mi-hauteur permettaient de garder au sec le sel, le poivre, les allumettes, bref tout ce dont on pouvait avoir besoin pour la cuisine. Plus haut, à l’intérieur même du conduit de la cheminée, étaient accrochés horizontalement les bâtons où l’on mettait les andouilles à fumer. Il n’y avait pas de crémaillère : la cuisine se faisait sur un trépied.
Deux bancs de bois (bankou korn an oald) étaient appuyés contre les murs du côté de l’âtre. C’était le lieu de prédilection des vieux qui venaient s’y chauffer pendant des heures. Deux planches découpées encadraient l’ouverture de l’âtre de part et d’autre, faisant de chacun de ces bancs une sorte de stalle. Au-dessus, le manteau de la cheminée était garni d’une étagère-vaisselier (mestar tal an tan).
Le mur du nord était occupé d’un bout à l’autre par une série de meubles accolés les uns aux autres. Il y avait d’abord un lit clos à une seule porte, qui se continuait dans le renfoncement de la cheminée. Les autres meubles variaient selon les familles, mais il y avait au moins une armoire (armel, arbel), parfois plusieurs, parfois aussi un buffet vaisselier (bufet) et une pendule (bandulenn). À la place de celle-ci, on pouvait trouver une armoire étroite (arbellez). Devant le ht clos, était disposée une petite table qu’on utilisait aussi comme marche-pied pour aller au lit. Devant les autres meubles courait un banc assez bas (bank kosté an ti, bank kosté an arbel) où les enfants aimaient à s’asseoir.
38Dans les autres pièces de la maison, le mobilier était constitué par des lits clos et des armoires, jadis aussi par des coffres. Dans l’ensemble, il était plus réduit, et sa disposition ne suivait pas un modèle régulier.
39La salle commune connaît une disposition presque identique à celle que je viens de décrire dans une grande partie de la Cornouaille, en pays Bigouden, par exemple. Pourtant, cette pièce possède dans tout le Cap un cachet très particulier, qui tient surtout de l’impression d’unité qui se dégage de l’ensemble.
40Celui-ci est pourtant le fruit d’une création progressive : les armoires du XVIIe siècle, dont quelques familles possèdent encore des exemplaires en excellent état, sont tout à fait différentes de celles qui sont apparues par la suite, et les plus anciens drustilh ne sont pas antérieurs à 1810, époque à laquelle ils remplacèrent les anciens bancs-dossiers à compartiments. C’est comme si, de tâtonnements en tâtonnements, on était parvenu à réaliser un ensemble si équilibré qu’on n’osa plus y apporter, pendant le siècle qui suivit, que des modifications de détail, conformes d’ailleurs à l’esprit général (comme par exemple, l’insertion, dans la série de meubles du fond, d’une pendule à la place d’une armoire étroite).
41Rarement, je crois, style d’ameublement local parvint à une telle réussite. Il faut y avoir vécu pour le sentir pleinement. Cette longue suite ininterrompue de meubles alignés contre le mur du fond, formant comme une façade unique, avec leurs bois patinés et leurs ferrures luisantes ; ce compartiment presque fermé, évoquant un peu une cabine de navire, où la table se serrait entre le lit-clos aux portes tirées et le drustilh finement ciselé ; tout cela donnait un sentiment d’équilibre, de chaleur et d’intimité.
42La disposition de cette salle révélait aussi une judicieuse utilisation de l’espace, dans un esprit somme toute assez moderne. La place était réduite, les familles étaient grandes ; la promiscuité paraissait inévitable ; un tel agencement de la salle commune l’évitait, en créant à l’intérieur d’une pièce unique une multiplicité d’espaces fonctionnels bien délimités.
43Au nord (fig. XL), c’était l’espace de rangement, réservé aux vêtements, au linge, à la vaisselle, aux petits ustensiles ménagers. Au sud (fig. XLI), la place était partagée entre un coin « salle à manger », et un autre, destiné aux petits travaux ménagers, préparation de la cuisine, vaisselle. La cheminée, qui servait à la cuisine des repas, devenait aussi, quand le soir venait ou bien les jours de pluie, le pôle sur lequel s’orientait l’espace laissé vide au centre de la pièce : les vieux s’installaient sur les bancs placés à l’intérieur de l’âtre, les adultes, assis sur des chaises devant la cheminée, ou tout simplement sur le rebord de la pierre, s’y livraient à de petits travaux ; et les enfants, assis dans la pénombre sur le bank kosté an ti, suivaient avec attention les gestes des grands et les récits des vieux. Quand venait l’heure de se coucher, on ouvrait les lits-clos, et chacun s’y retirait comme dans un petit chez soi. Il arrivait ainsi qu’il y eût sept personnes à dormir dans une seule pièce, sans que cela produisît jamais la moindre gêne ; les parents occupaient le lit-clos près de la table ; le berceau du plus petit des enfants était posé sur le banc auprès d’eux ou bien suspendu à l’intérieur ; une corde y était attachée et permettait de bercer l’enfant s’il se réveillait ; enfin près de la cheminée il y avait un lit clos à étage ; en bas, c’était la place des grands-parents, et en haut, deux autres enfants pouvaient dormir. Au matin, il suffisait de tirer les portes, et les lits étaient faits...
Le mobilier ancien
44Les lits-clos sont sans doute, dans le mobilier traditionnel breton, ce qui frappe le plus les esprits imaginatifs. Ces sortes de boîtes sans air où l’on s’enferme la nuit pour dormir comme dans un cercueil, comme cela va bien à ce peuple qu’on représente volontiers comme mélancolique et obsédé de pensées funèbres ! En fait, si c’est en Bretagne que ces meubles ont été utilisés le plus longtemps, ils ne lui sont pas particuliers, et on en trouvait jadis dans plusieurs autres provinces. On aurait d’ailleurs tort de croire qu’il soit pénible d’y dormir : je parle en connaissance de cause, l’ayant fait plus d’un an pendant mon séjour à Goulien. Car, contrairement aux apparences, un lit-clos n’a rien d’une boîte hermétique.
45Qu’est-ce donc qu’un lit-clos ? Essentiellement, un panneau de bois muni de portes coulissantes qui, placé devant le lit proprement dit, permet de s’y trouver à l’abri des regards. Si le lit est placé dans un coin, un panneau de bois ordinaire lui sera adjoint pour dissimuler l’extrémité opposée au mur ; mais si, comme dans le cas du lit-clos situé près de la cheminée, il est contigu à un autre meuble, la façade suffira. Et celle-ci ne touche ni le sol, car elle est montée sur des pieds d’une cinquantaine de centimètres, ni le plafond, car elle ne mesure guère plus de 1,30 à 1,40 m de haut sur 1,80 à 1,90 m de long. Comme le lit-clos n’est pas fermé en haut, et qu’on ne tirait habituellement les portes que pour se coucher, pour les rouvrir au moment de dormir on n’y était nullement privé d’air.
46Quant au lit proprement dit, il était extrêmement rudimentaire : de petits rondins non équarris, fixés d’une part à la façade du lit-clos, d’autre part à la cloison de la pièce, ou bien appuyés sur d’autres rondins un peu plus gros en guise de pieds, en constituaient les traverses (fig. XLII) ; par-dessus, on étalait une couche de branches vertes de genêts, puis une bonne épaisseur de paille fraîche. Enfin, on plaçait là-dessus un matelas de balle d’avoine, et le reste de la literie. Dans certaines familles pauvres, celle-ci était d’ailleurs réduite : elle se limitait à une sorte d’édredon rempli de feuilles de châtaigniers. Mais habituellement, elle se composait de draps de chanvre, d’un traversin, et de couvertures.
47Le drustilhi est certainement le meuble le plus caractéristique du Cap. Ce dérivé du banc-dossier, à la fois pratique et esthétique paraît être une création purement locale. Il comporte tout d’abord un banc, qui fait parfois aussi fonction de coffre ; puis un dossier s’élevant jusqu’à environ deux mètres de haut, et ayant la longueur même du banc, soit environ 1,80 m. La moitié inférieure du dossier est constituée par trois, parfois par quatre panneaux unis ; à la partie supérieure deux portes moulurées, dont l’une est presque toujours factice, l’autre donnant accès à une petite armoire, encadrent une petite niche où est placée habituellement une statuette de la Vierge. La surface entourant portes et niche est finement sculptée de rosaces, et de motifs végétaux, floraux et religieux (croix, ostensoirs), et parfois, dans les exemplaires les plus récents, parsemée de clous de cuivre. La date de fabrication est presque toujours gravée au-dessus de la niche : elle varie généralement entre 1830 et 1860 ; je n’en ai jamais vu d’antérieure à 1810, ni de postérieure à 1910.
48La table placée entre le drustilh et le lit-clos était autrefois une table coulante, servant à resserrer beurre, œufs et pain, parfois même une table pétrin. Mais par la suite, on n’eut à cette place qu’une table ordinaire, assez basse d’ailleurs, tandis que les bancs étaient hauts, ce qui obligeait à manger penché en avant.
49Le reste du mobilier n’avait pas de caractéristiques bien remarquables, à part la grande profondeur des armoires et buffets (environ 65 cm) la courbe donnée aux moulures des portes, la même que pour les portes du drustilh, et qu’on retrouvait encore dans les découpures du bank kosté an arbel ; et l’usage de nombreuses ferrures de cuivre gravées, et de clous de cuivre disposés en rosaces et en croix, surtout dans les meubles les plus récents.
50Pour décorer la pièce, à part les rideaux aux fenêtres et à l’intérieur des portes des lits-clos, il n’y avait guère que des chromos aux couleurs tendres représentant des sujets religieux ou des vaisseaux de guerre. Les assiettes et bols qui se trouvaient dans les vaisseliers avaient aussi surtout un rôle décoratif de même que les bols qu’on alignait sur les meubles du fond : il s’agissait le plus souvent de bols cassés, dont seul était visible le côté intact.
L’évolution récente
51Déjà à la fin du XIXe siècle, il semble que les chambres situées à l’étage n’aient plus seulement été meublées de lits-clos, mais aussi de lits de côté (gwele kannab). Ceux-ci remplacèrent progressivement ceux-là, d’abord dans ces chambres, puis dans celle du bas, enfin, à partir des années 1920, dans la salle commune. Cela se fit plus ou moins rapidement, car les vieux se montraient réticents devant cette dernière transformation, et la suppression du dernier lit-clos ne se fit souvent qu’après la mort du grand-père, de la grand-mère ou de la vieille tante qui y dormait habituellement : ce processus s’est prolongé jusqu’aux années 60.
52Dans les maisons de ferme, le lit-clos placé près de la porte d’entrée fut parfois simplement transformé en armoire ; ou, pour être plus précis, on réutilisa sa façade pour en faire la devanture d’une armoire, naturellement moins profonde que le lit primitif, mais qui en garda l’emplacement. D’autres mirent à la place un buffet « moderne ». Quant au lit-clos qui se trouvait près de la cheminée, son emplacement resta vide, à moins qu’on y mît une armoire supplémentaire.
53Dans les penn ti dépourvus d’étage, et où la chambre du rez-de-chaussée ne suffisait pas à coucher tout le monde, les lits-clos supprimés furent remplacés par des lits de côté ordinaires. La salle commune perdait ainsi son ancien cachet et les avantages de son agencement traditionnel. Elle semblait être devenue à la fois plus petite et surpeuplée. Mais cette transformation qui, objectivement, était une régression, était sentie comme un progrès : le lit-clos était en effet le symbole du passé et de l’emprise de la tradition, et le lit ouvert, celui de l’avenir et de l’ouverture à l’évolution.
54Vers les années 1920-1930, apparut un nouveau mobilier : la chambre à coucher avec armoire à glace, souvent offerte aux nouveaux ménages à l’occasion de leur mariage. Dans certaines familles, on fit aussi l’acquisition de salles à manger, mobilier d’apparat appelé à ne servir qu’aux grandes occasions.
55Entre temps, la salle commune continuait de se transformer.
56On commença à fermer une partie de l’âtre avec des panneaux de bois mobiles pour laisser juste la place à la cuisinière nouvellement acquise ; ou bien, on la ferma complètement, la cuisinière étant placée dans le renfoncement de la cheminée (ar stal). Quant au drustilh, on n’en fabriquait plus depuis 1910 ; dans certaines maisons, on en coupa la partie supérieure, le réduisant à n’être plus qu’un vulgaire banc-dossier ; ou bien, on l’enleva complètement.
57C’est surtout après la guerre que ces changements eurent lieu, surtout entre 1948 et 1950, puis à nouveau à partir de 1960. Dans beaucoup de maisons, l’âtre fut alors définitivement supprimé, soit qu’on le transformât en placards, soit qu’on fît disparaître les murs latéraux, tout en conservant la hotte, sous laquelle on groupait les appareils ménagers, soit qu’on enlevât même cette dernière.
58Chez certains, on a conservé le drustilh, derrière lequel se trouvèrent naturellement placés évier et paillasses. Chez d’autres, on a séparé la salle en deux pièces plus petites au moyen d’une cloison dans laquelle, souvent, le drustilh reste incorporé. Ailleurs, on l’a enlevé, mais la disposition des meubles reste la même qu’autrefois, avec la table perpendiculaire à la fenêtre et les bancs de part et d’autre. Autre part, la disposition même du mobilier est nouvelle, et aucune pièce du mobilier ancien ne subsiste plus. Quant aux cuisines des maisons neuves, elles n’ont évidemment plus rien à voir avec les salles communes de jadis.
59Autant, il y a cinquante ans, les intérieurs pouvaient se ressembler d’une maison à l’autre, autant, aujourd’hui, les formules sont diverses. Certes, on pourrait peut-être, dans une étude plus approfondie, établir qu’il n’existe en fait qu’un nombre limité de types nouveaux d’aménagements et que beaucoup d’entre eux sont caractéristiques de la région. Mais quoi qu’il en soit, il est certain que dans ce domaine l’influence prédominante n’est plus celle de la tradition, mais bien celle de la mode.
60À cet égard, l’évolution de la salle commune paraît extrêmement représentative des divers changements qui se sont produits dans le Cap depuis le début du siècle.
Équipement et travaux domestiques
La situation ancienne
61Avant 1914, l’équipement domestique était extrêmement réduit. Pour la cuisine, on disposait exclusivement de l’âtre. C’était en même temps la seule source de chauffage de la maison. Non que la chaleur qui en émanait eût été suffisante pour chauffer toute la maison : c’est tout juste si la cuisine était un peu moins froide que les autres pièces.
62Le froid est un problème qui n’a jamais beaucoup préoccupé les habitants de Coulien. Certes, le climat du Cap est doux ; mais le vent est vif et l’air est humide. Les vieilles maisons sont pleines de courants d’air et, de toutes façons, on laisse les portes, et parfois les fenêtres, constamment ouvertes. Pour un citadin, même une fois l’hiver passé, elles seraient glaciales. Mais à Goulien, on est habitué depuis toujours à cette situation. Seuls, les vieux en souffrent parfois. C’est pourquoi ils passaient jadis une bonne partie de leur temps assis à l’intérieur même des cheminées, entretenant le feu sous le chaudron où cuisait, soit la soupe, soit les pommes de terre pour les cochons. La nuit, ils mettaient dans leur lit, en guise de bouillotte, une bouteille d’eau chaude enveloppée d’un chiffon. Car les chambres n’étaient jamais chauffées non plus, pas plus qu’elles ne le sont encore aujourd’hui.
63La principale source d’éclairage était encore la lueur du foyer. On lui adjoignait quelques chandelles (goulou bre) qu’on utilisait aussi pour aller traire le soir à l’étable : on les faisait soi-même, avec des mèches de fil de chanvre qu’on entourait de résine achetée chez les commerçants du Bourg.
64Pour se procurer l’eau nécessaire à la cuisine et aux travaux ménagers, les puits étaient nombreux. La plupart des maisons avaient le leur. On y puisait à l’aide d’un seau de bois accroché à une longue corde, à la seule force des poignets. Mais certains puits disposaient de poulies de bois, ou de rouleaux de bois ayant le même usage, et qui facilitaient la manœuvre. Quelques-uns, qui se trouvaient tout contre le mur extérieur de la cuisine, étaient équipés de gouttières de pierre par où l’eau qu’on y déversait s’écoulait à l’intérieur, où elle était recueillie dans un seau.
65Pour ceux qui ne possédaient pas de puits, il y avait toujours une fontaine dans le village à peu de distance de chez eux.
66Pour l’évacuation des eaux usées, en revanche, rien n’était prévu. Il est vrai que les eaux grasses étaient données tous les jours aux cochons. Mais pour le reste des eaux sales, il n’y avait d’autre possibilité que de sortir les jeter, soit sur le fumier, soit tout simplement à quelque distance de la maison. Seules quelques fermes possédaient dans la cuisine une auge de pierre où on les déversait au fur et à mesure, de façon à n’avoir à les vider qu’une fois par semaine. Avantage plutôt contestable. À plus forte raison n’existait-il nulle part aucun évier, si rudimentaire fût-il.
67Quant aux latrines, c’était une chose absolument inconnue. Les étables et les porcheries en tenaient lieu. Ceux qui n’en possédaient pas devaient se contenter de l’abri d’un talus.
68Pour la lessive, il existait de nombreux lavoirs auprès de chaque village. La grosse lessive ne se faisait d’ailleurs dans les fermes que deux fois par an. On disposait pour cela de grands cuveaux de pierre, appelés bib koue, d’un diamètre intérieur d’environ 1 m, pour une hauteur équivalente. Ces cuveaux étaient installés à demeure dans un coin du fournil ou de la grange, qui possédait dans ce cas une vaste cheminée. Le linge y était soigneusement empilé, recouvert de cendre de bois à laquelle on avait mêlé des feuilles de laurier pour lui donner un bon parfum. Quand l’eau que l’on faisait chauffer dans la cheminée était à point, on la versait sur la lessive. Parvenue au fond, elle s’écoulait par une bonde, d’où on la recueillait pour la remettre sur le feu. « Naou klouadenn, naou tommadenn, naou birvadenn », disaient les vieux, ce qui pourrait se traduire par « neuf tiédissages, neuf échaudages, neuf ébouillantages », c’est ainsi qu’on faisait une bonne lessive : en versant vingt-sept fois de suite dans le cuveau de l’eau de plus en plus chaude. On imagine facilement quel travail cela représentait, et, incidemment, combien il fallait posséder de linge pour pouvoir attendre six mois de le laver.
69Les autres travaux ménagers, il est vrai, étaient assez réduits. Ce n’est pas à la cuisine qu’on consacrait beaucoup de temps. Quant au ménage, il consistait à laver le sol à grande eau une fois par semaine et à astiquer les meubles une fois de temps en temps. Les femmes n’y perdaient donc pas beaucoup de temps. Mais les commodités domestiques restaient plutôt sommaires.
70Dans ce domaine, encore, la guerre de 1914 marque un tournant : c’est aussitôt après que les ménages commencèrent à s’équiper de façon plus moderne.
L’évolution
71Le premier changement qui se produisit dans l’équipement domestique concernait l’éclairage. Déjà, un peu avant la guerre, on avait commencé de voir apparaître quelques lampes Pigeon. Elles se multiplièrent par la suite, ainsi que les lampes à pétrole en verre, et remplacèrent très rapidement les anciennes bougies.
72Ensuite, vinrent les cuisinières en fonte, à charbon ou à bois. Leur introduction fut plus lente, puisque certaines maisons n’en possédèrent jamais. Mais, entre le début des années 20 et la fin des années 30, la plupart d’entre elles en furent équipées.
73À cette même époque, beaucoup de paysans remplacèrent le seau et la corde de leur puits par une pompe à main, dont, semble-t-il, il existait déjà quelques exemplaires dès avant la guerre. Beaucoup plus rares furent ceux qui installèrent chez eux, soit un évier de pierre, soit plus simplement un trou au pied du mur de leur cuisine pour l’évacuation des eaux usées : guère plus d’une demi-douzaine.
74Peu avant la dernière guerre, enfin, on vit apparaître quelques cuisinières à gaz butane. Mais pendant l’occupation l’approvisionnement en gaz devint impossible, et il fallut renoncer à les utiliser.
75Jusqu’à 1939, donc, l’équipement avait été assez lent. L’électrification l’aurait sans nul doute accéléré. Mais, ajournée à plusieurs reprises depuis 1920 par le Conseil Municipal, décidée en 1933, par l’adhésion de Goulien au Syndicat Intercommunal, elle n’avait été commencée qu’en 1938. La déclaration de guerre interrompit sa réalisation. Seuls, à cette date, le Bourg et le Croazhent avaient l’électricité. À Méné Bian, à Leslannou, à Poulloui, à Mesmeur, l’installation était presque terminée. Mais ces villages devaient attendre : Méné Bian, 1941, les autres 1945 pour recevoir le courant.
76Ce ne fut pas avant 1954 que les travaux reprirent. Cette année-là, on électrifia Kerrest, et toute la partie occidentale de la commune. La tranche suivante, en 1956, concerna le Nord-Est. De 1957 à 1959, les travaux se portèrent sur toute la partie sud-est de Goulien. Le tour du Nord-Ouest ne vint qu’en 1960. Entre temps, quelques villages frontaliers avaient été branchés sur les réseaux de communes voisines : le Moulin de Kergonvan, dès 1941, à celui de Primelin, Bréhonnet, Meilh Vrotel, Bréharadec et Kervoenn à celui d’Esquibien, les deux premiers en 1951, les autres en 1955 (carte 9).
77La venue de l’électricité eut comme premier effet de reléguer au grenier les anciens moyens d’éclairage : tant les vieilles lampes à pétrole, que les lampes à acétylène qui s’étaient répandues pendant la guerre, et les lampes Primus qu’on avait vu apparaître ensuite. Presque tout le monde remplaça le vieux fer à repasser à charbon de bois par un fer électrique. Deux familles du Bourg avaient acquis des cuisinières électriques dès 1939. Quelques autres suivirent leur exemple au fur et à mesure de l’électrification. Puis, à partir des années 50, deux petits appareils commencèrent à être en faveur : le moulin à café et le rasoir électriques.
78À côté de ces appareils qui constituaient la version moderne d’objets anciens, il y en avait d’autres absolument nouveaux : au premier rang d’entre eux, le poste de TSF qui fut presque toujours la première acquisition qui suivit l’électrification. Et d’autres, qui ne se répandent encore que très lentement : aspirateur, réfrigérateur, batteur-mixeur... Depuis 1961, enfin, date de l’installation d’un relais de Télévision sur les Monts d’Arrée, l’installation de postes de TV s’effectue à un rythme assez rapide, plus rapide en tout cas que pour la plupart des autres appareils électriques.
79L’électrification permettait enfin l’installation de pompes électriques, grâce auxquelles on allait pouvoir disposer de l’eau sous pression. On n’avait pu en effet mettre sur pied de programme communal d’adduction d’eau. En 1958, un syndicat intercommunal intéressant toutes les communes du Cap avait été créé, mais la municipalité refusa d’y adhérer. Goulien, en effet, n’aurait pu être desservie que dans la quatrième tranche des travaux, c’est-à-dire vers 1968/1970... Il est probable qu’à cette époque, tous ceux qui en auraient les moyens auraient déjà une installation individuelle. Quant aux autres, ils se contentent de peu d’eau, et il n’’était pas certain qu’ils voudraient se raccorder au réseau. Et en attendant, il aurait fallu que la commune, déjà endettée, participât au financement des travaux.
80Il est vrai que pour une région d’habitat dispersé, l’approvisionnement en eau des villages est une question difficile à résoudre dans le cadre d’une entreprise intercommunale. Le cas est différent pour les communes du Sud du Cap, qui possèdent des bourgs importants, et dont une grande partie des maisons se groupent tout le long de la grand’route. Dans une commune comme Goulien, des installations individuelles ou, comme on commençait d’en envisager la réalisation dans les derniers temps de mon séjour, des installations intéressant un village ou un groupe de villages, sont peut-être la meilleure solution.
81L’installation de l’eau sur évier, dernier progrès en la matière, ne remonte guère au-delà de 1950. Elle a coïncidé habituellement avec une transformation complète de la cuisine et de son équipement, et a parfois, mais rarement, été accompagnée par l’aménagement d’une salle d’eau et de W-C. modernes. L’acquisition de machines à laver, qui a commencé à la même époque, n’a pas toujours été liée à l’installation de l’eau courante. Certaines familles en utilisent, qui n’ont l’eau qu’à la pompe.
82Dernier échelon à ce jour de l’évolution de l’équipement domestique : l’acquisition d’appareils de chauffage. On ne se contente plus toujours d’avoir une cuisine plus ou moins bien chauffée : on utilise de plus en plus de petits radiateurs mobiles dans les chambres, ou à défaut, des couvertures chauffantes. Mais les poêles à mazout sont encore une rareté, et à plus forte raison le chauffage central, dont une seule maison a été équipée, en 1961. L’hiver rigoureux de 1961/1962 a beaucoup contribué à accélérer le mouvement.
83Cette évolution dont je viens de tracer les grandes lignes ne s’est pas faite de façon uniforme, ni à la même vitesse dans toutes les familles. Aussi nous trouvons-nous aujourd’hui en présence d’une diversité de situation dont nous allons maintenant voir le détail.
La situation actuelle3
L’équipement de la cuisine
84Dans la maison que j’ai habitée à Goulien en 1963/1964, la cuisine était restée entièrement semblable à ce qu’elle était au XIXe siècle, exception faite d’une cuisinière à bois d’un vieux modèle qui avait trouvé place devant l’âtre et d’une faible ampoule électrique accrochée aux solives noircies par la fumée. Au même moment, il y avait dans la commune des cuisines étincelantes de chrome et d’émail, pourvues de cuisinières à gaz et électriques pour la cuisine, de poêles à charbon ou à bois pour le chauffage, de réfrigérateurs, de machines à laver, d’éviers avec eau courante et chauffe-eau. Entre ces deux cas limites, on trouvait toute la gamme des possibilités.
85En fait, il n’y a guère de familles qui n’utilisent qu’un seul moyen de cuisson : la plupart des 133 familles (80 % des familles de Goulien) pour lesquelles j’ai pu obtenir des informations à ce sujet, en ont deux, parfois trois, combinés de toutes les façons possibles. On remarquera cependant quelques différences entre l’équipement des familles d’agriculteurs purs et celui de membres de professions non agricoles ou non exclusivement agricoles.
86Dans 3/4 de ces dernières, on emploie conjointement une cuisinière à bois ou charbon et une cuisinière ou un réchaud à gaz butane. Cette combinaison ne se retrouve que chez la moitié des agriculteurs, dont en revanche, un cinquième a gardé en plus l’usage de l’âtre, contre 8 % de non-agriculteurs.
87Si l’on fait le total des moyens utilisés, on notera que plus du tiers des agriculteurs continuent d’utiliser l’âtre. Mais cette utilisation est intermittente : elle est réservée surtout à la préparation des crêpes, parfois à la cuisson des pommes de terre ou de la soupe. Les agriculteurs chez qui l’âtre a été supprimé ou ceux qui ne veulent pas y allumer de feu, utilisent souvent le foyer de la cuisine des bêtes dans ce même but. On ne cuisine exclusivement sur l’âtre que dans une seule famille d’agriculteurs et dans une seule famille non agricole. L’âtre est beaucoup moins utilisé par les non-agriculteurs, mais on le trouve encore chez plus d’1/7e d’entre eux. En revanche, on trouve proportionnellement plus de cuisinières électriques chez les agriculteurs.
88La cuisinière ou le réchaud à gaz butane et la cuisinière à charbon ou à bois se trouvent en nombre sensiblement égal partout, cette dernière étant toutefois un peu moins représentée chez les agriculteurs.
Le chauffage
89La question du chauffage est étroitement liée à la question précédente ; car, aujourd’hui encore, 65 % des agriculteurs et 47 % du reste de la population n’ont d’autres moyens de chauffage que ceux qui leur servent à la cuisson des aliments : âtre, cuisinière à bois ou à charbon, ou l’un et l’autre. C’est-à-dire que, comme autrefois, la cuisine seule est chauffée. Encore, chez les agriculteurs, ce chauffage est-il bien théorique, car il est rare que le feu brûle en permanence, encore plus rare que la porte de la cuisine soit fermée ; les vieux, s’ils veulent se tenir au chaud, n’ont d’autre ressource que d’aller auprès du feu de la cuisine des bêtes. Chez les autres, la situation est toute différente. Contrairement aux paysannes, les femmes d’artisans, d’ouvriers ou de marins passent tout leur temps à la maison, aussi, l’hiver, leurs cuisines sont-elles bien calfeutrées et y règne-t-il ordinairement une température agréable.
90Même s’il existe d’autres moyens de chauffage dans la cuisine, l’âtre et surtout la cuisinière restent la principale source de chaleur. Le nombre de maisons échappant à cette règle est insignifiant, 3 ou 4 % seulement.
91Dans ces dernières, ou bien il existe un système de chauffage central (un cas), ou bien le moyen de chauffage principal est un poêle à mazout (un cas), ou bien les seuls moyens de chauffage sont des appareils d’appoint.
92Là où il existe un moyen de chauffage secondaire pour les chambres, il ne fonctionne souvent que quelques dizaines de minutes par jour, principalement au moment du coucher.
L’eau
93L’évolution des méthodes d’approvisionnement en eau a été l’une des plus lentes de celles qui se sont produites dans le domaine de l’équipement domestique. Encore aujourd’hui, dans un tiers des familles d’agriculteurs, et chez la moitié des familles non agricoles, on ne se procure pas l’eau dont on a besoin autrement qu’en allant remplir son seau à la fontaine, au puits, ou chez un voisin. Dans ce domaine, ce sont les agriculteurs qui sont le mieux équipés, puisque plus d’un tiers d’entre eux possèdent une pompe à main, et que près d’un tiers ont l’eau courante, contre respectivement seulement un quart et un cinquième chez les non-agriculteurs.
94En ce qui concerne les systèmes d’évacuation des eaux usées, on ne note aucune différence entre les différentes catégories sociales : il y a encore 55 % des familles qui ne disposent pas d’évier. Deux isolés possèdent des éviers sans évacuation vers l’extérieur : l’eau s’écoule dans un seau placé au-dessous, qu’on va vider dehors périodiquement ; les autres vont jeter leurs eaux sales devant leur porte au fur et à mesure.
95En fait, cette situation, qui paraîtrait si malcommode à beaucoup de citadins, n’est nullement ressentie comme une gêne par les gens de Goulien. La nécessité d’un évier ne leur est nullement sensible, et beaucoup, parmi ceux qui s’en sont fait installer un ont obéi plus à des considérations de prestige qu’a un véritable besoin. Chez certains, même, il ne sert guère à autre chose qu’à poser la cuvette qui, remplie au robinet, sera ensuite vidée dans la cour, comme autrefois...
96Les installations sanitaires laissent encore plus à désirer, surtout chez les agriculteurs, qui, cette fois, sont les moins bien dotés, puisque 69 % d’entre eux ne disposent pas de latrines, même sommaires, contre 37 % des membres des professions non agricoles : la plupart de ces derniers n’ayant pas d’étable, et une bonne partie habitant au Bourg, ils ont été, plus que les agriculteurs, obligés de chercher un certain isolement : 50 % d’entre eux ont aménagé une cabane dans leur jardin, contre seulement 20 % des agriculteurs. Quant aux véritables W-C., on n’en trouve que chez 10 % des agriculteurs et 12 % des non-agriculteurs. Même parmi ceux qui possèdent l’eau courante, la moitié n’en ont pas.
97L’existence d’une salle d’eau, même réduite à un simple cabinet de toilette, est encore plus exceptionnelle. Si 12 % des familles non agricoles en possèdent, on n’en trouve que chez 6 % des agriculteurs – le quart seulement de ceux qui ont l’eau courante.
98Il est un domaine, cependant, où les agriculteurs font actuellement un effort d’équipement ; c’est dans l’acquisition de machines à laver, qui se trouvent chez 21 %, d’entre eux, dont certains n’ont pas l’eau courante. Peut-être cette évolution provient-elle du fait que les cultivatrices ont plus de lessive à faire et moins de temps à y consacrer. La machine à laver leur permet de perdre moins de temps à se rendre au lavoir, où les conditions sont assez incommodes, surtout par mauvais temps.
L’appareillage électrique
99On pourrait penser que, l’électrification s’étant étendue sur plus de vingt ans, les familles qui en ont bénéficié les premières sont mieux équipées que les autres. L’inventaire des appareils électriques réalisé dans 125 familles nous montre qu’il n’en est rien. Ici encore, les différences qu’on peut observer entre les familles sont liées aux différences socioprofessionnelles. C’est ainsi qu’on trouve chez les agriculteurs proportionnellement plus de fers électriques, de postes de radio, de moulins à café, de rasoirs, de pompes, de cuisinières électriques que dans les familles non agricoles ; et chez celles-ci, plus d’appareils de télévision, de réfrigérateurs et d’aspirateurs que chez les agriculteurs, tandis que la proportion de radiateurs électriques et de batteurs est sensiblement la même partout. Mais ces différences sont tout compte fait assez minimes ; elles affectent à peine le classement de ces différents objets selon l’ordre d’importance de leur utilisation.
100En premier lieu vient le fer à repasser, suivi de peu par le poste de radio (qui a presque toujours été le premier objet acheté après l’électrification), et par le moulin à café. Le rasoir électrique, aussi, est encore assez fréquent. Ensuite tiennent pompe électrique, radiateur, batteur, réfrigérateur et aspirateur. Deux objets seulement affectent une position différente dans la liste selon qu’il s’agit de familles agricoles ou non : la cuisinière électrique, en septième position chez les agriculteurs, en dernière chez les non-agriculteurs ; et la télévision, en huitième position chez ces derniers, en dixième chez les agriculteurs.
101Il existe encore quelques personnes qui n’ont pas voulu faire les frais de l’installation de l’électricité chez elles. Il s’agit surtout de vieilles personnes qui ne sont pas propriétaires de la maison où ils habitent. Une seule exception : celle d’un petit artisan, qui n’a pas donné les raisons de son abstention.
Signification des différences
102Il ressort de tout ce qui précède que les processus d’équipement diffèrent sensiblement chez ceux qui vivent exclusivement de revenus agricoles et chez les autres. Ces derniers orientent leurs efforts surtout dans le sens d’un plus grand confort intérieur et cherchent à rapprocher leur mode de vie de celui des citadins. Les agriculteurs paraissent moins portés vers des changements dont l’efficacité ne leur apparaît pas immédiatement. Leur préférence va surtout aux innovations qui occasionnent un gain de temps dans les travaux ménagers : eau courante, machines à laver, fers, moulins à café et rasoirs électriques... Ils sont plus réfractaires à celles qui correspondent à des besoins nouveaux : radiateurs, W-C., salles d’eau, réfrigérateurs, aspirateurs. Un élément vient renforcer cette réticence : l’étroitesse de leur budget et de leurs réserves financières, qu’ils préfèrent utiliser à l’achat de matériel plus rentable pour leur exploitation. L’équipement domestique ne vient qu’en dernier lieu, après que l’équipement agricole a été suffisamment complété. Les salariés et les commerçants ne connaissent pas ces problèmes d’investissement, et c’est pourquoi le moindre manœuvre est souvent aussi bien ou même mieux équipé que les agriculteurs les plus aisés.
L’alimentation
Caractéristiques générales
103Les habitants de Goulien font traditionnellement quatre repas par jour. Le déjeuner du matin (dijuni) est pris, chez les paysans, environ une heure après le lever, une fois terminée la traite des vaches ; chez les autres, aussitôt après le lever. Le dîner (mern) est pris à midi dans les familles non agricoles ; les paysans, qui ont gardé le rythme des anciennes heures solaires le prennent plutôt à une heure. Ensuite vient la collation (mern vian) située généralement autour de quatre heures. Puis, le souper (koan), qui suit la journée de travail.
104L’une des premières caractéristiques de l’alimentation à Goulien, c’est sa frugalité, surtout visible chez les paysans. Cette frugalité était sans doute un peu forcée jadis, car on n’était pas très riche. C’est pourquoi les repas de fête se devaient d’être très copieux et d’offrir en surabondance les aliments qu’on ne pouvait consommer en temps ordinaire qu’en petite quantité, la viande par exemple. Mais même aujourd’hui, on a gardé dans les familles des habitudes de sobriété étonnantes : on se partage un poisson à quatre ; on soupe de thé et de tartines ; invité, on laisse intacte la moitié du plat... Et cela n’a rien à voir avec l’importance du revenu. Inversement, pour qu’un repas de noces soit jugé favorablement, il faut que les invités se soient servis deux fois, et qu’il y ait cependant des restes en abondance.
105Dans ces conditions, il n’est pas bien étonnant qu’on ne soit pas très porté sur les plaisirs de la table. « Gastronomie » est un terme incompréhensible dans le Cap, où l’on confond « bien manger » avec « manger beaucoup » ou « manger cher ». Aussi, la cuisine locale, même si elle a beaucoup évolué depuis le début du siècle, reste étonnamment traditionaliste. Les innovations et la « cuisine cuisinée » laissent les Capistes insensibles.
106On apprend aux jeunes filles qui suivent des cours d’enseignement ménager dans les écoles de la région, des recettes quelles n’utiliseront jamais, pas plus qu’elles ne mettront à profit les leçons, quelles auront pourtant scrupuleusement apprises par cœur, qu’on leur fait sur la composition rationnelle des menus.
107Une jeune fille des environs, dont une partie de la famille était originaire du Sud-Ouest de la France et qui avait suivi de tels cours de cuisine, ce qui lui avait valu un prix dans un concours départemental, avait voulu après son mariage faire bénéficier son époux de sa science culinaire toute fraîche. Celui-ci ne lui en sut aucun gré, et ne fut pleinement satisfait qu’à partir du jour où elle consentit à lui servir tous les jours des pommes de terre en robe des champs. Car dans le Cap, aucune innovation culinaire ne saurait prendre si les hommes n’y sont pas favorables.
Les régimes alimentaires
Les menus traditionnels
108Avant 1914, les menus étaient à peu près invariablement les suivants durant toute la semaine :
109Déjeuner
soupe de légumes (avec du lard chez les plus riches),
« pain-beurre »4 (plus anciennement pain et saindoux).
Dîner
pommes de terre en robe des champs et lait caillé,
ou pommes de terre en robe des champs et lard,
ou pommes de terre en robe des champs et poisson (dans les villages de la côte),
pain-beurre ;
ou bien :
bouillie de céréales,
ou crêpes.
110Collation
pain et lard ;
ou bien :
pommes de terre en robe des champs,
pain-beurre.
111Souper
bouillie de céréales,
ou soupe de légumes,
ou crêpes (le samedi),
ou galettes (le mardi, avec le reste de pâte du samedi).
112Le dimanche et les jours de fête, le dîner était plus soigné et comportait :
soupe de légumes, avec lard, ou plus rarement avec viande de bœuf, | |
viande et légumes de la soupe, | |
pommes de terre en robe des champs cuites dans la soupe ; | |
« rata » (ragoût de porc) ; | |
ou | ragoût de lapin, |
ou parfois | poulet rôti au four, |
ou plus rarement | porc rôti au four (tête de porc le 1er janvier), |
farz bleud (sorte de flanc à la farine) cuit dans la soupe. |
113Le menu des repas de mariage était une variante, un peu plus riche, du menu précédent. Il se caractérisait par une surabondance de viande, grâce à laquelle les convives étaient convaincus de participer à un véritable festin. En voici un exemple typique :
114Soupe de légumes avec viande de bœuf,
—
Viande de la soupe accommodée en bœuf mode,
—
Pâté de bœuf aux pruneaux, cuit au four,
—
Rôti de bœuf et rôti de porc, cuits au four,
—
Pommes de terre cuites au four,
—
Farz bleud,
—
Gâteaux secs.
115En temps ordinaire, la boisson consistait simplement en eau claire ou en lait écrémé, on buvait aussi parfois une sorte de piquette fabriquée en versant de l’eau sur des pommes écrasées et en laissant fermenter le tout quelques jours. On ne buvait du vin qu’aux grandes occasions, principalement aux noces, mais alors c’était par fûts entiers. De même pour le café, que presque personne ne savait préparer, et qu’on achetait tout prêt, en litres, chez les commerçants du Bourg. L’alcool, sous forme de rhum ou d’eau-de-vie de basse qualité fabriquée à Cognac, et baptisée pompeusement « cognac » pour cette raison, se buvait à peu près exclusivement dans les débits de boissons, sauf justement à l’occasion des repas de noces, où il s’en faisait aussi une grande consommation.
116Le régime alimentaire traditionnel était donc caractérisé par une certaine sobriété habituelle – celle-ci s’accroissant encore pendant le carême, où non seulement la viande était supprimée, mais où l’on réduisait encore les légumes de la soupe aux seuls panais –, et par une monotonie journalière, interrompue de temps en temps par des journées d’une intempérance somme toute assez limitée.
Fondements de l’alimentation traditionnelle
117Ainsi qu’il ressort des menus qui ont été donnés précédemment, l’alimentation des gens de Goulien reposait jadis sur deux éléments de base : les céréales et les féculents.
118Les céréales comprenaient le millet (déjà en voie de disparition dès la fin du siècle dernier), le sarrasin, le seigle, l’avoine, l’orge, et le froment. Ils étaient consommés sous forme de bouillies (millet, avoine, froment), de crêpes ou de galettes (sarrasin, seigle, froment), de farz (froment), et de pain (seigle, orge et froment, mêlés dans des proportions variables).
119Les féculents se réduisaient jusqu’à la fin du XVIIIe siècle aux fèves et à un peu de pois. Après son apparition, la pomme de terre les a rapidement réduits à un rôle résiduel.
120Les aliments d’appoint habituels comprenaient :
des légumes : choux, poireaux, carottes, rutabagas, navets, panais, en petite quantité et exclusivement utilisés pour la soupe ;
de la viande de porc salée ;
des graisses animales : saindoux, et beurre, celui-ci tendant à remplacer celui-là dans les familles aisées ;
du lait, soit comme boisson (il était alors écrémé), soit pour la préparation des crêpes et du farz ;
des œufs, surtout dans les crêpes et le farz.
121Les viandes non salées intervenaient seulement comme aliments d’appoint exceptionnels.
122La consommation de fruits était infime. Il y avait quelques pommiers, mais les pommes n’étaient pas consommées au cours des repas. Les seuls autres fruits connus étaient les pruneaux séchés, mêlés en petite quantité à certains plats de fête.
123Assez curieusement pour un pays maritime, le poisson frais ne paraissait pas entrer de façon habituelle dans l’alimentation, ailleurs que chez les pêcheurs et dans les villages côtiers. Pourtant il semble qu’anciennement, on ait fait dans le Cap une certaine consommation de poissons séchés, merlus, lieus et congres, qui constituaient une des principales ressources locales. On mangeait toutefois encore assez souvent des sardines salées, et le ramassage des coquillages et des pousse-pieds était courant.
124En revanche, on ne s’intéressait guère aux produits de cueillettes végétaux : baies, fruits sauvages, plantes comestibles, champignons. Signe, sans doute, que l’alimentation habituelle, si frugale fût-elle, avait paru depuis toujours assez suffisante et équilibrée pour qu’on n’ait pas eu besoin de lui chercher des compléments.
125Pratiquement, donc, la totalité des aliments consommés étaient produits à la ferme. Même sur moins d’un hectare de terre, on pouvait arriver à produire une grande partie de ceux dont on avait besoin dans l’année. Seuls le sucre, le sel, le poivre, les boissons alcoolisées et éventuellement les pruneaux devaient être importés.
Les menus actuels
126Il n’est pas aussi facile d’établir des menus types pour le présent qu’il l’a été pour le passé. En effet, l’alimentation est devenue plus variée, et on ne retrouve plus d’une famille à l’autre la même uniformité que jadis dans ce domaine.
127Il n’est pourtant pas besoin d’une longue observation pour s’apercevoir qu’on se trouve maintenant en présence de deux régimes distincts, sinon vraiment différents, propres l’un aux salariés, retraités, artisans et commerçants d’une part, l’autre aux paysans – auxquels il conviendrait d’ajouter ici certains petits retraités déjà âgés –, d’autre part. Cette opposition s’ajoute à celles que nous avons déjà remarquées entre ces deux catégories de professions.
128On en jugera en comparant, ci-dessous résumés, les menus que j’ai pu observer le plus souvent chez les uns et chez les autres.
129Ceux des paysans sont habituellement les suivants5 :
130Déjeuner
café (avec parfois une goutte de lait),
pain-beurre.
131Dîner
soupe de légumes (avec lard parfois),
lard,
ou poisson (parfois crustacés),
ou parfois viande à la poêle : biftecks, côtelettes, entrecôte
(les jours de foire ou de marché),
pommes de terre en robe des champs,
ou salade de tomates et d’œufs durs,
ou salade de pommes de terre, de betteraves rouges et d’oignons,
ou parfois haricots blancs,
ou parfois pommes de terre en ragoût,
ou parfois frites.
132Collation
café,
pain-beurre,
parfois pâté, saucisson.
133Souper
soupe de légumes,
ou café,
ou chocolat au lait,
ou thé,
134rarement bouillie ;
lard,
ou pâté « maison » et cornichons,
ou œufs sur le plat,
ou sardines (à l’huile ou grillées),
ou crêpes (le vendredi),
parfois purée,
ou frites,
parfois beignets aux pommes,
ou riz au four (le samedi soir).
135Le dimanche, le menu habituel au déjeuner est le suivant :
136Soupe de pot-au-feu,
ou soupe au lard ;
—
parfois salade (tomates, betteraves) ;
—
viande et légumes du pot-au-feu,
ou salé de la soupe, réchauffé dans le beurre ;
—
poulet rôti,
ou porc rôti,
ou parfois ragoût de lapin, ou de porc ;
—
pommes de terre frites ;
—
parfois un peu de petits pois ;
—
farz.
137Les jours de fête, si on a des invités, il arrive aussi qu’on serve des bouchées à la reine achetées chez le pâtissier et garnies à la maison, et le soir, qu’on mange le poulet froid avec une mayonnaise.
138Le 1er janvier, certaines familles sont encore fidèles à la traditionnelle tête de porc au four.
139La plus grande variété des menus ci-dessus ne doit pas faire illusion : les repas restent souvent très frugaux, surtout le soir, et les parts souvent réduites.
140Dans la population non agricole, le déjeuner et la collation se font de la même façon que chez les paysans. Mais les autres repas témoignent de beaucoup plus de variété ; on a par exemple :
141Dîner
soupe aux légumes,
ou potage,
ou salades diverses (tomates et œufs durs, tomates et betteraves rouges, tomates et
œufs mimosa, tomates et maquereaux au vin blanc, riz et thon, riz et œufs, etc.),
ou sardines à l’huile,
ou charcuterie variée : pâté, saucisson, andouillette, fromage de tête, jambon, etc.,
accompagnée de cornichons ;
—
rôti de porc,
ou rôti de bœuf,
ou poulet rôti,
ou viande à la poêle,
ou ragoût de porc,
ou ragoût de mouton,
ou ragoût de lapin,
ou civet de lapin,
ou omelette,
ou œufs au plat,
ou poisson ;
—
pommes de terre en robe des champs,
ou pommes de terre frites,
ou haricots verts,
ou petits pois,
ou haricots blancs,
ou pâtes ;
—
parfois salade verte ;
—
parfois fromage (camembert ou crème de gruyère) ;
—
parfois fruits (pommes, poires, raisin, oranges, bananes) ;
—
parfois farz,
ou riz au four (le samedi surtout),
ou compote,
ou cake,
ou entremets sucré (en paquet).
142Souper
soupe,
ou potage,
ou salades diverses (comme à midi) ;
—
viande froide,
ou charcuterie,
ou œufs sur le plat,
ou poisson,
parfois viande à la poêle ;
—
pommes de terre en robe des champs,
ou pommes de terre frites,
ou purée,
ou pâtes ;
—
parfois fromage ;
—
parfois fruits ;
—
le samedi : riz au four.
143Les menus du dimanche se distinguent assez peu de ceux de la semaine, sinon qu’ils sont plus riches ; ainsi, à midi, on n’aura de préférence ni pommes de terre en robe des champs, ni œufs sur le plat, ni aucun autre des plats jugés trop pauvres.
144Pour la boisson, on ne remarque aucune différence entre les catégories sociales. Tout le monde boit du vin, jamais inférieur à 13° et principalement importé d’Algérie ; les femmes le coupent souvent de limonade. Quelques agriculteurs font un peu de cidre, mais ils sont rares. Le café est très prisé, surtout par les femmes ; il est rarement très bon, et comporte beaucoup de chicorée. On y ajoute quelquefois une goutte de lait, mais pas plus. Le lait n’est plus guère réservé qu’aux enfants ; les adultes ne le boivent pur que pour accompagner les crêpes.
145À part le vin, les boissons alcoolisées comprennent toujours le traditionnel « cognac », et toute la gamme des apéritifs et digestifs : mais la consommation de ces derniers est encore assez faible. À la maison, elle est réservée aux femmes, car ces boissons sont considérées comme « douces », en opposition au « cognac » qui, étant « fort », n’est bu que par les hommes.
146Le pain est consommé en grande quantité, principalement sous forme de tartines. En plus du pain blanc, les boulangers font deux fois par semaine du pain dit « de seigle », en fait, de méteil. Beaucoup de familles y restent très attachées.
147Pour les grands repas, il n’y a pas de différences notables de menus selon les catégories sociales. En voici quelques exemples :
REPAS DE BAPTÊME |
Midi |
Apéritif |
Huîtres (avec pain de seigle, beurre et citron) |
Langoustes mayonnaise |
Bouchées à la Reine |
Rôti de veau |
Pommes de terre rissolées |
Salade |
Pièce montée (faite par le pâtissier d’Audierne) |
Fruits |
Café |
Liqueurs |
REPAS DE MARIAGE | |
Midi | Soir |
Apéritif | Potage |
Melon au porto | Poisson sauce verte |
Jambon macédoine | Langue de bœuf sauce madère |
Langoustines | Rôti de veau |
Bouchées à la Reine | Haricots verts |
Poulet rôti | Salade de fruits |
Pommes de terre frites | « Gâteau breton » |
Salade | Café |
Bombe glacée | Liqueurs |
Fruits | |
Café | |
Liqueurs |
148Les menus ci-dessus ne connaissent guère que de faibles variantes.
149Les boissons consistent en vin rouge ordinaire, Muscadet et sodas.
150Les repas de noces préparés avec l’aide d’un cuisinier professionnel, ont lieu dans les grandes salles construites au Bourg depuis les années 20 et réservées à cet usage. Les repas de baptême se font à la maison.
Les fondements de l’alimentation moderne
151Par rapport à l’alimentation traditionnelle, l’alimentation moderne des habitants de Goulien se caractérise, dans l’une comme dans l’autre de ses variantes, par un allongement plus ou moins grand de la liste des aliments utilisés, dont certains sont entièrement nouveaux, d’autres, qui n’étaient consommés qu’occasionnellement, sont devenus de consommation courante, et d’autres enfin ayant à peu près disparu.
152L’aliment de base est toujours la pomme de terre. L’agriculteur dont le bilan annuel a été présenté précédemment en consommait par an 1 500 kg, soit environ 1,4 kg par personne et par jour ; c’est un maximum. Mais l’enquête réalisée en 1962 par le Centre d’Économie Rurale permet de fixer la moyenne annuelle de consommation des pommes de terre chez les paysans de Goulien, à 1 kg par personne et par jour, ce qui reste encore considérable. En dehors de la population agricole, cette consommation est sans doute un peu moindre, mais pas tellement.
153Les céréales ont perdu leur rôle d’aliment de base. La seule qui soit couramment consommée encore est le froment, sous forme de pain, de crêpes, de farz, rarement de bouillie, et éventuellement de pâtes et de pâtisserie achetées dans le commerce. Le seigle n’entre plus que dans la composition du pain noir. Une céréale exotique a fait son apparition : le riz, surtout consommé en dessert.
154Chez les paysans surtout, on mange encore peu de légumes ; à l’exception de ceux de la soupe, les préférés sont les tomates ; on mange aussi un peu de betteraves rouges, un peu de haricots blancs, quelques petits pois de conserve.
155L’augmentation de l’alimentation carnée est remarquable, surtout dans la population non agricole. C’est la viande de porc qui vient en tête, puis celle de bœuf. On ne mange de mouton que très rarement. Les paysans sont encore fidèles au porc salé (40 kg par personne et par an) et consomment plus qu’autrefois de produits de leur basse-cour, lapins et surtout poulets (10 têtes par personnes et par an). La charcuterie, jambon, pâté et saucisson, dont il est fait une grande consommation pour la collation ou pour le souper, est essentiellement de la charcuterie achetée dans le commerce. Les paysans ne font presque plus d’andouilles, et le pâté qu’ils confectionnent quand ils tuent leur cochon ne se garde pas plus de quelques jours.
156Le poisson apparaît dans les menus plus souvent qu’autrefois et plus seulement dans les villages de la côte.
157Comme graisse, on n’emploie plus beaucoup le saindoux ; le beurre, en revanche, connaît une faveur remarquable, tant cru, en tartines, que cuit ; dans la cuisine : les plats baignent souvent littéralement dans le beurre fondu. Chez les agriculteurs, on en consomme en moyenne 45 kg par personne et par an, mais certains vont jusqu’à 60 kg. Une nouvelle matière grasse, l’huile d’arachide, est utilisée essentiellement pour les salades et pour les fritures.
158On ne boit plus guère de lait pur, et on en met très peu dans le café. Mais il entre encore dans la préparation des crêpes, du farz, et du riz au four.
159Le fromage était autrefois totalement inconnu. Il commence timidement à s’introduire, mais on n’en voit presque jamais chez les paysans.
160Les œufs, qu’on employait assez peu autrefois sont plus appréciés aujourd’hui : 16 douzaines par personne et par an chez les agriculteurs, et sans cloute autant ailleurs.
161La consommation des fruits a considérablement augmenté, surtout dans la population non agricole, où on prend l’habitude d’en manger à la fin des repas, et plus seulement des pommes. Les paysans s’en tiennent encore souvent à ce dernier fruit.
162À noter enfin l’apparition de ces boissons autrefois presque ignorées : le vin et le café.
163La différence capitale entre l’alimentation traditionnelle et l’alimentation moderne est que celle-ci a cessé de dépendre totalement de la production locale, qui n’en fournit plus qu’une partie. Beaucoup de produits sont maintenant importés d’autres régions de France, voire de l’étranger. Et même les produits locaux sortent souvent du cadre de l’autoconsommation ou du circuit des échanges intracommunaux, pour passer par le commerce organisé.
164L’autoconsommation joue cependant encore un rôle important chez les agriculteurs et chez nombre de non-agriculteurs qui exploitent quelque terre. C’est là, semble-t-il, l’origine des deux régimes mis en lumière précédemment. Il n’y a pas entre eux de différence de nature ; ce sont plutôt deux phases d’une même évolution, qui se fait moins rapidement chez les paysans ; ceux-ci, ayant tendance à vivre surtout des produits de leur ferme, comme faisaient leurs parents, sont, par là même, moins portés aux nouveautés.
165Cette évolution se traduit surtout par la transformation de l’ancien équilibre alimentaire, du fait de l’abandon progressif des aliments de base traditionnels au bénéfice de ceux qui n’étaient jadis que des aliments d’appoint, et donc souvent considérés alors comme des aliments de luxe. L’accroissement des disponibilités financières, surtout après 1918, a amené tout naturellement la population à se tourner de préférence – jusqu’à en abuser parfois – vers ceux-là, et principalement vers ceux qu’on estimait les plus énergétiques : viande fraîche, beurre, etc., pour délaisser ceux qui, parce qu’ils assuraient une alimentation mieux équilibrée peut-être, mais à meilleur marché, étaient considérés comme tout juste bons pour les plus pauvres.
166C’est dans ce même esprit que les paysans ont fait de ce qui était autrefois leur menu du dimanche un de leurs menus quotidiens et que leur actuel menu dominical est le menu journalier des familles non agricoles.
167Dans cette évolution, la guerre de 1914 a joué aussi un rôle direct. Les hommes ont ramené de l’armée des habitudes alimentaires nouvelles, qu’ils ont tenu à conserver : c’est de cette époque en effet, que date la vulgarisation du café, du vin, des frites, etc.
La cuisine
Les procédés de base
168On a pu juger par les menus précédents du registre limité des réalisations de la cuisine locale. Et l’évolution de l’alimentation au cours des cinquante dernières années n’y a pas changé grand chose. Les produits consommés sont plus divers et plus nombreux qu’autrefois, leur origine géographique beaucoup plus étendue, mais les façons de les accommoder ne se sont pas tellement diversifiées.
169On peut distinguer deux sortes de procédés culinaires : ceux qui ont pour but simplement l’accommodement en vue de consommation immédiate de produits pris dans leur état brut, et ceux destinés à leur faire subir préalablement une préparation, par laquelle on modifie soit leur consistance, soit leur composition, en les séparant d’un de leurs éléments ou en les mêlant à d’autres éléments. C’est le cas, par exemple, du beurre, des diverses pâtes, de la viande salée, etc.
170Les procédés de préparation préalable anciennement employés étaient les suivants :
171Procédés physiques :
le hachage de la viande de porc, pratiqué dans la préparation des pâtés ;
l’écrémage du lait, qui donne la crème dont on fera le beurre ;
le barattage de la crème, deuxième phase de cette fabrication ;
le détrempage de la farine, soit à l’eau, soit au lait, utilisé pour la confection des bouillies, de la pâte à pain, du farz, des crêpes ;
la liaison avec des œufs, de la pâte à farz et à crêpes.
172Procédés bio-chimiques :
La salaison de la viande de porc, qui permet d’assurer sa conservation ;
le fumage des andouilles, qui a le même effet ;
la coagulation de la caséine du lait écrémé, qui donne le lait caillé ;
la fermentation provoquée par le levain ou la levure dans la pâte à pain et occasionnellement dans la pâte à farz, et la fermentation naturelle des pommes dans la préparation de la piquette.
173Tous ces procédés n’avaient pas une égale importance. C’est ainsi, par exemple, que le fumage des andouilles apparaissait comme un phénomène isolé, la viande de porc n’étant pas fumée habituellement. Lorsqu’il arrivait qu’on y soit obligé parce que la salaison avait mal été faite et que la viande risquait autrement de se gâter, seuls les hommes consentaient à manger la viande fumée : c’était une nourriture trop « forte ».
174Actuellement, plusieurs de ces procédés tombent en désuétude parce que beaucoup d’aliments sont achetés tout prêts dans le commerce. On ne fabrique plus son pain soi-même, on ne fume presque plus d’andouilles, on fait rarement du lait caillé. À part la confection de pâtes à farz et à crêpes, les autres préparations ne sont plus le fait que des paysans, et encore pas de tous.
175On notera aussi que parmi les produits achetés dans le commerce, il n’y en a aucun qui ait subi une préparation autre que celles qui ont été indiquées plus haut. Il n’y en a pas non plus qui aient été fumés.
176Si nous considérons maintenant les anciens procédés de cuisine et d’assaisonnement, nous verrons qu’ils étaient en nombre fort restreint. On pouvait consommer les aliments des différentes façons suivantes :
177crus :
non assaisonnés : uniquement le lait et les pommes ;
salés : uniquement le beurre ;
178cuits :
à l’eau : les soupes, les bouillies, le lard, les pommes de terre ;
à la poêle : les crêpes, les galettes, le poisson ;
au four : le pain, le poulet, le porc, le bœuf, parfois les pommes de terre, le farz ;
en sauce : le porc, le lapin.
179Les deux derniers procédés de cuisson avaient un caractère assez exceptionnel, sauf pour le pain, bien entendu, et n’étaient pas souvent utilisés en dehors des jours de fête. Et en fait de sauces, on ne connaissait que le roux qui servait de base aux ragoûts.
180Depuis lors, les fours de cuisinières ont relayé les fours à pain, et la cuisson au four est devenue chose courante. Mais les plats en sauce restent peu fréquents, et on ne connaît toujours guère autre chose que le roux. La seule sauce nouvelle, d’ailleurs exceptionnelle, c’est la mayonnaise, avec laquelle on mange les restes de viande froide.
181Une nouvelle sorte d’assaisonnement est apparue : c’est la vinaigrette, très employée à la belle saison, car on y mange beaucoup de salades. Un nouveau procédé de cuisson a aussi beaucoup de succès, c’est la friture à l’huile, surtout employée pour la préparation des pommes de terre frites.
182À part ces deux nouveautés, les procédés culinaires n’ont pas beaucoup varié depuis le début du siècle, et la cuisson à l’eau est encore l’un des plus utilisés.
Les préparations culinaires
- Les légumes
183À Goulien, c’est surtout pour la soupe qu’on emploie les légumes. Ceux-ci : choux, navets, rutabagas, panais, carottes, un peu de pommes de terre, parfois quelques poireaux, sont coupés en morceaux assez gros et mis à cuire dans l’eau salée. Cette préparation est souvent faite le soir pour le lendemain. Au moment de servir, on ajoute du poivre et des tranches de pain.
184On peut y mettre aussi du porc salé, ou de la viande de bœuf (très peu en ce cas) qui lui donneront leur goût mais seront mangés séparément. Le poulet à cuire au four est aussi souvent passé d’abord un moment dans la soupe.
185Une autre soupe traditionnelle à Goulien est « la soupe blanche » (soubenn wenn) dite encore soubenn bitounet : dans de l’eau salée, on coupe des tranches de pain, on ajoute du beurre, une cuiller de crème, et l’on fait bouillir. Elle est souvent assez fortement poivrée.
186Une soupe d’introduction plus récente, mais fréquemment servie, est la soupe au vermicelle, soit avec des pommes de terre, soit avec des oignons frits. On ajoute aussi parfois du vermicelle aux soupes de légumes.
187Il est rare que le repas de midi ne commence pas par la soupe. Il est fréquent qu’il n’y en ait pas le soir. Mais autrefois, elle était à tous les repas, sauf à la collation.
188Hors la soupe, on consomme très peu de légumes verts en tant que tels, sinon quelques haricots verts et quelques petits pois à la saison, simplement cuits à l’eau et revenus dans le beurre, quelques carottes dans les ragoûts, et c’est tout. Si on achète des conserves, il s’agit uniquement de petits pois et de macédoine, et on les cuit conformément au mode d’emploi, sans y rajouter quoi que ce soit.
189C’est encore en salade qu’on en mange le plus. À la saison, il n’est pas rare qu’une famille ait tous les jours sur sa table des tomates en salade accompagnées d’œufs durs, ou d’œufs mimosa, ou de betteraves rouges ou de choux-fleurs, ou de maquereaux au vin blanc...
190Il s’agit là d’innovations que les anciens n’auraient pas imaginées. À Plouhinec, les paysans cultivaient des betteraves rouges qu’ils allaient vendre à Quimper depuis des années... et ils n’en avaient jamais mangé. Actuellement encore, alors que la culture des scorsonères tend à se répandre dans le Cap, je doute que beaucoup de Capistes y aient déjà goûté.
191Bien que les pommes de terre soient encore aujourd’hui le fondement de l’alimentation capiste, leur préparation n’est guère variée. On les cuit surtout à l’eau, en robe des champs de préférence ; parfois elles sont épluchées d’abord, mais laissées entières. Dans le chaudron de soupe au lard où le farz était accroché à une anse dans sa poche de tissu, pendait souvent à l’autre anse un filet contenant des pommes de terre que l’on mangeait ensuite avec le porc.
192La seule autre façon connue autrefois de préparer les pommes de terre, était de les faire cuire au four. Mais cela ne se produisait que toutes les deux semaines, lorsqu’on faisait le pain : une fois celui-ci défourné, on profitait de la chaleur du four pour la cuisine.
193Depuis la première guerre mondiale, les ménagères ont appris à faire les frites. Mais elles les font mal, très molles et très grasses6.
- Les céréales
194Les céréales, sous forme de farines, sont principalement employées pour les préparations des bouillies et de diverses pâtes.
195Comme leur nom l’indique, les bouillies sont des préparations de farines, détrempées, puis bouillies, ce qui leur donne une consistance plus ou moins gluante.
196Au début du siècle, les céréales employées pour cela comprenaient le millet, l’avoine et le froment, mais la première déjà plus guère, et la dernière pas encore beaucoup. Les bouillies étaient surtout à base d’avoine (youd kerh).
197Pour faire la bouillie d’avoine, on utilisait de préférence de l’avoine d’hiver. La farine ne devait pas être tamisée, et comprendre aussi le son. On la faisait d’abord tremper dans l’eau toute une nuit. Ensuite, on la pressait contre un fin tamis de crin. On laissait le jus obtenu se décanter pendant une heure. L’eau qui montait à la surface (dour rous ou eau rousse) était jetée et remplacée, soit par de l’eau froide, soit par du lait. On ajoutait du sel et parfois un peu de levain, et on faisait bouillir en remuant avec un pilon de bois (krok youd). Lorsqu’une croûte commençait à se former sur les parois du chaudron, on l’ôtait du feu, et on ajoutait un tout petit peu de beurre. Beaucoup de personnes préféraient manger la bouillie à même le chaudron.
198On n’en fait plus guère aujourd’hui. En revanche, la bouillie de froment est encore assez souvent servie. On la prépare actuellement, non plus à l’eau, mais au lait. On fait d’abord bouillir celui-ci, puis on y verse la farine préalablement délayée dans un peu de lait froid, et on sale ou on sucre, suivant les goûts. En augmentant la quantité de farine, on peut aussi obtenir une pâte qui se fige en refroidissant. On la découpe alors en petits carrés, et on la fait revenir dans du beurre.
199Les pâtes, c’est-à-dire toute préparation de farine détrempée, soumise ensuite à dessiccation ou à cuisson directe, ne sont en somme qu’une variante de ce qui précède. Elles peuvent être fermentées ou non.
200La pâte non fermentée typique, c’est la pâte à crêpes. Pour une livre de farine (sarrasin, ou mélange d’1/4 de sarrasin pour 3/4 de froment), on emploie un litre de lait ou un peu plus et un œuf. L’œuf est battu d’abord dans le lait, puis on délaie la farine dans le tout. On ne fait pas reposer la pâte, à moins qu’on n’y ajoute un peu de levure ; on attend alors une heure.
201Pour la cuisson, on se sert d’une plaque circulaire, qui peut atteindre 60 cm de diamètre, sans rebords, et en fonte : le pilig. Après l’avoir placé sur son trépied au-dessus d’un feu pas trop vif, aux braises bien étalées, on le graisse, en le frottant avec un chiffon imbibé d’huile, autrefois avec un morceau de lard. Puis on verse dessus très peu de pâte, qu’on étend à l’aide d’une raclette qui a le même nom et la même forme, en réduction, que le racloir dont on se sert pour étaler les grains de blé : rozell. La couche de pâte est donc extrêmement fine. Lorsqu’elle semble cuite, on la retourne sur l’autre face à l’aide d’une spatule de bois appelée spanneel. Avant de verser la pâte pour une deuxième crêpe sur le pilig, on le graisse de la même façon que pour la première.
202La pâte à crêpes peut servir à faire aussi des galettes. Pour cela, on la laisse d’abord reposer. Puis, sur le pilig préparé de la même façon que tout à l’heure, on verse la pâte sans l’étaler, de façon à former cinq ou six tas assez épais. La différence d’épaisseur suffit à donner une saveur différente de celle des crêpes. Autrefois, crêpes et galettes étaient mangées de préférence salées ; aujourd’hui, on les saupoudre au contraire souvent de sucre.
203La pâte du farz bleud est assez semblable à la pâte à crêpes mais les proportions diffèrent un peu : pour une livre de farine, environ 2/3 de litre de lait dans lequel on a fait dissoudre une quarantaine de morceaux de sucre, et huit œufs. Cette pâte est donc un peu moins liquide que celle des crêpes. Mis à four chaud dans une terrine (ou parfois plus prosaïquement dans une cuvette émaillée), le farz est cuit au bout d’une heure environ. Autrefois, lorsqu’on n’avait pas la possibilité de disposer du four à pain, le récipient contenant la pâte, muni d’un couvercle, était placé sur les braises du foyer, et recouvert d’autres braises. On parlait alors de farz an daou dan, farz à deux feux.
204Il y avait enfin une troisième façon de cuire la pâte, qui consistait à l’entourer dans un linge fin, et à accrocher celui-ci dans la soupe au lard bouillante, suspendu à l’une des anses du récipient (farz poch).
205Une dernière pâte habituellement confectionnée jadis était la pâte à pain. La fabrication du pain dans le Cap ne présentant aucune particularité locale, et cette technique étant bien connue, je ne m’y étendrai pas outre mesure. La farine employée autrefois était, soit de la farine de méteil, avec une forte proportion de seigle, soit un mélange composé pour un tiers de froment, un tiers de seigle, et un tiers d’orge. Dans certaines familles pauvres, on faisait parfois du pain où entrait presque exclusivement de la farine d’orge. Une fois qu’il était rassis, ce pain était extrêmement dur.
206On faisait son pain tous les quinze jours ; chaque ferme possédait son four, mais dans les villages où habitaient plusieurs familles d’agriculteurs, ceux-ci allumaient leur four à tour de rôle, et tout le monde venait cuire chez eux. Comme combustible, on employait les fagots confectionnés au moment du nettoyage des talus. La fermeture du four se faisait à l’aide d’une large pierre plate. Pour la rendre hermétique, on colmatait les fentes à l’aide de bouse de vache.
207Pendant la dernière guerre, du fait des réquisitions, il arrivait qu’on manquât de farine de froment. On y suppléait en mêlant un peu de farine d’orge avec des pommes de terre préalablement cuites à l’eau et réduites en purée, et du levain. Il ne m’est pas possible de dire s’il s’agissait là d’une improvisation née des nécessités du moment ou de la remise en honneur d’un ancien procédé.
208Il ne semble pas qu’on ait jamais confectionné de gâteaux comme on en faisait pourtant dans des communes peu éloignées. Peu après la guerre de 1914, les boulangers ont essayé de lancer l’habitude, venue du pays Bigouden, de manger des kuinh amann à l’occasion du Mardi Gras. Ils n’eurent aucun succès.
209C’est à cette même époque, pourtant, qu’à l’occasion d’une noce, fut introduit un dessert qui a connu depuis une vogue générale : le riz au four. C’est maintenant le plat traditionnel du samedi soir. La recette est très simple : dans un litre de lait, abondamment sucré, on fait tomber en pluie 200 grs de riz non lavé, et on met à four chaud. On utilise généralement le four du boulanger, puisque le samedi, il fait une deuxième fournée pour le dimanche, et qu’ainsi en fin d’après-midi son four est encore chaud.
210Dans l’après-midi, donc, on vient à la boulangerie avec son lait et son récipient, et on achète sur place le sucre et le riz, dont il ne semble d’ailleurs pas que beaucoup sachent le préparer autrement.
211Cette recette est la seule où une céréale soit employée autrement que moulue.
- Les viandes
212La viande la plus consommée dans le Cap est encore, et de loin, la viande de porc.
213La technique d’abattage des porcs est encore des plus primitives. Pour amener la victime sur les lieux du supplice, on passe autour de sa mâchoire supérieure, derrière ses incisives, le nœud coulant d’une corde que l’on tire avec vigueur, car le cochon résiste énergiquement. Mi-tiré, mi-poussé, et de temps en temps soulevé de terre par les oreilles et par la queue, il arrive enfin dans la cour sur le lieu préparé pour son exécution : un espace bien dégagé où l’on a répandu à terre une bonne couche de paille.
214À ce moment, l’un des exécutants lui assène du revers de sa hache deux violents coups sur la tête, qui l’étendent sur le sol, assommé. On lui ouvre alors la carotide, et le sang se répand à gros bouillons sur la paille et sur la terre, tandis qu’on remue de temps en temps le corps, pour qu’il se vide le plus possible.
215Autrefois, le porc n’était pas assommé : on le ligotait sur un banc légèrement incliné, la tête vers le bas, et on le saignait ainsi.
216Lorsque le sang ne coule plus, on apporte des seaux d’eau très chaude dont on l’ébouillante, et on le rase à l’aide de grands couteaux, d’un côté, puis de l’autre. Enfin, l’animal est couché sur le ventre, et les dernières soies ayant été enlevées, on sépare partiellement du tronc la tête, qu’on fend ensuite à la hache dans le sens de la longueur. La langue est détachée de la bouche et laissée accrochée à l’extrémité du larynx. On finit alors de détacher la tête, dont les morceaux sont emportés dans un seau et désossés.
217Ensuite, on recherche et on sort les tendons des pattes de derrière, où l’on passe les extrémités d’une forte perche par laquelle le porc sera suspendu à une poulie. On ouvre alors l’abdomen, dont on commence à retirer les intestins, puis on découpe le tour de l’anus pour les libérer entièrement : ils sont reçus dans un panier et emportés à l’intérieur de la maison où ils subissent une préparation décrite plus loin.
218On enlève ensuite les autres viscères : foie, cœur, poumon, langue ; on jette le fiel, on ouvre le cœur en quatre dans le sens de la longueur, et on lave le tout à grande eau : on en fera du pâté.
219Enfin, on enlève la graisse interne et les reins, et on détache presque complètement les filets, sans les séparer cependant tout à fait du corps, qu’on laisse alors refroidir jusqu’au lendemain.
220Pendant ce temps, on détache des intestins la graisse qui les entoure. Le péritoine est conservé pour envelopper le pâté. Lavés au ruisseau, et partiellement découpés, les intestins seront salés pendant un mois pour faire des andouilles, qu’on mettra ensuite à fumer dans la cheminée (on en fait de moins en moins, puisqu’il y a de moins en moins de cheminées en activité).
221Les abats (foie, cœur, rognons, poumons), hachés à la machine, avec une douzaine d’oignons, et trois têtes d’ail, salés, poivrés, et liés à l’aide de quatre cuillerées de farine, seront cuits au four pour faire le pâté (pâté). Celui-ci se conserve très mal, et doit être consommé le plus rapidement possible. Il est assez indigeste.
222La graisse, fondue, donnera du saindoux.
223Enfin, le reste de la viande de porc, à part les filets qu’on mettra à rôtir, est désossé et mis au saloir, en alternant une couche de viande, une couche de sel, une couche de viande, une couche de sel, etc. Le tout est chargé de grosses pierres qui assureront un bon tassage.
224Autrefois, on utilisait comme saloir (charnel ou charlen, litt. charnier) une sorte d’auge creusée dans la pierre ; par la suite on utilisa des barils, mais il arrivait qu’ils se mettent à fuir. On se sert maintenant de grands récipients de grès.
225Le lard salé (kig sal) était autrefois la seule viande couramment consommée. On ne sait que le cuire dans la soupe ; parfois, le dimanche, on le réchauffe ensuite dans le beurre.
226La viande de porc non salée est généralement cuite au four, mais on la prépare parfois en ragoût : on fait d’abord un roux dans la cocotte avec du beurre et de la farine, puis on ajoute la viande, des pommes de terre, quelques carottes, des oignons et des pruneaux secs.
227La viande de bœuf ne se mangeait qu’en de très rares occasions : aux mariages, et le dimanche précédant le mardi-gras.
228Pour les mariages, les paysans abattaient eux-mêmes un ou deux jeunes taureaux. La viande était cuite au four, et les abats, ainsi que les tripes étaient hachés au couteau et utilisés pour faire une sorte de pâté (posté) auquel on ajoutait des pruneaux.
229Pour les jours gras, il ne pouvait être question d’abattre une bête, c’aurait été trop de viande. On se rendait donc le samedi précédant au marché d’Audierne, où à cette occasion, il venait de nombreux bouchers. Les clients éventuels se groupaient à quatre ou cinq, et achetaient ensemble un quartier de viande. On demandait alors au boucher de le découper en autant de parts à peu près égales qu’il y avait d’acheteurs, et on les faisait tirer au sort par le plus jeune.
230À cette époque, on ne cuisait pas la viande de bœuf autrement qu’au four. Ce n’est que tout récemment qu’on a commencé de la cuire à la poêle, et chez les paysans, cela arrive encore rarement.
231Le poulet, nourriture dominicale par excellence, est surtout consommé rôti. Mais il arrive qu’on le mette d’abord à cuire pendant un moment dans le bouillon de la soupe. « On ne se lasse pas du poulet », a-t-on coutume de dire.
232Le lapin est moins prisé. On en mangeait autrefois assez peu ; on en sert plus fréquemment aujourd’hui, cuit presque toujours en ragoût, de la même façon que le porc.
- Le poisson
233On pourrait s’attendre à ce que, dans une région maritime, les recettes de poisson soient nombreuses et variées. Il n’en est rien. Les deux seules façons dont je les aie vu préparer, c’est à la poêle, dans le beurre, et dans la cocotte avec un roux.
234Quant aux crustacés, on n’en mangeait pratiquement pas autrefois. On les accompagne aujourd’hui de mayonnaise.
- Les œufs
235Les œufs ne m’ont jamais été cités parmi les aliments consommés habituellement avant la guerre de 1914. Je ne puis assurer qu’on n’en mangeait jamais, mais si on le faisait, ce devait être rare.
236Aujourd’hui on les cuit, soit durs, pour être mangés en salade ; soit sur le plat ; soit en omelette. Dans ces deux derniers cas, ils nagent littéralement dans le beurre. On ne fait que des omelettes simples : les omelettes aux oignons, aux pommes de terre, aux fines herbes, etc., sont inconnues.
- Les laitages
237Le lait caillé, autrefois si fréquent, n’apparaît plus souvent sur les tables. On le prépare à partir de lait écrémé. On distingue le lait caillé à l’aide de présure (lez gouledeg) du lait caillé sans présure (lez treñk).
238Semblable au lait caillé, par le goût et par la consistance, le premier lait qu’une vache donne après la naissance de son veau (lez us), est une friandise très appréciée.
239Le fromage a été longtemps totalement inconnu des habitants de Goulien. Quelques retraités qui avaient séjourné en ville en consomment, mais fort peu. Les commerçants qui en tiennent n’en vendent qu’un ou deux par semaine : crème de gruyère, camembert et tranches de gruyère sous cellophane exclusivement. Personne n’a une idée très nette de la façon dont on le fabrique.
- Les fruits
240Les pommes, autrefois seuls fruits couramment consommés, étaient toujours mangées crues. On en fait maintenant quelquefois des compotes, et aussi de la gelée.
241Quelques rares personnes font aussi de la confiture de mûres. Je ne crois pas que ce soit une habitude ancienne.
242On n’a pas fabriqué de cidre à Goulien avant 1920, date à laquelle furent plantés les premiers pommiers à cidre. C’est une technique qui s’est très peu répandue.
243À plus forte raison n’a-t-on jamais distillé d’alcool.
- Les boissons
244La plupart des boissons, à part le lait, proviennent du commerce. Les boissons chaudes se préparent comme partout ailleurs ; seul le vin chaud se fait d’une façon particulière : on l’étend pour moitié d’eau, et on y ajoute de la cannelle et des pruneaux. Bien qu’introduite tardivement, cette boisson est devenue de tradition lorsqu’une femme qui vient d’avoir un bébé invite toutes les femmes du village et quelques autres amies à venir le voir pour la première fois. Cette petite cérémonie a même pris le nom de « vin chaud ». De même, lorsque des enfants n’aiment pas le lait, il arrive qu’on leur en donne à la place, au petit-déjeuner du matin...
L’habillement
L’habillement traditionnel
245Au début du XXe siècle, les femmes de Goulien portaient exclusivement le costume capiste. Celui-ci comportait une longue et ample jupe tombant jusqu’aux chevilles, un corsage à longues manches droites, orné de pinces sur la poitrine et dans le dos, et de l’encolure duquel sortait une collerette large de trois doigts qui se croisait sur le devant, et un tablier noué sur la jupe.
246La coiffe constituait selon R. Y. Creston l’un des exemplaires les plus archaïques des coiffes bretonnes (Creston, p. 73). Elle était faite simplement d’une large bande de tissu rectangulaire et pliée en fer à cheval, dont la partie centrale (ar vizachenn) était cousue à un fond (strad) semi-circulaire, ce qui laissait donc deux longues ailes (chinkellou) pendantes de part et d’autre. Dans l’ourlet inférieur du fond se trouvaient deux rubans coulissant en sens inverse qui permettaient de serrer la coiffe sur la nuque autour du chignon.
247Il y avait deux variantes. Lune (ar chipilinenn), sans doute la plus ancienne, était en drap noir et possédait un couvre-nuque de même tissu. Quelques femmes âgées la portaient par mauvais temps ou pour faire de longs trajets en char à bancs, mais déjà son usage avait tendance à se restreindre et la plupart des femmes ne la mettaient plus que dans les occasions de grand deuil, par-dessus leur coiffe de tous les jours.
248Cette dernière, en toile, avait ses ailes relevées et fixées au fond par une épingle. On ne les laissait pendantes qu’en cas de demi-deuil.
249Pour porter la coiffe, il était nécessaire d’avoir les cheveux longs, et de les maintenir serrés en chignon dans une sous-coiffe, sorte de petite calotte de velours.
250En semaine, le corsage et la jupe étaient de drap ou de coutil noir ; le tablier était en coton, en chanvre, ou en pilhou. On portait aussi des manchettes serrées aux poignets pour protéger les avant-bras. Le dimanche ou les jours de fête, les vêtements étaient décorés de parements de velours ou bien étaient entièrement en velours. La collerette était garnie de dentelles. Les jeunes filles portaient un tablier de soie noire brodé de fleurs multicolores, et un long châle bigarré où le jaune dominait. Chez les femmes âgées, le tablier et le châle étaient noirs, sans décoration.
251Le costume des fillettes était semblable à celui des femmes, à la différence que jusqu’à leur première communion, elles portaient, non une coiffe, mais un bonnet qui laissait leurs cheveux flotter longs sur leurs épaules.
252Contrairement aux femmes, les hommes n’avaient pas de costume particulier, et il est difficile de dire s’il en exista jamais un pour eux au XIXe siècle. Au XVIIIe siècle, ils portaient habituellement un pourpoint, un gilet et une culotte de couleur bleue et se coiffaient d’un bonnet rouge à gland (Bernard, 1952, p. 15). Ce vêtement évolua-t-il par la suite, comme dans les autres régions de Bretagne, en un costume propre au Cap ? Rien ne permet de le dire, à l’exception peut-être d’une phrase de Le Carguet écrite en 1899 (Le Carguet, BSAF, 1899, p. 417) et faisant allusion à « l’ancienne veste des hommes, avec le col droit et les grands revers », qui aurait été semblable à celle qu’on portait dans le Léon. Pourtant, aussi loin que l’on remonte dans la mémoire des vieux, on ne trouve aucune allusion à d’autres vêtements que ceux que pouvaient porter les autres paysans français à cette époque : pantalon long, gilet et par-dessus, en semaine, un sarreau de coton bleu, plissé dans le haut. Comme coiffures, bérets ou chapeaux de vannerie. Les vêtements de travail étaient souvent de chanvre, y compris les chaussettes, car le tricot était inconnu. Le dimanche, on s’habillait comme en ville, et aux jours de fête, on coiffait un chapeau haut de forme, baptisé du nom poétique de tok paka luied, « chapeau – attrape – éclairs »... Quelques vieux arboraient pourtant le chapeau plat à larges bords dont le ruban, maintenu sur le devant par une boucle métallique, flottait au vent par derrière. Mais il est difficile de dire s’il s’agissait d’une survivance ou bien d’une influence venue à une certaine époque de Beuzec et des communes situées au-delà. Car dès qu’on franchissait les limites du Cap vers l’est, on rencontrait des hommes portant, soit le costume glazig, soit le costume bigoudenn.
L’évolution vestimentaire
253Alors que les habitants de Goulien jugent capitaux les changements survenus dans l’alimentation, si limités en réalité, et les placent habituellement en tête de tous ceux qui se sont produits depuis le début du siècle, il ne semble pas qu’ils accordent spontanément une quelconque importance à l’évolution vestimentaire, qui fut pourtant plus radicale. Personne ne semble avoir retenu le nom de la jeune fille qui, la première, renonça à la coiffe, et du vieil homme qui, le dernier, porta un chapeau à rubans.
254La raison en est sans doute qu’il n’y eut pas de coupure vraiment marquée entre une époque où tout le monde aurait porté exclusivement des vêtements de coupe traditionnelle, et une autre, où on aurait suivi les modes citadines. En fait, depuis longtemps déjà, l’habillement des hommes ne différait guère en semaine de celui des ouvriers des villes, ni, le dimanche, de celui des bourgeois. Quant aux femmes, celles qui avaient porté le costume capiste depuis leur jeunesse continuèrent toujours de le faire ; simplement, après 1918, la jupe fut un peu raccourcie, et la coiffe devint plus petite et plus fine. Mais les fillettes nées après 1910, surtout celles qui étaient pensionnaires dans des écoles de la région, voulurent avoir les cheveux coupés, comme leurs camarades, et renoncèrent de ce fait au port de la coiffe. À partir de ce moment, on prit l’habitude de vêtir les fillettes comme à la ville, et, devenues grandes, elles continuèrent ; le costume traditionnel ne fut plus porté que par des femmes de plus en plus âgées. Naturellement, certaines familles avaient été plus réfractaires que d’autres à son abandon, mais progressivement elles y vinrent aussi. Le costume de fête semble avoir été un peu plus longtemps en usage. Mais à partir de la guerre de 1939, on l’abandonna également.
255Actuellement, on peut dire qu’aucune femme née après 1910 n’arbore plus la coiffe. Parmi les plus âgées, certaines la gardent tout en ayant adopté le vêtement citadin. Le vêtement traditionnel complet ne se voit plus, le dimanche, que porté par des vieilles nées avant 1900 : il disparaîtra avec elles.
256Quant aux jeunes femmes et aux jeunes filles, lorsqu’on les voit sortir de l’église un dimanche matin, nul ne saurait dire si ce sont des paysannes ou des citadines en vacances. Dans ce domaine aussi, la mode a remplacé la tradition.
257Si on avait le temps, on pourrait pourtant se livrer à une étude qui ne manquerait pas d’intérêt : car la mode permet des choix multiples, et les choix opérés par les gens de Goulien ne sont sans doute pas exactement les mêmes que n’importe où ailleurs. Certaines formes, certaines couleurs, paraissent avoir leur préférence. Cela est encore plus visible en semaine, où la plupart des femmes mettent pour travailler un tablier à rayures verticales dont la couleur va de gris à lie de vin en passant par les diverses nuances du brun, le bleu ou le vert apparaissant bien plus rarement. Chez les hommes, on peut remarquer que si beaucoup d’entre eux portent une coiffure, c’est toujours un béret ou une casquette, et très rarement un chapeau, etc.
258Dans quelle mesure ces choix sont-ils caractéristiques de la commune, du Cap, ou d’une aire plus vaste ? Ou bien varient-ils insensiblement d’un lieu à l’autre ? Dans quelle mesure sont-ils révélateurs d’une certaine continuité dans les conceptions vestimentaires ? Ou bien dépendent-ils de circonstances tout à fait indépendantes de la tradition ? C’est ce que l’on aimerait élucider. Mais une telle recherche sortirait du cadre limité de ce travail.
Les loisirs
L’évolution des loisirs
259L’idée d’une vie de loisirs entièrement distincte de la vie de travail, jusqu’à en devenir l’un des buts principaux, comme elle semble l’être aux yeux d’un nombre grandissant de citadins, pour qui les week-ends, les vacances et la retraite constituent de plus en plus la partie la plus importante de l’existence, est d’apparition récente. Aussi était-elle absolument incompatible avec la conception que les gens de Goulien pouvaient se faire de la vie il y a cinquante ans.
260Certes, on ne travaillait pas de façon continue. Le soir, après souper, on avait la veillée ; le dimanche était un jour de repos strict, où l’on ne se livrait qu’aux travaux jugés absolument indispensables ; à certains jours de fête, des réjouissances d’autant plus goûtées quelles étaient rares donnaient à tous l’occasion de sortir du train routinier de la vie quotidienne. Mais loisirs et travail n’en constituaient pas moins les deux faces d’une même vie ressentie par tous comme un tout. Les loisirs se déroulaient d’ailleurs dans les cadres mêmes de la vie quotidienne : maison familiale, village, commune, et au milieu de ceux avec qui on était en contact journellement.
261Les nouvelles formes de loisirs offertes aux habitants de Goulien, qu’il s’agisse de loisirs familiaux, individuels ou collectifs, ont au contraire comme caractéristique commune, de les tourner davantage vers le monde extérieur, en esprit, à travers leurs lectures, la radio, la télévision, le cinéma, aussi bien que concrètement, par les sorties de plus en plus fréquentes qu’ils font le dimanche, par les bals où les jeunes se rendent chaque semaine, par les fêtes et les kermesses auxquelles on va assister dans les environs, et même parfois par des voyages lointains, qui sont de moins en moins exceptionnels.
262En même temps que le champ des loisirs s’élargit pour eux, se développe le sentiment qu’ils ont de rester tout de même défavorisés à cet égard par rapport aux gens de la ville, car leur temps disponible et leurs moyens financiers ne se sont pas accrus en proportion.
263En effet, chez les paysans surtout, l’amélioration des conditions de travail, au lieu de se traduire par un gain de temps libre, entraîne un allongement des temps d’activité, qui finissent par occuper toute la journée. Seul le respect profondément ancré du dimanche permet de préserver une part de l’emploi du temps hebdomadaire pour le repos et la récréation. Les membres des professions non agricoles, les jeunes surtout, ont de leur côté souvent l’impression de se trouver confinés dans un « trou » où les distractions sont rares et de peu d’intérêt.
264Dans l’ensemble, la vie quotidienne reste organisée comme autrefois, mais amputée pour une bonne part des loisirs traditionnels qui en faisaient partie intégrante et contribuaient à son équilibre, sans que les loisirs nouveaux aient pu s’y intégrer pleinement.
265Il s’ensuit, pour beaucoup, un sentiment de frustration assez vif, qui peut contribuer à accélérer l’exode de certains jeunes vers la ville, mais qui, pour ceux qui restent, se traduit rarement par une tentative pour aménager leur temps en fonction de ce besoin nouveau.
Les loisirs quotidiens
Les veillées
266La veillée avait une grande importance dans la vie traditionnelle. C’était le moment où toute la famille était réunie autour des parents et des anciens. Dans les villages importants, les petits « clients » des grandes fermes y participaient aussi en signe à la fois de dépendance et de familiarité. C’est grâce à la veillée que se transmettaient la culture traditionnelle, les chants, les contes, et toute la sagesse populaire dont les vieux se faisaient l’écho et que les jeunes absorbaient sans s’en rendre compte. C’est à la veillée qu’on apprenait à faire les gestes des activités techniques de l’artisanat domestique. La veillée, c’était encore le journal parlé, où chacun informait l’assemblée des petites nouvelles locales qu’il avait eu l’occasion d’apprendre dans la journée. Elle contribuait enfin à l’intégration religieuse des individus, puisqu’elle ne se terminait jamais sans qu’un aïeul n’ait lu une page de Buhez ar Zent (La Vie des Saints) et que tous n’aient récité ensemble la prière du soir.
267Sa disparition, survenue assez tôt, dès après la première guerre mondiale, a sans nul doute joué un rôle dans la désintégration du système culturel ancien et dans l’évolution des rapports sociaux tant au sein des familles que de famille à famille. Mais, qu’elle en ait été la cause, cela est plus difficile à préciser ; les gens de Goulien eux-mêmes paraissent incapables de l’indiquer. Le départ des hommes à la guerre en avait interrompu le cours pendant quatre ans, il ne semble pas qu’à leur retour, beaucoup aient cherché à reprendre cette habitude. Peut-être ces hommes que quatre ans de guerre avaient marqués, et qui avaient été brusquement transportés dans un monde tellement différent du leur, n’appréciaient-ils plus autant les histoires toujours répétées des vieux. D’ailleurs, les conditions de vie changeaient. Le personnel des fermes avait diminué, le travail s’était accru, et on avait tendance à aller se reposer aussitôt après le souper.
268De nos jours, seules les quelques familles qui peuvent assister aux programmes de la télévision ont repris l’habitude d’aller se coucher à une heure plus tardive.
La radio et la télévision
269La radio avait été l’une des premières acquisitions qui suivirent l’électrification. Mais ce ne fut qu’un engouement passager : peu de gens l’écoutent régulièrement aujourd’hui. Dans près de la moitié des familles d’agriculteurs, dans deux familles non agricoles sur trois, on ne l’allume pratiquement jamais. Et si on le fait, ce n’est guère que pour écouter les informations. Les autres émissions ont peu d’auditeurs. D’après une enquête portant sur 107 personnes possédant un poste de radio, les informations sont écoutées par 43 % d’entre elles, les jeux et les reportages sportifs par 18 % les chansons et la musique par 8 %, et les émissions dramatiques par 7 % seulement. On voit qu’on est encore loin de cette civilisation du transistor qui est en train de se développer en ville.
270Dans ces conditions, il est d’autant plus frappant de voir l’intérêt que suscite la télévision depuis son apparition. De 1961, date de l’installation d’un relais local, à la fin de 1963, quatorze postes sont entrés en service à Goulien, ce qui est considérable dans une aussi petite commune et quand on sait combien les gens hésitent habituellement longtemps devant toute dépense qui n’est pas strictement utilitaire. Il est curieux de noter aussi que ceux qui ont acheté un poste de télévision étaient souvent de ceux qui n’écoutaient pas la radio et n’allaient jamais au cinéma.
271La télévision ne profite d’ailleurs pas aux seules familles qui l’ont fait installer chez elles : il est courant que les enfants du village viennent assister au programme du jeudi7, et les adultes, voisins ou amis, à ceux du soir.
272C’est ainsi que, par la grâce d’une innovation technique, l’ancienne tradition des veillées reprend vie de façon inattendue. Mais cette résurrection sera sans doute éphémère.
La lecture
273Peu de gens, à Goulien, lisent autre chose que des journaux ou des hebdomadaires ; et encore le nombre de ceux qui ne lisent jamais quoi que ce soit reste-t-il élevé ; dans 42 familles, sur les 128 où une enquête à ce sujet a pu être faite, (soit un tiers), personne n’ouvre jamais ni journal, ni revue, ni livre.
274Ceux qui le font lisent surtout les journaux locaux, Ouest-France, ou le Télégramme de Brest et de l’Ouest, qui se partagent à peu près également la clientèle de la commune : chacun une quarantaine de familles environ. Quelques isolés prennent des journaux parisiens : la Croix8, ou l’Humanité9. Presque tous les lecteurs s’abonnent, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un porteur local ; quelques-uns préfèrent prendre leur journal au bureau de tabacs du Bourg. Un nombre relativement important de personnes ne l’achètent qu’une ou deux fois par semaine : sur 70 familles ayant déclaré lire un journal régulièrement, 17 sont dans ce dernier cas.
275Les périodiques les plus lus sont des journaux d’associations : le Paysan Breton, organe des syndicats d’exploitants agricoles des Côtes-du-Nord et du Finistère, pour les agriculteurs syndiqués, et le journal de l’Association des officiers-mariniers, Sous-officiers, orphelins et veuves de guerre, pour les anciens marins et militaires. L’Écho des Françaises, mensuel du Mouvement d’Action Catholique Générale Féminine est de même distribué dans 42 familles.
276Comme revues proprement dites, viennent en tête, sensiblement à égalité, Paris-Match et le Pèlerin, dont il se vend chaque semaine quinze à vingt numéros. Ce sont à peu près les deux seuls périodiques d’information générale qui soient lus couramment, à l’exception d’un ou deux numéros de Jours de France. Vient ensuite, mais assez loin derrière, sept ou huit numéros seulement, une revue de variétés et de vulgarisation, habituellement des plus prisées en province, le Chasseur Français. Dans un registre un peu semblable, Sélection du Reader’s Digest n’a que quelques lecteurs.
277Avec 7 ou 8 numéros, Femmes d’Aujourd’hui est la première des revues féminines et de modes. Modes et Travaux, Modes de Paris et l’Écho de la Mode intéressent une ou deux lectrices chacun. La presse du cœur et à scandales ne suscite à peu près aucun intérêt : je ne connais que deux familles achetant, l’une, Intimité, et l’autre, France-Dimanche.
278La part de la lecture proprement dite se réduit à sept ou huit numéros des Bonnes Soirées, un hebdomadaire qui publie des feuilletons et des nouvelles faciles. Lectures d’Aujourd’hui, d’un niveau assez comparable, intéresse une ou deux familles. Une famille est abonnée à un club de livres, le Cercle Romanesque. La bibliothèque ambulante départementale, dont s’occupe l’instituteur, et qui offre un très bon choix, pouvant intéresser tous les publics, des plus simples aux plus exigeants, n’a que cinq clients réguliers. À part ceux-là, une dizaine de personnes au plus lisent régulièrement des livres, qu’ils achètent, qu’ils s’empruntent mutuellement, ou que leur prêtent leurs enfants.
279Un cas exceptionnel est celui de l’un de mes informateurs, simple agriculteur, et des plus traditionnels, abonné au National Geographic Magazine, lecteur intermittent de Life, Newsweek et l’Express, et dont la bibliothèque comportait, entre autres, les œuvres de Rimbaud, des ouvrages de Bernanos, Les Celtes, de H. Hubert, et, en anglais, une grammaire du breton et un livre sur le yoga...
280Mais, si on peut estimer qu’un quart des familles de Goulien achètent ou reçoivent régulièrement des revues, le nombre de personnes qui lisent vraiment n’est guère supérieur à vingt. Les uns comme les autres se trouvent à peu près également répartis dans toutes les catégories de population, bien que les agriculteurs aient dans la journée beaucoup moins de temps à consacrer à la lecture que les autres (que les femmes d’ouvriers, par exemple, qui restent toute la journée à la maison) : ils lisent au lit avant de dormir.
Les loisirs hebdomadaires
Les activités dominicales
281Le dimanche, autrefois, les familles paysannes se partageaient en deux. Les uns s’occupaient de la traite des vaches, tandis que les autres allaient assister à la messe basse. Une fois de retour c’est à ces derniers qu’étaient confiés les travaux qui ne pouvaient être interrompus : soins aux vaches, aux cochons, à la basse-cour, et cuisine. Ils passaient de même l’après-midi à garder les troupeaux dans les champs. Les autres, qui, le matin, avaient pris tout leur temps pour se préparer à la grand-messe et pour s’y rendre, et qui étaient rentrés sans se presser, allaient assister aux vêpres de l’après-midi. En revenant, les hommes profitaient de l’occasion pour faire le tour de leurs terres afin d’avoir une vue globale de l’état de leurs cultures... et de celles de leurs voisins. Ce passe-temps toujours en usage est désigné par une locution toute faite : mond e wel an douarou, « aller voir les terres ».
282Aujourd’hui, si le partage alternatif des tâches dominicales entre deux groupes subsiste encore dans les familles paysannes, le programme de l’après-midi est assez différent. Les vêpres ne rassemblent plus guère à l’église que quelques vieilles femmes, et seuls quelques vieux considèrent encore le fait de garder les vaches comme un passe-temps. Les jeunes sortent entre eux pour aller au cinéma ou au bal, et les adultes vont parfois de leur côté, ou bien, restent à la maison à ne rien faire. Parfois, on sort aussi en famille : les paysans surtout pour rendre visite à des parents, les autres, surtout pour faire des promenades dans les environs. Les autres distractions dominicales, intéressant d’ailleurs exclusivement les hommes, se réduisent à la chasse, à la pêche, et à la fréquentation des cafés. Les anciens jeux tombent de plus en plus en désuétude. Seuls, à la belle saison, kermesses et pardons apportent un peu d’animation.
La chasse
283En 1963, on a délivré à Goulien 40 permis de chasse, répartis entre 36 familles, – environ une sur quatre.
284La chasse est à Goulien une activité purement individuelle, les chasseurs de la commune ne s’étant jamais groupés en Société. Comme il n’y a guère qu’un ou deux propriétaires pour interdire la chasse sur leurs terres, et que la région est assez giboyeuse, on n’a pas encore ressenti le besoin d’en créer une, puisque là où il en existe, elle a pour buts principaux de réserver un certain territoire à ses adhérents et de veiller au repeuplement du terroir en gibier.
285La chasse est naturellement une activité exclusivement masculine. Il ne viendrait à l’esprit de personne qu’une femme pût chasser.
286Le gibier consiste essentiellement en lapins, qui sont très abondants, quelques lièvres, et comme gibier à plumes, perdrix, grives, bécasses et canards sauvages. En 1969, on avait signalé le passage d’un sanglier, mais c’était là un événement tout à fait exceptionnel.
287Une ou deux fois par an, on organise une grande battue aux renards à laquelle tous les chasseurs de la commune sont conviés. On cerne les taillis où l’on sait que ces animaux dissimulent habituellement leurs tanières, et on envoie les chiens dans la broussaille dans l’espoir qu’ils sortent à découvert pour les tirer.
288Les zones les plus giboyeuses, maintenant que les anciennes landes ont presque toutes été défrichées, se trouvent surtout au sud de la commune, sur les versants et au fond de la vallée qui lui sert de limite, et près de la côte, sur les terrains incultes et rocailleux qui s’étendent en bordure de la mer. Naturellement depuis qu’une partie de ceux-ci ont été loués par la Société pour la Protection de la Nature du Finistère, qui a constitué là une réserve naturelle pour les oiseaux de mer, où seuls les propriétaires de terrains loués ont conservé leur droit de chasse, les chasseurs sont assez mécontents – bien que la place ne leur soit pas mesurée en dehors de la réserve. Mais c’est surtout le sentiment d’une entrave imposée à leur liberté d’aller où bon leur semble qui leur est sensible.
289Quelques-uns des chasseurs de Goulien emploient des chiens, épagneuls le plus souvent ; mais le plus grand nombre s’en passe. Un seul d’entre eux pratiquait la chasse à l’affût ; un vieux paysan qui avait parsemé ses propriétés de cabanes camouflées où il passait des heures. Mais ce n’est pas une habitude locale.
290Avant 1914, on chassait autant qu’aujourd’hui, mais en pratiquant le braconnage, vieux réflexe hérité sans doute du temps de la féodalité. On aurait cru déchoir si on avait pris un permis. Aussi les gendarmes avaient-ils fort à faire, et tous les vieux vous raconteront les démêlés qu’ils ont eu un jour ou l’autre avec eux du temps de leur jeunesse. Cela est bien oublié maintenant.
La pêche
291Les cours d’eau de Goulien se réduisant à de tout petits ruisselets, la pêche qui se pratique à Goulien est exclusivement maritime. Comme aucun permis n’est nécessaire pour pêcher du rivage, il n’est pas possible de connaître le nombre précis des pêcheurs de Goulien. Ils doivent être de quarante à cinquante, tous des hommes.
292Certains chasseurs sont aussi pêcheurs, mais le plus fréquemment on est soit l’un, soit l’autre.
293Pêcher sur la côte de Goulien n’est pas une activité sans danger. La descente de la falaise est en elle-même un exercice périlleux, car certains passages sont assez difficiles à franchir, surtout par mauvais temps ou lorsque le vent est fort. Et il n’est pas rare que des hommes glissent ou soient enlevés par des lames de fond du rocher où ils s’étaient installés pour pêcher, et se noient.
294Le matériel employé est assez simple. Les cannes à pêche sont encore une rareté. On se contente le plus souvent d’utiliser une simple ligne tenue à la main, au bout de laquelle on a fixé un hameçon amorcé avec des morceaux de crabes recueillis la veille dans la vase du Goayen, et lesté d’un morceau de plomb.
295Le ramassage des coquillages et des crustacés, principalement clovisses et pousse-pieds, est aussi une activité très prisée.
La fréquentation des cafés
296Le nombre de débits de boissons à Goulien est considérable : huit, soit un pour 32 hommes adultes... Toutefois, leur fréquentation est intermittente. En semaine, la plupart sont déserts pendant la plus grande partie de la journée, ne recevant que des clients occasionnels. Deux d’entre eux ont une clientèle plus nombreuse : il s’agit de celui qui est joint à la forge, et surtout de celui que tient le secrétaire de mairie (en même temps dépositaire de la Coopérative agricole) ; car il serait malséant de venir traiter une affaire chez eux sans consommer.
297Ce n’est que le dimanche que les cafés s’animent, surtout au Bourg. À la sortie de la messe, les hommes s’y invitent mutuellement, et passent là un long moment ensemble à bavarder par petits groupes, s’offrant une tournée à tour de rôle. Certains font le tour de tous les cafés du Bourg avant de rentrer chez eux, ce qui ne manque pas de les rendre assez gais.
298Bien que l’on puisse trouver dans ces débits la plupart des boissons alcoolisées, whisky compris, on n’y boit guère autre chose que du vin rouge ordinaire, parfois coupé de limonade pour ceux qui veulent se montrer raisonnables, et du muscadet le dimanche. Les consommations se prennent debout au comptoir. Il n’y a en effet dans la salle ni tables ni chaises.
299Autrefois, on ne buvait habituellement dans les débits de boisson que de l’alcool : rhum ou « cognac ». Les mauvaises langues affirmaient d’ailleurs que les aubergistes prenaient l’un et l’autre au même tonneau. C’est dire qu’ils n’étaient pas de très bonne qualité. L’habitude était d’en partager un quart à quatre. Si chacun payait sa tournée, cela faisait beaucoup d’alcool.
300Lorsque les aubergistes jugeaient que leurs clients avaient assez bu, ils ne leur servaient plus que du vin. Cela était considéré comme une offense, car cela semblait vouloir dire qu’on ne vous jugeait pas capable de supporter une grande quantité d’alcool.
301Au début du siècle, la boisson semble d’ailleurs avoir été un véritable fléau. Plusieurs fermes furent vendues parce que leurs propriétaires s’étaient endettés pour boire. On cite le cas de paysans, qui, partis pour Quimper en char à bancs pour vendre leur récolte de blé, n’en revinrent que plusieurs jours après, et à pieds : ils avaient bu tout l’argent de la récolte, et avaient dû vendre par-dessus le marché cheval et voiture.
302Aujourd’hui, de tels cas ne paraissent plus possibles, même si les Bretons gardent une solide réputation de buveurs. Eux-mêmes sont conscients de cette renommée qu’on leur fait : elle les agace d’ailleurs, au même titre que les mythes plus ou moins fondés de la Bretagne arriérée et du crachin breton... Si, par exemple, on photographie un groupe en train de boire, il y aura toujours quelqu’un qui, sur le mode ironique, fera remarquer que la photo pourrait être utilisée à des fins de propagande anti-bretonne... Mais cela ne va pas plus loin.
303Quant à savoir quelle est la catégorie professionnelle la plus touchée, si on interroge des paysans, ils répondront à coup sûr que c’est la fraction non agricole de la population. Mais celle-ci, naturellement, s’en défend. Ce qui est certain, en tout cas, c’est que chez les maçons, il a longtemps été de tradition de boire beaucoup en travaillant, parfois même jusqu’aux limites de l’ivresse, ce qui dans ce métier, ne laisse pas d’être assez dangereux. Et cette tradition continue d’être perpétuée par certains membres de la profession. Mais on connaît aussi des paysans qui boivent beaucoup. En tout cas, l’alcoolisme féminin paraît très rare.
304De toutes façons, les gens du Cap jugent les ivrognes avec une certaine indulgence, tant que la boisson ne les empêche pas de bien faire leur travail. Et si quelqu’un s’enivre le dimanche ou à l’occasion d’une fête, on estime que sa conduite ne tire pas à conséquence.
305Lorsque le mari rentre ivre à la maison, la femme se contente de se moquer un peu de lui, et l’engage à aller se coucher. Elle lui versera même à l’occasion un verre de vin s’il le demande, pour le rendre plus accommodant. Il est rare que cela se termine par une dispute.
306Les gens du Cap n’ont pas le vin mauvais...
Les jeux et les sports
307Autrefois, à la belle saison, le dimanche, ou bien le soir lorsque les gros travaux étaient passés, il arrivait fréquemment que les hommes, et même parfois les femmes, se réunissent pour jouer ensemble, à la galoche, aux quilles, ou aux boules.
308La galoche est un jeu que les « mobiles » bretons rendirent célèbre à Paris lors du siège de 1870 sous le nom de « bouchon ». Sur un cylindre de bois ayant la forme et la dimension d’un grand bouchon, chaque joueur place une pièce de monnaie. Puis chacun à son tour essaie, à l’aide d’un palet de fonte ou de fer, de faire tomber la galoche de telle sorte qu’elle se trouve séparée des pièces qui le surmontaient. Si personne n’y parvient, chacun met une nouvelle mise et on recommence. Le premier à réussir ramasse tout l’argent mis en jeu.
309Au jeu de quilles (ar hilhou), on utilise neuf quilles. Ce sont de simples cylindres de bois arrondis en haut. La plus grande (an naoj est placée au milieu ; elle vaut neuf points. Aux quatre coins, se trouvent des quilles un peu moins hautes ; elles en valent cinq. De plus petites (ar chañkled), d’un point chacune, sont placées au milieu des côtés du carré ainsi formé. Le jeu oppose deux équipes de deux joueurs chacune. Chacun dispose de trois boules, de gros galets plus ou moins sphériques. Il s’agit de faire tomber les quilles une à une : si plusieurs quilles tombent ensemble, quelle que soit leur valeur, on ne les compte que pour un point. L’équipe gagnante est celle qui a fait le plus de points.
310Le jeu de boules en usage à Goulien porte le nom de bout tenu. Il utilise six boules de bois. Trois d’entre elles sont disposées en ligne sur une planche à demi enterrée. Il s’agit de les en déloger par un tir direct des trois autres. Ce jeu prend la forme d’un concours entre les joueurs avec éliminations successives.
311À ces jeux qui avaient la faveur du public depuis toujours, vint peu avant la dernière guerre s’en ajouter un autre, plus inattendu en Bretagne : la pétanque. Ce sont des retraités de la Marine d’État qui ayant fait une partie de leur temps de service à Toulon, avaient rapporté à Goulien ce jeu typiquement méridional. Pratiquement, il ne se répandit que dans la fraction non agricole de la population. C’est ce qui fait qu’alors que les anciens jeux sont tombés en désuétude, celui-ci continue d’être pratiqué régulièrement. En effet, au moment où les opérations de remembrement eurent lieu, beaucoup de paysans qui avaient l’habitude de jouer ensemble aux quilles ou à la galoche se retrouvèrent fâchés et ne voulurent plus se rencontrer. On abandonna les parties, et elles n’ont pas été reprises depuis. Les joueurs de pétanque restaient au contraire en dehors de ces remous. Constitués en association, ils continuent de se réunir tous les dimanches au Bourg.
312Un autre jeu d’importation récente, le football, n’a éveillé qu’un intérêt passager. Au cours des années 30, un groupe de jeunes gens s’étaient réunis pour former une équipe. Elle tint trois ans, puis dut cesser ses activités, faute d’un nombre suffisant d’amateurs. Ranimée en 1940, elle dura jusqu’en 1952 avec une petite interruption à la fin de la guerre, puis elle disparut à nouveau pour la même raison. Il est peu probable qu’il s’en crée une nouvelle dans l’avenir, en raison du nombre toujours décroissant de jeunes présents dans la commune10. Cependant, certains joueurs de Goulien continuent de faire partie d’équipes de communes voisines. Mais il y a peu de spectateurs pour aller assister aux matches qui ont lieu dans les environs pendant la saison.
Les bals et le cinéma
313Autrefois, les occasions de danse se limitaient principalement aux jours de noces. Lorsque le cortège sortait de l’église, on dansait sur la place du bourg, puis, quand on avait terminé le repas, dans la cour de la ferme où la noce avait lieu. On avait fait venir des joueurs de biniou de Plozévet, car dans le Cap il n’y avait pas de musiciens. Et jusqu’au soir on dansait la gavotte, la polka et la mazurka. Mais, au coucher du soleil, on arrêtait la danse qu’il aurait été inconvenant de continuer après la nuit tombée.
314Les noces sont restées une des principales occasions de danser. Le bal qui suit le repas du soir est ouvert à tous et gratuit, et on y voit venir des jeunes gens de toutes les communes du Cap. Beaucoup d’habitants de la commune y viennent aussi, non pour y danser eux-mêmes, mais simplement pour voir, et y restent souvent jusqu’à la fin.
315Ces bals de noces ont lieu le plus souvent dans le courant de la semaine. Le samedi soir et le dimanche après-midi, des dancings sont ouverts à Plouhinec et à Audierne, qui attirent une grande partie de la jeunesse locale.
316Il y a longtemps que les jeunes ne connaissent plus les danses traditionnelles ; on suit les succès à la mode, et un bal capiste ne se distingue en rien d’un quelconque bal de la banlieue parisienne. Dans d’autres régions de Bretagne, on organise fréquemment des festou noz, c’est-à-dire des « bals de nuit » où l’on pratique exclusivement les anciennes danses, et qui rassemblent habituellement un grand concours de peuple. Dans le Cap, cela ne se produit jamais. À peine sait-on que cela existe ailleurs.
317Ce qui assure le grand succès des bals, c’est qu’ils constituent pour les garçons et les filles l’une des principales occasions de se rencontrer, et que bien de ces rencontres aboutissent à des mariages. Aussi les célibataires qui approchent de la trentaine y sont-ils souvent parmi les plus assidus. Leurs mères les y encouragent, et se désolent si au contraire ils ne veulent pas y aller.
318Une autre occasion de sortie pour les jeunes est le cinéma. Il existe deux salles à Audierne, qui passent un assez bon choix de films, cinq jours par semaine. Pendant quelques années, le patronage d’Audierne et celui de Pont-Croix ont donné chacun une séance hebdomadaire, mais ils ont interrompu récemment leur activité. Il existe enfin à Beuzec un ciné-club rural, mais je ne crois pas qu’il attire grand monde de Goulien.
319À Goulien même, après la dernière guerre, un opérateur ambulant venait projeter des films chaque samedi dans la grande salle d’un des cafés du Bourg. Mais les conditions dans lesquelles il fallait assister à la séance étaient trop inconfortables pour que la concurrence des salles de la ville ne joue pas, à mesure que les moyens de transports individuels rendaient les déplacements plus faciles.
Les loisirs périodiques
Les pardons
320Les pardons étaient sans doute autrefois la meilleure occasion pour les garçons et les filles de se rencontrer.
321Un pardon, ce n’est pas autre chose que la fête patronale d’une église ou d’une chapelle, comme on en célèbre partout en France. Mais alors qu’elles passent à peu près inaperçues ailleurs, on leur accorde en Bretagne une importance remarquable. C’est que dans un pays dont les saints sont, non pas des personnages lointains à qui on ne s’adresse qu’avec respect, mais souvent les fondateurs mêmes de la paroisse et les garants de son intégrité, le pardon représente la fête même de la communauté.
322Le pardon est jour de fête pour tous ceux qui habitent le territoire dépendant du sanctuaire du patron que l’on célèbre, et ils imitent ce jour-là tous leurs parents à un repas de famille. À la grand-messe, qui connaît une affluence inaccoutumée, un prédicateur venu de l’extérieur prononce le panégyrique du saint. L’après-midi, on chante des vêpres solennelles, avec le concours de tout le clergé des environs, que le recteur a lui-même reçu à sa table, et la journée se termine par une longue procession où l’on sort toutes les reliques, croix processionnelles, bannières et statues que possède la paroisse.
323Depuis le matin, des marchands ont monté des tentes près de l’église, et vendent friandises et jouets. Sous d’autres tentes, on a installé tables et bancs, et l’on donne à boire. En attendant l’heure des offices, ou à la sortie, les femmes et les enfants se groupent autour des premières, les hommes se dirigent vers les secondes. De petits groupes stationnent ici et là et bavardent.
324Si, aujourd’hui encore, le déroulement des pardons n’a absolument pas changé, l’attrait qu’ils suscitent est loin d’être le même qu’autrefois. Alors, l’affluence des étrangers à la paroisse était considérable, et il en venait de lieux d’autant plus éloignés que le pardon était célèbre. C’est ainsi que le pardon de St-Tugen-en-Primelin attirait des pèlerins jusqu’aux environs de Quimper.
325Dans ces grands rassemblements, chacun trouvait la possibilité de rencontrer une foule de gens extérieurs au réseau des fréquentations habituelles et des relations familiales, possibilité rare, surtout pour l’élément féminin de la population qui se rendait moins souvent que les hommes aux foires, où de toutes façons, les rapports qu’on pouvait avoir avec des étrangers se limitaient strictement à des échanges commerciaux. Tandis qu’ici, chacun arrivait avec l’esprit disponible, ouvert, et prêt à toutes les rencontres.
326Ce sont naturellement les jeunes qui étaient le plus sensibles à cette possibilité, et pendant toute la saison, du premier dimanche de juin au dernier dimanche de septembre, ils ne manquaient pas un de ceux qui avaient lieu, presque chaque semaine, dans le Cap et ses environs immédiats.
327Si aujourd’hui les pardons perdent leur ancienne importance et finissent par ne plus intéresser que les gens de la paroisse où ils se déroulent, il ne faut donc sans doute en chercher la raison ni dans un déclin de l’esprit religieux ni dans une désaffection pour le culte des saints, mais tout simplement dans le fait que les occasions de contacts se sont considérablement développées depuis, et qu’ils ne présentent plus à cet égard qu’un intérêt réduit.
Les fêtes et kermesses
328Le grand concours de peuple qui se produisait à l’occasion des pardons attirait de nombreux marchands ; à la longue, il se joignit à eux des exploitants d’attractions foraines. Dans certaines paroisses, on ne fit pas de difficulté à leur venue. Mais le plus souvent, afin de sauvegarder le caractère religieux de la journée, les municipalités ne leur permirent de s’installer dans la commune que le dimanche précédant ou suivant le pardon. À Goulien, où celui-ci tombe le troisième dimanche de Juillet, c’est le deuxième dimanche du mois qu’a lieu la fête foraine.
329Dans un champ situé près de l’église s’installent divers stands, (tirs, loteries, « casse-boîtes », « casse-bouteilles »), un manège pour les petits et un manège d’« autos-tampons ». Dans l’après-midi, a lieu une course cycliste organisée par le comité des fêtes, et à laquelle prennent part des coureurs amateurs du département, puis divers jeux ouverts à toutes les catégories de la population : courses à pieds, entre enfants de moins de 14 ans, entre hommes de moins de 40 ans, entre hommes de plus de 40 ans, entre jeunes filles, entre femmes mariées... Jeux de tir à la corde, entre équipes créées spontanément11... Autrefois, on organisait aussi des courses de chevaux montés par les hommes de la commune, mais on a dû récemment abandonner cette dernière compétition, parce qu’il aurait fallu souscrire une assurance pour les participants et que cela revenait trop cher.
330La participation de la population à ces réjouissances reste assez importante, même parmi les personnes les plus âgées qui, si elles n’y participent pas directement, ne viennent pas moins y assister. Et elles attirent toujours un certain nombre de personnes des communes voisines, surtout si le temps est beau ; de même on se rend à l’occasion aux fêtes de cette sorte qui ont lieu dans les environs.
331D’autres fêtes, d’une périodicité irrégulière, sont les kermesses, organisées, soit par la paroisse, soit par l’école, soit par la JAC, pour financer telle ou telle de leurs activités.
332Cette fois, ce n’est pas seulement pendant une journée que la fête mobilise la population, mais pendant tout le temps que nécessite sa préparation, et qui s’étend parfois sur une quinzaine de jours.
333Le programme des kermesses est variable ; elles ont pour point commun de se dérouler dans une enceinte fermée, champ clos ou cour d’école, et il est nécessaire d’acquitter une certaine somme pour y pénétrer, contre remise, soit d’un billet, soit d’un insigne que l’on place à la boutonnière.
334Dans l’enceinte de la kermesse se dressent un certain nombre de stands semblables à ceux qu’on pourrait trouver dans une fête foraine ; le choix qu’on en fait varie naturellement selon les cas, mais on trouve presque toujours un « casse-boîtes » un « casse-bouteilles », une ou plusieurs loteries, parfois un tir. Une ou deux buvettes pour les hommes, un café-crêperie pour les femmes, constituent un sûr moyen d’attraction. Parmi les jeux qui sont organisés, l’un de ceux qui attirent le plus d’amateurs est le « lapinodrome » : il s’agit d’une petite arène complètement environnée de niches numérotées, au milieu de laquelle on lâche un lapin, ou, mieux, un cochon d’Inde. Celui des spectateurs qui a misé sur la niche dans laquelle l’animal finit par se réfugier a gagné ; les prix sont constitués habituellement par des poules ou des lapins. Le jeu favori des enfants est la « pêche à la ligne » : au milieu d’une enceinte fermée par des cordes tendues entre des piquets, sont entassés des paquets grossièrement ficelés dans du papier journal ; pour une certaine somme, on a le droit d’en attraper un à l’aide d’une canne à pêche rustique. Chaque paquet contient un lot, mais ils sont naturellement d’une valeur inégale.
335Pour les hommes, on organise des concours de quilles ou de boul tenn.
336Ce sont là des attractions les plus courantes, celles qui ont fait leurs preuves, mais il est bien évident que les organisateurs de chaque kermesse peuvent éventuellement en essayer de nouvelles qui, si elles obtiennent un succès appréciable, finiront par se retrouver dans toutes les kermesses suivantes.
337Ces kermesses ont lieu le dimanche, au printemps ou l’été. Le matin, seuls fonctionnent la buvette et le café, qui reçoivent déjà un certain nombre de clients après chacune des messes. Louverture générale a lieu l’après-midi. Elle est précédée, dans les grandes kermesses, par un défilé de chars décorés, réalisés avec beaucoup d’imagination et de goût. Les thèmes sont très variés. Parmi ceux réalisés ces dernières années à Goulien, on relève une « Noce capiste », le « Cabaret de la Madelon », la « Récolte du gui par les druides », « Kervéguen au temps des Gaulois », l’« Hélicoptère de Me de Sein », les « Moissonneurs de 1900 », les « Petits meuniers », l’« Angelus », etc. Le soir, pour clôturer la fête, a lieu une séance cinématographique qui peut rassembler plusieurs centaines de personnes. L’affluence dans le courant de la journée est souvent assez considérable, et les sommes rassemblées en ces occasions étonnamment élevées. Les visiteurs étrangers à la commune sont nombreux, et inversement les gens de Goulien fréquentent volontiers les kermesses qui ont lieu dans les communes voisines.
338Bien que la mode des kermesses ne soit guère antérieure aux années 30, elle est maintenant tout à fait entrée dans les mœurs.
Vacances et voyages lointains
339L’idée qu’on pût interrompre le travail pendant quelques jours pour ne rien faire, ou pis encore, de quitter la commune simplement pour se promener, ne serait jamais venue aux anciens. On ne connaissait d’autres jours de repos que les dimanches et jours fériés, qu’on passait toujours à la maison, à moins qu’on n’allât assister à un pardon dans une commune voisine, ou, au plus loin, à Ste-Anne-la-Palud. Et les plus longues interruptions dans le travail avaient lieu à l’occasion des noces qui n’étaient pas spécialement une occasion de repos.
340Si on sortait hors des limites du Cap, ce n’était que pour certains motifs bien précis : les hommes, pour aller satisfaire à leurs obligations militaires, ou, s’ils étaient ouvriers, pour trouver un travail mieux rémunéré en ville, ou bien marins, pour aller embarquer. On allait aussi aux foires de Quimper et de Confort, parfois à un pèlerinage un peu plus lointain que d’habitude, par exemple à Notre-Dame de Rumengol ; on emmenait les enfants en pension à Douarnenez, Quimper ou Pont-l’Abbé ; du temps de l’abbé Abjean, quelques garçons et jeunes filles allaient de temps en temps jouer une pièce de leur répertoire dans une paroisse de la région. C’était à peu près tout.
341Après 1918, l’esprit casanier des gens de Goulien diminua un peu. La guerre avait promené les hommes à travers toute la France, parfois même hors des frontières. Les routes avaient été améliorées. Les transports étaient plus faciles. Les marins d’État pouvaient plus facilement emmener leur famille avec eux à Brest ou à Toulon. Il arrivait que des gens de Goulien aillent visiter leur famille émigrée en ville. Un groupe d’hommes partit faire un pèlerinage au Sacré-Cœur de Paris. Quelques personnes commencèrent d’aller en pèlerinage à Lourdes. On ne se sentait plus comme autrefois limité à un territoire restreint. Goulien s’ouvrait au monde. Mais dans l’ensemble, on en profitait assez peu, car on ne se sentait pas encore beaucoup attiré vers l’extérieur.
342Depuis la dernière guerre, la situation n’est plus exactement la même. Tout le monde a dans sa famille des parents qui vivent en ville, avec qui on reste en contact, et qui prennent des vacances chaque année, profitant souvent de l’occasion pour revenir au pays natal. Des maisons de villégiature se construisent sur toute la côte sud du Cap. L’été, les routes sont sillonnées par les voitures des estivants. Les vacances, hier l’exception, sont devenues courantes pour tous les citadins. Pourtant peu de ruraux en prennent encore.
343C’est qu’ils n’ont pas encore pris l’habitude de les considérer comme une possibilité qui leur est offerte à eux aussi. Ils vivent habituellement sans utiliser beaucoup d’argent liquide : les dépenses qu’elles entraîneraient les effraient, et elles leur apparaissent comme un luxe inaccessible. Même les ouvriers qui auraient droit à un congé annuel préfèrent se le faire payer et continuer de travailler, se réservant de prendre un ou deux jours de temps en temps pour cultiver leur jardin ou pour participer à quelque cérémonie familiale. Quant aux paysans, ils redoutent l’idée de délaisser leur ferme quelques jours. Et pourtant, pour beaucoup d’entre eux, rien ne serait plus facile, puisqu’ils cohabitent souvent avec leurs parents, et que les uns pourraient facilement partir, à un moment où les travaux ne sont pas trop pressants, tandis que les autres expédieraient le petit ouvrage ; ou bien, deux voisins pourraient s’entendre entre eux dans cette intention. C’est tout juste si on se permet des sorties d’une journée de temps en temps, organisées, soit par le Syndicat Agricole, après la moisson, soit par l’Association des Parents d’Élèves.
344Autrement, on ne fait que deux ou trois grands voyages d’agrément dans sa vie, qui dépassent rarement la durée d’une semaine. On va une fois à Lourdes, une ou deux fois chez des parents lointains... Mais il existe à Goulien beaucoup de femmes qui ne sont jamais sorties du Finistère, et certaines, même jeunes, ne sont jamais allées à Quimper, ou n’ont jamais pris le train.
345Jusqu’à maintenant, seuls quelques artisans et commerçants prennent de véritables vacances. Certains jeunes participent à des voyages à l’étranger, organisés, soit par le Mouvement Rural de la Jeunesse Catholique, soit par leur lycée ou leur école. En 1963, un couple de jeunes mariés est parti pour huit jours à Biarritz : c’était un événement. Personne jusqu’alors n’était jamais parti en voyage de noces.
Notes de bas de page
1 Je ne me permettrais plus aujourd’hui un jugement aussi subjectif (note de 2001).
2 Avec toutefois une certaine préférence pour la droite.
3 Les données concernant l’équipement ménager des maisons de Goulien ont été obtenus par le moyen d’une enquête à domicile confiée à mon épouse Marie-Thérèse Pelras (note de 2001).
4 Traduction littérale locale du breton bara-amann : tartines beurrées.
5 Les menus indiqués ci-après résument une centaine d’observations directes.
6 Encore une appréciation très subjective du jeune ethnologue que j’étais alors (note de 2001).
7 Dans les années 60, le jeudi était encore le jour de repos scolaire et celui du catéchisme (note de 2001).
8 Journal catholique.
9 Organe officiel du Parti Communiste Français
10 Ce pronostic a été démenti par la création de « Goulien Sports » et par tout l’intérêt que la population de Goulien portait au football en l’an 2000 (note de 2001).
11 Souvent, une équipe représentant la moitié nord de la commune et une équipe représentant la moitié sud.
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