Les moyens de subsistance
p. 63-151
Texte intégral
Structure socio-professionnelle
1Goulien est essentiellement une commune agricole ; mais s’il est vrai que les agriculteurs forment la majorité de la population cela n’empêche pas que le nombre de ceux qui tirent leur subsistance d’autres professions que l’agriculture soit non négligeable. Et cela était vrai déjà à la fin du siècle dernier (tableaux V et VI).
2On peut classer ces derniers en deux catégories principales : il y a d’abord ceux qui fournissent à la population locale les services dont elle a besoin le plus fréquemment : artisans et commerçants, auxquels on pourrait joindre aussi les personnes chargées d’un service public : instituteurs, employés des postes, secrétaire de mairie. La deuxième catégorie de professions comprend celles dont le heu d’exercice est situé hors de la commune : ouvriers employés dans des entreprises extérieures, marins, militaires. Les maçons, très nombreux à Goulien, sont à cheval sur ces deux catégories : les limites de la commune sont trop étroites pour leur permettre d’y trouver une clientèle suffisante et leur champ d’activités s’étend sur tout le Cap ; mais la nature de leurs services permet de les ranger plutôt dans la première. Quant aux marins pêcheurs, qui tirent leur subsistance, comme les agriculteurs, de l’exploitation des produits naturels, ils forment à cet égard un groupe à part, mais son importance, déjà réduite au début du siècle, est à peu près nulle aujourd’hui.
3Le tableau V nous permet de saisir l’évolution de ces différentes catégories entre 1911 et 1963. Le recensement de 1911 était, dans des archives municipales, le seul recensement antérieur à 1914 qui soit encore lisible, les autres étant en grande partie gâtés par l’humidité. Mais à cette date la structure socio-professionnelle était encore à peu près la même qu’à la fin du XIXe siècle. Elle ne s’est vraiment transformée qu’après la guerre.
4Ce tableau nous montre une certaine stabilité dans l’exercice des professions agricoles (de 74,4 % de la population active à 78,1 %), une baisse des autres professions exercées localement (de 22,8 % à 17,2 %) et une hausse assez remarquable des professions exercées au dehors (de 2,7 % à 9,7 %). Ces résultats bruts à eux seuls indiquent déjà une ouverture de la commune vers l’extérieur : les services dont on a besoin sur place vont en diminuant ; et si les moyens d’existence locaux ne sont pas suffisants, on a de plus en plus tendance à les rechercher hors de la commune.
5Si nous allons plus dans le détail des différentes catégories, nous remarquons que dans les professions agricoles, le pourcentage des exploitants et de leurs familles s’est sensiblement accru, tandis que celui des salariés descendait en flèche.
6Dans les autres professions exercées localement, si l’importance relative des commerçants et des employés de services publics connaît une légère hausse, la proportion des artisans a baissé de moitié.
7À ces baisses correspondent les hausses qu’on enregistre dans le nombre relatif de salariés extérieurs et de militaires. Cela s’explique parfaitement si on sait qu’elles concernent la partie de la population dépourvue de terres, les prolétaires ruraux en quelque sorte. Tant que ceux-ci se contentaient de peu pour vivre, et tant qu’ils ne pouvaient trouver ailleurs d’autres sources de revenus, ils étaient bien obligés de se rabattre sur les maigres possibilités locales. Mais celles-ci, déjà peu rémunératrices, ne leur garantissaient aucune sécurité. Devenus ouvriers ou militaires, ils reçoivent en revanche un salaire régulier, et surtout, ils sont assurés d’une retraite.
8Les retraités constituent d’ailleurs aujourd’hui la part la plus importante de la population non active masculine : il s’agit surtout de retraités de la marine ou de l’armée auxquels s’ajoutent un petit nombre d’anciens ouvriers. Il existe depuis peu une retraite agricole, mais son montant est infime et ne permettrait certainement pas de vivre sans autre source de revenus. De toutes façons, l’attente d’une retraite est tout à fait absente des préoccupations des agriculteurs, qui travaillent tant qu’ils en ont la force, et lorsque celle-ci leur manque, cherchent à se rendre utiles dans la mesure de leurs possibilités tant qu’ils sont en vie. J’ai donc compté la plupart des vieux agriculteurs parmi la population active, et ceux qui ne peuvent plus travailler ont été indiqués comme sans profession. En 1911, en revanche, la plupart des hommes sans profession étaient des hommes jeunes, sans travail fixe, mais qui pouvaient s’employer saisonnièrement, soit aux gros travaux des champs, soit dans les usines de conserves d’Audierne.
9La population non active de Goulien, dont le chiffre absolu est resté presque le même en cinquante ans (173 contre 172) tandis que celui de la population active diminuait de près de la moitié (347 contre 621), comprend donc maintenant une part notablement plus importante de la population adulte. À noter l’accroissement relatif important des femmes sans profession : ce sont les épouses des salariés, des retraités, des marins ou des militaires. Au contraire, à part quelques vieilles, les femmes ou filles d’agriculteurs entrent toutes dans la population active. Les femmes fournissent d’ailleurs sur les exploitations à peu près autant d’heures de travail effectif que les hommes.
10Si nous considérons maintenant le détail des professions exercées (tableau VI), nous voyons qu’un certain nombre de celles qui ont été recensées en 1911 ont totalement disparu (sabotiers, tisserands, cordonniers, soudeur) et que d’autres ont vu leurs représentants diminuer de façon considérable (domestiques et journaliers agricoles, marins pêcheurs, forgerons, maçons, couturières, meuniers). Ces disparitions ou ces diminutions concernent tout d’abord des professions dont l’existence était liée à l’économie en grande partie autarcique de la commune : le chanvre qu’on cultivait et la laine des moutons étaient filés à la maison, puis livrés aux tisserands ; puis le tissu que ceux-ci avaient fabriqué était mis entre les mains des couturières. Les arbres des talus étaient abattus, débités, et les sabotiers en tiraient de quoi chausser la maisonnée pendant plusieurs années. Pour les jours solennels, on avait des chaussures produites par le cordonnier local. Et comme on cuisait son pain soi-même, les meuniers ne manquaient pas de travail pour moudre tout le grain qu’on leur apportait. Les autres professions en diminution ont été abandonnées parce que peu rentables. Quant à l’unique soudeur indiqué en 1911, il travaillait dans une conserverie d’Audierne, et n’était pas le seul, mais il s’agissait d’un travail saisonnier, intéressant les plus pauvres de la commune, qui sont peut-être recensés ici sous une autre profession (maçons ou couturières) ou indiqués comme étant sans profession. La modernisation des usines de conserves a mis fin à cette activité.
11Les professions nouvelles sont assez nombreuses. La plus importante numériquement est celle de marin de commerce. On compte en outre un certain nombre de personnes employées chez divers patrons d’Audierne ou de Cléden : manœuvres, charpentiers, électriciens, chauffeurs, employés de bureau. Les nouvelles professions exercées sur place correspondent à l’apparition de techniques modernes : électricien, mécanicien, transporteur. Enfin l’apparition d’une gérante postale et d’un facteur témoignent de l’ouverture de la commune vers l’extérieur et du besoin de communiquer avec ceux qui se sont exilés.
12Une étude plus fine nous permet de mieux saisir comment les différentes professions exercées par les habitants de la commune se répartissent selon les familles. Elle permet de voir qu’à côté d’une majorité de familles composées seulement d’agriculteurs, plusieurs professions coexistent souvent. En 1911, les associations les plus fréquentes étaient : maçons/cultivateurs (7 ménages) et maçons/couturières (7 ménages aussi) ; on comptait en outre 7 ménages où l’épouse exerçait la profession de couturière, tandis que le chef de ménage était absent : il devait s’agir dans presque tous les cas de maçons partis travailler à la ville.
13En 1963, aucune de ces associations ne subsiste plus, et celles qu’on rencontre sont beaucoup plus diversifiées : la plus représentée, cultivateurs/marins de commerce, ne concerne que 4 ménages. D’autre part – mais cela n’est pas visible à l’examen du tableau – la nature même de ces associations a souvent changé. En 1911, il s’agissait surtout pour chacun des membres des familles pauvres de contribuer à la subsistance de tous ; et par exemple, le mari et le fils étaient maçons, la femme couturière, et les grands-parents s’employaient à travailler le petit lopin de terre qu’ils possédaient ou qu’ils avaient loué, et qui fournissait une partie de la nourriture quotidienne ; c’est cela que traduisait leur qualification de « cultivateurs ». Tandis qu’en 1963, les cultivateurs dont il est question sont effectivement des exploitants, et les autres professions exercées dans leur famille sont celles, soit de fils qui n’ont pas l’intention de reprendre leur succession, soit de gendres qui sont venus habiter chez eux.
14En résumé, on peut dire que la structure socio-professionnelle de la commune avant 1914 paraissait beaucoup plus que maintenant fondée sur une certaine complémentarité des activités, tandis qu’en 1963, la population semble appelée à se scinder en deux groupes principaux, entièrement indépendants l’un de l’autre : d’une part les agriculteurs, et d’autre part des personnes de professions diverses, mais tirant toutes leurs revenus de sources extérieures à la commune. Cette scission ne fait d’ailleurs que perpétuer une ancienne distinction : en effet, on avait autrefois coutume de grouper la population en deux grandes catégories : les pochou gwiniz (« sacs de blé ») ou agriculteurs, et les porkez ou petites gens.
15Comme on le verra par la suite, cette distinction reste encore très importante.
L’agriculture
Les agriculteurs et leurs exploitations
La population agricole
16Le chapitre précédent nous a déjà donné des indications intéressantes sur l’évolution de la population agricole durant ces cinquante dernières années. Nous y avons vu que si la proportion des salariés avait considérablement baissé, il n’en était nullement de même pour les agriculteurs proprement dits, qui continuent de représenter les trois quarts de la population active. En nombre absolu, ils n’en ont pas moins subi une forte diminution depuis cinquante ans, puisqu’ils sont passés de 148 à 237 individus ; et tandis qu’on recensait 105 ménages d’agriculteurs en 1911, on n’en trouve plus que 73 aujourd’hui. Mais cette diminution reste proportionnelle à la diminution générale de la population de la commune.
17Cependant, des changements importants se sont opérés au sein même de cette population agricole. Les intéressés eux-mêmes en sont bien conscients, même si leurs impressions ne sont pas tout à fait conformes à la réalité. C’est ainsi que, selon mes vieux informateurs, les familles auraient été jadis beaucoup plus nombreuses que de nos jours ; du fait, non seulement, du grand nombre d’enfants, mais aussi de celui des vieux tontons et vieilles tatas célibataires qui restaient jusqu’à leur mort dans la ferme où ils étaient nés. En fait, si nous nous reportons aux chiffres des recensements, nous pouvons calculer qu’en 1911 la moyenne par famille d’agriculteurs était de 3,3 adultes et 2 enfants, contre 3,2 adultes et 1,4 enfant en 1963. Ainsi, le nombre moyen d’enfants a bien diminué, mais pas dans des proportions aussi considérables qu’on aurait pu le croire ; quant au nombre moyen d’adultes, il est resté le même. C’est un résultat qui étonnerait beaucoup de gens à Goulien.
18Plus étonnant encore : il est vrai que la proportion de célibataires était plus élevée en 1911 qu’en 1963 ; mais ce n’est pas parce qu’il y avait plus de vieux oncles ou de vieilles tantes : en effet, les célibataires de plus de 50 ans constituaient 8,3 % de la population agricole contre 8 % maintenant ; la différence n’est guère sensible. En revanche, les célibataires de 21 à 30 ans, qui sont 7,2 % en 1963, étaient 17,2 % en 1911. Ces résultats s’écartent non seulement de l’opinion locale courante, mais encore de celle qui est exprimée fréquemment par divers organismes, comme le Centre d’Économie Rurale, qui dans son Étude agricole de la région du Cap, d’ailleurs excellente, déclare (§ 13) que « l’augmentation du nombre des célibataires (hommes) dans la population agricole laisse prévoir une aggravation de l’exode rural ». Mais, comme nous venons de le voir, le nombre des célibataires n’est nullement en augmentation, et même si on s’en tient aux hommes seuls, on peut calculer que les célibataires entre 21 et 30 ans ne sont plus que 9,4 % de la population masculine agricole contre 16,3 % en 1911.
19Le fait qu’il y ait proportionnellement moins de célibataires alors que la dimension moyenne des familles n’a pratiquement pas varié signifie sans doute que les agriculteurs se marient plus tôt qu’ils ne le faisaient jadis. Cela entraîne une plus grande durée de la cohabitation avec les beaux-parents, ce qui ne va pas sans quelques difficultés et est souvent néfaste pour l’évolution des méthodes de travail.
20Ce qui est certain, en revanche, c’est que les célibataires qui restent vont avoir de plus en plus de mal à se marier. Il y avait en 1963, 19 célibataires hommes de 21 à 40 ans pour 10 célibataires femmes ; en supposant que chacune de ces jeunes filles trouve un époux parmi les jeunes gens, ce qui est loin d’être certain, il resterait encore 9 hommes sans femmes. Or la situation est la même dans toutes les communes du Cap, ce n’est donc pas de là que peut venir le salut. Il est peu probable que ces agriculteurs célibataires quittent la terre, mais ce qui est certain, c’est qu’à plus ou moins longue échéance leur exploitation se trouvera abandonnée. D’ailleurs, on compte déjà à Goulien 14 propriétaires sur 90 sans successeurs, soit qu’ils n’aient pas d’enfants, soit que ces derniers aient pris ou désirent prendre un autre métier que l’agriculture. Il ne s’agit, il est vrai, dans la plupart des cas que de toutes petites propriétés qui méritent à peine le nom d’exploitation agricoles, et qui, à elles toutes, couvrent à peine 67 hectares. Cependant trois d’entre elles ont une superficie égale à la moyenne communale.
21Cette absence de successeurs peut sans doute expliquer que l’âge moyen des exploitants ait augmenté ; de 46 ans et demi à 51 ans. On remarque aussi que ce vieillissement est surtout sensible dans les toutes petites exploitations. Mais je ne sais pas s’il faut accorder beaucoup d’importance à ces derniers chiffres, qui ne font peut-être que traduire l’allongement moyen de la vie.
22J’ai peu parlé des salariés agricoles. Ce qu’il y a à en dire est vite dit. En 1911, il y en avait en moyenne un par exploitation. En fait, les petites exploitations n’en avaient guère, et celles qui étaient assez importantes pour en avoir en avaient rarement moins de deux. En 1963, la moyenne est tombée à... un peu moins de 0,2.
23En résumé, l’évolution de la population agricole est caractérisée par une diminution du nombre des familles d’agriculteurs – on verra plus loin qu’elle a été causée par la disparition à peu près complète des petits fermiers – et par une grande raréfaction des salariés. S’il y a eu exode rural, c’est chez ceux-là, et non chez les propriétaires exploitants, dont le nombre est resté stable, et dont les familles n’ont guère varié d’importance.
24On peut cependant prévoir que le nombre de familles d’exploitants va commencer à diminuer dans peu de temps.
La propriété
- Le régime foncier
25Les terres de Goulien appartiennent aujourd’hui presque exclusivement à de petits ou moyens propriétaires ; on se rappelle qu’il n’y a en tout dans la commune que 5 fermes dont 3 importantes. À cet égard, la situation a bien changé depuis cinquante ans, puisque en 1911, les fermiers étaient au nombre de 36, dont une quinzaine exploitaient des fermes importantes.
26En 1963, trois des propriétaires des fermes sont eux-mêmes exploitants dans la commune. Un seul réside à l’extérieur : c’est un commerçant de Plogoff dont la famille est originaire de Goulien. En 1911, près de 110 hectares appartenaient à six propriétaires non exploitants, résidant, un a Plogoff, deux à Audierne, un à Plozévet, un dans la Sarthe et un à Nantes.
27Le domaine congéable, qui jusqu’à la Révolution avait été presque exclusivement pratiqué dans le Cap, avait déjà presque complètement disparu en 1911 : seuls quelques exploitants avaient encore, en plus de leurs propriétés, quelques ares, parfois un are ou à peine plus, en domaine congéable. Ils devaient bientôt les avoir tous rachetés.
- La succession
28En règle générale, à Goulien comme dans le reste du Cap (Plogoff excepté), on évite par-dessus tout le partage et la dispersion des terres. Le Code Civil n’admettant plus le droit d’aînesse, on tourne la difficulté en procédant du vivant des parents à une donation-partage, la totalité de l’exploitation étant attribuée à un seul des enfants : les autres reçoivent leur part d’héritage en argent.
29Le bénéficiaire de la donation est en principe le fils aîné, ou, en cas d’empêchement, soit pour cause d’infirmité, soit parce qu’il a pris un autre métier que l’agriculture, le fils suivant, ou le troisième si ce dernier est lui aussi empêché, etc. Toutefois, lorsque l’aîné des enfants est une fille, et que le plus âgé de ses frères est beaucoup plus jeune qu’elle, ou bien si tous les garçons susceptibles de recevoir l’héritage sont empêchés, c’est à elle qu’il écherra.
30Le cas est assez fréquent, puisque sur 87 propriétés recensées à Goulien en 1911, il n’y en a que 45 en 1963 à être passées de père en fils : 29 ont été reprises par des filles, 3 par des collatéraux, une a été partagée entre plusieurs héritiers, 3 ont été vendues ; une autre a gardé le même patron qu’en 1911, et enfin, cinq exploitations ont été abandonnées, ou ont vu leurs activités réduites à un point tel qu’il ne vaut plus la peine d’en parler. On compte, en outre, 8 nouveaux propriétaires qui ont racheté des exploitations où leurs parents étaient fermiers.
31Que l’héritier soit un garçon ou une fille, les parents, une fois la donation faite, continuent d’habiter la ferme et d’y travailler mais la direction de l’exploitation revient totalement, en principe au moins, à leur fils ou à leur gendre. Le contrat de donation stipule en revanche que les enfants devront les loger, les nourrir et les vêtir, les soigner gratuitement, et prendre en charge à leur décès les frais de leurs funérailles. Il prévoit aussi parfois qu’il leur sera versé une petite somme, soit comptant, soit sous forme de rente viagère, destinée à leur assurer un peu d’argent de poche (cette dernière disposition tend à se faire moins fréquente du fait de l’institution de la retraite agricole). Enfin, on leur accorde parfois la jouissance de quelques terres.
32La soulte que l’héritier principal doit verser à chacun de ses frères et sœurs est calculée en divisant en autant de parts que d’enfants, la valeur de l’exploitation, estimée à l’amiable, de laquelle on aura retranché une somme correspondant aux frais d’entretien des parents.
33Autrefois, comme celui qui reprenait la ferme était considéré comme l’enfant privilégié, on avait tendance à en forcer l’estimation et à sous-estimer les charges, de façon à donner des soultes élevées, ce qui, satisfaisait l’orgueil des parents, mais pouvait constituer un grave handicap pour le nouveau patron.
34Aux environs de 1900, pour une ferme de 5 ha 1/2, un héritier devait payer 4 500 francs à chacun de ses trois frères et sœurs (assez pour que chacun d’eux puisse se construire une maisonnette). Et on cite de riches héritières qui apportèrent 21 000 francs à leur mariage.
35Vers 1955, dans une ferme de 19 ha., l’héritier a dû payer 9 000 francs à ses frères et sœurs, ce qui indique au contraire une sensible sous-estimation de l’exploitation. Tel est l’usage actuellement : c’est souvent l’héritier qui impose lui-même sa propre estimation et la sur-estimation de la charge des parents, en menaçant au besoin de partir si on ne lui accorde pas satisfaction. Certes l’Enregistrement peut contester une estimation trop faible, mais le montant déclaré est souvent fictif.
36En plus de la soulte, le contrat prévoit fréquemment que l’héritier se chargera des frais éventuels du mariage de ses frères et sœurs célibataires. On mentionnait en outre autrefois, une armoire garnie de son trousseau, de la literie, une vache, etc., qui leur seraient donnés à cette occasion.
37Pour s’acquitter de ses dettes, on disposait jadis d’assez longs délais, généralement, dix ans. Les jeunes ont tendance actuellement à vouloir se libérer rapidement, et disposent pour cela de prêts du Crédit Agricole. Mais les vieux critiquent leur hâte.
38Tant que des frères et sœurs célibataires restent à la ferme, le montant de leur soulte reste dans le capital exploité en commun. On a donc tout intérêt à ce qu’ils ne partent pas, et c’est ce qui explique la présence fréquente dans les fermes de vieux oncles et de vieilles tantes célibataires.
39Le moment choisi pour la donation, ou comme on dit dans le Cap l’affaire de famille, est généralement celui du mariage de l’enfant attributaire de la ferme, mais on attend parfois la naissance de son premier enfant – ou mieux de son premier garçon. Il arrivait même autrefois qu’on attendît que celui-ci fût assez grand pour qu’il en soit le bénéficiaire direct : en sautant ainsi une génération, c’était autant de frais économisés. De tels retards se produisent aussi lorsque le père, encore jeune et vigoureux, répugne à abandonner la direction de son exploitation.
40Inversement, lorsqu’un jeune homme approche de la trentaine et qu’il est encore célibataire, il arrive qu’on le fasse patron sans attendre, de façon à faciliter son mariage.
41Un couple qui n’a pas d’enfants évite le partage de ses biens en prenant pour héritiers des neveux de l’un et de l’autre époux, que l’on fait marier expressément dans cette intention. En fait, les frais de donation d’oncle à neveu étant fort élevés (60 %) l’affaire se règle généralement par le biais d’une vente fictive.
42Finalement, les cas de partage après décès ou de vente d’une exploitation sont fort rares. Cela ne peut se produire que dans le cas d’un décès subit ou dans les familles où les enfants, selon l’expression locale « ne s’arrangent pas », c’est-à-dire qu’ils ne parviennent pas à se mettre d’accord sur l’estimation de la ferme et sur les soultes à payer, ou bien lorsque les parents sont brouillés avec leurs enfants. Mais c’est une extrémité à laquelle on n’arrive pas sans de graves motifs.
- Le remembrement
43Le système de succession en vigueur à Goulien, s’il évite une trop grande dispersion des terres, ne la supprime pas entièrement : le morcellement des propriétés était même assez grand avant le remembrement.
44En effet si rares soient les ventes, il arrive tout de même qu’il s’en produise, et en ce cas, les voisins de la propriété vendue en rachètent des parcelles, même si elles ne jouxtent pas exactement leurs propres biens. Il se produit aussi de temps en temps des ventes partielles, tel propriétaire en difficulté vendant quelques hectares de terre pour se sortir momentanément d’affaire. Lorsqu’un autre enfant que l’héritier se marie, il arrive que la soulte à laquelle il a droit ne lui soit que partiellement payée, le reste étant constitué par quelques terres de la ferme paternelle ; etc. D’autre part, la plupart des parcelles étaient exiguës et souvent de formes biscornues, entourées de hauts talus, d’accès difficile... Toutes choses qui en empêchaient une exploitation rationnelle. C’est pourquoi, en 1951, le Conseil Municipal de l’époque demanda à l’unanimité – malgré l’opposition d’une partie des propriétaires – le remembrement des terres de la commune.
45C’est en 1953 que les services du Cadastre commencèrent la triangulation du terrain. Puis un géomètre d’Audierne, à qui ce travail avait été confié à la suite d’une adjudication par le Ministère de l’Agriculture, fut chargé des opérations de classement des terres. Ce classement eut lieu par quartiers, chaque quartier comprenant un ou plusieurs villages voisins, selon leur importance. Les agriculteurs de chacun de ces quartiers se réunissaient chacun leur tour, le soir, dans une salle de l’école communale, sous la direction du géomètre ; on choisissait une parcelle témoin pour chaque classe de terre, de 1 à 4, et, par comparaison, les parcelles de chaque exploitant étaient affectées une à une à telle ou telle classe. Chacun ayant son mot à dire, les discussions étaient parfois serrées, et il fallut trois ou quatre séances pour terminer certains classements. De plus, le procédé employé n’était pas extrêmement rigoureux, l’échelle adoptée pour un quartier ne correspondant pas exactement à celle adoptée pour un autre, ce qui devait rendre plus difficile les échanges de terres de quartier à quartier.
46Ces travaux préliminaires ayant été menés à bien, un arrêté préfectoral de juin 1955 délimita les périmètres à remembrer, et la commission communale commença la mise au point de l’avant-projet. Cette commission, présidée par le Juge de Paix de Pont-Croix (après la suppression des Juges de Paix en 1958, par le Juge du Tribunal d’instance de Quimper) était constituée par le maire et par trois autres agriculteurs choisis par le Conseil Municipal ; le secrétariat était assuré par le géomètre qui avait présidé au classement.
47Pratiquement, le travail fut fait par une équipe de géomètres qui, après avoir jalonné le terrain, réunirent les exploitants quartier par quartier pour mettre au point les nouvelles parcelles et leur répartition entre les propriétaires intéressés. Enfin, en 1958, l’avant-projet fut achevé.
48Ensuite, la commission communale, tenant compte des réclamations qui lui étaient faites, établit le projet définitif. Les modifications apportées à l’avant-projet avaient été très importantes ; aussi, ce projet remanié, tel qu’il fut publié en 1960, suscita de nombreux mécontentements. La prise de possession des nouveaux lots aurait dû avoir lieu du 15 novembre au 31 décembre 1960 selon les cultures en cours (un peu plus tard pour les bois et taillis), mais devant l’abondance des réclamations ces délais durent être reportés d’un an.
49En effet, tout n’allait pas pour le mieux dans la commune ; beaucoup de propriétaires estimaient que la commission communale n’avait pas tenu compte de nombreuses réclamations justifiées, et que ses membres avaient cherché leur propre avantage ou celui de leurs amis plus qu’une véritable justice1. En juin 1960, trente propriétaires adressent une pétition au Préfet du Finistère où ils s’élèvent contre « les méthodes anormales » qui selon eux sont « employées pour effectuer le remembrement à Goulien ».
Se déclarant entièrement favorables au principe du remembrement, ils affirment qu’« ils espéraient une remise en ordre logique et intéressante des terres » et s’étonnent que les erreurs et les fautes dûment signalées à la commission communale n’aient pas été corrigées. Aussi, « ils se révoltent devant la menace qui se précise pour eux de devoir aller exposer leurs griefs devant une commission départementale à Quimper, alors que certains propriétaires ont été manifestement favorisés sans même qu’ils aient eu besoin de faire une réclamation publique ». Dans ces conditions, ils menacent, si le dernier projet n’est pas révisé sur place, de faire la grève du remembrement.
Ils n’iront pas en commission départementale. Ils ne poseront plus aucune réclamation. Ils ne prendront pas possession des champs qui leur auront été alloués. Ils refuseront de céder ceux qui leur auront été retirés. Ils feront obstruction à la construction des routes empiétant sur leurs champs.
50Ces réclamations énergiques, qui témoignaient d’un mécontentement certain, eurent pour résultat l’envoi sur place de délégués de la commission départementale. Certaines modifications furent apportées au projet, qui fut rendu exécutoire par un arrêté préfectoral du 10 avril 1961.
51Cependant, les mécontents n’avaient pas encore désarmé. Le Syndicat local des exploitants, dont le président, d’origine étrangère à la commune et non touché par le remembrement, pouvait paraître dénué de toute partialité, demandait par une lettre au Président du Tribunal Administratif de Rennes, l’annulation totale ou partielle des opérations de remembrement, la nomination d’un comité d’experts et le remplacement des membres locaux de la commission communale par des exploitants agricoles « recrutés parmi les habitants des communes voisines n’ayant aucun lien d’affaires ni de parenté ou d’alliance jusqu’au quatrième degré inclus avec un ou plusieurs des habitants de la commune ».
52Cette intervention ne fut pas prise en considération. Les mécontents furent invités à présenter leurs réclamations devant le Tribunal administratif, et la prise de possession des nouveaux lots eut lieu comme prévu à la fin de 1961. Il y eut quelques résistances, mais comme les mécontents étaient eux-mêmes divisés entre eux, finalement chacun dut accepter les terres qu’on lui avait allouées.
53Une Association Foncière, regroupant tous les agriculteurs remembrés fut constituée alors pour prendre en mains les opérations connexes : ouverture de 40 km de nouveaux chemins d’exploitation, bitumage de 9 km de chemins ruraux, arasement de 120 km de talus. Les derniers travaux d’arasement devaient être terminés dans le courant de 1964.
54Malgré les violents remous qu’il a provoqués, le remembrement a finalement été accepté par tous, car même les moins favorisés en ont tiré des avantages incontestables. Quant à savoir si beaucoup d’exploitants ont été véritablement lésés, c’est difficile à dire, car tout le monde a toujours tendance à s’estimer moins bien loti que son voisin.
55Rien n’est jamais parfait, aussi ce remembrement ne l’est-il sans doute pas non plus. La dispersion des terres a été diminuée, mais aurait pu l’être plus, d’autant qu’elle n’était pas excessive, car il était rare qu’un propriétaire possédât des parcelles éloignées du territoire de son village. En revanche, dans de tels cas, comme les opérations avaient été faites par quartiers, il n’a pas toujours été possible par la suite d’opérer des échanges de quartier à quartier. C’est ainsi qu’on voit encore des gens du bourg propriétaires de parcelles situées à Kerlala ou à Kervéguen, d’autres qui habitent Pennarun propriétaires de parcelles situées à Méné Bian, etc.
56De même, le morcellement n’a pas été totalement supprimé : le nombre des îlots de propriété a été réduit de plus de 40 %, passant de 960 à 570 pour 90 propriétaires, mais c’est encore un chiffre assez élevé. Cette réduction a d’ailleurs été inégale selon les exploitations.
57Enfin, si la taille des parcelles a été en général considérablement accrue, il n’en reste pas moins encore un nombre assez grand qui sont aberrantes : il en est qui n’ont que deux ou trois ares, ou qui ne mesurent que quatre mètres de large.
58Il faut bien dire que la responsabilité de cet état de fait incombe souvent aux propriétaires qui sont intervenus auprès de la commission communale pour conserver ces parcelles, que l’avant-projet leur enlevait.
59Mais quelles que soient ses imperfections, le remembrement est définitivement acquis : le travail des exploitations ne sera plus jamais le même que ce qu’il était autrefois.
Les exploitations
60En 1911, il y avait 87 exploitations en faire-valoir direct, et 36 fermes ; en 1963, 90 exploitations en faire-valoir direct, et 5 fermes seulement.
61Un lecteur attentif aura peut-être remarqué une certaine discordance entre ces chiffres et ceux que j’ai indiqués précédemment pour le nombre des familles. J’ai parlé en effet de 105 familles d’agriculteurs en 1911 et de 73 aujourd’hui. La différence provient du fait que certaines de ces exploitations sont cultivées par des familles dont l’activité principale n’est pas l’agriculture, ou par des familles de retraités : 22 en 1963, 18 en 1911 ; en outre, en 1963, 9 retraités au moins vivaient principalement de l’agriculture.
62Un problème de définition se pose. En effet, quand on arrive aux alentours de l’hectare, il est bien difficile de dire si on a affaire à une exploitation agricole ou à un grand jardin. Quel critère adopter ? On pourrait convenir de ne parler d’exploitation qu’à partir d’une certaine superficie. Mais laquelle ? Certaines familles peu fortunées peuvent tirer leur subsistance principale des ressources que leur procure le travail d’une terre de superficie inférieure à 1 ha, et d’autres posséder 2 ha, qui leur sont d’un apport négligeable. Alors, se fonder sur le revenu ? Mais comment l’établir ? Et un même revenu n’a pas la même valeur pour l’un et pour l’autre. La possession d’instruments aratoires ? Mais justement, les tout petits exploitants n’en possèdent généralement pas, parce qu’ils travaillent en commun avec de grandes exploitations. Et, d’ailleurs, faute de documents, ce critère serait impossible à employer pour 1911.
63En définitive, pour 1963, il m’a semblé que le facteur déterminant à retenir pouvait être la possession d’une vache au moins – à condition qu’elle soit nourrie exclusivement sur les terres de son propriétaire. Pour 1911, j’ai admis parmi les exploitations agricoles celles ainsi désignées en 1963, auxquelles j’ai ajouté éventuellement celles qui, n’entrant pas dans cette catégorie, appartenaient cependant à des personnes expressément citées comme « cultivateurs », dans le recensement.
64Comme tout choix, celui-ci possède une part d’arbitraire, mais je ne pense pas qu’il était possible de la réduire davantage.
65En 1911, les exploitations agricoles de la commune couvraient 1 185,63 ha (dont 137,02 appartenant à huit propriétaires extérieurs à la commune) ; en 1963, cette superficie était de 1148,84 ha (dont 23,46 seulement appartenant à un propriétaire extérieur). Il y a donc eu une légère diminution de la surface exploitée, qui s’explique aisément par l’abandon par quelques petits propriétaires de leurs activités agricoles et par la création de nouvelles routes, de nouveaux chemins, l’aménagement du nouveau cimetière, etc.
66On ne peut calculer avec une exactitude parfaite la surface moyenne des exploitations, car il existe quelques causes d’erreur : certains agriculteurs peuvent exploiter encore des terres situées sur le territoire de communes limitrophes ; ils peuvent aussi louer quelques lopins de terre à des non agriculteurs.
67Mais les erreurs possibles étant de sens inverse doivent à peu près s’annuler ; elles sont d’ailleurs sans doute de faible amplitude. Si on n’en tient pas compte, on obtiendra une surface moyenne de 9,48 ha pour les 125 exploitations de 1911, et de 12,09 pour les 95 exploitations de 1963. Ce léger accroissement provient essentiellement de la diminution considérable du nombre des fermiers.
68Cet accroissement est encore plus sensible si on ne tient compte que des exploitations appartenant exclusivement à des agriculteurs : la moyenne passe alors de 10,92 ha à 14,94 ha.
69En revanche, si au lieu de parler en termes d’exploitations, on parle en termes de propriétés, on constate une légère diminution de la surface moyenne, ce qui n’a rien d’étonnant, puisque la surface a elle-même un peu diminué pour un nombre légèrement accru de propriétaires : 6 de plus pour les propriétés entre 10 et 20 ha, contre 3 de moins pour les propriétés de moins de 10 ha. Au-dessus de 20 ha il n’y a pas eu de changement. Mais, si on fait ici aussi la distinction entre agriculteurs et non-agriculteurs, on s’aperçoit que la surface moyenne des propriétés appartenant à des purs agriculteurs est pratiquement restée la même depuis 50 ans : 16,04 contre 16,52.
70Cette stabilité est vraiment remarquable. Faut-il s’en féliciter ? C’est une autre question. En effet, les techniciens agricoles considèrent que la surface minimum rentable pour la région, compte tenu des conditions de l’économie locale, doit se situer autour de 20 ha. Pour atteindre à ce résultat, il faudrait donc que le nombre des exploitations de la commune diminue d’un tiers.
71Après avoir exposé le cadre général dans lequel se déploie l’activité des agriculteurs de Goulien, il conviendrait de voir maintenant quelles en sont les modalités particulières.
72Le Centre d’Économie Rurale du Finistère et du Groupement de Vulgarisation et de Productivité Agricoles du Cap a mis aimablement à ma disposition 28 fiches d’exploitations très détaillées, qui s’ajoutent à la documentation que j’ai obtenue à la mairie ou recueillie moi-même. Mais il n’est évidemment pas suffisant, pour un travail comme celui-ci, de se contenter de données statistiques : il importe de voir comment celles-ci se traduisent concrètement dans telle ou telle exploitation déterminée.
73Dès mon arrivée, à Goulien, j’avais décidé de suivre de près pendant un an au moins les activités d’un petit nombre d’agriculteurs. Je ne connaissais pas encore suffisamment la commune pour pouvoir les choisir moi-même. J’ai donc demandé au président de la section locale du syndicat agricole de me désigner cinq exploitations où je pourrais mener mes observations sans craindre d’être dès l’abord mal accueilli. Ce choix devait être fondé sur la variation de deux critères : la taille, et le degré de modernisation ; je voulais donc qu’on m’indique une des plus grandes exploitations, une des plus petites, une des plus modernes, une des plus traditionnelles, et une cinquième qui soit de taille moyenne et qui soit moyennement équipée. Je m’en remettais provisoirement au choix subjectif d’un tiers, comptant qu’avec le temps, une fois que je serais devenu familier des réalités locales, je saurais faire les rectifications éventuellement nécessaires.
74En fait, après quelques semaines, j’ai dû abandonner le très grand et le très petit exploitant : le premier, parce qu’il était surchargé de travail, et que je ne pouvais que le gêner ; le second, parce que cet homme plutôt simple, qui ne parvenait pas à comprendre en quoi consistait mon travail, était visiblement inquiet de me voir m’intéresser à lui.
75Je me retrouvais donc avec trois exploitations seulement.
76Au surplus, il m’était apparu que celle qui m’avait été indiquée comme caractéristique des exploitations moyennes était en fait relativement plus avancée du point de vue technique que la plupart de ses voisines de Goulien. J’ai donc rétabli l’équilibre en en choisissant moi-même une quatrième, de taille moyenne, et que son propriétaire, un excellent informateur, d’ailleurs, travaillait de façon très traditionnelle.
77Les exploitations finalement retenues sont donc les suivantes :
78- l’exploitation de Jean Goudédranche
79surface totale : 10,34 ha
80surface agricole utile (S.A.U.) : 7,50 ha.
81- l’exploitation de Jean Gloaguen
82surface totale : 14,91 ha
83S.A.U. : 12,00 ha.
84- l’exploitation de Jean Moan
85surface totale : 12,21 ha
86S.A.U. : 12,00 ha.
87- l’exploitation de Jean-Marie Thalamot
88surface totale : 26,00 ha
89S.A.U. : 19,75 ha.
90Leur moyenne de surface, 15,63 ha, est légèrement supérieure à la moyenne communale : 14,94 ha ; mais la moyenne des S.A.U., 12,81 ha, diffère de peu de celle indiquée pour l’ensemble de Goulien : 12,33 ha (chiffre antérieur au remembrement qui a dû être un peu relevé dans les derniers temps).
91Ces quatre exploitations vont donc maintenant nous servir de témoins et nous permettre de confronter des données s’appliquant à l’ensemble de la commune à la réalité concrète dans sa diversité.
- L’économie agricole
Les sols2
92À Goulien comme dans le reste du Cap, le sous-sol, qui détermine directement la nature du sol en surface, est surtout granitique, puisque constitué à 65 % de granulite grenue. Une bande de micaschistes et de gneiss granulitiques traverse le Cap d’est en ouest, au nord de la vallée médiane. Celle-ci correspond à une bande plus tendre à prédominance schisteuse (carte 8).
93Ces différentes roches forment à Goulien quatre bandes parallèles. La première, de granulite grenue, borde la côte jusqu’à la voie romaine ; la seconde occupe tout l’espace situé entre la voie romaine et une ligne qui irait de Bréharadec à l’est, à Kerbeulec à l’ouest. Plus au sud, on retrouve à nouveau la granulite grenue, et une dernière bande, constituée de Halle flint, s’étend enfin en bordure de la limite méridionale de la commune. Quelques alluvions récentes occupent en outre le fond des vallées.
94Les sols qui proviennent du sous-sol granitique, souvent peu profonds, sont en général assez pauvres en éléments argileux, dépourvus de cuivre, carencés en manganèse et en acide phosphorique, et franchement acides, avec un taux élevé de matières organiques, encore accru ici par l’apport massif de fumier à base de fougères et d’ajonc (Centre d’économie rurale du Finistère § 2).
95Selon les techniciens agricoles, les conséquences de cette situation sont les suivantes : La pauvreté de ces sols en argile entraîne le lessivage par les eaux de pluie.
L’absence de cuivre entraîne de faibles rendements en céréales, qui risquent de ne pas parvenir à maturité complète, et en légumineuses, comme les pois dont les gousses apparemment belles sont vides à l’intérieur.
La carence en manganèse, résultant d’une oxydation du manganèse actif dans le sol, entraîne des chutes de rendement et parfois même la disparition totale des céréales encore jeunes, aux mois d’avril et mai principalement.
La carence en acide phosphorique entraîne la verse des céréales par le manque de rigidité des tiges – ce qui atténue les rendements et rend difficile la migration des éléments fertilisants dans la plante.
L’acidité trop forte interdit pratiquement certaines cultures comme le blé, l’orge, les betteraves, le trèfle violet et même le trèfle incarnat.
96Les cultures les mieux appropriées à ces sols sont les pommes de terre, les choux, les rutabagas et le colza. Parmi les céréales, seuls le seigle, l’avoine et le blé noir peuvent y être cultivés avec quelque succès.
97Sur sous-sols schisteux, les sols sont meilleurs : plus riches en argile, ils ne sont pas dépourvus de cuivre et contiennent un peu de potassium. Mais ils sont également carencés en acide phosphorique et en manganèse.
98Les cultures qui leur sont les mieux appropriées sont l’orge, le blé, les diverses espèces de trèfle, parfois la luzerne, les betteraves et le maïs fourrager.
99Dans les deux types de sols, chaux et magnésie font également défaut, ce qui nuit à l’intensification de la vie microbienne du sol, l’absorption du phosphore, et la minéralisation de l’humus qui s’accumule à la surface. Mais la carence en calcaire est difficile à traiter, car l’aspect massif d’amendements de cette nature risque d’entraîner une oxydation du manganèse déjà trop rare.
100De l’axis des techniciens, ces sols, assez particuliers, ont donc de faibles potentialités originelles, et c’est seulement par de bonnes techniques culturales et de fertilisation, spécialement étudiées pour la région, qu’on pourra arriver à en tirer des rendements corrects. C’est assez dire que l’agriculture traditionnelle ne peut espérer y obtenir que des résultats limités.
L’utilisation des sols
101Le tableau VII nous fournit des données intéressantes concernant la répartition du territoire communal. Peut-être ces chiffres, qui proviennent des relevés cadastraux de 1839, 1913 et 1963 ne sont-ils pas absolument rigoureux mais, c’est tout de même une bonne base de comparaison.
102Nous y voyons en particulier que, de 1839 à 1963, les terres labourables ont augmenté de 186 ha (30 %), et les prés de 53 ha (39,5 %), tandis que les landes et pâtures ont diminué de 224 ha (48 %). Cette augmentation et cette diminution se compensent à peu près exactement.
103La fin du XIXe siècle est surtout marquée par d’importants défrichements : entre 1839 et 1913, 238 ha de landes ont été mis en cultures, et 16 autres ont été transformés en prairies. En revanche, pendant les cinquante années suivantes, il n’y en a pratiquement plus eu ; tandis que 37 ha de labours étaient convertis en prés, et 7 autres étaient reboisés. Mais si nous disposions de données postérieures au remembrement, nous verrions à nouveau la surface des terres incultes décroître considérablement : les landes qui subsistent en 1965 sont presque toutes réduites aux terres strictement incultivables de la commune.
104L’évolution est intéressante à noter. Elle révèle d’abord une phase où, la population s’accroissant au sein d’une économie fermé, il a fallu étendre les cultures. Puis, la population s’étant stabilisée et ayant même commencé de décroître, et le système économique local étant devenu de plus en plus tributaire de l’extérieur, on a assisté à un début de transformation dans l’utilisation du sol, orienté de plus en plus vers l’élevage. Enfin, dans la phase actuelle, essentiellement dominée par l’idée de rentabilité, on note une nouvelle tendance à utiliser le sol au maximum.
105Mais le système de culture reste plus que jamais orienté vers l’élevage. Dans l’ensemble du Cap, en 1962, on comptait que la proportion de surface destinée directement à la vente était de 7 à 8 % de la Surface Agricole Utile, 91 % étant réservés à la consommation du bétail, et 1 à 2 % seulement à la consommation domestique. À Goulien, où les cultures légumières ont une importance encore bien moindre que dans le Sud du Cap, la disproportion doit certainement être encore plus grande.
Les cultures
106Les statistiques agricoles disponibles dans les archives municipales ne sont sans doute pas extrêmement exactes, comme le montre la variation très grande enregistrée d’une année à l’autre entre les différents totaux de terres labourables ; sans doute n’a-t-on tenu compte que des réponses effectivement fournies par les agriculteurs aux questionnaires de l’enquête, réponses en nombre variable selon les années. Il paraît aussi y avoir eu un certain flottement quand il s’est agi de distinguer « prés naturels », « herbages », « pacages » et même « landes » (car une partie des landes étaient utilisées comme pacages, et d’autre part, l’usage local restreint l’emploi de ce nom aux landes couvertes d’ajoncs, ces derniers étant appelés lann en breton). Nous nous contenterons donc de comparer les pourcentages, calculés par rapport aux terres labourables seulement.
- Les céréales
107La comparaison des pourcentages nous permet tout d’abord de noter la diminution constante des surfaces cultivées en céréales passées en 60 ans de 70,5 % à 35,9 % des terres labourables.
108Le froment, qui ne représentait que le cinquième environ des emblavures, était cependant, avant 1914, le principal poste de vente des fermes importantes. On ne l’utilisait pratiquement jamais sur place. C’était une culture noble, à laquelle s’attachait un prestige certain : pour convaincre une jeune fille, que de riches propriétaires avaient fait demander en mariage pour leur fils, d’accepter cette demande, sa famille n’avait pas trouvé meilleur argument que cette phrase qui passa presque en proverbe dans le pays : « gwerz a reont triwec’h mil lur gwiniz peb vloaz... », c’est-à-dire : « ils vendent chaque année dix-huit mille livres de blé... ».
109Les autres céréales servaient, soit à l’alimentation des porcs, nourris à l’époque exclusivement de farine et de pommes de terre, soit à celle des hommes : pour le pain, on employait le seigle ou l’orge, rarement mêlés de froment ; pour les crêpes, surtout le blé noir ; celui-ci servait aussi à la préparation des bouillies, concurremment avec l’avoine, et aussi un tout petit peu avec le millet. Cette céréale ancienne n’est pas mentionnée dans les statistiques, parce qu’elle n’était plus cultivée que de façon résiduelle, dans des courtils près des maisons, ou sur des talus fraîchement nettoyés.
110Actuellement, la vente des céréales, froment et orge, n’apporte qu’un revenu d’appoint. Il n’y a qu’un seul acheteur possible pour le froment, c’est la Coopérative des Agriculteurs du Finistère et des Côtes-du-Nord, dont le siège est à Landerneau, et qui possède un dépôt à Pont-Croix. Elle achète tout le blé qu’on lui propose, et en cas de surplus, le revend à bas prix aux paysans pour l’alimentation du bétail, après l’avoir dénaturé à l’aide de chlorure de méthyle. Le meunier local n’a le droit d’acheter que du blé mêlé de seigle, pour la fabrication du pain noir.
111Quelques paysans fournissent directement du froment au boulanger pour obtenir du pain en échange, mais cette pratique, couramment suivie pendant la dernière guerre, l’est de moins en moins actuellement, car elle entraîne des complications administratives.
112À part ces quelques exceptions, les céréales sont exclusivement utilisées pour l’alimentation des animaux, dont elles ne constituent cependant maintenant qu’une part beaucoup plus réduite que jadis de l’alimentation.
- Les pommes de terre
113Les pommes de terre, apparues dans le Cap tout au début du XIXe siècle (du Chatellier, p. 71), avaient en 1834, pratiquement supplanté les anciens farineux, haricots et fèves. Toutefois, au début de ce siècle, celles-ci étaient encore un tout petit peu cultivées, soit dans les jardins, soit entre les rangées de pommes de terre, pour la soupe. Mais on n’en a plus fait depuis la première guerre. À cette époque, les pommes de terre, n’étant pas traitées, ne donnaient qu’un rapport médiocre. Et on ne fumait que celles destinées à la nourriture des porcs, car on ne voulait pas dénaturer le goût de celles qu’on destinait à l’alimentation familiale. Elles constituent d’ailleurs aujourd’hui la presque totalité des cultures destinées à la consommation domestique. Actuellement, quelques cultivateurs font en outre un peu de pomme de terre sélectionnée vendue à la coopérative. Mais celle-ci n’achetant que dans la mesure où elle est déjà sûre de pouvoir écouler les stocks, c’est encore une culture aléatoire.
- Les légumes
114Les cultures légumières n’ont jamais eu une grande importance. Tout d’abord, parce que la consommation locale de légumes est à peu près exclusivement réduite à ceux qu’on met dans la soupe ; et on est trop loin des villes (Douarnenez ou Quimper) pour escompter un bénéfice quelconque des cultures maraîchères. Pourtant, la présence à Audierne de deux usines de conserves qui, après s’être d’abord spécialisées dans les sardines, ont étendu par la suite leurs activités à certains légumes verts, ont amené les agriculteurs de Goulien à faire un peu de petits pois et de haricots verts. Mais les surfaces consacrées à ces cultures sont très variables selon les années, et somme toute, d’une importance relative très faible.
- Les fourrages
115C’est la surface fourragère qui s’est le plus accrue pendant ces soixante dernières années, puisque elle est passée de 15,8 % à 43,4 % des terres labourables. Et on a vu tout à l’heure qu’il en était de même pour les prairies naturelles.
116En 1893, la surface en fourrages cultivés, à peu près égale à la surface en prairies naturelles, comportait 78 % de trèfle et 22 % de betteraves. Il n’y avait pas de prairies semées : celles-ci ne se sont développées que depuis la dernière guerre. On cultivait à l’occasion colza, navet et choux fourragers. Quant au maïs, il n’a fait son apparition dans la région que vers 1904-1906. Ce sont des cultivateurs d’Esquibien qui l’ont essayé les premiers. Les paysans de Goulien passaient près des champs où on le cultivait, pour se rendre au marché d’Audierne. Intrigués par cette plante nouvelle, ils se renseignèrent et l’essayèrent à leur tour. C’était du maïs américain, qui poussait très haut, mais en touffes irrégulières. Après 1918, un autre cultivateur d’Esquibien à l’esprit moderne qui, faisant commerce de bétail, était amené à visiter de nombreuses fermes dans le Cap, répandit une nouvelle sorte de maïs hybride, d’un rendement bien meilleur. Actuellement, le maïs est cultivé dans à peu près la moitié des exploitations de la commune.
- La situation en 1963
117On ne dispose pas de statistiques agricoles postérieures à 1954. On peut toutefois avoir une certaine idée de la situation en 1962-63 grâce aux 28 fiches d’exploitations mentionnées plus haut. Mais il n’est guère possible d’établir de comparaisons avec les chiffres antérieurs, car la moyenne des superficies de ces exploitations est largement supérieure à la moyenne communale générale. Il est difficile de savoir en quoi cela modifie les résultats. En calculant les moyennes sur 11 de ces exploitations seulement, choisies de telle sorte que la moyenne de leurs surfaces, 12,28 ha, corresponde à peu près à la moyenne communale, 12,09 ha, on obtient des pourcentages peu différents. Si ce sont eux qu’on retient on notera une légère remontée des céréales et des fourrages, et une certaine baisse des pommes de terre. À mon sens, cela provient de la disparition des toutes petites exploitations, dont les terres étaient cultivées surtout en pommes de terre.
118On notera aussi que les pourcentages obtenus à Goulien sont sensiblement les mêmes que ceux obtenus dans l’ensemble du Cap.
En fait, les variations qu’on peut observer de ferme à ferme sont assez importantes : cela nous apparaît dans le tableau VIII, où sont indiquées les surfaces cultivées dans les quatre exploitations témoins. Les chiffres qu’on y trouve n’ont évidemment aucune valeur générale. Il s’agit simplement d’exemples concrets. On y voit cependant que les surfaces consacrées aux céréales sont d’autant plus importantes que l’exploitation est étendue, à l’inverse de ce qui se passe pour les fourrages. En revanche, les surfaces cultivées en pommes de terre sont très variables. C’est Jean Gloaguen qui en a le plus, parce que chez lui elles sont restées la base principale de l’alimentation des porcs. Jean-Marie Thalamot vient ensuite, mais c’est parce qu’il en cultive beaucoup pour la vente. Jean Goudédranche reste dans la moyenne. Et c’est Jean Moan qui en a le moins, parce qu’il n’en vend pas, et qu’il en donne à ses porcs moins qu’on ne fait habituellement dans la région. Quant aux petits pois, on en trouve seulement chez deux d’entre eux.
119Sans pousser davantage l’analyse, je crois que les indications précédentes donnent un aperçu suffisant de la physionomie des cultures à Goulien.
L’élevage
120On l’a vu : depuis cinquante ans, l’économie rurale du Cap est de plus en plus fondée sur l’élevage. Actuellement, celui-ci entre pour 88 % dans les recettes des agriculteurs de la région (Centre d’Économie Rurale du Finistère, § 43) ; et dans les exploitations, 91 % de la surface sont utilisés par le bétail (idem). Celui-ci consiste essentiellement en bovins et porcins.
- Les bovins
121Le Cap est considéré comme le berceau de la race bovine pie-noire. Celle-ci se caractérise par son pelage, où le noir domine, avec des taches blanches sur les flancs, et les membres entièrement blancs. Les vaches, petites et nerveuses, pèsent plus souvent 300 kg que 400 ; mais certaines arrivent à fournir par an dix fois leur poids en lait ; celui-ci, très gras, donne 4 à 5 % de beurre. On en cite une qui produisait un kilo de beurre par jour. De plus cette race est extrêmement résistante, en particulier à la tuberculose, et peut se contenter d’une alimentation pauvre et grossière : c’est ce qui l’a fait exporter vers certains pays pauvres, Italie du sud, Grèce, Espagne, Afrique du nord.
122Malgré toutes ces qualités, les techniciens agricoles recommandent actuellement son remplacement progressif par des normandes ou par des frisonnes. En effet, si la production laitière de la pie-noire est élevée par rapport à son poids, elle ne l’est pas en valeur absolue : six à huit litres par jour en moyenne. Or la vente directe du lait à des entreprises comme la laiterie d’Entremont, récemment installée à Quimper, ne peut se faire qu’à partir de 90 litres par jour, ce qui suppose 19 ou 13 vaches traites chaque jour : bien peu d’exploitations à Goulien pourraient atteindre ce chiffre. C’est pourtant la façon la plus rentable d’écouler la production laitière.
123Certes, le taux butyreux du lait de la pie-noire est très élevé, comme on rient de le voir, mais cela n’est plus considéré aujourd’hui comme un très grand avantage. En effet, la demande en beurre tend à se stabiliser, et pourrait même décroître dans les années à venir. Et le lait consommé directement n’a pas besoin d’un taux de matières grasse élevé.
124Enfin, les pies-noires ont un désavantage : c’est qu’il faut autant de temps pour en traire vingt que pour traire trente frisonnes. Un autre est sa sobriété : celle-ci était considérée comme une qualité tant qu’il s’agissait de la nourrir de peu. Mais si on veut la faire manger davantage de façon à accroître sa production, elle s’y refuse... Naturellement, on a essayé de réduire ces inconvénients par la sélection. Malheureusement, ces essais n’ont guère été concluants, car ils entraînaient de nombreux cas de stérilité.
125Il semble donc que l’avenir de la pie-noire soit bien compromis dans le Cap, et que d’ici peu, elle sera en grande partie supplantée par des races plus conformes aux exigences actuelles : consommant plus, mais produisant plus, et susceptibles d’être élevées autant pour leur viande que pour leur production laitière.
126Le nombre de vaches laitières élevées à Goulien n’a guère varié de 1897 à la dernière après-guerre ; il se situait toujours autour de 400, avec quelques variations. Il faut remarquer toutefois que dans le même temps, le nombre d’agriculteurs diminuait et que de la sorte, les troupeaux s’accroissaient tout de même. Mais depuis les dix dernières années, on note une augmentation du nombre des laitières encore jamais vue. En revanche, celui des veaux et des génisses a régulièrement baissé jusque vers 1950, pour se stabiliser depuis. Il reste tout de même assez élevé, trop sans doute de l’avis des techniciens agricoles, car leur élevage ne se révèle pas très rentable. Les taureaux sont en nombre variable, mais toujours relativement important malgré l’extension de l’insémination artificielle.
Dans les quatre exploitations témoins, l’importance des troupeaux est sensiblement proportionnelle à la superficie cultivée, ce qui est normal. En 1963, Jean Goudédranche possédait 11 bêtes, dont 1 taureau, 7 vaches laitières et 3 élèves. Jean Gloaguen : 17 bêtes, dont 1 taureau, 6 vaches laitières et 10 élèves ; Jean Moan : 12 bêtes, dont 1 taureau, 9 vaches laitières et 2 élèves ; Jean-Marie Thalamot, enfin, 22 bêtes, dont 3 taureaux, 13 vaches laitières et 6 élèves. Le nombre de taureaux chez ce dernier, s’expliquait par le fait que deux d’entre eux étaient destinés à la boucherie.
- Les porcs
127L’élevage des porcs fournit 30 % des recettes des exploitations du Cap. D’après mes vieux informateurs, on en élevait beaucoup moins jadis, et cela paraît confirmé par les chiffres cités dans le tableau VIII. Mais les données fournies par les statistiques agricoles ne paraissent pas très sûres. Si on les accepte néanmoins, l’élevage porcin se serait développé à partir de 1901-1903, aurait connu un certain déclin pendant la guerre de 1914, puis se serait stabilisé à un niveau intermédiaire, pour connaître, depuis une dizaine d’années, un développement qui n’est pas près, semble-t-il, de finir.
128Au XIXe siècle, l’élevage des porcs était surtout pratiqué pour les besoins de la consommation familiale : le salé était la seule viande qui entrât habituellement dans l’alimentation locale. On en vendait aussi quelques-uns : à l’époque, ils devaient être très gras, autrement le charcutier les aurait refusés. Certains atteignaient jusqu’à 300 kg, et la moyenne se situait autour de 200 kg. On vendait aussi des porcelets, mais beaucoup moins qu’aujourd’hui. Chaque ferme ne possédait d’ailleurs en moyenne qu’une seule truie mère, rarement deux.
129Actuellement, c’est surtout la vente des porcelets, entre dix et douze semaines, qui est la plus pratiquée, mais on vend aussi beaucoup de porcs d’élevage, qu’on appelle toujours « gras » bien qu’ils n’aient souvent qu’une centaine de kilos. Dans la plupart des fermes, on en tue toujours un par an pour la consommation familiale, mais cet usage tend à diminuer.
130Depuis 1963, on commence à voir apparaître dans la région des porcheries « intégrées », établies avec l’aide de la Coopérative Agricole. À mon départ de Goulien, il y en avait déjà une dans la commune, où on élevait 60 porcs, et il est prévisible qu’il s’en créera encore d’autres.
Dans les quatre exploitations témoins, la situation en 1963 était la suivante : Jean Goudédranche et Jean Gloaguen possédaient chacun trois truies mères ; Jean Moan en avait deux, mais comptait porter ce chiffre à quatre incessamment. Ces truies donnaient chacune deux portées par an, d’un effectif moyen, compte tenu des pertes, de huit porcelets chacune ; ceux-ci étaient vendus entre huit et douze semaines, à l’exception d’une dizaine par an, engraissés pour être vendus au charcutier vers six ou sept mois. Jean-Marie Thalamot, lui, se spécialisait dans l’élevage intensif du porcelet : il avait dix mères. Il n’élevait de porcs charcutiers qu’exceptionnellement, quand les cours du porcelet étaient trop bas.
En revanche, un certain nombre d’exploitants, de petits exploitants le plus souvent, font exactement l’inverse, achetant des porcelets à la foire, et les engraissant pour la charcuterie.
- Les ovins
131Le nombre des ovins était très important à Goulien à la fin du XIXe siècle : 365 en 1897. Toutes les fermes importantes en possédaient un troupeau ; mais même ceux qui n’avaient pas de terres pouvaient en élever, car il y était possible de les faire paître sur les communaux. Ceux-ci furent partagés en 1898, ce qui contribua à amorcer le déclin de cet élevage. Celui-ci avait deux buts : la vente des agneaux à la boucherie, et la production de laine, qui était pour sa plus grande part filée à la maison. Mais la disparition des tisserands enlevait de son intérêt à cette dernière activité.
132De plus, l’entretien d’un troupeau de moutons demandait de la main-d’œuvre, et il était nécessaire d’avoir un petit berger pour les garder. Enfin, on ne pouvait guère les faire paître que sur des terres incultes ou de peu de rentabilité, à l’exclusion des landes d’ajoncs, qu’ils risquaient de détériorer, privant les vaches de leur litière et les chevaux de leur nourriture. La guerre de 1914 vit donc le cheptel ovin décroître rapidement, et après la guerre, la plupart des troupeaux furent vendus.
133En 1963, il n’y avait plus à Goulien que trois fermes à posséder des brebis, huit en tout. Elles vendaient quelques agneaux par an au boucher et envoyaient la laine à Quimper pour la faire filer et teindre pour leur usage personnel, ou bien gardaient les toisons pour garnir les matelas.
- La basse-cour
134L’élevage des poules et des lapins constitue surtout un appoint à l’alimentation domestique. On consomme aussi beaucoup d’œufs. Toutefois, dès le début du siècle, on en vendait déjà un peu, ainsi que des poulets. Actuellement, la plupart des paysans élèvent une vingtaine de poules dont ils vendent les œufs, soit au marché d’Audierne, soit aux pâtissiers, soit au ramasseur de crème.
- Les chevaux
135Les chevaux occupent une place à part dans le cheptel ; en effet, si on les entretient, ce n’est pas pour les vendre, c’est pour utiliser leur travail. L’apparition des moteurs, d’abord, puis des tracteurs, leur a donc fait perdre toute importance. De 167 qu’ils étaient encore en 1945, leur nombre était tombé à 43 en 1963, et il ne cessait de diminuer ; il n’y avait pas de mois qu’on n’en vendît au moins un.
136Pourtant, jadis, à Goulien, le cheval jouissait d’un grand prestige. On estimait l’importance des fermes selon qu’elles en possédaient un, deux ou trois. Chaque soir en rentrant des champs, avant même d’aller souper et si tard qu’il fût, c’est d’eux que les hommes s’occupaient d’abord. Et le dimanche, on les soignait encore mieux qu’à l’ordinaire pour les atteler au char qui emmènerait la famille à l’église. Les jours de pardon, les chars à bancs étaient nombreux dans les cours de fermes, et les écuries étaient pleines de chevaux. Alors les hommes s’absentaient sous un prétexte quelconque, et y allaient subrepticement pour les comparer entre eux. Et lorsqu’on commençait à parler de chevaux, la conversation n’en finissait plus.
137Lorsque les agriculteurs ont commencé de se mécaniser, ils ont souvent continué de garder leurs chevaux sous des prétextes divers. En 1962, les enquêteurs du Centre d’Économie Rurale du Finistère recensèrent 115 tracteurs et 193 chevaux dans 157 exploitations de plus de 5 ha de la région du Cap. Cela revenait à dire que dans celles où on avait acheté un tracteur, on s’était simplement contenté de liquider un cheval sur les deux qu’on possédait auparavant. La plupart des paysans estimaient qu’il restait nécessaire d’en garder un pour travailler les terres humides ou pour les travaux délicats. En fait, ils l’entretenaient toute l’année pour ne s’en servir que quelques jours : ce n’était guère rentable. D’autant que l’habitude qu’on a ici de nourrir les chevaux avec de l’ajonc broyé entraîne une dépense de temps considérable : il faut aller le couper à la faucille deux fois par semaine, le broyer tous les soirs... C’est pourquoi, malgré la peine qu’ils en éprouvent, la plupart des agriculteurs se résignent à s’en défaire. On en garde encore quelques-uns dont plusieurs fermes se partagent les services pour les petits travaux de binage, d’épandage d’engrais ou d’insecticides, etc. D’ailleurs la valeur de prestige qui était attachée jadis au cheval l’est maintenant au tracteur...
La main-d’œuvre
138On entend couramment les gens à Goulien se plaindre de la raréfaction de la main-d’œuvre agricole. Jadis, vous dit-on, les familles étaient beaucoup plus nombreuses qu’aujourd’hui dans les fermes, et il y avait toujours au moins un domestique ; les grandes fermes en avaient même deux ou trois.
139Nous avons vu tout à l’heure en parlant de l’évolution de la population agricole ce qu’il fallait penser de cette opinion : en réalité, la diminution des familles provient surtout de ce quelles comptent aujourd’hui moins d’enfants qu’autrefois. Mais effectivement, la diminution du nombre des salariés agricoles – on peut pratiquement dire, leur disparition – est frappante.
140Elle est en fait encore plus importante que les chiffres ne l’indiquent ; car, en plus des domestiques attachés à la maison, en plus des journaliers appelés à donner un coup de main occasionnel ici ou là, il existait une main-d’œuvre saisonnière non spécialisée, qu’on employait au moment des gros travaux (foins, moisson, arrachage des pommes de terre) : femmes de maçons ou de petits artisans, maçons, couturières ou pêcheurs momentanément sans travail, bref, toutes ces petites gens sans grandes ressources qui formaient une partie importante de la population de la commune. Naturellement, on ne les payait guère : en 1907, on donnait aux moissonneurs : 0,40 fr. par jour et la nourriture, pour 17 à 18 heures de travail ; dans la Beauce, ils auraient touché 5 fr. (Le Bail, p. 80-1). Aussi, beaucoup d’entre eux étaient-ils tentés par l’émigration, temporaire ou définitive. Cela entraîna un léger relèvement des prix, qui montèrent à 1,30 fr. en 1913.
141Aux environs de 1900, un domestique de ferme recevait 100 fr. par an, un premier domestique 200 fr. : c’était le prix de vingt sacs de blé ou d’une belle vache... Mais ils étaient logés, nourris et blanchis, comme un membre ordinaire de la famille. Comme ils ne sortaient pas, et qu’ils occupaient les loisirs de leur dimanche à garder les vaches, certains arrivaient tout de même à placer une partie de leur salaire chez le notaire ! Beaucoup restaient d’ailleurs très longtemps dans la même place. On en cite qui sont restés dans des fermes pendant vingt ans, d’autres pendant vingt-cinq, et quelques-uns même pendant quarante ans, et jusqu’à ce qu’ils deviennent impotents. On les soignait alors comme s’ils avaient été de la parenté.
142La louée des domestiques avait lieu tous les ans, à Pont-Croix, à la « grande foire » de décembre, le troisième jeudi du mois. Les candidats se groupaient dans un coin du champ de foire, un mouchoir blanc dépassant de leur poche en signe de reconnaissance. Si l’un d’eux tombait d’accord avec un paysan sur les conditions de son engagement, il venait à la ferme le jour de la St-Etienne, le lendemain de Noël. Si la maison lui plaisait, l’engagement était confirmé, et il commençait son travail le 1er janvier suivant.
143Il n’était pas rare que de jeunes enfants soient employés dans les fermes comme petits vachers ou petites vachères. Ceux-là ne gagnaient que 50 fr. par an, parfois même rien du tout : ils étaient nourris et logés, et c’était déjà pour leurs familles un grand avantage. Quant aux nombreux enfants que l’Assistance Publique plaçait dans les fermes, c’était une main-d’œuvre qui ne coûtait rien, puisque l’administration payait pour leur entretien. On ne se gênait pas pour les faire travailler au heu de les envoyer à l’école – ce n’est pas eux qui s’en seraient plaints – et pour partager entre les enfants de la famille les effets d’habillement qui leur étaient destinés...
144En 1911, on comptait environ 6 adultes (agriculteurs ou salariés) pour 10 ha de terre labourable ; en 1963, ce chiffre est tombé à 3,6, ce qui est encore beaucoup, d’ailleurs. Naturellement, le nombre de travailleurs varie avec l’importance de l’exploitation, mais pas de façon proportionnelle : les petites exploitations emploient relativement plus de travailleurs par hectare que les grandes ; c’était vrai en 1911, et ce l’est encore en 1963.
En 1963, il n’y a guère d’autre main-d’œuvre chez Jean Goudédranche que lui-même (51 ans en 1963) et sa femme, âgée de 41 ans. Le grand-père, Michel Goudédranche, est avec ses 91 ans le doyen des hommes de la commune. Son grand âge ne lui permet plus de travailler ; pourtant, il continue de se rendre utile, entretenant le feu de la cuisine des bêtes, près duquel il passe des heures à fumer sa pipe, et tournant la baratte deux fois par semaine. Les Goudédranche ont deux filles (15 et 16 ans en 1963) qui sont en pension, mais qui aident aux travaux lorsqu’elles viennent en vacances ; et un garçon de huit ans, qui va à l’école. Jean Goudédranche loue parfois les services d’un journalier.
En 1911, la ferme était dirigée par Michel Goudédranche, alors âgé de 39 ans, aidé par sa femme, 36 ans, le frère de sa première femme, 65 ans, et une domestique de 22 ans. Chez Jean Gloaguen, 40 ans, la famille comprend actuellement : sa femme, 31 ans, son beau-père, Jean Velly, 74 ans, sa belle-mère, 67 ans, qui travaillent tous à plein temps. Il a deux enfants, 1 et 3 ans, et il élève en outre un pupille de l’Assistance Publique, âgé de 13 ans, qui rend des petits services après l’heure de l’école et les jours de congé. En 1911, le chef de famille était Yves Velly, le père de Jean Velly, il avait 49 ans. Avec lui vivaient sa femme, 41 ans ; sa tante maternelle, 69 ans ; son frère, 45 ans ; deux filles de 21 et 2 ans ; et six garçons, de 15, 13, 12, 10, 8 et 6 ans. Jean Velly, alors âgé de 22 ans accomplissait à ce moment-là son service dans la marine.
La famille de Jean Moan, 36 ans, comprend sa femme, 36 ans, son beau-père, Clet Le Bras, 64 ans, trois garçons de 12, 9 et 8 ans, et deux filles, l’une d’un an, l’autre née en 1963.
En 1911, la ferme appartenait au beau-père de Clet Le Bras, Yves Marzin, 50 ans ; il était aidé par sa femme, âgée de 35 ans ; ils avaient huit enfants, deux garçons de 17 et 7 ans, et six filles de 14, 12, 11, 10, 6 et 2 ans.
Enfin, chez Jean-Marie Thalamot, il y a le patron, 56 ans ; sa femme, 55 ans ; son fils, 29 ans, et sa belle-fille, 29 ans aussi ; ils viennent d’avoir un bébé en 1963. Une journalière vient assez souvent aider, et on prend parfois encore un journalier. En 1911, le patron était Jean-Yves Thalamot ; père de Jean-Marie, 45 ans ; sa femme, 44 ans ; une tante et un oncle de celle-ci, 68 et 62 ans ; une sœur, 47 ans ; et deux enfants, 5 et 4 ans. Il y avait en outre un domestique homme de 21 ans, deux domestiques femmes de 18 et 21 ans, et une petite domestique de 6 ans, pupille de l’Assistance Publique.
145Ces quelques exemples confirment bien ce qui a été dit plus haut de l’évolution générale de la main-d’œuvre.
Le matériel
146Dans les quatre-vingts dernières années, deux grands changements, entre autres, ont bouleversé la vie agricole.
147Jusqu’au XIXe siècle, l’outillage agricole était presque entièrement d’origine locale : fabriqué en partie par le paysan lui-même, en partie par les artisans des environs ; seuls les fers ou les socs pouvaient parfois avoir subi une première préparation avant d’être terminés par le forgeron. C’est au tournant du siècle que commencèrent à se répandre les premiers matériels de fabrication industrielle : charrues « brabants », manèges à chevaux, petites batteuses... Une deuxième vague, qui s’annonçait déjà dès 1910, mais qui ne connut toute son ampleur que dans l’entre-deux-guerres, introduisit les premières machines agricoles : javeleuses, faucheuses, lieuses...
148Ce fut le premier grand changement : l’agriculture devenait tributaire de l’industrie. Elle allait profiter de ses progrès, mais aussi subir le contre-coup de chaque hausse des produits industriels.
149Le deuxième grand changement fut apporté par la motorisation.
150Il y avait un tracteur à Goulien dès 1924 ; mais ce vieux modèle à roues de fer, simplement conçu pour tirer des outils, resta longtemps une curiosité unique. Ce n’est qu’à partir des années 50 qu’on en vit apparaître d’autres. Mais dès lors la progression fut extraordinaire : en 1963, on comptait dans la commune 59 tracteurs pour 95 exploitations, soit un tracteur pour 17,54 ha de Surface Agricole Utile. Il y a un tracteur dans 92 % des exploitations de plus de 15 ha de SAU, dans 53 % des exploitations de 10 à 15 ha de SAU, dans 75 % des exploitations de 5 à 10 ha de SAU, et dans 33 % des exploitations de 0 à 5 ha de SAU.
151Le suréquipement des petites exploitations, qu’indiquent les deux derniers chiffres, est étonnant. Il n’est d’ailleurs pas particulier à Goulien : on le retrouve dans tout le Cap (Centre d’Économie Rurale du Finistère, § 35). C’est que le tracteur est considéré souvent plus comme un instrument de prestige que comme un instrument agricole. Beaucoup d’entre eux ne sont pas rentables et sont sous-employés. Ce sous-emploi est toutefois tempéré par le fait qu’un certain nombre de petits exploitants possesseurs de tracteurs vont travailler les terres d’autres exploitants qui en sont dépourvus, soit dans le cadre de l’Association d’Entraide, soit en faisant rémunérer directement leurs services.
152L’apparition des tracteurs a entraîné la nécessité d’un renouvellement du matériel dont une partie seulement (remorques, rouleaux) peut être reconvertie. Certains acquéreurs de tracteurs continuent pendant un temps d’utiliser une partie de leur outillage prévu pour la traction animale, mais ce n’est pas une solution très rentable.
153L’utilisation en commun de matériel, qui serait sans doute une solution économique, est insuffisamment développée. Actuellement, deux agriculteurs parents et voisins possèdent un tracteur en commun. D’autres utilisent le cas échéant celui de leur frère ou de leur beau-frère. Certains, qui travaillent habituellement en commun, possèdent des outillages complémentaires, ainsi, l’un aura la lieuse, et l’autre la batteuse. Deux des cinq moissonneuses-batteuses qui existent à Goulien sont chacune la propriété commune de trois exploitants ; enfin, certains outillages qui ne s’utilisent que quelques jours par an sont partagés : une presse par quatre exploitants ; deux rateaux faneurs, chacun par quatre exploitants ; une planteuse de pommes de terre et betteraves par huit ; deux pulvérisateurs d’engrais et d’herbicide respectivement par douze et par quinze ; deux épandeurs de fumier, respectivement par dix et par quatorze. Mais ces derniers efforts de regroupement sont encore dispersés, et il ne semble pas que les paysans de Goulien soient encore assez mûrs pour créer, par exemple, un CUMA (Centre d’Utilisation de Matériel Agricole), comme il en existe déjà à Poullan et à Beuzec. Ici, l’individualisme est encore trop fort.
154Pourtant, les charges en matériel par hectares (carburant, entretien, amortissement, assurances, travaux par entreprises) s’élèvent en moyenne dans le Cap à 198 fr. par an. Ce chiffre pourrait sans doute être sensiblement abaissé si les paysans s’organisaient mieux entre eux.
Le tableau X donne une liste de l’outillage principal de nos quatre exploitations témoins. On y voit que l’équipement matériel n’est pas rigoureusement en proportion directe de la superficie exploitée.
Jean Goudédranche vient d’acquérir son tracteur, c’est pourquoi il conserve encore la plus grande partie de son matériel ancien. Auparavant, un de ses beaux-frères mettait occasionnellement à sa disposition son tracteur et sa barre de coupe.
Jean Gloaguen le moins équipé. Il n’a pas de tracteur, et n’a pas l’intention d’en acquérir avant longtemps. Pour les labours et pour l’arrachage des pommes de terre, il s’adresse à un entrepreneur local : il estime que cela lui revient bien meilleur marché. Pour les foins, la moisson, le battage, il fait appel aux services de son beau-frère, en échange de quelques journées de travail.
Jean Moan est sans doute l’agriculteur le mieux pourvu en matériel pour la superficie de son exploitation ; mais il va assez souvent travailler la terre de petits exploitants peu équipés, qui lui rendent ce service en journées de travail ; de plus, il participe à l’exploitation de la propriété d’un jeune neveu dont il a eu à s’occuper pendant plusieurs années quand celui-ci eut perdu ses parents ; enfin, pendant plus de deux mois chaque année, il fait entreprise de moisson avec sa moissonneuse-batteuse, allant travailler jusqu’à Poullan et Plovézet.
Quant à Jean-Marie Thalamot, il est l’un des exploitants les mieux équipés de la commune. Il lui arrive cependant de faire parfois appel aux services d’un voisin, dont le tracteur plus léger, peut mieux que le sien travailler dans les terres humides. Il fait aussi la moisson avec des parents avec qui il partage la possession de sa moissonneuse-batteuse. Mais dans l’ensemble, sa propre exploitation parait suffire au plein emploi de son matériel.
Les bâtiments
155Si, à Goulien, le matériel s’est rapidement modernisé au cours de ces dernières années, il n’en est pas de même pour les bâtiments. Ceux-ci ont pour la plupart plus de cent ans d’âge. Généralement bien construits et en bon état, ils ne correspondent plus toutefois aux besoins actuels.
156L’organisation des bâtiments d’exploitation autour de l’habitation ne correspond pas à un schéma unique. On peut cependant dégager un certain nombre de traits communs à l’ensemble des fermes.
157Le plus souvent, les bâtiments se groupent autour d’une cour qui possède généralement deux entrées, plus rarement une seule. L’écurie prolonge la maison d’habitation, située vers le nord. L’étable se trouve à l’est ou à l’ouest de la cour, sur laquelle elle s’ouvre ; les étables de construction plus récente, possèdent aussi une autre porte, derrière, par où on peut sortir le fumier qui, autrement, doit s’entasser devant la maison. L’emplacement de la grange est variable ; elle fait le plus souvent face à l’étable. Quant aux porcheries, elles se sont fréquemment révélées insuffisantes depuis que l’élevage des porcs s’est intensifié, et il a fallu en aménager de supplémentaires réparties un peu partout. Enfin, depuis les années 50, on a commencé de construire des hangars qui trouvent leur place sur le quatrième côté de la cour, au sud.
Chez Jean Goudédranche (fig. III), la maison d’habitation date de 1833 ; elle est prolongée à l’ouest par une écurie dépourvue d’étage, dont la soupente sert aussi à emmagasiner les pommes de terre. Sur la façade nord de ces deux bâtiments s’accotent deux appentis servant, l’un de remise et de magasin à pommes de terre, l’autre de laiterie. L’étable, dont la porte de pignon fait face à la maison date de la même époque qu’elle. À l’origine, c’était une grange : c’est ce qui explique la présence, à l’autre extrémité, d’une ancienne cheminée qui servait jadis à faire bouillir la lessive. Une petite porcherie s’appuie contre le mur de l’ouest, et près de là, ont été installés deux clapiers.
La grange a été construite par le vieux Michel Goudédranche à l’emplacement de l’ancienne étable, qu’il avait démolie à cause de son insalubrité. Elle possède deux portes, l’une au nord, et l’autre à l’ouest. On y range une partie du matériel : charrues, herses, etc., et depuis peu, le tracteur nouvellement acquis.
C’est là que se trouve aussi le moteur électrique et le petit moulin à grains qu’il entraîne. Dans le grenier, auquel on accède par un escalier de pierre extérieur, se trouvent entreposés le blé et les autres céréales.
L’ancien fournil, qui se trouve au bord du chemin, derrière la maison, a été transformé en porcherie vers 1950. À cette même époque, on a fait construire, entre la maison et l’étable, un petit bâtiment pour servir entre autres de cuisine pour les bêtes, un petit poulailler y est accolé.
Enfin, le hangar, sous lequel sont abritées les meules de paille et de foin ainsi que le gros matériel : batteuse, charrettes, etc., a été élevé en 1958.
Toutes ces constructions (sauf le hangar, naturellement) sont en granit. La maison et l’écurie ont été couvertes d’ardoises, sans doute dès l’origine. L’étable et la grange sont couvertes de tuiles – matériau peu commun dans la région – qui ont remplacé le chaume à une date récente. Les autres bâtiments ou appentis ont des toits de tôle ondulée ou d’éverité.
Chez Jean Gloaguen (fig. IV), les bâtiments de la ferme occupent plusieurs cours, encloses de murs assez hauts (on est ici tout près de la côte, et les vents sont violents).
La maison d’habitation date de 1856, ainsi que l’écurie qui la prolonge au nord-est. Celle-ci possède un étage qui sert de grenier, et par lequel on accède par les chambres du haut. Un bâtiment plus récent, appuyé sur la face nord, sert de laiterie et de resserre au rez-de-chaussée, et comporte des chambres à l’étage.
158Les étables datent de la même époque que la maison ; elles s’alignent, de l’autre côté de la cour étroite sur laquelle donne la façade de la maison, en un seul bâtiment long et bas, de type peu courant pour la région. Ce sont successivement, l’étable des vaches, celle des veaux, l’ancienne étable à moutons, où on loge maintenant les porcelets, et celle des taureaux.
159Au fond de la cour, formant un angle droit avec les étables, se trouve une petite construction abritant un moteur fixe, à essence, et le « hache-lande », appareil destiné à broyer l’ajonc pour la nourriture du cheval. Un vieux poulailler désaffecté ferme en partie le quatrième côté de la cour. C’est entre ce poulailler et l’angle de l’écurie que se trouve l’unique sortie.
160La cour située derrière la maison est occupée par une porcherie au-dessus de laquelle on emmagasine les pommes de terre.
161De l’autre côté du chemin s’ouvre une troisième cour au fond de laquelle s’élève la grange : remise de matériel en bas, réserve à grains en haut. En face, se trouve un petit abri de bois et de chaume dit toull pell, sans usage bien détini. Dans la cour, sont garées les charrettes ; une meule de foin est dressée à l’autre bout. De là, on accède à une quatrième cour, l’ancienne aire à battre, où trouve place la meule de paille. Jean Gloaguen a l’intention d’élever là un hangar. Il a déjà fait construire une maison neuve, où il a emménagé au début de 1964, dans le pré situé derrière la grange.
162Chez Jean Moan (fig. V), les bâtiments sont beaucoup plus récents. La maison a été construite par son beau-père en 1930, à l’emplacement d’une plus ancienne qui devait dater du milieu du XIXe siècle. Le seul vestige des anciens bâtiments est la remise qui se trouve à l’extrémité occidentale de la maison. C’est là qu’on emmagasine les pommes de terre. C’est aussi l’atelier de Jean Moan, car il fait lui-même une grande partie des réparations dont son matériel a besoin.
163L’autre bout de la maison est occupé par un appentis, partagé entre la laiterie, au nord et la cuisine des bêtes, au sud. Celle-ci ouvre directement sur la porcherie, qui occupe à peu près un tiers d’un long bâtiment perpendiculaire à la maison, dont le reste servait d’étable pour les vaches jusqu’en 1963.
164Le troisième côté de la cour est entièrement bordé par un grand hangar sous lequel se trouve rangé tout le matériel, près des meules de foin et de paille et du tas de betteraves. Ce hangar date de 1954. En 1963, Jean Moan, profitant de ce qu’il était bordé d’un mur le long du chemin ainsi que du côté sud, a achevé de fermer la dernière travée : cela lui a donné une nouvelle étable, où il a transféré son troupeau au début de l’année. Il a en effet l’intention d’accroître son élevage de porcs, et l’ancienne étable lui servira de porcherie. Sur le dernier côté de la cour s’élèvent un garage aménagé aussi en 1963, et un poulailler.
165La maison de Jean-Marie Thalamot (fig. VI) est une ancienne demeure du XVIIe siècle, à laquelle des aménagements ultérieurs ont fait perdre son aspect primitif. À l’une de ses extrémités se trouve le garage du tracteur ; à l’autre, l’écurie, où on loge maintenant des truies. Lui faisant suite, se trouve un bâtiment un peu plus bas, servant de remise à pommes de terre et de cuisine pour les bêtes.
L’étable, construite en 1880, et modernisée en 1939, se place perpendiculairement à cette série de bâtiments. Les bêtes sortent par derrière, par un portail donnant sur une autre cour.
À quelques mètres au bout de l’étable, s’élève un hangar construit en 1923, le premier sans doute de la commune. Il sert exclusivement à abriter le foin, la paille et les betteraves. Le matériel aratoire est rangé dans une série de remises construites en 1945, qui ferment la cour au sud. Elles servent aussi de garage pour la voiture, de magasins pour les pommes (et le matériel de cidrerie), les pommes de terre sélectionnées et le grain. Elles communiquent avec un vaste poulailler donnant sur une autre cour au sud des bâtiments. La porcherie, construite en 1946, se trouve un peu à l’écart, de l’autre côté du chemin. Tous ces bâtiments sont couverts d’ardoises, sauf le hangar dont le toit est d’éverite.
166Les exemples que je viens de présenter, suffisent à donner au lecteur un aperçu assez exact de ce que sont les fermes de Goulien dont celle de Jean Goudédranche donne la meilleure image en ce qui concerne l’ancien type traditionnel (qui présentent, cependant, quelques variantes, dont la ferme de Jean Gloaguen donne un exemple). La ferme de Jean Moan est assez caractéristique des plus récentes, dont celle de Jean-Marie Thalamot représente une variante.
Les revenus
167Sans être très riche, le Cap Sizun n’est pas à proprement parler un pays pauvre ; ses productions agricoles sont abondantes ; ses habitants sont travailleurs ; ses champs et ses fermes sont bien tenus. Pourtant, les revenus des agriculteurs ne sont pas très élevés.
168M. Édouard Morvan, Conseiller Agricole du Cap, a bien voulu établir pour moi le bilan annuel d’une exploitation de Goulien qui paraît assez représentative de l’ensemble des exploitations de la commune. On le trouvera retranscrit au tableau XI, quelque peu simplifié, mais complet.
169La superficie de l’exploitation en question est légèrement inférieure à la moyenne communale générale, mais la répartition des cultures correspond à peu près exactement aux chiffres moyens de la commune. De même pour le bétail et la basse-cour.
170La main-d’œuvre est exclusivement familiale, et comprend le père, la mère, et un fils d’une trentaine d’années. En économie agricole, on compte habituellement la main-d’œuvre en UTH (Unité de Travail Homme) ; cette unité correspond au travail d’un homme à temps complet pendant un an, soit 300 jours de travail. On a coutume d’évaluer la main-d’œuvre féminine à 0,5 UTH, une femme étant censée ne donner que la moitié de son temps à l’exploitation, et l’autre moitié à son ménage. À Goulien, au moins, cette évaluation me paraît largement insuffisante : une femme travaillant seule dans une ferme passe souvent presque autant de temps à soigner le bétail – c’est elle qui s’occupe à peu près exclusivement des bovins, des porcs et de la basse-cour – et à donner éventuellement un « coup de main » aux champs, que son mari n’en passe aux travaux agricoles. Et pour elle, ce travail se poursuit même le dimanche. La cuisine, la lessive, et les soins du ménage, vite expédiés, ne font que s’y ajouter3. Aussi, peut-on, pour simplifier les calculs, estimer la main-d’œuvre de cette ferme à trois travailleurs à temps complet.
171Le matériel est assez comparable à celui que possède Jean Goudédranche (tab. X) : usagé, mais en bon état et assez bien fourni. Les bâtiments, disposés selon l’ancien schéma traditionnel, remontent pour la plupart au milieu du siècle dernier. Une étable a été agrandie peu avant la guerre, une porcherie a été construite à la même époque. Le tout est en bon état et bien entretenu : l’aspect de la ferme est propre et coquet. À l’époque où la fiche a été établie, cette exploitation ne possédait pas de tracteur. On en a acheté un depuis, à crédit, comme ce fut le cas de presque tous ceux qui ont été acquis ces dernières années.
172Le produit brut (tab. XI) constitué par les recettes et par l’évaluation des produits réservés à la consommation familiale, provient essentiellement des produits laitiers, puis de l’élevage porcin. Les bovins ne viennent qu’en troisième position, suivis de loin par les produits de la basse-cour. Mais la vente de ces derniers toutes les semaines au marché, avec celle du beurre, procure la seule arrivée régulière d’argent liquide, tandis que les ventes d’animaux, à la foire ou à la ferme, ne se produisent guère que cinq ou six fois par an. Dans ce domaine, les prix sont d’ailleurs soumis à de fréquentes fluctuations. C’est ainsi qu’en 1963-1964, le prix des porcelets de six à sept semaines a varié de 150 à 280 fr. la paire, celui du porc charcutier de 1,25 à 1,80 fr. la livre sur pied, et celui d’une vache moyenne, de 750 à 1 100 fr.
173Quant aux produits végétaux, ils ne contribuent au produit brut que par le biais de l’autoconsommation. Parmi les charges, celles qu’entraîne directement l’exploitation sont réduites au minimum : elles ne consomment à elles toutes que 17,5 % du produit brut. Le secteur le moins favorisé est celui des bâtiments d’exploitation, pour lesquels on ne fait que les dépenses d’entretien les plus nécessaires, bien que beaucoup soient vétustes. Quant à la main-d’œuvre extérieure et aux facilités que pourrait apporter l’appel à des entrepreneurs pour les labours ou la moisson, par exemple, on s’en passe purement et simplement. Il est vrai que l’entraide avec des voisins y pourvoit en partie.
174De toutes les charges réelles, on remarquera que ce sont les frais généraux (fiscalité, assurances, électricité) qui sont les plus élevés.
175Par définition, le revenu agricole est égal au produit brut moins les charges réelles. C’est ce qui reste pour faire face aux charges calculées. Celles-ci comprennent :
l’estimation du travail familial, (22,50 fr. par jour et par travailleur en 1963),
la prime de direction de l’exploitant, estimé à 5 % du revenu brut,
la valeur locative de l’exploitation, c’est-à-dire ce que rapporterait sa mise en fermage,
l’intérêt du capital, estimé à 5 % du capital d’exploitation.
176Le revenu net (profit ou perte) est ce qui reste à l’exploitant lorsqu’il a fait face à toutes ses charges, réelles ou calculées. On voit qu’ici, il est largement négatif : -127,46 fr. Pourtant, le salaire calculé n’aurait été que de 562,50 fr. par mois et par personne.
177Pour calculer à quel prix le travail familial a été réellement payé, il suffit de n’ajouter aux charges réelles que le montant de la valeur locative et de l’intérêt du capital, et de soustraire le total obtenu au produit brut. Le montant obtenu dans le cas présent s’élève à 7 504,00 fr., soit 208,44 fr. par mois et par personne.
178On pourrait faire remarquer qu’il convient d’ajouter à ce salaire la valeur de la nourriture – d’ailleurs frugale – prise sur la ferme ; mais cela reviendrait à la compter deux fois, puisqu’elle est déjà entrée dans le calcul du produit brut.
179Voilà donc ce que gagnent les paysans de Goulien, pour des journées de travail rarement inférieures à huit heures, et qui montent parfois à douze ou quatorze heures à l’époque des gros travaux. Mais peu d’entre eux se sont avisés de faire ce calcul. Certes, ils ont bien l’impression d’être défavorisés par rapport aux salariés, mais comme ils sont habitués depuis toujours à réduire leurs frais, tant pour leur nourriture que pour leur habillement, leurs loisirs ou leur confort, ils parviennent tout de même à placer chaque année un peu d’argent, qui est le produit, non pas tant de leur travail que de leurs privations.
- Les travaux agricoles : matériel et technique
Les conditions de travail
180Contrairement à ce qu’on pourrait penser, l’évolution des techniques agricoles et la motorisation ne paraissent pas avoir allégé la tâche des agriculteurs. Tous, en tout cas, sont unanimes à dire qu’ils travaillent plus qu’autrefois. En fait, les conditions de travail sont devenues très différentes de ce qu’elles étaient il y a soixante ans.
181Dans les fermes, la main-d’œuvre, on l’a vu, était plus abondante. Aussi, le travail quotidien était-il moins pesant, d’autant que les exploitations étaient parfois plus petites, et qu’on y trouvait davantage de terres incultes. On se réglait sur le jour. Dès que le soir tombait, on rentrait à la maison, on soignait les chevaux, on soupait, et on passait le reste de la soirée à veiller autour de l’âtre. L’été, sans doute, les foins et la moisson étaient des occasions de très longues journées ; au moment du battage, on se levait parfois à quatre heures du matin (heure solaire, il est vrai), pour aller aux champs charger sur les charrettes les gerbes de blé qu’on pourrait commencer à battre dès huit heures, après le petit-déjeuner. Mais les grands travaux de ce genre rassemblaient toujours une main-d’œuvre extrêmement abondante : non seulement tout le personnel de la ferme, hommes, femmes, enfants et domestiques, mais encore toute une multitude de petits « clients » qui lui étaient liés traditionnellement génération après génération, auxquels s’ajoutaient quelques ouvriers occasionnels. Et puis ces travaux étaient souvent entrepris en commun par deux fermes voisines ou alliées.
182Les progrès techniques ont sans conteste rendu ces travaux-là plus faciles. La moisson et le battage sont maintenant expédiés en deux ou trois jours, là où il fallait trois semaines à un mois jadis. Mais on n’en travaille pas moins pour autant ; c’est le contraire qui se produit puisque non seulement on abat plus d’ouvrage en une journée de travail, mais encore, celle-ci n’étant plus limitée par la longueur du jour solaire, se trouve parfois considérablement allongée. Il n’est pas rare en effet de voir labourer ou moissonner à la lueur des phares du tracteur...
183Les seuls bénéficiaires des changements récents sont sans doute les enfants. On les mettait en effet très tôt au travail. Tout petits, dès avant l’âge de l’école, on leur faisait garder les vaches. Plus grands, ils devaient se lever à cinq heures du matin pour conduire les troupeaux au pâturage avant d’aller en classe, où il arrivait souvent qu’on ne les envoie d’ailleurs pas, sous des prétextes divers. Et dès qu’ils avaient quitté l’école, ils commençaient à travailler comme les adultes. Dans les plus grandes fermes, on tenait à envoyer les enfants en pension, mais on ne les y laissait guère au-delà de la quatrième ou de la troisième – quoiqu’on puisse encore rencontrer à Goulien quelques vieux paysans qui ont fait leur « rhétorique » au collège de Pont-Croix ou au Likès à Quimper (ar skoliou braz, litt. : « les grandes écoles »). Mais même ceux-là devaient participer aux travaux de la ferme lorsqu’ils étaient en vacances, et celles-ci tombaient justement à l’époque des grands travaux.
184En revanche, il semble que les femmes aient été jadis moins astreintes qu’aujourd’hui. Il ne leur arrivait alors que très rarement d’avoir à aider les hommes aux champs, sauf pour les foins et la moisson. Et les soins du bétail les prenaient moins, puisque les troupeaux de vaches étaient plus réduits dans l’ensemble, et qu’on élevait surtout moins de porcs.
185Quant aux hommes, non seulement ils font des journées plus longues qu’autrefois, mais elles sont même parfois plus pénibles. Marcher pendant tout un jour derrière une charrue dans la terre fraîchement retournée n’était certes pas de tout repos, mais on pouvait régler son pas à sa fatigue, on pouvait prendre un peu de repos de temps en temps en laissant souffler les chevaux, et les mille incidents divers qui pouvaient se produire et la conduite des bêtes tenaient l’esprit constamment en éveil. Mais quand on doit rester assis pendant des heures soûlé par le ronron monotone du moteur, immobile sous le vent, le froid, la pluie, dans une position malcommode, constamment tourné vers l’arrière pour surveiller le sillon et pour retourner la charrue en bout de champ, en tenant le volant d’une main, on est vraiment rompu au bout de la journée. Ce n’est sans doute pas le paradoxe le moins étrange du progrès technique, qu’il n’ait pu rendre le travail des hommes, ni plus court, ni moins pénible.
186On trouvera plus loin des exemples d’horaires de travail notés sur le vif, dans les 4 exploitations témoins. On notera la longueur des journées, même en saison creuse. On remarquera aussi que le partage des tâches n’est pas absolument rigoureux, et que bien que ce soient les femmes qui s’occupent normalement du bétail, il arrive que des hommes aident à la traite, donnent à manger aux cochons, ramènent les troupeaux du pâturage. Inversement les femmes vont aider aux champs ; il y a pourtant certains travaux qu’elles ne font pas habituellement (malgré quelques exceptions, même autrefois) : tous ceux qui impliquent la conduite des chevaux ou du tracteur.
187Le rythme du travail journalier dépend naturellement en partie de la durée du jour, et varie selon les saisons : l’hiver, on se lève aux environs de 8 h., l’été, aux environs de 6 h. L’heure du coucher est assez variable selon les familles. Celles, encore rares, qui possèdent la télévision vont dormir plus tard que les autres, qui se couchent ordinairement presque tout de suite après le dîner. Les périodes de travail sont entrecoupées par les courts moments de repos que constituent les repas, généralement vite expédiés : petit déjeuner, déjeuner, collation, dîner, la collation est souvent supprimée, car l’après-midi est trop courte.
188La suite des jours s’insère à son tour dans le cadre plus large de la semaine, que délimitent nettement les dimanches, jours de repos absolus pour le travail des champs. Seules exceptions : la rentrée des foins et de la moisson lorsque la pluie menace ; jadis, aussi, le glanage n’était pas considéré comme une rupture du repos dominical. En revanche, les soins aux bêtes ne peuvent s’interrompre, et on a vu qu’ils constituent l’essentiel du travail des femmes.
189Chaque semaine, certains travaux reviennent périodiquement : la fabrication du beurre, deux fois par semaine, la lessive... Chaque samedi les femmes vont au marché d’Audierne, et ce sont les hommes qui s’occupent à leur place e tro ar ger (« autour de la maison »), à soigner les bêtes.
190Certains travaux ou certains événements ont une périodicité plus large : on va à la foire de Pont-Croix, les deuxième, quatrième et éventuellement cinquième jeudi du mois, on vide la « crèche » (l’étable) tous les deux mois environ, etc.
191Ces rythmes réguliers, inconnus du citadin, contribuent sans doute à rendre moins pénible le travail, pourtant si astreignant, du paysan.
Le calendrier des travaux agricoles
192Le cycle annuel des travaux à Goulien est habituellement le suivant :
Novembre :
labours de déchaumage ;
arrachage des betteraves ;
semailles du « blé d’hiver » (froment, seigle, escourgeon, jadis avoine d’hiver).
Décembre :
semailles du blé d’hiver (jusqu’à Noël) ;
abattage d’arbres, confection de fagots.
Janvier :
abattage d’arbres ;
artisanat domestique : confection de paniers ou de balais, menuiserie.
Février :
labours profonds ;
semailles des pommes de terre primeurs.
Mars :
labours ;
à partir du 15, semailles du « blé de printemps » (orge, avoine).
Avril :
semailles du blé de printemps ;
semailles des pommes de terre germées.
Mai :
semailles du blé de printemps ;
semailles des pommes de terre germées ;
semailles des betteraves, des choux, des petits pois ;
engraissement des prairies ;
traitement de l’orge, des petits pois ;
semailles du maïs ;
binage des choux.
Juin :
semailles du maïs ;
binage des pommes de terre, des petits pois ;
semailles des rutabagas ;
buttage et traitement des pommes de terre ;
repiquage des choux et des betteraves ;
semailles des haricots verts ;
récolte des petits pois ;
fauche des foins.
Jean | sa femme | son beau-père | sa belle-mère | |
Travaux sur l’exploitation | 9,30 h | 6,20 h | 6,15 h | 9, 00h |
Déplacements | 1,00 h | – | 1,00 h | 1,00 h |
Travaux domestiques | – | 4,10 h | – | – |
Repas | 2,00 h | 2,00 h | 2,00 h | 2,00 h |
Loisirs | – | – | – | – |
Jean | sa femme | |
Travail sur l’exploitation | 9,35 h | 8,10 h |
Déplacements vers le lieu de travail | 2,00 h | 1,00 h |
Travaux domestiques | – | 2,25 h |
Repas | 1,10 h | 1,10 h |
Loisirs | – | – |
Jean | sa femme | son beau-père | |
Travail sur l’exploitation | 10,85 h | 3,35 h | 9,50 h |
Déplacements | 0,35 h | 0,15 h | 0,40 h |
Travaux domestiques | – | 7,30 h | – |
Repas | 2,30 h | 2,30 h | 2,30 h |
Loisirs | 2,30 h | 2,30 h | 2,30 h |
Jean-Marie | fils | femme | belle-fille | journalière | |
Travail sur l'exploitation | 11,25 h | 11,25 h | 10,45 h | 3,00 h | 10,25 h |
Déplacements | 0,20 h | 0,20 h | 0,45 h | 1,40 h | |
Travaux domestiques | – | – | 0,15 h | 8,45 h | 0,40 h |
Repas | 2,00 h | 2,00 h | 2,00 h | 2,00 h | 2,00 h |
Loisirs | 1,30 h | 1,30 h | 1,30 h | 1,30 h | 1,30 h |
Juillet :
battage du colza pour en récolter les graines ;
semailles sur anciennes parcelles de petits pois ;
repiquage des choux et des betteraves ;
semailles des haricots verts, et jadis, du blé noir ;
récolte des petits pois ;
foins ;
binage des choux, des betteraves, du maïs ;
« démariage » des rutabagas ;
moisson.
Août :
moisson (battage) ;
semailles des cultures dérobées : choux, colza ;
nettoyage des talus.
Septembre :
semailles des prairies temporaires ;
récolte des pommes de terre.
Octobre :
récolte des pommes de terre ;
ramassage des pommes à cidre ;
début des labours de déchaumage.
Les travaux des champs
- Les labours
193À la fin du XIXe siècle, on utilisait encore des charrues en bois de fabrication locale, dont la seule partie métallique était un soc de forme conique. J’ai pu en trouver un exemplaire à Kergadou en Esquibien, village qui se trouve à peu de distance de Kerguerrien en Goulien (fig. VII à XII).
Elle se composait d’un âge (al laz, fig. VIII), formé par un madrier d’environ 2,60 m, légèrement dévié sur la droite par rapport à l’axe du soc ; de deux mancherons (an daouarn, fig. IX et X), de forme courbe, fixés, le mancheron droit à l’avant, et le mancheron gauche à l’arrière du sep, et décentrés aussi vers la droite ; d’un sep (ar hougeñver ; fig. XI) dont l’extrémité, en forme de demi-cône, était gainée dans une feuille de métal de même forme qui constituait le soc (ar zoh) ; et d’un versoir (an orel ; fig. XII) formé par deux planchettes gauchies. Le tout maintenu en place par des chevilles de bois.
194Cette charrue s’employait avec un avant-train (ar c’hriol) que je n’ai pas retrouvé, mais probablement semblable à celui que R. Y. Creston avait observé à Goulien il y a une vingtaine d’années (Creston, p. 35, fig. 12). Cet avant-train était parfois dissymétrique, la roue qui suivait le fond du sillon étant plus grande que l’autre. Le palonnier qui se fixait à cet avant-train portait le nom de sparl, et la chaîne de traction celui de raon.
195Cette charrue était déjà assez peu employée en 1880, car elle avait été supplantée par un autre type, dont une partie des pièces seulement était en bois, et qui labourait plus profondément. Mais on l’utilisait encore pour certains labours qui n’avaient pas besoin d’être très profonds, comme pour semer de l’ajonc.
196La nouvelle charrue (fig. XIII) possédait un âge au profil plus sinueux et deux mancherons symétriques. Soc, versoir et sep étaient en acier. Elle était aussi munie d’un coutre, et d’un régulateur (fig. XIV) permettant de régler la largeur et la profondeur du sillon.
197À cette époque, encore, les coins des champs trop biscornus, ainsi que les parcelles destinées à recevoir de l’orge ou des pommes de terre étaient souvent retournées à la bêche.
198C’est aux environs de 1900 qu’apparurent les charrues dites brabants, entièrement métalliques et de fabrication industrielle, qui n’eurent aucun mal à prendre la place des anciens modèles, d’autant que les brabants doubles, munies de deux socs rapidement interchangeables et de sens différent ne rendaient plus nécessaire le labour en planches : celui-ci consiste à labourer alternativement à gauche, et à droite du premier sillon, ce qui oblige à faire des tours de plus en plus larges ; mais lorsque la charrue ne verse la terre que d’un seul côté on ne peut faire autrement.
199On a dû revenir pendant quelque temps à ce type de labours à l’apparition des premiers tracteurs, car ceux-ci ne portaient que des charrues simples ; mais ils ont été rapidement dotés de charrues inversibles, et quelques-uns possèdent maintenant des charrues doubles, qui permettent de tracer deux sillons à la fois.
200Le dernier perfectionnement à la technique des labours est apporté par le rotavator. Cet instrument possède plusieurs socs formés par des lames d’inclinaisons diverses tournant très rapidement, qui pulvérisent littéralement les mottes de terre et qui déchiquettent les racines. On fait très souvent appel en ce moment aux possesseurs de rotavators pour labourer les terres nouvellement défrichées.
201Ce travail devenu maintenant facile était jadis l’occasion de grandes journées de travail collectif : les hommes après avoir incendié la broussaille, coupaient d’abord les pieds d’ajoncs calcinés, souvent hauts de plusieurs mètres ; puis on retournait le terrain avec une grosse charrue en bois à soc métallique, arad braz (« grande charrue ») ou arad da denna lann (« charrue à arracher l’ajonc »), qu’on avait louée dans une grande ferme (toutes en possédaient une) ou chez le forgeron. C’était le moment le plus délicat et le plus dur de l’opération. On mettait à la charrue 8,10 et même 12 chevaux attelés deux à deux au moyen de palonniers à une longue chaîne centrale. Le plus difficile était de tourner en bout de course, car les chevaux devaient sauter par-dessus la chaîne que ceux qui les précédaient avaient entraîné sur le côté. De plus, à mesure que les paires de chevaux tournaient, l’effort que devaient fournir les suivants devenait de plus en plus important, puisque ils étaient de moins en moins nombreux à tirer. C’est pourquoi, on attelait les plus forts en dernier.
202Chaque paire de chevaux était guidée par un homme, et trois hommes étaient à la charrue : un aux mancherons, et les deux autres de part et d’autre, appuyant sur l’âge de toutes leurs forces avec des fourches en bois pour empêcher la charrue de se soulever. Au bout de trois tours, ils étaient en nage, et on devait les remplacer.
203Ces journées de défrichage avaient lieu traditionnellement le lundi de Pâques et se poursuivaient les deux jours suivants.
204On terminait le travail en hiver, en arrachant les souches au moyen de grandes houes (tranch ou bac’h) ; à ces journées participaient les femmes, ainsi que beaucoup de petites gens, qui recevaient en échange autant de fagots d’ajonc pour le chauffage qu’elles en demandaient.
- Le façonnage de la terre
205La terre une fois labourée est habituellement hersée et roulée, parfois plusieurs fois de suite.
206Jusqu’à l’apparition des herses articulées montées derrière le tracteur, les herses en usage à Goulien (ogod) ont conservé leur forme traditionnelle. Il s’agit de cadres de bois formés par huit traverses entrecroisées et munies de longues dents de fer, très pointues d’un côté, mousses de l’autre. Deux anneaux fixés chacun à l’un des angles permettent d’accrocher l’instrument au palonnier. Comme ces herses ne sont pas exactement carrées, mais qu’elles affectent la forme d’un losange peu prononcé, elles couvrent une bande de terrain plus ou moins large selon qu’on utilise l’un ou l’autre anneau. Des pierres, placées sur le cadre, permettent de les alourdir et de les enfoncer davantage en terre ; une corde, attachée à l’arrière, permet de les soulever quand elles accrochent. Si au contraire on veut empêcher qu’elles ne s’enfoncent trop, on les retourne du côté des pointes mousses.
207Le type le plus ancien de rouleau (ruilh) consiste en une grosse pierre cylindrique munie aux deux extrémités de chevilles de fer qui vont se loger dans un simple cadre de bois où elles tournent librement. Rien ne paraît plus primitif que cet instrument. Pourtant, à Goulien du moins, il semble que son introduction soit relativement récente. Lun des premiers à l’utiliser aurait été Michel Velly l’arrière-grand-père de la femme de Jean Gloaguen qui ne devint patron de la ferme de Kérisit qu’en 1854. Les premiers fabricants de rouleaux de pierre auraient été les carriers de Plogoff, puis les maçons de Goulien auraient appris à les faire. Auparavant, on ignorait le roulage.
208Ensuite, vers le début du siècle, sont apparus les rouleaux de bois. L’armature, que prolongent deux brancards, est placée au-dessus du cylindre, ce qui permet de l’alourdir en y plaçant des pierres ; certains portent un siège pour le conducteur. Le cylindre, parfois double, est en chêne. Étant plein, il est parfois plus lourd que le cylindre de fonte creuse des rouleaux les plus récents, destinés aussi bien à la traction animale qu’au tracteur.
209Tous ces différents types de rouleaux sont encore aujourd’hui utilisés concurremment, et il arrive même que des agriculteurs couplent derrière leur tracteur un rouleau de fonte et un rouleau de pierre.
- Les semailles
210La technique des semailles du blé n’a guère varié jusqu’à une période récente, où l’apparition de semoirs a réduit de cinq fois le temps jusque-là nécessaire. Les grains sont semés à la volée, en un geste saccadé du poignet ; cette tâche est souvent réservée aux femmes. Ensuite on répand de l’engrais, de la même façon, puis on herse et on roule.
211Jadis, la semence était prise sur la récolte de l’année précédente ; aujourd’hui, on l’achète presque toujours, ce qui est plus sûr.
212La technique de semailles des pommes de terre, au contraire, a considérablement évolué dans les soixante dernières années. Autrefois, dans le champ retourné à la bêche, on ouvrait des sillons à la houe, on plaçait les pommes de terre au fond, éloignées l’une de l’autre d’un pied environ, et on le refermait à la houe. S’il s’agissait de pommes de terre destinées à la consommation familiale, on n’utilisait aucun engrais.
213Par la suite, on a ouvert les sillons à la charrue ; les semeurs, chargés chacun d’une longueur déterminée du sillon, y plaçaient leurs pommes de terre et un autre épandait de l’engrais aussitôt après le passage de la charrue. Celle-ci le refermait en remontant. Le sillon suivant était à nouveau garni de pommes de terre, et ainsi de suite. L’inconvénient de cette méthode, c’est qu’elle comportait beaucoup de temps morts.
214La troisième méthode consiste à ouvrir une série de sillons au butoir. Les semeurs avancent de front sur plusieurs rangs. Lorsque plusieurs sillons ont été entièrement semés et soupoudrés d’engrais, on passe le butoir entre eux pour les refermer.
215Ces deux dernières méthodes ont été adaptées au tracteur, et dans le dernier cas, on emploie souvent trois ou quatre butoirs de front.
216Les pommes de terre de semence étaient habituellement disposées dans de grands paniers ronds à fond conique ; les semeurs disposaient pour les transporter de paniers plus petits munis d’une anse.
217Depuis quelques années, on a pris l’habitude de faire d’abord germer la semence avant de la mettre en terre. On la dispose pour cela sur de petites clayettes de bois qui servent aussi à leur transport.
218Enfin, quelques planteuses à pommes de terre ont fait récemment leur apparition dans la commune.
219À Goulien, les assolements traditionnels au début du siècle étaient les suivants : plantes sarclées ou trèfle/froment/avoine d’hiver/jachère. Ou encore : plantes sarclées/céréales/ pommes de terre/jachère. Ce dernier type a subsisté de nos jours sous la forme : plantes sarclées/céréales/pommes de terre/prairies temporaire. Les deux autres formes les plus courantes d’assolement consistent actuellement dans la succession : céréales/pommes de terre, ou légumineuses, ou prairies temporaire/plantes sarclées ; ou dans l’alternance céréales/pommes de terre précédée ou suivie d’un des deux types d’assolements précédents.
- Le repiquage
220Les betteraves et les choux, semés en mai en plates-bandes assez serrées sont repiqués en juin et juillet. Les plants tirés de terre subissent d’abord une préparation qui consiste à couper l’extrémité des racines, et, pour les betteraves, celle des feuilles. Si la terre où les plants doivent être repiqués paraît trop sèche, on les fait tremper un moment dans un seau contenant une boue fluide faite avec de l’humus de prairie humide ou de la terre du champ et de la bouse de vache.
221Puis, à l’aide d’une sorte de grand rateau de bois à quatre ou cinq dents très espacées, on trace sur le sol des raies parallèles le long desquels on dépose les plants. Certains utilisent aussi des cordeaux.
222Ensuite, on pratique un trou dans la terre à l’aide d’un plantoir de bois (ar peul), et on y introduit un plant, autour duquel on tasse la terre avec le talon du sabot. Une autre méthode demande qu’on travaille à deux. Lun entrouvre la terre à l’aide d’une houe, l’autre introduit le plant dans la fente ainsi pratiquée, et le premier remet en place la motte qu’il avait soulevée.
223Là encore, l’usage de plus en plus généralisé des planteuses entraînera sans doute sous peu l’abandon progressif des méthodes traditionnelles.
- La protection et l’entretien des cultures
224Lorsque les graines commencent à germer et les premières pousses à sortir de terre, les oiseaux, très nombreux dans le pays, se mettent à s’attaquer aux récoltes. On s’en protège en installant des épouvantails dans les champs. Ce sont, soit des épouvantails classiques : une vieille veste et un chapeau placés sur deux bâtons en croix ; soit des cordelettes entrecroisées tendues très bas au-dessus du sol sur toute l’étendue du champ, et auxquelles on accroche éventuellement des morceaux de tissu, de plastique ou de papier argenté, ou enfin de simples potences auxquelles ont été suspendus des cadavres d’oiseaux. On utilise aussi beaucoup les graines empoisonnées.
225Lorsque les pousses se font plus hautes, il faut les protéger contre les mauvaises herbes. Depuis une vingtaine d’années, on utilise évidemment de plus en plus les herbicides, mais auparavant, on était obligé, soit de les laisser croître, dans les céréales par exemple, soit de les arracher, à l’aide d’instruments ou à la main (quand le maïs commence à sortir, toutefois, on sème parfois du colza entre les rangées, ce qui empêche les mauvaises herbes de se développer).
226L’usage de sarcloirs ne paraît pas très ancien à Goulien. Encore maintenant, beaucoup se contentent de nettoyer les cultures à la main ou en s’aidant d’une simple faucille (ce qui oblige à travailler à genoux).
227Le binage a le double effet d’arracher les mauvaises herbes et d’aérer le sol. Jadis, on accomplissait ce travail avec des houes mais à partir de 1904, les forgerons locaux ont fabriqué des bineuses à cheval qui sont encore employées aujourd’hui. Il y en a de plusieurs sortes. La plus commune comporte deux longerons métalliques, que prolongent à l’arrière deux mancherons, et qui se réunissent à l’avant pour recevoir l’axe d’une petite roue. Ce cadre sert de support à trois barres transversales sur lesquelles sont montées respectivement, une, deux ou trois dents métalliques recourbées vers l’avant. On peut en régler l’écartement au moyen de vis qu’on peut serrer ou desserrer à volonté. Cet instrument s’appelle en breton our broch.
228Bien qu’on puisse maintenant monter des dents de bineuses sur le porte-outils du tracteur, beaucoup d’agriculteurs motorisés préfèrent encore utiliser la bineuse à cheval, car, disent-ils, si le travail est plus long ainsi, il est tout de même plus précis, et on a la possibilité de biner plus profondément.
229Pour le buttage des pommes de terre, on utilise encore le même instrument, sur lequel on a simplement monté des buttoirs à la place des dents.
- Les techniques de récolte
230La première récolte de l’année est celle des petits pois. On engageait jadis des journaliers ou des ouvriers saisonniers pour cueillir les gousses une à une ; on se contente maintenant de couper à la faucille les pieds de petits pois, qui sont envoyés tels quels à la batteuse. Mais pour les haricots verts, on continue évidemment d’employer l’ancienne méthode.
231Ensuite vient la récolte des foins, pour laquelle la faux est encore largement utilisée, par exemple, dans les prés trop petits ou trop humides pour que le tracteur y aille.
232La faux utilisée dans le Cap se distingue de celles utilisées communément dans le reste de la France par le fait que la lame fait avec le manche un angle nettement aigu. Cela oblige le faucheur à travailler toujours courbé en deux, dans une position qui serait assez pénible pour qui n’y serait pas habitué, mais que les gens du Cap jugent beaucoup moins fatigante que la position classique. Au bout du manche est fixé un javelier, demi-cercle d’osier, destiné à empêcher l’herbe coupée de s’éparpiller. On compte qu’il faut à six faucheurs une journée pour faucher un « journal » (1/2 ha env.) de foin.
233Mais dans les autres prairies, on n’utilise pratiquement plus que le tracteur et la barre de coupe.
234Une fois fauché, le foin est laissé sur place à sécher, et quelques jours après, on vient le faner, c’est-à-dire, le retourner et l’éparpiller à nouveau au bout de la fourche. On utilise pour cela une fourche à deux dents (on dit : forc’h daou biz, fourche à deux « doigts »), ou bien une faneuse à cheval, ou encore un râteau-faneur, mais on trouve encore peu de ces derniers dans la commune, car il s’agit d’un matériel assez cher, et qui ne sert que quelques jours par an.
235Au bout de quelques jours encore, on va ramasser le foin. Celui-ci est mis en tas à la fourche, puis chargé dans une charrette ou dans une remorque ; certains le chargent directement sans faire de tas préalables. Puis le champ est ratissé, soit à l’aide des râteaux de bois traditionnels, soit à l’aide d’une râteleuse moderne.
236Autrefois, la meule de foin était toujours faite au fond de la cour de la ferme, mais de nos jours elle est le plus souvent, installée à l’abri du hangar. On installe d’abord par terre une couche de fagots pour l’isoler du sol, et on l’élève par-dessus. Cela demande une technique éprouvée car l’ensemble doit être bien équilibré et former un ensemble homogène.
237Les différents fourrages verts utilisés au long de l’année successivement, colza (en novembre et décembre, puis à nouveau en mai), trèfle (de mai à août) et maïs fourrager (d’août à octobre), sont encore le plus souvent coupés à la faucille, car on n’en a besoin chaque fois qu’en petites quantités ; on utilise aussi parfois la faux, surtout pour le trèfle.
238Pour transporter le fourrage, on le rassemble en un faix (our beac’h) maintenu par une corde que termine une cheville percée de deux trous (our vrannell, pl. brannilli ; fig. XV) ; si la maison n’est pas trop loin, on le porte ainsi sur le dos, sinon, on le charge sur une charrette.
239Les choux fourragers, utilisés de novembre à janvier, sont simplement effeuillés ; les trognons laissés aux champs servent ensuite de fumier.
240Il y a peu de temps, on voyait encore les petits agriculteurs utiliser aussi la faucille pour la moisson. Cette technique est aujourd’hui entièrement disparue ; mais jusqu’en 1914, ce fut pratiquement la seule employée. Elle demandait naturellement un personnel considérable. Il fallait louer deux ou trois domestiques supplémentaires pour la durée de la moisson, auxquels s’ajoutaient un grand nombre de journaliers. Et le travail durait deux à trois semaines.
241Le blé coupé restait couché en javelles toute la journée, puis, au soir, il était noué en gerbes. On utilisait pour cela une poignée de blé prise à la gerbe même, torsadée, et disposée de telle façon que les épis soient tournés vers le haut de la gerbe (fig. XVI) ; ensuite, on le disposait, soit en moyettes, soit en meules. Ce travail menait souvent jusqu’à une heure déjà avancée de la nuit. Puis, le lendemain, on se levait à quatre heures pour reprendre le travail. Cela durait, suivant les fermes, quinze jours à trois semaines.
242Déjà, vers 1910, étaient apparues des javeleuses, sortes de faucheuses qui couchaient le blé en javelles. Puis, en 1923, vinrent les deux premières faucheuses. Ce fut un événement dans la commune : on venait de loin pour les voir travailler. Cependant, les vieux se montraient réticents. Ils estimaient qu’elles ne feraient jamais un aussi bon travail qu’une équipe de moissonneurs. Des paysans de Primelin, qui en avaient acheté une peu après, la revendirent au bout d’un an, parce qu’ils trouvaient qu’elle faisait du gaspillage, beaucoup d’épis tombant à terre ; et ils firent à nouveau la moisson à la faucille.
243La pénurie grandissante de main-d’œuvre finit par avoir progressivement raison des résistances : il n’y avait plus d’ouvriers disponibles pour la moisson à Goulien, il fallait aller en louer jusqu’à Pont-Croix, et on n’était encore pas sûr de pouvoir en trouver.
244Dès les années trente, toutes les exploitations de quelque importance possédaient une faucheuse-lieuse, que beaucoup continuent d’utiliser aujourd’hui soit avec des chevaux, soit derrière leur tracteur. Les deux premières, celles de 1923, fonctionnent d’ailleurs encore.
245Le premier passage de la machine autour du champ est préparé à la faux. On appelle cela couper le tour (trohi an droiou) ; puis la lieuse passe, menée par trois personnes : l’une sur le siège pour tenir les guides des chevaux, une à côté pour aider à les conduire et pour vérifier le nouage des gerbes, et une troisième derrière, qui, armée d’une longue perche, veille à l’engagement des tiges de blé dans la machine.
246Les meules restent sur le champ jusqu’à ce que la moisson soit achevée, ce qui peut prendre huit à dix jours. Puis on procède au battage.
247À Goulien, le battage au fléau a été général jusque vers 1890. À cette époque, les plus grandes exploitations commencèrent à faire l’acquisition de petites batteuses en bois qu’actionnait un manège mû par deux, trois, ou quatre chevaux. Mais beaucoup de petits fermiers utilisèrent encore longtemps le fléau.
Celui-ci (ar freilh ; fig. XVII) comportait un manche (ar feuilh) en bois de saule (haleg) et un battant (ar fust) en bois d’aubépine (spern), munis chacun à leur extrémité d’un anneau en peau de porc solidement ligaturé au bois (ar penn gab) par où passe la lanière de cuir (al lasenn) qui les unit l’un à l’autre.
248Avant le battage, on avait soigneusement enduit le sol de l’aire d’une sorte de mortier fait de bouse de vache et d’eau. Cela donnait en séchant une surface lisse et dure qu’on balayait soigneusement chaque jour, pour empêcher la poussière et les petits cailloux de se mêler au grain.
249Tôt le matin, avant le petit-déjeuner, on allait aux champs charger les gerbes de blé sur les charrettes. On avait dû d’abord couper les basses branches des arbres tout au long des chemins creux qu’on emprunterait au retour, car autrement les charrettes pleines n’auraient pu passer sans perdre une partie du chargement. Puis, après le petit-déjeuner, on se mettait au battage. C’était un rude travail. Les batteurs se plaçaient face à face, trois par trois, et les femmes mettaient entre eux les gerbes de blé. Alors les fléaux se mettaient à frapper en cadence, ceux d’un côté, puis ceux de l’autre, et les débutants faisaient bien attention à ne pas perdre le rythme, ni à emmêler leur instrument à ceux de leurs voisins. La poussière volait, il faisait chaud, et la sueur coulait, bien qu’on soit en bras de chemises. Ensuite, on ramassait la paille à la fourche, puis on rassemblait le grain en tas avec un grand racloir de bois appelé rozell (fig. XVIII) et on le recueillait dans des paniers.
250Aucun de mes vieux informateurs ne se souvient d’avoir vu employer de van. De leur temps, toutes les grandes fermes disposaient déjà de tarares, et les tout petits exploitants qui ne faisaient pas le battage avec l’une d’entre elles vannaient le peu de blé quelles avaient simplement à la main, à l’aide d’un tamis.
251Le battage au fléau demandait deux ou trois semaines. L’introduction de batteuses à manèges réduisit considérablement ce temps. Lorsqu’on se mettait à deux fermes pour ce travail, il était terminé en six jours – trois jours chez l’une, trois jours chez l’autre. Et puis, le travail était bien moins pénible, puisque, m’a-t-on dit, « toute la peine était pour les chevaux », qui tournaient toute la journée sans s’arrêter pour actionner le mécanisme.
252C’est vers 1930 que les moteurs à essence ont commencé de se répandre. Les manèges n’en ont pas disparu pour autant : beaucoup continuaient de les utiliser pour faire tourner leurs « hache-lande ». De même on s’est encore longtemps servi des fléaux pour battre les haricots secs, les pois, les graines d’ajonc ou celles de trèfle : ainsi trois techniques successives ont-elles continué de coexister presque jusqu’à nos jours parfois dans une même ferme.
253Le blé une fois battu est mis en sac et monté au grenier ou à l’étage de la grange, et la paille est mise en meule, non loin de la meule de foin. Les deux meules ont d’ailleurs la même forme : oblongue, et de section sensiblement hémisphérique. Pour empêcher le vent de la défaire, on place en travers des liens (amarrou) faits de fines branches de saule torsadées, à l’extrémité desquels sont accrochées de lourdes pierres.
254Avant d’en terminer, on balaie soigneusement autour de la batteuse et au-dessous les épis qui ont pu tomber au cours de l’opération (ar restachou), et on les bat. Le grain, plus ou moins mêlé d’impuretés et de poussières, servira à la nourriture des bêtes.
255Pour monter la paille sur la meule, on se servait jadis d’un instrument assez particulier appelé bizikar, introduit dans le pays par les fermiers bigoudens. Il s’agit d’une très longue perche munie à son extrémité d’une pointe de fer et, à mi-hauteur à peu près, d’une sorte d’ergot. Pour s’en servir, on se place un genou en terre, et on l’introduit horizontalement sous la paille à soulever. Puis, on se relève, en coinçant la base de l’outil contre son sabot, et on le dresse à la verticale. Sa capacité est largement supérieure à celle d’une fourche. Mais son emploi a été abandonné depuis qu’on possède des monte-paille mécaniques couplés à la batteuse.
256Même après que la faucheuse-lieuse eut remplacé la faucille et la batteuse le fléau, la moisson et le battage gardaient toujours l’atmosphère des grandes journées de travail collectif d’autrefois. Avec la moissonneuse-batteuse, tout cela est bien changé. On a vu qu’il y en avait déjà cinq dans la commune en 1963. Deux autres ont été acquises depuis. Aussi, de plus en plus nombreux sont les exploitants qui font appel à l’entrepreneur de battage. Seuls, ceux qui possèdent encore une batteuse en bon état l’utilisent encore. Mais à la première panne importante, ils l’abandonneront sans doute et feront comme tout le monde.
257Pour l’utilisateur, c’est une simplification remarquable du travail. Mais pour le conducteur de la moissonneuse et pour ses aides, ce n’est pas une sinécure : pendant quinze jours, allant de ferme en ferme, ils travaillent souvent jusqu’à deux heures du matin. Puis, après avoir avalé rapidement un verre de café, ils rentrent se coucher chez eux pour dormir un peu. Mais à six heures, ils sont à nouveau sur pied, prêts à recommencer une nouvelle journée aussi dure, dans la chaleur, la poussière, et le bruit.
258Deux à trois semaines après la moisson, Ment le tour de la récolte des pommes de terre. Cette fois encore, ce travail réunit habituellement un personnel nombreux. Jadis, les sillons étaient ouverts à la houe. Ensuite, on a employé la charrue. Mais depuis les années trente, les arracheuses se sont répandues. Leur défaut principal était quelles éparpillaient un peu partout les pommes de terre arrachées. Mais il en existe maintenant qui les disposent en rangées le long du sillon.
259Le travail de ramassage, toutefois est resté le même : les ramasseurs avancent de front le long des sillons, et mettent les pommes de terre dans de grands paniers ronds, qui sont vidés, soit dans des sacs s’il s’agit de pommes de terre pour la consommation familiale, soit directement dans la remorque si elles sont seulement destinées aux cochons. Dans certaines fermes, cependant, on procède à leur tri dans le champ même, en faisant d’abord des tas d’après leur grosseur : grosses, moyennes et petites. Étant donnée l’importance de la surface plantée en pommes de terre, le ramassage peut prendre cinq ou six jours, répartis sur deux semaines ou plus.
260La dernière récolte est celle des betteraves. Celle-ci est restée jusqu’à présent un travail exclusivement manuel et assez pénible d’autant qu’au mois de novembre, où elle se place, le temps est généralement froid et humide, ce qui n’est pas très agréable quand on doit travailler presque immobile ; et la terre grasse se colle aux betteraves, ce qui demande un effort supplémentaire pour les arracher. Ensuite, on doit les racler avec le dos d’un couteau, puis couper les radicelles et les feuilles, et les mettre en tas. Il n’y a pour le moment aucun instrument dans le pays qui soit susceptible de rendre la tâche plus facile.
261Venant deux mois à peine après le passage de la moissonneuse-batteuse – cette machine qui nous donne sans doute l’image la plus frappante de l’agriculture mécanisée de demain – ce travail perpétue jusqu’à nos jours un des gestes les plus antiques de l’homme, penché sur la terre pour en arracher les racines dont il fera sa nourriture. Toute l’agriculture de Goulien est dans ce contraste.
Les techniques d’élevage
- L’élevage des bovins
262Stabulation. – On ne pourrait imaginer d’aménagement plus rudimentaire que celui des étables du Cap, aujourd’hui encore à peine différent de ce qu’il était aux siècles passés. À cet égard, celle de Jean Goudédranche, telle qu’elle était en 1963, pourrait servir d’exemple (elle devait être améliorée en 1965).
263Cette étable (an ti zaout, la « maison des vaches ») mesure environ 4 m sur 7 m de dimensions intérieures (fig. XIX). Elle possède une seule entrée, à l’une de ses extrémités, et lorsque celle-ci est fermée, elle ne reçoit l’air et le jour que par deux lucarnes en meurtrières, minuscules, et par une fenêtre grillée de fer, guère plus grande. Le sol, de terre battue, forme au centre une rigole par laquelle le purin s’écoule plus ou moins bien à l’extérieur, par un orifice ouvert à la base du mur qui fait face à l’entrée. Ce sol est recouvert par une couche de litière formée d’ajonc, de paille et de fougère, épaisse de près de 80 cm, et imprégnée de bouse décomposée et de purin fermenté. Il n’y a pas d’autres aménagements intérieurs que les crochets ou chevilles auxquels on attache les bêtes, et quelques niches dans le mur où jadis les poules allaient pondre.
264Ce cas n’est nullement un cas limite : la majorité des étables du Cap sont ainsi. Les plus récentes ont reçu quelques améliorations : ouvertures plus nombreuses et un peu plus grandes, entrées supplémentaires, fosses à purin parfois. Mais, dans leur principe, elles sont restées très proches du type traditionnel. Il n’existe à ma connaissance qu’une seule étable à Goulien qui soit installée de façon rationnelle, avec des stalles individuelles, une aération suffisante, un sol cimenté nettoyé tous les jours et un écoulement convenable du purin.
265Quant à la méthode de stabulation libre, on en a entendu parler, on en est même assez bien informé grâce au journal du syndicat agricole, le Paysan breton, mais on reste réticent. Tout au plus, dans quelques grandes fermes, commence-t-on timidement à laisser en permanence au pâturage les veaux d’un an, de mai à novembre.
266Ce qui retient le plus les paysans de Goulien de renoncer aux anciennes méthodes, c’est la haute idée qu’ils se font du pouvoir fertilisant du fumier traditionnel, dont la composition leur paraît idéale. À ce point que, l’ajonc se faisant rare à la suite du remembrement et des défrichements, beaucoup perdent des journées entières à prospecter les villages environnants, poussant même jusqu’à la pointe du Raz dans l’espoir de trouver des parcelles de « lande », à acheter. À cela s’ajoutent les heures passées à couper et à transporter cette précieuse plante. Dans les terrains plats, on peut encore utiliser le tracteur et la barre de coupe, bien que ce ne soit pas très recommandé pour cette dernière. Mais souvent, la pente est telle qu’il faut revenir aux instruments traditionnels, que beaucoup continuent d’ailleurs d’employer exclusivement : la faucille et la « fourche à lande ». Cette dernière consiste simplement en un morceau de bois fourchu à l’aide duquel le faucheur repousse la tige d’ajonc devant lui tout en la sectionnant par derrière du bout de sa faucille ; il se sert ensuite de ces deux instruments comme d’une pince pour la poser, car l’ajonc est extrêmement piquant.
267Le curage des « crèches », qui a lieu toutes les six semaines, parfois tous les deux mois, est un travail long et pénible ; il faut une journée pleine à deux hommes bien entraînés pour vider entièrement la litière d’une étable moyenne. Le fumier est tiré au dehors et mis en tas, parfois chargé directement sur une remorque, au moyen de « crocs », sortes de fourches dont les quatre dents recourbées forment avec le manche un angle relativement aigu. Puis il est mis en tas dans les champs et éparpillé à la fourche.
268Même les fermiers les plus avancés s’astreignent à ce dur travail. En effet, tout en reconnaissant le rendement supérieur des engrais chimiques qu’ils utilisent, ils trouvent que ceux-ci « ne tiennent pas à la terre », contrairement au fumier, dont, pour cette raison, ils continuent de faire un emploi considérable.
269Les techniciens agricoles ne sont pas de leur avis. Selon eux, la composition du fumier n’est sans doute pas mauvaise : 5 unités d’azote, 3 unités d’acide phosphorique, et 5 unités de potasse à la tonne. C’est peu, toutefois, comparé aux engrais chimiques, qui contiennent, l’ammonitrate, 33 unités d’azote, le superphosphate, 18 unités d’acide phosphorique, le chlorure de potassium, 60 unités de potasse aux 100 kg. Certes, le fumier possède aussi une certaine valeur physique, en ce qu’il reconstitue l’humus. Mais tout compte fait, ses avantages sont assez faibles en regard du surcroît de travail qu’il apporte, du manque d’hygiène des étables dont il est la cause, et de l’obstacle qu’il constitue à l’évolution.
270Horaires. – Les horaires journaliers observés pour les soins du bétail varient légèrement selon les fermes et les saisons, mais leur organisation est à peu près la même : une sortie au pâturage au milieu de la journée, encadrée par les traites du matin et du soir.
271À la belle saison, la première traite a lieu entre 6 et 7 h ; il faut 6 à 12 minutes pour traire une vache pie-noire ; la traite peut donc durer en moyenne de trois quarts d’heure à une heure et demie, selon que le troupeau est nombreux, qu’une personne ou deux y sont employées et quelles sont plus ou moins adroites.
272Dans beaucoup de fermes, on donne à manger aux bêtes aussitôt après. C’est ce qu’on fait par exemple chez Jean Goudédranche, Jean Gloaguen et Jean Moan.
273Ensuite, le troupeau est mené au pâturage. Certains l’y mènent dès qu’il a terminé sa nourriture du matin : ainsi chez Jean Moan et Jean-Marie Thalamot, la sortie a lieu entre huit et neuf heures, et le retour entre 17h30 et 18 h. Mme Jean Goudédranche sort ses bêtes beaucoup plus tard, vers 11 h, et les ramène à l’étable vers 19 h. Mme Jean Gloaguen a des horaires beaucoup moins stricts, et peut mener ses vaches paître dès 9 h du matin comme elle peut le faire à 13 h, les faisant rentrer de toutes façons vers 18 h. Mais, en cas de sonie matinale, et s’il fait très chaud, elle les ramène à l’étable entre 13 h et 14 h, et leur donne du trèfle. C’était un usage généralisé jadis.
274On profite de ce que les bêtes sont dehors pour retourner leur litière et en ajouter un peu de fraîche. Mmes Moan et Thalamot le font dès quelles sont revenues de conduire les bêtes, Mmes Goudédranche et Gloaguen seulement l’après-midi ; puis avant d’aller les rechercher, on met à nouveau du fourrage à leur place. La traite du soir aura lieu dès qu’elles auront fini de le manger.
275L’hiver, la traite du matin est évidemment plus tardive ; elle se situe entre 7 h 30 et 8 h. Dans beaucoup de fermes le temps passé au pâturage est considérablement raccourci, la sortie ayant heu au plus tôt à midi (Jean Moan) au plus tard à 14 h (Jean Gloaguen) et le retour dans tous les cas vers 17 h. Mme Jean-Marie Thalamot en revanche sort ses bêtes à la même heure qu’à la belle saison (sauf s’il fait vraiment froid, ce qui est tout de même rare), et les rentre seulement un peu plus tôt : habituellement, à 16 h ou à 13 h si le temps est trop mauvais. Elle les nourrit aussi deux fois, alors qu’ailleurs – et c’est l’usage le plus courant – on leur donne trois repas : le premier, le matin après la traite (chez Jean Moan, c’est avant) ; le deuxième, un peu avant leur sortie ; le troisième à leur retour.
276Nourriture. – La nourriture à l’étable comprend, à la belle saison, à la fois du fourrage, aux deux repas ; de la paille, le matin et parfois aussi le soir ; et du barbotage le matin pour les taureaux, les veaux, parfois aussi pour les vaches laitières. Le barbotage destiné aux taureaux et aux vaches se compose d’eau tiède, de son et de pommes de terre crues ; pour les veaux, les pommes de terre sont cuites ; certains leur ajoutent aussi du lait écrémé et du Provimi.
277À la mauvaise saison, la paille est remplacée par le foin, et le fourrage par des choux et des betteraves. Celles-ci sont préalablement coupées en tranches, au couteau.
278Comme les étables ne possèdent pas de mangeoire, la nourriture est tout simplement posée à même le sol.
279Comme on le voit, le pâturage ne joue pas le rôle essentiel dans l’alimentation du bétail bovin (il n’en joue même aucun dans celui des taureaux, qui sont constamment à l’étable). Des quatre exploitants témoins, seul Jean-Marie Thalamot paraît lui accorder plus d’importance : il laisse d’ailleurs ses veaux en permanence dehors à la belle saison ; il est vrai qu’il possède une plus grande étendue en herbe que les autres. Il est aussi le seul à pratiquer le rationnement de ses pâturages, c’est-à-dire, à ne laisser brouter à ses bêtes qu’une partie du pré où il les met, déplaçant la clôture au fur et à mesure que l’herbe est épuisée, ce qui permet à celle-ci de repousser, tandis que les bêtes broutent plus loin. C’est un usage encore très peu répandu à Goulien, et qui pourtant ne coûte rait guère, puisque presque tous les exploitants ont déjà fait l’acquisition d’une clôture électrique.
280La raréfaction du personnel et l’arasement des talus ont obligé à cet achat. Mais il ne semble pas que l’on emploie au mieux cet appareil, qui a reçu le nom fort significatif de pôt’zaout elektrik, le « petit vacher électrique »... On ne lui donne en somme qu’un simple rôle de remplaçant, sans voir les nouvelles possibilités qu’on pourrait en tirer. Et même, certains exploitants qui en possèdent un ne s’en servent guère, car ils ne lui font pas vraiment confiance. Pour empêcher les plus nerveuses de leurs vaches de se sauver, ils en reviennent aux bonnes vieilles méthodes : la patte antérieure attachée à une corde à l’aide d’une corde trop courte, qui oblige la vache à baisser la tête à chaque pas ; ou la planchette attachée aux cornes, qui, ne permettant à l’animal que de voir à ses pieds, lui enlève toute velléité de fuite.
281Dans l’ensemble, les vieux sont d’accord pour dire que les vaches sont mieux nourries aujourd’hui que de leur temps : on leur donnait alors un repas de moins à l’étable, et les pâturages, étant moins soignés qu’ils ne le sont actuellement, étaient beaucoup moins riches. Aussi, la production laitière était-elle plus faible. Elle est actuellement de huit litres par jour et par vache, en moyenne, mais il y a une assez grande variabilité selon les bêtes et la saison. Il est d’ailleurs difficile d’avoir des chiffres précis, car aucun exploitant ne pratique le contrôle laitier.
282Industrie laitière. – À peu près partout, la traite est restée manuelle. Il n’existe que deux installations de traite mécanique en fonctionnement dans la commune. Une troisième, après avoir été utilisée quelque temps, a été abandonnée : la maîtresse de maison trouvait qu’elle allait presque aussi vite à la main, tandis que le nettoyage de l’appareil lui apportait un surcroît de travail que ses avantages ne compensaient pas.
283L’écrémage du lait se faisait autrefois à l’aide de grandes spatules de bois avec lesquelles on retirait la crème de la surface du lait après que celui-ci avait reposé une journée dans de grandes jattes de terre cuite. Mais très tôt, dès le début du siècle, semble-t-il, on a eu des écrémeuses à manivelle, dont beaucoup se servent encore. Puis, depuis l’électrification de la commune, les écrémeuses électriques se sont répandues rapidement, modifiant quelque peu l’organisation habituelle du travail, puisque le lait doit y être passé encore chaud, tout de suite après la traite.
284Le plus souvent, la totalité de la crème est transformée en beurre, vendu le samedi au marché d’Audierne : il y a habituellement deux jours par semaines réservés au barattage, le lundi ou le mardi, et le vendredi. Mais dans certaines fermes, la crème du vendredi soir et du samedi est donnée au ramasseur le lundi matin, tandis que d’autres font seulement le beurre nécessaire à la consommation familiale et donnent toute leur crème ; c’est une solution encore peu répandue, bien qu’elle soit probablement la plus rentable.
285Pour la fabrication du beurre, on utilisait autrefois une baratte à main (ribot), constituée par un vase long à col étroit et à deux anses, en grès. On y battait la crème à l’aide d’un baratton (baz ribot ou « bâton à baratte ») formé par un manche de bois terminé en bas par un disque de même matière ayant la dimension du col du vase. Celui-ci était formé par un couvercle de bois, percé d’un trou pour laisser passer le manche du baratton. On s’en sert encore dans quelques maisons où on fabrique juste les quelques livres de beurre dont on a besoin chaque semaine. Mais déjà, dès le début du siècle, la baratte à manivelle avait commencé à se généraliser. Et depuis peu, on emploie aussi des barattes électriques.
286Commercialisation. – Outre leur lait, les vaches donnent un petit par an à partir de 2 ans 1/2. La plupart des fermes possèdent un taureau, et si elles n’en ont pas, elles font appel à celui du voisin. L’insémination artificielle est encore très peu répandue. Des petits qui naissent chaque année, on garde les plus beaux, une partie pour le remplacement des vaches laitières l’autre pour la vente à 2 ans 1/2 : des femelles surtout, mais aussi quelques mâles. Les vaches laitières sont gardées jusqu’à 10 ou 12 ans, parfois jusqu’à 15 ans, puis vendues pour la boucherie.
287Les transactions se font de moins en moins à la foire. Les bouchers et les marchands de bestiaux passent régulièrement dans les fermes, et ce n’est guère que dans des cas assez rares que les paysans vont jusqu’à Pont-Croix pour vendre leurs bêtes. En ce cas, ils les y emmènent à pieds, car aucun d’entre eux ne possède de bétaillère.
288Noms donnés aux bêtes. – Pendant tout le temps où elles restent à la ferme, les vaches laitières se voient donner un nom propre auquel elles obéissent assez bien. À titre d’exemple, voici ceux des vaches de Jean Moan et de Jean-Marie Thalamot.
Jean Moan :
Buoh vian (petite vache) – Gwenn (la blanche) – Mahalon (nom de la commune d’où elle est originaire) – Kerlazén (nom d’un village de Primelin) – Nuoc (nom d’un village de Goulien) – Plougoniar (la plogoffoise) – Jérome – Bretonne – Brisette.
Jean-Marie Thalamot :
Bourg – Kerergan (nom de village) – Annette – Brisette yaouank (la jeune) – Brisette goz (la vieille) – Belle – Coquelicot – Dedo – Eureka – Fanfan – Farandole.
- L’élevage des porcs
289Stabulation. – Les porcheries de type traditionnel sont, s’il est possible, plus rudimentaires encore que les étables. Ce sont des bâtiments qui n’ont souvent pas plus de deux mètres de haut, et sans autre aération que celle qui provient de la porte, presque constamment fermée. L’intérieur est simplement divisé en deux ou trois compartiments par des cloisons à mi-hauteur. Le sol est de terre battue. La nourriture est versée de l’extérieur dans des auges en pierres, par des orifices spéciaux ménagés dans le mur.
290Les porcheries plus récentes disposent parfois de lucarnes, et d’un couloir central cimenté, par où on peut passer pour distribuer la nourriture. Les auges en pierre ont été remplacées par des auges en bois.
291La litière est composée de paille. On la vide selon une fréquence qui va de deux à sept jours selon les fermes.
292La stabulation est à peu près permanente. On sort seulement les mères le matin dans la cour le temps de leur donner à manger. L’été, on laisse aussi parfois les truies brouter dans un pâturage situé à proximité de la porcherie.
293Nourriture. – L’alimentation se compose, pour les petits à partir de 6 semaines, d’un barbotage de pommes de terre cuites, de son et de lait écrémé, auquel on ajoute parfois des aliments composés, Sanders ou Néolait. Les grands n’ont pas de lait, mais ont en plus des betteraves crues, coupées, et du fourrage de saison, broyé. Dans quelques fermes on dispose de mixers, mais généralement, la préparation de la nourriture se fait entièrement à la main. Les pommes de terre sont cuites, habituellement pour deux jours, dans de grands chaudrons de fonte installés à demeure sur des foyers spéciaux, dans la cuisine des bêtes. Autrefois, cela se passait tout simplement dans l’âtre de la cuisine. La distribution a lieu, le matin, après la traite des vaches, et en fin d’après-midi, un peu avant qu’on aille chercher celles-ci au pâturage.
294L’alimentation traditionnelle est vivement critiquée par les techniciens agricoles, qui lui reprochent d’être fondée, non pas tant sur les besoins réels des porcs que sur les disponibilités momentanées de l’exploitation. Ils estiment aussi qu’on leur donne en moyenne trop de liquide. Ils cherchent enfin à faire augmenter la consommation de betteraves au détriment de celles des pommes de terre, car leur rentabilité à l’hectare est nettement supérieure, mais ils se heurtent en cela au scepticisme des paysans qui sont persuadés du caractère irremplaçable de ces dernières.
295Commercialisation. – Les truies mères ont leur première portée à 10 ou 12 mois, et en ont ensuite deux par an ; après quatre à huit portées, elles sont ensuite engraissées et vendues au charcutier. Il existe trois verrats dans la commune.
296On vend les porcelets de deux mois à deux mois et demi, à la foire de Pont-Croix. Pour les y transporter, on dispose de caisses à claire-voie, et à couvercle mobile, d’environ 1 m de côté sur 40 cm de haut. Autrefois, on les chargeait sur les chars à bancs ; maintenant on utilise le tracteur, et pour ceux qui n’en possèdent pas ou qui ne veulent pas se déranger, il existe un car spécial les jours de foire muni d’une remorque pour les caisses à porcelets.
297Pour le transport des truies, on emploie des caisses d’un autre type, hautes d’un mètre environ, ayant juste la largeur et la longueur nécessaire pour permettre à l’animal, qui y pénètre par un bout, de s’y tenir debout. Deux poignées escamotables à chaque extrémité permettent le déplacement de la caisse.
- L’élevage de la basse-cour
298Les lapins étaient autrefois élevés dans des caisses ou de vieilles barriques ; on dispose maintenant de véritables clapiers. Les volailles jouissent d’une demi-liberté, les poulaillers étant habituellement en assez mauvais état. Les renards, qui sont nombreux dans le Cap, en profitent sans vergogne. On fait moins couver les poules aujourd’hui qu’autrefois : on achète de préférence à la foire des petits poussins d’un jour.
299La nourriture de la basse-cour consiste en grains et verdure, auxquels on ajoute parfois un peu de barbotage.
- L’élevage des chevaux
300Stabulation. – L’écurie semble avoir été de tout temps le bâtiment d’exploitation le mieux aménagé. Sa situation au bout de la maison d’habitation, parfois réunie à celle-ci par une porte donnant directement dans la cuisine, témoigne assez de l’importance qu’on lui accordait.
301L’écurie traditionnelle (fig. XX) comporte deux ou plusieurs stalles avec mangeoires et râteliers. Le sol, dallé, possède une rigole pour l’écoulement du purin. L’aération arrive par la porte, constamment ouverte, et la lumière par une fenêtre vitrée. La litière de paille est renouvelée régulièrement tous les deux jours.
302Les harnais sont accrochés au mur. Sous la fenêtre, est placée l’auge en pierre où on broyait jadis l’ajonc.
303Nourriture. – L’ajonc broyé constitue encore aujourd’hui la nourriture principale des chevaux à Goulien, surtout à la mauvaise saison, où le fourrage manque. Mais l’usage des « hache-lande », (en fait, des hache-paille) n’est guère antérieur à la première guerre mondiale. On utilisait auparavant pour ce travail un instrument assez particulier, dont je n’ai pu retrouver aucun exemplaire, mais qu’on m’a décrit avec assez de précision. Il s’agissait d’une sorte de maillet à long manche ; sa tête, étroite, avait une face antérieure hérissée de pointes de fer maintenues en place par des cercles de métal ; la partie postérieure s’allongeait vers l’arrière et se recourbait jusque derrière l’épaule de celui qui maniait l’outil (fig. XXI). Celui-ci a encore continué d’être utilisé quelque temps après l’acquisition des hache-lande ; on s’en servait pour parfaire le broyage de l’ajonc réservé aux jeunes poulains, après l’avoir passé préalablement à la machine.
304La nourriture habituelle des chevaux comprend en outre un barbotage de son et de pommes de terre le matin, moins épais que celui qui est donné aux porcs ; et le soir, du fourrage à la belle saison, du foin l’hiver. On les met très rarement au pâturage ; on le faisait toutefois jadis pour les poulains.
305Commercialisation. – C’est qu’on possédait surtout des juments, qui produisaient tous les ans un poulain ; on allait le vendre à la foire bi-annuelle de Confort, ce qui était d’un revenu appréciable. Même encore aujourd’hui, les poulains se vendent un bon prix ; mais plus personne n’en élève, tandis que dans le deuxième tiers du XIXe siècle, les chevaux du Cap avaient fait sa célébrité, lui assurant une certaine prospérité. Mais ce temps est maintenant définitivement révolu.
- Les termes d’adresse
306Le vocabulaire spécial qu’on utilise pour s’adresser aux animaux semble receler dans beaucoup de régions de nombreux traits archaïques, derniers vestiges peut-être de langues aujourd’hui éteintes. Dans le Cap, s’il ne comporte guère comme c’est parfois le cas ailleurs, de phonèmes peu courants, il n’en est pas moins assez particulier.
307Les principaux termes employés sont les suivants :
pour faire tenir tranquille les chevaux et les vaches : sea.
pour faire avancer les vaches (les termes diffèrent selon les familles) bét, bét, bét..., betcha, betcha, betcha..., betch, betch, betch..., betchou, betchou, betchou... Certains disent bét en s’adressant à une seule vache, betu si elles sont plusieurs.
pour faire venir les vaches : selon les familles, tuamat, tuamat, tuamat... (en deux syllabes, avec accent tonique sur la dernière et non sur l’avant-dernière comme c’est le plus souvent le cas en breton), ou tchamat, tchamat, tchamat..., ou ppputch, ppu, ppu, pputch (avec un p vibré).
pour envoyer le chien derrière les vaches : benet, benet, benet... (avec accent tonique sur la dernière syllabe).
pour faire partir les cochons : sik ! sik ! (i très bref).
pour les faire venir : dac’h, dac’h, dac’h...
pour faire venir les poules : pi, pi, pi, pi...
pour les faire partir : dichou ! dichou !
pour faire venir un chat : bich, bich, bich...
pour le faire partir : dichat !
pour faire avancer un cheval : ia !
pour le faire reculer : kul !
pour le faire tourner à droite : ahel !
pour le faire tourner à gauche : sou !
L’artisanat domestique
308Les exploitations agricoles constituaient jadis des unités économiques à demi indépendantes, produisant elles-mêmes la plus grande partie, non seulement des denrées quelles consommaient, mais encore des objets dont elles avaient besoin. Le paysan devait être à la fois un peu bûcheron, un peu charpentier, un peu menuisier, un peu maçon, un peu vannier, etc., et il ne faisait appel aux artisans locaux que pour les travaux pour lesquels des techniques ou un outillage trop spécialisés étaient nécessaires.
309L’évolution moderne a eu pour conséquence, tout en amenant la disparition d’activités de fabrication de produits qu’on trouve maintenant dans le commerce, de multiplier les domaines extérieurs à l’agriculture où le paysan est amené à s’aventurer. Certes il ne fabrique plus lui-même qu’une toute petite partie des instruments ou des objets dont il a besoin, la plus grande partie de son équipement étant maintenant d’origine industrielle. Mais le prix des pièces de rechange et de la main-d’œuvre sont tels qu’il a tout intérêt à s’occuper personnellement de l’entretien et des réparations. Sans oublier les techniques traditionnelles de la cognée, du rabot, et de la truelle, il a donc dû aussi se faire forgeron, mécanicien, électricien.
310Parmi les anciennes techniques disparues, il faut citer d’abord le travail du chanvre, abandonné peu après la première guerre mondiale du fait de la disparition des tisserands.
Après avoir été coupé, le chanvre (kannab) était mis à rouir pendant vingt-cinq jours environ dans de petites mares spécialement aménagées à cet effet. Au bout de ce temps, on le mettait dans un four chaud, pas trop cependant pour ne pas le brûler, et on l’y laissait depuis le soir jusqu’à 2 h ou 2 h 30 du matin, heure à laquelle les hommes allaient le défourner. Au petit matin, alors qu’il était encore tiède, les femmes le broyaient au moyen d’un appareil appelé bre (ar vre) ; l’opération s’appelait brea kannab. Ensuite, les femmes frottaient les tiges broyées sur le tranchant d’une planche taillée en angle aigu et fixée verticalement à l’extrémité d’un petit banc (palivenn, fém.) sur lequel on s’asseyait pour ce travail (palivenna). Celui-ci avait pour effet de débarrasser le chanvre de son écorce (an elo). Puis on détachait les fibres l’une de l’autre en passant les tiges à travers une sorte de peigne (kribenn, fém.). Une fois lavées et séchées, les fibres étaient enfin filées, soit à l’aide d’un rouet (karr-neza, masc.), soit à l’aide d’une simple quenouille (kigell, fém.).
Le fuseau (inkin) utilisé pour filer le chanvre était plus grand et plus lourd que celui utilisé pour filer la laine, mais avait à peu près la même forme que celui-ci. Le filage de la laine s’est perpétué plus longtemps que celui du chanvre, mais il a presque disparu aujourd’hui, puisqu’il n’y a plus à Goulien qu’une seule vieille femme à le pratiquer.
311Une technique traditionnelle toujours bien vivante, en revanche, est celle de la fabrication des paniers d’osier à fond conique, si caractéristiques de la région (fig. XXII).
Les montants, en nombre impair, généralement sept, sont réunis en faisceau et plantés, soit dans un trou du sol, soit dans une betterave, soit encore dans la cavité spécialement aménagée du « moule » en bois que certains utilisent. À leur sortie, les montants sont solidement ligaturés au moyen d’une torsade de fins brins d’osier ; puis ils sont recourbés vers le bas et maintenus en place, soit par le cercle du « moule », soit, si on travaille à terre, par la jante d’une ancienne roue de charrette, soit tout simplement par des pierres. On passe alors alternativement devant et derrière les montants une série de brins assez forts qui constitueront le fond. Une fois celui-ci terminé, on introduit à force entre les derniers brins une nouvelle série de montants – deux dans chaque intervalle séparant deux des premiers montants. Ensuite, l’ensemble est retiré de son support, et retourné à plat sur le sol. On piétine le fond afin de bien l’aplatir, puis on redresse les montants dont on attache ensemble les extrémités à l’aide d’une ficelle. On monte alors les bords du panier. Quant on estime qu’on est arrivé à une hauteur suffisante, on délie les montants. Quatre d’entre eux serviront de chaque côté à donner les anses, les autres sont repliés pour former l’arrêt4.
312La veillée était jadis le moment de la journée plus spécialement consacré aux petits travaux. Réunis autour de l’âtre qui procurait à la fois lumière et chaleur, parfois même assis dans la cheminée même, sur les petits bancs qui s’y trouvaient disposés de part et d’autres, les hommes mettaient des clous aux sabots, fabriquaient des manches d’outils, se livraient à diverses petites réparations, tandis que les femmes tricotaient ou filaient la laine ou le chanvre. Et tout en occupant leurs mains à des besognes si routinières quelles en devenaient machinales, ils se distrayaient en écoutant les récits des vieux et en chantant les gwerziou que leur avaient appris leurs pères.
313Aujourd’hui, sauf naturellement pour les réparations urgentes, on profite surtout, pour se livrer aux travaux de ce genre, des journées pluvieuses où il n’est pas possible d’aller travailler aux champs. Et l’hiver, où le temps est souvent peu favorable et où la terre se repose, est toujours la saison par excellence pour s’attaquer aux travaux de plus longue haleine : abattre des arbres, faire des fagots, réparer la toiture, remplacer des portes, construire un nouvel appentis, fabriquer des cordes ou des paniers.
314Mais la coutume de la veillée a été délaissée il y a déjà de nombreuses années, bien avant la dernière guerre. Les raisons de cet abandon ne sont pas très claires. Peut-être est-il dû au fait que la main-d’œuvre diminuant, la durée de travail de chacun s’en est trouvée allongée, et qu’on n’a plus eu le temps de consacrer de longues soirées à ce genre d’activités. Dans les familles mieux organisées, comme ce sont aussi les plus évoluées, de nouveaux types de loisirs ont meublé les temps libres : lecture du journal ou parfois de livres, radio, et maintenant, télévision. D’ailleurs, il n’y a plus guère de familles où on continue encore d’utiliser l’ancienne cheminée. Enfin, du fait de la spécialisation des techniques et de l’amélioration de l’habitat, le nombre des petits travaux susceptibles d’être exécutés à l’intérieur de la maison a considérablement diminué.
315Ainsi donc, même dans un phénomène aussi particulier que celui-ci, on peut voir la manifestation simultanée des changements sociologiques, culturels, technologiques et matériels qui caractérisent l’évolution récente de la condition paysanne à Goulien.
Professions non agricoles
- La pêche
Les hommes
316Le nombre de personnes tirant tout ou partie de leurs revenus de la pêche fut jadis très élevé à Goulien.
317Dans la monographie qu’il a consacrée à Cléden-Cap Sizun (Bernard, 1952, p. 43), un érudit local précise qu’en 1547 Goulien comptait 11 bateaux de pêche, montés par 178 hommes d’équipage, soit 11 patrons, 104 matelots, et 63 mousses. Ces chiffres étaient les plus élevés de tout le Cap avec ceux de Plogoff. La plupart de ces bateaux ayant un tonnage relativement élevé, puisque la moyenne est de 16 hommes par embarcation, ils devaient presque tous avoir leur point d’attache au port de Brézellec en Cléden, le seul à proximité qui puisse les recevoir.
318Pendant tout le XVIe siècle, la pêche fut une des sources importantes de la prospérité du Cap. C’est à cette époque que remonte la construction de la plupart des églises et chapelles du pays, dont le fronton est presque toujours orné de bas-reliefs représentant des bateaux, avec leurs mâts et leurs équipages, naviguant au milieu des poissons et des oiseaux de mer.
319La campagne de pêche ne durant guère plus de quatre mois, pendant le reste de l’année, les patrons affrétaient leurs bateaux pour le transport des marchandises, depuis les ports environnants jusqu’à La Rochelle ou en Flandre ou en Angleterre. Dans l’intervalle de leurs voyages, les marins faisaient en outre un peu de culture et d’élevage.
320Les désordres de la Ligue en Basse-Bretagne à la fin du XVIe siècle, interrompirent cette activité florissante, qui reprit lentement au siècle suivant. Mais les guerres en mer, la piraterie et la concurrence des ports qui s’étaient développés entre temps dans les environs – Audierne, Douarnenez – et où pouvaient s’abriter des bateaux de bien plus fort tonnage, reléguèrent au second plan la pêche capiste, qui déclina lentement.
321À la fin du siècle dernier, il n’y avait plus à Goulien que 11 pêcheurs côtiers. Le recensement de 1911 n’en indique que 4, mais ce chiffre ne correspond pas à l’exacte réalité. C’est que la pêche n’était pas en général leur seule activité ; ils étaient en outre petits cultivateurs ou ouvriers, et c’est sous cette profession qu’ils ont souvent été recensés.
322En plus de ces pêcheurs professionnels, et comme il suffisait d’avoir fait 18 mois de pêche pour pouvoir être porté au rôle de l’Inscription Maritime, il arrivait fréquemment que des jeunes gens, désireux de faire leur service militaire dans la marine, où la solde était plus avantageuse, embarquent pendant quelque temps sur un canot de pêche.
323En tenant compte de ces derniers, on peut estimer à une quinzaine le nombre des pêcheurs vivant à Goulien à cette époque.
324Il faut citer encore les marins occasionnels qui allaient embarquer l’été, soit à Audierne, soit à Douarnenez, pour la campagne sardinière. Il ne s’agissait pas seulement de pêcheurs professionnels, mais il y avait souvent parmi eux des maçons momentanément sans travail et même de petits cultivateurs.
325Entre les deux guerres, le nombre des pêcheurs à Goulien diminua encore : ils n’étaient plus que six à se livrer régulièrement à cette activité. Quelques anciens marins firent aussi deux ou trois saisons pour compléter leur temps et avoir ainsi droit à la retraite des gens de mer.
326La dernière guerre, qui empêcha un certain nombre de marins de commerce ou de l’État de naviguer, en amena plusieurs à se mettre à la pêche. Il y eut à nouveau dix pêcheurs en 1941. Mais la plupart d’entre eux prirent leur retraite les uns après les autres. Parmi les plus jeunes, l’un se noya, l’autre prit un autre métier : il n’en reste plus qu’un seul.
Les possibilités locales
327La baie de Douarnenez borde la commune sur plus de 3 kilomètres. La côte est constituée par des falaises qui dominent la mer de 70 à 75 mètres, le point culminant étant à la pointe de Bremeur, avec 88 mètres (carte 6). Ces falaises, très déchiquetées, forment une suite de pointes et de criques, ces dernières trop difficiles d’accès et insuffisamment abritées pour pouvoir servir de ports, à l’exception toutefois de Porz Kanapé, près de Kérisit, et de Louédec, près de Porlodec, à la limite exacte de Goulien et Cléden. On trouve en ces deux endroits de petites plages, l’une de galets et l’autre de sable, qu’il n’est pas trop difficile d’atteindre. Mais l’abri quelles pourraient offrir à une embarcation est encore assez précaire, aussi sont-elles depuis longtemps inutilisées.
328Les deux ports habituellement fréquentés par les pêcheurs goulienistes se trouvaient donc sur le territoire des deux communes voisines, Beuzec et Cléden. Il s’agissait des petits ports naturels de Toul-a’marh-du pour la première, et de Hen’a’haz pour la seconde, l’un et l’autre situés d’ailleurs à peu de distance de Goulien. D’autres allaient embarquer aussi à Brézellec, sur des canots appartenant à des gens de Cléden. C’est aussi dans ce petit port que, durant la dernière guerre, les autorités d’occupation obligèrent tous les pêcheurs du secteur à venir mouiller leurs embarcations pour mieux pouvoir les surveiller.
329La baie de Douarnenez est relativement poissonneuse, moins toutefois que celle d’Audierne. On y trouve près des côtes : lieus, vieilles, maquereaux, tacauds, mulets, bars, congres, etc., ainsi que divers crustacés : crabes, araignées de mer, homards, et quelques langoustes quand on avance un peu plus au large. Depuis quelques années, on note cependant un certain appauvrissement en crustacés, dû selon les pêcheurs capistes, à l’intensification de la grande pêche. Quant au poisson proprement dit, il est plus ou moins abondant selon les années. C’est ainsi qu’en 1941 on ne put pêcher aucune vieille, alors qu’on ne savait qu’en faire en 1962. Pendant l’hiver 1962/63, un grand nombre de poissons périrent et furent rejetés à la côte... Bref, les résultats de la pêche sont toujours très aléatoires.
330Les pêcheurs de Goulien ne se sont jamais beaucoup éloignés de leur côte, débordant rarement sur la côte de Cléden, où la concurrence était vive, plus largement sur celle de Beuzec, dont les habitants sont assez peu attirés par la mer. Vers le large, ils s’avançaient rarement à plus de deux ou trois milles. Exceptionnellement, par beau temps, ils traversaient la baie de Douarnenez pour aller jeter leurs lignes sur les hauts-fonds de la Basse-Vieille à quelques milles au sud du Cap de la Chèvre, à l’extrémité sud-ouest de la péninsule de Crozon. Mais ordinairement, ils ne dépassaient guère la ligne de rochers et d’écueils qui se trouvent en avant de la côte, sans aller au-delà des fonds de 15 mètres. C’est ce que continue de faire Joachim Pichon, le seul pêcheur encore en activité à Goulien, dont le canot n’est pas suffisant pour s’aventurer plus au large.
Les conditions matérielles de la pêche
- Le matériel
331Les deux ports utilisés habituellement par les pêcheurs de Goulien sont trop exigus pour permettre l’emploi de grands canots. À Toul-a’marh-du, 3,5 m est une longueur qu’on ne saurait dépasser. Hen-a’haz peut recevoir des canots un peu plus longs, 4 à 5 mètres, mais guère plus.
332Ces canots étaient encore fabriqués à Brézellec au début du XIXe siècle. Par la suite, ils sortirent des chantiers de Douarnenez et d’Audierne. Ceux qui provenaient de ce dernier port étaient transportés jusqu’à Goulien dans des charrettes, car il n’était pas question d’affronter à leur bord les parages redoutables du Raz de Sein.
333Vers 1900, un canot de 5 mètres valait environ 200 fr. soit le salaire annuel d’un domestique de ferme. Actuellement, on trouve des canots en polyester, le plat-bord étant seul encore en bois, fabriqués près de Douarnenez, et d’un prix relativement plus abordable.
334La durée de leur vie dépasse rarement six ou sept ans, car vu leur abri précaire, il arrive souvent que par gros temps ils rompent leurs amarres et soient emportés au large.
335Ce sont des canots à fond plat, sans quille, munis de deux à quatre avirons, selon leurs dimensions, ainsi que d’une godille. Une petite voile permet de soulager les rameurs par vent arrière, mais elle ne permet pas de plus savantes manœuvres.
336Après 1918, les motogodilles ont fait leur apparition, mais ne se sont pas beaucoup répandues dans la région jusqu’à la dernière guerre. Aucun pêcheur de Goulien n’en avait utilisé avant que Joachim Pichon n’en acquière une, dont il ne s’est d’ailleurs pas servi bien longtemps, car les avantages qu’elle lui procurait étaient minimes en regard d’une dépense relativement élevée, et de l’obligation où il se trouvait d’aller se ravitailler fréquemment en essence détaxée à Douarnenez. Il a donc repris ses anciennes habitudes et n’utilise plus que ses avirons.
- Les conditions de travail
337La petite taille des canots employés, qui interdit aux pêcheurs de trop s’éloigner au large, limite aussi les possibilités de pêche à certaines saisons. Il faut une nécessité pressante pour s’aventurer en mer par temps incertain dans des canots peu faits pour le gros temps.
338Cela arrivait pourtant au début de ce siècle, pendant la mauvaise saison, de début novembre à fin mars, lorsque certains pratiquaient à courte distance de la côte, la pêche au chien de mer qui exige justement une mer assez agitée.
339D’autres n’hésitaient pas à s’avancer plus loin pour pêcher le maquereau et le chat de mer, de janvier à mars, tandis qu’ils consacraient les mois d’automne à la pêche au mulet, qui se pratique de la côte, à l’aide de filets tendus par un système de va-et-vient.
340Naturellement, si la mer était trop mauvaise, on restait chez soi, où le travail ne manquait pas : entretien et renouvellement du matériel, culture du lopin de terre attenant à la maison.
341La véritable saison de pêche se situait cependant, comme aujourd’hui, d’avril à octobre. C’est à cette époque seulement que Joachim Pichon prend la mer, la seule pêche qu’il fasse à la mauvaise saison étant celle au mulet, de novembre jusqu’à mars. Sa journée de travail est restée la même que jadis. Il part quand il fait encore nuit, entre 2 à 4 heures du matin pour ne rentrer que dans l’après-midi. Cependant, autrefois, certains pêcheurs qui habitaient près de la côte rentraient à 13 heures, dînaient chez eux, et repartaient pêcher de 15 heures à la nuit. Mais la plupart restaient en mer jusque vers 15 heures, prenant leur casse-croûte sur leur bateau vers midi.
- Les techniques de pêche
342Vers 1900, la pêche principale était celle au homard, car c’était elle qui rapportait le plus. Les autres crustacés, même, étaient peu prisés. Lorsqu’il arrivait qu’on ramène des crabes, des araignées de mer ou même des langoustes, on les rejetait le plus souvent à la mer, car personne ne les mangeait, à part quelques pêcheurs. Les paysans n’en voulaient pas, même si on leur en faisait cadeau. Ce n’est qu’après 1918 qu’on a commencé à leur accorder quelque valeur.
343Actuellement, on pêche tous les crustacés tout en continuant d’accorder la préférence aux homards, qui se vendent plus cher. La meilleure saison pour les prendre se situe de mai à juillet : c’est à cette époque qu’ils vont le plus près de la côte.
344Pour les pêcher, on utilise des casiers de deux sortes : les uns, en lattes de châtaignier, ont la forme d’un cylindre fermé aux deux extrémités par du filet ; les autres, en forme de dôme aplati, sont en osier tressé. Les premiers étaient jadis utilisés uniquement à bord des bateaux langoustiers et n’ont concurrencé les casiers ronds chez les pêcheurs côtiers que depuis peu : les vieux pêcheurs ne les ont pas acceptés sans quelques réticences, prétendant que les ronds étaient plus efficaces. Selon Joachim Pichon, ils sont en fait aussi valables les uns que les autres. Toutefois, il en fabrique surtout des ronds (fig. XXIII).
345Ces casiers sont mouillés par 5 à 15 brasses de fond, après avoir été appâtés avec des têtes de maquereaux salées, préparées d’avance pour toute la saison au mois de mars. La connaissance des lieux joue un grand rôle dans cette pêche, car un écart d’un mètre suffit parfois pour que le casier descende ou ne descende pas sur le trou où se nichent les crustacés. Un flotteur de liège ou de verre signale les casiers à la surface. Le pêcheur revient les relever à la fin de sa journée quand il a fini de jeter ses lignes et ses filets.
346Les poissons proprement dits se pêchent aussi bien à la ligne qu’au filet. Pour les vieilles, les lieus, les tacauds, on appâte la ligne avec des vers ou des crabes du Goayen ; mais on utilise maintenant aussi des appâts artificiels (plumes, caoutchoucs, cuillers) pour les lieus, ainsi que pour les maquereaux qui ne se prenaient jadis qu’avec filet.
347Les filets utilisés sont les filets trimailles, de 30 m de long sur 2,50 m de haut, en nylon depuis 5 à 6 ans ; auparavant ils étaient en coton ; au début du siècle beaucoup de pêcheurs les fabriquaient encore eux-mêmes, mais ils étaient moins longs, une douzaine de mètres seulement.
348Ceux utilisés pour la pêche au chat de mer (qui se pratique en janvier-février à 2 ou 3 milles de la côte) avaient de plus grandes dimensions et étaient mouillés plus au fond : on leur mettait moins de liège et plus de plomb.
349Les filets pour la pêche au mulet, en revanche, sont moins larges. On les tend l’hiver à partir de la côte au moyen d’un va-et-vient installé entre trois anneaux, dont deux sont fixés sur un rocher de la côte, et le troisième sur une bouée ancrée au large à l’aide d’une lourde pierre. On va les tendre le soir vers 16 heures, et les relever à 8 heures du matin : pour que la pêche soit bonne, il est nécessaire que l’eau soit agitée et trouble, et donc que le vent souffle du secteur ouest.
350Pour pêcher le congre, enfin, on utilise soit des nasses ou des casiers, soit surtout des cordes d’une vingtaine de mètres de long, munies d’un hameçon tous les mètres, immergées au fond vers 12 à 15 mètres. On les appâte avec des têtes et des arêtes de poisson de toutes sortes, sardines, vieilles, maquereaux, etc.
La commercialisation
351Au début du siècle, pratiquement, seuls les crustacés, et particulièrement les homards et les langoustes, entraient dans le circuit commercial : le poisson était surtout réservé à la consommation familiale. On vendait les crustacés, soit à Audierne, où l’on se rendait à pieds, soit à des bateaux-viviers de Sein ou de Camaret qui passaient à Brézellec toutes les semaines ou tous les quinze jours et allaient les revendre ensuite à Douarnenez. On donnait environ 30 francs pour une douzaine de homards, qui devaient avoir au minimum 21 cm de long depuis la « corne » jusqu’à la naissance de la queue. Les plus petits étaient pris pour un prix dérisoire.
352Après 1914, les gens de Goulien prirent l’habitude progressive d’acheter du poisson, et ce fut un nouveau débouché pour la pêche. On continuait d’aller vendre les crustacés à Audierne, à vélo maintenant, et plus seulement langoustes et homards, mais aussi crabes et araignées de mer. Le bateau-vivier ne passait plus depuis la guerre.
353Actuellement, Joachim Pichon tire toujours la plus grande partie de ses revenus de la vente des homards, que le mareyeur lui payait en 1963 de 14 à 22 frs. le kilo (une pièce moyenne pèse environ 750 à 800 grammes). Il vend le poisson dans les villages près desquels il passe en rentrant du port, et s’il lui en reste encore, au bourg, à Kervéguen et Kerspern. Le prix moyen en était en 1963 de 4 à 5 frs. le kilo selon les poissons. Quant aux mulets pêchés l’hiver, ils sont écoulés auprès des mareyeurs qui en donnaient 7,50 frs. du kilo (chaque pièce pesant environ 1,5 à 2 kilos).
Artisans et commerçants
Les métiers du bâtiment
- Les hommes
354Après celle d’agriculteur, la profession de maçon, à laquelle on peut rattacher aussi celle de couvreur en ardoises, semble avoir été depuis longtemps la plus représentée à Goulien. On comptait en 1911, cinquante-deux personnes recensées sous cette rubrique (dont deux couvreurs), mais leur nombre effectif devait être plus élevé, car à l’époque, lorsque le travail manquait dans le Cap, beaucoup de maçons de Goulien allaient s’engager sur des chantiers de Brest ou de Nantes, parfois même hors de Bretagne, ne revenant au pays que pour de courtes périodes ; mais leurs familles ne les suivaient généralement pas. Dans la plupart des familles recensées en 1911 dont le chef de famille était absent, il s’agissait d’un maçon temporairement émigré. Quant aux célibataires, ils n’ont évidemment laissé aucune trace.
355En 1963, bien que le nombre des représentants des métiers du bâtiment ait considérablement baissé, puisqu’ils ne sont plus que seize en activité, dont un couvreur, leur importance relative dans la population de la commune reste grande : ils constituent toujours le groupement professionnel le plus important après celui des agriculteurs.
- Le travail
356Le statut traditionnel des maçons du Cap Sizun est assez particulier : en effet, si quelques-uns travaillent dans les entreprises de construction qui existent depuis un certain nombre d’années dans le pays, la plupart d’entre eux conservent le statut d’artisan indépendant qui était jadis celui de presque tous.
357Comme un maçon ne peut guère travailler seul, ils se regroupent en équipes de sept ou huit hommes, au gré des convenances personnelles ou des liens de parenté, autour d’un chef d’équipe choisi d’un accord tacite pour son ascendant et pour sa compétence professionnelle.
358Le rôle du chef d’équipe est d’abord de représenter ses compagnons auprès des clients éventuels : c’est lui qu’on vient trouver pour lui confier des travaux, c’est lui qui négocie les conditions du marché, c’est lui qui met en rapport le client avec les fournisseurs des différents matériaux nécessaires, et lui propose un couvreur. Mais dans le travail, le chef d’équipe est un égal parmi des égaux. Jadis, il n’avait guère à intervenir, car toutes les constructions entreprises se conformaient à un modèle traditionnel, et chaque ouvrier savait ce qu’il avait à faire. Aujourd’hui, le chef d’équipe a besoin de posséder une formation plus poussée : il faut qu’il sache lire un plan, établir un devis, mettre en œuvre des techniques et des matériaux nouveaux ; pourtant, il continue de ne tirer que très peu d’avantages matériels de sa situation. Autrefois, il se contentait de garder pour lui les quelques francs qui pouvaient rester quand on avait partagé le montant du marché en autant de parts qu’il y avait d’ouvriers. Maintenant, il reçoit aussi une commission de la part des fournisseurs de matériaux de construction.
359Cette organisation permet de travailler avec un minimum de capitaux. Chaque ouvrier possède son matériel personnel, et le matériel commun : échelles, bois d’échafaudage, cordes, poulies, mortiers, brouettes, passe directement d’un chantier sur l’autre ; comme c’est le client qui reçoit directement les matériaux de leurs fournisseurs, l’équipe n’a besoin, ni d’un entrepôt, ni d’un camion. Cette diminution des frais, qui permet aux maçons indépendants de faire déjà des prix plus intéressants que les entreprises, s’ajoute au fait qu’ils peuvent travailler, quand la saison s’y prête, bien au-delà des huit heures journalières légales, toujours au même tarif, tandis qu’un chef d’entreprise serait obligé dans le même cas de payer ses ouvriers au tarif des heures supplémentaires.
360Actuellement, il existe dans le Cap huit équipes de ce genre, dont deux se recrutent principalement à Goulien, contre deux entreprises de construction. Mais au début du siècle, la commune de Goulien en comptait huit à elle seule.
361À cette époque, les méthodes de travail étaient fort simples. Un client allait trouver le chef d’équipe et lui demandait : « Fais-moi une maison comme celle d’Untel, de tant de long, tant de large, tant de haut, avec tant de fenêtres ». Le chef d’équipe allait jeter un coup d’œil à la maison prise comme modèle, toujours de type traditionnel, et se mettait aussitôt à l’œuvre, sans autres plans.
On creusait d’abord des fondations rectangulaires aux dimensions indiquées, de 50 cm à 1 m de profondeur, selon les terrains, et 50 cm de large, et on empilait les unes sur les autres les pierres que le patron allait charroyer avec sa charrette depuis une carrière voisine. Le mortier était de la terre glaise, extraite encore aujourd’hui en de nombreux endroits marécageux de Goulien. Disposée en tas au milieu de la cour, on la faisait d’abord piétiner par les chevaux. Puis on la travaillait avec de l’eau, tout comme du ciment ou de la chaux. Quant aux échafaudages, ils étaient tout simplement constitués par le bois de charpente et les planches de couverture, que le charpentier avait préparés d’avance pour qu’ils puissent être utilisés de la sorte. Le soin de monter les matériaux était confié aux manœuvres, le plus souvent fournis par le client, qui portaient le mortier sur une planche carrée tenue sur la tête, et les pierres simplement en équilibre sur le cou et les épaules, tête rentrée.
Une fois la maçonnerie terminée, on procédait au crépissage extérieur et intérieur. Jusque vers 1902, ce travail fut réservé aux couvreurs, mais à partir de cette époque, les maçons commencèrent à le faire aussi, après en avoir appris la technique à Brest. On préféra alors le leur demander à eux plutôt qu’aux couvreurs qui travaillaient moins bien et se faisaient payer plus cher.
Après quoi, le charpentier mettait en place le plancher de l’étage, s’il y en avait un et montait la charpente du toit, simplement posée sur la maçonnerie. Il la recouvrait de voliges, et c’était à nouveau au tour du couvreur d’intervenir. Celui-ci commençait par recouvrir les voliges d’une couche de glaise ou de bouse de vache, destinée à la fois à servir d’isolant et à empêcher les ardoises de se casser quand on les clouerait. Sur la face inférieure de chaque ardoise, il tapait d’un coup sec du coin de son marteau, ce qui provoquait un trou qui allait en s’élargissant vers l’autre face, formant logement pour la tête du clou de cuivre à l’aide duquel les ardoises étaient fixées sur la volige. Elles étaient disposées en quinconce, en longueur dans le sens de la pente du toit, en commençant naturellement par la rangée inférieure.
362Il ne fallait souvent guère plus d’un mois pour achever la construction d’une maison d’un étage, longue de douze mètres sur cinq mètres de large, la maçonnerie pouvant être terminée en vingt jours.
363Pour chacun des travaux, maçonnerie, crépissage, charpente et couverture, le client devait passer un marché avec les ouvriers intéressés. Pour la maçonnerie, le prix était établi d’après la surface de murs à construire, calculée en toises carrées, soit environ 4,2 m. En 1920, ce prix était de 700 1rs. pour une maison telle que celle décrite plus haut, soit, pour chaque ouvrier, un salaire journalier de 4 frs.
364La formation professionnelle était assez rapide : l’apprentissage durait de six mois à un an, et commençait en général vers 17 ans. L’apprenti devait commencer par verser une certaine somme, qui se montait vers le début du siècle, à 60 frs., il touchait cependant un salaire réduit, environ le quart de ce que gagnait un ouvrier confirmé.
365La période d’apprentissage se terminait sans épreuves ni cérémonies particulières ; simplement, lorsqu’on constatait que le jeune homme paraissait connaître le métier de façon satisfaisante, on le considérait désormais comme un ouvrier à part entière, et il recevait un salaire semblable à celui de ses compagnons.
366Parmi ceux qui exercent actuellement le métier de maçon, les plus âgés ont appris à travailler de cette façon. Mais les plus jeunes ont dû passer trois ans à l’école professionnelle de Brest, la plus proche de la région, pour obtenir leur CAP.
367Aujourd’hui, les méthodes de travail ont tout compte fait assez peu changé. L’innovation la plus importante a sans doute été le remplacement du mortier de glaise par le ciment, introduit dans le courant des années 1920 par des maçons qui avaient longtemps travaillé en ville. D’autre part, les constructions nouvelles s’éloignent peu à peu des types traditionnels et il ne peut donc plus être question de construire sans plans. Mais il s’agit là, somme toute, d’une évolution assez limitée.
Les sabotiers
368Le recensement de 1911 indique la présence à Goulien de sept sabotiers, répartis dans cinq familles : dans deux d’entre elles cette profession était la seule exercée, dans deux autres elle voisinait avec celle de maçon, dans la dernière, avec celle de couturière. Ces quelques indications suffisent à montrer que les sabotiers se recrutaient dans le même milieu social de petites gens sans terres, que les pêcheurs ou les maçons.
369Tous ces sabotiers étaient des artisans travaillant à leur domicile. Les clients qui venaient leur passer commande leur apportaient souvent en même temps le bois nécessaire à la fabrication des sabots : orme (eulah), hêtre (fao) ou frêne (oen). Mais certains sabotiers préféraient choisir leur bois eux-mêmes, et n’insistaient guère pour s’en faire apporter. Le frêne était le plus facile à travailler, mais peu durable ; le hêtre se fendait un peu trop facilement ; l’orme, quoique plus lourd et d’un travail plus difficile avait généralement leur préférence, car il était plus robuste et ne se fendait pas. Un bel orme pouvait donner une cinquantaine de sabots, dont huit dans la première rondelle, prise à la base.
370Dans les communes du Sud du Cap, où le bois était plus rare, il arrivait que plusieurs sabotiers partent ensemble en chercher dans la région de Quimper : ils empruntaient une charrette, et arrivés dans les bois, se construisaient des huttes où ils s’installaient pour plusieurs jours. Là, ils abattaient le nombre d’arbres qui avait été convenu avec le propriétaire, les débitaient, et commençaient à dégrossir les pièces de façon à n’avoir qu’à rapporter les ébauches à la maison.
371Il existait enfin dans la région des sabotiers ambulants qui allaient de ferme en ferme avec leur matériel et y restaient pendant une quinzaine de jours, nourris et logés, pour y fabriquer une trentaine de sabots, destinés à chausser tous les membres de la famille. Mais il arrivait souvent que faute d’avoir pu prévoir leur venue, le bois qu’on leur avait fourni fût trop vert, et, au bout de quelques mois, la moitié des sabots se déformaient et devenaient inutilisables...
372On préférait habituellement faire appel aux sabotiers de la commune, parce qu’on était habitué à eux et qu’on savait s’ils étaient de bons artisans. En allant chez eux, on leur apportait un petit bâtonnet donnant la mesure de son pied, mais ce n’était qu’un pense-bête, car un bon sabotier connaissait le pied de chacun de ses clients et savait leur faire du premier coup des sabots confortables.
Le bois, scié en rondelles d’une épaisseur légèrement supérieure à la longueur des sabots à fabriquer, était d’abord débité à l’aide de coins et de maillets, en morceaux de forme sensiblement parallélépipédique. Ceux-ci étaient alors taillés à la hache de sabotier (gwrohell boutaouer, fig. XXIV) sur un billot monté sur trois pieds et appelé « banc à tailler » (bank tailha, fig. XXV) ; pour achever cette première et grossière ébauche du sabot, certains sabotiers utilisaient l’herminette (taladur, an daladur, fig. XXVI) qui leur servait à tailler l’emplacement du cou-de-pied et l’angle formé par la semelle et le talon ; d’autres n’utilisaient pour cela que la hache.
L’ébauche était portée ensuite sur un billot semblable au précédent mais muni d’un anneau où venait s’accrocher le paroir (plèn boutaouer, litt. plane de sabotier, fig. XXVII), c’était le bank para ou « banc à parer ». Là, on achevait de donner au sabot sa forme extérieure.
Puis on passait sur une sorte d’établi, formé par un demi-rondin monté sur quatre pieds, et muni d’une profonde encoche où on calait l’ébauche à l’aide de coins de bois. Cet établi s’appelait « banc à creuser » (bank kreuzi, fig. XXVIII). Pour assurer sa stabilité, deux lourdes pierres étaient fixées à ses extrémités à l’aide de chaînes métalliques.
La première opération à laquelle on se livrait alors, était de percer, à l’aide d’une tarière à mèche hélicoïdale de 22 cm (talar war vis, fig. XXIX) deux trous dirigés, l’un vers la pointe, l’autre dans le talon. C’était une opération délicate, souvent manquée par les apprentis, car il fallait creuser jusqu’à quelques millimètres de la surface du bois sans le percer. Certains sabotiers se contentaient de creuser un seul trou oblique. Ce trou était ensuite agrandi à l’aide de tarières-cuillers (talar loa, fig. XXX) de dimensions croissantes, 10, 12, 14, 18, 22 et même 26 mm. Leur emploi demandait un coup de main assez particulier, surtout lorsqu’il s’agissait de creuser le talon ; il fallait alors placer le manche de la tarière sur son épaule droite et derrière le cou. On achevait le creusement des angles internes à l’aide d’un outil formé d’une longue tige de fer terminée par une lame recourbée en crochet, appelé raffinette (riñerez, fig. XXXI) ; puis le fond était égalisé et poli à l’aide du boutoir (bretonnisé à tort en boutaouer, fig. XXXIII).
Une fois l’intérieur entièrement terminé, on revenait à l’extérieur : on redonnait un coup de paroir, on arrondissait les angles du tour du cou-de-pied avec un couteau ou une lame de rasoir, puis on passait le grattoir (grat, ou raperez ; fig. XXXII) pour effacer les traces laissées par les outils.
Il restait encore, le cas échéant, à décorer le dessus des sabots de dessins très simples, à l’aide d’une gouge ou d’un poinçon, et à les vernir, s’ils étaient destinés à être portés le dimanche.
Ensuite, le client les porterait chez le forgeron, qui y fixerait des plaques de fer destinées à les protéger de l’usure.
373Dans les années 20, l’apparition dans le commerce de sabots à meilleur marché fabriqués industriellement mit fin à leur activité, qui n’était souvent plus qu’une activité secondaire. Lors de la dernière guerre, la pénurie de chaussures incita les anciens sabotiers qui, jusque-là, ne travaillaient plus guère que pour leurs propres besoins, à se mettre à nouveau à la disposition du public. Mais le renouveau passager de cet artisanat ne survécut pas à 1945. D’ailleurs, on portait de moins en moins de sabots : les enfants n’en mettaient plus pour aller à l’école, les paysans enfilaient des bottes pour aller aux champs, et il n’était pas question de faire porter des sabots, même vernis, aux jeunes pour aller à la messe... Et depuis que s’était introduite la mode des sabots du Léon, avec leur pointe relevée et leur bande de cuir sur le devant, beaucoup de ceux qui en portaient encore ne voulaient plus de ceux fabriqués dans le pays, avec leur bout rond et leurs allures lourdes.
374La fabrication des sabots n’est donc plus, dans le Cap, qu’un souvenir. Les vieux sabotiers s’éteignent les uns après les autres ; seul un vieux paysan poète et autodidacte de Cléden, Clet Bonis, continue encore d’en faire de temps en temps pour son propre usage et a bien voulu refaire devant moi les anciens gestes de son art.
Les tisserands
375La profession de tisserand aujourd’hui disparue à Goulien avait commencé de décliner dès avant 1914. Si, en 1900, on en comptait cinq dans la commune, ce qui était un nombre relativement élevé, ils n’étaient déjà plus que trois en 1911, et leur âge oscillait entre 70 et 76 ans. Une fois ceux-ci disparus, il n’y eut plus personne pour prendre leur relève, et les gens de Goulien durent faire appel à ceux qui existaient encore dans les communes voisines, et qui, eux aussi, diminuaient rapidement. Après la mort du dernier tisserand d’Esquibien, en 1917, il n’y en eut plus qu’un pour tout le Cap, à Beuzec, mais il cessa toute activité en 1918, et dans beaucoup de fermes, on conserve encore précieusement des écheveaux de chanvre qu’on avait préparés pour les lui confier et qui ne furent jamais tissés.
376Naturellement, les tisserands locaux ne pouvaient lutter contre la concurrence du commerce qui se développait de plus ou plus dans les campagnes, et leur métier devenait de moins en moins rentable. Il avait pourtant été florissant jusqu’à la fin du siècle dernier.
377Les tisserands du Cap travaillaient exclusivement chez eux, sur leur métier personnel, qu’ils avaient fabriqué eux-mêmes ou qui leur venait de leur père. Ils ne se rendaient chez leurs clients que pour prendre livraison du fil de chanvre qu’on avait préparé à leur intention, éventuellement du fil de laine qu’on mêlait parfois au chanvre. C’est aussi chez le client que se faisait l’ourdissage de la chaîne, généralement dans le ti-karr, où de longs galets se trouvaient fichés dans le mur spécialement pour cet usage. Pendant ce temps, toute la famille s’employait à embobiner le fil de trame sur les canettes.
378De retour chez lui, le tisserand se mettait à l’ouvrage. Ce qu’il fabriquait, c’était soit des toiles de chanvre destinées à la confection de draps, chemises et pantalons ; soit un tissu à chaîne de chanvre et à trame mi-chanvre, mi-laine, appelé pilhou, et dont on faisait surtout des jupes et des tabliers extrêmement imperméables au vent et à la pluie. Mais ils ne savaient rien fabriquer d’autre.
379Je n’ai pu retrouver aucun des anciens métiers à tisser utilisés en ce temps-là ; comme ils étaient encombrants, on les a d’abord démontés, et on a fini par les brûler. D’après les descriptions qui m’ont été faites, ils devaient être tout à fait semblables à ceux qui fonctionnent encore, légèrement modifiés, dans les tissages de Locronan.
Un métier (stem) consistait en un cadre de bois d’environ 2 m de long, terminé à ses extrémités par deux ensouples-rouleaux. Les lames, actionnées par des pédales, étaient constituées par des lisserons de bois et des lisses de fil. Le peigne (ar hoef), dont jumelles et gardes étaient en bois, et les dents sans doute en roseau, était placé dans un battant de bois suspendu, comme les lames, à une traverse supérieure du métier. La navette (ar gannel) était passée à la main. Il y avait aussi un templet, formé par une latte de bois terminé par trois pointes, et qui servait à tendre le tissu en largeur. En enroulant celui-ci sur l’ensouple, on effaçait au fur et à mesure les trous que ces pointes y avaient faits à l’aide d’une spatule en os. En un jour on ne tissait jamais plus de 2,50 m.
380Son travail terminé, le tisserand allait apporter à ses clients les rouleaux de tissu, longs environ de 20 m pour 0,90 m de large, qu’il mesurait à l’aide d’une mesure appelée our wal (aune), valant 1,13 m et constituée par un bâton de section hexagonale cerclé de fer à ses extrémités. On le payait, selon la finesse du fil (n° 8, 9 ou 10, ce dernier étant le plus fin qu’on puisse filer à la main), 9 à 10 sous (45 à 50 centimes) l’aune ; soit au plus 10 francs pour 20 m de tissu, ce prix constituant la rémunération de 11 jours de travail, dont 8 pour le tissage proprement dit, un jour pour l’ourdissage, et deux jours pour le rentrage. En outre, le tisserand était nourri à la ferme le jour où il venait prendre son ouvrage, et quand il venait le rendre, on lui offrait des crêpes largement arrosées de vin et de « cognac ».
381C’était tout de même une rémunération assez faible, comparée par exemple à celle des maçons. Il n’est donc guère étonnant que, parmi les derniers tisserands, il n’y en ait eu aucun qui eût appris son métier postérieurement à 1870.
Les métiers féminins
382Comme il arrivait souvent chez les petites gens que les gains des hommes soient insuffisants pour nourrir la famille, beaucoup de femmes devaient trouver un travail complémentaire. Dans ce cas, la plupart d’entre elles se faisaient couturières.
383En 1911, il y avait 38 couturières à Goulien, soit pratiquement les 4/5es de la population active féminine non agricole, réparties dans 31 des 109 familles non uniquement vouées à l’agriculture.
384Ces femmes avaient appris généralement le métier de leurs mères ou de leurs tantes et allaient le plus souvent travailler à domicile. Elles étaient nourries dans les fermes (on les plaisantait souvent parce que leur cuiller de bois ne quittait jamais la grande poche de leur tablier) où elles passaient plusieurs jours à quatre ou cinq à confectionner de nouveaux vêtements et à réparer les anciens.
385Quelques femmes amélioraient aussi un peu l’ordinaire de leur famille en faisant un peu de broderie sur filet, confectionnant ainsi rideaux, dessus de lits, etc. Ce travail n’était guère mieux payé que la couture.
386Actuellement, il n’y a plus guère de femmes pour se livrer à des travaux de ce genre. Seules, deux d’entre elles ne vivent encore que de petits travaux de couture, et une autre, propriétaire d’une machine à tricoter, en fait son principal gagne-pain. Mais toutes trois sont des femmes seules. Il n’y a plus maintenant de femme d’ouvrier qui travaille.
387Peu des anciennes couturières perçoivent une retraite de la Sécurité Sociale, car les familles chez qui elles sont allées travailler régulièrement pendant des années ont souvent refusé de leur fournir l’attestation qui leur aurait été nécessaire, par crainte sans doute d’avoir à verser des arriérés de cotisation.
La forge
388Pendant longtemps, il y a eu deux forges à Goulien, et parfois trois. Les forgerons appartenaient au même milieu social que les artisans dont il a été question précédemment, et menaient une vie semblable à la leur, mais ils avaient plus de liens qu’eux avec la population agricole, avec qui ils vivaient dans une sorte de symbiose. En effet, les pêcheurs, les maçons, les couvreurs pouvaient disparaître de la commune sans que la vie des paysans en fût le moins du monde affectée, la disparition des sabotiers, des tisserands et des couturières n’eût été que gênante il y a cinquante ans, et s’est effectivement produite depuis ; mais le travail de la forge était et reste une spécialité presque toujours étrangère aux agriculteurs, et dont ils ne sauraient pourtant se passer pour l’entretien, la réparation, parfois même la fabrication de leur outillage. L’évolution des techniques a accru cette dépendance, et donne une importance de plus en plus grande au forgeron, devenu aussi mécanicien et représentant en machines agricoles.
389Le seul forgeron qui existe à Goulien aujourd’hui s’est installé dans la commune en 1930. Les deux anciens forgerons, âgés et sans successeurs venaient de fermer leur atelier l’un après l’autre. La place était donc à prendre. Le nouveau forgeron avait comme atout supplémentaire d’avoir appris aussi la mécanique, à une époque où commençaient à se répandre les premières machines agricoles et les premiers moteurs à essence, que les artisans traditionnels ne savaient pas réparer. Avec le temps, c’est la mécanique agricole qui a pris le plus d’importance, bien qu’on lui demande toujours, le cas échéant, de refaire des lames d’outils, et de fabriquer des dents à monter sur une herse en bois neuve, ou des butoirs, ou des porte-outils à fixer derrière le tracteur.
390Une activité qui diminue de plus en plus, c’est évidemment le ferrage des chevaux. Encore après la guerre, le forgeron passait souvent des journées entières à ce travail, surtout au printemps, où tout le monde s’apercevait en même temps que les fers des chevaux étaient usés, mais aussi tout au long de l’année. On renouvelait en effet les fers quatre fois par an, et on revenait un mois et demi environ après le ferrage faire couper la corne qui avait repoussé aux sabots des chevaux. De nos jours, non seulement le nombre des chevaux a grandement diminué, mais c’est tout juste si on leur met des fers neufs une fois par an. On dit même que certains les leur enlèvent après les gros travaux, pour les leur remettre l’année suivante...
391Depuis 1930, la forge a connu de nombreuses transformations. Elle s’est progressivement agrandie, et surtout, son matériel lui-même a peu à peu changé. C’est ainsi que le traditionnel grand soufflet a fait place à une soufflerie électrique, et la lourde masse maniée de main d’homme, à un marteau pilon... L’ancien atelier traditionnel est devenu une entreprise de mécanique spécialisée. Cependant, sa place dans la vie de la commune est restée la même, et l’on parle toujours de forge et de forgeron, même si celui-ci n’est plus un humble artisan aux mains calleuses, mais le patron d’une affaire florissante, dont on envie un peu la fortune.
Les meuniers
392Il y a seulement quarante ans, le Cap Sizun était encore couvert de moulins à vent : il n’y en a guère plus aujourd’hui que trois ou quatre debout, et encore sont-ils plus ou moins en ruines. À Goulien, leurs vestiges sont à peu près réduits à néant, alors qu’ils étaient six à tourner au début du siècle, et des cinq moulins à eau qui s’élevaient sur le territoire de la commune à cette même époque, un seul a continué de fonctionner jusqu’à nos jours mais en se transformant entièrement.
393Le grand nombre de moulins existant aux environs de 1900 témoigne de l’importance relative accordée aux cultures céréalières par les paysans de l’époque. Ce nombre avait d’ailleurs été en grandissant tout au long du XIXe siècle, puisque en 1776, Goulien ne possédait que quatre moulins à eau et un à vent (Savina et Bernard p. 107). Ceux-ci avaient dû se montrer insuffisants à répondre à la demande, accrue du fait de l’extension des cultures.
394Différents en cela des autres artisans, les meuniers étaient tous de petits agriculteurs, à l’exception de quelques salariés qu’entretenaient certains gros propriétaires possesseurs de moulins. C’était en effet un travail qui ne rapportait guère. Le meunier, ou, s’il était salarié, son patron, percevait en nature le dixième de chaque sac de farine moulue. On l’accusait souvent de prendre largement plus. Mais cela ne lui permettait guère, de toutes façons, que de nourrir un ou deux cochons par an.
395Le rendement de ces moulins était en effet assez faible. Au mieux, un moulin à eau pouvait moudre un sac de farine, soit 50 kg à l’heure ; le rendement des moulins à vent était encore moindre, d’autant qu’ils ne fonctionnaient pas de façon continue, mais seulement lorsque le vent était favorable, c’est-à-dire ni trop fort ni trop faible. Aussi, là où ils étaient couplés à des moulins à eau, ce qui était souvent le cas, le meunier ne les utilisait qu’au moment des basses eaux.
396Les moulins à vent du Cap étaient du type à toiture tournante, et ne comportaient qu’un étage. Les ailes, au nombre de quatre avaient la forme d’échelles doubles sur lesquelles étaient tendues des voiles passant alternativement entre les « échelons ». On les déroulait de l’extrémité vers le centre, et pour ce faire, le meunier devait grimper sur les ailes comme un gabier dans sa mâture.
397L’axe sur lequel tournaient ces ailes se terminait à l’intérieur par une roue de bois garnie de dents cylindriques qui entraînait une sorte de roue à aubes horizontales ; celle-ci transmettait son mouvement aux meules, placées au-dessous.
398Certains moulins étaient destinés à moudre le froment et les mélanges, d’autres le méteil et le blé noir. Dans ces derniers, les meules n’étaient pas en silex, mais en grès, et elles étaient un peu plus écartées l’une de l’autre. Il s’agissait de ne pas trop écraser l’écorce du grain, de façon qu’elle puisse être facilement tamisée. Mais habituellement, le blé était surtout envoyé aux moulins à eau, qui possédaient trois meules, dont une lui était spécialement réservée.
399Les moulins à eau traditionnels étaient actionnés par des roues à aubes, non pas verticales, mais horizontales, situées exactement au-dessous des meules (fig. XXXIV à XXXVIII) ; ils étaient donc bâtis au-dessus d’une sorte de tunnel où l’eau de la retenue dévalait en trois cascades successives.
400Leur emploi était plus facile que celui des moulins à vent, puisque, sauf en période de basses eaux, on pouvait les mettre en marche à tout moment de la journée ; et le meunier avait moins de difficultés pour assurer leur fonctionnement. C’est pourquoi ils ont subsisté beaucoup plus longtemps.
401En effet, dès après la première guerre mondiale, les moulins à vent durent cesser de fonctionner l’un après l’autre. Les céréales avaient perdu de leur importance dans l’agriculture locale. Et surtout, les habitudes alimentaires changeaient : on ne mangeait plus de pain d’orge, de moins en moins de pain de seigle, et de plus en plus de pain de froment, qu’on voulait aussi blanc que possible, car c’était un signe de richesse. Il fallait donc que la farine fût soigneusement tamisée.
402Les simples possesseurs de moulins à vent n’avaient pas les moyens suffisants pour y faire installer les tamis qui auraient été nécessaires. L’opération n’aurait d’ailleurs pas été rentable. Ils durent renoncer. Quant à ceux qui possédaient à la fois moulin à vent et moulin à eau, ils essayèrent plutôt de moderniser ce dernier, et cessèrent d’exploiter l’autre. Le dernier moulin à vent de Goulien fut démoli en 1928.
403Sur les six moulins à eau existant dans la commune en 1900, l’un qui se trouvait en un lieu assez écarté, sur la côte Nord de la commune, non loin de Beuzec, avait disparu assez tôt ; celui de Bréhonnet, où vivait un meunier salarié, cessa ses activités dans le courant des années 30. Deux autres vivotèrent jusqu’à ces dernières années : celui de Kervoenn jusqu’en 1958, celui de Meilh Vrotel jusqu’en 1962 ; ils n’avaient pratiquement plus de clients, mais leurs propriétaires les utilisaient pour leurs propres besoins. Leur dernière panne leur fut fatale : en effet, pour 500 frs., on peut acheter un concasseur électrique d’une plus grande rentabilité, alors que cette somme suffirait tout juste à faire remettre à neuf les pales de la roue à aubes, par l’un des artisans, de plus en plus rares dans la région, spécialistes de ce genre de réparations (le plus proche actuellement est à Guilers).
404Deux autres, enfin, avaient essayé de survivre en se modernisant. Le meunier de Kerbeulec munit le sien d’une roue verticale à godets. Celui de Kergonvan avait une turbine. Mais il était équipé de cylindres et de tamis plus fins pour le froment, et c’est lui seul qui gagna la partie. Aujourd’hui encore, il continue de fonctionner, alors qu’il n’en reste plus que deux autres dans tout le Cap.
405En 1926, le père du meunier actuel, avait remplacé la turbine de son moulin, qui avait du mal à tourner pendant l’été, par une roue verticale. Quelques années après, il lui adjoignit un moteur à gaz pauvre, utilisant l’anthracite comme combustible. L’énergie hydraulique ne servit plus alors que d’appoint. Ce moteur fut remplacé en 1942 par un moteur électrique de 20 CV jusqu’en 1950. À cette époque, le meunier trouva plus avantageux, comme l’EDF lui refusait le bénéfice du tarif des heures creuses, d’utiliser le moteur d’un tracteur de 22 CV qu’il prenait ensuite pour ses livraisons. Depuis quelques années, l’EDF ayant accédé à sa demande, il utilise à nouveau l’électricité.
406Malgré ses efforts constants d’adaptation, le meunier ne voit pas l’avenir de son entreprise avec beaucoup d’optimisme.
407Pour avoir l’autorisation de la Régie de moudre du blé, il aurait fallu qu’il produise 100 quintaux par jour : il était fort loin du compte. Il se contente donc de moudre méteil, orge, et avoine. Mais les paysans achètent de plus en plus de concasseurs individuels pour l’orge et l’avoine qu’ils destinent à leurs bêtes, ce qui lui fait perdre une clientèle que la fermeture d’autres moulins dans la région ne parvient pas à compenser. Pratiquement, donc, il moud actuellement surtout du méteil destiné à la fabrication du pain noir, environ 15 quintaux en hiver, et 5 en été.
408Cela ne lui serait sans doute pas suffisant pour vivre, c’est pourquoi il s’est mis à vendre des aliments composés qu’il livre à domicile, ce qui lui donne un avantage certain sur la coopérative et il a entrepris un élevage de poulets. Nul doute que ces dernières activités ne doivent à la longue finir de supplanter la meunerie. Alors, les moulins de Goulien auront vécu.
Les commerçants
409Il ne semble pas qu’il y ait eu de commerçants à Goulien avant les années 1850. C’est à cette époque que s’ouvrirent presque simultanément au Bourg une auberge-épicerie et un bureau de tabacs.
410La première avait été créée par une dame Kérisit, une femme instruite pour son temps, qui avait tenu pendant plusieurs années, avant son mariage, la recette buraliste de Châteaulin. Quant au bureau de tabac, il avait été accordé à une Veuve Lecoq-Duparc dont le mari, un militaire descendant d’une famille de petite noblesse déchue, avait été tué en service commandé.
411Quatre des six fils Kérisit entrèrent au séminaire ; parmi eux se trouvait l’aîné, Michel. La succession devait donc passer à son cadet, Yves, mais celui-ci épousa vers 1870 la fille unique de la Vve Lecoq-Duparc et reprit le bureau de tabacs, auquel il adjoignit aussi une épicerie et un débit de boissons. Le commerce aurait alors dû revenir au troisième des enfants, Clet, mais on préféra alors rappeler Michel du séminaire. C’est sans doute par dépit que Clet ouvrit un commerce concurrent sur le troisième côté de la place de l’église, auquel il adjoignit une entreprise de transports par chevaux et de voitures de louage. Il y avait donc au Bourg trois commerces concurrents, gérés par trois frères.
412Quelques années après, s’ouvrit une nouvelle auberge, tenue par le sacristain. Elle n’eut qu’une existence éphémère. Puis, entre 1893 et 1905, on vit apparaître cinq nouveaux commerces (épiceries-débits de boisson) ; trois d’entre eux situés au Bourg, mais aussi deux autres établis dans une position moins centrale : l’un à Tal ar Veilh, l’autre au Croazhent.
413Le fils aîné de Michel Kénsit s’étant fait officier de marine marchande, c’est sa soeur qui prit la suite ; elle se maria quelque temps après à un marin d’État nommé Kerloc’h qui, en prenant sa retraite en 1922, ajouta à ses activités une entreprise de transports par autocar.
414Quant au fils Kérisit, il épousa de son côté la fille de l’épicier du Croazhent. La famille Kérisit-Kerloc’h intervenait ainsi dans la moitié des commerces de la commune.
415Entre-temps, une autre branche d’activités était apparue : la boulangerie. Jusqu’en 1914, tout le monde faisait son pain soi-même ; ceux qui n’avaient pas de four allaient cuire la pâte dans un four voisin. Deux commerçants, Clet Kérisit du Bourg et J. Marie Kerninon de Tal ar Veilh possédaient aussi un four qu’ils mettaient à la disposition du public deux fois par semaine, le mercredi et le samedi, contre une légère redevance. Le boulanger de Pont-Croix passait aussi une fois par semaine dans sa voiture à cheval pour vendre du pain blanc, mais il n’avait pas beaucoup de clients.
416Après la guerre, toutefois, les goûts avaient changé. Le pain blanc était à la mode, et comme on préférait l’acheter que de le faire soi-même, les commerçants qui avaient des fours pensèrent tout naturellement à se faire boulangers.
417Kerninon commença le premier. Clet Kérisit acheta le matériel nécessaire pour monter une boulangerie, mais hésita finalement à le faire, car Kerninon, qui ne possédait pas de voiture, faisait venir sa farine par son intermédiaire ; s’il le concurrençait, il avait peur de perdre sa clientèle. Il revendit donc son matériel à un autre commerçant du Bourg, J. Yves Quéré, qui fut le deuxième boulanger de la commune.
418Depuis cette époque, le nombre des commerçants est resté à peu près stable. En 1933, la femme du forgeron a ouvert une petite épicerie-débit de boissons à Poulloui, mais sa clientèle a toujours été assez réduite. Puis, en 1961, un débit de boissons du bourg, qui avait aussi repris le bureau de tabacs, a fermé. Mais le nombre de commerces existant dans la commune n’en reste pas moins étonnamment élevé, surtout quand on pense à la diminution constante de la population.
419Sans doute les raisons de cet état de fait ne sont-elles pas tant économiques que sociologiques. On le verra avec précision dans les pages consacrées à l’étude des structures sociales de Goulien : la répartition des clientèles y apparaît fondée sur des critères assez peu fonctionnels.
420En fait, il est rare qu’une famille s’approvisionne chez un seul commerçant : certains en fréquentent cinq, mais le plus courant est d’avoir trois fournisseurs habituels. Or, ils vendent à peu près tous les mêmes produits. Tous font débit de boisson ; tous ont de l’épicerie ; on trouve de la quincaillerie dans quatre d’entre eux, et des tissus et des vêtements dans trois. Mais le partage des clientèles ne dépend pas des produits vendus : une même personne peut acheter son épicerie dans plusieurs magasins, par exemple. Tout dépend des liens personnels ou familiaux existant entre les clients et les commerçants.
421Dans ces conditions, il est bien évident que les revenus commerciaux sont insuffisants à faire vivre ces derniers. Aussi, tandis que les femmes s’occupent à la boutique, les hommes ont-ils d’autres activités : tous cultivent quelques hectares de terre, à l’exception d’un seul, qui est le forgeron. De plus, certains bénéficient de retraites de la Marine, un autre est secrétaire de Mairie et dépositaire de la Coopérative de Landerneau, un autre tient la Recette Buraliste, un autre est agent d’assurances...
422Cependant, on peut se demander si tous les commerçants de Goulien pourront continuer d’exercer leur négoce encore longtemps dans des conditions avantageuses. Jadis, c’est à eux qu’il fallait s’adresser pour tous les achats courants. Mais aujourd’hui, les villageois se rendent de plus en plus souvent en ville ; aller à Audierne ou à Pont-Croix en voiture est maintenant l’affaire d’un quart d’heure au plus, et pour ceux qui ne sont pas motorisés il est facile de faire ses achats pour plusieurs jours en se rendant en autocar au marché du samedi. De plus, une nouvelle concurrence est apparue récemment avec les commerçants ambulants qui viennent à jours fixes offrir à domicile, non seulement la viande et le poisson, ce à quoi les commerçants locaux n’auraient rien à redire, mais aussi la boulangerie et l’épicerie, ce qui n’est pas pour leur faire plaisir, bien qu’ils prétendent souvent que cela ne diminue guère leur clientèle.
423Et effectivement, la même raison qui faisait tout à l’heure que celle-ci était clairsemée et partageait ses achats entre plusieurs d’entre eux, fait que, malgré les avantages que lui procure la livraison à domicile, elle continue de fréquenter ses anciens fournisseurs, à qui, tout simplement, elle achète moins. Le commerçant ambulant n’est pour elle qu’un fournisseur supplémentaire, et il ne saurait supplanter complètement les autres, car elle leur est attachée par des liens traditionnels quelle ne saurait défaire.
424Si donc ce nouveau type de commerce ne fait sans doute pas perdre beaucoup de clients aux commerçants locaux, pas plus que ne le font les possibilités d’achat en ville, il diminue néanmoins considérablement le volume de leurs affaires. D’un point de vue strictement financier, il est probable que quelques commerçants ne perdraient pas grand chose, à fermer boutique. Mais comme m’a dit l’un d’eux : « on aurait honte de fermer une maison que vous ont légué vos vieux parents ».
425En quelque sorte, le commerce à Goulien se maintient par habitude...
Le niveau de vie des professions non agricoles
426Aux environs de 1900 la plupart des familles non agricoles, y compris les familles de pêcheurs, faisaient un petit peu de culture et d’élevage. Ils possédaient ou louaient suffisamment de terre pour faire pousser les pommes de terre, les choux et les carottes dont ils avaient besoin, élevaient une vache qui leur donnait le lait dont ils faisaient leur beurre, ainsi qu’un veau à vendre de temps en temps, un cochon qui leur fournissait de la viande salée pour l’année, et parfois des brebis, dont on vendait la laine et les agneaux.
427À la mauvaise saison, certains pêcheurs s’en allaient en compagnie de maçons ou d’ouvriers agricoles momentanément sans travail, s’engager à Audierne dans les conserveries de sardines qui demandaient alors beaucoup de main-d’œuvre, car la soudure des bottes se faisait à la main.
428D’autres, en revanche, continuaient la pêche côtière malgré la mauvaise saison, se contentant lorsque le temps était trop mauvais de tendre des filets de la côte pour pêcher le mulet.
429L’été, certains partaient faire la campagne sardinière, où les gains pouvaient être relativement élevés aux bonnes saisons, et atteindre 45 francs par semaine. Les gains moyens étaient cependant de 20 à 25 francs, et en outre, chacun avait droit à emporter chez lui 2 à 300 sardines qu’on salait pour les consommer pendant l’hiver.
430D’une enquête faite à Cléden en 1904, il ressort « qu’une famille moyenne de pêcheurs-cultivateurs, possédant un peu de terre, gagnait annuellement de 1 300 à 1 400 francs nets, y compris le produit de la pêche, le rapport des terres et l’élevage de quelques animaux (veaux, porcs, moutons, volailles). La dépense par année commune s’élevait à un millier de francs. L’excédent était placé à la Caisse d’Épargne ou employé à acquérir quelques ares de terrain » (Bernard, 1952, p. 158-59).
431Tous les pêcheurs de Goulien n’étaient peut-être pas aussi bien lotis, mais dans l’ensemble leurs conditions de vie étaient relativement satisfaisantes pour l’époque.
432Il existait déjà une Caisse de Prévoyance des gens de mer à laquelle les affiliés pouvaient s’adresser en cas de maladie ou d’invalidité. Ce qu’elle payait était peu élevé, mais elle n’en constituait pas moins un avantage certain dont ne bénéficiait aucune autre profession.
433Le droit d’inscription au Rôle de l’Inscription Maritime était peu élevé, peut-être 2 francs par mois.
434Au bout de 25 ans de pêche, et à partir de 50 ans, on pouvait toucher une retraite de 365 francs par an. C’était assez peu, mais c’était largement suffisant pour vivre à une époque où les besoins étaient limités.
435Maçons et couvreurs avaient au début du siècle des conditions de vie assez semblables à celles des pêcheurs. En fait, ces deux professions, apparemment si éloignées l’une de l’autre, étaient souvent pratiquées alternativement par les mêmes personnes. C’est ainsi que lorsque le travail se ralentissait, certains maçons se remettaient à la pêche côtière, que la plupart d’entre eux avaient plus ou moins pratiquée dans leur jeunesse pour obtenir l’Inscription Maritime, ou s’engageaient à Douarnenez pour la campagne sardinière. Inversement, les années de mauvaise pêche, il arrivait que des pêcheurs cherchent du travail dans le bâtiment. Mais c’était plus rare.
436Comme les pêcheurs, et malgré leurs maigres revenus, les maçons étaient souvent propriétaires de leur maisonnette et de quelques ares de terrain qui leur permettaient d’élever une vache et des cochons, et de cultiver les pommes de terre nécessaires à leur nourriture pour l’année. En 1911, sur 41 familles de maçons, on en comptait 23 dans ce cas. Les autres louaient un peu de terre, ou même exploitaient parfois avec l’aide de leur femme et de leurs parents une petite ferme, qui n’aurait pu les nourrir seule, mais qui les aidait beaucoup à vivre. Mais les métiers du bâtiment, que beaucoup choisissaient parce qu’ils étaient faciles à apprendre et pas trop durs à exercer ne pouvaient guère suffire non plus à nourrir une famille. Vers 1900, un maçon ne gagnait que 2 à 2,50 frs. par jour et 1 fr. seulement s’il était nourri sur le chantier par le client, ce qui était le cas le plus fréquent. (Mais en revanche, on était tenu de les nourrir même si, à leur arrivée sur le chantier, le temps interdisait tout travail.) On travaillait habituellement 10 heures par jour à la belle saison, de 7 à 18 heures, avec arrêt d’une heure à midi pour déjeuner. L’hiver, la journée n’était que de huit heures. Mais il arrivait, si on voulait terminer rapidement une construction, qu’on travaille plus longtemps. 1 fr. par jour, c’était tout de même peu pour nourrir le reste de la famille, et les femmes étaient généralement obligées d’exercer de leur côté le métier de couturière à domicile. Ou bien, toute la famille partait pour une saison à Audierne pour travailler dans les conserveries, ou s’engageait l’été pour la moisson.
437Les couvreurs se trouvaient dans le même cas, ils gagnaient même souvent moins que les maçons.
438Les sabotiers n’étaient guère mieux lotis. En travaillant régulièrement, de dix heures du matin à neuf heures du soir, un bon sabotier pouvait terminer trois, et parfois même jusqu’à quatre paires de sabots, qu’il faisait payer en moyenne, vers 1900, 0,50 fr. la paire, 1 fr. s’il avait fourni le bois. Mais après la guerre de 1914, la pénurie de sabots fit monter ce prix jusqu’à plus de 4 frs.
439Quant aux tisserands, on a vu précédemment que leur rémunération journalière n’arrivait guère à atteindre 1 franc.
440Enfin, les couturières à domicile gagnaient – nourries – 6 à 7 sous, soit 0,30 à 0,35 franc par jour.
441Il est intéressant de comparer ces prix avec ceux qui ont été indiqués précédemment pour l’année 17905 : on voit qu’ils n’avaient pas augmenté proportionnellement au coût de la vie.
442Le bas niveau des revenus dans le Cap est la raison principale qui poussait tous les maçons à travailler en ville, à Brest, à Nantes, quelquefois même dans le Nord de la France. Là, les salaires étaient de 5 frs par jour, et les horaires de travail étaient fixes, mais la vie était chère, et il fallait se loger, se nourrir, dans des pensions où la chère était maigre, se vêtir, d’une façon un peu moins négligée qu’à la campagne etc., envoyer de l’argent à la famille restée au pays. Cette situation était difficile, aussi certains qui avaient trouvé de bonnes places firent venir leurs familles auprès d’eux et émigrèrent définitivement ; d’autres qui supportaient mal l’exil revinrent au pays dès qu’ils en eurent la possibilité. Du début du siècle à nos jours, il n’y a pas eu de changements brusques dans la vie des pêcheurs de Goulien, mais on peut noter de leur part au cours de cette période, un abandon progressif de leurs activités secondaires, dû, semble-t-il, à l’amélioration générale des conditions de vie qui suivit l’armistice de 1918.
443On ne vit plus guère de pêcheurs aller travailler dans les usines de conserves, où d’ailleurs le besoin de main-d’œuvre masculine ne se faisait plus sentir après que la soudure des boîtes à la main eut été remplacée par des procédés mécaniques, De même, il y en eut de moins en moins pour aller embarquer à Douarnenez pour faire la campagne sardinière. En revanche, beaucoup de jeunes gens, s’engageaient dans la Marine d’État, et comme la plupart laissaient leurs femmes au pays, dans leurs familles, leurs soldes contribuaient à une élévation du revenu local.
444L’élevage des moutons disparut après 1918, comme il l’avait fait dans les fermes environnantes. Seul se poursuivit celui des vaches et des cochons.
445Après la dernière guerre, les familles qui possédaient une vache y ont peu à peu renoncé, trouvant plus avantageux de se fournir en lait et en beurre dans une ferme voisine.
446En revanche, les petits artisans, ne pouvant subsister par leur travail, ont émigré ou se sont tous faits – leurs fils du moins – marins ou militaires. Seuls, les artisans du bâtiment virent leurs conditions de vie s’améliorer et leurs gains s’élever : en 1920, un maçon gagnait 4,50 frs par jour, et peu à peu, les gains en vinrent à approcher assez sensiblement de ceux de la ville. En 1963, un maçon travaillant en équipe gagnait 3,60 frs de l’heure, soit un salaire mensuel variant selon les saisons entre 750 et 940 frs en cas de plein emploi bien entendu. Mais le travail abonde, car on construit beaucoup sur toute la côte Sud du Cap, maisons de villégiature et villas de retraités, tandis que dans les zones rurales, les paysans commencent à faire effectuer des travaux de transformations dans leurs intérieurs.
447Les maçons constituent donc sans doute, avec les retraités de la marine et après les commerçants, la catégorie professionnelle dont les revenus sont les plus élevés de Goulien.
448Et c’est ainsi qu’on a pu voir en 1963 un événement qui eût sans doute été impensable cinquante ans plus tôt : un jeune artisan maçon, chef d’une des équipes de Goulien, épousant la fille du plus gros cultivateur de la commune...
Notes de bas de page
1 Pour ces mécontents, le remembrement était ur heu laer (« un jeu de voleurs »).
2 Les lignes qui suivent résument une étude rédigée par M. Édouard Morvan, ancien conseiller agricole du Cap.
3 Déjà en 1794, lorsque le district de Pont-Croix fixa le prix de la journée de moisson à 15 sous pour les hommes et 10 sous pour les femmes, la municipalité de Cleden protestait en ces termes : « La femme, pour moissonner, dans ce pays, vaut un homme. Leur ouvrage est le même, le résultat est le même. Pourquoi n’y aurait-il de disproportion que dans le salaire ?... S’il se peut que dans plusieurs communes, l’homme moissonne davantage que la femme, ici, si l’on pouvait s’apercevoir d’une différence, elle serait pour la femme... »
4 On notera la parenté entre cette technique et celle utilisée pour la fabrication des casiers à homards, décrite dans le chapitre consacré à la pêche.
5 Cf. ci-dessus, « Le pays et les hommes », p. 30.
Le texte seul est utilisable sous licence Licence OpenEdition Books. Les autres éléments (illustrations, fichiers annexes importés) sont « Tous droits réservés », sauf mention contraire.
Un ingénieur de la Marine au temps des Lumières
Les carnets de Pierre Toufaire (1777-1794)
Pierre Toufaire Jacques Charpy (éd.)
2011
Paul Cocho, Mes carnets de guerre et de prisonnier, 1914-1919
Paul Cocho Françoise Gatel et Michel Doumenc (éd.)
2010
Souvenirs et observations de l’abbé François Duine
François Duine Bernard Heudré et André Dufief (éd.)
2009
Rennes sous la iiie République
Cahiers d'Edmond Vadot, secrétaire général de la ville de 1885 à 1909
Patrick Harismendy (dir.)
2008
Mémoires d'un notable manceau au siècle des Lumières
Jean-Baptiste-Henri-Michel Leprince d'Ardenay Benoît Hubert (éd.)
2008
En mission à Terre-Neuve
Les dépêches de Charles Riballier des Isles (1885-1903)
Charles Riballier des Isles Ronald Rompkey (éd.)
2007
Rennes : les francs-maçons du Grand Orient de France
1748-1998 : 250 ans dans la ville
Daniel Kerjan
2005
Le Journal de Stanislas Dupont de La Motte
Inspecteur au collège de La Flèche (1771-1776)
Stanislas Dupont de La Motte Didier Boisson (éd.)
2005