Chapitre 3. Les débuts en politique
p. 51-58
Texte intégral
— Ma vie politique
1Mes tendances naturelles, mes idées nettement démocratiques, laïques et sociales, m’avaient mis en relations avec les hommes placés à la tête du parti républicain1 À chaque élection, j’aimais à aider de ma collaboration les candidats chargés de porter le drapeau de ce parti. N’étant plus entrepreneur fin 1905, ayant quitté les syndicats professionnels et le tribunal de commerce en 1906, je me trouvai libre pour me lancer très nettement dans l’action républicaine à Rennes et dans le département. Très connu par mon action syndicale et par les travaux nombreux et souvent importants exécutés dans toutes les parties du département, j’eus vite acquis les relations politiques me permettant de jouer un rôle intéressant. Au mois de mars 1906, j’avais fondé le comité d’Union républicaine. Avec le concours de quelques amis, nous réunissions en peu de temps sept cents adhérents, j’en fus nommé le président ; je l’étais encore en 1920.
2Après les élections législatives de mai 19062, qui marquèrent un pas en avant des idées nettement démocratiques dans le département et dans toute la Bretagne, le préfet d’alors, M. Rault, me chargeait d’organiser un banquet, salle des fêtes du lycée, auquel seraient invités à prendre part les députés républicains de Bretagne avec tous les républicains, sans distinction de nuance, de Rennes et du département. Ce banquet serait présidé par M. Albert Sarraut3, sous-secrétaire d’État au ministère de l’Intérieur. Le projet réussit admirablement ; en dix jours, nous avions réuni huit cents convives.
3Quelques semaines plus tard, M. Le Hérissé4, député de Rennes, et MM. Robert Surcouf et Guemier, députés de Saint-Malo, décidèrent, d’accord avec M. Rault, préfet, d’organiser une grande réunion à Rimoux (près d’Antrain) pour fêter la « Fidélité à la République ». Cette commune avait été choisie à cause de son passé dans la lutte contre les Chouans à la fin du 18e siècle et pour le nombre de suffrages qu’elle donne régulièrement aux candidats républicains (deux cent vingt contre cinq ou six aux candidats de l’opposition). Un grand comité départemental fut formé avec les maires des chefs-lieux des arrondissements, les anciens sénateurs et députés républicains, ceux en fonctions, le président de la chambre de commerce de Fougères, les présidents de tous les comités républicains du département, et je fus choisi comme président de cet important comité. Le budget initial pour cette fête fut constitué au moyen de cartes à 0,50 F placées dans tout le département par des amis actifs et dévoués.
4Nous avons élevé à Rimoux au milieu du bourg un petit monument de granit, surmonté d’un buste de la République et nous avons organisé alors une fête sans grand matériel, mais avec le concours de personnes de bonne volonté. Pour les aménagements, tout fut pris en location ou acheté. La fête eut lieu en octobre et obtint un grand succès. Un banquet populaire, à 3 francs, réunissait, sous la présidence de M. Rault, préfet d’Ille-et-Vilaine, plus de deux mille républicains militants, venus de tous les points du département. Un procès-verbal de cette manifestation fut porté au registre des délibérations de la commune. Au règlement de compte, il restait en caisse 260 francs, qui furent versés au bureau de bienfaisance de Rimoux. Cette fête me valut de vives félicitations et fut en quelque sorte mon point de départ dans la vie politique active.
5Quelques mois se passèrent ; en vue du 14 juillet 1907, les comités républicains de Rennes envisagèrent la possibilité d’un banquet en commun. Des réunions préparatoires eurent lieu et les républicains rennais de toutes nuances se trouvèrent groupés pour la première fois depuis longtemps, en un banquet de 14 juillet, dans la cour de l’hôtel de la Providence, rue Chicogné. Chaque groupement républicain continuait de réunir des adhérents ; les questions de personnes avaient tendance à disparaître pour faire place aux questions de principe. C’est pour cela que, dans le courant de l’hiver 1907-1908, je pris l’initiative d’écrire au président du comité radical-socialiste5 et au secrétaire du groupe socialiste6 pour leur demander si leurs comités respectifs seraient disposés à envisager la formation d’une liste unique d’entente républicaine en vue des élections municipales de mai 1908. Ces messieurs vinrent me voir et nous arrêtâmes le principe d’une entente de trois délégués par comité, soit neuf en tout, avec pouvoirs pour la répartition des trente-six candidats entre les trois groupes. La réunion eut lieu sous ma présidence et, après échange d’idées, déclarations de principe et discussions, séance à laquelle prit part M. Le Hérissé, député de Rennes, il était attribué vingt sièges au comité d’Union républicaine, dix au comité radical-socialiste et six au comité socialiste. Cette décision fut ratifiée dans nos comités, mais elle étonna une partie de la population.
6Nous n’eûmes pas la pensée, mes amis et moi, de plaider les circonstances atténuantes, mais il fallut expliquer que les trois comités s’étaient mis d’accord sur des questions de principe, que chacun conservait ses propres points de doctrine, que l’entente portait sur la formation à Rennes d’un grand parti républicain, allant des plus modérés aux plus avancés, et qui placerait la Patrie républicaine et ses lois au-dessus de toute discussion, tout en s’efforçant de faire triompher, d’une part les réformes démocratiques et sociales attendues depuis longtemps par le prolétariat rennais, d’autre part les réformes administratives nécessaires pour donner à notre cité une prospérité de plus en plus grande et augmenter son renom par le développement de son enseignement à tous les degrés, de son éducation artistique, des mesures d’hygiène et de salubrité, etc. Un programme clair et précis exposa aux électeurs quelles étaient les intentions de la « liste d’entente républicaine » au sujet des premières améliorations à envisager, lesquelles consistaient, notamment, dans l’agrandissement et l’amélioration de nos écoles, qui étaient insuffisantes et, certaines même, insalubres. Nous déclarions aussi que, si nous étions élus, nous placerions l’administration au premier plan de nos préoccupations. Une majorité de deux mille voix ratifia nos engagements, le dimanche 5 mai 1908. Huit jours après, le dimanche 12 mai, j’étais élu maire7.
— À la mairie de Rennes – Œuvre administrative – Remarques financières
7La courtoisie qui avait régné pendant quelques années entre patrons et ouvriers du bâtiment avait cessé d’exister ; en arrivant à la mairie, nous trouvions cette industrie en grève. Le conseil municipal, convaincu que les patrons mettaient du parti pris dans leur façon d’envisager la discussion avec les ouvriers, et sachant que de grandes misères sévissaient déjà dans de nombreux ménages, décida, dans sa première séance, de voter 3 000 francs à distribuer aux chômeurs nécessiteux, par une commission qui fut désignée en séance. Sans hésitation, le conseil municipal affirmait ainsi, à l’unanimité, ses sentiments démocratiques.
8Notre premier mandat fut rempli sans faiblesse d’aucune sorte, malgré les attaques très vives dont furent l’objet le conseil municipal et le maire en particulier. Nous restions sur le terrain de nos idées et de notre programme. Un certain nombre de faits nécessitaient un réel courage, je me contenterai d’en citer quelques-uns. À l’exception des écoles, nos institutions et services étaient trop à l’étroit. Il fallait d’urgence les améliorer. Lorsque des immeubles ayant appartenu à des congrégations se trouvaient mis en vente, le conseil municipal, en réunion privée, désignait une commission qui devait s’assurer si les dits locaux convenaient à l’utilisation que nous nous proposions de leur donner. Après constatation et dans l’affirmative, j’assistais avec quelques collègues à l’adjudication, et le patrimoine communal s’est ainsi trouvé augmenté de plusieurs millions avec une dépense inférieure à 500 000 francs8.
9Nous nous doutions bien que ces acquisitions pouvaient froisser une partie de notre population, mais nous pensions que l’intérêt général, seul, devait nous guider et qu’il valait mieux acheter, ou encore, dans certains cas, nous faire attribuer ces immeubles sans bourse délier, que de les laisser passer en d’autres mains alors qu’il était manifeste que la ville en avait un réel besoin. C’est pourquoi nous avons acheté :
L’immeuble de l’ancien pensionnat du Thabor9 ;
Les immeubles des Visitandines, rue Hoche10 ;
Les immeubles des Dames réparatrices, rue de Paris11 ;
Lancien presbytère de Saint-Aubin, rue Saint-Louis12.
10Nous avons la certitude, au conseil, que d’ici quelques années la population sera unanime à reconnaître que nous avons alors bien fait et agi pour les intérêts publics de l’avenir. Si cependant, mes chers enfants, des personnes de parti pris vous reprochaient ces actes de mon administration, comme ayant froissé leurs sentiments religieux, vous auriez à répondre que votre père n’a pas fait autrement que ses prédécesseurs qui, sur rapport de MM. Pinault, maire, Ch. Oberthür, premier adjoint, et Banéat, conseiller municipal, décidaient, par délibération des 24 mars et 28 avril 1908, l’affectation de l’archevêché13 pour la faculté de droit et l’affectation du séminaire14 pour la faculté des lettres et les bibliothèques. Vous pourrez même ajouter que, un peu avant mon arrivée à la mairie, l’administration de M. Pinault avait commencé des démarches en vue de l’acquisition de l’ancien pensionnat du Thabor, ainsi que vous le verrez, d’autre part, dans un chapitre spécial.
— La grève des cheminots – Démarches à Paris – Mon intervention signalée à la tribune du Sénat
11Au cours de notre premier mandat en 1910 surgissait tout à coup une grève de cheminots15. Depuis plus de dix ans, des améliorations étaient promises aux ouvriers touchant les moindres salaires et, au fur et à mesure que s’accumulaient des promesses, les esprits s’échauffaient. Des hommes de vingt-cinq à quarante ans, dans la force de l’âge, pour ne citer que ceux-là, et qui étaient chargés de changer les bouillottes dans les wagons, notamment la nuit, ne gagnaient que 2,75 F par jour. D’autres hommes, de plusieurs catégories, qui se déclaraient suffisamment payés, firent cause commune avec ceux des catégories les moins rétribuées et, du jour au lendemain, la circulation des trains se trouvait arrêtée. À Rennes, comme maire et comme chef de la police municipale, j’avais autorisé toutes les réunions demandées, ainsi que les manifestations dans les rues, avec cette réserve que rien de contraire à l’ordre public ne serait toléré. Les conseillers municipaux ouvriers m’en répondirent et tout se passa sans incident méritant d’être signalé.
12Cependant, à l’intérieur de la gare et aux abords, il y eut quelques entraves à la liberté du travail ; d’où arrestations et révocations. Je reçus alors dans mon cabinet des délégations d’ouvriers et d’employés de la gare venant m’affirmer que des mesures injustes avaient été prises. Je décidai donc d’établir des dossiers avec le maximum possible de sincérité. Après avoir entendu les hommes punis, puis leurs délégués près le directeur du réseau, et avoir fait conduire une enquête par M. le commissaire central, j’établissais un tableau avec colonnes résumant :
Les déclarations de l’homme puni ;
Les déclarations du délégué ;
L’enquête du commissaire central.
13Dans une quatrième colonne, je notais mon opinion personnelle.
14Je constatai ainsi que, sur trente-sept révoqués à Rennes, la très grande majorité avait été frappée injustement sans aucune raison valable. Cette constatation me fit prendre la décision de partir pour Paris avec mon dossier. Jusqu’à ce moment, personne n’avait osé braver l’opinion en essayant de franchir le seuil du cabinet du ministre de l’Intérieur, président du Conseil, pour lui signaler les injustices commises, ce qui n’était pas fait pour calmer les esprits. Arrivé au ministère de l’Intérieur, mon dossier sous le bras, je fus d’abord reçu par le secrétaire général qui me dit que « le ministre était souffrant » et que l’on ne savait pas « s’il pourrait me recevoir ». J insistai pour être reçu, en laissant ma carte et mon adresse à Paris. Quelques heures après, j’étais invité à me rendre à la présidence du Conseil. M. Aristide Briand16 me reçut cordialement et voulut bien examiner avec moi mon dossier. Il me félicita du travail que j’avais établi en déclarant que sa tâche et celle des compagnies serait simplifiée si, de partout, on lui apportait des dossiers aussi complètement étudiés. Il me promit d’examiner mes documents, avec le directeur du réseau et le ministre des Travaux publics, et de donner à mes conclusions une suite aussi favorable que possible.
15Les hommes signalés par moi « comme n’ayant pas commis de faute méritant la révocation » furent les premiers réintégrés de tous les réseaux. J’en fus fort heureux, car cette décision justifiait ma démarche. Deux ans avant, j’avais déjà eu le plaisir à la demande du secrétaire du bureau syndical des cheminots, le citoyen Lardeux, et à celle de quelques-uns de ses camarades, de contribuer par une demande près de M. Clemenceau17, président du Conseil, à la réintégration des neuf ouvriers des ateliers de la gare qui avaient été révoqués sans justifications suffisantes. Ces souvenirs, déjà lointains, évoquent l’idée d’actes tout simples à présent. Mais à l’époque, l’état des esprits exigeait, pour les accomplir, une certaine indépendance. Je fus sans doute le premier à oser intervenir auprès des pouvoirs publics en faveur des cheminots – tout au moins de ceux de Rennes – que je considérais comme injustement frappés.
16Au cours d’interpellations auxquelles ces grèves de 1910 donnèrent lieu au Parlement, mon action fut signalée, à la tribune du Sénat, par M. Jenouvrier, sénateur d’Ille-et-Vilaine. Celui-ci s’exprimait ainsi (séance du 15 décembre 1910) :
« La seconde réponse que l’administration des Chemins de fer de l’État a faite aux pétitions dont elle a été saisie, a été, à l’occasion de la grève que vous savez, de prononcer durement et injustement dans bien des cas que je connais, des révocations. Elle a eu la main lourde, lourde à l’excès. Je sais qu’en ce moment, M. le maire de Rennes intercède auprès des pouvoirs publics pour obtenir des réintégrations que je considère comme nécessaires ; que M. le ministre des Travaux publics me permette de lui dire que je joins mes instances très pressantes à celles de M. le maire de Rennes. J’espère qu’une mise à pied qui a duré déjà plusieurs semaines, avec les tristes conséquences qu’elle a apportées au foyer de ceux qui en ont été l’objet, sera considérée comme suffisante. La pacification des esprits, soyez en sûrs, ne perdra rien à une mesure qui sera autant de justice que de bienveillance (Marques d’approbation sur plusieurs bancs) ».
17M. Jenouvrier était cependant un de mes adversaires politiques. Mais, bien avant d’être maire, il m’avait été donné d’avoir avec lui des relations personnelles qui lui avaient, je pense, inspiré pour mon caractère, une estime que nos divergences très nettes d’opinion et, plus tard, même, l’âpreté de nos luttes électorales, n’avaient pas amoindrie dans son esprit.
18Cet exposé est peut-être un peu long, mais, mes chers enfants, sorti du peuple, élu par le peuple, je me dois à lui chaque fois qu’il me sera donné d’empêcher ou de réparer une injustice à son égard. Ainsi que je le note plus haut, nous aurions beaucoup à dire des réalisations dues au conseil municipal, mais pour tout raconter, il faudrait donner trop de développement à ces souvenirs personnels. En tout cas, il faut croire que mes collègues et moi, nous sommes bien restés dans les limites de nos idées et fidèles à nos engagements, vis-à-vis du corps électoral, pendant notre premier mandat (1908-1912), puisque nous fûmes réélus en 1912 avec une moyenne supérieure de cinq cents voix à celle obtenue en 1908.
— Un accident – Amusante coïncidence
19Ma foi oui ! un accident de voiture, d’une certaine gravité me fit rester à la chambre pendant quatre semaines, en décembre 1913 et en janvier 1914. Alors que je me rendais à la commission des hospices, dans une voiture de place, le cheval prit peur en arrivant à l’hôtel-Dieu, où se tiennent les réunions. Une roue de la voiture étant montée sur le trottoir, celle-ci chavira sur le côté. Mes collègues de la commission, qui arrivaient comme moi pour la réunion, MM. Le Chartier, Dottin18, Buard, Bahon19, Frétaud et Chevreul, vinrent me dégager. J’avais une éraflure au bras droit, qui fut pansée par un interne, puis je présidai la réunion de la commission. Comme la nouvelle de mon accident s’était répandue en ville, je voulus rassurer mes amis en allant au théâtre, le soir même de ce jour-là. Mais, soit que mon pansement eût été mal fait, soit parce que je n’avais pas fait changer ce pansement, comme cela eût été nécessaire, toujours est-il que, trois jours après l’accident, j’avais le bras droit très enflé et qu’il me fallut aller dans une clinique pour que pussent m’être donnés les soins indispensables. Deux fois par jour, je les reçus du chirurgien chef de la clinique d’Ille-et-Rance, M. le professeur Follet, qui se trouvait assez souvent assisté de mon collègue au conseil municipal, le dr H. Leray20. La gravité du mal aurait pu m’affaiblir un peu le moral, mais chaque jour j’avais de très nombreuses visites d’amis et de personnalités diverses, de toutes conditions, qui me réconfortaient.
20Un jour, je reçus quatre de ces visites au même moment et l’originalité de leur coïncidence mérite d’être signalée. Vint d’abord, M. le procureur général Plédy, dont la fonction évoque, avec le respect des lois même les plus anciennes, une idée de conservation intacte, de maintien des règles qui sont la base de l’organisation actuelle de la société ; puis ce fut mon collègue au conseil municipal, Le Clainche, ouvrier aux ateliers de la gare, socialiste unifié, dont les doctrines tendent au contraire à modifier profondément l’état social. Ces deux messieurs étaient à peine assis, que M. l’abbé Henry, secrétaire général de l’archevêché, venait me voir et prendre de mes nouvelles ; puis la porte s’ouvrit à nouveau pour M. Lucien Saint, préfet d’Ille-et-Vilaine. J’avais donc, en plus des deux extrêmes ci-dessus, le pouvoir civil et le pouvoir religieux. Je ne pus m’empêcher de faire observer, aussi plaisamment que possible, cette amusante coïncidence, et ces messieurs furent unanimes à faire ressortir qu’elle ne pouvait qu’être très agréable à un maire, car elle indiquait nettement que, dans son administration, il s’efforçait d’être vraiment le représentant de tous ses concitoyens.
Notes de bas de page
1 Plus qu’un parti au sens strict du terme, il faut entendre par là un rassemblement fondé sur un socle culturel définissant une véritable identité, a priori bien différente du socialisme, d’abord opposé à l’esprit républicain, puis rallié et même intégré, à la faveur de l’affaire Dreyfus. Janvier arrive à l’instant propice pour incarner ce processus d’unité – cimenté par la lutte contre la droite nationaliste – qui promeut les règles du jeu parlementaire et achève l’accomplissement de la République. Il représente parfaitement les deux socles de l’idéologie républicaine, le positivisme philosophique et l’idéalisme issu des principes de la Révolution française dont il veut transformer les principes en action. Il est, à ce titre, moins intellectuel que les hommes d’idées symbolisant usuellement le régime, mais très proche de l’héritage « opportuniste ». La modernité consiste, pour lui, à accepter la complexité des choses, à commencer par le fait économique dans lequel il a puisé sa formation. Le réalisme, le sens du débat, la volonté de persuader sont les outils de cet exercice de la citoyenneté que Janvier prétend incarner en prenant la tête des forces de progrès, alliant progrès social et progrès individuel, sans esprit de système.
2 La chambre de mai 1906 comporte 174 députés de droite contre 247 radicaux, 54 SFIO, 20 socialistes indépendants et 90 modérés.
3 Albert Sarraut (1872-1962), député (1902-1924), puis sénateur (1926-1940) radical-socialiste, fut plusieurs fois ministre : de l’Instruction publique (1914-1915), des Colonies (1920-1924, 1932-1933), de l’Intérieur (1926-1928, 1934-1935), de la Marine (1930). Président du Conseil (oct.-nov. 1933), il fut déporté en Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale.
4 Riche propriétaire, René Le Hérissé (1857-1922) fut élu maire d’Antrain, puis député en 1886, en remplacement de La Riboisière. Il le resta jusqu’en 1913, date à laquelle il fut élu sénateur. Personnage ambigu, il siégeait avec la gauche radicale, mais devint un des principaux lieutenants du général Boulanger. Républicain convaincu et même anticlérical (il vota la loi de Séparation), il fut aussi un antidreyfusard irréductible.
5 Le parti radical-socialiste est le premier parti politique constitué sous la Troisième République, en héritage du programme de Gambetta pour les élections de 1869 (rationalisme positiviste, morale laïque et anticléricale, individualisme soucieux de défendre la propriété privée aussi bien que la réforme sociale et la liberté du citoyen). Regroupés à l’occasion de l’affaire Dreyfus, les radicaux s’éloignent des socialistes lorsque ceux-ci s’unifient pour former la SFIO, en 1905. Faction de Janvier intervient au cours de cette période stratégique de cristallisation des forces politiques en France. Le comité rennais était dirigé par Charles Laurent.
6 Le socialisme français est une mouvance d’éléments éclatés évoluant au rythme des congrès qui en dessinent les grandes tendances (1876 à Paris, 1878 à Lyon, 1879 à Marseille, 1882 à Saint-Étienne). Le groupe rennais dont Charles Bougot était le secrétaire illustre ces tendances, les plus extrêmes – guesdistes (marxistes révolutionnaires) et allemanistes (antiparlementaires et antimilitaires) – cédant progressivement le pas aux possibilistes (plus pragmatiques, en fait assez proches des radicaux) et aux indépendants (prônant l’union de la classe ouvrière et des classes moyennes) dont le porte-drapeau, Alexandre Millerand, n’est pas éloigné des principes défendus par Janvier.
7 Le comité d’union républicaine était présidé par Janvier, le comité radical-socialiste par Charles Laurent et le comité socialiste par Charles Bougot. Cette « liste d’entente des comités républicains » était opposée à la « liste républicaine » conduite par Eugène Pinault, maire libéral sortant. Janvier, avec 7 097 voix, arriva en 27e position, loin derrière Laurent (7 674 voix) mais devant Bougot (6 653 voix).
8 Ces événements se situent dans la droite ligne de l’action des ministères Waldeck-Rousseau dont la loi du 2 juillet 1901 sur les associations restreint l’influence des congrégations religieuses, puis Émile Combes qui refuse l’agrément de nombreuses congrégations (dont les établissements sont fermés) en juillet 1902, avant la loi du 5 juillet 1904 donnant un délai de dix ans aux congrégations autorisées pour fermer leurs écoles et interdisant d’enseignement tous les religieux. Après la chute de Combes (janvier 1905), la séparation de l’Église et de l’État intervient finalement le 9 décembre 1905. Les lieux de culte sont laissés à l’utilisation des fidèles, les autres biens de l’Église étant confisqués.
9 L’ancien pensionnat des frères du Thabor fut transformé en lycée de jeunes filles, devenu depuis lycée Anne-de-Bretagne.
10 Les Visitandines se sont établies en 1632 dans un domaine sis entre les me Saint-Melaine et des Fossés. Après le percement de la me Hoche sous la férule de l’architecte Jean-Baptiste Martenot dans les années 1880, les restes du couvent primitif (une partie des bâtiments claustraux, de part et d’autre de la chapelle) ont été incorporés à l’actuelle école des Beaux-Arts, par Emmanuel Le Ray. L’aile sud accueille en 1910 le conservatoire de musique, l’aile nord l’école des Beaux-Arts et l’école d’architecture. La chapelle devient une salle pour les auditions musicales.
11 La chapelle de l’ancien couvent des Réparatrices s’élevait au n° 28 de la me de Paris.
12 L’ancienne église Saint-Aubin (17e et 18e siècle) venait d’être démolie (1904). Le presbytère était au n° 8 de la me Saint-Louis.
13 Le palais épiscopal, construit à la fin du 17e siècle, sur les terres de l’abbaye Saint-Melaine, fut agrandi après 1770 (aile ouest bordant la rue de Fougères) et encore modifié en 1862 par monseigneur Brossais-Saint-Marc. Il fut désaffecté en 1906.
14 Le grand séminaire de Rennes a été reconstruit à partir de 1856 (au débouché de la place Hoche), à l’emplacement de l’ancien couvent des Carmélites. Le projet d’Henri Labrouste, grâce en particulier au cloître renforcé de structures métalliques apparentes et aux façades austères, est considéré comme une des réussites de l’éclectisme fonctionnel.
15 Cette nouvelle grève survient dans un climat troublé précédant l’explosion sociale de 1911 en Bretagne. Une dizaine de grèves ont alors lieu à Rennes, dont celle des employés des Tramways à vapeur d’Ille-et-Vilaine en janvier. Le nombre des syndiqués de cet établissement (220 sur 310 ouvriers) donne une idée de la vigueur des revendications portées sur la place publique. La grève des cheminots a une autre ampleur : elle touche cinquante départements et plus de 43 000 grévistes sur 142 000 agents. C’est un échec durement réprimé : 1925 révocations définitives sont prononcées, dont 42 pour l’Ille-et-Vilaine – le mouvement affectant le réseau de l’Ouest-État ayant été mené à partir du dépôt de Rennes. Plusieurs manifestations ont lieu dans la ville en mai, en juillet et en octobre pour protester contre les révocations (3 000 au départ). Malgré la réduction des sanctions obtenue par Janvier, la rancœur reste grande au point que des sabotages sont commis sur les lignes à la fin de l’année.
16 Aristide Briand (1862-1932) est surtout connu pour son action internationale en faveur de la paix entre les deux guerres. Avocat et journaliste, socialiste de conviction, il est élu député en 1902 et connaît une des plus riches carrières ministérielles de la Troisième République : vingt fois ministre et onze fois président du Conseil. Le premier cabinet Briand dure de juillet 1909 à février 1911.
17 Georges Clemenceau (1841-1929), médecin vendéen, commence sa carrière politique en 1871, se signalant par des positions de gauche dures qui contribuent à la chute de plusieurs ministères. Battu après le scandale de Panama, il publie le fameux « J’accuse » de Zola dans L’Aurore (1898) et revient au sénat (1902). Il est président du Conseil d’octobre 1906 à juillet 1909, pour négocier le difficile héritage de Combes. Il est rappelé par Poincaré (nov. 1917 – janvier 1920), restaure la confiance de la nation jusqu’à la victoire et négocie le traité de Versailles (1919). Battu par Deschanel à la présidence de la République, il se retire de la vie publique (1920).
18 Georges Dottin (1863-1928) fut titulaire de la chaire de langue celtique à la faculté des lettres dont il devint le doyen. On lui doit de nombreux ouvrages consacrés à l’histoire des langues celtiques et bretonne. Conseiller municipal de 1908 à 1928, il avait été, au moment de l’affaire Dreyfus, de ceux qui avec Victor Basch et Henri Sée combattirent l’antisémitisme à Rennes.
19 Carle Bahon (1873-1944), né à Laval, était issu d’une famille de fonctionnaires des finances. Agrégé d’allemand, il enseigna à Toulouse, puis à la faculté des lettres de Nancy. C’est là qu’il adhéra à la SFIO Nommé à Rennes en remplacement de Victor Basch, il fut élu conseiller municipal sur la liste janvier en 1908. Réélu en 1912, 1919 et 1924, il devint en 1925 le premier maire socialiste de Rennes. Son mandat fut marqué surtout par des réalisations scolaires et sociales.
20 Conseiller municipal de 1900 à 1925, le docteur Henri Leray est le fondateur à Rennes de l’œuvre de La goutte de lait. Il fut étroitement associé au programme de construction de crèches mis en place par la municipalité Janvier.
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