1 Voir Paul Lidsky, Les Écrivains contre la Commune, Paris, La Découverte, 2010, rééd. de l’édition originale de 1970.
2 Voir Jacques Gouault, Comment la France est devenue républicaine. Les élections générales et partielles à l’Assemblée nationale, 1870-1875, préface de François Goguel, Paris, Armand Colin, 1954.
3 Édouard a enfin obtenu son départ pour la France et s’est trouvé affecté à la seconde Armée de la Loire du général Chanzy. Il a dû participer à la bataille du Mans des 10-12 janvier 1871 où Chanzy fut battu mais réussit à sauver l’essentiel de son armée improvisée et mal entraînée, la repliant sur Laval d’où il espérait reprendre l’offensive en cas de succès autour de Paris, ou de l’armée Bourbaki dans l’est.
4 Un provincial cultivé et correctement informé peut donc encore estimer le 27 janvier, alors que l’armistice a été signé la veille, que la partie n’est pas perdue, à moins qu’il n’énonce des idées qu’il ne professe en réalité pas du tout, ce qui est possible. Une des explications en est peut-être la belle résistance de Dijon, dont il va parler ci-dessous. Mais à cette date, depuis quatre jours, Jules Favre a été envoyé rencontrer Bismarck pour négocier l’armistice. Il est vrai que, le 21, un Parisien tout aussi cultivé pouvait encore croire à la victoire (voir Desplats, 1980). L’opinion « patriote », certainement devenue bien minoritaire, s’est fait des illusions jusqu’au bout.
5 Si les neutres avaient dû intervenir, ils l’auraient fait depuis longtemps. Cet optimisme insensé est surtout symptomatique du désarroi de Jules Lelorrain, et de beaucoup de Français.
6 Au nord-ouest (route de Troyes).
7 Corcelles-les-Cîteaux, au sud-ouest.
8 Au nord-est (route de Gray et de la Haute-Saône).
9 Admirer Garibaldi était en effet la marque d’un républicanisme avancé et avéré. La droite haïssait littéralement l’homme, son action et sa légende. L’abbé Jaffré, député d’extrême droite à l’Assemblée nationale élue quelques jours plus tard, écrivait ceci à un correspondant le 14 février : « Le misérable était là [Garibaldi a été élu député], dans ses haillons, calme et tranquille comme le génie de la destruction qui se repose après avoir accompli son œuvre. Seulement, ce n’est pas le génie de la destruction violente, c’est celui de la destruction par décomposition et pourriture… » et le 17, « J’ai vu d’aussi près que possible […] le carnavalesque Garibaldi, un vieux et sale bonhomme, ridé comme le commun des hommes n’a pas le droit de l’être : c’est une peau vide, jaunie, grillée, où les rides sont serrées, profondes, par paquets, un masque hideux. Il est perclus, bancal, le costume est digne du personnage » (Correspondance de M. Jaffré, publiée par le chanoine Le Clanche, Vannes, Lafolye frères, 1911, p. 90 et 93).
10 Celui de la Croix-Rouge.
11 La guerre de 1870-1871 ne fut sans doute pas une guerre d’extermination comme nombre de campagnes coloniales de même époque, mais les atrocités, surtout du fait de l’envahisseur comme il est classique, furent bien réelles.
12 Lettre perdue.
13 Armistice, occupation des forts autour de Paris, versement par la capitale d’une contribution de 200 millions, etc. Et, bien entendu, élection d’une Assemblée nationale qui décidera de la guerre ou de la paix. Le vote a lieu le lendemain de cette lettre, 8 février. Comme on le sait, la droite, hostile à la reprise des hostilités, obtint une écrasante majorité qui semblait condamner la République. Il n’en fut rien. L’adresse à Édouard montre que celui-ci était beaucoup plus lucide que son père sur la situation réelle de la France.
14 Lettre au timbre du Tribunal de Dijon, Cabinet du Président.
15 Comme l’immense majorité des républicains modérés, Jules Lelorrain est évidemment horrifié par les événements de la Commune de Paris naissante. On dira que c’est bien naturel et qu’il n’est pas besoin de faire une note pour cela. Ce n’est pas sûr. Les choses sont plus complexes. Les lettres de Jules pendant la guerre, enfin, celles que nous avons (août-octobre 1870 plus celle de la fin janvier), montrent un état d’esprit patriotique d’essence jacobine très proche des chapitres liminaires de P. O. Lissagaray dans ce classique qu’est l’Histoire de la Commune de 1871 (1876, 1896 – rééd., Paris, Francçois Maspero, 1982), en particulier dans « Comment les Prussiens eurent Paris et les ruraux la France » (p. 53-91). Sur les ruraux, justement, on trouve des convergences étonnantes entre le président du tribunal de Dijon et le communard, et le premier est même le plus violent. Lissagaray : « Que savait alors le paysan français et combien pouvaient dire où se trouvait l’Alsace ? C’est lui surtout que visait la bourgeoisie hostile à l’instruction obligatoire. Tous ses efforts pendant quatre-vingt ans n’ont-ils pas été de transformer en coolie le petit-fils des volontaires de 92 ? » (p. 90-91.) Jules Lelorrain, lui, parle carrément de sept millions d’imbéciles (lettre du 10 mai 1870). Mais il ne peut admettre l’insurrection armée et, dans son esprit, anarchique et porteuse du seul désordre contre un pouvoir élu au suffrage universel, pouvoir que pourtant il déteste.
16 Pessimisme excessif mais assez logique dans le contexte, compte tenu de ce qu’il connaît. Notons que Louis Blanc, socialiste, républicain, ne dit pas autre chose que Jules Lelorrain, à peu près au même moment (8 avril) : « Quant à ceux qui sont dans l’insurrection, nous leur disons qu’ils auraient dû frémir à la seule pensée d’aggraver, de prolonger le fléau de l’occupation étrangère en y ajoutant le fléau des discordes civiles » (Lissagaray, p. 208).
17 Pour la bourgeoisie française, l’Internationale, l’AIT, c’est la Tarasque, la Drée ou le Graouili comme disait Hugo dans Napoléon le petit. Bouc émissaire facile. En fait, son rôle semble avoir été assez mince (voir Jeanne Gaillard, 1971, p. 158-161).
18 Le mouvement fédéraliste est en fait fort complexe et il est vrai qu’il a des partisans dans la Commune (Jeanne Gaillard, 1971, montre la multiplicité du concept, p. 151-157). Mais le fameux programme, la Déclaration au Peuple français du 19 avril qui demandait « L’autonomie absolue de la Commune étendue à toutes les localités de France » reflétait un état d’esprit sans doute assez général, mais bien vague, et très composite, comprenant proudhoniens, dont le journaliste Pierre Denis, son principal rédacteur, radicaux, voire gambettistes ou blanquistes. Lissagaray le traite avec mépris de programme « obscur, incomplet, dangereux » (p. 212), incapable d’éclairer la province et demande qu’on imagine quel genre de pouvoirs engendrerait l’autonomie des communes de Basse-Bretagne puis, corrigeant séance tenante ce racisme anti-breton, « des neuf dixièmes des communes françaises » (p. 211). Une remarque sur une curieuse question de date : cette lettre étant du 6 avril, Jules Lelorrain n’a pu encore lire le programme du 19. Il faut croire qu’il se tient parfaitement au courant des débats, des courants, des controverses qui agitent Paris et d’ailleurs, il nous le dit : « J’ai lu avec attention toutes les élucubrations… »
19 Le Comité Central Républicain des vingt arrondissements de Paris, formé dès septembre 1870, constitua une sorte de pouvoir parallèle durant le siège puis l’organe majeur de décision dans les événements des 15-18 mars (et notamment la reprise des canons de Montmartre à l’armée) et dans les premiers jours de la Commune. Théoriquement, le Comité aurait dû se dissoudre après les élections au conseil de la Commune, le 26 mars. Il n’en fit rien et dans les premiers jours, les conflits entre les deux pouvoirs furent assez aigus (Lissagaray, p. 172-178). Sur cette instance assez peu étudiée, voir Le Comité Central Républicain des vingt arrondissements de Paris (septembre 1870-mai 1871), d’après les papiers inédits de Constant Martin et les sources imprimées, Paris, Éditions sociales, 1960. Compte tenu de l’éditeur, il s’agit évidemment d’un point de vue marxiste très orthodoxe ayant tendance à survaloriser le rôle de l’Internationale – et se retrouvant donc curieusement d’accord sur ce point avec les ennemis de la Commune (ceux de 1871, bien entendu) !
20 La « Commune » au sens propre, c’est-à-dire le conseil, élu par 227 000 votants le 26 mars et entré en fonction le 28.
21 Il manque des mots. Sous le feu de l’émotion, Jules écrit trop vite.
22 Analyse très unilatérale. Les tentatives de conciliation existèrent au moins jusqu’au 10 avril, en pure perte. Thiers demandait la reddition des insurgés avant toute nouvelle disposition. Aucun terrain d’entente ne pouvait se trouver. Les opérations commencèrent le 1er avril par une offensive versaillaise, non parisienne. Le 2, un premier recul communard (l’évacuation de Courbevoie) entraîna un sursaut et l’envoi, le lendemain, sur Versailles, d’une force de 40 000 hommes, inorganisés, mal commandés, indisciplinés. Malgré le courage de certains bataillons fédérés, l’affaire ne pouvait se terminer que par un fiasco total. Flourens et Duval trouvèrent la mort ce jour-là.
23 Jules a, apparemment, un peu oublié qu’après le plébiscite de mai 1870, il n’avait pas une révérence si absolue envers le suffrage universel. Il est possible que, nonobstant l’écrasante majorité monarchiste, il ait confiance en Thiers pour maintenir la République, du moins le tenter.
24 Revoici, toujours pour citer Napoléon le petit, l’Ogre du Petit Poucet et le Vampire de la Porte Saint-Martin. Ou, si l’on préfère des références historiques, le spectre de 1793. En réalité, la « Terreur » communarde fut bien pâle par rapport à nombre d’autres. Il y eut un certain nombre d’arrestations, souvent au hasard, maintenues ou non. Le 6 avril, jour de cette lettre, est publié le fameux Décret des otages : Art. 1er – « Toute personne prévenue de complicité avec le gouvernement de Versailles sera immédiatement décrétée d’accusation et incarcérée… » Art. 6 – « Toute exécution d’un prisonnier de guerre ou d’un partisan du gouvernement régulier de la Commune de Paris sera, sur-le-champ, suivie de l’exécution d’un nombre triple d’otages retenus en vertu de l’article 4, et qui seront désignés par le sort. » L’article 6 ne fut suivi d’aucun effet, alors même que les prétextes eussent été nombreux, avant la Semaine sanglante. Quant aux « assassinats », sans doute Jules fait-il allusion aux exécutions, certes inutiles, des généraux Lecomte et Clément Thomas, le 18 mars, ou à la fusillade de la place Vendôme (22 mars) qui mit fin aux tentatives parisiennes de juguler la Commune (une dizaine de morts). Bien plus que sa « terreur », on pourrait avec Lissagaray reprocher à la Commune, pour son propre malheur, sa désorganisation, l’absence de commandement obéi, l’indiscipline, les conflits internes permanents, le chaos en un mot qui la mena au désastre.
25 Vraisemblablement dans l’affaire du 2 avril.
26 La capitale n’était pas à proprement parler, comme lors du siège, en état de blocus mais le service des postes, malgré les efforts de son chef, Theisz, très désorganisé et le courrier n’était évidemment pas transmis pacifiquement aux services de Versailles. Mais Theisz réussit à faire partir plusieurs dizaines de milliers de plis, jetés dans des boîtes hors Paris par des employés audacieux. Parfois, ce sont des Parisiens eux-mêmes qui faisaient le facteur (voir ci-dessous). Cela n’avait bien sûr rien d’un courrier régulier.
27 Un décret du 11 mai prescrivit effectivement la démolition de la maison de Thiers.
28 Ernest Picard (1821-1877), opposant très modéré à la fin du Second Empire, ministre des Finances dans le gouvernement de la Défense nationale, ministre de l’Intérieur de Thiers et, à ce titre, un des principaux acteurs de la répression anti-communarde. Il était malgré tout fort détesté des royalistes et dut démissionner une fois la Commune vaincue.
29 Le titre créé par Hébert eut un succès prodigieux auprès de ce que l’on pourrait appeler la gauche « populiste » du XIXe siècle. Marc Crapez (La Gauche réactionnaire, Mythes de la plèbe et de la race, préface de P. A. Taguieff, Paris, Berg international, 1997) compte douze Père Duchesne ayant dépassé six numéros entre 1848 et 1902.
30 Jules n’aime pas Morin, on le sait. En fait, il ne fut pas plus « révoqué » que nombre d’autres « préfets de Gambetta » mais donna sa démission après l’élection de l’Assemblée nationale réactionnaire de février 1871, comme beaucoup de ses collègues. Il écrivit effectivement dans le Rappel sous la Commune, sans adopter de positions extrémistes. Brièvement arrêté en juin 1871, il fut presque aussitôt libéré, sans poursuites.
31 « Lui » = Hippolyte.
32 « Comme tu le dis » ? Y aurait-il une réserve ou de l’ironie (de l’ironie surtout) dans l’utilisation de ce mot (« victoire ») par le père ou encore plus par le fils, le très républicain Édouard ? Sans aucun doute de la part d’Édouard, peut-être de celle Jules. Ce sera une victoire mais sur des Français, ce qui dans le contexte d’avril 1871 n’apparaît pas très glorieux.
33 Ni Jules, ni Édouard, ni sans doute beaucoup de Français, ne prévoient la terrible répression de mai. Voir à ce sujet la masse des adresses envoyées à l’Assemblée nationale par les conseils municipaux et desquelles l’hystérie anticommunarde à la Maxime du Camp est à peu près absente (AN, C/4275) quelles que soient les positions de fond, au reste variées. Les lendemains de la Commune ne feront pas basculer Édouard à droite : dès le mois d’août, il envoie à l’Assemblée une pétition demandant… le rétablissement du divorce et la séparation de l’Église et de l’État ! (AN, C/4207, pétition no 1935 – sous le nom d’Édouard Lelorrain, docteur en médecine, omettant prudemment et volontairement sa qualité de militaire… mais son écriture, pour une fois lisible, est bien reconnaissable.)
34 Ils en sont en effet très loin.
35 Malgré ce qu’ils avaient prévu, Jules et Alix ont donc dû quitter la maison du feu père de Laloge. Ils ne sont pas allés bien loin : du 17 au 5 de la place Saint-Michel… Il est vrai que la nouvelle demeure est d’apparence beaucoup plus modeste (voir les photos en annexes).
36 Aujourd’hui, simple quartier de Versailles.
37 Terre pauvre et peuplée, grande pourvoyeuse de bonnes et surtout de nourrices au XIXe siècle, on l’a déjà dit. Dans une immense littérature d’époque, voir par exemple Bailly (Dr), Les Vacances d’un accoucheur. Voyage au pays des nourrices. Dix jours d’automne dans le Morvan en 1881, Paris, A. Hennuyer, 1882, ou, pour une publication contemporaine, Noëlle Renault, Colette Doreau, Le Morvan et ses nourrices, Saint-André-en-Morvan, Association Les nourrices du Morvan, 2004.
38 Comme on l’a vu (lettre du 11 janvier 1870), il fallait 7 heures de voiture pour se rendre de Charolles à Mâcon. De là, la ligne de chemin de fer allait jusqu’à Bourg-en-Bresse, sans souci particulier, mais, ensuite, il fallait encore prendre une voiture sur 80 km, en partie de mauvaises routes de montagne. Seize heures de trajet représentent donc encore une durée très optimiste. La ligne Bourg-Nantua ne sera ouverte qu’en 1877 et Nantua-Andelot par Champagnole en 1886 seulement.
39 Grâce à la ligne Dijon-Pontarlier-Suisse, passant par Andelot. Pontarlier avait été atteinte en 1862, la section dérivée Andelot-Champagnole ouverte en juillet 1867. La distance par la route Champagnole-Saint-Claude est de 41 km. Tout ceci confirme la règle : sur de mauvaises routes, comme elles le sont encore presque toutes en 1871, on ne pouvait compter faire plus de 10 km/heure de moyenne en voiture publique au mieux. Et le plus souvent, comme ici, un peu moins.
40 Les voyages de Jules se sont limités jusqu’ici à la Bourgogne, à Paris et à quelques autres lieux fréquentés pour des raisons précises (visite à Édouard, mariages). Il connaît la Suisse, destination touristique dès cette époque, par les lectures et la photo.
41 Lettre apparemment perdue.
42 On a vu qu’il arrive à Jules d’être extrêmement dur avec ses contemporains…
43 Les industries de Saint-Claude et plus généralement du Jura, que nous considérons comme « traditionnelles » étaient, à l’époque où Jules visita la ville, en fait assez récentes. C’est la volonté de compléter des revenus agricoles misérables dans des vallées profondes et sans communications (voir ce qu’en dit notre magistrat) qui fut la source de leur développement. Seules des activités exigeant de la main-d’œuvre disponible (et les ruraux avaient l’hiver, dans le Jura, beaucoup de temps disponible) et des matières premières extrêmement légères avaient des chances d’être rentables. Ce fut le cas dans la Suisse voisine, puis dans le Jura français : horlogerie du Doubs, lunetterie de Morez (créée en 1796), travail des racines de bruyère à Saint-Claude pour les tabatières, dès le XVIIIe siècle, puis les pipes, industrie diamantaire, etc. L’industrie de la pipe de bruyère, utilisant une matière première d’origine provençale, démarra vraiment à Saint-Claude en 1855. Vingt ans après cette lettre (1890), elle faisait vivre 2 000 ouvriers. Voir Michel Chevalier, Tableau industriel de la Franche-Comté, Paris, Les Belles Lettres, 1961.
44 Tableau à glacer d’effroi le candidat à l’installation, et d’ailleurs plutôt bien troussé. Jules, quand il peut ne pas rester simplement utilitaire, ce à quoi l’obligent les contraintes matérielles de la correspondance, est capable d’écrire avec un certain brio.
45 La Suisse et les Suisses avaient une image très positive en France depuis l’accueil chaleureux et amical qu’ils avaient réservé à l’armée Bourbaki en déroute, au début de l’année.
46 Rappelons que Jules va mourir en 1897, vingt-six ans plus tard et qu’il remplira les fonctions absorbantes de juge de paix à Paris jusqu’à 82 ans…