Avant-propos
Goulien, commune bretonne du Cap Sizun entre XIXe siècle et IIIe millénaire
p. 7-10
Texte intégral
1En 1961 fut lancée par le Comité Consultatif de la Direction Générale à la Recherche Scientifique et Technique (DGRST) une « Action Concertée » qui visait à étudier « l’adaptation du monde agricole et rural français aux conditions de la vie moderne ». C’est dans ce cadre que le « Comité d’Analyses Démographiques et Sociales » (CADES) mit sur pied un vaste ensemble de recherches multidisciplinaires centrées sur la commune de Plozévet, dans le Finistère, en pays bigouden. Ce choix avait été suggéré par Robert Gessain (alors directeur du Musée de l’Homme et l’un des douze membres du Comité Consultatif de la DGRST) et c’est lui qui assura la coordination des enquêtes, dont la logistique était assurée par le Centre de Recherches Anthropologiques du Musée de l’Homme.
2De 1961 à 1967 devaient se succéder dans cette grande commune près d’une cinquantaine de chercheurs de toutes les disciplines qui ont l’homme pour objet – non seulement les sciences sociales et humaines au sens restreint (géographie humaine, histoire sociale, histoire religieuse, sociologie, psychosociologie, ethnologie), mais également la démographie, l’anthropobiologie, la génétique, la gérontologie, etc. Trois ethnologues y participèrent successivement : Solange Petit (aujourd’hui Petit-Skinner), qui fut chargée de l’enquête préliminaire auprès des cultivateurs et marins-pêcheurs (1961-62) ; Michel Izard, qui étudia parenté et mariage (1963) ; et Donatien Laurent (1964-67) à qui fut confiée l’étude de la société traditionnelle. De la masse de documents rassemblés à cette occasion, une partie seulement s’est trouvée publiée ; et seuls deux ouvrages de synthèse ont atteint un large public : Commune en France : la métamorphose de Plodémet, publié par Edgar Morin en 19671 ; et Bretons de Plozévet, publié par André Burguière en 19752.
3Très vite, cependant, pour « corriger les paramètres un peu particuliers de Plozévet », mais aussi sans doute en raison des lourdeurs entraînées par la venue successive sur un terrain relativement restreint d’équipes qui ne communiquaient pas toujours très bien entre elles, dont il était difficile de coordonner l’action, et poursuivant chacune des objectifs différents – au risque d’entraîner au sein de la population locale un effet de lassitude, voire des réactions de rejet – il était apparu nécessaire aux promoteurs de ces enquêtes de faire mener une étude parallèle mais d’envergure beaucoup plus restreinte dans une autre commune à la population moins nombreuse et plus homogène, et plus représentative de beaucoup d’autres communes bretonnes. La recherche y serait confiée à un chercheur isolé, de préférence un ethnologue ouvert au dialogue interdisciplinaire. La commune choisie fut Goulien, dans le Cap Sizun ; et c’est à moi qu’en fut confiée l’étude.
4J’avais été choisi, sur la suggestion d’André Leroi-Gourhan (qui était alors mon directeur de thèse) parce que, jeune ethnologue encore, j’avais déjà l’expérience de deux « terrains », l’un en Alsace ; l’autre en Indonésie, et aussi parce que mon objectif de l’époque était de mener en parallèle une double carrière de recherche – en France et en Insulinde. Cela, pensait-on, donnerait à mon regard ethnographique une sensibilité particulière. Mon ouverture à d’autres disciplines (sociologie, histoire des religions, linguistique, psychologie sociale, histoire, géographie humaine) devait aussi faciliter un travail qui devrait être effectué en dialogue avec mes collègues de Plozévet, de façon à fournir des éléments pour une comparaison entre les deux communes.
5Après une première reconnaissance en juin 1962 je suis venu m’installer à Goulien avec ma femme en septembre de la même année. Nous en sommes repartis en juin 1964. De ce séjour, j’ai tiré ma thèse de troisième cycle, soutenue en 1965 (avec à mon jury Georges-Henri Rivière – qui devait devenir mon parrain au CNRS – André Leroi-Gourhan et Roger Bastide). Une version légèrement remaniée en a été publiée, intitulée Goulien, commune rurale du Cap Sizun (Finistère). Étude d’ethnologie globale, Cahiers du Centre de Recherches Anthropologiques, 6 (Travaux et mémoires de la Société d’Anthropologie de Paris X, XIe série, fascicule 3-4), Paris, 1965, p. 141-586. Malheureusement, le fait qu’il ne se soit pas agi d’un volume distinct, publié en tant que tel dans une collection d’ouvrages ethnologiques, ne favorisa pas sa visibilité. D’autre part, à cette époque, les ethnologues français s’intéressaient encore peu à l’ethnologie de la France, les spécialistes des études bretonnes privilégiaient surtout les études sur la vie traditionnelle, et les sociologues ruraux n’étaient encore pas très ouverts à l’ethnologie ; il en résulta que ce travail passa quasiment inaperçu dans ces divers milieux. Ce n’est que peu à peu, au fil des années, qu’un certain « bouche à oreille » a fini par lui donner une certaine réputation en tant qu’ouvrage un peu mythique, car il n’y en a qu’un tout petit nombre d’exemplaires en circulation.
6C’est ce texte de 1965 qui se trouve reproduit en première partie du présent volume, avec seulement ici et là quelques notes explicatives dûment datées ainsi que des corrections minimes portant sur quelques fautes d’impression, quelques « mastics » et quelques erreurs de détail qui m’ont été signalées, pour la plupart, par des lecteurs de Goulien. À ces petites additions et corrections près, le texte est resté tel que je l’avais écrit à l’époque, avec tout ce qu’il pouvait comporter de subjectivité et de jeunesse dans le métier.
7En fait, je n’avais pas utilisé pour sa rédaction toute la documentation et toutes les informations que j’avais rassemblées pendant mon séjour à Goulien, car j’envisageais de donner une suite à ces premiers travaux. Je voulais, entre autres :
- établir une comparaison détaillée entre le système socio-technologique qui prévalait à la fin du XIXe siècle (dans la jeunesse de mes plus vieux informateurs) et celui des années 60 ;
- m’intéresser aux échanges matrimoniaux entre les « moitiés » nord et sud de Goulien et entre celle-ci et les communes voisines, en les rapportant non pas à l’ensemble communal mais aux « villages » (hameaux) concernés ;
- étudier les lignes de succession depuis le début du XIXe siècle en termes, non pas de lignages, mais de « maisons » ;
- reconstituer la succession des charges municipales en ces termes-là de façon à mieux saisir les enjeux de l’histoire politique municipale ;
- et enfin, mieux exploiter les archives départementales, sur une période allant du dernier quart du XVIIIe siècle à la fin du XIXe, afin de resituer l’évolution de la commune dans un cadre plus large.
8Entre 1965 à 1970 je suis retourné plusieurs fois en Bretagne pour mettre en œuvre ce programme. Par la suite, ne pouvant plus obtenir de mission de recherche en France, ni de mon unité de recherche du CNRS (spécialisée sur l’Asie du Sud-Est) ni d’une autre unité à laquelle je n’aurais pas été rattaché, j’ai dû abandonner mon projet de recherches parallèles en Europe et en Asie. Nous gardions contact cependant avec nos amis de Goulien, avec lesquels nous échangions des nouvelles de temps à autres et auxquels nous sommes allés rendre visite en 1974 et en 1980.
9C’est à partir de 1988 que s’est amorcé le processus qui m’a conduit à la reprise de mes recherches en Bretagne, quand, en mai de cette année, Donatien Laurent, alors directeur du Centre de Recherches Bretonnes et Celtiques (CRBC) de l’Université de Bretagne occidentale à Brest m’a invité à venir présenter les films que j’avais réalisés au cours de mon séjour dans le Cap Sizun en 1962-1961, et qu’à cette occasion j’ai repris contact avec Goulien. Puis, invité en octobre 1988 à participer au colloque « Du folklore à l’ethnologie en Bretagne » qui était organisé à Riec-sur-Belon, j’ai pu y prendre la mesure des progrès accomplis dans les études bretonnes au cours des dernières 25 années.
10C’est au moment où je préparais ma communication à ce colloque3 que j’ai également découvert l’excellente thèse d’un chercheur belge, Jacques Delroeux4, soutenue en 1979 et restée, à ma connaissance, malheureusement inédite. Il s’agit d’une étude comparée des pratiques matrimoniales à Goulien et à Plogoff, fondée sur une étude extrêmement minutieuse des fiches établies dans ces deux communes sur la base des registres de l’État Civil depuis 1800 par le Centre de Recherches Anthropologiques (CRA) du Musée de l’Homme. Il utilise aussi largement les données et les hypothèses de ma propre thèse, ainsi que les notes inédites que j’avais déposées au CRA, expressément, pour qu’elles puissent servir à des études ultérieures. En fait, c’est dès 1971 qu’il avait demandé au CRA l’autorisation de les utiliser. Je ne sais s’il a essayé de me joindre (de 1972 à 1974 et de 1977 à 1980 je séjournais en Indonésie). Ce qui est certain, c’est que nous n’avons jamais été en contact et je le regrette beaucoup car nous aurions pu engager à ce moment-là un dialogue profitable à l’un comme à l’autre.
11En 1991, suite à ma reprise de contact de 1988, la municipalité de Goulien m’a invité à venir présenter mes films au cours de deux soirées organisées dans la toute nouvelle salle polyvalente de la commune, et les chaleureuses retrouvailles collectives qui se sont produites alors m’ont à nouveau incité à rechercher un moyen pour renouer le fil de mes anciennes recherches. Ce projet s’est précisé à partir de 1995 lorsque, invité à donner une conférence à l’Université de Brest, je suis retourné dans le Cap pour une brève enquête préliminaire à un retour que j’espérais proche. Restait à trouver un financement. En 1998, à la suggestion du maire de Goulien, Henri Goardon, j’ai adressé à l’Institut Culturel de Bretagne une demande de subvention, qui m’a été accordée. C’est elle – et j’en remercie vivement l’ICB – qui m’a enfin permis de mener à Goulien dans le courant du premier semestre de 1999 dix semaines d’enquêtes intensives réparties en trois visites, grâce auxquelles j’ai pu ajouter à ma publication de 1965 le complément intitulé « Goulien, an 2000 », qui constitue la deuxième partie du présent volume.
12Lors de mon premier séjour des années 60 je ne m’étais pas contenté d’enregistrer les changements en cours à cette époque ; mais en interrogeant les souvenirs des plus anciens, qui se faisaient eux-mêmes l’écho de ce que leur avaient raconté leurs propres grands-parents, j’avais pu embrasser aussi une bonne partie de ceux qui s’étaient produits dans le courant du XIXe siècle. En décrivant la situation et le devenir de cette commune à l’orée du troisième millénaire, c’est toute son évolution sur deux siècles qui se trouvera donc finalement prise en compte dans cette nouvelle édition de « Goulien ».
Notes de bas de page
1 Edgar Morin, Commune en France : la métamorphose de Plodémet, Paris, Fayard, 1967.
2 André Burguière, Bretons de Plozévet, Paris, Flammarion, 1975.
3 « Une recherche ethnologique dans le Cap Sizun en 1962-1964 », p. 273-287 in D. Laurent et al. (eds) Du folklore à l’ethnologie en Bretagne (1er Colloque d’Ethnologie Bretonne, Riec-sur-Belon, 28-29 octobre 1988), éditions Beltan, Brasparts (Finistère).
4 Étude d’anthropologie sociale de trois sociétés rurales occidentales : Goulien, Plogoff et Lescoff (Sud Finistère) de 1800 à 1970. Étude du principe de réciprocité (Thèse de doctorat d’État en Lettres et Sciences Humaines présentée devant l’Université de Paris V-René Descartes).
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